Réflexions autour de l’ouvrage Discriminations en droit du travail américain: Dialogue avec la doctrine américaine Marie Mercat-Bruns McGill ATELIER ANNIE MACDONALD LANGSTAFF WORKSHOP.

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Transcript Réflexions autour de l’ouvrage Discriminations en droit du travail américain: Dialogue avec la doctrine américaine Marie Mercat-Bruns McGill ATELIER ANNIE MACDONALD LANGSTAFF WORKSHOP.

Réflexions autour de
l’ouvrage
Discriminations en droit du travail américain: Dialogue avec
la doctrine américaine
Marie Mercat-Bruns
McGill
ATELIER ANNIE MACDONALD LANGSTAFF
WORKSHOP
Plan de l’ouvrage

Introduction

Chapitre 1 L’histoire américaine
de la non-discrimination : la Constitution et la recherche de
modèles
Chapitre 2 Non-discrimination : nature des règles et
application
Chapitre 3 Discrimination directe, preuve et intention
discriminatoire
Chapitre 4 De la discrimination indirecte à la discrimination
systémique
Chapitre 5 La discrimination et la multiplicité des critères





Plan de la présentation

I-Pourquoi ce type d’ouvrage?

II- Pourquoi se tourner vers les Etats-Unis?

III- Quel parcours des auteurs?

IV- Quelques illustrations d’échanges enrichissants assorties
de… quelques observations comparatives concrètes
I- Pourquoi ce type d’ouvrage?
Un champ promu et contesté
1- Non discrimination: champ en pleine expansion, partie du socle des
droits fondamentaux notamment en Europe

2- Caractère universel de l’égalité et son pendant, le principe de nondiscrimination: quelle pertinence selon les pays?

3-Le droit de la non discrimination ne fait pas l’unanimité:
Ne pas entraver économiquement le marché de l’emploi et garantir la
transparence des décisions de sélection dans l’emploi.
Ces règles heurtent-elles des logiques plus collectives de protection
sociale comme celles propres aux Etats providence?



4-Doctrine américaine: œil critique sur les possibilités et limites de ce
corpus juridique alors que l’Europe tente de préserver certains droits
sociaux et de promouvoir l’emploi sans mettre en péril la cohésion
sociale.
I- Pourquoi ce type d’ouvrage?


CHOISIR UNE METHODOLOGIE
COMPAREE PLUS ACCESSIBLE
Cette analyse du droit de la non discrimination
à la lumière de réflexions étrangères, sous
forme d’entretiens suivis d’analyses comparées
s’éloigne des exercices classiques de droit
comparé
I-Pourquoi des entretiens à
l’étranger sur les discriminations?

Le caractère incisif de l’entretien

Le caractère vivant des illustrations pratiques

Le caractère diversifié des auteurs américains
sur l’application critique du droit

Prétexte pour mieux scruter notre droit et ses
enjeux
II-Pourquoi avec les Etats-Unis?

Une histoire ancienne du combat contre les discriminations
mais le Canada/Québec mériterait le même travail

Une doctrine abondante sur ce thème aux Etats-Unis malgré
une jurisprudence désormais plus restrictive

Des contacts déjà nombreux

Un moment clé pour l’Europe pour comprendre sa spécificité
et de nouveaux débats en France sur le genre/ la laïcité dans
l’emploi

Une construction française récente mais créative
grâce notamment à la Halde/Défenseur des droits

III) L’intérêt du parcours des
auteurs:

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


A la différence des professeurs français et certains européens, les
américains sont d’abord des praticiens comme au Canada
Pas de thèse en droit. Travaux de recherche préalables: doctorat dans un
domaine autre que le droit. Montrer la diversité des formations des juristes
et l’influence sur leurs écrits
La variété des points de vue, de certains parcours, la variété des
universités d’excellence
Treize professeurs ont été interrogés:
Des professeurs de droit Martha Minow, Doyen de l’ école de droit de
Harvard, Robert Post, Doyen de l’école de droit de Yale, Janet Halley,
Harvard, Richard Ford, Stanford, Linda Krieger, Berkeley et à l’Université
de Hawaii, Vicki Schultz, Yale, Susan Sturm, Columbia, Julie Suk,
Cardozo, Chai Feldblum, Georgetown, Ruth Colker, Ohio State, David
Oppenheimer, Berkeley, Christine Jolls, Yale, Reva Siegel,Yale
Deux sociologues, Frank Dobbin, professeur à Harvard, Deva Pager,
professeur à Princeton
III- L’intérêt du parcours des auteurs:
Ruth Colker et le handicap

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

« J’ai commencé par travailler au Ministère de la Justice au
service en charge de la défense des droits civiques après
Harvard et j’ai travaillé comme bénévole sur les droits des
homosexuels avant Bowers c. Hardwick.
J’ai reçu un prix d’excellence comme fonctionnaire pour avoir
gagné un procès en class action fondée sur la discrimination
raciale contre l’Etat de Georgie. Par lettre à William Bradford,
Adjoint au Procureur général en charge des droits civiques, j’ai
décidé de reverser l’argent reçu à une association de lutte
contre les discriminations fondées sur le genre….
J’ai eu mon premier enfant en 1992 qui a eu un handicap par la
suite….
Après une étude de terrain des discriminations fondées sur le
handicap, j’ai poursuivi les responsables du scolaire dans le
district et j’ai gagné…..
III- L’intérêt du parcours des auteurs:
Frank Dobbin



« J’ai été élevé dans une famille où les débats sur les
mouvements en faveur des droits civiques, contre la guerre et
en faveur des mouvements féministes faisait partie de mon
quotidien. Boston a connu des procès liés au programme de
lutte contre la ségrégation alors que je grandissais dans une
banlieue où résidait essentiellement des Blancs….
J’enseigne la sociologie à Harvard depuis 2003 et j’ai obtenu
mon PhD à Stanford. J’ai commencé à étudier les programmes
d’égalité des chances des entreprises en Californie…
J’ai mené des entretiens avec des directeurs de ressources
humaines sur les origines, les structures ou les garanties
procédurales pour les travailleurs. Ces procédures devaient
garantir que les salariés aient une voie interne de réclamations
sur leur traitement au travail et nous avons découvert que la
plupart d’entre eux avaient mis en place cette procédure afin de
découvrir et prévenir la discrimination perpétrée par les cadres.
Dans quelle mesure ces processus fonctionnaient? »
III) L’intérêt du parcours des
auteurs: Janet Halley

Je suis allée à la faculté de droit et j’ai décidé ensuite
d’être professeur de droit. Pendant que j’étais à la
faculté, bien avant d’être professeur, est intervenue la
décision de la Cour Suprême Bowers v. Hardwick qui
décidait qu’il était parfaitement constitutionnel et que
ce n’était pas une violation de droits de qui que ce
soit qu’un Etat interdise et réprime pénalement la
sodomie entre personnes de même sexe. J’étais
fortement liée, à ce moment là, à ceux qui défendaient
les droits des homosexuels au barreau. Nous voulions
étendre les droits des homosexuels et c’était affreux
de vivre avec la jurisprudence Bowers v. Hardwick
III) L’intérêt du parcours des
auteurs: Janet Halley


La première chose qui est survenue, cependant, concerne les
juridictions inférieures : elles ont commencé à étendre la
portée de la décision. Les tribunaux ont commencé à dire :
« eh bien, vous pouvez interdire ce type de comportement
donc vous pouvez aussi décider de ne pas recruter ces
personnes qui pourraient avoir ce comportement » ; la plus
grande atteinte englobe une atteinte moins importante.
Maintenant, c’est un pas du comportement à l’identité et cela
étend la portée de Bowers v. Hardwick. Donc j’ai essayé de
comprendre ces questions sous l’angle du rapport entre
conduite et identité. Quel était le rapport entre un acte et une
identité ? Le philosophe français Michel Foucault m’a donné la
clé. Foucault m’a aidé à comprendre la nature
contingente/relative du droit et le dérapage possible entre
conduite et identité.
III) L’intérêt du parcours des
auteurs: Janet Halley


« Je suis arrivée comme professeur de droit essayant
toujours de défendre les droits des homosexuels- mon
positionnement était que nous avions besoin de
droits- mais j’étais également attachée à le faire en
utilisant la théorie critique française (Foucault).
Ce qui m’a surpris le plus c’est de voir que, plus
j’avançais dans la construction de l’argumentation,
plus je réalisais que la défense des droits n’était pas
sans failles ; vous ne pouviez pas trouver des actions
fondées sur des droits absolus et définitifs que tout le
monde devait accepter. Je trouvais sans cesse un
espace, un trou, un endroit où une action politique
était nécessaire ; il fallait établir une alliance ; il
fallait une sorte de décision au nom du juge ou du
législateur.
III) L’intérêt du parcours des
auteurs: Janet Halley



Notre Constitution et notre régime de droits n’imposent pas ces
droits ; ils les rendent possibles et c’était très surprenant pour
moi d’observer cela et cela m’a permis de comprendre que les
droits (juridiques) dépendent de la politique.
J’ai perdu, à ce moment là, la “foi”. C’est, à ce moment là, où
j’ai cessé d’être une personne attachée à la défense des droits et
que je suis devenue un membre du mouvement “critical legal
studies » qui comprend le droit comme un réseau de pratiques
sociales contingentes plutôt qu’un ordre normatif impératif.
Donc c’était un processus pour moi ; je devais traverser ces
étapes : d’abord la découverte de la théorie critique sociale et
discursive et ensuite celle de la théorie critique du droit. »
IV- Quelques illustrations d’échanges enrichissants
assorties de… quelques observations comparatives
concrètes

Les exemples d’échanges nous permettent de
rebondir sur les enjeux de la non
discrimination et se poser peut être d’autres
questions en France sur les mêmes thèmes ou
au contraire, conforter les stratégies
contentieuses ou les évolutions législatives en
cours
La lutte contre les discriminations: une
révolution? Responsabilité pour faute, sans
faute?….D Oppenheimer



D.O.: S’agissant de la jurisprudence entre 1964-1978,
les juges ont surtout reconnu que la question de la
discrimination contre les Noirs américains constituait
un problème sérieux qui nécessitait réparation. On le
voit dans les arrêts Greene et Griggs... La Cour
suprême reconnaît le concept de discrimination
indirecte…La révolution des droits civiques a été un
succès.
Utilisez-vous le terme « révolution » délibérément ?
D. O. : C’était une révolution, une « révolution
culturelle » et une « révolution juridique » aux ÉtatsUnis. Ce n’était pas une révolution au sens d’un
putsch contre l’État mais une révolution au sens d’un
changement fondamental de l’État, un changement
fondamental de la société.
La lutte contre les discriminations: une
révolution? Responsabilité pour faute, sans
faute?….D Oppenheimer
« Le modèle américain est de traiter la discrimination
dans l’emploi comme une responsabilité volontaire,
intentionnelle (intentional tort). À traiter comme une
atteinte à l’intégrité physique (assault). L’idée est la
suivante : on regarde la décision et on s’interroge : un
employeur aurait-il pris la même décision si le
candidat avait été un Blanc ou un homme ou
hétérosexuel ou jeune et nous comparons donc le
critère protégé du plaignant avec un comparateur
hypothétique appartenant au groupe majoritaire (ou)
un comparateur existant du groupe majoritaire) et on
se demande si on peut déterminer s’ils ont été traités
différemment en raison de leur origine ou le sexe ou
un autre critère prohibé. Si la réponse est positive,
nous nous demandons quel préjudice cela a causé.
La lutte contre les discriminations: une
révolution? Responsabilité pour faute, sans
faute?….D Oppenheimer


J’ai proposé que l’on adopte plus clairement l’analyse
qu’offre la responsabilité par négligence, par faute
involontaire. Par exemple, si vous conduisez une voiture plus
vite que la limite autorisée, et, de ce fait, vous causez un
accident, peut-on considérer qu’il existe une intention
malveillante? Absolument pas. Aviez-vous l’intention de
percuter l’autre voiture ? Absolument pas. Aviez-vous
l’intention de provoquer un accident ? Absolument pas.
Aviez-vous l’intention de blesser quelqu’un ou endommager
leur voiture ? Non. Aviez-vous l’intention de vous faire mal ?
Non. Êtes-vous responsable ? Oui.Pourquoi êtes-vous
responsable ? Parce que vous devez conduire avec soin,
diligence pour éviter un accident. C’est la raison des
limitations de vitesse.
C’est aussi la raison pour laquelle nous avons des lois contre
les discriminations. Comme un employeur, vous êtes supposé
faire attention à des choses comme l’origine ou le genre afin
Les fonctions de la non discrimination et les
autorités qui luttent contre les discriminations
R. Post


La première fonction est la fonction du droit qui traite les
personnes comme des objets instrumentalisés en renvoyant
à la notion de gestion. C’est la vision économique et risque
de manipuler les personnes pour obtenir certains
comportements sociaux. Cette tendance ignore les exigences
indépendantes des valeurs de communauté et d’identité,
suivant plutôt la logique instrumentale.
La deuxième fonction du droit de la non-discrimination est
celle d’exprimer et de traduire des normes sociales comme
le respect et la dignité. La troisième fonction du droit de la
non-discrimination est detransformer les normes sociales:
elle mobilise des outils qui transforment…affirmative action,
discrimination indirecte. La quatrième fonction du droit de la
non-discrimination est de faciliter l’autonomie. Créer les
conditions pour que les personnes puissent créer leur espace
d’autonomie…Je pense que le droit de la non-discrimination
oscille plutôt entre les trois premières fonctions.
Les fonctions de la non discrimination et les
autorités qui luttent contre les discriminations
R. Post


En droit français, la nomenclature de R. Post relatif aux
fonctions de non discrimination aide sans doute à
comprendre les résistances relatives des juges et d’autres
acteurs pour incorporer le droit de la non-discrimination dans
le cadre du droit national, notamment en France.
Ces résistances existent, pour des raisons différentes, à la fois
de la part du patronat, des forces défendant les acquis sociaux
(syndicats et certains partis), du pouvoir législatif et exécutif.
L’autorité administrative indépendante la Halde ne faisait que
mettre en oeuvre les dimensions multiples du droit de la non
discrimination de façon transversale dans la société toute
entière, mission dévolue de manière trop imprécise par le droit
européen dans les directives. En droit européen, elle permet de
comprendre mieux un axe de la citoyenneté européenne (non
discrimination et droit à la participation à l’Europe)
L’importance et les limites de la non
discrimination: l’égalité et la cohésion sociale
R Siegel

« Si la conception de l’égalité par l’anticlassification
se focalise sur la protection de l’individu au regard
d’une catégorisation erronée (égalité formelle), et si
la vision de l’antisubordination est préoccupée par la
protection de groupes soumis à une subordination par
un statut subalterne fondée sur des pratiques (égalité
substantielle/concrète), la conception de l’égalité que
reflète la troisième voie de la jurisprudence
américaine porte sur des questions de balkanisation,
préoccupée par la cohésion sociale. »
L’importance et les limites de la non discrimination:
l’égalité et la cohésion sociale R Siegel



Cette troisième voie de balkanisation pourrait tantôt sembler réceptive aux
besoins d’interventions et de prise en charge pour faire face à des formes
grossières de stratification sociale, et tantôt sembler être inquiétée par une
intervention pour contrer cette stratification sociale, source d’un
ressentiment social. Donc cette position intermédiaire, de façon très
tempérée, va parfois sanctionner ce qui ressemble à de l’affirmative action
et parfois l’insérer dans des limites fortement contraignantes.
La diversité devient en fin de compte un terme « médiateur », qui
permet d’atténuer l’image de force que recèle la volonté de réparer le
préjudice racial passé, les faisant apparaître comme des réparations qui
peuvent transformer l’avenir. N’est-ce pas la préoccupation récurrente
en France avec l’égalité républicaine et la volonté d’éviter de mettre
l’accent sur d’éventuels déséquilibres ethno-raciaux? »
Cette question est vraie seulement au regard de la diversité raciale ou a-telle un sens si on pense à la mixité (sexe) : analogie en termes de tensions
entre les sexes?
Rôle ambigü des syndicats face aux
discriminations F. Dobbin

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
« Dans un système avec un grand nombre de syndicats qui
représentent des personnes de différentes industries comme en
France, les syndicats ont probablement des effets très différents
selon les industries. Dans les industries de service où il existe de
nombreuses femmes et minorités, on pourrait imaginer trouver un
soutien des syndicats dans le sens de l’égalité des chances. Cependant dans
des industries lourdes de travailleurs qualifiés où l’on trouve peu de
femmes et de personnes issues de la diversité, les syndicats peuvent ne pas
voir un problème à résoudre sur ce terrain et peuvent être enclins à
pratiquer ce que les sociologues
appellent « social closure », un verrouillage social — fermer l’accès
ces postes qualifiés aux groupes de personnes pas encore bien
représentés. Ils réservent les meilleurs postes pour des personnes
qui leur ressemblent. »
Mise en perspective française en raison des nombreux accords
diversité
Discrimination directe, droit pénal et
préjugés L Krieger
« Au regard de la France, mon point de vue est que la
pénalisation de la discrimination est un mauvais choix sur
le plan de la politique. »

En effet, non seulement elle requiert un contrôle rigoureux de
l’existence d’une intention discriminatoire, qui, ensuite, a
pour effet de rendre légal des formes plus subtiles de
discrimination mais aussi elle fait apparaître l’idée de
l’existence de tort associé au préjugé qui ne peut que servir à
augmenter la tension entre les groupes sociaux. Si les
personnes ne peuvent penser à leurs préjugés qu’à travers un
cadre pénal, alors ils ne peuvent plus envisager la possibilité
que leur jugement soit biaisé. Pour se faire, il faudrait au fond
pouvoir dire : « je suis un criminel ». Les gens ne voudront pas
penser en ces termes.
Discrimination directe, droit pénal et
préjugés L Krieger


Dans la plupart des cas, en effet, ce n’est pas vraiment ce qui
se passe dans l’esprit de la personne qui essaie peut-être de
prendre une décision dénuée de préjugés, mais qui est
involontairement influencée par la culture dans laquelle elle a
été élevée. Les gens ont développé des associations sous forme
de schémas. Ils ont assimilé des modes de pensée stéréotypés
sur différents groupes et maintenant on leur demande de faire
un jugement attributif ou prédictif sur quelqu’un d’autre.
Donc, non je crois que la pénalisation est un choix de politique
très négatif dans le domaine du droit de la non
discrimination. »
En France, la réparation civile devient la forme principale
de lutte contre les discriminations en raison de
l’aménagement de la preuve.
Préjugés implicites: la discrimination
n’est pas une pathologie R. Ford


« Toutes ces initiatives sont bonnes et je suis du côté de L.
Krieger à propos de chacune d’entre elles mais je ne pense pas
que les sciences sociales le justifient. Je pense que l’argument
est le même sans les sciences sociales qui analysent les
préjugés inconscients.
C’est sur ce point que mes hésitations portent. Cette
argumentation semble presque transformer le préjugé en
pathologie. Une sorte de pathologie mentale, vous entendez
des raisonnements de ce type. Cela médicalise la question.
Cette question qui constitue en fait un conflit idéologique,
social et politique et je pense que la médicalisation des
problèmes sociaux est une réelle pathologie dans notre société.
Je ne suis pas en accord avec certains de mes ennemis sur le
plan idéologique mais de dire qu’ils souffrent de maladie
mentale, qu’ils nécessitent un traitement, cela est troublant.
Préjugés implicites: la discrimination
n’est pas une pathologie R. Ford

Ces travaux conçoivent le préjugé de manière très large. Ce
n’est pas seulement le sexisme ou le racisme mais lorsque
quelque chose est fondé sur un préjugé, ce comportement ne
suit pas une trame; c’est l’idée que la trame est droite et
étroite. Il existerait une bonne façon de prendre des décisions.
Donc à travers les sciences sociales et les moyens techniques,
on peut orienter les gens pour qu’ils prennent les « bonnes
décisions ». C’est le discours des sciences de gestion, des
technocrates en général et dans une certaine mesure, la
perspective de la question de la médicalisation. Les sciences
de gestion sont dans l’arrière-plan de façon prééminente ici. »
Quelles analogies entre le critère du
sexe et le critère racial? R Siegel

« Je pense qu’une différence importante entre le droit
de l’égalité aux Etats-Unis et en Europe réside dans
le fait qu’aux Etats-Unis, c’est la question raciale qui
a permis de modeler le droit alors qu’en Europe c’est
davantage l’égalité des sexes. En revanche, la
jurisprudence montre que dans les deux pays les
avancées récentes sur la discrimination indirecte
proviennent souvent de contentieux liés aux
femmes. »
Limites de la non discrimination fondée
sur le sexe face à la parentalité: J. Suk



« Je pense qu’il existe des compromis. Une norme
solide contre les stéréotypes augmente les possibilités
d’aliénation pour les individus qui défient les stéréotypes (par
exemple, une femme qui n’a pas ou ne veut pas d’enfants, ou
un mari qui s’occupe des enfants) mais cela peut empêcher les
employeurs ou l’État d’adopter des politiques ou des
pratiques qui confrontent la réalité sociale (même si elle est
injuste) qui sous-tend les stéréotypes, notamment le fait que
les femmes s’occupent davantage des enfants, ce qui résulte
de normes cultures fortement ancrées.
Le défi pour le droit français est le suivant : peut-il protéger
des individus de ces stéréotypes sans compromettre les
politiques solides qui protègent les femmes et leur permettent
de concilier leur vie professionnelle et leur vie familiale ? Je
n’en suis pas certaine. »
Le milieu du travail produit la discrimination
fondée sur le sexe: l’argument du « manque
d’intérêt » des femmes V. Schultz



Vous mentionnez les raisons structurelles pour lesquelles les
femmes sont exclues du marché du travail. Vous vous insurgez
contre l’idée que les femmes refusent une promotion par
« manque d’intérêt » pour la vie professionnelle.
V.S. Ce sont plutôt des explications qui tendent à imputer la
responsabilité ou assigner la responsabilité pour les
schémas/pratiques persistantes d’inégalité aux forces privées,
comme l’évolution de la famille ou l’éthique individuelle au
travail au lieu d’en attribuer la responsabilité aux institutions
publiques ou quasi publiques, de plus grande échelle, à
l’évolution du monde du travail ou l’évolution du secteur de
l’éducation ou de l’État providence : ce type d’explications
est la bonne.
Cette vision de la discrimination systémique est peu présente
dans le contentieux français/Mais on relève l’émergence du
gender mainstreaming européen
Discrimination religieuse: connaître
l’histoire des personnes? M. Minow
M.M.: L’approche individuelle du droit américain permet de servir de base
pour la preuve des actions pour discrimination. Un individu qui introduit
une action pour discrimination fondée sur la religion dirait : « ma foi, ma
conviction religieuse m’empêche de travailler le samedi car je ne peux pas
prendre les transports ce jour-là » ou « je ne peux pas être recruté dans une
usine fabriquant des munitions en raison de mes convictions religieuse».
Peu importe si une église ou un groupe religieux est d’accord ou pas
d’accord avec cette vision. L’État ne se tourne pas vers une autorité
organisée ou un groupe d’experts pour valider un point de vue comme
étant une conviction religieuse ; c’est la conviction individuelle sincère qui
l’emporte.
C’est une vision subjective ?
M. M. : C’est une conviction religieuse sincère. C’est l’individu et
non le groupe qui est protégé selon la loi.
Cette appréciation est-elle différente de celle en France? Eclaire-t-elle le débat
sur le voile des femmes?
Le sexe comme construit social: L.
Krieger
L. K. :
Toutes les catégories sont des constructions sociales. La
catégorie « chaise » est une construction sociale mais nous
nous asseyons dessus. Nous ne regardons pas une chaise en
disant : « Je ne m’assieds pas sur toi car tu es un construit
social ». Donc le sexe peut aussi être un construit social;
l’orientation sexuelle est un construit social. Les constructions
sociales configurent car elles exercent certaines fonctions, soit
sur le plan social, soit sur le plan économique, et certaines
d’entre elles perpétuent des formes d’oppression mais nous
n’allons pas arrêter d’utiliser ces catégories socialement
construites.
 Propos très pertinents au regard d’un positionnement français
ambivalent à propos des catégories « race » ou « genre »
Harcèlement sexuel: une manifestation de la
discrimination structurelle par métier
V. Schultz

« La bonne nouvelle est la suivante : dans les contextes où l’intégration est
atteinte avec une représentation de 50/50 des deux groupes
hommes/femmes, les problèmes qui sont associés aux stéréotypes tendent à
décliner. Par exemple, il existe des travaux de recherche qui montrent que,
s’agissant du harcèlement sexuel et des commentaires de nature sexuelle,
ils peuvent être perçus comme très menaçants pour les femmes dans des
milieux où elles sont en faible nombre.

À l’inverse, il existe des recherches qui montrent que dans les lieux de
travail où les femmes sont bien représentées et bien intégrées, les
commentaires de nature sexuelle ne sont pas perçus comme du harcèlement.
Cela suggère donc que la ségrégation créée un cadre contextuel dans lequel
le même comportement peut être compris comme menaçant ou sexiste,
d’un côté, dans un environnement qui fait l’objet d’une ségrégation
sexuée de l’emploi, ou bien comme non sexiste et non menaçant, dans un
contexte où les femmes sont en grand nombre et sans doute ont plus de
pouvoir.

En France, une nouvelle loi sur le harcèlement sexuel 2012 tient compte de la
situation hostile produite.
Le dilemme de l’âge et son spectre
large en Europe C Jolls


Il est frappant d’observer une régularité empirique dans les
affaires de discrimination fondée sur l’âge, liées au fait que les
travailleurs âgés sont licenciés car ils coûtent bien plus chers
que des salariés plus jeunes exécutant le même travail.
L’octroi d’une rémunération élevée fondée sur l’âge — sans
aucun lien avec la productivité ou de l’ancienneté dans une
entreprise particulière — semble être un fait empirique assez
solide dans l’économie américaine, ancré dans des
considérations économiques de fidélisation et d’incitation. De
nombreux salariés peuvent gagner bien moins que le produit
de leur valeur marginale pendant leurs années de jeunesse et
bien au-dessus de ce montant dans leurs années ultérieures. De
ce fait, le droit de la non-discrimination fondé sur l’âge
peut être nécessaire pour prévenir des licenciements
d’employeurs opportunistes, lorsque la rémunération des
salariés âgés excède le produit de leur valeur marginale.
Discrimination indirecte: l’égalité
transformative R Ford

L’employeur met en place un test de sélection. Il pourrait être en train de
vouloir se servir du test comme substitut pour produire indirectement un
effet discriminatoire sur la race ou le sexe. En fait cela est peu fréquent. Il
utilise le test car il est facile et peu onéreux. Ce n’est pas parfait. Il est
moins cher et c’est ce que les employeurs ont toujours fait. Pourquoi
ne pas continuer ?...
Mais la loi ne le permet pas…S’agissant de la discrimination fondée sur le
sexe, on utilise souvent un examen médical. « Nous » (les juristes), nous ne
les laisserons pas agir ainsi car “nous » avons un objectif social d’intégrer
une certaine diversité dans le monde du travail. Nous ne nous contentons
pas d’éliminer un préjugé. La discrimination indirecte agit plus en
profondeur
En France, la discrimination indirecte touche davantage les conventions
collectives que les pratiques patronales. C’est souvent une règle plutôt
qu’une décision ayant un effet discriminatoire qui est dénoncée.
Discrimination indirecte, discrimination
multiple et accès au droit: L. Krieger



La discrimination multiple peut avoir deux conséquences sur le succès
d’une action en justice: intersectionnalité démographique et celle liée à
l’action.
L. Krieger évoque la première conséquence de cette situation qu’elle
appelle « l’intersectionnalité démographique » qui est de susciter chez
les employeurs, les jurés, les avocats et les juges des préjugés spécifiques
suite à la fusion des critères. Toute l’action en justice peut alors être
imprégnée par la façon dont est perçue cette personne et les stéréotypes
spécifiques qu’on lui impute.
Parfois le fait d’invoquer dans les conclusions des discriminations
possibles fondées sur différents critères est perçu par les juges comme un
aveu implicite de la faiblesse du dossier plaidé sur la base d’un critère
seulement.
En droit européen, on voit parfois le phénomène inverse: une
discrimination directe fondée sur l’âge et indirecte fondée sur le handicap:
le juge va utiliser la discrimination la plus préjudiciable (CJUE Odar)
Discrimination indirecte, discrimination
multiple et accès au droit: L. Krieger
L’autre conséquence possible que Krieger appelle
« l’intersectionnalité liée à l’action » renvoie à la
difficulté de prouver la discrimination lorsqu’elle
mobilise différents critères possibles et rend difficile
la stratégie contentieuse.
Or cela peut être un enjeu clé dans un procès. La
question de la recherche de la comparabilité. Elle met
en lumière la difficulté de comparer avec des
personnes avantagées ne faisant pas l’objet de
différences de traitement, en tant que moyen de
preuve possible de la discrimination.
Diversité comme stratégie non de défense
mais de lutte contre les discriminations
systémiques: S. Sturm


Mon approche a trait à la façon dont l’EEOC perçoit son
travail; l’institution ne s’érige pas vraiment en intermédiaire,
en tenant compte du fait qu’elle s’engage, de manière active,
avec d’autres intermédiaires ; certains d’entre eux ne sont pas
des organisations dont la mission première est le suivi de
l’application des lois et leur mise en œuvre (médiateurs,
ombusdmen);
L’EEOC doit se penser davantage (et c’est vrai pour d’autres
intermédiaires) comme faisant partie d’un système. Les
organisations ont tendance à être cantonnées dans certaines
directions et d’approfondir la mission de l’organisation ellemême comme la finalité de ses activités (contentieux). Cela ne
signifie pas qu’elles sont totalement axées sur elle-même et
« s’autolégitiment » mais elles se réfèrent souvent à ellesmêmes. »
Mutualisation des intérêts pour un
monde du travail plus souple:
Chai Feldblum



L’idée que nous avons besoin d’un nouveau « Normal » est clé dans ma
théorie du changement et selon ma théorie de l’égalité.
Ébranler le Normal ; le nouveau « Normal » s’intéresse aux questions du
handicap, de la religion, de l’orientation sexuelle, du genre, de la
parentalité et des rôles genrés.
Nous devons avoir une société qui valorise plus que nous ne le faisons
aujourd’hui le care qui est destiné aux enfants et aux parents vieillissants.
Nous avons besoin d’une nouvelle norme culturelle pour que les personnes
qui font le care pas uniquement des enfants biologiques et des parents,
mais de la société dans son ensemble, soient respectées également. Il
devrait être entendu que ces personnes ont eu des vies pleines. Nous avons
besoin que les hommes et les femmes reconnaissent ce que le care aux
enfants implique. Nous avons besoin que la société dans son ensemble soit
plus engagée. Nous avons besoin de changer le cadre — c’est, pour
l’instant, toujours vu comme un choix individuel ou un droit
individuel.
Mutualisation des intérêts pour un monde du travail
plus souple: Chai Feldblum
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Les femmes sont prises au piège, sont dans l’impasse, sont
prises en otage ; si vous contestez la norme — tant que la
norme prime encore — alors vous êtes dévalorisées. Donc
nous devons ébranler le normal. Nous voulons « surfer » la
vague. La souplesse au travail est clé pour les baby-boomers
vieillissants — c’est la vague. Nous devons éloigner la
conversation du sujet des femmes uniquement ! Nous devons
impliquer un groupe plus large qui réclame le changement.
Cela ne peut pas provenir uniquement des revendications des
femmes.
Conclusion
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Une aventure comparée qui doit ouvrir sur une
réflexion pratique à propos de l’appréhension
normative des inégalités
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Au-delà…
Combat contre les discriminations: N’est-ce pas la
promotion de la personne sans négliger le niveau
systémique en détectant les entraves à l’accès
individuel au droit et l’effectivité du droit?
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