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Traduire
La traduction et le mythe de la
signification
L’équation de traduction
(i) EiLj = EkLl


ExLy = mot (dictionnaire, nomenclateur), syntagme (cf. Gaffiot), énoncé, texte.
L’équation (i), peut être rapprochée de la définition ou de la synonymie (cf. Quine),
mais cela suppose une distorsion pour la synonymie (on met entre parenthèse la
notion de « valeur linguistique »).
 L’équation s’interprète naïvement comme « (EiLj) et (EkLl) possèdent la même
signification ». Soit S cette signification; on pense que chaque expression en est le
signe, selon la formule:
(ii) f-1 (EiLj) = f-1 (EkLl) = S
Ou encore:
(ii’) f(S) = EiLj = EkLl
Question: (i) est un fait (dictionnaires bilingues, traductions); suppose-t-elle une
forme de (ii)? Ou encore: le dispositif de traduction nous conduit-il à admettre
l’existence de S, comme entité autonome? Hypothèse forte : Langue implicite
universelle (LIU) ou « mentalais ».
Langue nomenclature VS
Principe ICT (1)
 Langue nomenclature: Si l’équation (i) implique les
équations (ii), alors pour toute Ei d’une langue
quelconque je puis l’égaler à tous les Ej …n d’autres
langues, pourvu que chacun respecte la condition
d’être égale au même f(S). Cf. le Calepin et les
nomenclateurs universels (en codant chaque ligne on
dispose d’un vocabulaire universel). Si l’on se donne
un principe de compositionnalité universel, il suffit de
disposer d’un dictionnaire des expressions
élémentaires pour posséder un outil de traduction
universel. Problème sur la nature du mot pour les
dictionnaires.
Langue nomenclature VS
Principe ICT (2)
 Principe d’Irréversibilité des chaînes
de traduction (ICT): soit la traduction
de l’expression Ei d’une langue Li par
l’expression Ek d’une langue Lk, et
ainsi de suite, jusqu’à l’expression Ez
d’une langue Lz. Généralement on
constate que si l’on retraduit
directement Ez dans Li, on n’obtient
pas Ei.
L’arbitrairee sémantique
 (iii) lat. Aquas! Aquas! = fr. Au feu! Au feu!
 (iv) Dare1 classibus2 [dat] austros3 [acc]
(Virgile) = « mettre à la voile », lit. « donner1
les vents3 à la flotte2 ».
 (v) Gladium1 [nom] vagina2 [abl] vacuum3
[nom] = « l’épée nue », lit. « l’épée1 vide3 du
fourreau2 ».
 (iv’) Dare1 classes2 [acc] austris3 [dat]
Le traitement par la
figuration
 Trope ou figure de mot : c’est une manière de
dire par laquelle un mot signifie autre chose
que sa signification « première » ou
« habituelle » (ex. : métaphore ou métonymie).
 f(a)= *b; F(*b) = F(f(a)) = c ; on dispose
généralement de *d = f(c).
 Les « tropes originaires » catachrèse (« feuille
de papier »); il n’y a pas d’autre expression.
Les versions interlinéaires

Dumarsais (Méthode latine, 1722)
(a) Deorum antiquissimus habebatur coelum (Père
Jouvency, Epitome de diis heroibus poeticis)
(b) Coelum habebatur antiquissimus deorum ( = « faire la
construction »)
(c) * Coelum habebatur deus antiquissimus e numeo
deorum ( = restituer les ellipses ou, si besoin, les
tropes)
(d) * Le ciel était eu le Dieu le plus ancien du nombre des
Dieux (= correspondance terme à terme)
(e) Le ciel passait pour le plus ancien des Dieux ( =
restitution du français standard)
Le problème de la
figuration
 Dans le cas de (iii) comme de (iv), on ne dispose pas d’autre
expression latine. Si on soutient qu’il s’agit d’une expression
figurée, deux problèmes:
- Dans quelle langue est la figuration? Si c’est dans l’une des deux
de l’équation (iii), alors la signification de l’expression en cette
langue est également celle de l’autre expression, si c’est dans les
deux, alors je dois soit admettre une signification S, qui figure
dans le mentalais et qui, au besoin, peut être signifiée
littéralement dans une autre langue, voire signifiée par une
paraphrase dans l’une des deux (mais je ne fais que redoubler
l’arbitraire), soit je dois maintenir la différence.
- L’hypothèse de S est inutile. (iii) doit être interprété comme
signifiant qu’il s’agit bien d’une bonne traduction (les expressions
latine et française ont la « même » signification). Mais S est une
hypothèse inutile, elle ne fonde pas (iii) c’est le contraire.
Trois remarques sur la
démarche classique



1 – La facilité (?) du « mentalais » : « sans ce prototype original et invariable, il
ne pourrait y avoir aucune communication entre les hommes des différents âges
du monde, entre les peuples des diverses régions de la terre, pas même entre
deux individus quelconques, parce qu’ils n’auraient pas un terme immuable de
comparaison pour y rapporter leurs procédés respectifs » (Beauzée, art. langue).
Pourtant, il n’y a que le langage pour manifester le mentalais.
2 – Un problème suscité par le dispositif : si je puis faire des versions
interlinéaires, c’est parce que je puis ramener les langues à un « patron »
(« pivot ») commun (?) ; quelle est la langue naturelle qui se rapproche le plus de
ce patron? Querelle des inversions.
3 – La fonction métalinguistique universelle de toute langue : (c) et (d)
laissent entendre que par des démarches appropriées on peut faire coïncider les
langues, c’est-à-dire qu’au sein de chacune on peut disposer d’une paraphrase,
plus ou moins « artificielle », qui corresponde à l’autre. Whorf ne procédera pas
autrement : autrement dit, aussi forte que soit la différence que je proclame entre
la langue A et la langue B, pour faire comprendre la différence aux locuteurs de B,
je suis bien obligé de l’exprimer dans la langue B. Quel est le statut de cette
fonction? Est-il légitime de faire l’hypothèse qu’une paraphrase dans la langue A,
visant la langue B, vaut pour viser toutes les langues (la paraphrase serait
isomorphe au mentalais)?
Il faut maintenir la
différence
 Dumarsais: « Quand Térence a dit lacrymas mitte et
missam iram faciet (« retiens tes larmes, ta colère »)
mittere avait toujours dans son esprit la signification
d’«envoyer» »(Traité des Tropes, 1730, I.5).
 Diese gelerhten Männer (hi docti viri, ces savants
hommes) vs diese Männer sind gelerht (ces hommes
sont savants). Beauzée: « Le germanisme saisit
l’instant qui précède immédiatement l’acte de juger, où
l’esprit considère encore l’attribut d’une manière vague
et sans application au sujet; la phrase commune (mes
italiques, SA) présente le sujet tel qu’il paraît à l’esprit
après le jugement, et lorsqu’il n’y a plus d’abstraction »
(art. germanisme, Enc. Méth., II, 281)
La valeur linguistique
 Beauzée, art. langue, IX, 260 : « L’adjectif vacuus a dans le latin
une signification très générale, qui était ensuite déterminée par les
différentes applications qu’on en faisait : notre français n’a aucun
adjectif qui en soit l’application exacte ». Il n’y a plus de figure
(hyppalage, inversion de l’ordre « naturel » des mots) en latin.
 Saussure, Cours …, p. 161 : « Si les mots étaient chargés de
représenter des concepts donnés d’avance, ils auraient chacun
d’une langue à l’autre des correspondants exacts pour le sens; or
il n’en est rien. Le français dit indifféremment louer (une maison)
pour « prendre à bail » et « donner à bail », là où l’allemand
emploie deux termes: mieten et vermieten ; il n’y a donc pas
correspondance exacte des valeurs ».
Interpréter les différences
de valeur
 Saussure, Cours …, pp. 160-161: « Ainsi la valeur de
n’importe quel terme est déterminée par ce qui
l’entoure; il n’est pas jusqu’au mot signifiant « soleil »
dont on puisse immédiatement fixer la valeur si l’on ne
considère pas ce qu’il y a autour de lui; il y a des
langues où il est impossible de dire « s’asseoir au
soleil » ».
 Jakobson, « Aspects linguistiques de la traduction »
(1959), Essais … (1963), p. 84: « Les langues diffèrent
essentiellement par ce qu’elles doivent exprimer, et
non par ce qu’elles peuvent exprimer ».
Le relativisme linguistique
 Whorf (1956): « Chaque langue comprend les termes qui en sont
venus à exprimer un champ de référence cosmique, qui
cristallisent en eux-mêmes les postulats de base d’une
philosophie informulée, et dans lesquels est contenue la pensée
d’un peuple, d’une culture, voire d’une ère » (t.f., 1969, p. 12).
 Implémentation neuronale : « Mots et morphèmes sont des
réactions motrices, alors que ne le sont pas les éléments de
liaison existant ENTRE EUX – éléments qui constituent les
catégories et les modèles d’où procède la signification
linguistique. Ils correspondent aux connexions et aux processus
neuraux d’un type NON MOTEUR, silencieux, invisible et
individuellement inobservable « (ibid., p. 22).
Les hypothèses ontologiques
sous-jacentes
Des invariants ?
 Le « mentalais », qui peut n’être identique à aucune des langues.
Cf. la formulation de Pinker : espèce de « langage machine » qui,
identique et inné chez tous les humains, permet le traitement de
toutes les langues.
 Saussure: le continuum que chaque langue découpe.
 Jakobson: des codages différents.
Mais en quoi consiste vraiment la nature de l’invariant?
Une idiosyncrasie ?
 Whorf : chaque langue est une structure mentale indépassable.
Mais alors comment peut-on traduire?
Deux fondements
possibles de l’invariance
 Nous partageons la même raison. La raison est indépendante
de la particularité des langues; elle possède des « vérités
propres » ou « vérités de raison »: les « propositions
analytiques », par opposition aux propositions synthétiques, qui
expriment des « vérités de fait ». Cette distinction est admise
aussi bien chez les rationalistes (Kant, Husserl), que chez les
empiristes (Locke, Carnap), contrairement à ce que soutient
Quine qui y voit l’un des dogmes de l’empirisme.
 Nous partageons le même monde. Les « faits » sont
indépendants de la constitution des langues et peuvent
constituer un étalon pour comparer leurs significations. Nous
avons besoin de ce que Russell nommait « knowledge by
acquaintance ».
Quine et l’absence de
démarcation entre
analytique et synthétique
(A) Aucun homme non-marié n’est marié
(B) Aucun célibataire n’est marié
(C) Un célibataire est un homme non marié
(A) est vraie par définition (X=X); la thèse de
l’analycité consiste à donner le même statut à (B).
Or, on s’engage dans une démarche circulaire. (B) et
(C) reviennent à (A) à condition d’admettre la
synonymie « célibataire » = « homme non marié ».
La synonymie suppose une définition, mais celle-ci
revient à (C). L’analycité ne se reconnaît pas sans
condition: celle-ci est un fait de langue. Du coup, il
n’y a pas de démarcation absolue entre analytique et
synthétique.
Quine: inscrutabilité de la
référence et indétermination
de la traduction
Supposons une situation de « traduction radicale »: un anthropologue
dans une tribu indigène de langue inconnue. Il va se baser pour
« traduire » sur le rapport entre les expressions linguistiques et des
traits de l’environnement. Il voit passer un lapin et entend un indigène
dire « Gavagai ». Il sera tenté par une traduction : « lapin ». Mais ce
pourrait être tout autre chose: une espèce de lapin, un morceau de
lapin, etc. La traduction est indéterminée. Pour trancher, il devra
utiliser déictiques, quantificateurs, etc. On remarquera que cela vaut
à l’intérieur de la même langue et touche le problème de la référence:
le geste qui consiste à montrer quelque chose de vert pour définir ce
que l’on entend par « vert » convient aussi bien au terme concret
(« c’est vert ») qu’au terme abstrait (« ça, c’est le vert ») qui ne sont
pas vrais des mêmes objets: la référence est inscrutable. L’exhibition d’un
fait ne suffit à déterminer ni la traduction, ni la référence.
Les conséquences de la
position de Quine


Les deux thèses sont complémentaires. La démarcation supposerait que l’on
puisse se passer de recourir aux faits; il y a toujours un fait caché et ce fait est
toujours un fait de langue donné. La détermination supposerait que l’on puisse
recourir aux faits en se passant de tout langage; il y a toujours une hypothèse
analytique imposée.
On ne peut pas se passer d’un langage d’interprétation: il faut un référentiel. Toute
interprétation est relative à ce référentiel (thèse de la relativité linguistique).
On a fait remarquer que la conception quinéenne de la signification
(quelque chose comme un stimulus) était plutôt faiblarde et ne
permettait guère de comprendre comment se construisaient les
« hypothèses analytiques ». Par ailleurs, il ne tient pas compte de la
construction non-linguistique de la référence par des « formes de
vie » (Russell n’a pas tout à fait tort de soutenir que l’on ne connaît pas
vraiment la signification de « fromage » si l’on n’en a jamais mangé. Ces critiques
montrent qu’il faut compléter Quine, elles n’invalident pas ses thèses, en particulier
sur la relativité.
Quelques conclusions
Les outils linguistiques. HTL confirme l’intuition de Quine quant à l’existence de
quelques chose comme des « hypothèses analytiques » : les langues sont mises
en relation à l’aide d’outils linguistiques qui ont une histoire et « apparient »
progressivement les langues.
La mondialisation des langues. La Révolution technologique de la grammatisation
met progressivement en relation les langues du monde, en les appropriant les
unes aux autres (la différence de structure fait que la représentation d’une langue
dépend de celle qui sert de référent). L’appariement progressif devient plus
adéquat, mais il comprend aussi le « forçage ».
Le statut d’une éventuelle langue pivot. La grammatisation a hésité entre la
pratique de l’appariement deux à deux ou le passage par un élément commun (la
LUI de la GG), ce que l’on peut appeler une « langue pivot ». Il y a un intérêt
économique à utiliser une langue pivot (n-1 modules de traduction contre n(n-1)).
Dans la mesure où toute langue n’est pas éloignée de plus de deux modules de
toute autre, on peut imaginer que cela réduit l’effet ICT. LP peut être une langue
artificielle, mais aussi bien n’importe quelle langue naturelle. Si l’appariement est
aussi un forçage, alors l’utilisation d’une langue pivot, plutôt que des relations
bilatérales, réduit immanquablement la diversité linguistique.