Qu’est-ce qu’une langue créole ? Marie-Christine Hazaël-Massieux Université de Provence [email protected] Antilles Océan Indien Les principaux créoles français dans le monde (ZAC puis OI) • Louisiane • • • • • • • • • Haïti Guadeloupe La Dominique Martinique Sainte-Lucie Guyane Réunion Maurice Seychelles 4 000 000

Download Report

Transcript Qu’est-ce qu’une langue créole ? Marie-Christine Hazaël-Massieux Université de Provence [email protected] Antilles Océan Indien Les principaux créoles français dans le monde (ZAC puis OI) • Louisiane • • • • • • • • • Haïti Guadeloupe La Dominique Martinique Sainte-Lucie Guyane Réunion Maurice Seychelles 4 000 000

Slide 1

Qu’est-ce qu’une langue
créole ?
Marie-Christine Hazaël-Massieux
Université de Provence
[email protected]

Antilles

Océan Indien

Les principaux créoles français dans le
monde (ZAC puis OI)
• Louisiane










Haïti
Guadeloupe
La Dominique
Martinique
Sainte-Lucie
Guyane
Réunion
Maurice
Seychelles

4 000 000 habitants (mais peu de
créolophones)
7 000 000 habitants
422 496 habitants
100 000 habitants
381 441 habitants
150 000 habitants
157 277 habitants
707 758 habitants
1 100 000 habitants
70 000 habitants

1) Définition socio-historique
On appelle « créoles » des langues nées au
cours des siècles de la colonisation française
(européenne), dans le contact de langues
entre maîtres (de l’Ouest français, pratiquant un
français régional et populaire) et esclaves (le
plus souvent d’origine africaine) ; ces contacts
de langues étaient exclusivement oraux,
s’exerçaient hors de toute pression
normative, dans le contexte d’une domination
socio-culturelle des maîtres français.

Mais ces langues à l’origine ne s’appellent pas
créoles :
Exemple d’un texte : Moreau de Saint-Méry, 1797, Description typographique,
physique, civile, politique et hist. de la partie française de l’Isle St-Domingue

« J’ai à parler maintenant du langage qui sert à tous les nègres qui habitent la
colonie française de Saint-Domingue. C’est un français corrompu, auquel on a
mêlé plusieurs mots espagnols francisés, et où les termes marins ont aussi
trouvé leur place. On concevra aisément que ce langage, qui n’est qu’un vrai
jargon, est souvent inintelligible dans la bouche d’un vieil Africain, et qu’on le
parle d’autant mieux, qu’on l’a appris plus jeune. Ce jargon est extrêmement
mignard, et tel que l’inflexion fait la plus grande partie de l’expression. Il a aussi
son génie, (qu’on passe ce mot à un Créol qui croit ne le pas profaner), et un fait
très sûr, c’est qu’un Européen, quelque habitude qu’il en ait, quelque longue
qu’ait été sa résidence aux Isles, n’en possède jamais les finesses. »

Le terme « créole » < « criollo » désigne les populations
nées aux îles de parents venus d’ailleurs : cf. vaches
créoles, etc. Créoles, pour les populations humaines,
désigne les descendants des arrivants, qu’ils soient
blancs ou noirs.
Les premières attestations du terme de « créole » appliqué
aux langues (langues des Créoles) sont tardives : fin du
XVIIIe siècle, alors qu’on a des phrases en créole ou des
textes dans les premières décennies du XVIIIe siècle.

Toutes les langues que les créolistes appellent créoles, ne
s’appellent pas créoles : cf. le papiamento, le palenquero,
le tagalog, le sranan…

Aujourd’hui « créoles » est souvent synonyme
de « mélange de langues » (idée largement
répandue dans le grand public)
 idée qui entraîne d’ailleurs une certaine
dévalorisation : langues bâtardes ?
mais aussi idée qui peut-être nuisible à une plus
juste conception de leur développement ? – car
les créoles évoluent comme toutes les langues

2° Des exemples dans divers créoles
français
Les créoles, qui ont beaucoup évolué depuis leur origine,
sont des langues bien distinctes du français.
Ce qui caractérise les créoles, ce n’est pas tant le
lexique que la grammaire. Un exemple simple :

La bête la mangea
Ou pé ké manjé-moin
La bête la tua
Ou pé ké kué-moin

Dans les créoles on peut trouver des traces de leurs
origines multiples.
Mais ces recherches étymologiques, surtout significatives
pour le lexique (cf. Dictionnaire étymologique des créoles de
l’Océan Indien, par Annegret Bollée), risquent de faire
oublier qu’il s’agit de langues originales et nouvelles (peutêtre que beaucoup de langues sont nées ainsi (cf. les
langues romanes ???)
Noirs et blancs au cours des colonisations ont forgé de
nouvelles langues, qui ont leurs propres « systèmes »,
différents des langues d’origine : systèmes originaux et
complexes, avec leurs paradigmes, leurs modes de
structuration, leurs significations organisées différemment
des langues souches.

Un exemple : le verbe (comparaison des structures de
base guadeloupéen / haïtien)

Guadeloupe
Mwen ka manjé /
an ka manjé
Mwen manjé

Haïti
M’ap manjé

Mwen té manjé

M té manjé

Mwen ké manjé

M a manjé

M manjé

Mwen té ké manjé M t av manjé
Mwen té ka manjé M t ap manjé

Le
déterminant
défini en
gpéen,
mquais,
haïtien
Cela ne vient en
droite ligne de
rien !
Déstructuration /
restructuration ?
Et que dire de
la nouvelle
évolution du
créole haïtien :
tab-lan /
zwazo-lan /
fanm lan / pon
– lan ?

Gua

Tab-la

Mar

Tab-la

Haï

Tab-la

Zozyo-la Zozyo-(l)a

Zwazo-(l)a

Fanm-la Fanm-lan

Fanm-nan

Pon-la

Pon-(l)an

Pon-(l)an
Tè-ya
Fimen-yan

Pour comparer les pronoms dans les différents créoles
français :
http://creoles.free.fr/Cours/pronoms1.htm

Pour une petite découverte du créole martiniquais :

An grin té dri asou redout
I té an ba-y san parapli
Man té ni yonn volé an wout
E pétèt menm kay an zanmi

An ti kwen parapli
Pou an kwen paradi
Si an non té fèt pou-y
sé anj

Man vansé bò-y près a la kous
Pou mwen té ba-y tibwen labri
Chivé-y té ja bwè dlo kon mous
I pa fè pwèl sak pou-y di wi.

An ti kwen paradi
Pou an kwen parapli
Es ti ni pli bel chanj
jodi ?

3) Recherche d’une définition
typologique ?
Depuis quelques années, on s’efforce de voir s’il n’y a
pas un « type » créole : des traits toujours présents qui
caractériseraient les langues créoles quelles que soient
leurs bases : française, anglaise, portugaise…
…qui caractériseraient des langues, quelles que soient
leur date de naissance, le contexte de leur genèse… on
s’interroge sur l’existence de créoles africains (cf. le
kituba), sur des créoles naissant dans les grandes villes
africaines (le « français de Moussa » en Côte-d’Ivoire), de
« créoles » partout où il y a des contacts ou apprentissage
difficile (cf. le gullah : Black English), les véhiculaires (le
lingala, le bhodjpouri…) et cf. « le joual cé-tu un créole ? »

Parmi les a-prioris qui faussent souvent la démarche :

•Rapprocher des langues d’abord parce qu’elles portent le
même nom (créoles) ! Mais qu’est-ce qu’un créole ?
•Oublier que les langues évoluent. Si les créoles se
ressemblaient beaucoup à l’origine quand la communication
était principalement lexicale et la base française encore très
perceptible, la structuration grammaticale progressive,
propre à chaque langue, rend de moins en moins possible
l’appartenance à un même type.
•On glisse vite de ressemblances formelles ou structurelles
à l’idée qu’il y a là trace d’une langue d’origine.

Comment certaines ressemblances superficielles
poussent à chercher s’il existe un « type créole ». Ex.
le verbe copule ; antéposition ou postposition
du déterminant.
Les premières études (1985-87) soulignent rapidement des
difficultés ; cf. S. Mufwene (de fait les ressemblances ne
sont-elles pas liées à la « parenté » ? cf. Meillet) :

« [Les créoles] se sont développés dans une situation de contact où
aucune langue ne pouvait être transmise intégralement d’une
génération ou d’un groupe de locuteurs à l’autre ; ils sont caractérisés
par une restructuration linguistique » (in Etudes créoles, vol. IX, n° 1,
1986, pp. 135-150 : « Les langues créoles peuvent-elles être définies
sans allusion à leur histoire ? »

Méditer sur Meillet :
« … La parenté n’implique aucune ressemblance
actuelle des langues considérées, ni surtout du
système général des langues considérées ; et
inversement il y a beaucoup de ressemblances, soit
de structure générale, soit de vocabulaire, qui
n’impliquent pas parenté. » (in Linguistique
historique et linguistique générale, 1982, p. 92

Par là Meillet sépare clairement parenté et type.

Un schéma pour expliquer les
développements des créoles dans
la Caraïbe : vers une nouvelle
définition des créoles ?





Des contacts entre populations déportées
Une histoire mouvementée et diverse
La nécessité de communiquer
Des rapports sociolinguistiques particuliers
(colonisation, esclavage)
• Des textes de différentes époques à interpréter

Français

Langues africaines

1ère rupture : du français au
créole

17001750…

Époque du
« créole »
1820…

Se dégagent
paradigmes
caractéristiques
de chaque
nouvelle langue

Cr. parlés par
les esclaves

Cr. parlé
par les
maîtres :
témoignages
écrits

2e rupture : du « créole » marqué par la
variation aux langues diverses

hai

Forces qui s’exercent sur le créole visible
(écrit) des colons : les esclaves, libérés, les
mulâtres, les engagés libres…arrivés
d’Afrique, de l’Inde… qui parlent un créole
(différent du créole des maîtres) se mettent
à écrire ou à influencer l’écrit).

gua

mar

 Dès lors qu’appelle-t-on « créole » ? Une
langue :
• quand la « créolisation » est en cours ?
• quand elle est achevée ?
Si on a des « créoles » à l’origine, on n’en a
plus après quelques siècles ! On a de « vraies
langues » (cf. Parkvall)

 NB : Des systèmes proches (quand ils étaient
élémentaires) se séparent de plus en plus.

Peut-on continuer à appeler « créoles » ces langues
indéfiniment ? N’a-t-on pas des systèmes originaux qui
constituent le guadeloupéen, le martiniquais, l’haïtien… ?
Dans ces conditions (démontrées par l’étude historique) ne
faudrait-il pas dire qu’au bout d’un certain temps historique
on n’aurait plus de « créoles » ?

« Créoles » pourrait par là maintenant désigner
certaines langues au moment de leur naissance, et
« créolisation » un certain type de « genèse » :
conditions de contacts de langues très diverses,
obligation de communiquer, domination de l’une des
langues sur les autres, transmission orale, etc.

Conclusions
• Intérêt de l’étude des « créoles » pour la
linguistique générale
• Pour une nouvelle définition des langues créoles: est-ce
que toutes les langues qui émergent dans des situations de
contacts, avec rupture de transmission, ne sont pas pour un
temps des « créoles » ? La créolisation serait un certain type
de genèse pour les langues… peut-être pas réservée aux
seuls langues appelées « créoles », mais pour autant à ne
pas transposer sur toutes les genèses.

• Tous les « créoles » historiques ne sont pas nés dans
les mêmes conditions – peut-être pas tous par
« créolisation » !
• Il est sans doute nécessaire de mieux caractériser le
temps de la genèse proprement dite (cf. notions de
pidgins, créoles…), puis l’évolution continuée de toute
langue…

• Quelles sont les types de genèses des langues? Sans
doute de nombreux types : en établir l’inventaire.
• Il s’agit bien sûr de « modèles » dont il faut évaluer la
fécondité.

 Urgence de travailler sur les langues
« émergentes » !!!

Pour m’écrire : [email protected]

Cours de linguistique créole :
http://creoles.free.fr/Cours


Slide 2

Qu’est-ce qu’une langue
créole ?
Marie-Christine Hazaël-Massieux
Université de Provence
[email protected]

Antilles

Océan Indien

Les principaux créoles français dans le
monde (ZAC puis OI)
• Louisiane










Haïti
Guadeloupe
La Dominique
Martinique
Sainte-Lucie
Guyane
Réunion
Maurice
Seychelles

4 000 000 habitants (mais peu de
créolophones)
7 000 000 habitants
422 496 habitants
100 000 habitants
381 441 habitants
150 000 habitants
157 277 habitants
707 758 habitants
1 100 000 habitants
70 000 habitants

1) Définition socio-historique
On appelle « créoles » des langues nées au
cours des siècles de la colonisation française
(européenne), dans le contact de langues
entre maîtres (de l’Ouest français, pratiquant un
français régional et populaire) et esclaves (le
plus souvent d’origine africaine) ; ces contacts
de langues étaient exclusivement oraux,
s’exerçaient hors de toute pression
normative, dans le contexte d’une domination
socio-culturelle des maîtres français.

Mais ces langues à l’origine ne s’appellent pas
créoles :
Exemple d’un texte : Moreau de Saint-Méry, 1797, Description typographique,
physique, civile, politique et hist. de la partie française de l’Isle St-Domingue

« J’ai à parler maintenant du langage qui sert à tous les nègres qui habitent la
colonie française de Saint-Domingue. C’est un français corrompu, auquel on a
mêlé plusieurs mots espagnols francisés, et où les termes marins ont aussi
trouvé leur place. On concevra aisément que ce langage, qui n’est qu’un vrai
jargon, est souvent inintelligible dans la bouche d’un vieil Africain, et qu’on le
parle d’autant mieux, qu’on l’a appris plus jeune. Ce jargon est extrêmement
mignard, et tel que l’inflexion fait la plus grande partie de l’expression. Il a aussi
son génie, (qu’on passe ce mot à un Créol qui croit ne le pas profaner), et un fait
très sûr, c’est qu’un Européen, quelque habitude qu’il en ait, quelque longue
qu’ait été sa résidence aux Isles, n’en possède jamais les finesses. »

Le terme « créole » < « criollo » désigne les populations
nées aux îles de parents venus d’ailleurs : cf. vaches
créoles, etc. Créoles, pour les populations humaines,
désigne les descendants des arrivants, qu’ils soient
blancs ou noirs.
Les premières attestations du terme de « créole » appliqué
aux langues (langues des Créoles) sont tardives : fin du
XVIIIe siècle, alors qu’on a des phrases en créole ou des
textes dans les premières décennies du XVIIIe siècle.

Toutes les langues que les créolistes appellent créoles, ne
s’appellent pas créoles : cf. le papiamento, le palenquero,
le tagalog, le sranan…

Aujourd’hui « créoles » est souvent synonyme
de « mélange de langues » (idée largement
répandue dans le grand public)
 idée qui entraîne d’ailleurs une certaine
dévalorisation : langues bâtardes ?
mais aussi idée qui peut-être nuisible à une plus
juste conception de leur développement ? – car
les créoles évoluent comme toutes les langues

2° Des exemples dans divers créoles
français
Les créoles, qui ont beaucoup évolué depuis leur origine,
sont des langues bien distinctes du français.
Ce qui caractérise les créoles, ce n’est pas tant le
lexique que la grammaire. Un exemple simple :

La bête la mangea
Ou pé ké manjé-moin
La bête la tua
Ou pé ké kué-moin

Dans les créoles on peut trouver des traces de leurs
origines multiples.
Mais ces recherches étymologiques, surtout significatives
pour le lexique (cf. Dictionnaire étymologique des créoles de
l’Océan Indien, par Annegret Bollée), risquent de faire
oublier qu’il s’agit de langues originales et nouvelles (peutêtre que beaucoup de langues sont nées ainsi (cf. les
langues romanes ???)
Noirs et blancs au cours des colonisations ont forgé de
nouvelles langues, qui ont leurs propres « systèmes »,
différents des langues d’origine : systèmes originaux et
complexes, avec leurs paradigmes, leurs modes de
structuration, leurs significations organisées différemment
des langues souches.

Un exemple : le verbe (comparaison des structures de
base guadeloupéen / haïtien)

Guadeloupe
Mwen ka manjé /
an ka manjé
Mwen manjé

Haïti
M’ap manjé

Mwen té manjé

M té manjé

Mwen ké manjé

M a manjé

M manjé

Mwen té ké manjé M t av manjé
Mwen té ka manjé M t ap manjé

Le
déterminant
défini en
gpéen,
mquais,
haïtien
Cela ne vient en
droite ligne de
rien !
Déstructuration /
restructuration ?
Et que dire de
la nouvelle
évolution du
créole haïtien :
tab-lan /
zwazo-lan /
fanm lan / pon
– lan ?

Gua

Tab-la

Mar

Tab-la

Haï

Tab-la

Zozyo-la Zozyo-(l)a

Zwazo-(l)a

Fanm-la Fanm-lan

Fanm-nan

Pon-la

Pon-(l)an

Pon-(l)an
Tè-ya
Fimen-yan

Pour comparer les pronoms dans les différents créoles
français :
http://creoles.free.fr/Cours/pronoms1.htm

Pour une petite découverte du créole martiniquais :

An grin té dri asou redout
I té an ba-y san parapli
Man té ni yonn volé an wout
E pétèt menm kay an zanmi

An ti kwen parapli
Pou an kwen paradi
Si an non té fèt pou-y
sé anj

Man vansé bò-y près a la kous
Pou mwen té ba-y tibwen labri
Chivé-y té ja bwè dlo kon mous
I pa fè pwèl sak pou-y di wi.

An ti kwen paradi
Pou an kwen parapli
Es ti ni pli bel chanj
jodi ?

3) Recherche d’une définition
typologique ?
Depuis quelques années, on s’efforce de voir s’il n’y a
pas un « type » créole : des traits toujours présents qui
caractériseraient les langues créoles quelles que soient
leurs bases : française, anglaise, portugaise…
…qui caractériseraient des langues, quelles que soient
leur date de naissance, le contexte de leur genèse… on
s’interroge sur l’existence de créoles africains (cf. le
kituba), sur des créoles naissant dans les grandes villes
africaines (le « français de Moussa » en Côte-d’Ivoire), de
« créoles » partout où il y a des contacts ou apprentissage
difficile (cf. le gullah : Black English), les véhiculaires (le
lingala, le bhodjpouri…) et cf. « le joual cé-tu un créole ? »

Parmi les a-prioris qui faussent souvent la démarche :

•Rapprocher des langues d’abord parce qu’elles portent le
même nom (créoles) ! Mais qu’est-ce qu’un créole ?
•Oublier que les langues évoluent. Si les créoles se
ressemblaient beaucoup à l’origine quand la communication
était principalement lexicale et la base française encore très
perceptible, la structuration grammaticale progressive,
propre à chaque langue, rend de moins en moins possible
l’appartenance à un même type.
•On glisse vite de ressemblances formelles ou structurelles
à l’idée qu’il y a là trace d’une langue d’origine.

Comment certaines ressemblances superficielles
poussent à chercher s’il existe un « type créole ». Ex.
le verbe copule ; antéposition ou postposition
du déterminant.
Les premières études (1985-87) soulignent rapidement des
difficultés ; cf. S. Mufwene (de fait les ressemblances ne
sont-elles pas liées à la « parenté » ? cf. Meillet) :

« [Les créoles] se sont développés dans une situation de contact où
aucune langue ne pouvait être transmise intégralement d’une
génération ou d’un groupe de locuteurs à l’autre ; ils sont caractérisés
par une restructuration linguistique » (in Etudes créoles, vol. IX, n° 1,
1986, pp. 135-150 : « Les langues créoles peuvent-elles être définies
sans allusion à leur histoire ? »

Méditer sur Meillet :
« … La parenté n’implique aucune ressemblance
actuelle des langues considérées, ni surtout du
système général des langues considérées ; et
inversement il y a beaucoup de ressemblances, soit
de structure générale, soit de vocabulaire, qui
n’impliquent pas parenté. » (in Linguistique
historique et linguistique générale, 1982, p. 92

Par là Meillet sépare clairement parenté et type.

Un schéma pour expliquer les
développements des créoles dans
la Caraïbe : vers une nouvelle
définition des créoles ?





Des contacts entre populations déportées
Une histoire mouvementée et diverse
La nécessité de communiquer
Des rapports sociolinguistiques particuliers
(colonisation, esclavage)
• Des textes de différentes époques à interpréter

Français

Langues africaines

1ère rupture : du français au
créole

17001750…

Époque du
« créole »
1820…

Se dégagent
paradigmes
caractéristiques
de chaque
nouvelle langue

Cr. parlés par
les esclaves

Cr. parlé
par les
maîtres :
témoignages
écrits

2e rupture : du « créole » marqué par la
variation aux langues diverses

hai

Forces qui s’exercent sur le créole visible
(écrit) des colons : les esclaves, libérés, les
mulâtres, les engagés libres…arrivés
d’Afrique, de l’Inde… qui parlent un créole
(différent du créole des maîtres) se mettent
à écrire ou à influencer l’écrit).

gua

mar

 Dès lors qu’appelle-t-on « créole » ? Une
langue :
• quand la « créolisation » est en cours ?
• quand elle est achevée ?
Si on a des « créoles » à l’origine, on n’en a
plus après quelques siècles ! On a de « vraies
langues » (cf. Parkvall)

 NB : Des systèmes proches (quand ils étaient
élémentaires) se séparent de plus en plus.

Peut-on continuer à appeler « créoles » ces langues
indéfiniment ? N’a-t-on pas des systèmes originaux qui
constituent le guadeloupéen, le martiniquais, l’haïtien… ?
Dans ces conditions (démontrées par l’étude historique) ne
faudrait-il pas dire qu’au bout d’un certain temps historique
on n’aurait plus de « créoles » ?

« Créoles » pourrait par là maintenant désigner
certaines langues au moment de leur naissance, et
« créolisation » un certain type de « genèse » :
conditions de contacts de langues très diverses,
obligation de communiquer, domination de l’une des
langues sur les autres, transmission orale, etc.

Conclusions
• Intérêt de l’étude des « créoles » pour la
linguistique générale
• Pour une nouvelle définition des langues créoles: est-ce
que toutes les langues qui émergent dans des situations de
contacts, avec rupture de transmission, ne sont pas pour un
temps des « créoles » ? La créolisation serait un certain type
de genèse pour les langues… peut-être pas réservée aux
seuls langues appelées « créoles », mais pour autant à ne
pas transposer sur toutes les genèses.

• Tous les « créoles » historiques ne sont pas nés dans
les mêmes conditions – peut-être pas tous par
« créolisation » !
• Il est sans doute nécessaire de mieux caractériser le
temps de la genèse proprement dite (cf. notions de
pidgins, créoles…), puis l’évolution continuée de toute
langue…

• Quelles sont les types de genèses des langues? Sans
doute de nombreux types : en établir l’inventaire.
• Il s’agit bien sûr de « modèles » dont il faut évaluer la
fécondité.

 Urgence de travailler sur les langues
« émergentes » !!!

Pour m’écrire : [email protected]

Cours de linguistique créole :
http://creoles.free.fr/Cours


Slide 3

Qu’est-ce qu’une langue
créole ?
Marie-Christine Hazaël-Massieux
Université de Provence
[email protected]

Antilles

Océan Indien

Les principaux créoles français dans le
monde (ZAC puis OI)
• Louisiane










Haïti
Guadeloupe
La Dominique
Martinique
Sainte-Lucie
Guyane
Réunion
Maurice
Seychelles

4 000 000 habitants (mais peu de
créolophones)
7 000 000 habitants
422 496 habitants
100 000 habitants
381 441 habitants
150 000 habitants
157 277 habitants
707 758 habitants
1 100 000 habitants
70 000 habitants

1) Définition socio-historique
On appelle « créoles » des langues nées au
cours des siècles de la colonisation française
(européenne), dans le contact de langues
entre maîtres (de l’Ouest français, pratiquant un
français régional et populaire) et esclaves (le
plus souvent d’origine africaine) ; ces contacts
de langues étaient exclusivement oraux,
s’exerçaient hors de toute pression
normative, dans le contexte d’une domination
socio-culturelle des maîtres français.

Mais ces langues à l’origine ne s’appellent pas
créoles :
Exemple d’un texte : Moreau de Saint-Méry, 1797, Description typographique,
physique, civile, politique et hist. de la partie française de l’Isle St-Domingue

« J’ai à parler maintenant du langage qui sert à tous les nègres qui habitent la
colonie française de Saint-Domingue. C’est un français corrompu, auquel on a
mêlé plusieurs mots espagnols francisés, et où les termes marins ont aussi
trouvé leur place. On concevra aisément que ce langage, qui n’est qu’un vrai
jargon, est souvent inintelligible dans la bouche d’un vieil Africain, et qu’on le
parle d’autant mieux, qu’on l’a appris plus jeune. Ce jargon est extrêmement
mignard, et tel que l’inflexion fait la plus grande partie de l’expression. Il a aussi
son génie, (qu’on passe ce mot à un Créol qui croit ne le pas profaner), et un fait
très sûr, c’est qu’un Européen, quelque habitude qu’il en ait, quelque longue
qu’ait été sa résidence aux Isles, n’en possède jamais les finesses. »

Le terme « créole » < « criollo » désigne les populations
nées aux îles de parents venus d’ailleurs : cf. vaches
créoles, etc. Créoles, pour les populations humaines,
désigne les descendants des arrivants, qu’ils soient
blancs ou noirs.
Les premières attestations du terme de « créole » appliqué
aux langues (langues des Créoles) sont tardives : fin du
XVIIIe siècle, alors qu’on a des phrases en créole ou des
textes dans les premières décennies du XVIIIe siècle.

Toutes les langues que les créolistes appellent créoles, ne
s’appellent pas créoles : cf. le papiamento, le palenquero,
le tagalog, le sranan…

Aujourd’hui « créoles » est souvent synonyme
de « mélange de langues » (idée largement
répandue dans le grand public)
 idée qui entraîne d’ailleurs une certaine
dévalorisation : langues bâtardes ?
mais aussi idée qui peut-être nuisible à une plus
juste conception de leur développement ? – car
les créoles évoluent comme toutes les langues

2° Des exemples dans divers créoles
français
Les créoles, qui ont beaucoup évolué depuis leur origine,
sont des langues bien distinctes du français.
Ce qui caractérise les créoles, ce n’est pas tant le
lexique que la grammaire. Un exemple simple :

La bête la mangea
Ou pé ké manjé-moin
La bête la tua
Ou pé ké kué-moin

Dans les créoles on peut trouver des traces de leurs
origines multiples.
Mais ces recherches étymologiques, surtout significatives
pour le lexique (cf. Dictionnaire étymologique des créoles de
l’Océan Indien, par Annegret Bollée), risquent de faire
oublier qu’il s’agit de langues originales et nouvelles (peutêtre que beaucoup de langues sont nées ainsi (cf. les
langues romanes ???)
Noirs et blancs au cours des colonisations ont forgé de
nouvelles langues, qui ont leurs propres « systèmes »,
différents des langues d’origine : systèmes originaux et
complexes, avec leurs paradigmes, leurs modes de
structuration, leurs significations organisées différemment
des langues souches.

Un exemple : le verbe (comparaison des structures de
base guadeloupéen / haïtien)

Guadeloupe
Mwen ka manjé /
an ka manjé
Mwen manjé

Haïti
M’ap manjé

Mwen té manjé

M té manjé

Mwen ké manjé

M a manjé

M manjé

Mwen té ké manjé M t av manjé
Mwen té ka manjé M t ap manjé

Le
déterminant
défini en
gpéen,
mquais,
haïtien
Cela ne vient en
droite ligne de
rien !
Déstructuration /
restructuration ?
Et que dire de
la nouvelle
évolution du
créole haïtien :
tab-lan /
zwazo-lan /
fanm lan / pon
– lan ?

Gua

Tab-la

Mar

Tab-la

Haï

Tab-la

Zozyo-la Zozyo-(l)a

Zwazo-(l)a

Fanm-la Fanm-lan

Fanm-nan

Pon-la

Pon-(l)an

Pon-(l)an
Tè-ya
Fimen-yan

Pour comparer les pronoms dans les différents créoles
français :
http://creoles.free.fr/Cours/pronoms1.htm

Pour une petite découverte du créole martiniquais :

An grin té dri asou redout
I té an ba-y san parapli
Man té ni yonn volé an wout
E pétèt menm kay an zanmi

An ti kwen parapli
Pou an kwen paradi
Si an non té fèt pou-y
sé anj

Man vansé bò-y près a la kous
Pou mwen té ba-y tibwen labri
Chivé-y té ja bwè dlo kon mous
I pa fè pwèl sak pou-y di wi.

An ti kwen paradi
Pou an kwen parapli
Es ti ni pli bel chanj
jodi ?

3) Recherche d’une définition
typologique ?
Depuis quelques années, on s’efforce de voir s’il n’y a
pas un « type » créole : des traits toujours présents qui
caractériseraient les langues créoles quelles que soient
leurs bases : française, anglaise, portugaise…
…qui caractériseraient des langues, quelles que soient
leur date de naissance, le contexte de leur genèse… on
s’interroge sur l’existence de créoles africains (cf. le
kituba), sur des créoles naissant dans les grandes villes
africaines (le « français de Moussa » en Côte-d’Ivoire), de
« créoles » partout où il y a des contacts ou apprentissage
difficile (cf. le gullah : Black English), les véhiculaires (le
lingala, le bhodjpouri…) et cf. « le joual cé-tu un créole ? »

Parmi les a-prioris qui faussent souvent la démarche :

•Rapprocher des langues d’abord parce qu’elles portent le
même nom (créoles) ! Mais qu’est-ce qu’un créole ?
•Oublier que les langues évoluent. Si les créoles se
ressemblaient beaucoup à l’origine quand la communication
était principalement lexicale et la base française encore très
perceptible, la structuration grammaticale progressive,
propre à chaque langue, rend de moins en moins possible
l’appartenance à un même type.
•On glisse vite de ressemblances formelles ou structurelles
à l’idée qu’il y a là trace d’une langue d’origine.

Comment certaines ressemblances superficielles
poussent à chercher s’il existe un « type créole ». Ex.
le verbe copule ; antéposition ou postposition
du déterminant.
Les premières études (1985-87) soulignent rapidement des
difficultés ; cf. S. Mufwene (de fait les ressemblances ne
sont-elles pas liées à la « parenté » ? cf. Meillet) :

« [Les créoles] se sont développés dans une situation de contact où
aucune langue ne pouvait être transmise intégralement d’une
génération ou d’un groupe de locuteurs à l’autre ; ils sont caractérisés
par une restructuration linguistique » (in Etudes créoles, vol. IX, n° 1,
1986, pp. 135-150 : « Les langues créoles peuvent-elles être définies
sans allusion à leur histoire ? »

Méditer sur Meillet :
« … La parenté n’implique aucune ressemblance
actuelle des langues considérées, ni surtout du
système général des langues considérées ; et
inversement il y a beaucoup de ressemblances, soit
de structure générale, soit de vocabulaire, qui
n’impliquent pas parenté. » (in Linguistique
historique et linguistique générale, 1982, p. 92

Par là Meillet sépare clairement parenté et type.

Un schéma pour expliquer les
développements des créoles dans
la Caraïbe : vers une nouvelle
définition des créoles ?





Des contacts entre populations déportées
Une histoire mouvementée et diverse
La nécessité de communiquer
Des rapports sociolinguistiques particuliers
(colonisation, esclavage)
• Des textes de différentes époques à interpréter

Français

Langues africaines

1ère rupture : du français au
créole

17001750…

Époque du
« créole »
1820…

Se dégagent
paradigmes
caractéristiques
de chaque
nouvelle langue

Cr. parlés par
les esclaves

Cr. parlé
par les
maîtres :
témoignages
écrits

2e rupture : du « créole » marqué par la
variation aux langues diverses

hai

Forces qui s’exercent sur le créole visible
(écrit) des colons : les esclaves, libérés, les
mulâtres, les engagés libres…arrivés
d’Afrique, de l’Inde… qui parlent un créole
(différent du créole des maîtres) se mettent
à écrire ou à influencer l’écrit).

gua

mar

 Dès lors qu’appelle-t-on « créole » ? Une
langue :
• quand la « créolisation » est en cours ?
• quand elle est achevée ?
Si on a des « créoles » à l’origine, on n’en a
plus après quelques siècles ! On a de « vraies
langues » (cf. Parkvall)

 NB : Des systèmes proches (quand ils étaient
élémentaires) se séparent de plus en plus.

Peut-on continuer à appeler « créoles » ces langues
indéfiniment ? N’a-t-on pas des systèmes originaux qui
constituent le guadeloupéen, le martiniquais, l’haïtien… ?
Dans ces conditions (démontrées par l’étude historique) ne
faudrait-il pas dire qu’au bout d’un certain temps historique
on n’aurait plus de « créoles » ?

« Créoles » pourrait par là maintenant désigner
certaines langues au moment de leur naissance, et
« créolisation » un certain type de « genèse » :
conditions de contacts de langues très diverses,
obligation de communiquer, domination de l’une des
langues sur les autres, transmission orale, etc.

Conclusions
• Intérêt de l’étude des « créoles » pour la
linguistique générale
• Pour une nouvelle définition des langues créoles: est-ce
que toutes les langues qui émergent dans des situations de
contacts, avec rupture de transmission, ne sont pas pour un
temps des « créoles » ? La créolisation serait un certain type
de genèse pour les langues… peut-être pas réservée aux
seuls langues appelées « créoles », mais pour autant à ne
pas transposer sur toutes les genèses.

• Tous les « créoles » historiques ne sont pas nés dans
les mêmes conditions – peut-être pas tous par
« créolisation » !
• Il est sans doute nécessaire de mieux caractériser le
temps de la genèse proprement dite (cf. notions de
pidgins, créoles…), puis l’évolution continuée de toute
langue…

• Quelles sont les types de genèses des langues? Sans
doute de nombreux types : en établir l’inventaire.
• Il s’agit bien sûr de « modèles » dont il faut évaluer la
fécondité.

 Urgence de travailler sur les langues
« émergentes » !!!

Pour m’écrire : [email protected]

Cours de linguistique créole :
http://creoles.free.fr/Cours


Slide 4

Qu’est-ce qu’une langue
créole ?
Marie-Christine Hazaël-Massieux
Université de Provence
[email protected]

Antilles

Océan Indien

Les principaux créoles français dans le
monde (ZAC puis OI)
• Louisiane










Haïti
Guadeloupe
La Dominique
Martinique
Sainte-Lucie
Guyane
Réunion
Maurice
Seychelles

4 000 000 habitants (mais peu de
créolophones)
7 000 000 habitants
422 496 habitants
100 000 habitants
381 441 habitants
150 000 habitants
157 277 habitants
707 758 habitants
1 100 000 habitants
70 000 habitants

1) Définition socio-historique
On appelle « créoles » des langues nées au
cours des siècles de la colonisation française
(européenne), dans le contact de langues
entre maîtres (de l’Ouest français, pratiquant un
français régional et populaire) et esclaves (le
plus souvent d’origine africaine) ; ces contacts
de langues étaient exclusivement oraux,
s’exerçaient hors de toute pression
normative, dans le contexte d’une domination
socio-culturelle des maîtres français.

Mais ces langues à l’origine ne s’appellent pas
créoles :
Exemple d’un texte : Moreau de Saint-Méry, 1797, Description typographique,
physique, civile, politique et hist. de la partie française de l’Isle St-Domingue

« J’ai à parler maintenant du langage qui sert à tous les nègres qui habitent la
colonie française de Saint-Domingue. C’est un français corrompu, auquel on a
mêlé plusieurs mots espagnols francisés, et où les termes marins ont aussi
trouvé leur place. On concevra aisément que ce langage, qui n’est qu’un vrai
jargon, est souvent inintelligible dans la bouche d’un vieil Africain, et qu’on le
parle d’autant mieux, qu’on l’a appris plus jeune. Ce jargon est extrêmement
mignard, et tel que l’inflexion fait la plus grande partie de l’expression. Il a aussi
son génie, (qu’on passe ce mot à un Créol qui croit ne le pas profaner), et un fait
très sûr, c’est qu’un Européen, quelque habitude qu’il en ait, quelque longue
qu’ait été sa résidence aux Isles, n’en possède jamais les finesses. »

Le terme « créole » < « criollo » désigne les populations
nées aux îles de parents venus d’ailleurs : cf. vaches
créoles, etc. Créoles, pour les populations humaines,
désigne les descendants des arrivants, qu’ils soient
blancs ou noirs.
Les premières attestations du terme de « créole » appliqué
aux langues (langues des Créoles) sont tardives : fin du
XVIIIe siècle, alors qu’on a des phrases en créole ou des
textes dans les premières décennies du XVIIIe siècle.

Toutes les langues que les créolistes appellent créoles, ne
s’appellent pas créoles : cf. le papiamento, le palenquero,
le tagalog, le sranan…

Aujourd’hui « créoles » est souvent synonyme
de « mélange de langues » (idée largement
répandue dans le grand public)
 idée qui entraîne d’ailleurs une certaine
dévalorisation : langues bâtardes ?
mais aussi idée qui peut-être nuisible à une plus
juste conception de leur développement ? – car
les créoles évoluent comme toutes les langues

2° Des exemples dans divers créoles
français
Les créoles, qui ont beaucoup évolué depuis leur origine,
sont des langues bien distinctes du français.
Ce qui caractérise les créoles, ce n’est pas tant le
lexique que la grammaire. Un exemple simple :

La bête la mangea
Ou pé ké manjé-moin
La bête la tua
Ou pé ké kué-moin

Dans les créoles on peut trouver des traces de leurs
origines multiples.
Mais ces recherches étymologiques, surtout significatives
pour le lexique (cf. Dictionnaire étymologique des créoles de
l’Océan Indien, par Annegret Bollée), risquent de faire
oublier qu’il s’agit de langues originales et nouvelles (peutêtre que beaucoup de langues sont nées ainsi (cf. les
langues romanes ???)
Noirs et blancs au cours des colonisations ont forgé de
nouvelles langues, qui ont leurs propres « systèmes »,
différents des langues d’origine : systèmes originaux et
complexes, avec leurs paradigmes, leurs modes de
structuration, leurs significations organisées différemment
des langues souches.

Un exemple : le verbe (comparaison des structures de
base guadeloupéen / haïtien)

Guadeloupe
Mwen ka manjé /
an ka manjé
Mwen manjé

Haïti
M’ap manjé

Mwen té manjé

M té manjé

Mwen ké manjé

M a manjé

M manjé

Mwen té ké manjé M t av manjé
Mwen té ka manjé M t ap manjé

Le
déterminant
défini en
gpéen,
mquais,
haïtien
Cela ne vient en
droite ligne de
rien !
Déstructuration /
restructuration ?
Et que dire de
la nouvelle
évolution du
créole haïtien :
tab-lan /
zwazo-lan /
fanm lan / pon
– lan ?

Gua

Tab-la

Mar

Tab-la

Haï

Tab-la

Zozyo-la Zozyo-(l)a

Zwazo-(l)a

Fanm-la Fanm-lan

Fanm-nan

Pon-la

Pon-(l)an

Pon-(l)an
Tè-ya
Fimen-yan

Pour comparer les pronoms dans les différents créoles
français :
http://creoles.free.fr/Cours/pronoms1.htm

Pour une petite découverte du créole martiniquais :

An grin té dri asou redout
I té an ba-y san parapli
Man té ni yonn volé an wout
E pétèt menm kay an zanmi

An ti kwen parapli
Pou an kwen paradi
Si an non té fèt pou-y
sé anj

Man vansé bò-y près a la kous
Pou mwen té ba-y tibwen labri
Chivé-y té ja bwè dlo kon mous
I pa fè pwèl sak pou-y di wi.

An ti kwen paradi
Pou an kwen parapli
Es ti ni pli bel chanj
jodi ?

3) Recherche d’une définition
typologique ?
Depuis quelques années, on s’efforce de voir s’il n’y a
pas un « type » créole : des traits toujours présents qui
caractériseraient les langues créoles quelles que soient
leurs bases : française, anglaise, portugaise…
…qui caractériseraient des langues, quelles que soient
leur date de naissance, le contexte de leur genèse… on
s’interroge sur l’existence de créoles africains (cf. le
kituba), sur des créoles naissant dans les grandes villes
africaines (le « français de Moussa » en Côte-d’Ivoire), de
« créoles » partout où il y a des contacts ou apprentissage
difficile (cf. le gullah : Black English), les véhiculaires (le
lingala, le bhodjpouri…) et cf. « le joual cé-tu un créole ? »

Parmi les a-prioris qui faussent souvent la démarche :

•Rapprocher des langues d’abord parce qu’elles portent le
même nom (créoles) ! Mais qu’est-ce qu’un créole ?
•Oublier que les langues évoluent. Si les créoles se
ressemblaient beaucoup à l’origine quand la communication
était principalement lexicale et la base française encore très
perceptible, la structuration grammaticale progressive,
propre à chaque langue, rend de moins en moins possible
l’appartenance à un même type.
•On glisse vite de ressemblances formelles ou structurelles
à l’idée qu’il y a là trace d’une langue d’origine.

Comment certaines ressemblances superficielles
poussent à chercher s’il existe un « type créole ». Ex.
le verbe copule ; antéposition ou postposition
du déterminant.
Les premières études (1985-87) soulignent rapidement des
difficultés ; cf. S. Mufwene (de fait les ressemblances ne
sont-elles pas liées à la « parenté » ? cf. Meillet) :

« [Les créoles] se sont développés dans une situation de contact où
aucune langue ne pouvait être transmise intégralement d’une
génération ou d’un groupe de locuteurs à l’autre ; ils sont caractérisés
par une restructuration linguistique » (in Etudes créoles, vol. IX, n° 1,
1986, pp. 135-150 : « Les langues créoles peuvent-elles être définies
sans allusion à leur histoire ? »

Méditer sur Meillet :
« … La parenté n’implique aucune ressemblance
actuelle des langues considérées, ni surtout du
système général des langues considérées ; et
inversement il y a beaucoup de ressemblances, soit
de structure générale, soit de vocabulaire, qui
n’impliquent pas parenté. » (in Linguistique
historique et linguistique générale, 1982, p. 92

Par là Meillet sépare clairement parenté et type.

Un schéma pour expliquer les
développements des créoles dans
la Caraïbe : vers une nouvelle
définition des créoles ?





Des contacts entre populations déportées
Une histoire mouvementée et diverse
La nécessité de communiquer
Des rapports sociolinguistiques particuliers
(colonisation, esclavage)
• Des textes de différentes époques à interpréter

Français

Langues africaines

1ère rupture : du français au
créole

17001750…

Époque du
« créole »
1820…

Se dégagent
paradigmes
caractéristiques
de chaque
nouvelle langue

Cr. parlés par
les esclaves

Cr. parlé
par les
maîtres :
témoignages
écrits

2e rupture : du « créole » marqué par la
variation aux langues diverses

hai

Forces qui s’exercent sur le créole visible
(écrit) des colons : les esclaves, libérés, les
mulâtres, les engagés libres…arrivés
d’Afrique, de l’Inde… qui parlent un créole
(différent du créole des maîtres) se mettent
à écrire ou à influencer l’écrit).

gua

mar

 Dès lors qu’appelle-t-on « créole » ? Une
langue :
• quand la « créolisation » est en cours ?
• quand elle est achevée ?
Si on a des « créoles » à l’origine, on n’en a
plus après quelques siècles ! On a de « vraies
langues » (cf. Parkvall)

 NB : Des systèmes proches (quand ils étaient
élémentaires) se séparent de plus en plus.

Peut-on continuer à appeler « créoles » ces langues
indéfiniment ? N’a-t-on pas des systèmes originaux qui
constituent le guadeloupéen, le martiniquais, l’haïtien… ?
Dans ces conditions (démontrées par l’étude historique) ne
faudrait-il pas dire qu’au bout d’un certain temps historique
on n’aurait plus de « créoles » ?

« Créoles » pourrait par là maintenant désigner
certaines langues au moment de leur naissance, et
« créolisation » un certain type de « genèse » :
conditions de contacts de langues très diverses,
obligation de communiquer, domination de l’une des
langues sur les autres, transmission orale, etc.

Conclusions
• Intérêt de l’étude des « créoles » pour la
linguistique générale
• Pour une nouvelle définition des langues créoles: est-ce
que toutes les langues qui émergent dans des situations de
contacts, avec rupture de transmission, ne sont pas pour un
temps des « créoles » ? La créolisation serait un certain type
de genèse pour les langues… peut-être pas réservée aux
seuls langues appelées « créoles », mais pour autant à ne
pas transposer sur toutes les genèses.

• Tous les « créoles » historiques ne sont pas nés dans
les mêmes conditions – peut-être pas tous par
« créolisation » !
• Il est sans doute nécessaire de mieux caractériser le
temps de la genèse proprement dite (cf. notions de
pidgins, créoles…), puis l’évolution continuée de toute
langue…

• Quelles sont les types de genèses des langues? Sans
doute de nombreux types : en établir l’inventaire.
• Il s’agit bien sûr de « modèles » dont il faut évaluer la
fécondité.

 Urgence de travailler sur les langues
« émergentes » !!!

Pour m’écrire : [email protected]

Cours de linguistique créole :
http://creoles.free.fr/Cours


Slide 5

Qu’est-ce qu’une langue
créole ?
Marie-Christine Hazaël-Massieux
Université de Provence
[email protected]

Antilles

Océan Indien

Les principaux créoles français dans le
monde (ZAC puis OI)
• Louisiane










Haïti
Guadeloupe
La Dominique
Martinique
Sainte-Lucie
Guyane
Réunion
Maurice
Seychelles

4 000 000 habitants (mais peu de
créolophones)
7 000 000 habitants
422 496 habitants
100 000 habitants
381 441 habitants
150 000 habitants
157 277 habitants
707 758 habitants
1 100 000 habitants
70 000 habitants

1) Définition socio-historique
On appelle « créoles » des langues nées au
cours des siècles de la colonisation française
(européenne), dans le contact de langues
entre maîtres (de l’Ouest français, pratiquant un
français régional et populaire) et esclaves (le
plus souvent d’origine africaine) ; ces contacts
de langues étaient exclusivement oraux,
s’exerçaient hors de toute pression
normative, dans le contexte d’une domination
socio-culturelle des maîtres français.

Mais ces langues à l’origine ne s’appellent pas
créoles :
Exemple d’un texte : Moreau de Saint-Méry, 1797, Description typographique,
physique, civile, politique et hist. de la partie française de l’Isle St-Domingue

« J’ai à parler maintenant du langage qui sert à tous les nègres qui habitent la
colonie française de Saint-Domingue. C’est un français corrompu, auquel on a
mêlé plusieurs mots espagnols francisés, et où les termes marins ont aussi
trouvé leur place. On concevra aisément que ce langage, qui n’est qu’un vrai
jargon, est souvent inintelligible dans la bouche d’un vieil Africain, et qu’on le
parle d’autant mieux, qu’on l’a appris plus jeune. Ce jargon est extrêmement
mignard, et tel que l’inflexion fait la plus grande partie de l’expression. Il a aussi
son génie, (qu’on passe ce mot à un Créol qui croit ne le pas profaner), et un fait
très sûr, c’est qu’un Européen, quelque habitude qu’il en ait, quelque longue
qu’ait été sa résidence aux Isles, n’en possède jamais les finesses. »

Le terme « créole » < « criollo » désigne les populations
nées aux îles de parents venus d’ailleurs : cf. vaches
créoles, etc. Créoles, pour les populations humaines,
désigne les descendants des arrivants, qu’ils soient
blancs ou noirs.
Les premières attestations du terme de « créole » appliqué
aux langues (langues des Créoles) sont tardives : fin du
XVIIIe siècle, alors qu’on a des phrases en créole ou des
textes dans les premières décennies du XVIIIe siècle.

Toutes les langues que les créolistes appellent créoles, ne
s’appellent pas créoles : cf. le papiamento, le palenquero,
le tagalog, le sranan…

Aujourd’hui « créoles » est souvent synonyme
de « mélange de langues » (idée largement
répandue dans le grand public)
 idée qui entraîne d’ailleurs une certaine
dévalorisation : langues bâtardes ?
mais aussi idée qui peut-être nuisible à une plus
juste conception de leur développement ? – car
les créoles évoluent comme toutes les langues

2° Des exemples dans divers créoles
français
Les créoles, qui ont beaucoup évolué depuis leur origine,
sont des langues bien distinctes du français.
Ce qui caractérise les créoles, ce n’est pas tant le
lexique que la grammaire. Un exemple simple :

La bête la mangea
Ou pé ké manjé-moin
La bête la tua
Ou pé ké kué-moin

Dans les créoles on peut trouver des traces de leurs
origines multiples.
Mais ces recherches étymologiques, surtout significatives
pour le lexique (cf. Dictionnaire étymologique des créoles de
l’Océan Indien, par Annegret Bollée), risquent de faire
oublier qu’il s’agit de langues originales et nouvelles (peutêtre que beaucoup de langues sont nées ainsi (cf. les
langues romanes ???)
Noirs et blancs au cours des colonisations ont forgé de
nouvelles langues, qui ont leurs propres « systèmes »,
différents des langues d’origine : systèmes originaux et
complexes, avec leurs paradigmes, leurs modes de
structuration, leurs significations organisées différemment
des langues souches.

Un exemple : le verbe (comparaison des structures de
base guadeloupéen / haïtien)

Guadeloupe
Mwen ka manjé /
an ka manjé
Mwen manjé

Haïti
M’ap manjé

Mwen té manjé

M té manjé

Mwen ké manjé

M a manjé

M manjé

Mwen té ké manjé M t av manjé
Mwen té ka manjé M t ap manjé

Le
déterminant
défini en
gpéen,
mquais,
haïtien
Cela ne vient en
droite ligne de
rien !
Déstructuration /
restructuration ?
Et que dire de
la nouvelle
évolution du
créole haïtien :
tab-lan /
zwazo-lan /
fanm lan / pon
– lan ?

Gua

Tab-la

Mar

Tab-la

Haï

Tab-la

Zozyo-la Zozyo-(l)a

Zwazo-(l)a

Fanm-la Fanm-lan

Fanm-nan

Pon-la

Pon-(l)an

Pon-(l)an
Tè-ya
Fimen-yan

Pour comparer les pronoms dans les différents créoles
français :
http://creoles.free.fr/Cours/pronoms1.htm

Pour une petite découverte du créole martiniquais :

An grin té dri asou redout
I té an ba-y san parapli
Man té ni yonn volé an wout
E pétèt menm kay an zanmi

An ti kwen parapli
Pou an kwen paradi
Si an non té fèt pou-y
sé anj

Man vansé bò-y près a la kous
Pou mwen té ba-y tibwen labri
Chivé-y té ja bwè dlo kon mous
I pa fè pwèl sak pou-y di wi.

An ti kwen paradi
Pou an kwen parapli
Es ti ni pli bel chanj
jodi ?

3) Recherche d’une définition
typologique ?
Depuis quelques années, on s’efforce de voir s’il n’y a
pas un « type » créole : des traits toujours présents qui
caractériseraient les langues créoles quelles que soient
leurs bases : française, anglaise, portugaise…
…qui caractériseraient des langues, quelles que soient
leur date de naissance, le contexte de leur genèse… on
s’interroge sur l’existence de créoles africains (cf. le
kituba), sur des créoles naissant dans les grandes villes
africaines (le « français de Moussa » en Côte-d’Ivoire), de
« créoles » partout où il y a des contacts ou apprentissage
difficile (cf. le gullah : Black English), les véhiculaires (le
lingala, le bhodjpouri…) et cf. « le joual cé-tu un créole ? »

Parmi les a-prioris qui faussent souvent la démarche :

•Rapprocher des langues d’abord parce qu’elles portent le
même nom (créoles) ! Mais qu’est-ce qu’un créole ?
•Oublier que les langues évoluent. Si les créoles se
ressemblaient beaucoup à l’origine quand la communication
était principalement lexicale et la base française encore très
perceptible, la structuration grammaticale progressive,
propre à chaque langue, rend de moins en moins possible
l’appartenance à un même type.
•On glisse vite de ressemblances formelles ou structurelles
à l’idée qu’il y a là trace d’une langue d’origine.

Comment certaines ressemblances superficielles
poussent à chercher s’il existe un « type créole ». Ex.
le verbe copule ; antéposition ou postposition
du déterminant.
Les premières études (1985-87) soulignent rapidement des
difficultés ; cf. S. Mufwene (de fait les ressemblances ne
sont-elles pas liées à la « parenté » ? cf. Meillet) :

« [Les créoles] se sont développés dans une situation de contact où
aucune langue ne pouvait être transmise intégralement d’une
génération ou d’un groupe de locuteurs à l’autre ; ils sont caractérisés
par une restructuration linguistique » (in Etudes créoles, vol. IX, n° 1,
1986, pp. 135-150 : « Les langues créoles peuvent-elles être définies
sans allusion à leur histoire ? »

Méditer sur Meillet :
« … La parenté n’implique aucune ressemblance
actuelle des langues considérées, ni surtout du
système général des langues considérées ; et
inversement il y a beaucoup de ressemblances, soit
de structure générale, soit de vocabulaire, qui
n’impliquent pas parenté. » (in Linguistique
historique et linguistique générale, 1982, p. 92

Par là Meillet sépare clairement parenté et type.

Un schéma pour expliquer les
développements des créoles dans
la Caraïbe : vers une nouvelle
définition des créoles ?





Des contacts entre populations déportées
Une histoire mouvementée et diverse
La nécessité de communiquer
Des rapports sociolinguistiques particuliers
(colonisation, esclavage)
• Des textes de différentes époques à interpréter

Français

Langues africaines

1ère rupture : du français au
créole

17001750…

Époque du
« créole »
1820…

Se dégagent
paradigmes
caractéristiques
de chaque
nouvelle langue

Cr. parlés par
les esclaves

Cr. parlé
par les
maîtres :
témoignages
écrits

2e rupture : du « créole » marqué par la
variation aux langues diverses

hai

Forces qui s’exercent sur le créole visible
(écrit) des colons : les esclaves, libérés, les
mulâtres, les engagés libres…arrivés
d’Afrique, de l’Inde… qui parlent un créole
(différent du créole des maîtres) se mettent
à écrire ou à influencer l’écrit).

gua

mar

 Dès lors qu’appelle-t-on « créole » ? Une
langue :
• quand la « créolisation » est en cours ?
• quand elle est achevée ?
Si on a des « créoles » à l’origine, on n’en a
plus après quelques siècles ! On a de « vraies
langues » (cf. Parkvall)

 NB : Des systèmes proches (quand ils étaient
élémentaires) se séparent de plus en plus.

Peut-on continuer à appeler « créoles » ces langues
indéfiniment ? N’a-t-on pas des systèmes originaux qui
constituent le guadeloupéen, le martiniquais, l’haïtien… ?
Dans ces conditions (démontrées par l’étude historique) ne
faudrait-il pas dire qu’au bout d’un certain temps historique
on n’aurait plus de « créoles » ?

« Créoles » pourrait par là maintenant désigner
certaines langues au moment de leur naissance, et
« créolisation » un certain type de « genèse » :
conditions de contacts de langues très diverses,
obligation de communiquer, domination de l’une des
langues sur les autres, transmission orale, etc.

Conclusions
• Intérêt de l’étude des « créoles » pour la
linguistique générale
• Pour une nouvelle définition des langues créoles: est-ce
que toutes les langues qui émergent dans des situations de
contacts, avec rupture de transmission, ne sont pas pour un
temps des « créoles » ? La créolisation serait un certain type
de genèse pour les langues… peut-être pas réservée aux
seuls langues appelées « créoles », mais pour autant à ne
pas transposer sur toutes les genèses.

• Tous les « créoles » historiques ne sont pas nés dans
les mêmes conditions – peut-être pas tous par
« créolisation » !
• Il est sans doute nécessaire de mieux caractériser le
temps de la genèse proprement dite (cf. notions de
pidgins, créoles…), puis l’évolution continuée de toute
langue…

• Quelles sont les types de genèses des langues? Sans
doute de nombreux types : en établir l’inventaire.
• Il s’agit bien sûr de « modèles » dont il faut évaluer la
fécondité.

 Urgence de travailler sur les langues
« émergentes » !!!

Pour m’écrire : [email protected]

Cours de linguistique créole :
http://creoles.free.fr/Cours


Slide 6

Qu’est-ce qu’une langue
créole ?
Marie-Christine Hazaël-Massieux
Université de Provence
[email protected]

Antilles

Océan Indien

Les principaux créoles français dans le
monde (ZAC puis OI)
• Louisiane










Haïti
Guadeloupe
La Dominique
Martinique
Sainte-Lucie
Guyane
Réunion
Maurice
Seychelles

4 000 000 habitants (mais peu de
créolophones)
7 000 000 habitants
422 496 habitants
100 000 habitants
381 441 habitants
150 000 habitants
157 277 habitants
707 758 habitants
1 100 000 habitants
70 000 habitants

1) Définition socio-historique
On appelle « créoles » des langues nées au
cours des siècles de la colonisation française
(européenne), dans le contact de langues
entre maîtres (de l’Ouest français, pratiquant un
français régional et populaire) et esclaves (le
plus souvent d’origine africaine) ; ces contacts
de langues étaient exclusivement oraux,
s’exerçaient hors de toute pression
normative, dans le contexte d’une domination
socio-culturelle des maîtres français.

Mais ces langues à l’origine ne s’appellent pas
créoles :
Exemple d’un texte : Moreau de Saint-Méry, 1797, Description typographique,
physique, civile, politique et hist. de la partie française de l’Isle St-Domingue

« J’ai à parler maintenant du langage qui sert à tous les nègres qui habitent la
colonie française de Saint-Domingue. C’est un français corrompu, auquel on a
mêlé plusieurs mots espagnols francisés, et où les termes marins ont aussi
trouvé leur place. On concevra aisément que ce langage, qui n’est qu’un vrai
jargon, est souvent inintelligible dans la bouche d’un vieil Africain, et qu’on le
parle d’autant mieux, qu’on l’a appris plus jeune. Ce jargon est extrêmement
mignard, et tel que l’inflexion fait la plus grande partie de l’expression. Il a aussi
son génie, (qu’on passe ce mot à un Créol qui croit ne le pas profaner), et un fait
très sûr, c’est qu’un Européen, quelque habitude qu’il en ait, quelque longue
qu’ait été sa résidence aux Isles, n’en possède jamais les finesses. »

Le terme « créole » < « criollo » désigne les populations
nées aux îles de parents venus d’ailleurs : cf. vaches
créoles, etc. Créoles, pour les populations humaines,
désigne les descendants des arrivants, qu’ils soient
blancs ou noirs.
Les premières attestations du terme de « créole » appliqué
aux langues (langues des Créoles) sont tardives : fin du
XVIIIe siècle, alors qu’on a des phrases en créole ou des
textes dans les premières décennies du XVIIIe siècle.

Toutes les langues que les créolistes appellent créoles, ne
s’appellent pas créoles : cf. le papiamento, le palenquero,
le tagalog, le sranan…

Aujourd’hui « créoles » est souvent synonyme
de « mélange de langues » (idée largement
répandue dans le grand public)
 idée qui entraîne d’ailleurs une certaine
dévalorisation : langues bâtardes ?
mais aussi idée qui peut-être nuisible à une plus
juste conception de leur développement ? – car
les créoles évoluent comme toutes les langues

2° Des exemples dans divers créoles
français
Les créoles, qui ont beaucoup évolué depuis leur origine,
sont des langues bien distinctes du français.
Ce qui caractérise les créoles, ce n’est pas tant le
lexique que la grammaire. Un exemple simple :

La bête la mangea
Ou pé ké manjé-moin
La bête la tua
Ou pé ké kué-moin

Dans les créoles on peut trouver des traces de leurs
origines multiples.
Mais ces recherches étymologiques, surtout significatives
pour le lexique (cf. Dictionnaire étymologique des créoles de
l’Océan Indien, par Annegret Bollée), risquent de faire
oublier qu’il s’agit de langues originales et nouvelles (peutêtre que beaucoup de langues sont nées ainsi (cf. les
langues romanes ???)
Noirs et blancs au cours des colonisations ont forgé de
nouvelles langues, qui ont leurs propres « systèmes »,
différents des langues d’origine : systèmes originaux et
complexes, avec leurs paradigmes, leurs modes de
structuration, leurs significations organisées différemment
des langues souches.

Un exemple : le verbe (comparaison des structures de
base guadeloupéen / haïtien)

Guadeloupe
Mwen ka manjé /
an ka manjé
Mwen manjé

Haïti
M’ap manjé

Mwen té manjé

M té manjé

Mwen ké manjé

M a manjé

M manjé

Mwen té ké manjé M t av manjé
Mwen té ka manjé M t ap manjé

Le
déterminant
défini en
gpéen,
mquais,
haïtien
Cela ne vient en
droite ligne de
rien !
Déstructuration /
restructuration ?
Et que dire de
la nouvelle
évolution du
créole haïtien :
tab-lan /
zwazo-lan /
fanm lan / pon
– lan ?

Gua

Tab-la

Mar

Tab-la

Haï

Tab-la

Zozyo-la Zozyo-(l)a

Zwazo-(l)a

Fanm-la Fanm-lan

Fanm-nan

Pon-la

Pon-(l)an

Pon-(l)an
Tè-ya
Fimen-yan

Pour comparer les pronoms dans les différents créoles
français :
http://creoles.free.fr/Cours/pronoms1.htm

Pour une petite découverte du créole martiniquais :

An grin té dri asou redout
I té an ba-y san parapli
Man té ni yonn volé an wout
E pétèt menm kay an zanmi

An ti kwen parapli
Pou an kwen paradi
Si an non té fèt pou-y
sé anj

Man vansé bò-y près a la kous
Pou mwen té ba-y tibwen labri
Chivé-y té ja bwè dlo kon mous
I pa fè pwèl sak pou-y di wi.

An ti kwen paradi
Pou an kwen parapli
Es ti ni pli bel chanj
jodi ?

3) Recherche d’une définition
typologique ?
Depuis quelques années, on s’efforce de voir s’il n’y a
pas un « type » créole : des traits toujours présents qui
caractériseraient les langues créoles quelles que soient
leurs bases : française, anglaise, portugaise…
…qui caractériseraient des langues, quelles que soient
leur date de naissance, le contexte de leur genèse… on
s’interroge sur l’existence de créoles africains (cf. le
kituba), sur des créoles naissant dans les grandes villes
africaines (le « français de Moussa » en Côte-d’Ivoire), de
« créoles » partout où il y a des contacts ou apprentissage
difficile (cf. le gullah : Black English), les véhiculaires (le
lingala, le bhodjpouri…) et cf. « le joual cé-tu un créole ? »

Parmi les a-prioris qui faussent souvent la démarche :

•Rapprocher des langues d’abord parce qu’elles portent le
même nom (créoles) ! Mais qu’est-ce qu’un créole ?
•Oublier que les langues évoluent. Si les créoles se
ressemblaient beaucoup à l’origine quand la communication
était principalement lexicale et la base française encore très
perceptible, la structuration grammaticale progressive,
propre à chaque langue, rend de moins en moins possible
l’appartenance à un même type.
•On glisse vite de ressemblances formelles ou structurelles
à l’idée qu’il y a là trace d’une langue d’origine.

Comment certaines ressemblances superficielles
poussent à chercher s’il existe un « type créole ». Ex.
le verbe copule ; antéposition ou postposition
du déterminant.
Les premières études (1985-87) soulignent rapidement des
difficultés ; cf. S. Mufwene (de fait les ressemblances ne
sont-elles pas liées à la « parenté » ? cf. Meillet) :

« [Les créoles] se sont développés dans une situation de contact où
aucune langue ne pouvait être transmise intégralement d’une
génération ou d’un groupe de locuteurs à l’autre ; ils sont caractérisés
par une restructuration linguistique » (in Etudes créoles, vol. IX, n° 1,
1986, pp. 135-150 : « Les langues créoles peuvent-elles être définies
sans allusion à leur histoire ? »

Méditer sur Meillet :
« … La parenté n’implique aucune ressemblance
actuelle des langues considérées, ni surtout du
système général des langues considérées ; et
inversement il y a beaucoup de ressemblances, soit
de structure générale, soit de vocabulaire, qui
n’impliquent pas parenté. » (in Linguistique
historique et linguistique générale, 1982, p. 92

Par là Meillet sépare clairement parenté et type.

Un schéma pour expliquer les
développements des créoles dans
la Caraïbe : vers une nouvelle
définition des créoles ?





Des contacts entre populations déportées
Une histoire mouvementée et diverse
La nécessité de communiquer
Des rapports sociolinguistiques particuliers
(colonisation, esclavage)
• Des textes de différentes époques à interpréter

Français

Langues africaines

1ère rupture : du français au
créole

17001750…

Époque du
« créole »
1820…

Se dégagent
paradigmes
caractéristiques
de chaque
nouvelle langue

Cr. parlés par
les esclaves

Cr. parlé
par les
maîtres :
témoignages
écrits

2e rupture : du « créole » marqué par la
variation aux langues diverses

hai

Forces qui s’exercent sur le créole visible
(écrit) des colons : les esclaves, libérés, les
mulâtres, les engagés libres…arrivés
d’Afrique, de l’Inde… qui parlent un créole
(différent du créole des maîtres) se mettent
à écrire ou à influencer l’écrit).

gua

mar

 Dès lors qu’appelle-t-on « créole » ? Une
langue :
• quand la « créolisation » est en cours ?
• quand elle est achevée ?
Si on a des « créoles » à l’origine, on n’en a
plus après quelques siècles ! On a de « vraies
langues » (cf. Parkvall)

 NB : Des systèmes proches (quand ils étaient
élémentaires) se séparent de plus en plus.

Peut-on continuer à appeler « créoles » ces langues
indéfiniment ? N’a-t-on pas des systèmes originaux qui
constituent le guadeloupéen, le martiniquais, l’haïtien… ?
Dans ces conditions (démontrées par l’étude historique) ne
faudrait-il pas dire qu’au bout d’un certain temps historique
on n’aurait plus de « créoles » ?

« Créoles » pourrait par là maintenant désigner
certaines langues au moment de leur naissance, et
« créolisation » un certain type de « genèse » :
conditions de contacts de langues très diverses,
obligation de communiquer, domination de l’une des
langues sur les autres, transmission orale, etc.

Conclusions
• Intérêt de l’étude des « créoles » pour la
linguistique générale
• Pour une nouvelle définition des langues créoles: est-ce
que toutes les langues qui émergent dans des situations de
contacts, avec rupture de transmission, ne sont pas pour un
temps des « créoles » ? La créolisation serait un certain type
de genèse pour les langues… peut-être pas réservée aux
seuls langues appelées « créoles », mais pour autant à ne
pas transposer sur toutes les genèses.

• Tous les « créoles » historiques ne sont pas nés dans
les mêmes conditions – peut-être pas tous par
« créolisation » !
• Il est sans doute nécessaire de mieux caractériser le
temps de la genèse proprement dite (cf. notions de
pidgins, créoles…), puis l’évolution continuée de toute
langue…

• Quelles sont les types de genèses des langues? Sans
doute de nombreux types : en établir l’inventaire.
• Il s’agit bien sûr de « modèles » dont il faut évaluer la
fécondité.

 Urgence de travailler sur les langues
« émergentes » !!!

Pour m’écrire : [email protected]

Cours de linguistique créole :
http://creoles.free.fr/Cours


Slide 7

Qu’est-ce qu’une langue
créole ?
Marie-Christine Hazaël-Massieux
Université de Provence
[email protected]

Antilles

Océan Indien

Les principaux créoles français dans le
monde (ZAC puis OI)
• Louisiane










Haïti
Guadeloupe
La Dominique
Martinique
Sainte-Lucie
Guyane
Réunion
Maurice
Seychelles

4 000 000 habitants (mais peu de
créolophones)
7 000 000 habitants
422 496 habitants
100 000 habitants
381 441 habitants
150 000 habitants
157 277 habitants
707 758 habitants
1 100 000 habitants
70 000 habitants

1) Définition socio-historique
On appelle « créoles » des langues nées au
cours des siècles de la colonisation française
(européenne), dans le contact de langues
entre maîtres (de l’Ouest français, pratiquant un
français régional et populaire) et esclaves (le
plus souvent d’origine africaine) ; ces contacts
de langues étaient exclusivement oraux,
s’exerçaient hors de toute pression
normative, dans le contexte d’une domination
socio-culturelle des maîtres français.

Mais ces langues à l’origine ne s’appellent pas
créoles :
Exemple d’un texte : Moreau de Saint-Méry, 1797, Description typographique,
physique, civile, politique et hist. de la partie française de l’Isle St-Domingue

« J’ai à parler maintenant du langage qui sert à tous les nègres qui habitent la
colonie française de Saint-Domingue. C’est un français corrompu, auquel on a
mêlé plusieurs mots espagnols francisés, et où les termes marins ont aussi
trouvé leur place. On concevra aisément que ce langage, qui n’est qu’un vrai
jargon, est souvent inintelligible dans la bouche d’un vieil Africain, et qu’on le
parle d’autant mieux, qu’on l’a appris plus jeune. Ce jargon est extrêmement
mignard, et tel que l’inflexion fait la plus grande partie de l’expression. Il a aussi
son génie, (qu’on passe ce mot à un Créol qui croit ne le pas profaner), et un fait
très sûr, c’est qu’un Européen, quelque habitude qu’il en ait, quelque longue
qu’ait été sa résidence aux Isles, n’en possède jamais les finesses. »

Le terme « créole » < « criollo » désigne les populations
nées aux îles de parents venus d’ailleurs : cf. vaches
créoles, etc. Créoles, pour les populations humaines,
désigne les descendants des arrivants, qu’ils soient
blancs ou noirs.
Les premières attestations du terme de « créole » appliqué
aux langues (langues des Créoles) sont tardives : fin du
XVIIIe siècle, alors qu’on a des phrases en créole ou des
textes dans les premières décennies du XVIIIe siècle.

Toutes les langues que les créolistes appellent créoles, ne
s’appellent pas créoles : cf. le papiamento, le palenquero,
le tagalog, le sranan…

Aujourd’hui « créoles » est souvent synonyme
de « mélange de langues » (idée largement
répandue dans le grand public)
 idée qui entraîne d’ailleurs une certaine
dévalorisation : langues bâtardes ?
mais aussi idée qui peut-être nuisible à une plus
juste conception de leur développement ? – car
les créoles évoluent comme toutes les langues

2° Des exemples dans divers créoles
français
Les créoles, qui ont beaucoup évolué depuis leur origine,
sont des langues bien distinctes du français.
Ce qui caractérise les créoles, ce n’est pas tant le
lexique que la grammaire. Un exemple simple :

La bête la mangea
Ou pé ké manjé-moin
La bête la tua
Ou pé ké kué-moin

Dans les créoles on peut trouver des traces de leurs
origines multiples.
Mais ces recherches étymologiques, surtout significatives
pour le lexique (cf. Dictionnaire étymologique des créoles de
l’Océan Indien, par Annegret Bollée), risquent de faire
oublier qu’il s’agit de langues originales et nouvelles (peutêtre que beaucoup de langues sont nées ainsi (cf. les
langues romanes ???)
Noirs et blancs au cours des colonisations ont forgé de
nouvelles langues, qui ont leurs propres « systèmes »,
différents des langues d’origine : systèmes originaux et
complexes, avec leurs paradigmes, leurs modes de
structuration, leurs significations organisées différemment
des langues souches.

Un exemple : le verbe (comparaison des structures de
base guadeloupéen / haïtien)

Guadeloupe
Mwen ka manjé /
an ka manjé
Mwen manjé

Haïti
M’ap manjé

Mwen té manjé

M té manjé

Mwen ké manjé

M a manjé

M manjé

Mwen té ké manjé M t av manjé
Mwen té ka manjé M t ap manjé

Le
déterminant
défini en
gpéen,
mquais,
haïtien
Cela ne vient en
droite ligne de
rien !
Déstructuration /
restructuration ?
Et que dire de
la nouvelle
évolution du
créole haïtien :
tab-lan /
zwazo-lan /
fanm lan / pon
– lan ?

Gua

Tab-la

Mar

Tab-la

Haï

Tab-la

Zozyo-la Zozyo-(l)a

Zwazo-(l)a

Fanm-la Fanm-lan

Fanm-nan

Pon-la

Pon-(l)an

Pon-(l)an
Tè-ya
Fimen-yan

Pour comparer les pronoms dans les différents créoles
français :
http://creoles.free.fr/Cours/pronoms1.htm

Pour une petite découverte du créole martiniquais :

An grin té dri asou redout
I té an ba-y san parapli
Man té ni yonn volé an wout
E pétèt menm kay an zanmi

An ti kwen parapli
Pou an kwen paradi
Si an non té fèt pou-y
sé anj

Man vansé bò-y près a la kous
Pou mwen té ba-y tibwen labri
Chivé-y té ja bwè dlo kon mous
I pa fè pwèl sak pou-y di wi.

An ti kwen paradi
Pou an kwen parapli
Es ti ni pli bel chanj
jodi ?

3) Recherche d’une définition
typologique ?
Depuis quelques années, on s’efforce de voir s’il n’y a
pas un « type » créole : des traits toujours présents qui
caractériseraient les langues créoles quelles que soient
leurs bases : française, anglaise, portugaise…
…qui caractériseraient des langues, quelles que soient
leur date de naissance, le contexte de leur genèse… on
s’interroge sur l’existence de créoles africains (cf. le
kituba), sur des créoles naissant dans les grandes villes
africaines (le « français de Moussa » en Côte-d’Ivoire), de
« créoles » partout où il y a des contacts ou apprentissage
difficile (cf. le gullah : Black English), les véhiculaires (le
lingala, le bhodjpouri…) et cf. « le joual cé-tu un créole ? »

Parmi les a-prioris qui faussent souvent la démarche :

•Rapprocher des langues d’abord parce qu’elles portent le
même nom (créoles) ! Mais qu’est-ce qu’un créole ?
•Oublier que les langues évoluent. Si les créoles se
ressemblaient beaucoup à l’origine quand la communication
était principalement lexicale et la base française encore très
perceptible, la structuration grammaticale progressive,
propre à chaque langue, rend de moins en moins possible
l’appartenance à un même type.
•On glisse vite de ressemblances formelles ou structurelles
à l’idée qu’il y a là trace d’une langue d’origine.

Comment certaines ressemblances superficielles
poussent à chercher s’il existe un « type créole ». Ex.
le verbe copule ; antéposition ou postposition
du déterminant.
Les premières études (1985-87) soulignent rapidement des
difficultés ; cf. S. Mufwene (de fait les ressemblances ne
sont-elles pas liées à la « parenté » ? cf. Meillet) :

« [Les créoles] se sont développés dans une situation de contact où
aucune langue ne pouvait être transmise intégralement d’une
génération ou d’un groupe de locuteurs à l’autre ; ils sont caractérisés
par une restructuration linguistique » (in Etudes créoles, vol. IX, n° 1,
1986, pp. 135-150 : « Les langues créoles peuvent-elles être définies
sans allusion à leur histoire ? »

Méditer sur Meillet :
« … La parenté n’implique aucune ressemblance
actuelle des langues considérées, ni surtout du
système général des langues considérées ; et
inversement il y a beaucoup de ressemblances, soit
de structure générale, soit de vocabulaire, qui
n’impliquent pas parenté. » (in Linguistique
historique et linguistique générale, 1982, p. 92

Par là Meillet sépare clairement parenté et type.

Un schéma pour expliquer les
développements des créoles dans
la Caraïbe : vers une nouvelle
définition des créoles ?





Des contacts entre populations déportées
Une histoire mouvementée et diverse
La nécessité de communiquer
Des rapports sociolinguistiques particuliers
(colonisation, esclavage)
• Des textes de différentes époques à interpréter

Français

Langues africaines

1ère rupture : du français au
créole

17001750…

Époque du
« créole »
1820…

Se dégagent
paradigmes
caractéristiques
de chaque
nouvelle langue

Cr. parlés par
les esclaves

Cr. parlé
par les
maîtres :
témoignages
écrits

2e rupture : du « créole » marqué par la
variation aux langues diverses

hai

Forces qui s’exercent sur le créole visible
(écrit) des colons : les esclaves, libérés, les
mulâtres, les engagés libres…arrivés
d’Afrique, de l’Inde… qui parlent un créole
(différent du créole des maîtres) se mettent
à écrire ou à influencer l’écrit).

gua

mar

 Dès lors qu’appelle-t-on « créole » ? Une
langue :
• quand la « créolisation » est en cours ?
• quand elle est achevée ?
Si on a des « créoles » à l’origine, on n’en a
plus après quelques siècles ! On a de « vraies
langues » (cf. Parkvall)

 NB : Des systèmes proches (quand ils étaient
élémentaires) se séparent de plus en plus.

Peut-on continuer à appeler « créoles » ces langues
indéfiniment ? N’a-t-on pas des systèmes originaux qui
constituent le guadeloupéen, le martiniquais, l’haïtien… ?
Dans ces conditions (démontrées par l’étude historique) ne
faudrait-il pas dire qu’au bout d’un certain temps historique
on n’aurait plus de « créoles » ?

« Créoles » pourrait par là maintenant désigner
certaines langues au moment de leur naissance, et
« créolisation » un certain type de « genèse » :
conditions de contacts de langues très diverses,
obligation de communiquer, domination de l’une des
langues sur les autres, transmission orale, etc.

Conclusions
• Intérêt de l’étude des « créoles » pour la
linguistique générale
• Pour une nouvelle définition des langues créoles: est-ce
que toutes les langues qui émergent dans des situations de
contacts, avec rupture de transmission, ne sont pas pour un
temps des « créoles » ? La créolisation serait un certain type
de genèse pour les langues… peut-être pas réservée aux
seuls langues appelées « créoles », mais pour autant à ne
pas transposer sur toutes les genèses.

• Tous les « créoles » historiques ne sont pas nés dans
les mêmes conditions – peut-être pas tous par
« créolisation » !
• Il est sans doute nécessaire de mieux caractériser le
temps de la genèse proprement dite (cf. notions de
pidgins, créoles…), puis l’évolution continuée de toute
langue…

• Quelles sont les types de genèses des langues? Sans
doute de nombreux types : en établir l’inventaire.
• Il s’agit bien sûr de « modèles » dont il faut évaluer la
fécondité.

 Urgence de travailler sur les langues
« émergentes » !!!

Pour m’écrire : [email protected]

Cours de linguistique créole :
http://creoles.free.fr/Cours


Slide 8

Qu’est-ce qu’une langue
créole ?
Marie-Christine Hazaël-Massieux
Université de Provence
[email protected]

Antilles

Océan Indien

Les principaux créoles français dans le
monde (ZAC puis OI)
• Louisiane










Haïti
Guadeloupe
La Dominique
Martinique
Sainte-Lucie
Guyane
Réunion
Maurice
Seychelles

4 000 000 habitants (mais peu de
créolophones)
7 000 000 habitants
422 496 habitants
100 000 habitants
381 441 habitants
150 000 habitants
157 277 habitants
707 758 habitants
1 100 000 habitants
70 000 habitants

1) Définition socio-historique
On appelle « créoles » des langues nées au
cours des siècles de la colonisation française
(européenne), dans le contact de langues
entre maîtres (de l’Ouest français, pratiquant un
français régional et populaire) et esclaves (le
plus souvent d’origine africaine) ; ces contacts
de langues étaient exclusivement oraux,
s’exerçaient hors de toute pression
normative, dans le contexte d’une domination
socio-culturelle des maîtres français.

Mais ces langues à l’origine ne s’appellent pas
créoles :
Exemple d’un texte : Moreau de Saint-Méry, 1797, Description typographique,
physique, civile, politique et hist. de la partie française de l’Isle St-Domingue

« J’ai à parler maintenant du langage qui sert à tous les nègres qui habitent la
colonie française de Saint-Domingue. C’est un français corrompu, auquel on a
mêlé plusieurs mots espagnols francisés, et où les termes marins ont aussi
trouvé leur place. On concevra aisément que ce langage, qui n’est qu’un vrai
jargon, est souvent inintelligible dans la bouche d’un vieil Africain, et qu’on le
parle d’autant mieux, qu’on l’a appris plus jeune. Ce jargon est extrêmement
mignard, et tel que l’inflexion fait la plus grande partie de l’expression. Il a aussi
son génie, (qu’on passe ce mot à un Créol qui croit ne le pas profaner), et un fait
très sûr, c’est qu’un Européen, quelque habitude qu’il en ait, quelque longue
qu’ait été sa résidence aux Isles, n’en possède jamais les finesses. »

Le terme « créole » < « criollo » désigne les populations
nées aux îles de parents venus d’ailleurs : cf. vaches
créoles, etc. Créoles, pour les populations humaines,
désigne les descendants des arrivants, qu’ils soient
blancs ou noirs.
Les premières attestations du terme de « créole » appliqué
aux langues (langues des Créoles) sont tardives : fin du
XVIIIe siècle, alors qu’on a des phrases en créole ou des
textes dans les premières décennies du XVIIIe siècle.

Toutes les langues que les créolistes appellent créoles, ne
s’appellent pas créoles : cf. le papiamento, le palenquero,
le tagalog, le sranan…

Aujourd’hui « créoles » est souvent synonyme
de « mélange de langues » (idée largement
répandue dans le grand public)
 idée qui entraîne d’ailleurs une certaine
dévalorisation : langues bâtardes ?
mais aussi idée qui peut-être nuisible à une plus
juste conception de leur développement ? – car
les créoles évoluent comme toutes les langues

2° Des exemples dans divers créoles
français
Les créoles, qui ont beaucoup évolué depuis leur origine,
sont des langues bien distinctes du français.
Ce qui caractérise les créoles, ce n’est pas tant le
lexique que la grammaire. Un exemple simple :

La bête la mangea
Ou pé ké manjé-moin
La bête la tua
Ou pé ké kué-moin

Dans les créoles on peut trouver des traces de leurs
origines multiples.
Mais ces recherches étymologiques, surtout significatives
pour le lexique (cf. Dictionnaire étymologique des créoles de
l’Océan Indien, par Annegret Bollée), risquent de faire
oublier qu’il s’agit de langues originales et nouvelles (peutêtre que beaucoup de langues sont nées ainsi (cf. les
langues romanes ???)
Noirs et blancs au cours des colonisations ont forgé de
nouvelles langues, qui ont leurs propres « systèmes »,
différents des langues d’origine : systèmes originaux et
complexes, avec leurs paradigmes, leurs modes de
structuration, leurs significations organisées différemment
des langues souches.

Un exemple : le verbe (comparaison des structures de
base guadeloupéen / haïtien)

Guadeloupe
Mwen ka manjé /
an ka manjé
Mwen manjé

Haïti
M’ap manjé

Mwen té manjé

M té manjé

Mwen ké manjé

M a manjé

M manjé

Mwen té ké manjé M t av manjé
Mwen té ka manjé M t ap manjé

Le
déterminant
défini en
gpéen,
mquais,
haïtien
Cela ne vient en
droite ligne de
rien !
Déstructuration /
restructuration ?
Et que dire de
la nouvelle
évolution du
créole haïtien :
tab-lan /
zwazo-lan /
fanm lan / pon
– lan ?

Gua

Tab-la

Mar

Tab-la

Haï

Tab-la

Zozyo-la Zozyo-(l)a

Zwazo-(l)a

Fanm-la Fanm-lan

Fanm-nan

Pon-la

Pon-(l)an

Pon-(l)an
Tè-ya
Fimen-yan

Pour comparer les pronoms dans les différents créoles
français :
http://creoles.free.fr/Cours/pronoms1.htm

Pour une petite découverte du créole martiniquais :

An grin té dri asou redout
I té an ba-y san parapli
Man té ni yonn volé an wout
E pétèt menm kay an zanmi

An ti kwen parapli
Pou an kwen paradi
Si an non té fèt pou-y
sé anj

Man vansé bò-y près a la kous
Pou mwen té ba-y tibwen labri
Chivé-y té ja bwè dlo kon mous
I pa fè pwèl sak pou-y di wi.

An ti kwen paradi
Pou an kwen parapli
Es ti ni pli bel chanj
jodi ?

3) Recherche d’une définition
typologique ?
Depuis quelques années, on s’efforce de voir s’il n’y a
pas un « type » créole : des traits toujours présents qui
caractériseraient les langues créoles quelles que soient
leurs bases : française, anglaise, portugaise…
…qui caractériseraient des langues, quelles que soient
leur date de naissance, le contexte de leur genèse… on
s’interroge sur l’existence de créoles africains (cf. le
kituba), sur des créoles naissant dans les grandes villes
africaines (le « français de Moussa » en Côte-d’Ivoire), de
« créoles » partout où il y a des contacts ou apprentissage
difficile (cf. le gullah : Black English), les véhiculaires (le
lingala, le bhodjpouri…) et cf. « le joual cé-tu un créole ? »

Parmi les a-prioris qui faussent souvent la démarche :

•Rapprocher des langues d’abord parce qu’elles portent le
même nom (créoles) ! Mais qu’est-ce qu’un créole ?
•Oublier que les langues évoluent. Si les créoles se
ressemblaient beaucoup à l’origine quand la communication
était principalement lexicale et la base française encore très
perceptible, la structuration grammaticale progressive,
propre à chaque langue, rend de moins en moins possible
l’appartenance à un même type.
•On glisse vite de ressemblances formelles ou structurelles
à l’idée qu’il y a là trace d’une langue d’origine.

Comment certaines ressemblances superficielles
poussent à chercher s’il existe un « type créole ». Ex.
le verbe copule ; antéposition ou postposition
du déterminant.
Les premières études (1985-87) soulignent rapidement des
difficultés ; cf. S. Mufwene (de fait les ressemblances ne
sont-elles pas liées à la « parenté » ? cf. Meillet) :

« [Les créoles] se sont développés dans une situation de contact où
aucune langue ne pouvait être transmise intégralement d’une
génération ou d’un groupe de locuteurs à l’autre ; ils sont caractérisés
par une restructuration linguistique » (in Etudes créoles, vol. IX, n° 1,
1986, pp. 135-150 : « Les langues créoles peuvent-elles être définies
sans allusion à leur histoire ? »

Méditer sur Meillet :
« … La parenté n’implique aucune ressemblance
actuelle des langues considérées, ni surtout du
système général des langues considérées ; et
inversement il y a beaucoup de ressemblances, soit
de structure générale, soit de vocabulaire, qui
n’impliquent pas parenté. » (in Linguistique
historique et linguistique générale, 1982, p. 92

Par là Meillet sépare clairement parenté et type.

Un schéma pour expliquer les
développements des créoles dans
la Caraïbe : vers une nouvelle
définition des créoles ?





Des contacts entre populations déportées
Une histoire mouvementée et diverse
La nécessité de communiquer
Des rapports sociolinguistiques particuliers
(colonisation, esclavage)
• Des textes de différentes époques à interpréter

Français

Langues africaines

1ère rupture : du français au
créole

17001750…

Époque du
« créole »
1820…

Se dégagent
paradigmes
caractéristiques
de chaque
nouvelle langue

Cr. parlés par
les esclaves

Cr. parlé
par les
maîtres :
témoignages
écrits

2e rupture : du « créole » marqué par la
variation aux langues diverses

hai

Forces qui s’exercent sur le créole visible
(écrit) des colons : les esclaves, libérés, les
mulâtres, les engagés libres…arrivés
d’Afrique, de l’Inde… qui parlent un créole
(différent du créole des maîtres) se mettent
à écrire ou à influencer l’écrit).

gua

mar

 Dès lors qu’appelle-t-on « créole » ? Une
langue :
• quand la « créolisation » est en cours ?
• quand elle est achevée ?
Si on a des « créoles » à l’origine, on n’en a
plus après quelques siècles ! On a de « vraies
langues » (cf. Parkvall)

 NB : Des systèmes proches (quand ils étaient
élémentaires) se séparent de plus en plus.

Peut-on continuer à appeler « créoles » ces langues
indéfiniment ? N’a-t-on pas des systèmes originaux qui
constituent le guadeloupéen, le martiniquais, l’haïtien… ?
Dans ces conditions (démontrées par l’étude historique) ne
faudrait-il pas dire qu’au bout d’un certain temps historique
on n’aurait plus de « créoles » ?

« Créoles » pourrait par là maintenant désigner
certaines langues au moment de leur naissance, et
« créolisation » un certain type de « genèse » :
conditions de contacts de langues très diverses,
obligation de communiquer, domination de l’une des
langues sur les autres, transmission orale, etc.

Conclusions
• Intérêt de l’étude des « créoles » pour la
linguistique générale
• Pour une nouvelle définition des langues créoles: est-ce
que toutes les langues qui émergent dans des situations de
contacts, avec rupture de transmission, ne sont pas pour un
temps des « créoles » ? La créolisation serait un certain type
de genèse pour les langues… peut-être pas réservée aux
seuls langues appelées « créoles », mais pour autant à ne
pas transposer sur toutes les genèses.

• Tous les « créoles » historiques ne sont pas nés dans
les mêmes conditions – peut-être pas tous par
« créolisation » !
• Il est sans doute nécessaire de mieux caractériser le
temps de la genèse proprement dite (cf. notions de
pidgins, créoles…), puis l’évolution continuée de toute
langue…

• Quelles sont les types de genèses des langues? Sans
doute de nombreux types : en établir l’inventaire.
• Il s’agit bien sûr de « modèles » dont il faut évaluer la
fécondité.

 Urgence de travailler sur les langues
« émergentes » !!!

Pour m’écrire : [email protected]

Cours de linguistique créole :
http://creoles.free.fr/Cours


Slide 9

Qu’est-ce qu’une langue
créole ?
Marie-Christine Hazaël-Massieux
Université de Provence
[email protected]

Antilles

Océan Indien

Les principaux créoles français dans le
monde (ZAC puis OI)
• Louisiane










Haïti
Guadeloupe
La Dominique
Martinique
Sainte-Lucie
Guyane
Réunion
Maurice
Seychelles

4 000 000 habitants (mais peu de
créolophones)
7 000 000 habitants
422 496 habitants
100 000 habitants
381 441 habitants
150 000 habitants
157 277 habitants
707 758 habitants
1 100 000 habitants
70 000 habitants

1) Définition socio-historique
On appelle « créoles » des langues nées au
cours des siècles de la colonisation française
(européenne), dans le contact de langues
entre maîtres (de l’Ouest français, pratiquant un
français régional et populaire) et esclaves (le
plus souvent d’origine africaine) ; ces contacts
de langues étaient exclusivement oraux,
s’exerçaient hors de toute pression
normative, dans le contexte d’une domination
socio-culturelle des maîtres français.

Mais ces langues à l’origine ne s’appellent pas
créoles :
Exemple d’un texte : Moreau de Saint-Méry, 1797, Description typographique,
physique, civile, politique et hist. de la partie française de l’Isle St-Domingue

« J’ai à parler maintenant du langage qui sert à tous les nègres qui habitent la
colonie française de Saint-Domingue. C’est un français corrompu, auquel on a
mêlé plusieurs mots espagnols francisés, et où les termes marins ont aussi
trouvé leur place. On concevra aisément que ce langage, qui n’est qu’un vrai
jargon, est souvent inintelligible dans la bouche d’un vieil Africain, et qu’on le
parle d’autant mieux, qu’on l’a appris plus jeune. Ce jargon est extrêmement
mignard, et tel que l’inflexion fait la plus grande partie de l’expression. Il a aussi
son génie, (qu’on passe ce mot à un Créol qui croit ne le pas profaner), et un fait
très sûr, c’est qu’un Européen, quelque habitude qu’il en ait, quelque longue
qu’ait été sa résidence aux Isles, n’en possède jamais les finesses. »

Le terme « créole » < « criollo » désigne les populations
nées aux îles de parents venus d’ailleurs : cf. vaches
créoles, etc. Créoles, pour les populations humaines,
désigne les descendants des arrivants, qu’ils soient
blancs ou noirs.
Les premières attestations du terme de « créole » appliqué
aux langues (langues des Créoles) sont tardives : fin du
XVIIIe siècle, alors qu’on a des phrases en créole ou des
textes dans les premières décennies du XVIIIe siècle.

Toutes les langues que les créolistes appellent créoles, ne
s’appellent pas créoles : cf. le papiamento, le palenquero,
le tagalog, le sranan…

Aujourd’hui « créoles » est souvent synonyme
de « mélange de langues » (idée largement
répandue dans le grand public)
 idée qui entraîne d’ailleurs une certaine
dévalorisation : langues bâtardes ?
mais aussi idée qui peut-être nuisible à une plus
juste conception de leur développement ? – car
les créoles évoluent comme toutes les langues

2° Des exemples dans divers créoles
français
Les créoles, qui ont beaucoup évolué depuis leur origine,
sont des langues bien distinctes du français.
Ce qui caractérise les créoles, ce n’est pas tant le
lexique que la grammaire. Un exemple simple :

La bête la mangea
Ou pé ké manjé-moin
La bête la tua
Ou pé ké kué-moin

Dans les créoles on peut trouver des traces de leurs
origines multiples.
Mais ces recherches étymologiques, surtout significatives
pour le lexique (cf. Dictionnaire étymologique des créoles de
l’Océan Indien, par Annegret Bollée), risquent de faire
oublier qu’il s’agit de langues originales et nouvelles (peutêtre que beaucoup de langues sont nées ainsi (cf. les
langues romanes ???)
Noirs et blancs au cours des colonisations ont forgé de
nouvelles langues, qui ont leurs propres « systèmes »,
différents des langues d’origine : systèmes originaux et
complexes, avec leurs paradigmes, leurs modes de
structuration, leurs significations organisées différemment
des langues souches.

Un exemple : le verbe (comparaison des structures de
base guadeloupéen / haïtien)

Guadeloupe
Mwen ka manjé /
an ka manjé
Mwen manjé

Haïti
M’ap manjé

Mwen té manjé

M té manjé

Mwen ké manjé

M a manjé

M manjé

Mwen té ké manjé M t av manjé
Mwen té ka manjé M t ap manjé

Le
déterminant
défini en
gpéen,
mquais,
haïtien
Cela ne vient en
droite ligne de
rien !
Déstructuration /
restructuration ?
Et que dire de
la nouvelle
évolution du
créole haïtien :
tab-lan /
zwazo-lan /
fanm lan / pon
– lan ?

Gua

Tab-la

Mar

Tab-la

Haï

Tab-la

Zozyo-la Zozyo-(l)a

Zwazo-(l)a

Fanm-la Fanm-lan

Fanm-nan

Pon-la

Pon-(l)an

Pon-(l)an
Tè-ya
Fimen-yan

Pour comparer les pronoms dans les différents créoles
français :
http://creoles.free.fr/Cours/pronoms1.htm

Pour une petite découverte du créole martiniquais :

An grin té dri asou redout
I té an ba-y san parapli
Man té ni yonn volé an wout
E pétèt menm kay an zanmi

An ti kwen parapli
Pou an kwen paradi
Si an non té fèt pou-y
sé anj

Man vansé bò-y près a la kous
Pou mwen té ba-y tibwen labri
Chivé-y té ja bwè dlo kon mous
I pa fè pwèl sak pou-y di wi.

An ti kwen paradi
Pou an kwen parapli
Es ti ni pli bel chanj
jodi ?

3) Recherche d’une définition
typologique ?
Depuis quelques années, on s’efforce de voir s’il n’y a
pas un « type » créole : des traits toujours présents qui
caractériseraient les langues créoles quelles que soient
leurs bases : française, anglaise, portugaise…
…qui caractériseraient des langues, quelles que soient
leur date de naissance, le contexte de leur genèse… on
s’interroge sur l’existence de créoles africains (cf. le
kituba), sur des créoles naissant dans les grandes villes
africaines (le « français de Moussa » en Côte-d’Ivoire), de
« créoles » partout où il y a des contacts ou apprentissage
difficile (cf. le gullah : Black English), les véhiculaires (le
lingala, le bhodjpouri…) et cf. « le joual cé-tu un créole ? »

Parmi les a-prioris qui faussent souvent la démarche :

•Rapprocher des langues d’abord parce qu’elles portent le
même nom (créoles) ! Mais qu’est-ce qu’un créole ?
•Oublier que les langues évoluent. Si les créoles se
ressemblaient beaucoup à l’origine quand la communication
était principalement lexicale et la base française encore très
perceptible, la structuration grammaticale progressive,
propre à chaque langue, rend de moins en moins possible
l’appartenance à un même type.
•On glisse vite de ressemblances formelles ou structurelles
à l’idée qu’il y a là trace d’une langue d’origine.

Comment certaines ressemblances superficielles
poussent à chercher s’il existe un « type créole ». Ex.
le verbe copule ; antéposition ou postposition
du déterminant.
Les premières études (1985-87) soulignent rapidement des
difficultés ; cf. S. Mufwene (de fait les ressemblances ne
sont-elles pas liées à la « parenté » ? cf. Meillet) :

« [Les créoles] se sont développés dans une situation de contact où
aucune langue ne pouvait être transmise intégralement d’une
génération ou d’un groupe de locuteurs à l’autre ; ils sont caractérisés
par une restructuration linguistique » (in Etudes créoles, vol. IX, n° 1,
1986, pp. 135-150 : « Les langues créoles peuvent-elles être définies
sans allusion à leur histoire ? »

Méditer sur Meillet :
« … La parenté n’implique aucune ressemblance
actuelle des langues considérées, ni surtout du
système général des langues considérées ; et
inversement il y a beaucoup de ressemblances, soit
de structure générale, soit de vocabulaire, qui
n’impliquent pas parenté. » (in Linguistique
historique et linguistique générale, 1982, p. 92

Par là Meillet sépare clairement parenté et type.

Un schéma pour expliquer les
développements des créoles dans
la Caraïbe : vers une nouvelle
définition des créoles ?





Des contacts entre populations déportées
Une histoire mouvementée et diverse
La nécessité de communiquer
Des rapports sociolinguistiques particuliers
(colonisation, esclavage)
• Des textes de différentes époques à interpréter

Français

Langues africaines

1ère rupture : du français au
créole

17001750…

Époque du
« créole »
1820…

Se dégagent
paradigmes
caractéristiques
de chaque
nouvelle langue

Cr. parlés par
les esclaves

Cr. parlé
par les
maîtres :
témoignages
écrits

2e rupture : du « créole » marqué par la
variation aux langues diverses

hai

Forces qui s’exercent sur le créole visible
(écrit) des colons : les esclaves, libérés, les
mulâtres, les engagés libres…arrivés
d’Afrique, de l’Inde… qui parlent un créole
(différent du créole des maîtres) se mettent
à écrire ou à influencer l’écrit).

gua

mar

 Dès lors qu’appelle-t-on « créole » ? Une
langue :
• quand la « créolisation » est en cours ?
• quand elle est achevée ?
Si on a des « créoles » à l’origine, on n’en a
plus après quelques siècles ! On a de « vraies
langues » (cf. Parkvall)

 NB : Des systèmes proches (quand ils étaient
élémentaires) se séparent de plus en plus.

Peut-on continuer à appeler « créoles » ces langues
indéfiniment ? N’a-t-on pas des systèmes originaux qui
constituent le guadeloupéen, le martiniquais, l’haïtien… ?
Dans ces conditions (démontrées par l’étude historique) ne
faudrait-il pas dire qu’au bout d’un certain temps historique
on n’aurait plus de « créoles » ?

« Créoles » pourrait par là maintenant désigner
certaines langues au moment de leur naissance, et
« créolisation » un certain type de « genèse » :
conditions de contacts de langues très diverses,
obligation de communiquer, domination de l’une des
langues sur les autres, transmission orale, etc.

Conclusions
• Intérêt de l’étude des « créoles » pour la
linguistique générale
• Pour une nouvelle définition des langues créoles: est-ce
que toutes les langues qui émergent dans des situations de
contacts, avec rupture de transmission, ne sont pas pour un
temps des « créoles » ? La créolisation serait un certain type
de genèse pour les langues… peut-être pas réservée aux
seuls langues appelées « créoles », mais pour autant à ne
pas transposer sur toutes les genèses.

• Tous les « créoles » historiques ne sont pas nés dans
les mêmes conditions – peut-être pas tous par
« créolisation » !
• Il est sans doute nécessaire de mieux caractériser le
temps de la genèse proprement dite (cf. notions de
pidgins, créoles…), puis l’évolution continuée de toute
langue…

• Quelles sont les types de genèses des langues? Sans
doute de nombreux types : en établir l’inventaire.
• Il s’agit bien sûr de « modèles » dont il faut évaluer la
fécondité.

 Urgence de travailler sur les langues
« émergentes » !!!

Pour m’écrire : [email protected]

Cours de linguistique créole :
http://creoles.free.fr/Cours


Slide 10

Qu’est-ce qu’une langue
créole ?
Marie-Christine Hazaël-Massieux
Université de Provence
[email protected]

Antilles

Océan Indien

Les principaux créoles français dans le
monde (ZAC puis OI)
• Louisiane










Haïti
Guadeloupe
La Dominique
Martinique
Sainte-Lucie
Guyane
Réunion
Maurice
Seychelles

4 000 000 habitants (mais peu de
créolophones)
7 000 000 habitants
422 496 habitants
100 000 habitants
381 441 habitants
150 000 habitants
157 277 habitants
707 758 habitants
1 100 000 habitants
70 000 habitants

1) Définition socio-historique
On appelle « créoles » des langues nées au
cours des siècles de la colonisation française
(européenne), dans le contact de langues
entre maîtres (de l’Ouest français, pratiquant un
français régional et populaire) et esclaves (le
plus souvent d’origine africaine) ; ces contacts
de langues étaient exclusivement oraux,
s’exerçaient hors de toute pression
normative, dans le contexte d’une domination
socio-culturelle des maîtres français.

Mais ces langues à l’origine ne s’appellent pas
créoles :
Exemple d’un texte : Moreau de Saint-Méry, 1797, Description typographique,
physique, civile, politique et hist. de la partie française de l’Isle St-Domingue

« J’ai à parler maintenant du langage qui sert à tous les nègres qui habitent la
colonie française de Saint-Domingue. C’est un français corrompu, auquel on a
mêlé plusieurs mots espagnols francisés, et où les termes marins ont aussi
trouvé leur place. On concevra aisément que ce langage, qui n’est qu’un vrai
jargon, est souvent inintelligible dans la bouche d’un vieil Africain, et qu’on le
parle d’autant mieux, qu’on l’a appris plus jeune. Ce jargon est extrêmement
mignard, et tel que l’inflexion fait la plus grande partie de l’expression. Il a aussi
son génie, (qu’on passe ce mot à un Créol qui croit ne le pas profaner), et un fait
très sûr, c’est qu’un Européen, quelque habitude qu’il en ait, quelque longue
qu’ait été sa résidence aux Isles, n’en possède jamais les finesses. »

Le terme « créole » < « criollo » désigne les populations
nées aux îles de parents venus d’ailleurs : cf. vaches
créoles, etc. Créoles, pour les populations humaines,
désigne les descendants des arrivants, qu’ils soient
blancs ou noirs.
Les premières attestations du terme de « créole » appliqué
aux langues (langues des Créoles) sont tardives : fin du
XVIIIe siècle, alors qu’on a des phrases en créole ou des
textes dans les premières décennies du XVIIIe siècle.

Toutes les langues que les créolistes appellent créoles, ne
s’appellent pas créoles : cf. le papiamento, le palenquero,
le tagalog, le sranan…

Aujourd’hui « créoles » est souvent synonyme
de « mélange de langues » (idée largement
répandue dans le grand public)
 idée qui entraîne d’ailleurs une certaine
dévalorisation : langues bâtardes ?
mais aussi idée qui peut-être nuisible à une plus
juste conception de leur développement ? – car
les créoles évoluent comme toutes les langues

2° Des exemples dans divers créoles
français
Les créoles, qui ont beaucoup évolué depuis leur origine,
sont des langues bien distinctes du français.
Ce qui caractérise les créoles, ce n’est pas tant le
lexique que la grammaire. Un exemple simple :

La bête la mangea
Ou pé ké manjé-moin
La bête la tua
Ou pé ké kué-moin

Dans les créoles on peut trouver des traces de leurs
origines multiples.
Mais ces recherches étymologiques, surtout significatives
pour le lexique (cf. Dictionnaire étymologique des créoles de
l’Océan Indien, par Annegret Bollée), risquent de faire
oublier qu’il s’agit de langues originales et nouvelles (peutêtre que beaucoup de langues sont nées ainsi (cf. les
langues romanes ???)
Noirs et blancs au cours des colonisations ont forgé de
nouvelles langues, qui ont leurs propres « systèmes »,
différents des langues d’origine : systèmes originaux et
complexes, avec leurs paradigmes, leurs modes de
structuration, leurs significations organisées différemment
des langues souches.

Un exemple : le verbe (comparaison des structures de
base guadeloupéen / haïtien)

Guadeloupe
Mwen ka manjé /
an ka manjé
Mwen manjé

Haïti
M’ap manjé

Mwen té manjé

M té manjé

Mwen ké manjé

M a manjé

M manjé

Mwen té ké manjé M t av manjé
Mwen té ka manjé M t ap manjé

Le
déterminant
défini en
gpéen,
mquais,
haïtien
Cela ne vient en
droite ligne de
rien !
Déstructuration /
restructuration ?
Et que dire de
la nouvelle
évolution du
créole haïtien :
tab-lan /
zwazo-lan /
fanm lan / pon
– lan ?

Gua

Tab-la

Mar

Tab-la

Haï

Tab-la

Zozyo-la Zozyo-(l)a

Zwazo-(l)a

Fanm-la Fanm-lan

Fanm-nan

Pon-la

Pon-(l)an

Pon-(l)an
Tè-ya
Fimen-yan

Pour comparer les pronoms dans les différents créoles
français :
http://creoles.free.fr/Cours/pronoms1.htm

Pour une petite découverte du créole martiniquais :

An grin té dri asou redout
I té an ba-y san parapli
Man té ni yonn volé an wout
E pétèt menm kay an zanmi

An ti kwen parapli
Pou an kwen paradi
Si an non té fèt pou-y
sé anj

Man vansé bò-y près a la kous
Pou mwen té ba-y tibwen labri
Chivé-y té ja bwè dlo kon mous
I pa fè pwèl sak pou-y di wi.

An ti kwen paradi
Pou an kwen parapli
Es ti ni pli bel chanj
jodi ?

3) Recherche d’une définition
typologique ?
Depuis quelques années, on s’efforce de voir s’il n’y a
pas un « type » créole : des traits toujours présents qui
caractériseraient les langues créoles quelles que soient
leurs bases : française, anglaise, portugaise…
…qui caractériseraient des langues, quelles que soient
leur date de naissance, le contexte de leur genèse… on
s’interroge sur l’existence de créoles africains (cf. le
kituba), sur des créoles naissant dans les grandes villes
africaines (le « français de Moussa » en Côte-d’Ivoire), de
« créoles » partout où il y a des contacts ou apprentissage
difficile (cf. le gullah : Black English), les véhiculaires (le
lingala, le bhodjpouri…) et cf. « le joual cé-tu un créole ? »

Parmi les a-prioris qui faussent souvent la démarche :

•Rapprocher des langues d’abord parce qu’elles portent le
même nom (créoles) ! Mais qu’est-ce qu’un créole ?
•Oublier que les langues évoluent. Si les créoles se
ressemblaient beaucoup à l’origine quand la communication
était principalement lexicale et la base française encore très
perceptible, la structuration grammaticale progressive,
propre à chaque langue, rend de moins en moins possible
l’appartenance à un même type.
•On glisse vite de ressemblances formelles ou structurelles
à l’idée qu’il y a là trace d’une langue d’origine.

Comment certaines ressemblances superficielles
poussent à chercher s’il existe un « type créole ». Ex.
le verbe copule ; antéposition ou postposition
du déterminant.
Les premières études (1985-87) soulignent rapidement des
difficultés ; cf. S. Mufwene (de fait les ressemblances ne
sont-elles pas liées à la « parenté » ? cf. Meillet) :

« [Les créoles] se sont développés dans une situation de contact où
aucune langue ne pouvait être transmise intégralement d’une
génération ou d’un groupe de locuteurs à l’autre ; ils sont caractérisés
par une restructuration linguistique » (in Etudes créoles, vol. IX, n° 1,
1986, pp. 135-150 : « Les langues créoles peuvent-elles être définies
sans allusion à leur histoire ? »

Méditer sur Meillet :
« … La parenté n’implique aucune ressemblance
actuelle des langues considérées, ni surtout du
système général des langues considérées ; et
inversement il y a beaucoup de ressemblances, soit
de structure générale, soit de vocabulaire, qui
n’impliquent pas parenté. » (in Linguistique
historique et linguistique générale, 1982, p. 92

Par là Meillet sépare clairement parenté et type.

Un schéma pour expliquer les
développements des créoles dans
la Caraïbe : vers une nouvelle
définition des créoles ?





Des contacts entre populations déportées
Une histoire mouvementée et diverse
La nécessité de communiquer
Des rapports sociolinguistiques particuliers
(colonisation, esclavage)
• Des textes de différentes époques à interpréter

Français

Langues africaines

1ère rupture : du français au
créole

17001750…

Époque du
« créole »
1820…

Se dégagent
paradigmes
caractéristiques
de chaque
nouvelle langue

Cr. parlés par
les esclaves

Cr. parlé
par les
maîtres :
témoignages
écrits

2e rupture : du « créole » marqué par la
variation aux langues diverses

hai

Forces qui s’exercent sur le créole visible
(écrit) des colons : les esclaves, libérés, les
mulâtres, les engagés libres…arrivés
d’Afrique, de l’Inde… qui parlent un créole
(différent du créole des maîtres) se mettent
à écrire ou à influencer l’écrit).

gua

mar

 Dès lors qu’appelle-t-on « créole » ? Une
langue :
• quand la « créolisation » est en cours ?
• quand elle est achevée ?
Si on a des « créoles » à l’origine, on n’en a
plus après quelques siècles ! On a de « vraies
langues » (cf. Parkvall)

 NB : Des systèmes proches (quand ils étaient
élémentaires) se séparent de plus en plus.

Peut-on continuer à appeler « créoles » ces langues
indéfiniment ? N’a-t-on pas des systèmes originaux qui
constituent le guadeloupéen, le martiniquais, l’haïtien… ?
Dans ces conditions (démontrées par l’étude historique) ne
faudrait-il pas dire qu’au bout d’un certain temps historique
on n’aurait plus de « créoles » ?

« Créoles » pourrait par là maintenant désigner
certaines langues au moment de leur naissance, et
« créolisation » un certain type de « genèse » :
conditions de contacts de langues très diverses,
obligation de communiquer, domination de l’une des
langues sur les autres, transmission orale, etc.

Conclusions
• Intérêt de l’étude des « créoles » pour la
linguistique générale
• Pour une nouvelle définition des langues créoles: est-ce
que toutes les langues qui émergent dans des situations de
contacts, avec rupture de transmission, ne sont pas pour un
temps des « créoles » ? La créolisation serait un certain type
de genèse pour les langues… peut-être pas réservée aux
seuls langues appelées « créoles », mais pour autant à ne
pas transposer sur toutes les genèses.

• Tous les « créoles » historiques ne sont pas nés dans
les mêmes conditions – peut-être pas tous par
« créolisation » !
• Il est sans doute nécessaire de mieux caractériser le
temps de la genèse proprement dite (cf. notions de
pidgins, créoles…), puis l’évolution continuée de toute
langue…

• Quelles sont les types de genèses des langues? Sans
doute de nombreux types : en établir l’inventaire.
• Il s’agit bien sûr de « modèles » dont il faut évaluer la
fécondité.

 Urgence de travailler sur les langues
« émergentes » !!!

Pour m’écrire : [email protected]

Cours de linguistique créole :
http://creoles.free.fr/Cours


Slide 11

Qu’est-ce qu’une langue
créole ?
Marie-Christine Hazaël-Massieux
Université de Provence
[email protected]

Antilles

Océan Indien

Les principaux créoles français dans le
monde (ZAC puis OI)
• Louisiane










Haïti
Guadeloupe
La Dominique
Martinique
Sainte-Lucie
Guyane
Réunion
Maurice
Seychelles

4 000 000 habitants (mais peu de
créolophones)
7 000 000 habitants
422 496 habitants
100 000 habitants
381 441 habitants
150 000 habitants
157 277 habitants
707 758 habitants
1 100 000 habitants
70 000 habitants

1) Définition socio-historique
On appelle « créoles » des langues nées au
cours des siècles de la colonisation française
(européenne), dans le contact de langues
entre maîtres (de l’Ouest français, pratiquant un
français régional et populaire) et esclaves (le
plus souvent d’origine africaine) ; ces contacts
de langues étaient exclusivement oraux,
s’exerçaient hors de toute pression
normative, dans le contexte d’une domination
socio-culturelle des maîtres français.

Mais ces langues à l’origine ne s’appellent pas
créoles :
Exemple d’un texte : Moreau de Saint-Méry, 1797, Description typographique,
physique, civile, politique et hist. de la partie française de l’Isle St-Domingue

« J’ai à parler maintenant du langage qui sert à tous les nègres qui habitent la
colonie française de Saint-Domingue. C’est un français corrompu, auquel on a
mêlé plusieurs mots espagnols francisés, et où les termes marins ont aussi
trouvé leur place. On concevra aisément que ce langage, qui n’est qu’un vrai
jargon, est souvent inintelligible dans la bouche d’un vieil Africain, et qu’on le
parle d’autant mieux, qu’on l’a appris plus jeune. Ce jargon est extrêmement
mignard, et tel que l’inflexion fait la plus grande partie de l’expression. Il a aussi
son génie, (qu’on passe ce mot à un Créol qui croit ne le pas profaner), et un fait
très sûr, c’est qu’un Européen, quelque habitude qu’il en ait, quelque longue
qu’ait été sa résidence aux Isles, n’en possède jamais les finesses. »

Le terme « créole » < « criollo » désigne les populations
nées aux îles de parents venus d’ailleurs : cf. vaches
créoles, etc. Créoles, pour les populations humaines,
désigne les descendants des arrivants, qu’ils soient
blancs ou noirs.
Les premières attestations du terme de « créole » appliqué
aux langues (langues des Créoles) sont tardives : fin du
XVIIIe siècle, alors qu’on a des phrases en créole ou des
textes dans les premières décennies du XVIIIe siècle.

Toutes les langues que les créolistes appellent créoles, ne
s’appellent pas créoles : cf. le papiamento, le palenquero,
le tagalog, le sranan…

Aujourd’hui « créoles » est souvent synonyme
de « mélange de langues » (idée largement
répandue dans le grand public)
 idée qui entraîne d’ailleurs une certaine
dévalorisation : langues bâtardes ?
mais aussi idée qui peut-être nuisible à une plus
juste conception de leur développement ? – car
les créoles évoluent comme toutes les langues

2° Des exemples dans divers créoles
français
Les créoles, qui ont beaucoup évolué depuis leur origine,
sont des langues bien distinctes du français.
Ce qui caractérise les créoles, ce n’est pas tant le
lexique que la grammaire. Un exemple simple :

La bête la mangea
Ou pé ké manjé-moin
La bête la tua
Ou pé ké kué-moin

Dans les créoles on peut trouver des traces de leurs
origines multiples.
Mais ces recherches étymologiques, surtout significatives
pour le lexique (cf. Dictionnaire étymologique des créoles de
l’Océan Indien, par Annegret Bollée), risquent de faire
oublier qu’il s’agit de langues originales et nouvelles (peutêtre que beaucoup de langues sont nées ainsi (cf. les
langues romanes ???)
Noirs et blancs au cours des colonisations ont forgé de
nouvelles langues, qui ont leurs propres « systèmes »,
différents des langues d’origine : systèmes originaux et
complexes, avec leurs paradigmes, leurs modes de
structuration, leurs significations organisées différemment
des langues souches.

Un exemple : le verbe (comparaison des structures de
base guadeloupéen / haïtien)

Guadeloupe
Mwen ka manjé /
an ka manjé
Mwen manjé

Haïti
M’ap manjé

Mwen té manjé

M té manjé

Mwen ké manjé

M a manjé

M manjé

Mwen té ké manjé M t av manjé
Mwen té ka manjé M t ap manjé

Le
déterminant
défini en
gpéen,
mquais,
haïtien
Cela ne vient en
droite ligne de
rien !
Déstructuration /
restructuration ?
Et que dire de
la nouvelle
évolution du
créole haïtien :
tab-lan /
zwazo-lan /
fanm lan / pon
– lan ?

Gua

Tab-la

Mar

Tab-la

Haï

Tab-la

Zozyo-la Zozyo-(l)a

Zwazo-(l)a

Fanm-la Fanm-lan

Fanm-nan

Pon-la

Pon-(l)an

Pon-(l)an
Tè-ya
Fimen-yan

Pour comparer les pronoms dans les différents créoles
français :
http://creoles.free.fr/Cours/pronoms1.htm

Pour une petite découverte du créole martiniquais :

An grin té dri asou redout
I té an ba-y san parapli
Man té ni yonn volé an wout
E pétèt menm kay an zanmi

An ti kwen parapli
Pou an kwen paradi
Si an non té fèt pou-y
sé anj

Man vansé bò-y près a la kous
Pou mwen té ba-y tibwen labri
Chivé-y té ja bwè dlo kon mous
I pa fè pwèl sak pou-y di wi.

An ti kwen paradi
Pou an kwen parapli
Es ti ni pli bel chanj
jodi ?

3) Recherche d’une définition
typologique ?
Depuis quelques années, on s’efforce de voir s’il n’y a
pas un « type » créole : des traits toujours présents qui
caractériseraient les langues créoles quelles que soient
leurs bases : française, anglaise, portugaise…
…qui caractériseraient des langues, quelles que soient
leur date de naissance, le contexte de leur genèse… on
s’interroge sur l’existence de créoles africains (cf. le
kituba), sur des créoles naissant dans les grandes villes
africaines (le « français de Moussa » en Côte-d’Ivoire), de
« créoles » partout où il y a des contacts ou apprentissage
difficile (cf. le gullah : Black English), les véhiculaires (le
lingala, le bhodjpouri…) et cf. « le joual cé-tu un créole ? »

Parmi les a-prioris qui faussent souvent la démarche :

•Rapprocher des langues d’abord parce qu’elles portent le
même nom (créoles) ! Mais qu’est-ce qu’un créole ?
•Oublier que les langues évoluent. Si les créoles se
ressemblaient beaucoup à l’origine quand la communication
était principalement lexicale et la base française encore très
perceptible, la structuration grammaticale progressive,
propre à chaque langue, rend de moins en moins possible
l’appartenance à un même type.
•On glisse vite de ressemblances formelles ou structurelles
à l’idée qu’il y a là trace d’une langue d’origine.

Comment certaines ressemblances superficielles
poussent à chercher s’il existe un « type créole ». Ex.
le verbe copule ; antéposition ou postposition
du déterminant.
Les premières études (1985-87) soulignent rapidement des
difficultés ; cf. S. Mufwene (de fait les ressemblances ne
sont-elles pas liées à la « parenté » ? cf. Meillet) :

« [Les créoles] se sont développés dans une situation de contact où
aucune langue ne pouvait être transmise intégralement d’une
génération ou d’un groupe de locuteurs à l’autre ; ils sont caractérisés
par une restructuration linguistique » (in Etudes créoles, vol. IX, n° 1,
1986, pp. 135-150 : « Les langues créoles peuvent-elles être définies
sans allusion à leur histoire ? »

Méditer sur Meillet :
« … La parenté n’implique aucune ressemblance
actuelle des langues considérées, ni surtout du
système général des langues considérées ; et
inversement il y a beaucoup de ressemblances, soit
de structure générale, soit de vocabulaire, qui
n’impliquent pas parenté. » (in Linguistique
historique et linguistique générale, 1982, p. 92

Par là Meillet sépare clairement parenté et type.

Un schéma pour expliquer les
développements des créoles dans
la Caraïbe : vers une nouvelle
définition des créoles ?





Des contacts entre populations déportées
Une histoire mouvementée et diverse
La nécessité de communiquer
Des rapports sociolinguistiques particuliers
(colonisation, esclavage)
• Des textes de différentes époques à interpréter

Français

Langues africaines

1ère rupture : du français au
créole

17001750…

Époque du
« créole »
1820…

Se dégagent
paradigmes
caractéristiques
de chaque
nouvelle langue

Cr. parlés par
les esclaves

Cr. parlé
par les
maîtres :
témoignages
écrits

2e rupture : du « créole » marqué par la
variation aux langues diverses

hai

Forces qui s’exercent sur le créole visible
(écrit) des colons : les esclaves, libérés, les
mulâtres, les engagés libres…arrivés
d’Afrique, de l’Inde… qui parlent un créole
(différent du créole des maîtres) se mettent
à écrire ou à influencer l’écrit).

gua

mar

 Dès lors qu’appelle-t-on « créole » ? Une
langue :
• quand la « créolisation » est en cours ?
• quand elle est achevée ?
Si on a des « créoles » à l’origine, on n’en a
plus après quelques siècles ! On a de « vraies
langues » (cf. Parkvall)

 NB : Des systèmes proches (quand ils étaient
élémentaires) se séparent de plus en plus.

Peut-on continuer à appeler « créoles » ces langues
indéfiniment ? N’a-t-on pas des systèmes originaux qui
constituent le guadeloupéen, le martiniquais, l’haïtien… ?
Dans ces conditions (démontrées par l’étude historique) ne
faudrait-il pas dire qu’au bout d’un certain temps historique
on n’aurait plus de « créoles » ?

« Créoles » pourrait par là maintenant désigner
certaines langues au moment de leur naissance, et
« créolisation » un certain type de « genèse » :
conditions de contacts de langues très diverses,
obligation de communiquer, domination de l’une des
langues sur les autres, transmission orale, etc.

Conclusions
• Intérêt de l’étude des « créoles » pour la
linguistique générale
• Pour une nouvelle définition des langues créoles: est-ce
que toutes les langues qui émergent dans des situations de
contacts, avec rupture de transmission, ne sont pas pour un
temps des « créoles » ? La créolisation serait un certain type
de genèse pour les langues… peut-être pas réservée aux
seuls langues appelées « créoles », mais pour autant à ne
pas transposer sur toutes les genèses.

• Tous les « créoles » historiques ne sont pas nés dans
les mêmes conditions – peut-être pas tous par
« créolisation » !
• Il est sans doute nécessaire de mieux caractériser le
temps de la genèse proprement dite (cf. notions de
pidgins, créoles…), puis l’évolution continuée de toute
langue…

• Quelles sont les types de genèses des langues? Sans
doute de nombreux types : en établir l’inventaire.
• Il s’agit bien sûr de « modèles » dont il faut évaluer la
fécondité.

 Urgence de travailler sur les langues
« émergentes » !!!

Pour m’écrire : [email protected]

Cours de linguistique créole :
http://creoles.free.fr/Cours


Slide 12

Qu’est-ce qu’une langue
créole ?
Marie-Christine Hazaël-Massieux
Université de Provence
[email protected]

Antilles

Océan Indien

Les principaux créoles français dans le
monde (ZAC puis OI)
• Louisiane










Haïti
Guadeloupe
La Dominique
Martinique
Sainte-Lucie
Guyane
Réunion
Maurice
Seychelles

4 000 000 habitants (mais peu de
créolophones)
7 000 000 habitants
422 496 habitants
100 000 habitants
381 441 habitants
150 000 habitants
157 277 habitants
707 758 habitants
1 100 000 habitants
70 000 habitants

1) Définition socio-historique
On appelle « créoles » des langues nées au
cours des siècles de la colonisation française
(européenne), dans le contact de langues
entre maîtres (de l’Ouest français, pratiquant un
français régional et populaire) et esclaves (le
plus souvent d’origine africaine) ; ces contacts
de langues étaient exclusivement oraux,
s’exerçaient hors de toute pression
normative, dans le contexte d’une domination
socio-culturelle des maîtres français.

Mais ces langues à l’origine ne s’appellent pas
créoles :
Exemple d’un texte : Moreau de Saint-Méry, 1797, Description typographique,
physique, civile, politique et hist. de la partie française de l’Isle St-Domingue

« J’ai à parler maintenant du langage qui sert à tous les nègres qui habitent la
colonie française de Saint-Domingue. C’est un français corrompu, auquel on a
mêlé plusieurs mots espagnols francisés, et où les termes marins ont aussi
trouvé leur place. On concevra aisément que ce langage, qui n’est qu’un vrai
jargon, est souvent inintelligible dans la bouche d’un vieil Africain, et qu’on le
parle d’autant mieux, qu’on l’a appris plus jeune. Ce jargon est extrêmement
mignard, et tel que l’inflexion fait la plus grande partie de l’expression. Il a aussi
son génie, (qu’on passe ce mot à un Créol qui croit ne le pas profaner), et un fait
très sûr, c’est qu’un Européen, quelque habitude qu’il en ait, quelque longue
qu’ait été sa résidence aux Isles, n’en possède jamais les finesses. »

Le terme « créole » < « criollo » désigne les populations
nées aux îles de parents venus d’ailleurs : cf. vaches
créoles, etc. Créoles, pour les populations humaines,
désigne les descendants des arrivants, qu’ils soient
blancs ou noirs.
Les premières attestations du terme de « créole » appliqué
aux langues (langues des Créoles) sont tardives : fin du
XVIIIe siècle, alors qu’on a des phrases en créole ou des
textes dans les premières décennies du XVIIIe siècle.

Toutes les langues que les créolistes appellent créoles, ne
s’appellent pas créoles : cf. le papiamento, le palenquero,
le tagalog, le sranan…

Aujourd’hui « créoles » est souvent synonyme
de « mélange de langues » (idée largement
répandue dans le grand public)
 idée qui entraîne d’ailleurs une certaine
dévalorisation : langues bâtardes ?
mais aussi idée qui peut-être nuisible à une plus
juste conception de leur développement ? – car
les créoles évoluent comme toutes les langues

2° Des exemples dans divers créoles
français
Les créoles, qui ont beaucoup évolué depuis leur origine,
sont des langues bien distinctes du français.
Ce qui caractérise les créoles, ce n’est pas tant le
lexique que la grammaire. Un exemple simple :

La bête la mangea
Ou pé ké manjé-moin
La bête la tua
Ou pé ké kué-moin

Dans les créoles on peut trouver des traces de leurs
origines multiples.
Mais ces recherches étymologiques, surtout significatives
pour le lexique (cf. Dictionnaire étymologique des créoles de
l’Océan Indien, par Annegret Bollée), risquent de faire
oublier qu’il s’agit de langues originales et nouvelles (peutêtre que beaucoup de langues sont nées ainsi (cf. les
langues romanes ???)
Noirs et blancs au cours des colonisations ont forgé de
nouvelles langues, qui ont leurs propres « systèmes »,
différents des langues d’origine : systèmes originaux et
complexes, avec leurs paradigmes, leurs modes de
structuration, leurs significations organisées différemment
des langues souches.

Un exemple : le verbe (comparaison des structures de
base guadeloupéen / haïtien)

Guadeloupe
Mwen ka manjé /
an ka manjé
Mwen manjé

Haïti
M’ap manjé

Mwen té manjé

M té manjé

Mwen ké manjé

M a manjé

M manjé

Mwen té ké manjé M t av manjé
Mwen té ka manjé M t ap manjé

Le
déterminant
défini en
gpéen,
mquais,
haïtien
Cela ne vient en
droite ligne de
rien !
Déstructuration /
restructuration ?
Et que dire de
la nouvelle
évolution du
créole haïtien :
tab-lan /
zwazo-lan /
fanm lan / pon
– lan ?

Gua

Tab-la

Mar

Tab-la

Haï

Tab-la

Zozyo-la Zozyo-(l)a

Zwazo-(l)a

Fanm-la Fanm-lan

Fanm-nan

Pon-la

Pon-(l)an

Pon-(l)an
Tè-ya
Fimen-yan

Pour comparer les pronoms dans les différents créoles
français :
http://creoles.free.fr/Cours/pronoms1.htm

Pour une petite découverte du créole martiniquais :

An grin té dri asou redout
I té an ba-y san parapli
Man té ni yonn volé an wout
E pétèt menm kay an zanmi

An ti kwen parapli
Pou an kwen paradi
Si an non té fèt pou-y
sé anj

Man vansé bò-y près a la kous
Pou mwen té ba-y tibwen labri
Chivé-y té ja bwè dlo kon mous
I pa fè pwèl sak pou-y di wi.

An ti kwen paradi
Pou an kwen parapli
Es ti ni pli bel chanj
jodi ?

3) Recherche d’une définition
typologique ?
Depuis quelques années, on s’efforce de voir s’il n’y a
pas un « type » créole : des traits toujours présents qui
caractériseraient les langues créoles quelles que soient
leurs bases : française, anglaise, portugaise…
…qui caractériseraient des langues, quelles que soient
leur date de naissance, le contexte de leur genèse… on
s’interroge sur l’existence de créoles africains (cf. le
kituba), sur des créoles naissant dans les grandes villes
africaines (le « français de Moussa » en Côte-d’Ivoire), de
« créoles » partout où il y a des contacts ou apprentissage
difficile (cf. le gullah : Black English), les véhiculaires (le
lingala, le bhodjpouri…) et cf. « le joual cé-tu un créole ? »

Parmi les a-prioris qui faussent souvent la démarche :

•Rapprocher des langues d’abord parce qu’elles portent le
même nom (créoles) ! Mais qu’est-ce qu’un créole ?
•Oublier que les langues évoluent. Si les créoles se
ressemblaient beaucoup à l’origine quand la communication
était principalement lexicale et la base française encore très
perceptible, la structuration grammaticale progressive,
propre à chaque langue, rend de moins en moins possible
l’appartenance à un même type.
•On glisse vite de ressemblances formelles ou structurelles
à l’idée qu’il y a là trace d’une langue d’origine.

Comment certaines ressemblances superficielles
poussent à chercher s’il existe un « type créole ». Ex.
le verbe copule ; antéposition ou postposition
du déterminant.
Les premières études (1985-87) soulignent rapidement des
difficultés ; cf. S. Mufwene (de fait les ressemblances ne
sont-elles pas liées à la « parenté » ? cf. Meillet) :

« [Les créoles] se sont développés dans une situation de contact où
aucune langue ne pouvait être transmise intégralement d’une
génération ou d’un groupe de locuteurs à l’autre ; ils sont caractérisés
par une restructuration linguistique » (in Etudes créoles, vol. IX, n° 1,
1986, pp. 135-150 : « Les langues créoles peuvent-elles être définies
sans allusion à leur histoire ? »

Méditer sur Meillet :
« … La parenté n’implique aucune ressemblance
actuelle des langues considérées, ni surtout du
système général des langues considérées ; et
inversement il y a beaucoup de ressemblances, soit
de structure générale, soit de vocabulaire, qui
n’impliquent pas parenté. » (in Linguistique
historique et linguistique générale, 1982, p. 92

Par là Meillet sépare clairement parenté et type.

Un schéma pour expliquer les
développements des créoles dans
la Caraïbe : vers une nouvelle
définition des créoles ?





Des contacts entre populations déportées
Une histoire mouvementée et diverse
La nécessité de communiquer
Des rapports sociolinguistiques particuliers
(colonisation, esclavage)
• Des textes de différentes époques à interpréter

Français

Langues africaines

1ère rupture : du français au
créole

17001750…

Époque du
« créole »
1820…

Se dégagent
paradigmes
caractéristiques
de chaque
nouvelle langue

Cr. parlés par
les esclaves

Cr. parlé
par les
maîtres :
témoignages
écrits

2e rupture : du « créole » marqué par la
variation aux langues diverses

hai

Forces qui s’exercent sur le créole visible
(écrit) des colons : les esclaves, libérés, les
mulâtres, les engagés libres…arrivés
d’Afrique, de l’Inde… qui parlent un créole
(différent du créole des maîtres) se mettent
à écrire ou à influencer l’écrit).

gua

mar

 Dès lors qu’appelle-t-on « créole » ? Une
langue :
• quand la « créolisation » est en cours ?
• quand elle est achevée ?
Si on a des « créoles » à l’origine, on n’en a
plus après quelques siècles ! On a de « vraies
langues » (cf. Parkvall)

 NB : Des systèmes proches (quand ils étaient
élémentaires) se séparent de plus en plus.

Peut-on continuer à appeler « créoles » ces langues
indéfiniment ? N’a-t-on pas des systèmes originaux qui
constituent le guadeloupéen, le martiniquais, l’haïtien… ?
Dans ces conditions (démontrées par l’étude historique) ne
faudrait-il pas dire qu’au bout d’un certain temps historique
on n’aurait plus de « créoles » ?

« Créoles » pourrait par là maintenant désigner
certaines langues au moment de leur naissance, et
« créolisation » un certain type de « genèse » :
conditions de contacts de langues très diverses,
obligation de communiquer, domination de l’une des
langues sur les autres, transmission orale, etc.

Conclusions
• Intérêt de l’étude des « créoles » pour la
linguistique générale
• Pour une nouvelle définition des langues créoles: est-ce
que toutes les langues qui émergent dans des situations de
contacts, avec rupture de transmission, ne sont pas pour un
temps des « créoles » ? La créolisation serait un certain type
de genèse pour les langues… peut-être pas réservée aux
seuls langues appelées « créoles », mais pour autant à ne
pas transposer sur toutes les genèses.

• Tous les « créoles » historiques ne sont pas nés dans
les mêmes conditions – peut-être pas tous par
« créolisation » !
• Il est sans doute nécessaire de mieux caractériser le
temps de la genèse proprement dite (cf. notions de
pidgins, créoles…), puis l’évolution continuée de toute
langue…

• Quelles sont les types de genèses des langues? Sans
doute de nombreux types : en établir l’inventaire.
• Il s’agit bien sûr de « modèles » dont il faut évaluer la
fécondité.

 Urgence de travailler sur les langues
« émergentes » !!!

Pour m’écrire : [email protected]

Cours de linguistique créole :
http://creoles.free.fr/Cours


Slide 13

Qu’est-ce qu’une langue
créole ?
Marie-Christine Hazaël-Massieux
Université de Provence
[email protected]

Antilles

Océan Indien

Les principaux créoles français dans le
monde (ZAC puis OI)
• Louisiane










Haïti
Guadeloupe
La Dominique
Martinique
Sainte-Lucie
Guyane
Réunion
Maurice
Seychelles

4 000 000 habitants (mais peu de
créolophones)
7 000 000 habitants
422 496 habitants
100 000 habitants
381 441 habitants
150 000 habitants
157 277 habitants
707 758 habitants
1 100 000 habitants
70 000 habitants

1) Définition socio-historique
On appelle « créoles » des langues nées au
cours des siècles de la colonisation française
(européenne), dans le contact de langues
entre maîtres (de l’Ouest français, pratiquant un
français régional et populaire) et esclaves (le
plus souvent d’origine africaine) ; ces contacts
de langues étaient exclusivement oraux,
s’exerçaient hors de toute pression
normative, dans le contexte d’une domination
socio-culturelle des maîtres français.

Mais ces langues à l’origine ne s’appellent pas
créoles :
Exemple d’un texte : Moreau de Saint-Méry, 1797, Description typographique,
physique, civile, politique et hist. de la partie française de l’Isle St-Domingue

« J’ai à parler maintenant du langage qui sert à tous les nègres qui habitent la
colonie française de Saint-Domingue. C’est un français corrompu, auquel on a
mêlé plusieurs mots espagnols francisés, et où les termes marins ont aussi
trouvé leur place. On concevra aisément que ce langage, qui n’est qu’un vrai
jargon, est souvent inintelligible dans la bouche d’un vieil Africain, et qu’on le
parle d’autant mieux, qu’on l’a appris plus jeune. Ce jargon est extrêmement
mignard, et tel que l’inflexion fait la plus grande partie de l’expression. Il a aussi
son génie, (qu’on passe ce mot à un Créol qui croit ne le pas profaner), et un fait
très sûr, c’est qu’un Européen, quelque habitude qu’il en ait, quelque longue
qu’ait été sa résidence aux Isles, n’en possède jamais les finesses. »

Le terme « créole » < « criollo » désigne les populations
nées aux îles de parents venus d’ailleurs : cf. vaches
créoles, etc. Créoles, pour les populations humaines,
désigne les descendants des arrivants, qu’ils soient
blancs ou noirs.
Les premières attestations du terme de « créole » appliqué
aux langues (langues des Créoles) sont tardives : fin du
XVIIIe siècle, alors qu’on a des phrases en créole ou des
textes dans les premières décennies du XVIIIe siècle.

Toutes les langues que les créolistes appellent créoles, ne
s’appellent pas créoles : cf. le papiamento, le palenquero,
le tagalog, le sranan…

Aujourd’hui « créoles » est souvent synonyme
de « mélange de langues » (idée largement
répandue dans le grand public)
 idée qui entraîne d’ailleurs une certaine
dévalorisation : langues bâtardes ?
mais aussi idée qui peut-être nuisible à une plus
juste conception de leur développement ? – car
les créoles évoluent comme toutes les langues

2° Des exemples dans divers créoles
français
Les créoles, qui ont beaucoup évolué depuis leur origine,
sont des langues bien distinctes du français.
Ce qui caractérise les créoles, ce n’est pas tant le
lexique que la grammaire. Un exemple simple :

La bête la mangea
Ou pé ké manjé-moin
La bête la tua
Ou pé ké kué-moin

Dans les créoles on peut trouver des traces de leurs
origines multiples.
Mais ces recherches étymologiques, surtout significatives
pour le lexique (cf. Dictionnaire étymologique des créoles de
l’Océan Indien, par Annegret Bollée), risquent de faire
oublier qu’il s’agit de langues originales et nouvelles (peutêtre que beaucoup de langues sont nées ainsi (cf. les
langues romanes ???)
Noirs et blancs au cours des colonisations ont forgé de
nouvelles langues, qui ont leurs propres « systèmes »,
différents des langues d’origine : systèmes originaux et
complexes, avec leurs paradigmes, leurs modes de
structuration, leurs significations organisées différemment
des langues souches.

Un exemple : le verbe (comparaison des structures de
base guadeloupéen / haïtien)

Guadeloupe
Mwen ka manjé /
an ka manjé
Mwen manjé

Haïti
M’ap manjé

Mwen té manjé

M té manjé

Mwen ké manjé

M a manjé

M manjé

Mwen té ké manjé M t av manjé
Mwen té ka manjé M t ap manjé

Le
déterminant
défini en
gpéen,
mquais,
haïtien
Cela ne vient en
droite ligne de
rien !
Déstructuration /
restructuration ?
Et que dire de
la nouvelle
évolution du
créole haïtien :
tab-lan /
zwazo-lan /
fanm lan / pon
– lan ?

Gua

Tab-la

Mar

Tab-la

Haï

Tab-la

Zozyo-la Zozyo-(l)a

Zwazo-(l)a

Fanm-la Fanm-lan

Fanm-nan

Pon-la

Pon-(l)an

Pon-(l)an
Tè-ya
Fimen-yan

Pour comparer les pronoms dans les différents créoles
français :
http://creoles.free.fr/Cours/pronoms1.htm

Pour une petite découverte du créole martiniquais :

An grin té dri asou redout
I té an ba-y san parapli
Man té ni yonn volé an wout
E pétèt menm kay an zanmi

An ti kwen parapli
Pou an kwen paradi
Si an non té fèt pou-y
sé anj

Man vansé bò-y près a la kous
Pou mwen té ba-y tibwen labri
Chivé-y té ja bwè dlo kon mous
I pa fè pwèl sak pou-y di wi.

An ti kwen paradi
Pou an kwen parapli
Es ti ni pli bel chanj
jodi ?

3) Recherche d’une définition
typologique ?
Depuis quelques années, on s’efforce de voir s’il n’y a
pas un « type » créole : des traits toujours présents qui
caractériseraient les langues créoles quelles que soient
leurs bases : française, anglaise, portugaise…
…qui caractériseraient des langues, quelles que soient
leur date de naissance, le contexte de leur genèse… on
s’interroge sur l’existence de créoles africains (cf. le
kituba), sur des créoles naissant dans les grandes villes
africaines (le « français de Moussa » en Côte-d’Ivoire), de
« créoles » partout où il y a des contacts ou apprentissage
difficile (cf. le gullah : Black English), les véhiculaires (le
lingala, le bhodjpouri…) et cf. « le joual cé-tu un créole ? »

Parmi les a-prioris qui faussent souvent la démarche :

•Rapprocher des langues d’abord parce qu’elles portent le
même nom (créoles) ! Mais qu’est-ce qu’un créole ?
•Oublier que les langues évoluent. Si les créoles se
ressemblaient beaucoup à l’origine quand la communication
était principalement lexicale et la base française encore très
perceptible, la structuration grammaticale progressive,
propre à chaque langue, rend de moins en moins possible
l’appartenance à un même type.
•On glisse vite de ressemblances formelles ou structurelles
à l’idée qu’il y a là trace d’une langue d’origine.

Comment certaines ressemblances superficielles
poussent à chercher s’il existe un « type créole ». Ex.
le verbe copule ; antéposition ou postposition
du déterminant.
Les premières études (1985-87) soulignent rapidement des
difficultés ; cf. S. Mufwene (de fait les ressemblances ne
sont-elles pas liées à la « parenté » ? cf. Meillet) :

« [Les créoles] se sont développés dans une situation de contact où
aucune langue ne pouvait être transmise intégralement d’une
génération ou d’un groupe de locuteurs à l’autre ; ils sont caractérisés
par une restructuration linguistique » (in Etudes créoles, vol. IX, n° 1,
1986, pp. 135-150 : « Les langues créoles peuvent-elles être définies
sans allusion à leur histoire ? »

Méditer sur Meillet :
« … La parenté n’implique aucune ressemblance
actuelle des langues considérées, ni surtout du
système général des langues considérées ; et
inversement il y a beaucoup de ressemblances, soit
de structure générale, soit de vocabulaire, qui
n’impliquent pas parenté. » (in Linguistique
historique et linguistique générale, 1982, p. 92

Par là Meillet sépare clairement parenté et type.

Un schéma pour expliquer les
développements des créoles dans
la Caraïbe : vers une nouvelle
définition des créoles ?





Des contacts entre populations déportées
Une histoire mouvementée et diverse
La nécessité de communiquer
Des rapports sociolinguistiques particuliers
(colonisation, esclavage)
• Des textes de différentes époques à interpréter

Français

Langues africaines

1ère rupture : du français au
créole

17001750…

Époque du
« créole »
1820…

Se dégagent
paradigmes
caractéristiques
de chaque
nouvelle langue

Cr. parlés par
les esclaves

Cr. parlé
par les
maîtres :
témoignages
écrits

2e rupture : du « créole » marqué par la
variation aux langues diverses

hai

Forces qui s’exercent sur le créole visible
(écrit) des colons : les esclaves, libérés, les
mulâtres, les engagés libres…arrivés
d’Afrique, de l’Inde… qui parlent un créole
(différent du créole des maîtres) se mettent
à écrire ou à influencer l’écrit).

gua

mar

 Dès lors qu’appelle-t-on « créole » ? Une
langue :
• quand la « créolisation » est en cours ?
• quand elle est achevée ?
Si on a des « créoles » à l’origine, on n’en a
plus après quelques siècles ! On a de « vraies
langues » (cf. Parkvall)

 NB : Des systèmes proches (quand ils étaient
élémentaires) se séparent de plus en plus.

Peut-on continuer à appeler « créoles » ces langues
indéfiniment ? N’a-t-on pas des systèmes originaux qui
constituent le guadeloupéen, le martiniquais, l’haïtien… ?
Dans ces conditions (démontrées par l’étude historique) ne
faudrait-il pas dire qu’au bout d’un certain temps historique
on n’aurait plus de « créoles » ?

« Créoles » pourrait par là maintenant désigner
certaines langues au moment de leur naissance, et
« créolisation » un certain type de « genèse » :
conditions de contacts de langues très diverses,
obligation de communiquer, domination de l’une des
langues sur les autres, transmission orale, etc.

Conclusions
• Intérêt de l’étude des « créoles » pour la
linguistique générale
• Pour une nouvelle définition des langues créoles: est-ce
que toutes les langues qui émergent dans des situations de
contacts, avec rupture de transmission, ne sont pas pour un
temps des « créoles » ? La créolisation serait un certain type
de genèse pour les langues… peut-être pas réservée aux
seuls langues appelées « créoles », mais pour autant à ne
pas transposer sur toutes les genèses.

• Tous les « créoles » historiques ne sont pas nés dans
les mêmes conditions – peut-être pas tous par
« créolisation » !
• Il est sans doute nécessaire de mieux caractériser le
temps de la genèse proprement dite (cf. notions de
pidgins, créoles…), puis l’évolution continuée de toute
langue…

• Quelles sont les types de genèses des langues? Sans
doute de nombreux types : en établir l’inventaire.
• Il s’agit bien sûr de « modèles » dont il faut évaluer la
fécondité.

 Urgence de travailler sur les langues
« émergentes » !!!

Pour m’écrire : [email protected]

Cours de linguistique créole :
http://creoles.free.fr/Cours


Slide 14

Qu’est-ce qu’une langue
créole ?
Marie-Christine Hazaël-Massieux
Université de Provence
[email protected]

Antilles

Océan Indien

Les principaux créoles français dans le
monde (ZAC puis OI)
• Louisiane










Haïti
Guadeloupe
La Dominique
Martinique
Sainte-Lucie
Guyane
Réunion
Maurice
Seychelles

4 000 000 habitants (mais peu de
créolophones)
7 000 000 habitants
422 496 habitants
100 000 habitants
381 441 habitants
150 000 habitants
157 277 habitants
707 758 habitants
1 100 000 habitants
70 000 habitants

1) Définition socio-historique
On appelle « créoles » des langues nées au
cours des siècles de la colonisation française
(européenne), dans le contact de langues
entre maîtres (de l’Ouest français, pratiquant un
français régional et populaire) et esclaves (le
plus souvent d’origine africaine) ; ces contacts
de langues étaient exclusivement oraux,
s’exerçaient hors de toute pression
normative, dans le contexte d’une domination
socio-culturelle des maîtres français.

Mais ces langues à l’origine ne s’appellent pas
créoles :
Exemple d’un texte : Moreau de Saint-Méry, 1797, Description typographique,
physique, civile, politique et hist. de la partie française de l’Isle St-Domingue

« J’ai à parler maintenant du langage qui sert à tous les nègres qui habitent la
colonie française de Saint-Domingue. C’est un français corrompu, auquel on a
mêlé plusieurs mots espagnols francisés, et où les termes marins ont aussi
trouvé leur place. On concevra aisément que ce langage, qui n’est qu’un vrai
jargon, est souvent inintelligible dans la bouche d’un vieil Africain, et qu’on le
parle d’autant mieux, qu’on l’a appris plus jeune. Ce jargon est extrêmement
mignard, et tel que l’inflexion fait la plus grande partie de l’expression. Il a aussi
son génie, (qu’on passe ce mot à un Créol qui croit ne le pas profaner), et un fait
très sûr, c’est qu’un Européen, quelque habitude qu’il en ait, quelque longue
qu’ait été sa résidence aux Isles, n’en possède jamais les finesses. »

Le terme « créole » < « criollo » désigne les populations
nées aux îles de parents venus d’ailleurs : cf. vaches
créoles, etc. Créoles, pour les populations humaines,
désigne les descendants des arrivants, qu’ils soient
blancs ou noirs.
Les premières attestations du terme de « créole » appliqué
aux langues (langues des Créoles) sont tardives : fin du
XVIIIe siècle, alors qu’on a des phrases en créole ou des
textes dans les premières décennies du XVIIIe siècle.

Toutes les langues que les créolistes appellent créoles, ne
s’appellent pas créoles : cf. le papiamento, le palenquero,
le tagalog, le sranan…

Aujourd’hui « créoles » est souvent synonyme
de « mélange de langues » (idée largement
répandue dans le grand public)
 idée qui entraîne d’ailleurs une certaine
dévalorisation : langues bâtardes ?
mais aussi idée qui peut-être nuisible à une plus
juste conception de leur développement ? – car
les créoles évoluent comme toutes les langues

2° Des exemples dans divers créoles
français
Les créoles, qui ont beaucoup évolué depuis leur origine,
sont des langues bien distinctes du français.
Ce qui caractérise les créoles, ce n’est pas tant le
lexique que la grammaire. Un exemple simple :

La bête la mangea
Ou pé ké manjé-moin
La bête la tua
Ou pé ké kué-moin

Dans les créoles on peut trouver des traces de leurs
origines multiples.
Mais ces recherches étymologiques, surtout significatives
pour le lexique (cf. Dictionnaire étymologique des créoles de
l’Océan Indien, par Annegret Bollée), risquent de faire
oublier qu’il s’agit de langues originales et nouvelles (peutêtre que beaucoup de langues sont nées ainsi (cf. les
langues romanes ???)
Noirs et blancs au cours des colonisations ont forgé de
nouvelles langues, qui ont leurs propres « systèmes »,
différents des langues d’origine : systèmes originaux et
complexes, avec leurs paradigmes, leurs modes de
structuration, leurs significations organisées différemment
des langues souches.

Un exemple : le verbe (comparaison des structures de
base guadeloupéen / haïtien)

Guadeloupe
Mwen ka manjé /
an ka manjé
Mwen manjé

Haïti
M’ap manjé

Mwen té manjé

M té manjé

Mwen ké manjé

M a manjé

M manjé

Mwen té ké manjé M t av manjé
Mwen té ka manjé M t ap manjé

Le
déterminant
défini en
gpéen,
mquais,
haïtien
Cela ne vient en
droite ligne de
rien !
Déstructuration /
restructuration ?
Et que dire de
la nouvelle
évolution du
créole haïtien :
tab-lan /
zwazo-lan /
fanm lan / pon
– lan ?

Gua

Tab-la

Mar

Tab-la

Haï

Tab-la

Zozyo-la Zozyo-(l)a

Zwazo-(l)a

Fanm-la Fanm-lan

Fanm-nan

Pon-la

Pon-(l)an

Pon-(l)an
Tè-ya
Fimen-yan

Pour comparer les pronoms dans les différents créoles
français :
http://creoles.free.fr/Cours/pronoms1.htm

Pour une petite découverte du créole martiniquais :

An grin té dri asou redout
I té an ba-y san parapli
Man té ni yonn volé an wout
E pétèt menm kay an zanmi

An ti kwen parapli
Pou an kwen paradi
Si an non té fèt pou-y
sé anj

Man vansé bò-y près a la kous
Pou mwen té ba-y tibwen labri
Chivé-y té ja bwè dlo kon mous
I pa fè pwèl sak pou-y di wi.

An ti kwen paradi
Pou an kwen parapli
Es ti ni pli bel chanj
jodi ?

3) Recherche d’une définition
typologique ?
Depuis quelques années, on s’efforce de voir s’il n’y a
pas un « type » créole : des traits toujours présents qui
caractériseraient les langues créoles quelles que soient
leurs bases : française, anglaise, portugaise…
…qui caractériseraient des langues, quelles que soient
leur date de naissance, le contexte de leur genèse… on
s’interroge sur l’existence de créoles africains (cf. le
kituba), sur des créoles naissant dans les grandes villes
africaines (le « français de Moussa » en Côte-d’Ivoire), de
« créoles » partout où il y a des contacts ou apprentissage
difficile (cf. le gullah : Black English), les véhiculaires (le
lingala, le bhodjpouri…) et cf. « le joual cé-tu un créole ? »

Parmi les a-prioris qui faussent souvent la démarche :

•Rapprocher des langues d’abord parce qu’elles portent le
même nom (créoles) ! Mais qu’est-ce qu’un créole ?
•Oublier que les langues évoluent. Si les créoles se
ressemblaient beaucoup à l’origine quand la communication
était principalement lexicale et la base française encore très
perceptible, la structuration grammaticale progressive,
propre à chaque langue, rend de moins en moins possible
l’appartenance à un même type.
•On glisse vite de ressemblances formelles ou structurelles
à l’idée qu’il y a là trace d’une langue d’origine.

Comment certaines ressemblances superficielles
poussent à chercher s’il existe un « type créole ». Ex.
le verbe copule ; antéposition ou postposition
du déterminant.
Les premières études (1985-87) soulignent rapidement des
difficultés ; cf. S. Mufwene (de fait les ressemblances ne
sont-elles pas liées à la « parenté » ? cf. Meillet) :

« [Les créoles] se sont développés dans une situation de contact où
aucune langue ne pouvait être transmise intégralement d’une
génération ou d’un groupe de locuteurs à l’autre ; ils sont caractérisés
par une restructuration linguistique » (in Etudes créoles, vol. IX, n° 1,
1986, pp. 135-150 : « Les langues créoles peuvent-elles être définies
sans allusion à leur histoire ? »

Méditer sur Meillet :
« … La parenté n’implique aucune ressemblance
actuelle des langues considérées, ni surtout du
système général des langues considérées ; et
inversement il y a beaucoup de ressemblances, soit
de structure générale, soit de vocabulaire, qui
n’impliquent pas parenté. » (in Linguistique
historique et linguistique générale, 1982, p. 92

Par là Meillet sépare clairement parenté et type.

Un schéma pour expliquer les
développements des créoles dans
la Caraïbe : vers une nouvelle
définition des créoles ?





Des contacts entre populations déportées
Une histoire mouvementée et diverse
La nécessité de communiquer
Des rapports sociolinguistiques particuliers
(colonisation, esclavage)
• Des textes de différentes époques à interpréter

Français

Langues africaines

1ère rupture : du français au
créole

17001750…

Époque du
« créole »
1820…

Se dégagent
paradigmes
caractéristiques
de chaque
nouvelle langue

Cr. parlés par
les esclaves

Cr. parlé
par les
maîtres :
témoignages
écrits

2e rupture : du « créole » marqué par la
variation aux langues diverses

hai

Forces qui s’exercent sur le créole visible
(écrit) des colons : les esclaves, libérés, les
mulâtres, les engagés libres…arrivés
d’Afrique, de l’Inde… qui parlent un créole
(différent du créole des maîtres) se mettent
à écrire ou à influencer l’écrit).

gua

mar

 Dès lors qu’appelle-t-on « créole » ? Une
langue :
• quand la « créolisation » est en cours ?
• quand elle est achevée ?
Si on a des « créoles » à l’origine, on n’en a
plus après quelques siècles ! On a de « vraies
langues » (cf. Parkvall)

 NB : Des systèmes proches (quand ils étaient
élémentaires) se séparent de plus en plus.

Peut-on continuer à appeler « créoles » ces langues
indéfiniment ? N’a-t-on pas des systèmes originaux qui
constituent le guadeloupéen, le martiniquais, l’haïtien… ?
Dans ces conditions (démontrées par l’étude historique) ne
faudrait-il pas dire qu’au bout d’un certain temps historique
on n’aurait plus de « créoles » ?

« Créoles » pourrait par là maintenant désigner
certaines langues au moment de leur naissance, et
« créolisation » un certain type de « genèse » :
conditions de contacts de langues très diverses,
obligation de communiquer, domination de l’une des
langues sur les autres, transmission orale, etc.

Conclusions
• Intérêt de l’étude des « créoles » pour la
linguistique générale
• Pour une nouvelle définition des langues créoles: est-ce
que toutes les langues qui émergent dans des situations de
contacts, avec rupture de transmission, ne sont pas pour un
temps des « créoles » ? La créolisation serait un certain type
de genèse pour les langues… peut-être pas réservée aux
seuls langues appelées « créoles », mais pour autant à ne
pas transposer sur toutes les genèses.

• Tous les « créoles » historiques ne sont pas nés dans
les mêmes conditions – peut-être pas tous par
« créolisation » !
• Il est sans doute nécessaire de mieux caractériser le
temps de la genèse proprement dite (cf. notions de
pidgins, créoles…), puis l’évolution continuée de toute
langue…

• Quelles sont les types de genèses des langues? Sans
doute de nombreux types : en établir l’inventaire.
• Il s’agit bien sûr de « modèles » dont il faut évaluer la
fécondité.

 Urgence de travailler sur les langues
« émergentes » !!!

Pour m’écrire : [email protected]

Cours de linguistique créole :
http://creoles.free.fr/Cours


Slide 15

Qu’est-ce qu’une langue
créole ?
Marie-Christine Hazaël-Massieux
Université de Provence
[email protected]

Antilles

Océan Indien

Les principaux créoles français dans le
monde (ZAC puis OI)
• Louisiane










Haïti
Guadeloupe
La Dominique
Martinique
Sainte-Lucie
Guyane
Réunion
Maurice
Seychelles

4 000 000 habitants (mais peu de
créolophones)
7 000 000 habitants
422 496 habitants
100 000 habitants
381 441 habitants
150 000 habitants
157 277 habitants
707 758 habitants
1 100 000 habitants
70 000 habitants

1) Définition socio-historique
On appelle « créoles » des langues nées au
cours des siècles de la colonisation française
(européenne), dans le contact de langues
entre maîtres (de l’Ouest français, pratiquant un
français régional et populaire) et esclaves (le
plus souvent d’origine africaine) ; ces contacts
de langues étaient exclusivement oraux,
s’exerçaient hors de toute pression
normative, dans le contexte d’une domination
socio-culturelle des maîtres français.

Mais ces langues à l’origine ne s’appellent pas
créoles :
Exemple d’un texte : Moreau de Saint-Méry, 1797, Description typographique,
physique, civile, politique et hist. de la partie française de l’Isle St-Domingue

« J’ai à parler maintenant du langage qui sert à tous les nègres qui habitent la
colonie française de Saint-Domingue. C’est un français corrompu, auquel on a
mêlé plusieurs mots espagnols francisés, et où les termes marins ont aussi
trouvé leur place. On concevra aisément que ce langage, qui n’est qu’un vrai
jargon, est souvent inintelligible dans la bouche d’un vieil Africain, et qu’on le
parle d’autant mieux, qu’on l’a appris plus jeune. Ce jargon est extrêmement
mignard, et tel que l’inflexion fait la plus grande partie de l’expression. Il a aussi
son génie, (qu’on passe ce mot à un Créol qui croit ne le pas profaner), et un fait
très sûr, c’est qu’un Européen, quelque habitude qu’il en ait, quelque longue
qu’ait été sa résidence aux Isles, n’en possède jamais les finesses. »

Le terme « créole » < « criollo » désigne les populations
nées aux îles de parents venus d’ailleurs : cf. vaches
créoles, etc. Créoles, pour les populations humaines,
désigne les descendants des arrivants, qu’ils soient
blancs ou noirs.
Les premières attestations du terme de « créole » appliqué
aux langues (langues des Créoles) sont tardives : fin du
XVIIIe siècle, alors qu’on a des phrases en créole ou des
textes dans les premières décennies du XVIIIe siècle.

Toutes les langues que les créolistes appellent créoles, ne
s’appellent pas créoles : cf. le papiamento, le palenquero,
le tagalog, le sranan…

Aujourd’hui « créoles » est souvent synonyme
de « mélange de langues » (idée largement
répandue dans le grand public)
 idée qui entraîne d’ailleurs une certaine
dévalorisation : langues bâtardes ?
mais aussi idée qui peut-être nuisible à une plus
juste conception de leur développement ? – car
les créoles évoluent comme toutes les langues

2° Des exemples dans divers créoles
français
Les créoles, qui ont beaucoup évolué depuis leur origine,
sont des langues bien distinctes du français.
Ce qui caractérise les créoles, ce n’est pas tant le
lexique que la grammaire. Un exemple simple :

La bête la mangea
Ou pé ké manjé-moin
La bête la tua
Ou pé ké kué-moin

Dans les créoles on peut trouver des traces de leurs
origines multiples.
Mais ces recherches étymologiques, surtout significatives
pour le lexique (cf. Dictionnaire étymologique des créoles de
l’Océan Indien, par Annegret Bollée), risquent de faire
oublier qu’il s’agit de langues originales et nouvelles (peutêtre que beaucoup de langues sont nées ainsi (cf. les
langues romanes ???)
Noirs et blancs au cours des colonisations ont forgé de
nouvelles langues, qui ont leurs propres « systèmes »,
différents des langues d’origine : systèmes originaux et
complexes, avec leurs paradigmes, leurs modes de
structuration, leurs significations organisées différemment
des langues souches.

Un exemple : le verbe (comparaison des structures de
base guadeloupéen / haïtien)

Guadeloupe
Mwen ka manjé /
an ka manjé
Mwen manjé

Haïti
M’ap manjé

Mwen té manjé

M té manjé

Mwen ké manjé

M a manjé

M manjé

Mwen té ké manjé M t av manjé
Mwen té ka manjé M t ap manjé

Le
déterminant
défini en
gpéen,
mquais,
haïtien
Cela ne vient en
droite ligne de
rien !
Déstructuration /
restructuration ?
Et que dire de
la nouvelle
évolution du
créole haïtien :
tab-lan /
zwazo-lan /
fanm lan / pon
– lan ?

Gua

Tab-la

Mar

Tab-la

Haï

Tab-la

Zozyo-la Zozyo-(l)a

Zwazo-(l)a

Fanm-la Fanm-lan

Fanm-nan

Pon-la

Pon-(l)an

Pon-(l)an
Tè-ya
Fimen-yan

Pour comparer les pronoms dans les différents créoles
français :
http://creoles.free.fr/Cours/pronoms1.htm

Pour une petite découverte du créole martiniquais :

An grin té dri asou redout
I té an ba-y san parapli
Man té ni yonn volé an wout
E pétèt menm kay an zanmi

An ti kwen parapli
Pou an kwen paradi
Si an non té fèt pou-y
sé anj

Man vansé bò-y près a la kous
Pou mwen té ba-y tibwen labri
Chivé-y té ja bwè dlo kon mous
I pa fè pwèl sak pou-y di wi.

An ti kwen paradi
Pou an kwen parapli
Es ti ni pli bel chanj
jodi ?

3) Recherche d’une définition
typologique ?
Depuis quelques années, on s’efforce de voir s’il n’y a
pas un « type » créole : des traits toujours présents qui
caractériseraient les langues créoles quelles que soient
leurs bases : française, anglaise, portugaise…
…qui caractériseraient des langues, quelles que soient
leur date de naissance, le contexte de leur genèse… on
s’interroge sur l’existence de créoles africains (cf. le
kituba), sur des créoles naissant dans les grandes villes
africaines (le « français de Moussa » en Côte-d’Ivoire), de
« créoles » partout où il y a des contacts ou apprentissage
difficile (cf. le gullah : Black English), les véhiculaires (le
lingala, le bhodjpouri…) et cf. « le joual cé-tu un créole ? »

Parmi les a-prioris qui faussent souvent la démarche :

•Rapprocher des langues d’abord parce qu’elles portent le
même nom (créoles) ! Mais qu’est-ce qu’un créole ?
•Oublier que les langues évoluent. Si les créoles se
ressemblaient beaucoup à l’origine quand la communication
était principalement lexicale et la base française encore très
perceptible, la structuration grammaticale progressive,
propre à chaque langue, rend de moins en moins possible
l’appartenance à un même type.
•On glisse vite de ressemblances formelles ou structurelles
à l’idée qu’il y a là trace d’une langue d’origine.

Comment certaines ressemblances superficielles
poussent à chercher s’il existe un « type créole ». Ex.
le verbe copule ; antéposition ou postposition
du déterminant.
Les premières études (1985-87) soulignent rapidement des
difficultés ; cf. S. Mufwene (de fait les ressemblances ne
sont-elles pas liées à la « parenté » ? cf. Meillet) :

« [Les créoles] se sont développés dans une situation de contact où
aucune langue ne pouvait être transmise intégralement d’une
génération ou d’un groupe de locuteurs à l’autre ; ils sont caractérisés
par une restructuration linguistique » (in Etudes créoles, vol. IX, n° 1,
1986, pp. 135-150 : « Les langues créoles peuvent-elles être définies
sans allusion à leur histoire ? »

Méditer sur Meillet :
« … La parenté n’implique aucune ressemblance
actuelle des langues considérées, ni surtout du
système général des langues considérées ; et
inversement il y a beaucoup de ressemblances, soit
de structure générale, soit de vocabulaire, qui
n’impliquent pas parenté. » (in Linguistique
historique et linguistique générale, 1982, p. 92

Par là Meillet sépare clairement parenté et type.

Un schéma pour expliquer les
développements des créoles dans
la Caraïbe : vers une nouvelle
définition des créoles ?





Des contacts entre populations déportées
Une histoire mouvementée et diverse
La nécessité de communiquer
Des rapports sociolinguistiques particuliers
(colonisation, esclavage)
• Des textes de différentes époques à interpréter

Français

Langues africaines

1ère rupture : du français au
créole

17001750…

Époque du
« créole »
1820…

Se dégagent
paradigmes
caractéristiques
de chaque
nouvelle langue

Cr. parlés par
les esclaves

Cr. parlé
par les
maîtres :
témoignages
écrits

2e rupture : du « créole » marqué par la
variation aux langues diverses

hai

Forces qui s’exercent sur le créole visible
(écrit) des colons : les esclaves, libérés, les
mulâtres, les engagés libres…arrivés
d’Afrique, de l’Inde… qui parlent un créole
(différent du créole des maîtres) se mettent
à écrire ou à influencer l’écrit).

gua

mar

 Dès lors qu’appelle-t-on « créole » ? Une
langue :
• quand la « créolisation » est en cours ?
• quand elle est achevée ?
Si on a des « créoles » à l’origine, on n’en a
plus après quelques siècles ! On a de « vraies
langues » (cf. Parkvall)

 NB : Des systèmes proches (quand ils étaient
élémentaires) se séparent de plus en plus.

Peut-on continuer à appeler « créoles » ces langues
indéfiniment ? N’a-t-on pas des systèmes originaux qui
constituent le guadeloupéen, le martiniquais, l’haïtien… ?
Dans ces conditions (démontrées par l’étude historique) ne
faudrait-il pas dire qu’au bout d’un certain temps historique
on n’aurait plus de « créoles » ?

« Créoles » pourrait par là maintenant désigner
certaines langues au moment de leur naissance, et
« créolisation » un certain type de « genèse » :
conditions de contacts de langues très diverses,
obligation de communiquer, domination de l’une des
langues sur les autres, transmission orale, etc.

Conclusions
• Intérêt de l’étude des « créoles » pour la
linguistique générale
• Pour une nouvelle définition des langues créoles: est-ce
que toutes les langues qui émergent dans des situations de
contacts, avec rupture de transmission, ne sont pas pour un
temps des « créoles » ? La créolisation serait un certain type
de genèse pour les langues… peut-être pas réservée aux
seuls langues appelées « créoles », mais pour autant à ne
pas transposer sur toutes les genèses.

• Tous les « créoles » historiques ne sont pas nés dans
les mêmes conditions – peut-être pas tous par
« créolisation » !
• Il est sans doute nécessaire de mieux caractériser le
temps de la genèse proprement dite (cf. notions de
pidgins, créoles…), puis l’évolution continuée de toute
langue…

• Quelles sont les types de genèses des langues? Sans
doute de nombreux types : en établir l’inventaire.
• Il s’agit bien sûr de « modèles » dont il faut évaluer la
fécondité.

 Urgence de travailler sur les langues
« émergentes » !!!

Pour m’écrire : [email protected]

Cours de linguistique créole :
http://creoles.free.fr/Cours


Slide 16

Qu’est-ce qu’une langue
créole ?
Marie-Christine Hazaël-Massieux
Université de Provence
[email protected]

Antilles

Océan Indien

Les principaux créoles français dans le
monde (ZAC puis OI)
• Louisiane










Haïti
Guadeloupe
La Dominique
Martinique
Sainte-Lucie
Guyane
Réunion
Maurice
Seychelles

4 000 000 habitants (mais peu de
créolophones)
7 000 000 habitants
422 496 habitants
100 000 habitants
381 441 habitants
150 000 habitants
157 277 habitants
707 758 habitants
1 100 000 habitants
70 000 habitants

1) Définition socio-historique
On appelle « créoles » des langues nées au
cours des siècles de la colonisation française
(européenne), dans le contact de langues
entre maîtres (de l’Ouest français, pratiquant un
français régional et populaire) et esclaves (le
plus souvent d’origine africaine) ; ces contacts
de langues étaient exclusivement oraux,
s’exerçaient hors de toute pression
normative, dans le contexte d’une domination
socio-culturelle des maîtres français.

Mais ces langues à l’origine ne s’appellent pas
créoles :
Exemple d’un texte : Moreau de Saint-Méry, 1797, Description typographique,
physique, civile, politique et hist. de la partie française de l’Isle St-Domingue

« J’ai à parler maintenant du langage qui sert à tous les nègres qui habitent la
colonie française de Saint-Domingue. C’est un français corrompu, auquel on a
mêlé plusieurs mots espagnols francisés, et où les termes marins ont aussi
trouvé leur place. On concevra aisément que ce langage, qui n’est qu’un vrai
jargon, est souvent inintelligible dans la bouche d’un vieil Africain, et qu’on le
parle d’autant mieux, qu’on l’a appris plus jeune. Ce jargon est extrêmement
mignard, et tel que l’inflexion fait la plus grande partie de l’expression. Il a aussi
son génie, (qu’on passe ce mot à un Créol qui croit ne le pas profaner), et un fait
très sûr, c’est qu’un Européen, quelque habitude qu’il en ait, quelque longue
qu’ait été sa résidence aux Isles, n’en possède jamais les finesses. »

Le terme « créole » < « criollo » désigne les populations
nées aux îles de parents venus d’ailleurs : cf. vaches
créoles, etc. Créoles, pour les populations humaines,
désigne les descendants des arrivants, qu’ils soient
blancs ou noirs.
Les premières attestations du terme de « créole » appliqué
aux langues (langues des Créoles) sont tardives : fin du
XVIIIe siècle, alors qu’on a des phrases en créole ou des
textes dans les premières décennies du XVIIIe siècle.

Toutes les langues que les créolistes appellent créoles, ne
s’appellent pas créoles : cf. le papiamento, le palenquero,
le tagalog, le sranan…

Aujourd’hui « créoles » est souvent synonyme
de « mélange de langues » (idée largement
répandue dans le grand public)
 idée qui entraîne d’ailleurs une certaine
dévalorisation : langues bâtardes ?
mais aussi idée qui peut-être nuisible à une plus
juste conception de leur développement ? – car
les créoles évoluent comme toutes les langues

2° Des exemples dans divers créoles
français
Les créoles, qui ont beaucoup évolué depuis leur origine,
sont des langues bien distinctes du français.
Ce qui caractérise les créoles, ce n’est pas tant le
lexique que la grammaire. Un exemple simple :

La bête la mangea
Ou pé ké manjé-moin
La bête la tua
Ou pé ké kué-moin

Dans les créoles on peut trouver des traces de leurs
origines multiples.
Mais ces recherches étymologiques, surtout significatives
pour le lexique (cf. Dictionnaire étymologique des créoles de
l’Océan Indien, par Annegret Bollée), risquent de faire
oublier qu’il s’agit de langues originales et nouvelles (peutêtre que beaucoup de langues sont nées ainsi (cf. les
langues romanes ???)
Noirs et blancs au cours des colonisations ont forgé de
nouvelles langues, qui ont leurs propres « systèmes »,
différents des langues d’origine : systèmes originaux et
complexes, avec leurs paradigmes, leurs modes de
structuration, leurs significations organisées différemment
des langues souches.

Un exemple : le verbe (comparaison des structures de
base guadeloupéen / haïtien)

Guadeloupe
Mwen ka manjé /
an ka manjé
Mwen manjé

Haïti
M’ap manjé

Mwen té manjé

M té manjé

Mwen ké manjé

M a manjé

M manjé

Mwen té ké manjé M t av manjé
Mwen té ka manjé M t ap manjé

Le
déterminant
défini en
gpéen,
mquais,
haïtien
Cela ne vient en
droite ligne de
rien !
Déstructuration /
restructuration ?
Et que dire de
la nouvelle
évolution du
créole haïtien :
tab-lan /
zwazo-lan /
fanm lan / pon
– lan ?

Gua

Tab-la

Mar

Tab-la

Haï

Tab-la

Zozyo-la Zozyo-(l)a

Zwazo-(l)a

Fanm-la Fanm-lan

Fanm-nan

Pon-la

Pon-(l)an

Pon-(l)an
Tè-ya
Fimen-yan

Pour comparer les pronoms dans les différents créoles
français :
http://creoles.free.fr/Cours/pronoms1.htm

Pour une petite découverte du créole martiniquais :

An grin té dri asou redout
I té an ba-y san parapli
Man té ni yonn volé an wout
E pétèt menm kay an zanmi

An ti kwen parapli
Pou an kwen paradi
Si an non té fèt pou-y
sé anj

Man vansé bò-y près a la kous
Pou mwen té ba-y tibwen labri
Chivé-y té ja bwè dlo kon mous
I pa fè pwèl sak pou-y di wi.

An ti kwen paradi
Pou an kwen parapli
Es ti ni pli bel chanj
jodi ?

3) Recherche d’une définition
typologique ?
Depuis quelques années, on s’efforce de voir s’il n’y a
pas un « type » créole : des traits toujours présents qui
caractériseraient les langues créoles quelles que soient
leurs bases : française, anglaise, portugaise…
…qui caractériseraient des langues, quelles que soient
leur date de naissance, le contexte de leur genèse… on
s’interroge sur l’existence de créoles africains (cf. le
kituba), sur des créoles naissant dans les grandes villes
africaines (le « français de Moussa » en Côte-d’Ivoire), de
« créoles » partout où il y a des contacts ou apprentissage
difficile (cf. le gullah : Black English), les véhiculaires (le
lingala, le bhodjpouri…) et cf. « le joual cé-tu un créole ? »

Parmi les a-prioris qui faussent souvent la démarche :

•Rapprocher des langues d’abord parce qu’elles portent le
même nom (créoles) ! Mais qu’est-ce qu’un créole ?
•Oublier que les langues évoluent. Si les créoles se
ressemblaient beaucoup à l’origine quand la communication
était principalement lexicale et la base française encore très
perceptible, la structuration grammaticale progressive,
propre à chaque langue, rend de moins en moins possible
l’appartenance à un même type.
•On glisse vite de ressemblances formelles ou structurelles
à l’idée qu’il y a là trace d’une langue d’origine.

Comment certaines ressemblances superficielles
poussent à chercher s’il existe un « type créole ». Ex.
le verbe copule ; antéposition ou postposition
du déterminant.
Les premières études (1985-87) soulignent rapidement des
difficultés ; cf. S. Mufwene (de fait les ressemblances ne
sont-elles pas liées à la « parenté » ? cf. Meillet) :

« [Les créoles] se sont développés dans une situation de contact où
aucune langue ne pouvait être transmise intégralement d’une
génération ou d’un groupe de locuteurs à l’autre ; ils sont caractérisés
par une restructuration linguistique » (in Etudes créoles, vol. IX, n° 1,
1986, pp. 135-150 : « Les langues créoles peuvent-elles être définies
sans allusion à leur histoire ? »

Méditer sur Meillet :
« … La parenté n’implique aucune ressemblance
actuelle des langues considérées, ni surtout du
système général des langues considérées ; et
inversement il y a beaucoup de ressemblances, soit
de structure générale, soit de vocabulaire, qui
n’impliquent pas parenté. » (in Linguistique
historique et linguistique générale, 1982, p. 92

Par là Meillet sépare clairement parenté et type.

Un schéma pour expliquer les
développements des créoles dans
la Caraïbe : vers une nouvelle
définition des créoles ?





Des contacts entre populations déportées
Une histoire mouvementée et diverse
La nécessité de communiquer
Des rapports sociolinguistiques particuliers
(colonisation, esclavage)
• Des textes de différentes époques à interpréter

Français

Langues africaines

1ère rupture : du français au
créole

17001750…

Époque du
« créole »
1820…

Se dégagent
paradigmes
caractéristiques
de chaque
nouvelle langue

Cr. parlés par
les esclaves

Cr. parlé
par les
maîtres :
témoignages
écrits

2e rupture : du « créole » marqué par la
variation aux langues diverses

hai

Forces qui s’exercent sur le créole visible
(écrit) des colons : les esclaves, libérés, les
mulâtres, les engagés libres…arrivés
d’Afrique, de l’Inde… qui parlent un créole
(différent du créole des maîtres) se mettent
à écrire ou à influencer l’écrit).

gua

mar

 Dès lors qu’appelle-t-on « créole » ? Une
langue :
• quand la « créolisation » est en cours ?
• quand elle est achevée ?
Si on a des « créoles » à l’origine, on n’en a
plus après quelques siècles ! On a de « vraies
langues » (cf. Parkvall)

 NB : Des systèmes proches (quand ils étaient
élémentaires) se séparent de plus en plus.

Peut-on continuer à appeler « créoles » ces langues
indéfiniment ? N’a-t-on pas des systèmes originaux qui
constituent le guadeloupéen, le martiniquais, l’haïtien… ?
Dans ces conditions (démontrées par l’étude historique) ne
faudrait-il pas dire qu’au bout d’un certain temps historique
on n’aurait plus de « créoles » ?

« Créoles » pourrait par là maintenant désigner
certaines langues au moment de leur naissance, et
« créolisation » un certain type de « genèse » :
conditions de contacts de langues très diverses,
obligation de communiquer, domination de l’une des
langues sur les autres, transmission orale, etc.

Conclusions
• Intérêt de l’étude des « créoles » pour la
linguistique générale
• Pour une nouvelle définition des langues créoles: est-ce
que toutes les langues qui émergent dans des situations de
contacts, avec rupture de transmission, ne sont pas pour un
temps des « créoles » ? La créolisation serait un certain type
de genèse pour les langues… peut-être pas réservée aux
seuls langues appelées « créoles », mais pour autant à ne
pas transposer sur toutes les genèses.

• Tous les « créoles » historiques ne sont pas nés dans
les mêmes conditions – peut-être pas tous par
« créolisation » !
• Il est sans doute nécessaire de mieux caractériser le
temps de la genèse proprement dite (cf. notions de
pidgins, créoles…), puis l’évolution continuée de toute
langue…

• Quelles sont les types de genèses des langues? Sans
doute de nombreux types : en établir l’inventaire.
• Il s’agit bien sûr de « modèles » dont il faut évaluer la
fécondité.

 Urgence de travailler sur les langues
« émergentes » !!!

Pour m’écrire : [email protected]

Cours de linguistique créole :
http://creoles.free.fr/Cours


Slide 17

Qu’est-ce qu’une langue
créole ?
Marie-Christine Hazaël-Massieux
Université de Provence
[email protected]

Antilles

Océan Indien

Les principaux créoles français dans le
monde (ZAC puis OI)
• Louisiane










Haïti
Guadeloupe
La Dominique
Martinique
Sainte-Lucie
Guyane
Réunion
Maurice
Seychelles

4 000 000 habitants (mais peu de
créolophones)
7 000 000 habitants
422 496 habitants
100 000 habitants
381 441 habitants
150 000 habitants
157 277 habitants
707 758 habitants
1 100 000 habitants
70 000 habitants

1) Définition socio-historique
On appelle « créoles » des langues nées au
cours des siècles de la colonisation française
(européenne), dans le contact de langues
entre maîtres (de l’Ouest français, pratiquant un
français régional et populaire) et esclaves (le
plus souvent d’origine africaine) ; ces contacts
de langues étaient exclusivement oraux,
s’exerçaient hors de toute pression
normative, dans le contexte d’une domination
socio-culturelle des maîtres français.

Mais ces langues à l’origine ne s’appellent pas
créoles :
Exemple d’un texte : Moreau de Saint-Méry, 1797, Description typographique,
physique, civile, politique et hist. de la partie française de l’Isle St-Domingue

« J’ai à parler maintenant du langage qui sert à tous les nègres qui habitent la
colonie française de Saint-Domingue. C’est un français corrompu, auquel on a
mêlé plusieurs mots espagnols francisés, et où les termes marins ont aussi
trouvé leur place. On concevra aisément que ce langage, qui n’est qu’un vrai
jargon, est souvent inintelligible dans la bouche d’un vieil Africain, et qu’on le
parle d’autant mieux, qu’on l’a appris plus jeune. Ce jargon est extrêmement
mignard, et tel que l’inflexion fait la plus grande partie de l’expression. Il a aussi
son génie, (qu’on passe ce mot à un Créol qui croit ne le pas profaner), et un fait
très sûr, c’est qu’un Européen, quelque habitude qu’il en ait, quelque longue
qu’ait été sa résidence aux Isles, n’en possède jamais les finesses. »

Le terme « créole » < « criollo » désigne les populations
nées aux îles de parents venus d’ailleurs : cf. vaches
créoles, etc. Créoles, pour les populations humaines,
désigne les descendants des arrivants, qu’ils soient
blancs ou noirs.
Les premières attestations du terme de « créole » appliqué
aux langues (langues des Créoles) sont tardives : fin du
XVIIIe siècle, alors qu’on a des phrases en créole ou des
textes dans les premières décennies du XVIIIe siècle.

Toutes les langues que les créolistes appellent créoles, ne
s’appellent pas créoles : cf. le papiamento, le palenquero,
le tagalog, le sranan…

Aujourd’hui « créoles » est souvent synonyme
de « mélange de langues » (idée largement
répandue dans le grand public)
 idée qui entraîne d’ailleurs une certaine
dévalorisation : langues bâtardes ?
mais aussi idée qui peut-être nuisible à une plus
juste conception de leur développement ? – car
les créoles évoluent comme toutes les langues

2° Des exemples dans divers créoles
français
Les créoles, qui ont beaucoup évolué depuis leur origine,
sont des langues bien distinctes du français.
Ce qui caractérise les créoles, ce n’est pas tant le
lexique que la grammaire. Un exemple simple :

La bête la mangea
Ou pé ké manjé-moin
La bête la tua
Ou pé ké kué-moin

Dans les créoles on peut trouver des traces de leurs
origines multiples.
Mais ces recherches étymologiques, surtout significatives
pour le lexique (cf. Dictionnaire étymologique des créoles de
l’Océan Indien, par Annegret Bollée), risquent de faire
oublier qu’il s’agit de langues originales et nouvelles (peutêtre que beaucoup de langues sont nées ainsi (cf. les
langues romanes ???)
Noirs et blancs au cours des colonisations ont forgé de
nouvelles langues, qui ont leurs propres « systèmes »,
différents des langues d’origine : systèmes originaux et
complexes, avec leurs paradigmes, leurs modes de
structuration, leurs significations organisées différemment
des langues souches.

Un exemple : le verbe (comparaison des structures de
base guadeloupéen / haïtien)

Guadeloupe
Mwen ka manjé /
an ka manjé
Mwen manjé

Haïti
M’ap manjé

Mwen té manjé

M té manjé

Mwen ké manjé

M a manjé

M manjé

Mwen té ké manjé M t av manjé
Mwen té ka manjé M t ap manjé

Le
déterminant
défini en
gpéen,
mquais,
haïtien
Cela ne vient en
droite ligne de
rien !
Déstructuration /
restructuration ?
Et que dire de
la nouvelle
évolution du
créole haïtien :
tab-lan /
zwazo-lan /
fanm lan / pon
– lan ?

Gua

Tab-la

Mar

Tab-la

Haï

Tab-la

Zozyo-la Zozyo-(l)a

Zwazo-(l)a

Fanm-la Fanm-lan

Fanm-nan

Pon-la

Pon-(l)an

Pon-(l)an
Tè-ya
Fimen-yan

Pour comparer les pronoms dans les différents créoles
français :
http://creoles.free.fr/Cours/pronoms1.htm

Pour une petite découverte du créole martiniquais :

An grin té dri asou redout
I té an ba-y san parapli
Man té ni yonn volé an wout
E pétèt menm kay an zanmi

An ti kwen parapli
Pou an kwen paradi
Si an non té fèt pou-y
sé anj

Man vansé bò-y près a la kous
Pou mwen té ba-y tibwen labri
Chivé-y té ja bwè dlo kon mous
I pa fè pwèl sak pou-y di wi.

An ti kwen paradi
Pou an kwen parapli
Es ti ni pli bel chanj
jodi ?

3) Recherche d’une définition
typologique ?
Depuis quelques années, on s’efforce de voir s’il n’y a
pas un « type » créole : des traits toujours présents qui
caractériseraient les langues créoles quelles que soient
leurs bases : française, anglaise, portugaise…
…qui caractériseraient des langues, quelles que soient
leur date de naissance, le contexte de leur genèse… on
s’interroge sur l’existence de créoles africains (cf. le
kituba), sur des créoles naissant dans les grandes villes
africaines (le « français de Moussa » en Côte-d’Ivoire), de
« créoles » partout où il y a des contacts ou apprentissage
difficile (cf. le gullah : Black English), les véhiculaires (le
lingala, le bhodjpouri…) et cf. « le joual cé-tu un créole ? »

Parmi les a-prioris qui faussent souvent la démarche :

•Rapprocher des langues d’abord parce qu’elles portent le
même nom (créoles) ! Mais qu’est-ce qu’un créole ?
•Oublier que les langues évoluent. Si les créoles se
ressemblaient beaucoup à l’origine quand la communication
était principalement lexicale et la base française encore très
perceptible, la structuration grammaticale progressive,
propre à chaque langue, rend de moins en moins possible
l’appartenance à un même type.
•On glisse vite de ressemblances formelles ou structurelles
à l’idée qu’il y a là trace d’une langue d’origine.

Comment certaines ressemblances superficielles
poussent à chercher s’il existe un « type créole ». Ex.
le verbe copule ; antéposition ou postposition
du déterminant.
Les premières études (1985-87) soulignent rapidement des
difficultés ; cf. S. Mufwene (de fait les ressemblances ne
sont-elles pas liées à la « parenté » ? cf. Meillet) :

« [Les créoles] se sont développés dans une situation de contact où
aucune langue ne pouvait être transmise intégralement d’une
génération ou d’un groupe de locuteurs à l’autre ; ils sont caractérisés
par une restructuration linguistique » (in Etudes créoles, vol. IX, n° 1,
1986, pp. 135-150 : « Les langues créoles peuvent-elles être définies
sans allusion à leur histoire ? »

Méditer sur Meillet :
« … La parenté n’implique aucune ressemblance
actuelle des langues considérées, ni surtout du
système général des langues considérées ; et
inversement il y a beaucoup de ressemblances, soit
de structure générale, soit de vocabulaire, qui
n’impliquent pas parenté. » (in Linguistique
historique et linguistique générale, 1982, p. 92

Par là Meillet sépare clairement parenté et type.

Un schéma pour expliquer les
développements des créoles dans
la Caraïbe : vers une nouvelle
définition des créoles ?





Des contacts entre populations déportées
Une histoire mouvementée et diverse
La nécessité de communiquer
Des rapports sociolinguistiques particuliers
(colonisation, esclavage)
• Des textes de différentes époques à interpréter

Français

Langues africaines

1ère rupture : du français au
créole

17001750…

Époque du
« créole »
1820…

Se dégagent
paradigmes
caractéristiques
de chaque
nouvelle langue

Cr. parlés par
les esclaves

Cr. parlé
par les
maîtres :
témoignages
écrits

2e rupture : du « créole » marqué par la
variation aux langues diverses

hai

Forces qui s’exercent sur le créole visible
(écrit) des colons : les esclaves, libérés, les
mulâtres, les engagés libres…arrivés
d’Afrique, de l’Inde… qui parlent un créole
(différent du créole des maîtres) se mettent
à écrire ou à influencer l’écrit).

gua

mar

 Dès lors qu’appelle-t-on « créole » ? Une
langue :
• quand la « créolisation » est en cours ?
• quand elle est achevée ?
Si on a des « créoles » à l’origine, on n’en a
plus après quelques siècles ! On a de « vraies
langues » (cf. Parkvall)

 NB : Des systèmes proches (quand ils étaient
élémentaires) se séparent de plus en plus.

Peut-on continuer à appeler « créoles » ces langues
indéfiniment ? N’a-t-on pas des systèmes originaux qui
constituent le guadeloupéen, le martiniquais, l’haïtien… ?
Dans ces conditions (démontrées par l’étude historique) ne
faudrait-il pas dire qu’au bout d’un certain temps historique
on n’aurait plus de « créoles » ?

« Créoles » pourrait par là maintenant désigner
certaines langues au moment de leur naissance, et
« créolisation » un certain type de « genèse » :
conditions de contacts de langues très diverses,
obligation de communiquer, domination de l’une des
langues sur les autres, transmission orale, etc.

Conclusions
• Intérêt de l’étude des « créoles » pour la
linguistique générale
• Pour une nouvelle définition des langues créoles: est-ce
que toutes les langues qui émergent dans des situations de
contacts, avec rupture de transmission, ne sont pas pour un
temps des « créoles » ? La créolisation serait un certain type
de genèse pour les langues… peut-être pas réservée aux
seuls langues appelées « créoles », mais pour autant à ne
pas transposer sur toutes les genèses.

• Tous les « créoles » historiques ne sont pas nés dans
les mêmes conditions – peut-être pas tous par
« créolisation » !
• Il est sans doute nécessaire de mieux caractériser le
temps de la genèse proprement dite (cf. notions de
pidgins, créoles…), puis l’évolution continuée de toute
langue…

• Quelles sont les types de genèses des langues? Sans
doute de nombreux types : en établir l’inventaire.
• Il s’agit bien sûr de « modèles » dont il faut évaluer la
fécondité.

 Urgence de travailler sur les langues
« émergentes » !!!

Pour m’écrire : [email protected]

Cours de linguistique créole :
http://creoles.free.fr/Cours


Slide 18

Qu’est-ce qu’une langue
créole ?
Marie-Christine Hazaël-Massieux
Université de Provence
[email protected]

Antilles

Océan Indien

Les principaux créoles français dans le
monde (ZAC puis OI)
• Louisiane










Haïti
Guadeloupe
La Dominique
Martinique
Sainte-Lucie
Guyane
Réunion
Maurice
Seychelles

4 000 000 habitants (mais peu de
créolophones)
7 000 000 habitants
422 496 habitants
100 000 habitants
381 441 habitants
150 000 habitants
157 277 habitants
707 758 habitants
1 100 000 habitants
70 000 habitants

1) Définition socio-historique
On appelle « créoles » des langues nées au
cours des siècles de la colonisation française
(européenne), dans le contact de langues
entre maîtres (de l’Ouest français, pratiquant un
français régional et populaire) et esclaves (le
plus souvent d’origine africaine) ; ces contacts
de langues étaient exclusivement oraux,
s’exerçaient hors de toute pression
normative, dans le contexte d’une domination
socio-culturelle des maîtres français.

Mais ces langues à l’origine ne s’appellent pas
créoles :
Exemple d’un texte : Moreau de Saint-Méry, 1797, Description typographique,
physique, civile, politique et hist. de la partie française de l’Isle St-Domingue

« J’ai à parler maintenant du langage qui sert à tous les nègres qui habitent la
colonie française de Saint-Domingue. C’est un français corrompu, auquel on a
mêlé plusieurs mots espagnols francisés, et où les termes marins ont aussi
trouvé leur place. On concevra aisément que ce langage, qui n’est qu’un vrai
jargon, est souvent inintelligible dans la bouche d’un vieil Africain, et qu’on le
parle d’autant mieux, qu’on l’a appris plus jeune. Ce jargon est extrêmement
mignard, et tel que l’inflexion fait la plus grande partie de l’expression. Il a aussi
son génie, (qu’on passe ce mot à un Créol qui croit ne le pas profaner), et un fait
très sûr, c’est qu’un Européen, quelque habitude qu’il en ait, quelque longue
qu’ait été sa résidence aux Isles, n’en possède jamais les finesses. »

Le terme « créole » < « criollo » désigne les populations
nées aux îles de parents venus d’ailleurs : cf. vaches
créoles, etc. Créoles, pour les populations humaines,
désigne les descendants des arrivants, qu’ils soient
blancs ou noirs.
Les premières attestations du terme de « créole » appliqué
aux langues (langues des Créoles) sont tardives : fin du
XVIIIe siècle, alors qu’on a des phrases en créole ou des
textes dans les premières décennies du XVIIIe siècle.

Toutes les langues que les créolistes appellent créoles, ne
s’appellent pas créoles : cf. le papiamento, le palenquero,
le tagalog, le sranan…

Aujourd’hui « créoles » est souvent synonyme
de « mélange de langues » (idée largement
répandue dans le grand public)
 idée qui entraîne d’ailleurs une certaine
dévalorisation : langues bâtardes ?
mais aussi idée qui peut-être nuisible à une plus
juste conception de leur développement ? – car
les créoles évoluent comme toutes les langues

2° Des exemples dans divers créoles
français
Les créoles, qui ont beaucoup évolué depuis leur origine,
sont des langues bien distinctes du français.
Ce qui caractérise les créoles, ce n’est pas tant le
lexique que la grammaire. Un exemple simple :

La bête la mangea
Ou pé ké manjé-moin
La bête la tua
Ou pé ké kué-moin

Dans les créoles on peut trouver des traces de leurs
origines multiples.
Mais ces recherches étymologiques, surtout significatives
pour le lexique (cf. Dictionnaire étymologique des créoles de
l’Océan Indien, par Annegret Bollée), risquent de faire
oublier qu’il s’agit de langues originales et nouvelles (peutêtre que beaucoup de langues sont nées ainsi (cf. les
langues romanes ???)
Noirs et blancs au cours des colonisations ont forgé de
nouvelles langues, qui ont leurs propres « systèmes »,
différents des langues d’origine : systèmes originaux et
complexes, avec leurs paradigmes, leurs modes de
structuration, leurs significations organisées différemment
des langues souches.

Un exemple : le verbe (comparaison des structures de
base guadeloupéen / haïtien)

Guadeloupe
Mwen ka manjé /
an ka manjé
Mwen manjé

Haïti
M’ap manjé

Mwen té manjé

M té manjé

Mwen ké manjé

M a manjé

M manjé

Mwen té ké manjé M t av manjé
Mwen té ka manjé M t ap manjé

Le
déterminant
défini en
gpéen,
mquais,
haïtien
Cela ne vient en
droite ligne de
rien !
Déstructuration /
restructuration ?
Et que dire de
la nouvelle
évolution du
créole haïtien :
tab-lan /
zwazo-lan /
fanm lan / pon
– lan ?

Gua

Tab-la

Mar

Tab-la

Haï

Tab-la

Zozyo-la Zozyo-(l)a

Zwazo-(l)a

Fanm-la Fanm-lan

Fanm-nan

Pon-la

Pon-(l)an

Pon-(l)an
Tè-ya
Fimen-yan

Pour comparer les pronoms dans les différents créoles
français :
http://creoles.free.fr/Cours/pronoms1.htm

Pour une petite découverte du créole martiniquais :

An grin té dri asou redout
I té an ba-y san parapli
Man té ni yonn volé an wout
E pétèt menm kay an zanmi

An ti kwen parapli
Pou an kwen paradi
Si an non té fèt pou-y
sé anj

Man vansé bò-y près a la kous
Pou mwen té ba-y tibwen labri
Chivé-y té ja bwè dlo kon mous
I pa fè pwèl sak pou-y di wi.

An ti kwen paradi
Pou an kwen parapli
Es ti ni pli bel chanj
jodi ?

3) Recherche d’une définition
typologique ?
Depuis quelques années, on s’efforce de voir s’il n’y a
pas un « type » créole : des traits toujours présents qui
caractériseraient les langues créoles quelles que soient
leurs bases : française, anglaise, portugaise…
…qui caractériseraient des langues, quelles que soient
leur date de naissance, le contexte de leur genèse… on
s’interroge sur l’existence de créoles africains (cf. le
kituba), sur des créoles naissant dans les grandes villes
africaines (le « français de Moussa » en Côte-d’Ivoire), de
« créoles » partout où il y a des contacts ou apprentissage
difficile (cf. le gullah : Black English), les véhiculaires (le
lingala, le bhodjpouri…) et cf. « le joual cé-tu un créole ? »

Parmi les a-prioris qui faussent souvent la démarche :

•Rapprocher des langues d’abord parce qu’elles portent le
même nom (créoles) ! Mais qu’est-ce qu’un créole ?
•Oublier que les langues évoluent. Si les créoles se
ressemblaient beaucoup à l’origine quand la communication
était principalement lexicale et la base française encore très
perceptible, la structuration grammaticale progressive,
propre à chaque langue, rend de moins en moins possible
l’appartenance à un même type.
•On glisse vite de ressemblances formelles ou structurelles
à l’idée qu’il y a là trace d’une langue d’origine.

Comment certaines ressemblances superficielles
poussent à chercher s’il existe un « type créole ». Ex.
le verbe copule ; antéposition ou postposition
du déterminant.
Les premières études (1985-87) soulignent rapidement des
difficultés ; cf. S. Mufwene (de fait les ressemblances ne
sont-elles pas liées à la « parenté » ? cf. Meillet) :

« [Les créoles] se sont développés dans une situation de contact où
aucune langue ne pouvait être transmise intégralement d’une
génération ou d’un groupe de locuteurs à l’autre ; ils sont caractérisés
par une restructuration linguistique » (in Etudes créoles, vol. IX, n° 1,
1986, pp. 135-150 : « Les langues créoles peuvent-elles être définies
sans allusion à leur histoire ? »

Méditer sur Meillet :
« … La parenté n’implique aucune ressemblance
actuelle des langues considérées, ni surtout du
système général des langues considérées ; et
inversement il y a beaucoup de ressemblances, soit
de structure générale, soit de vocabulaire, qui
n’impliquent pas parenté. » (in Linguistique
historique et linguistique générale, 1982, p. 92

Par là Meillet sépare clairement parenté et type.

Un schéma pour expliquer les
développements des créoles dans
la Caraïbe : vers une nouvelle
définition des créoles ?





Des contacts entre populations déportées
Une histoire mouvementée et diverse
La nécessité de communiquer
Des rapports sociolinguistiques particuliers
(colonisation, esclavage)
• Des textes de différentes époques à interpréter

Français

Langues africaines

1ère rupture : du français au
créole

17001750…

Époque du
« créole »
1820…

Se dégagent
paradigmes
caractéristiques
de chaque
nouvelle langue

Cr. parlés par
les esclaves

Cr. parlé
par les
maîtres :
témoignages
écrits

2e rupture : du « créole » marqué par la
variation aux langues diverses

hai

Forces qui s’exercent sur le créole visible
(écrit) des colons : les esclaves, libérés, les
mulâtres, les engagés libres…arrivés
d’Afrique, de l’Inde… qui parlent un créole
(différent du créole des maîtres) se mettent
à écrire ou à influencer l’écrit).

gua

mar

 Dès lors qu’appelle-t-on « créole » ? Une
langue :
• quand la « créolisation » est en cours ?
• quand elle est achevée ?
Si on a des « créoles » à l’origine, on n’en a
plus après quelques siècles ! On a de « vraies
langues » (cf. Parkvall)

 NB : Des systèmes proches (quand ils étaient
élémentaires) se séparent de plus en plus.

Peut-on continuer à appeler « créoles » ces langues
indéfiniment ? N’a-t-on pas des systèmes originaux qui
constituent le guadeloupéen, le martiniquais, l’haïtien… ?
Dans ces conditions (démontrées par l’étude historique) ne
faudrait-il pas dire qu’au bout d’un certain temps historique
on n’aurait plus de « créoles » ?

« Créoles » pourrait par là maintenant désigner
certaines langues au moment de leur naissance, et
« créolisation » un certain type de « genèse » :
conditions de contacts de langues très diverses,
obligation de communiquer, domination de l’une des
langues sur les autres, transmission orale, etc.

Conclusions
• Intérêt de l’étude des « créoles » pour la
linguistique générale
• Pour une nouvelle définition des langues créoles: est-ce
que toutes les langues qui émergent dans des situations de
contacts, avec rupture de transmission, ne sont pas pour un
temps des « créoles » ? La créolisation serait un certain type
de genèse pour les langues… peut-être pas réservée aux
seuls langues appelées « créoles », mais pour autant à ne
pas transposer sur toutes les genèses.

• Tous les « créoles » historiques ne sont pas nés dans
les mêmes conditions – peut-être pas tous par
« créolisation » !
• Il est sans doute nécessaire de mieux caractériser le
temps de la genèse proprement dite (cf. notions de
pidgins, créoles…), puis l’évolution continuée de toute
langue…

• Quelles sont les types de genèses des langues? Sans
doute de nombreux types : en établir l’inventaire.
• Il s’agit bien sûr de « modèles » dont il faut évaluer la
fécondité.

 Urgence de travailler sur les langues
« émergentes » !!!

Pour m’écrire : [email protected]

Cours de linguistique créole :
http://creoles.free.fr/Cours


Slide 19

Qu’est-ce qu’une langue
créole ?
Marie-Christine Hazaël-Massieux
Université de Provence
[email protected]

Antilles

Océan Indien

Les principaux créoles français dans le
monde (ZAC puis OI)
• Louisiane










Haïti
Guadeloupe
La Dominique
Martinique
Sainte-Lucie
Guyane
Réunion
Maurice
Seychelles

4 000 000 habitants (mais peu de
créolophones)
7 000 000 habitants
422 496 habitants
100 000 habitants
381 441 habitants
150 000 habitants
157 277 habitants
707 758 habitants
1 100 000 habitants
70 000 habitants

1) Définition socio-historique
On appelle « créoles » des langues nées au
cours des siècles de la colonisation française
(européenne), dans le contact de langues
entre maîtres (de l’Ouest français, pratiquant un
français régional et populaire) et esclaves (le
plus souvent d’origine africaine) ; ces contacts
de langues étaient exclusivement oraux,
s’exerçaient hors de toute pression
normative, dans le contexte d’une domination
socio-culturelle des maîtres français.

Mais ces langues à l’origine ne s’appellent pas
créoles :
Exemple d’un texte : Moreau de Saint-Méry, 1797, Description typographique,
physique, civile, politique et hist. de la partie française de l’Isle St-Domingue

« J’ai à parler maintenant du langage qui sert à tous les nègres qui habitent la
colonie française de Saint-Domingue. C’est un français corrompu, auquel on a
mêlé plusieurs mots espagnols francisés, et où les termes marins ont aussi
trouvé leur place. On concevra aisément que ce langage, qui n’est qu’un vrai
jargon, est souvent inintelligible dans la bouche d’un vieil Africain, et qu’on le
parle d’autant mieux, qu’on l’a appris plus jeune. Ce jargon est extrêmement
mignard, et tel que l’inflexion fait la plus grande partie de l’expression. Il a aussi
son génie, (qu’on passe ce mot à un Créol qui croit ne le pas profaner), et un fait
très sûr, c’est qu’un Européen, quelque habitude qu’il en ait, quelque longue
qu’ait été sa résidence aux Isles, n’en possède jamais les finesses. »

Le terme « créole » < « criollo » désigne les populations
nées aux îles de parents venus d’ailleurs : cf. vaches
créoles, etc. Créoles, pour les populations humaines,
désigne les descendants des arrivants, qu’ils soient
blancs ou noirs.
Les premières attestations du terme de « créole » appliqué
aux langues (langues des Créoles) sont tardives : fin du
XVIIIe siècle, alors qu’on a des phrases en créole ou des
textes dans les premières décennies du XVIIIe siècle.

Toutes les langues que les créolistes appellent créoles, ne
s’appellent pas créoles : cf. le papiamento, le palenquero,
le tagalog, le sranan…

Aujourd’hui « créoles » est souvent synonyme
de « mélange de langues » (idée largement
répandue dans le grand public)
 idée qui entraîne d’ailleurs une certaine
dévalorisation : langues bâtardes ?
mais aussi idée qui peut-être nuisible à une plus
juste conception de leur développement ? – car
les créoles évoluent comme toutes les langues

2° Des exemples dans divers créoles
français
Les créoles, qui ont beaucoup évolué depuis leur origine,
sont des langues bien distinctes du français.
Ce qui caractérise les créoles, ce n’est pas tant le
lexique que la grammaire. Un exemple simple :

La bête la mangea
Ou pé ké manjé-moin
La bête la tua
Ou pé ké kué-moin

Dans les créoles on peut trouver des traces de leurs
origines multiples.
Mais ces recherches étymologiques, surtout significatives
pour le lexique (cf. Dictionnaire étymologique des créoles de
l’Océan Indien, par Annegret Bollée), risquent de faire
oublier qu’il s’agit de langues originales et nouvelles (peutêtre que beaucoup de langues sont nées ainsi (cf. les
langues romanes ???)
Noirs et blancs au cours des colonisations ont forgé de
nouvelles langues, qui ont leurs propres « systèmes »,
différents des langues d’origine : systèmes originaux et
complexes, avec leurs paradigmes, leurs modes de
structuration, leurs significations organisées différemment
des langues souches.

Un exemple : le verbe (comparaison des structures de
base guadeloupéen / haïtien)

Guadeloupe
Mwen ka manjé /
an ka manjé
Mwen manjé

Haïti
M’ap manjé

Mwen té manjé

M té manjé

Mwen ké manjé

M a manjé

M manjé

Mwen té ké manjé M t av manjé
Mwen té ka manjé M t ap manjé

Le
déterminant
défini en
gpéen,
mquais,
haïtien
Cela ne vient en
droite ligne de
rien !
Déstructuration /
restructuration ?
Et que dire de
la nouvelle
évolution du
créole haïtien :
tab-lan /
zwazo-lan /
fanm lan / pon
– lan ?

Gua

Tab-la

Mar

Tab-la

Haï

Tab-la

Zozyo-la Zozyo-(l)a

Zwazo-(l)a

Fanm-la Fanm-lan

Fanm-nan

Pon-la

Pon-(l)an

Pon-(l)an
Tè-ya
Fimen-yan

Pour comparer les pronoms dans les différents créoles
français :
http://creoles.free.fr/Cours/pronoms1.htm

Pour une petite découverte du créole martiniquais :

An grin té dri asou redout
I té an ba-y san parapli
Man té ni yonn volé an wout
E pétèt menm kay an zanmi

An ti kwen parapli
Pou an kwen paradi
Si an non té fèt pou-y
sé anj

Man vansé bò-y près a la kous
Pou mwen té ba-y tibwen labri
Chivé-y té ja bwè dlo kon mous
I pa fè pwèl sak pou-y di wi.

An ti kwen paradi
Pou an kwen parapli
Es ti ni pli bel chanj
jodi ?

3) Recherche d’une définition
typologique ?
Depuis quelques années, on s’efforce de voir s’il n’y a
pas un « type » créole : des traits toujours présents qui
caractériseraient les langues créoles quelles que soient
leurs bases : française, anglaise, portugaise…
…qui caractériseraient des langues, quelles que soient
leur date de naissance, le contexte de leur genèse… on
s’interroge sur l’existence de créoles africains (cf. le
kituba), sur des créoles naissant dans les grandes villes
africaines (le « français de Moussa » en Côte-d’Ivoire), de
« créoles » partout où il y a des contacts ou apprentissage
difficile (cf. le gullah : Black English), les véhiculaires (le
lingala, le bhodjpouri…) et cf. « le joual cé-tu un créole ? »

Parmi les a-prioris qui faussent souvent la démarche :

•Rapprocher des langues d’abord parce qu’elles portent le
même nom (créoles) ! Mais qu’est-ce qu’un créole ?
•Oublier que les langues évoluent. Si les créoles se
ressemblaient beaucoup à l’origine quand la communication
était principalement lexicale et la base française encore très
perceptible, la structuration grammaticale progressive,
propre à chaque langue, rend de moins en moins possible
l’appartenance à un même type.
•On glisse vite de ressemblances formelles ou structurelles
à l’idée qu’il y a là trace d’une langue d’origine.

Comment certaines ressemblances superficielles
poussent à chercher s’il existe un « type créole ». Ex.
le verbe copule ; antéposition ou postposition
du déterminant.
Les premières études (1985-87) soulignent rapidement des
difficultés ; cf. S. Mufwene (de fait les ressemblances ne
sont-elles pas liées à la « parenté » ? cf. Meillet) :

« [Les créoles] se sont développés dans une situation de contact où
aucune langue ne pouvait être transmise intégralement d’une
génération ou d’un groupe de locuteurs à l’autre ; ils sont caractérisés
par une restructuration linguistique » (in Etudes créoles, vol. IX, n° 1,
1986, pp. 135-150 : « Les langues créoles peuvent-elles être définies
sans allusion à leur histoire ? »

Méditer sur Meillet :
« … La parenté n’implique aucune ressemblance
actuelle des langues considérées, ni surtout du
système général des langues considérées ; et
inversement il y a beaucoup de ressemblances, soit
de structure générale, soit de vocabulaire, qui
n’impliquent pas parenté. » (in Linguistique
historique et linguistique générale, 1982, p. 92

Par là Meillet sépare clairement parenté et type.

Un schéma pour expliquer les
développements des créoles dans
la Caraïbe : vers une nouvelle
définition des créoles ?





Des contacts entre populations déportées
Une histoire mouvementée et diverse
La nécessité de communiquer
Des rapports sociolinguistiques particuliers
(colonisation, esclavage)
• Des textes de différentes époques à interpréter

Français

Langues africaines

1ère rupture : du français au
créole

17001750…

Époque du
« créole »
1820…

Se dégagent
paradigmes
caractéristiques
de chaque
nouvelle langue

Cr. parlés par
les esclaves

Cr. parlé
par les
maîtres :
témoignages
écrits

2e rupture : du « créole » marqué par la
variation aux langues diverses

hai

Forces qui s’exercent sur le créole visible
(écrit) des colons : les esclaves, libérés, les
mulâtres, les engagés libres…arrivés
d’Afrique, de l’Inde… qui parlent un créole
(différent du créole des maîtres) se mettent
à écrire ou à influencer l’écrit).

gua

mar

 Dès lors qu’appelle-t-on « créole » ? Une
langue :
• quand la « créolisation » est en cours ?
• quand elle est achevée ?
Si on a des « créoles » à l’origine, on n’en a
plus après quelques siècles ! On a de « vraies
langues » (cf. Parkvall)

 NB : Des systèmes proches (quand ils étaient
élémentaires) se séparent de plus en plus.

Peut-on continuer à appeler « créoles » ces langues
indéfiniment ? N’a-t-on pas des systèmes originaux qui
constituent le guadeloupéen, le martiniquais, l’haïtien… ?
Dans ces conditions (démontrées par l’étude historique) ne
faudrait-il pas dire qu’au bout d’un certain temps historique
on n’aurait plus de « créoles » ?

« Créoles » pourrait par là maintenant désigner
certaines langues au moment de leur naissance, et
« créolisation » un certain type de « genèse » :
conditions de contacts de langues très diverses,
obligation de communiquer, domination de l’une des
langues sur les autres, transmission orale, etc.

Conclusions
• Intérêt de l’étude des « créoles » pour la
linguistique générale
• Pour une nouvelle définition des langues créoles: est-ce
que toutes les langues qui émergent dans des situations de
contacts, avec rupture de transmission, ne sont pas pour un
temps des « créoles » ? La créolisation serait un certain type
de genèse pour les langues… peut-être pas réservée aux
seuls langues appelées « créoles », mais pour autant à ne
pas transposer sur toutes les genèses.

• Tous les « créoles » historiques ne sont pas nés dans
les mêmes conditions – peut-être pas tous par
« créolisation » !
• Il est sans doute nécessaire de mieux caractériser le
temps de la genèse proprement dite (cf. notions de
pidgins, créoles…), puis l’évolution continuée de toute
langue…

• Quelles sont les types de genèses des langues? Sans
doute de nombreux types : en établir l’inventaire.
• Il s’agit bien sûr de « modèles » dont il faut évaluer la
fécondité.

 Urgence de travailler sur les langues
« émergentes » !!!

Pour m’écrire : [email protected]

Cours de linguistique créole :
http://creoles.free.fr/Cours


Slide 20

Qu’est-ce qu’une langue
créole ?
Marie-Christine Hazaël-Massieux
Université de Provence
[email protected]

Antilles

Océan Indien

Les principaux créoles français dans le
monde (ZAC puis OI)
• Louisiane










Haïti
Guadeloupe
La Dominique
Martinique
Sainte-Lucie
Guyane
Réunion
Maurice
Seychelles

4 000 000 habitants (mais peu de
créolophones)
7 000 000 habitants
422 496 habitants
100 000 habitants
381 441 habitants
150 000 habitants
157 277 habitants
707 758 habitants
1 100 000 habitants
70 000 habitants

1) Définition socio-historique
On appelle « créoles » des langues nées au
cours des siècles de la colonisation française
(européenne), dans le contact de langues
entre maîtres (de l’Ouest français, pratiquant un
français régional et populaire) et esclaves (le
plus souvent d’origine africaine) ; ces contacts
de langues étaient exclusivement oraux,
s’exerçaient hors de toute pression
normative, dans le contexte d’une domination
socio-culturelle des maîtres français.

Mais ces langues à l’origine ne s’appellent pas
créoles :
Exemple d’un texte : Moreau de Saint-Méry, 1797, Description typographique,
physique, civile, politique et hist. de la partie française de l’Isle St-Domingue

« J’ai à parler maintenant du langage qui sert à tous les nègres qui habitent la
colonie française de Saint-Domingue. C’est un français corrompu, auquel on a
mêlé plusieurs mots espagnols francisés, et où les termes marins ont aussi
trouvé leur place. On concevra aisément que ce langage, qui n’est qu’un vrai
jargon, est souvent inintelligible dans la bouche d’un vieil Africain, et qu’on le
parle d’autant mieux, qu’on l’a appris plus jeune. Ce jargon est extrêmement
mignard, et tel que l’inflexion fait la plus grande partie de l’expression. Il a aussi
son génie, (qu’on passe ce mot à un Créol qui croit ne le pas profaner), et un fait
très sûr, c’est qu’un Européen, quelque habitude qu’il en ait, quelque longue
qu’ait été sa résidence aux Isles, n’en possède jamais les finesses. »

Le terme « créole » < « criollo » désigne les populations
nées aux îles de parents venus d’ailleurs : cf. vaches
créoles, etc. Créoles, pour les populations humaines,
désigne les descendants des arrivants, qu’ils soient
blancs ou noirs.
Les premières attestations du terme de « créole » appliqué
aux langues (langues des Créoles) sont tardives : fin du
XVIIIe siècle, alors qu’on a des phrases en créole ou des
textes dans les premières décennies du XVIIIe siècle.

Toutes les langues que les créolistes appellent créoles, ne
s’appellent pas créoles : cf. le papiamento, le palenquero,
le tagalog, le sranan…

Aujourd’hui « créoles » est souvent synonyme
de « mélange de langues » (idée largement
répandue dans le grand public)
 idée qui entraîne d’ailleurs une certaine
dévalorisation : langues bâtardes ?
mais aussi idée qui peut-être nuisible à une plus
juste conception de leur développement ? – car
les créoles évoluent comme toutes les langues

2° Des exemples dans divers créoles
français
Les créoles, qui ont beaucoup évolué depuis leur origine,
sont des langues bien distinctes du français.
Ce qui caractérise les créoles, ce n’est pas tant le
lexique que la grammaire. Un exemple simple :

La bête la mangea
Ou pé ké manjé-moin
La bête la tua
Ou pé ké kué-moin

Dans les créoles on peut trouver des traces de leurs
origines multiples.
Mais ces recherches étymologiques, surtout significatives
pour le lexique (cf. Dictionnaire étymologique des créoles de
l’Océan Indien, par Annegret Bollée), risquent de faire
oublier qu’il s’agit de langues originales et nouvelles (peutêtre que beaucoup de langues sont nées ainsi (cf. les
langues romanes ???)
Noirs et blancs au cours des colonisations ont forgé de
nouvelles langues, qui ont leurs propres « systèmes »,
différents des langues d’origine : systèmes originaux et
complexes, avec leurs paradigmes, leurs modes de
structuration, leurs significations organisées différemment
des langues souches.

Un exemple : le verbe (comparaison des structures de
base guadeloupéen / haïtien)

Guadeloupe
Mwen ka manjé /
an ka manjé
Mwen manjé

Haïti
M’ap manjé

Mwen té manjé

M té manjé

Mwen ké manjé

M a manjé

M manjé

Mwen té ké manjé M t av manjé
Mwen té ka manjé M t ap manjé

Le
déterminant
défini en
gpéen,
mquais,
haïtien
Cela ne vient en
droite ligne de
rien !
Déstructuration /
restructuration ?
Et que dire de
la nouvelle
évolution du
créole haïtien :
tab-lan /
zwazo-lan /
fanm lan / pon
– lan ?

Gua

Tab-la

Mar

Tab-la

Haï

Tab-la

Zozyo-la Zozyo-(l)a

Zwazo-(l)a

Fanm-la Fanm-lan

Fanm-nan

Pon-la

Pon-(l)an

Pon-(l)an
Tè-ya
Fimen-yan

Pour comparer les pronoms dans les différents créoles
français :
http://creoles.free.fr/Cours/pronoms1.htm

Pour une petite découverte du créole martiniquais :

An grin té dri asou redout
I té an ba-y san parapli
Man té ni yonn volé an wout
E pétèt menm kay an zanmi

An ti kwen parapli
Pou an kwen paradi
Si an non té fèt pou-y
sé anj

Man vansé bò-y près a la kous
Pou mwen té ba-y tibwen labri
Chivé-y té ja bwè dlo kon mous
I pa fè pwèl sak pou-y di wi.

An ti kwen paradi
Pou an kwen parapli
Es ti ni pli bel chanj
jodi ?

3) Recherche d’une définition
typologique ?
Depuis quelques années, on s’efforce de voir s’il n’y a
pas un « type » créole : des traits toujours présents qui
caractériseraient les langues créoles quelles que soient
leurs bases : française, anglaise, portugaise…
…qui caractériseraient des langues, quelles que soient
leur date de naissance, le contexte de leur genèse… on
s’interroge sur l’existence de créoles africains (cf. le
kituba), sur des créoles naissant dans les grandes villes
africaines (le « français de Moussa » en Côte-d’Ivoire), de
« créoles » partout où il y a des contacts ou apprentissage
difficile (cf. le gullah : Black English), les véhiculaires (le
lingala, le bhodjpouri…) et cf. « le joual cé-tu un créole ? »

Parmi les a-prioris qui faussent souvent la démarche :

•Rapprocher des langues d’abord parce qu’elles portent le
même nom (créoles) ! Mais qu’est-ce qu’un créole ?
•Oublier que les langues évoluent. Si les créoles se
ressemblaient beaucoup à l’origine quand la communication
était principalement lexicale et la base française encore très
perceptible, la structuration grammaticale progressive,
propre à chaque langue, rend de moins en moins possible
l’appartenance à un même type.
•On glisse vite de ressemblances formelles ou structurelles
à l’idée qu’il y a là trace d’une langue d’origine.

Comment certaines ressemblances superficielles
poussent à chercher s’il existe un « type créole ». Ex.
le verbe copule ; antéposition ou postposition
du déterminant.
Les premières études (1985-87) soulignent rapidement des
difficultés ; cf. S. Mufwene (de fait les ressemblances ne
sont-elles pas liées à la « parenté » ? cf. Meillet) :

« [Les créoles] se sont développés dans une situation de contact où
aucune langue ne pouvait être transmise intégralement d’une
génération ou d’un groupe de locuteurs à l’autre ; ils sont caractérisés
par une restructuration linguistique » (in Etudes créoles, vol. IX, n° 1,
1986, pp. 135-150 : « Les langues créoles peuvent-elles être définies
sans allusion à leur histoire ? »

Méditer sur Meillet :
« … La parenté n’implique aucune ressemblance
actuelle des langues considérées, ni surtout du
système général des langues considérées ; et
inversement il y a beaucoup de ressemblances, soit
de structure générale, soit de vocabulaire, qui
n’impliquent pas parenté. » (in Linguistique
historique et linguistique générale, 1982, p. 92

Par là Meillet sépare clairement parenté et type.

Un schéma pour expliquer les
développements des créoles dans
la Caraïbe : vers une nouvelle
définition des créoles ?





Des contacts entre populations déportées
Une histoire mouvementée et diverse
La nécessité de communiquer
Des rapports sociolinguistiques particuliers
(colonisation, esclavage)
• Des textes de différentes époques à interpréter

Français

Langues africaines

1ère rupture : du français au
créole

17001750…

Époque du
« créole »
1820…

Se dégagent
paradigmes
caractéristiques
de chaque
nouvelle langue

Cr. parlés par
les esclaves

Cr. parlé
par les
maîtres :
témoignages
écrits

2e rupture : du « créole » marqué par la
variation aux langues diverses

hai

Forces qui s’exercent sur le créole visible
(écrit) des colons : les esclaves, libérés, les
mulâtres, les engagés libres…arrivés
d’Afrique, de l’Inde… qui parlent un créole
(différent du créole des maîtres) se mettent
à écrire ou à influencer l’écrit).

gua

mar

 Dès lors qu’appelle-t-on « créole » ? Une
langue :
• quand la « créolisation » est en cours ?
• quand elle est achevée ?
Si on a des « créoles » à l’origine, on n’en a
plus après quelques siècles ! On a de « vraies
langues » (cf. Parkvall)

 NB : Des systèmes proches (quand ils étaient
élémentaires) se séparent de plus en plus.

Peut-on continuer à appeler « créoles » ces langues
indéfiniment ? N’a-t-on pas des systèmes originaux qui
constituent le guadeloupéen, le martiniquais, l’haïtien… ?
Dans ces conditions (démontrées par l’étude historique) ne
faudrait-il pas dire qu’au bout d’un certain temps historique
on n’aurait plus de « créoles » ?

« Créoles » pourrait par là maintenant désigner
certaines langues au moment de leur naissance, et
« créolisation » un certain type de « genèse » :
conditions de contacts de langues très diverses,
obligation de communiquer, domination de l’une des
langues sur les autres, transmission orale, etc.

Conclusions
• Intérêt de l’étude des « créoles » pour la
linguistique générale
• Pour une nouvelle définition des langues créoles: est-ce
que toutes les langues qui émergent dans des situations de
contacts, avec rupture de transmission, ne sont pas pour un
temps des « créoles » ? La créolisation serait un certain type
de genèse pour les langues… peut-être pas réservée aux
seuls langues appelées « créoles », mais pour autant à ne
pas transposer sur toutes les genèses.

• Tous les « créoles » historiques ne sont pas nés dans
les mêmes conditions – peut-être pas tous par
« créolisation » !
• Il est sans doute nécessaire de mieux caractériser le
temps de la genèse proprement dite (cf. notions de
pidgins, créoles…), puis l’évolution continuée de toute
langue…

• Quelles sont les types de genèses des langues? Sans
doute de nombreux types : en établir l’inventaire.
• Il s’agit bien sûr de « modèles » dont il faut évaluer la
fécondité.

 Urgence de travailler sur les langues
« émergentes » !!!

Pour m’écrire : [email protected]

Cours de linguistique créole :
http://creoles.free.fr/Cours


Slide 21

Qu’est-ce qu’une langue
créole ?
Marie-Christine Hazaël-Massieux
Université de Provence
[email protected]

Antilles

Océan Indien

Les principaux créoles français dans le
monde (ZAC puis OI)
• Louisiane










Haïti
Guadeloupe
La Dominique
Martinique
Sainte-Lucie
Guyane
Réunion
Maurice
Seychelles

4 000 000 habitants (mais peu de
créolophones)
7 000 000 habitants
422 496 habitants
100 000 habitants
381 441 habitants
150 000 habitants
157 277 habitants
707 758 habitants
1 100 000 habitants
70 000 habitants

1) Définition socio-historique
On appelle « créoles » des langues nées au
cours des siècles de la colonisation française
(européenne), dans le contact de langues
entre maîtres (de l’Ouest français, pratiquant un
français régional et populaire) et esclaves (le
plus souvent d’origine africaine) ; ces contacts
de langues étaient exclusivement oraux,
s’exerçaient hors de toute pression
normative, dans le contexte d’une domination
socio-culturelle des maîtres français.

Mais ces langues à l’origine ne s’appellent pas
créoles :
Exemple d’un texte : Moreau de Saint-Méry, 1797, Description typographique,
physique, civile, politique et hist. de la partie française de l’Isle St-Domingue

« J’ai à parler maintenant du langage qui sert à tous les nègres qui habitent la
colonie française de Saint-Domingue. C’est un français corrompu, auquel on a
mêlé plusieurs mots espagnols francisés, et où les termes marins ont aussi
trouvé leur place. On concevra aisément que ce langage, qui n’est qu’un vrai
jargon, est souvent inintelligible dans la bouche d’un vieil Africain, et qu’on le
parle d’autant mieux, qu’on l’a appris plus jeune. Ce jargon est extrêmement
mignard, et tel que l’inflexion fait la plus grande partie de l’expression. Il a aussi
son génie, (qu’on passe ce mot à un Créol qui croit ne le pas profaner), et un fait
très sûr, c’est qu’un Européen, quelque habitude qu’il en ait, quelque longue
qu’ait été sa résidence aux Isles, n’en possède jamais les finesses. »

Le terme « créole » < « criollo » désigne les populations
nées aux îles de parents venus d’ailleurs : cf. vaches
créoles, etc. Créoles, pour les populations humaines,
désigne les descendants des arrivants, qu’ils soient
blancs ou noirs.
Les premières attestations du terme de « créole » appliqué
aux langues (langues des Créoles) sont tardives : fin du
XVIIIe siècle, alors qu’on a des phrases en créole ou des
textes dans les premières décennies du XVIIIe siècle.

Toutes les langues que les créolistes appellent créoles, ne
s’appellent pas créoles : cf. le papiamento, le palenquero,
le tagalog, le sranan…

Aujourd’hui « créoles » est souvent synonyme
de « mélange de langues » (idée largement
répandue dans le grand public)
 idée qui entraîne d’ailleurs une certaine
dévalorisation : langues bâtardes ?
mais aussi idée qui peut-être nuisible à une plus
juste conception de leur développement ? – car
les créoles évoluent comme toutes les langues

2° Des exemples dans divers créoles
français
Les créoles, qui ont beaucoup évolué depuis leur origine,
sont des langues bien distinctes du français.
Ce qui caractérise les créoles, ce n’est pas tant le
lexique que la grammaire. Un exemple simple :

La bête la mangea
Ou pé ké manjé-moin
La bête la tua
Ou pé ké kué-moin

Dans les créoles on peut trouver des traces de leurs
origines multiples.
Mais ces recherches étymologiques, surtout significatives
pour le lexique (cf. Dictionnaire étymologique des créoles de
l’Océan Indien, par Annegret Bollée), risquent de faire
oublier qu’il s’agit de langues originales et nouvelles (peutêtre que beaucoup de langues sont nées ainsi (cf. les
langues romanes ???)
Noirs et blancs au cours des colonisations ont forgé de
nouvelles langues, qui ont leurs propres « systèmes »,
différents des langues d’origine : systèmes originaux et
complexes, avec leurs paradigmes, leurs modes de
structuration, leurs significations organisées différemment
des langues souches.

Un exemple : le verbe (comparaison des structures de
base guadeloupéen / haïtien)

Guadeloupe
Mwen ka manjé /
an ka manjé
Mwen manjé

Haïti
M’ap manjé

Mwen té manjé

M té manjé

Mwen ké manjé

M a manjé

M manjé

Mwen té ké manjé M t av manjé
Mwen té ka manjé M t ap manjé

Le
déterminant
défini en
gpéen,
mquais,
haïtien
Cela ne vient en
droite ligne de
rien !
Déstructuration /
restructuration ?
Et que dire de
la nouvelle
évolution du
créole haïtien :
tab-lan /
zwazo-lan /
fanm lan / pon
– lan ?

Gua

Tab-la

Mar

Tab-la

Haï

Tab-la

Zozyo-la Zozyo-(l)a

Zwazo-(l)a

Fanm-la Fanm-lan

Fanm-nan

Pon-la

Pon-(l)an

Pon-(l)an
Tè-ya
Fimen-yan

Pour comparer les pronoms dans les différents créoles
français :
http://creoles.free.fr/Cours/pronoms1.htm

Pour une petite découverte du créole martiniquais :

An grin té dri asou redout
I té an ba-y san parapli
Man té ni yonn volé an wout
E pétèt menm kay an zanmi

An ti kwen parapli
Pou an kwen paradi
Si an non té fèt pou-y
sé anj

Man vansé bò-y près a la kous
Pou mwen té ba-y tibwen labri
Chivé-y té ja bwè dlo kon mous
I pa fè pwèl sak pou-y di wi.

An ti kwen paradi
Pou an kwen parapli
Es ti ni pli bel chanj
jodi ?

3) Recherche d’une définition
typologique ?
Depuis quelques années, on s’efforce de voir s’il n’y a
pas un « type » créole : des traits toujours présents qui
caractériseraient les langues créoles quelles que soient
leurs bases : française, anglaise, portugaise…
…qui caractériseraient des langues, quelles que soient
leur date de naissance, le contexte de leur genèse… on
s’interroge sur l’existence de créoles africains (cf. le
kituba), sur des créoles naissant dans les grandes villes
africaines (le « français de Moussa » en Côte-d’Ivoire), de
« créoles » partout où il y a des contacts ou apprentissage
difficile (cf. le gullah : Black English), les véhiculaires (le
lingala, le bhodjpouri…) et cf. « le joual cé-tu un créole ? »

Parmi les a-prioris qui faussent souvent la démarche :

•Rapprocher des langues d’abord parce qu’elles portent le
même nom (créoles) ! Mais qu’est-ce qu’un créole ?
•Oublier que les langues évoluent. Si les créoles se
ressemblaient beaucoup à l’origine quand la communication
était principalement lexicale et la base française encore très
perceptible, la structuration grammaticale progressive,
propre à chaque langue, rend de moins en moins possible
l’appartenance à un même type.
•On glisse vite de ressemblances formelles ou structurelles
à l’idée qu’il y a là trace d’une langue d’origine.

Comment certaines ressemblances superficielles
poussent à chercher s’il existe un « type créole ». Ex.
le verbe copule ; antéposition ou postposition
du déterminant.
Les premières études (1985-87) soulignent rapidement des
difficultés ; cf. S. Mufwene (de fait les ressemblances ne
sont-elles pas liées à la « parenté » ? cf. Meillet) :

« [Les créoles] se sont développés dans une situation de contact où
aucune langue ne pouvait être transmise intégralement d’une
génération ou d’un groupe de locuteurs à l’autre ; ils sont caractérisés
par une restructuration linguistique » (in Etudes créoles, vol. IX, n° 1,
1986, pp. 135-150 : « Les langues créoles peuvent-elles être définies
sans allusion à leur histoire ? »

Méditer sur Meillet :
« … La parenté n’implique aucune ressemblance
actuelle des langues considérées, ni surtout du
système général des langues considérées ; et
inversement il y a beaucoup de ressemblances, soit
de structure générale, soit de vocabulaire, qui
n’impliquent pas parenté. » (in Linguistique
historique et linguistique générale, 1982, p. 92

Par là Meillet sépare clairement parenté et type.

Un schéma pour expliquer les
développements des créoles dans
la Caraïbe : vers une nouvelle
définition des créoles ?





Des contacts entre populations déportées
Une histoire mouvementée et diverse
La nécessité de communiquer
Des rapports sociolinguistiques particuliers
(colonisation, esclavage)
• Des textes de différentes époques à interpréter

Français

Langues africaines

1ère rupture : du français au
créole

17001750…

Époque du
« créole »
1820…

Se dégagent
paradigmes
caractéristiques
de chaque
nouvelle langue

Cr. parlés par
les esclaves

Cr. parlé
par les
maîtres :
témoignages
écrits

2e rupture : du « créole » marqué par la
variation aux langues diverses

hai

Forces qui s’exercent sur le créole visible
(écrit) des colons : les esclaves, libérés, les
mulâtres, les engagés libres…arrivés
d’Afrique, de l’Inde… qui parlent un créole
(différent du créole des maîtres) se mettent
à écrire ou à influencer l’écrit).

gua

mar

 Dès lors qu’appelle-t-on « créole » ? Une
langue :
• quand la « créolisation » est en cours ?
• quand elle est achevée ?
Si on a des « créoles » à l’origine, on n’en a
plus après quelques siècles ! On a de « vraies
langues » (cf. Parkvall)

 NB : Des systèmes proches (quand ils étaient
élémentaires) se séparent de plus en plus.

Peut-on continuer à appeler « créoles » ces langues
indéfiniment ? N’a-t-on pas des systèmes originaux qui
constituent le guadeloupéen, le martiniquais, l’haïtien… ?
Dans ces conditions (démontrées par l’étude historique) ne
faudrait-il pas dire qu’au bout d’un certain temps historique
on n’aurait plus de « créoles » ?

« Créoles » pourrait par là maintenant désigner
certaines langues au moment de leur naissance, et
« créolisation » un certain type de « genèse » :
conditions de contacts de langues très diverses,
obligation de communiquer, domination de l’une des
langues sur les autres, transmission orale, etc.

Conclusions
• Intérêt de l’étude des « créoles » pour la
linguistique générale
• Pour une nouvelle définition des langues créoles: est-ce
que toutes les langues qui émergent dans des situations de
contacts, avec rupture de transmission, ne sont pas pour un
temps des « créoles » ? La créolisation serait un certain type
de genèse pour les langues… peut-être pas réservée aux
seuls langues appelées « créoles », mais pour autant à ne
pas transposer sur toutes les genèses.

• Tous les « créoles » historiques ne sont pas nés dans
les mêmes conditions – peut-être pas tous par
« créolisation » !
• Il est sans doute nécessaire de mieux caractériser le
temps de la genèse proprement dite (cf. notions de
pidgins, créoles…), puis l’évolution continuée de toute
langue…

• Quelles sont les types de genèses des langues? Sans
doute de nombreux types : en établir l’inventaire.
• Il s’agit bien sûr de « modèles » dont il faut évaluer la
fécondité.

 Urgence de travailler sur les langues
« émergentes » !!!

Pour m’écrire : [email protected]

Cours de linguistique créole :
http://creoles.free.fr/Cours


Slide 22

Qu’est-ce qu’une langue
créole ?
Marie-Christine Hazaël-Massieux
Université de Provence
[email protected]

Antilles

Océan Indien

Les principaux créoles français dans le
monde (ZAC puis OI)
• Louisiane










Haïti
Guadeloupe
La Dominique
Martinique
Sainte-Lucie
Guyane
Réunion
Maurice
Seychelles

4 000 000 habitants (mais peu de
créolophones)
7 000 000 habitants
422 496 habitants
100 000 habitants
381 441 habitants
150 000 habitants
157 277 habitants
707 758 habitants
1 100 000 habitants
70 000 habitants

1) Définition socio-historique
On appelle « créoles » des langues nées au
cours des siècles de la colonisation française
(européenne), dans le contact de langues
entre maîtres (de l’Ouest français, pratiquant un
français régional et populaire) et esclaves (le
plus souvent d’origine africaine) ; ces contacts
de langues étaient exclusivement oraux,
s’exerçaient hors de toute pression
normative, dans le contexte d’une domination
socio-culturelle des maîtres français.

Mais ces langues à l’origine ne s’appellent pas
créoles :
Exemple d’un texte : Moreau de Saint-Méry, 1797, Description typographique,
physique, civile, politique et hist. de la partie française de l’Isle St-Domingue

« J’ai à parler maintenant du langage qui sert à tous les nègres qui habitent la
colonie française de Saint-Domingue. C’est un français corrompu, auquel on a
mêlé plusieurs mots espagnols francisés, et où les termes marins ont aussi
trouvé leur place. On concevra aisément que ce langage, qui n’est qu’un vrai
jargon, est souvent inintelligible dans la bouche d’un vieil Africain, et qu’on le
parle d’autant mieux, qu’on l’a appris plus jeune. Ce jargon est extrêmement
mignard, et tel que l’inflexion fait la plus grande partie de l’expression. Il a aussi
son génie, (qu’on passe ce mot à un Créol qui croit ne le pas profaner), et un fait
très sûr, c’est qu’un Européen, quelque habitude qu’il en ait, quelque longue
qu’ait été sa résidence aux Isles, n’en possède jamais les finesses. »

Le terme « créole » < « criollo » désigne les populations
nées aux îles de parents venus d’ailleurs : cf. vaches
créoles, etc. Créoles, pour les populations humaines,
désigne les descendants des arrivants, qu’ils soient
blancs ou noirs.
Les premières attestations du terme de « créole » appliqué
aux langues (langues des Créoles) sont tardives : fin du
XVIIIe siècle, alors qu’on a des phrases en créole ou des
textes dans les premières décennies du XVIIIe siècle.

Toutes les langues que les créolistes appellent créoles, ne
s’appellent pas créoles : cf. le papiamento, le palenquero,
le tagalog, le sranan…

Aujourd’hui « créoles » est souvent synonyme
de « mélange de langues » (idée largement
répandue dans le grand public)
 idée qui entraîne d’ailleurs une certaine
dévalorisation : langues bâtardes ?
mais aussi idée qui peut-être nuisible à une plus
juste conception de leur développement ? – car
les créoles évoluent comme toutes les langues

2° Des exemples dans divers créoles
français
Les créoles, qui ont beaucoup évolué depuis leur origine,
sont des langues bien distinctes du français.
Ce qui caractérise les créoles, ce n’est pas tant le
lexique que la grammaire. Un exemple simple :

La bête la mangea
Ou pé ké manjé-moin
La bête la tua
Ou pé ké kué-moin

Dans les créoles on peut trouver des traces de leurs
origines multiples.
Mais ces recherches étymologiques, surtout significatives
pour le lexique (cf. Dictionnaire étymologique des créoles de
l’Océan Indien, par Annegret Bollée), risquent de faire
oublier qu’il s’agit de langues originales et nouvelles (peutêtre que beaucoup de langues sont nées ainsi (cf. les
langues romanes ???)
Noirs et blancs au cours des colonisations ont forgé de
nouvelles langues, qui ont leurs propres « systèmes »,
différents des langues d’origine : systèmes originaux et
complexes, avec leurs paradigmes, leurs modes de
structuration, leurs significations organisées différemment
des langues souches.

Un exemple : le verbe (comparaison des structures de
base guadeloupéen / haïtien)

Guadeloupe
Mwen ka manjé /
an ka manjé
Mwen manjé

Haïti
M’ap manjé

Mwen té manjé

M té manjé

Mwen ké manjé

M a manjé

M manjé

Mwen té ké manjé M t av manjé
Mwen té ka manjé M t ap manjé

Le
déterminant
défini en
gpéen,
mquais,
haïtien
Cela ne vient en
droite ligne de
rien !
Déstructuration /
restructuration ?
Et que dire de
la nouvelle
évolution du
créole haïtien :
tab-lan /
zwazo-lan /
fanm lan / pon
– lan ?

Gua

Tab-la

Mar

Tab-la

Haï

Tab-la

Zozyo-la Zozyo-(l)a

Zwazo-(l)a

Fanm-la Fanm-lan

Fanm-nan

Pon-la

Pon-(l)an

Pon-(l)an
Tè-ya
Fimen-yan

Pour comparer les pronoms dans les différents créoles
français :
http://creoles.free.fr/Cours/pronoms1.htm

Pour une petite découverte du créole martiniquais :

An grin té dri asou redout
I té an ba-y san parapli
Man té ni yonn volé an wout
E pétèt menm kay an zanmi

An ti kwen parapli
Pou an kwen paradi
Si an non té fèt pou-y
sé anj

Man vansé bò-y près a la kous
Pou mwen té ba-y tibwen labri
Chivé-y té ja bwè dlo kon mous
I pa fè pwèl sak pou-y di wi.

An ti kwen paradi
Pou an kwen parapli
Es ti ni pli bel chanj
jodi ?

3) Recherche d’une définition
typologique ?
Depuis quelques années, on s’efforce de voir s’il n’y a
pas un « type » créole : des traits toujours présents qui
caractériseraient les langues créoles quelles que soient
leurs bases : française, anglaise, portugaise…
…qui caractériseraient des langues, quelles que soient
leur date de naissance, le contexte de leur genèse… on
s’interroge sur l’existence de créoles africains (cf. le
kituba), sur des créoles naissant dans les grandes villes
africaines (le « français de Moussa » en Côte-d’Ivoire), de
« créoles » partout où il y a des contacts ou apprentissage
difficile (cf. le gullah : Black English), les véhiculaires (le
lingala, le bhodjpouri…) et cf. « le joual cé-tu un créole ? »

Parmi les a-prioris qui faussent souvent la démarche :

•Rapprocher des langues d’abord parce qu’elles portent le
même nom (créoles) ! Mais qu’est-ce qu’un créole ?
•Oublier que les langues évoluent. Si les créoles se
ressemblaient beaucoup à l’origine quand la communication
était principalement lexicale et la base française encore très
perceptible, la structuration grammaticale progressive,
propre à chaque langue, rend de moins en moins possible
l’appartenance à un même type.
•On glisse vite de ressemblances formelles ou structurelles
à l’idée qu’il y a là trace d’une langue d’origine.

Comment certaines ressemblances superficielles
poussent à chercher s’il existe un « type créole ». Ex.
le verbe copule ; antéposition ou postposition
du déterminant.
Les premières études (1985-87) soulignent rapidement des
difficultés ; cf. S. Mufwene (de fait les ressemblances ne
sont-elles pas liées à la « parenté » ? cf. Meillet) :

« [Les créoles] se sont développés dans une situation de contact où
aucune langue ne pouvait être transmise intégralement d’une
génération ou d’un groupe de locuteurs à l’autre ; ils sont caractérisés
par une restructuration linguistique » (in Etudes créoles, vol. IX, n° 1,
1986, pp. 135-150 : « Les langues créoles peuvent-elles être définies
sans allusion à leur histoire ? »

Méditer sur Meillet :
« … La parenté n’implique aucune ressemblance
actuelle des langues considérées, ni surtout du
système général des langues considérées ; et
inversement il y a beaucoup de ressemblances, soit
de structure générale, soit de vocabulaire, qui
n’impliquent pas parenté. » (in Linguistique
historique et linguistique générale, 1982, p. 92

Par là Meillet sépare clairement parenté et type.

Un schéma pour expliquer les
développements des créoles dans
la Caraïbe : vers une nouvelle
définition des créoles ?





Des contacts entre populations déportées
Une histoire mouvementée et diverse
La nécessité de communiquer
Des rapports sociolinguistiques particuliers
(colonisation, esclavage)
• Des textes de différentes époques à interpréter

Français

Langues africaines

1ère rupture : du français au
créole

17001750…

Époque du
« créole »
1820…

Se dégagent
paradigmes
caractéristiques
de chaque
nouvelle langue

Cr. parlés par
les esclaves

Cr. parlé
par les
maîtres :
témoignages
écrits

2e rupture : du « créole » marqué par la
variation aux langues diverses

hai

Forces qui s’exercent sur le créole visible
(écrit) des colons : les esclaves, libérés, les
mulâtres, les engagés libres…arrivés
d’Afrique, de l’Inde… qui parlent un créole
(différent du créole des maîtres) se mettent
à écrire ou à influencer l’écrit).

gua

mar

 Dès lors qu’appelle-t-on « créole » ? Une
langue :
• quand la « créolisation » est en cours ?
• quand elle est achevée ?
Si on a des « créoles » à l’origine, on n’en a
plus après quelques siècles ! On a de « vraies
langues » (cf. Parkvall)

 NB : Des systèmes proches (quand ils étaient
élémentaires) se séparent de plus en plus.

Peut-on continuer à appeler « créoles » ces langues
indéfiniment ? N’a-t-on pas des systèmes originaux qui
constituent le guadeloupéen, le martiniquais, l’haïtien… ?
Dans ces conditions (démontrées par l’étude historique) ne
faudrait-il pas dire qu’au bout d’un certain temps historique
on n’aurait plus de « créoles » ?

« Créoles » pourrait par là maintenant désigner
certaines langues au moment de leur naissance, et
« créolisation » un certain type de « genèse » :
conditions de contacts de langues très diverses,
obligation de communiquer, domination de l’une des
langues sur les autres, transmission orale, etc.

Conclusions
• Intérêt de l’étude des « créoles » pour la
linguistique générale
• Pour une nouvelle définition des langues créoles: est-ce
que toutes les langues qui émergent dans des situations de
contacts, avec rupture de transmission, ne sont pas pour un
temps des « créoles » ? La créolisation serait un certain type
de genèse pour les langues… peut-être pas réservée aux
seuls langues appelées « créoles », mais pour autant à ne
pas transposer sur toutes les genèses.

• Tous les « créoles » historiques ne sont pas nés dans
les mêmes conditions – peut-être pas tous par
« créolisation » !
• Il est sans doute nécessaire de mieux caractériser le
temps de la genèse proprement dite (cf. notions de
pidgins, créoles…), puis l’évolution continuée de toute
langue…

• Quelles sont les types de genèses des langues? Sans
doute de nombreux types : en établir l’inventaire.
• Il s’agit bien sûr de « modèles » dont il faut évaluer la
fécondité.

 Urgence de travailler sur les langues
« émergentes » !!!

Pour m’écrire : [email protected]

Cours de linguistique créole :
http://creoles.free.fr/Cours


Slide 23

Qu’est-ce qu’une langue
créole ?
Marie-Christine Hazaël-Massieux
Université de Provence
[email protected]

Antilles

Océan Indien

Les principaux créoles français dans le
monde (ZAC puis OI)
• Louisiane










Haïti
Guadeloupe
La Dominique
Martinique
Sainte-Lucie
Guyane
Réunion
Maurice
Seychelles

4 000 000 habitants (mais peu de
créolophones)
7 000 000 habitants
422 496 habitants
100 000 habitants
381 441 habitants
150 000 habitants
157 277 habitants
707 758 habitants
1 100 000 habitants
70 000 habitants

1) Définition socio-historique
On appelle « créoles » des langues nées au
cours des siècles de la colonisation française
(européenne), dans le contact de langues
entre maîtres (de l’Ouest français, pratiquant un
français régional et populaire) et esclaves (le
plus souvent d’origine africaine) ; ces contacts
de langues étaient exclusivement oraux,
s’exerçaient hors de toute pression
normative, dans le contexte d’une domination
socio-culturelle des maîtres français.

Mais ces langues à l’origine ne s’appellent pas
créoles :
Exemple d’un texte : Moreau de Saint-Méry, 1797, Description typographique,
physique, civile, politique et hist. de la partie française de l’Isle St-Domingue

« J’ai à parler maintenant du langage qui sert à tous les nègres qui habitent la
colonie française de Saint-Domingue. C’est un français corrompu, auquel on a
mêlé plusieurs mots espagnols francisés, et où les termes marins ont aussi
trouvé leur place. On concevra aisément que ce langage, qui n’est qu’un vrai
jargon, est souvent inintelligible dans la bouche d’un vieil Africain, et qu’on le
parle d’autant mieux, qu’on l’a appris plus jeune. Ce jargon est extrêmement
mignard, et tel que l’inflexion fait la plus grande partie de l’expression. Il a aussi
son génie, (qu’on passe ce mot à un Créol qui croit ne le pas profaner), et un fait
très sûr, c’est qu’un Européen, quelque habitude qu’il en ait, quelque longue
qu’ait été sa résidence aux Isles, n’en possède jamais les finesses. »

Le terme « créole » < « criollo » désigne les populations
nées aux îles de parents venus d’ailleurs : cf. vaches
créoles, etc. Créoles, pour les populations humaines,
désigne les descendants des arrivants, qu’ils soient
blancs ou noirs.
Les premières attestations du terme de « créole » appliqué
aux langues (langues des Créoles) sont tardives : fin du
XVIIIe siècle, alors qu’on a des phrases en créole ou des
textes dans les premières décennies du XVIIIe siècle.

Toutes les langues que les créolistes appellent créoles, ne
s’appellent pas créoles : cf. le papiamento, le palenquero,
le tagalog, le sranan…

Aujourd’hui « créoles » est souvent synonyme
de « mélange de langues » (idée largement
répandue dans le grand public)
 idée qui entraîne d’ailleurs une certaine
dévalorisation : langues bâtardes ?
mais aussi idée qui peut-être nuisible à une plus
juste conception de leur développement ? – car
les créoles évoluent comme toutes les langues

2° Des exemples dans divers créoles
français
Les créoles, qui ont beaucoup évolué depuis leur origine,
sont des langues bien distinctes du français.
Ce qui caractérise les créoles, ce n’est pas tant le
lexique que la grammaire. Un exemple simple :

La bête la mangea
Ou pé ké manjé-moin
La bête la tua
Ou pé ké kué-moin

Dans les créoles on peut trouver des traces de leurs
origines multiples.
Mais ces recherches étymologiques, surtout significatives
pour le lexique (cf. Dictionnaire étymologique des créoles de
l’Océan Indien, par Annegret Bollée), risquent de faire
oublier qu’il s’agit de langues originales et nouvelles (peutêtre que beaucoup de langues sont nées ainsi (cf. les
langues romanes ???)
Noirs et blancs au cours des colonisations ont forgé de
nouvelles langues, qui ont leurs propres « systèmes »,
différents des langues d’origine : systèmes originaux et
complexes, avec leurs paradigmes, leurs modes de
structuration, leurs significations organisées différemment
des langues souches.

Un exemple : le verbe (comparaison des structures de
base guadeloupéen / haïtien)

Guadeloupe
Mwen ka manjé /
an ka manjé
Mwen manjé

Haïti
M’ap manjé

Mwen té manjé

M té manjé

Mwen ké manjé

M a manjé

M manjé

Mwen té ké manjé M t av manjé
Mwen té ka manjé M t ap manjé

Le
déterminant
défini en
gpéen,
mquais,
haïtien
Cela ne vient en
droite ligne de
rien !
Déstructuration /
restructuration ?
Et que dire de
la nouvelle
évolution du
créole haïtien :
tab-lan /
zwazo-lan /
fanm lan / pon
– lan ?

Gua

Tab-la

Mar

Tab-la

Haï

Tab-la

Zozyo-la Zozyo-(l)a

Zwazo-(l)a

Fanm-la Fanm-lan

Fanm-nan

Pon-la

Pon-(l)an

Pon-(l)an
Tè-ya
Fimen-yan

Pour comparer les pronoms dans les différents créoles
français :
http://creoles.free.fr/Cours/pronoms1.htm

Pour une petite découverte du créole martiniquais :

An grin té dri asou redout
I té an ba-y san parapli
Man té ni yonn volé an wout
E pétèt menm kay an zanmi

An ti kwen parapli
Pou an kwen paradi
Si an non té fèt pou-y
sé anj

Man vansé bò-y près a la kous
Pou mwen té ba-y tibwen labri
Chivé-y té ja bwè dlo kon mous
I pa fè pwèl sak pou-y di wi.

An ti kwen paradi
Pou an kwen parapli
Es ti ni pli bel chanj
jodi ?

3) Recherche d’une définition
typologique ?
Depuis quelques années, on s’efforce de voir s’il n’y a
pas un « type » créole : des traits toujours présents qui
caractériseraient les langues créoles quelles que soient
leurs bases : française, anglaise, portugaise…
…qui caractériseraient des langues, quelles que soient
leur date de naissance, le contexte de leur genèse… on
s’interroge sur l’existence de créoles africains (cf. le
kituba), sur des créoles naissant dans les grandes villes
africaines (le « français de Moussa » en Côte-d’Ivoire), de
« créoles » partout où il y a des contacts ou apprentissage
difficile (cf. le gullah : Black English), les véhiculaires (le
lingala, le bhodjpouri…) et cf. « le joual cé-tu un créole ? »

Parmi les a-prioris qui faussent souvent la démarche :

•Rapprocher des langues d’abord parce qu’elles portent le
même nom (créoles) ! Mais qu’est-ce qu’un créole ?
•Oublier que les langues évoluent. Si les créoles se
ressemblaient beaucoup à l’origine quand la communication
était principalement lexicale et la base française encore très
perceptible, la structuration grammaticale progressive,
propre à chaque langue, rend de moins en moins possible
l’appartenance à un même type.
•On glisse vite de ressemblances formelles ou structurelles
à l’idée qu’il y a là trace d’une langue d’origine.

Comment certaines ressemblances superficielles
poussent à chercher s’il existe un « type créole ». Ex.
le verbe copule ; antéposition ou postposition
du déterminant.
Les premières études (1985-87) soulignent rapidement des
difficultés ; cf. S. Mufwene (de fait les ressemblances ne
sont-elles pas liées à la « parenté » ? cf. Meillet) :

« [Les créoles] se sont développés dans une situation de contact où
aucune langue ne pouvait être transmise intégralement d’une
génération ou d’un groupe de locuteurs à l’autre ; ils sont caractérisés
par une restructuration linguistique » (in Etudes créoles, vol. IX, n° 1,
1986, pp. 135-150 : « Les langues créoles peuvent-elles être définies
sans allusion à leur histoire ? »

Méditer sur Meillet :
« … La parenté n’implique aucune ressemblance
actuelle des langues considérées, ni surtout du
système général des langues considérées ; et
inversement il y a beaucoup de ressemblances, soit
de structure générale, soit de vocabulaire, qui
n’impliquent pas parenté. » (in Linguistique
historique et linguistique générale, 1982, p. 92

Par là Meillet sépare clairement parenté et type.

Un schéma pour expliquer les
développements des créoles dans
la Caraïbe : vers une nouvelle
définition des créoles ?





Des contacts entre populations déportées
Une histoire mouvementée et diverse
La nécessité de communiquer
Des rapports sociolinguistiques particuliers
(colonisation, esclavage)
• Des textes de différentes époques à interpréter

Français

Langues africaines

1ère rupture : du français au
créole

17001750…

Époque du
« créole »
1820…

Se dégagent
paradigmes
caractéristiques
de chaque
nouvelle langue

Cr. parlés par
les esclaves

Cr. parlé
par les
maîtres :
témoignages
écrits

2e rupture : du « créole » marqué par la
variation aux langues diverses

hai

Forces qui s’exercent sur le créole visible
(écrit) des colons : les esclaves, libérés, les
mulâtres, les engagés libres…arrivés
d’Afrique, de l’Inde… qui parlent un créole
(différent du créole des maîtres) se mettent
à écrire ou à influencer l’écrit).

gua

mar

 Dès lors qu’appelle-t-on « créole » ? Une
langue :
• quand la « créolisation » est en cours ?
• quand elle est achevée ?
Si on a des « créoles » à l’origine, on n’en a
plus après quelques siècles ! On a de « vraies
langues » (cf. Parkvall)

 NB : Des systèmes proches (quand ils étaient
élémentaires) se séparent de plus en plus.

Peut-on continuer à appeler « créoles » ces langues
indéfiniment ? N’a-t-on pas des systèmes originaux qui
constituent le guadeloupéen, le martiniquais, l’haïtien… ?
Dans ces conditions (démontrées par l’étude historique) ne
faudrait-il pas dire qu’au bout d’un certain temps historique
on n’aurait plus de « créoles » ?

« Créoles » pourrait par là maintenant désigner
certaines langues au moment de leur naissance, et
« créolisation » un certain type de « genèse » :
conditions de contacts de langues très diverses,
obligation de communiquer, domination de l’une des
langues sur les autres, transmission orale, etc.

Conclusions
• Intérêt de l’étude des « créoles » pour la
linguistique générale
• Pour une nouvelle définition des langues créoles: est-ce
que toutes les langues qui émergent dans des situations de
contacts, avec rupture de transmission, ne sont pas pour un
temps des « créoles » ? La créolisation serait un certain type
de genèse pour les langues… peut-être pas réservée aux
seuls langues appelées « créoles », mais pour autant à ne
pas transposer sur toutes les genèses.

• Tous les « créoles » historiques ne sont pas nés dans
les mêmes conditions – peut-être pas tous par
« créolisation » !
• Il est sans doute nécessaire de mieux caractériser le
temps de la genèse proprement dite (cf. notions de
pidgins, créoles…), puis l’évolution continuée de toute
langue…

• Quelles sont les types de genèses des langues? Sans
doute de nombreux types : en établir l’inventaire.
• Il s’agit bien sûr de « modèles » dont il faut évaluer la
fécondité.

 Urgence de travailler sur les langues
« émergentes » !!!

Pour m’écrire : [email protected]

Cours de linguistique créole :
http://creoles.free.fr/Cours


Slide 24

Qu’est-ce qu’une langue
créole ?
Marie-Christine Hazaël-Massieux
Université de Provence
[email protected]

Antilles

Océan Indien

Les principaux créoles français dans le
monde (ZAC puis OI)
• Louisiane










Haïti
Guadeloupe
La Dominique
Martinique
Sainte-Lucie
Guyane
Réunion
Maurice
Seychelles

4 000 000 habitants (mais peu de
créolophones)
7 000 000 habitants
422 496 habitants
100 000 habitants
381 441 habitants
150 000 habitants
157 277 habitants
707 758 habitants
1 100 000 habitants
70 000 habitants

1) Définition socio-historique
On appelle « créoles » des langues nées au
cours des siècles de la colonisation française
(européenne), dans le contact de langues
entre maîtres (de l’Ouest français, pratiquant un
français régional et populaire) et esclaves (le
plus souvent d’origine africaine) ; ces contacts
de langues étaient exclusivement oraux,
s’exerçaient hors de toute pression
normative, dans le contexte d’une domination
socio-culturelle des maîtres français.

Mais ces langues à l’origine ne s’appellent pas
créoles :
Exemple d’un texte : Moreau de Saint-Méry, 1797, Description typographique,
physique, civile, politique et hist. de la partie française de l’Isle St-Domingue

« J’ai à parler maintenant du langage qui sert à tous les nègres qui habitent la
colonie française de Saint-Domingue. C’est un français corrompu, auquel on a
mêlé plusieurs mots espagnols francisés, et où les termes marins ont aussi
trouvé leur place. On concevra aisément que ce langage, qui n’est qu’un vrai
jargon, est souvent inintelligible dans la bouche d’un vieil Africain, et qu’on le
parle d’autant mieux, qu’on l’a appris plus jeune. Ce jargon est extrêmement
mignard, et tel que l’inflexion fait la plus grande partie de l’expression. Il a aussi
son génie, (qu’on passe ce mot à un Créol qui croit ne le pas profaner), et un fait
très sûr, c’est qu’un Européen, quelque habitude qu’il en ait, quelque longue
qu’ait été sa résidence aux Isles, n’en possède jamais les finesses. »

Le terme « créole » < « criollo » désigne les populations
nées aux îles de parents venus d’ailleurs : cf. vaches
créoles, etc. Créoles, pour les populations humaines,
désigne les descendants des arrivants, qu’ils soient
blancs ou noirs.
Les premières attestations du terme de « créole » appliqué
aux langues (langues des Créoles) sont tardives : fin du
XVIIIe siècle, alors qu’on a des phrases en créole ou des
textes dans les premières décennies du XVIIIe siècle.

Toutes les langues que les créolistes appellent créoles, ne
s’appellent pas créoles : cf. le papiamento, le palenquero,
le tagalog, le sranan…

Aujourd’hui « créoles » est souvent synonyme
de « mélange de langues » (idée largement
répandue dans le grand public)
 idée qui entraîne d’ailleurs une certaine
dévalorisation : langues bâtardes ?
mais aussi idée qui peut-être nuisible à une plus
juste conception de leur développement ? – car
les créoles évoluent comme toutes les langues

2° Des exemples dans divers créoles
français
Les créoles, qui ont beaucoup évolué depuis leur origine,
sont des langues bien distinctes du français.
Ce qui caractérise les créoles, ce n’est pas tant le
lexique que la grammaire. Un exemple simple :

La bête la mangea
Ou pé ké manjé-moin
La bête la tua
Ou pé ké kué-moin

Dans les créoles on peut trouver des traces de leurs
origines multiples.
Mais ces recherches étymologiques, surtout significatives
pour le lexique (cf. Dictionnaire étymologique des créoles de
l’Océan Indien, par Annegret Bollée), risquent de faire
oublier qu’il s’agit de langues originales et nouvelles (peutêtre que beaucoup de langues sont nées ainsi (cf. les
langues romanes ???)
Noirs et blancs au cours des colonisations ont forgé de
nouvelles langues, qui ont leurs propres « systèmes »,
différents des langues d’origine : systèmes originaux et
complexes, avec leurs paradigmes, leurs modes de
structuration, leurs significations organisées différemment
des langues souches.

Un exemple : le verbe (comparaison des structures de
base guadeloupéen / haïtien)

Guadeloupe
Mwen ka manjé /
an ka manjé
Mwen manjé

Haïti
M’ap manjé

Mwen té manjé

M té manjé

Mwen ké manjé

M a manjé

M manjé

Mwen té ké manjé M t av manjé
Mwen té ka manjé M t ap manjé

Le
déterminant
défini en
gpéen,
mquais,
haïtien
Cela ne vient en
droite ligne de
rien !
Déstructuration /
restructuration ?
Et que dire de
la nouvelle
évolution du
créole haïtien :
tab-lan /
zwazo-lan /
fanm lan / pon
– lan ?

Gua

Tab-la

Mar

Tab-la

Haï

Tab-la

Zozyo-la Zozyo-(l)a

Zwazo-(l)a

Fanm-la Fanm-lan

Fanm-nan

Pon-la

Pon-(l)an

Pon-(l)an
Tè-ya
Fimen-yan

Pour comparer les pronoms dans les différents créoles
français :
http://creoles.free.fr/Cours/pronoms1.htm

Pour une petite découverte du créole martiniquais :

An grin té dri asou redout
I té an ba-y san parapli
Man té ni yonn volé an wout
E pétèt menm kay an zanmi

An ti kwen parapli
Pou an kwen paradi
Si an non té fèt pou-y
sé anj

Man vansé bò-y près a la kous
Pou mwen té ba-y tibwen labri
Chivé-y té ja bwè dlo kon mous
I pa fè pwèl sak pou-y di wi.

An ti kwen paradi
Pou an kwen parapli
Es ti ni pli bel chanj
jodi ?

3) Recherche d’une définition
typologique ?
Depuis quelques années, on s’efforce de voir s’il n’y a
pas un « type » créole : des traits toujours présents qui
caractériseraient les langues créoles quelles que soient
leurs bases : française, anglaise, portugaise…
…qui caractériseraient des langues, quelles que soient
leur date de naissance, le contexte de leur genèse… on
s’interroge sur l’existence de créoles africains (cf. le
kituba), sur des créoles naissant dans les grandes villes
africaines (le « français de Moussa » en Côte-d’Ivoire), de
« créoles » partout où il y a des contacts ou apprentissage
difficile (cf. le gullah : Black English), les véhiculaires (le
lingala, le bhodjpouri…) et cf. « le joual cé-tu un créole ? »

Parmi les a-prioris qui faussent souvent la démarche :

•Rapprocher des langues d’abord parce qu’elles portent le
même nom (créoles) ! Mais qu’est-ce qu’un créole ?
•Oublier que les langues évoluent. Si les créoles se
ressemblaient beaucoup à l’origine quand la communication
était principalement lexicale et la base française encore très
perceptible, la structuration grammaticale progressive,
propre à chaque langue, rend de moins en moins possible
l’appartenance à un même type.
•On glisse vite de ressemblances formelles ou structurelles
à l’idée qu’il y a là trace d’une langue d’origine.

Comment certaines ressemblances superficielles
poussent à chercher s’il existe un « type créole ». Ex.
le verbe copule ; antéposition ou postposition
du déterminant.
Les premières études (1985-87) soulignent rapidement des
difficultés ; cf. S. Mufwene (de fait les ressemblances ne
sont-elles pas liées à la « parenté » ? cf. Meillet) :

« [Les créoles] se sont développés dans une situation de contact où
aucune langue ne pouvait être transmise intégralement d’une
génération ou d’un groupe de locuteurs à l’autre ; ils sont caractérisés
par une restructuration linguistique » (in Etudes créoles, vol. IX, n° 1,
1986, pp. 135-150 : « Les langues créoles peuvent-elles être définies
sans allusion à leur histoire ? »

Méditer sur Meillet :
« … La parenté n’implique aucune ressemblance
actuelle des langues considérées, ni surtout du
système général des langues considérées ; et
inversement il y a beaucoup de ressemblances, soit
de structure générale, soit de vocabulaire, qui
n’impliquent pas parenté. » (in Linguistique
historique et linguistique générale, 1982, p. 92

Par là Meillet sépare clairement parenté et type.

Un schéma pour expliquer les
développements des créoles dans
la Caraïbe : vers une nouvelle
définition des créoles ?





Des contacts entre populations déportées
Une histoire mouvementée et diverse
La nécessité de communiquer
Des rapports sociolinguistiques particuliers
(colonisation, esclavage)
• Des textes de différentes époques à interpréter

Français

Langues africaines

1ère rupture : du français au
créole

17001750…

Époque du
« créole »
1820…

Se dégagent
paradigmes
caractéristiques
de chaque
nouvelle langue

Cr. parlés par
les esclaves

Cr. parlé
par les
maîtres :
témoignages
écrits

2e rupture : du « créole » marqué par la
variation aux langues diverses

hai

Forces qui s’exercent sur le créole visible
(écrit) des colons : les esclaves, libérés, les
mulâtres, les engagés libres…arrivés
d’Afrique, de l’Inde… qui parlent un créole
(différent du créole des maîtres) se mettent
à écrire ou à influencer l’écrit).

gua

mar

 Dès lors qu’appelle-t-on « créole » ? Une
langue :
• quand la « créolisation » est en cours ?
• quand elle est achevée ?
Si on a des « créoles » à l’origine, on n’en a
plus après quelques siècles ! On a de « vraies
langues » (cf. Parkvall)

 NB : Des systèmes proches (quand ils étaient
élémentaires) se séparent de plus en plus.

Peut-on continuer à appeler « créoles » ces langues
indéfiniment ? N’a-t-on pas des systèmes originaux qui
constituent le guadeloupéen, le martiniquais, l’haïtien… ?
Dans ces conditions (démontrées par l’étude historique) ne
faudrait-il pas dire qu’au bout d’un certain temps historique
on n’aurait plus de « créoles » ?

« Créoles » pourrait par là maintenant désigner
certaines langues au moment de leur naissance, et
« créolisation » un certain type de « genèse » :
conditions de contacts de langues très diverses,
obligation de communiquer, domination de l’une des
langues sur les autres, transmission orale, etc.

Conclusions
• Intérêt de l’étude des « créoles » pour la
linguistique générale
• Pour une nouvelle définition des langues créoles: est-ce
que toutes les langues qui émergent dans des situations de
contacts, avec rupture de transmission, ne sont pas pour un
temps des « créoles » ? La créolisation serait un certain type
de genèse pour les langues… peut-être pas réservée aux
seuls langues appelées « créoles », mais pour autant à ne
pas transposer sur toutes les genèses.

• Tous les « créoles » historiques ne sont pas nés dans
les mêmes conditions – peut-être pas tous par
« créolisation » !
• Il est sans doute nécessaire de mieux caractériser le
temps de la genèse proprement dite (cf. notions de
pidgins, créoles…), puis l’évolution continuée de toute
langue…

• Quelles sont les types de genèses des langues? Sans
doute de nombreux types : en établir l’inventaire.
• Il s’agit bien sûr de « modèles » dont il faut évaluer la
fécondité.

 Urgence de travailler sur les langues
« émergentes » !!!

Pour m’écrire : [email protected]

Cours de linguistique créole :
http://creoles.free.fr/Cours