Quelques aspects du projet de loi relatif à la lutte contre la fraude

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Transcript Quelques aspects du projet de loi relatif à la lutte contre la fraude

Par Hippolyte Marquetty, avocat associé, et Maud Picquet, avocat. Stasi
RISK MANAGEMENT, ASSURANCE & CONTENTIEUX • CAHIER DES EXPERTS
Quelques aspects du projet de loi
relatif à la lutte contre la fraude fiscale
LES POINTS CLÉS
Le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et
financière a été définitivement adopté par le Parlement le 5 novembre dernier.
Actuellement soumis au Conseil constitutionnel, il comprend des mesures importantes en faveur
d’un renforcement des moyens de lutte contre la fraude fiscale et la délinquance économique.
On peut regretter qu’un certain nombre de mesures aient été adoptées à la suite d’amendements
déposés sans véritable réflexion.
Établi à la suite de l’affaire Cahuzac, le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale et la grande
délinquance économique et financière conforte bien l’idée selon laquelle les avancées législatives
doivent souvent autant aux scandales qui les légitiment qu’elles en pâtissent, tant le débat parlementaire
y afférent peut se révéler source de propositions insuffisamment réfléchies.
avec les juridictions interrégionales
spécialisées (s’agissant notamment
des atteintes à la probité telles que
la corruption, le trafic d’influence
ou le favoritisme, dans les affaires
d’une grande complexité ; des délits
d’escroquerie lorsqu’ils portent sur
la taxe sur la valeur ajoutée ; des
délits de fraude fiscale complexe
ou commise en bande organisée ;
du blanchiment de l’ensemble
des infractions susvisées), soit, de
manière exclusive, en héritant de
certaines compétences du parquet
de Paris, pour les délits d’atteintes à
la transparence des marchés (délits
d’initié, délits de diffusion d’informations fausses ou trompeuses et
délits de manipulation de cours), à
l’exception des délits de manipulation d’indice.
SUR LES AUTEURS
P
rincipalement destiné à lutter contre la fraude fiscale,
qu’un rapport du syndicat national Solidaires Finances
publiques estimait en janvier 2013
à une somme comprise entre 60 et
80 milliards d’euros par an1, le projet de loi relatif à la lutte contre la
fraude fiscale et la grande délinquance
économique et financière vient d’être
adopté, le 5 novembre dernier, dans
sa version définitive.
Aujourd’hui soumis au Conseil
constitutionnel, ce texte comprend
de nombreuses mesures fortes, dont
on donnera quelques exemples,
avant de présenter brièvement la
mesure phare de création d’un procureur de la République financier
national et de souligner la précipitation avec laquelle certains amendements ont pu être adoptés.
Le renforcement des mesures
de lutte contre la fraude fiscale
Reposant sur le principe selon lequel
« un euro récupéré sur la fraude est un
euro d’impôt en moins »2, une série
importante de mesures a été adop156
collection guide-annuaire 2013-2014
décideurs
Maud Picquet, avocat
tée, dans le sens d’un accroissement
des sanctions (création d’une circonstance aggravante de bande organisée et de faits commis au moyen de
comptes ou entités détenus à l’étranger, punie d’une peine de 7 années
d’emprisonnement et de 2 millions
d’euros d’amende), du renforcement des moyens de contrôle de
l’administration fiscale (autorisation
pour le fisc d’exploiter les informations d’origine illicite ; possibilité
d’utiliser des « techniques spéciales »
d’enquête telles que l’infiltration, la
sonorisation ou la garde-à-vue de 4
jours en cas de fraude fiscale aggravée) ou encore d’un encouragement
du contentieux (allongement de
3 à 6 ans du délai de prescription
des infractions pénales en matière
fiscale ; protection des « lanceurs
d’alerte »3 dénonçant un crime ou
délit commis au sein d’une entreprise ou d’une administration)4.
La création d’un procureur de
la République financier national
Présenté comme « la clé de voûte de
l’amélioration de la lutte contre la corruption et la délinquance économique
: stratégie finance droit
Diplômé de Sciences-Po Paris, titulaire d’un
DESS de droit des nouvelles technologies de
l’Université Paris XI et d’un LLM obtenu à King’s
College London, Hippolyte Marquetty est associé
du cabinet Stasi Chatain & Associés et exerce
plus particulièrement en droit pénal des affaires,
droit pénal commun et contentieux général des
affaires. Titulaire d’un DEA de droit privé général de
l’Université Paris II, Maud Picquet est collaboratrice
au sein du cabinet depuis plusieurs années et
exerce principalement en matière pénale.
et financière », l’institution du procureur de la République financier
s’est imposée malgré l’opposition
du Sénat, qui préconisait l’extension
des compétences dévolues aux juridictions spécialisées existantes, et les
réticences de certains membres du
corps judiciaire, privilégiant notamment le renforcement des moyens
mis à la disposition de ces institutions5. L’Assemblée nationale pour sa
part a considéré que cette institution
serait la seule à pourvoir à la nécessité
d’une autonomie des moyens dédiés
à la lutte contre la fraude fiscale et la
grande délinquance économique et
financière et au besoin d’incarnation
de la lutte contre cette délinquance6.
Les affaires de cette nature seront
désormais poursuivies par un parquet à compétence nationale, rattaché au tribunal de grande instance
de Paris, mais distinct du parquet de
Paris, placé hors hiérarchie et assisté
d’enquêteurs spécialisés et formés
à la technicité des investigations à
conduire dans ce type d’affaires. Le
procureur de la République financier exercera plus précisément ses
fonctions, soit concurremment
Une précipitation regrettable
Force est toutefois de constater
que la réforme a été enrichie par
de nombreux amendements déposés avec une évidente précipitation.
Deux illustrations parmi d’autres.
D’abord, l’amende encourue par
les personnes morales, qui ne correspondra plus seulement au quintuple de l’amende encourue par
les personnes physiques, mais également, pour les délits punis d’au
moins cinq ans d’emprisonnement
et dans l’hypothèse où serait constaté
un profit direct ou indirect, à une
somme pouvant aller jusqu’à 10 %
du chiffre d’affaires de la personne
morale (voire 20 % pour les crimes),
calculé sur les 3 derniers chiffres
d’affaires annuels connus à la date
des faits. Bien que les débats aient
mis en lumière l’absence d’étude
d’impact relative à une telle mesure,
les parlementaires ont choisi de
soutenir cet amendement, qui non
seulement apparaît imprécis (qu’estce qu’un profit indirect ? faudra-t-il
prendre en compte tout le chiffre
d’affaires d’une société qui peut
avoir différentes activités ?), mais
encore semble distendre de manière
excessive le lien entre l’infraction et
la sanction, en l’absence de toute
référence au bénéfice retiré7. Deuxième exemple : la « spectaculaire »8
tentative de consécration et généralisation de la jurisprudence reportant
le point de départ du délai de prescription de certains délits, lorsqu’ils
ont été dissimulés9. Initiée en matière
d’abus de confiance10, cette jurisprudence, pourtant contraire à l’article 8
du Code de procédure pénale selon
lequel les délits se prescrivent par trois
années révolues à compter de la date
de leur commission, n’a eu de cesse
de s’étendre à d’autres délits, tels le
détournement de fonds publics11, et
l’abus de biens sociaux12. Aboutissant
à une quasi-imprescriptibilité, il est
fort opportun qu’elle n’ait été davantage étendue, la raison ayant sur ce
point prévalu, pour l’instant…
N – n° 1125, Avis par Mme Sandrine Mazetier.
A
Communiqué de presse du 5 novembre 2013, n° 891.
3
Le Conseil national des barreaux s’était d’ailleurs ému de
cette incitation à la délation dans une motion des 14 et 15
juin 2013.
4
Pour une vue rapide des mesures, voir supra note 2.
5
W. Roumier, Droit pénal n° 6, juin 2013, alerte 37.
6
Rapport du Député Y. Galut devant l’AN en nouvelle
lecture.
7
A la différence par exemple des amendes fixées pour le délit
d’initié, qui fait explicitement référence au profit réalisé.
8
D. Rebut, Bulletin Joly Sociétés, 1er octobre 2013, n° 10,
p. 222.
9
Article 9 quater du projet de loi adopté en première lecture.
10
Crim., 4 janvier 1935, Gaz. Pal. 1935, I, jurisprudence,
p. 353.
11
Crim., 2 décembre 2009, Bull. 2009, n° 204.
12
Crim., 5 mai 1997, Bull. 1997, n° 159.
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