Les créoles français Marie-Christine Hazaël-Massieux Université de Provence [email protected] http://creoles.free.fr/Cours On appelle créoles des langues nées au cours des colonisations européennes des XVIIe – XVIIIe.

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Transcript Les créoles français Marie-Christine Hazaël-Massieux Université de Provence [email protected] http://creoles.free.fr/Cours On appelle créoles des langues nées au cours des colonisations européennes des XVIIe – XVIIIe.

Les créoles français
Marie-Christine Hazaël-Massieux
Université de Provence
[email protected]
http://creoles.free.fr/Cours
On appelle créoles des langues nées au cours des colonisations
européennes des XVIIe – XVIIIe siècles dans le contexte des
contacts de populations liés à l’esclavage.
Attention : les créoles ne sont pas des « langues
mixtes », mais le résultat d’évolutions
linguistiques spécifiques qui ont touché des
variétés populaires de langues européennes, du
fait du contact de langues et de la
communication exclusivement orale, ceci hors
de toute pression normative.
Il y a donc des créoles très divers : créoles anglais, créoles
portugais, créoles néerlandais… et des créoles français.
Il sera ici question des créoles français,
c’est-à-dire des créoles qui sont parlés
dans des zones issues de la colonisation
française : tant dans la zone américanocaraïbe que dans l’Océan Indien.
Antilles
La zone qui nous intéresse en priorité dans ce cours :
L’L’«
« arc antillais »
Les pays créolophones et leurs populations
(créoles à base lexicale française)
Pays
Dominique
Grenade
Guadeloupe
Guyane
Haïti
Superficie
751 km2
344 km2
1 709 km2
91 000 km2
27 750 km2
Population
100 000 hab.
100 000 hab.
422 496 hab.
157 277 hab.
7 000 000 hab.
Louisiane
Martinique
Maurice
Réunion
Sainte-Lucie
Saint-Thomas
Seychelles
Trinidad
235 675 km2 4 000 000 hab.
1 100 km2 381 441 hab.
2 040 km2 1 100 000 hab.
2 511 km2 707 758 hab.
616 km2 150 000 hab.
83 km2
56 000 hab.
410 km2
70 000 hab.
5 128 km2 1 300 000 hab.
Dans tous ces pays, le créole fonctionne en
alternance avec une langue européenne, le
français et/ou l’anglais, dans des situations qui
sont proches des classiques situations de
diglossie.
Le linguiste américain, Ch. Ferguson, dans
les années 1958-60 (« Diglossia », in Word, vol. 15,
1959) définissait la diglossie comme l’usage
dans la communication de deux variétés
d’une même langue, utilisées l’une ou l’autre
en fonction des moments et des situations de
discours. Il nomme ces variétés « haute » et
« basse ». L’une des variétés est fortement
valorisée, tandis que l’autre est stigmatisée.
Quelques remarques (ou nuances) à
propos de la diglossie telle que
l’envisageait Ferguson :
- D’une part, il semble difficile de dire que
créole et français sont des variétés d’une
même langue (la définition de ce fait a été
revue) ; on a bien affaire à deux langues ;
dans certains lieux, la langue « haute » est
l’anglais, la langue « basse » un créole
français.
- D’autre part, bien rares sont les pays où règne
une « diglossie stricte » (conforme à la
définition de Ferguson) :
• En Haïti, 85 à 90 % de la population est unilingue créole
• La complémentarité stricte entre créole et français qui
ferait que ce qui se dit en créole ne peut se dire en français
et ce qui se dit en français ne peut se dire en créole n’est
pas (n’est plus ?) très exacte : n’est-on pas dans certaines
zones en route vers le bilinguisme ?
• En outre on voit parfois se développer des
« interlangues » où sont mêlés à tout moment français et
créole : les « règles » de ces mélanges (s’il y en a) sont
difficiles à établir.
Pour une autre représentation
des situations diglossiques.
On peut essayer de décrire ces situations de
diglossie (de fait, diverses), qui varient selon les
pays et surtout selon les groupes sociaux, au
moyen des schémas suivants :
H
B
français
créole
Diglossie stricte
B
H
français
créole
Bilinguisme « idéal »
H
B
français
créole
Un exemple de diglossie « réelle »
Un petit texte à retenir : on y examinera les alternances
français / créole.
La bête la mangea
Ou pé ké manjé-moin
La bête la tua
Ou pé ké kué-moin
Peut-on dire que les créoles sont des dialectes ?
des patois ?
Leur statut est très différent de celui des
langues parlées sur le territoire français
hexagonal, qu’on appelle souvent dialecte ou
patois, et qui ont presque disparues (elles ne
sont plus parlées que dans des lieux reculés
par les personnes les plus âgées) : le
provençal, le breton, l’occitan, le savoyard…
Aux Antilles :
• Tout le monde parle créole (y compris les enfants très jeunes)
• Quand des métropolitains ou des étrangers arrivent aux
Antilles, ils apprennent le créole dans la vie quotidienne (cf. les
enfants dans les cours de récréation)
• Quand on ne parle pas créole, on se sent exclu de toutes sortes
de connivences, d’éléments de culture…
• Le créole peut s’apprendre, comme toutes les langues, même si
les cours sont rares (faute de professeurs formés – il ne suffit pas
de parler le créole pour l’enseigner – et par manque d’élèves :
comme on n’est pas convaincu que le créole est une vraie
langue, on se demande si cela vaut la peine de perdre du temps à
apprendre un patois !)
Qu’est-ce qu’un dialecte ?
Un dialecte est la forme régionale d’une
langue et doit être considéré comme un
système linguistique en soi. Quand on parle de
dialecte, cela veut dire que l’on envisage une
langue dans ses ressemblances, ses évolutions,
par rapport à d’autres langues apparentées
(« langue-mère », « langues-sœurs »).
Ex. : le provençal de la région d’Aix et l’occitan de
Perpignan sont apparentés. Ils proviennent tous deux d’une
même souche romane (évolution du latin classique), et ont
évolué en se séparant progressivement.
Tout au plus pourrait-on dire que le martiniquais et le
guadeloupéen sont des dialectes de l’antillais – si l’on arrive un
jour à prouver l’existence d’une langue-mère commune à
l’origine.
Mais le guadeloupéen et le réunionnais qui ont des origines
tout à fait différentes ne sont pas des dialectes d’une même
langue !
En France, il est souvent difficile d’envisager
le terme de « dialecte », comme « terme
technique » ; il est connoté de tout le
traitement fait aux dialectes depuis la
Révolution française : il désigne des langues
dévalorisées, à éradiquer, en voie de
disparition, signes d’obscurantisme, parlers
ruraux et limités, à remplacer par la seule
vraie langue : le français.
Est-ce que les créoles sont des patois ?
Si les patois sont des langues parlées exclusivement
par les couches âgées de la population, des langues
plus ou moins en voie de disparition de ce fait,
devenues insuffisantes pour « tout dire » (par pertes de
lexique ou de structures grammaticales), les créoles ne
sont absolument pas des patois.
Toutefois, nous en faisons des langues en situation
patoisante quand :
• Nous avons un peu honte de parler créole ;
• Nous préférons recourir systématiquement au
français, n’aidant pas ainsi le créole à développer les
formes nécessaires pour son usage dans toutes les
situations de discours ;
• Nous ne voulons pas l’apprendre à nos enfants ;
• Nous refusons de l’écrire en affirmant que l’on ne
peut pas écrire le créole, et qu’il faut absolument lui
conserver son caractère oral en l’enfermant dans des
usages purement folkloriques.
On notera toutefois que la plupart des langues du monde ne sont
pas (encore) écrites. Ce qui fait une langue, ce n’est pas d’être
écrite, c’est de comporter des sons et des unités qui ont du sens.
Ces dernières sont organisées selon des règles de grammaire
spécifiques. Les linguistes s’attachent à décrire les règles qui
font qu’intuitivement un locuteur ne se trompe pas (avant même
d’avoir appris consciemment ces règles).
C’est parce qu’il y a une grammaire qu’en créole on dit :
Lè i vini, moin té ka travay. (Quand il est venu je travaillais)
Et non pas :
*vini ka lè i travay té moin
(par exemple, l’ordre de placement des mots pour faire une
phrase relève de la grammaire).
Alors, peut-on, doit-on et comment écrire le
créole ?
Peut-on ?
Sans difficulté. Quand on commence à noter une
langue nouvelle, on recourt généralement d’abord à
une notation à base phonétique, c’est-à-dire que tout
ce qui s’écrit se prononce, et tout ce qui se prononce
s’écrit.
NB le français est un très mauvais « modèle » pour l’écriture
d’une langue car l’orthographe française est très compliquée :
règles multiples, acquises au cours d’une histoire complexe, sans
qu’il y ait eu de véritable régularisation. Il ne s’agit donc surtout
pas de noter le créole « à la française » !
Doit-on ?
Ce n’est certainement pas une « obligation », mais c’est
très utile dans un monde où l’écrit non seulement est
utilisé constamment (penser même aux communications
par e-mail ou aux SMS qui tendent à supplanter
partiellement le téléphone !) mais c’est en outre un
critère de reconnaissance non négligeable pour une
langue : on a tendance à considérer que les langues non
écrites ne sont pas de « vraies langues » !
Comment ?
En élaborant un système cohérent, à base phonétique,
certes, mais complété par un certain nombre d’éléments
qui facilitent la lisibilité et qui permettent la lecture
commune et rapide de personnes qui ont des
prononciations un peu différentes.
Un exemple :
Il est plus facile de reconnaître ce qui est écrit dans :
I vwè-li (il l’a vu), moin bo-li (je l’ai embrassé)
que dans « i vwèy » ou « mwen boy »
Pour les locuteurs, il faut aussi qu’ils admettent qu’on doit
toujours apprendre à lire et à écrire une langue (même
quand on la parle) ! Comment voudriez-vous spontanément
lire le créole alors que vous mettez des mois, voire des
années, à lire le français, l’anglais, l’allemand, l’espagnol ?
Comment savez-vous qu’on prononce :
oiseau [wazo], froid [frwa], compte [kont], et couvent
tantôt [kouvan] tantôt [kouv]
sinon parce que vous l’avez appris !
Apprendre une langue écrite, cela veut dire
apprendre la correspondance signe graphique
/ sons, ce qui veut dire du point de vue du
lecteur : reconnaître les signes écrits pour une
lecture rapide, comprendre ce qu’on lit et
apprendre comment on prononce ce qui est écrit.
Ceci étant dit, il ne faut pas confondre notation et
orthographe. Il est facile de noter le créole, il est assez
facile d’apprendre à le lire.
Pour dire que le créole a une orthographe, il faudrait se
mettre d’accord pour élaborer une norme – ce qui aurait
pour conséquence que l’on appelle « fautes » tout ce qui
n’est pas conforme à l’orthographe fixée (par décret par
exemple).
On n’en est pas encore là !!! (cf. nombreux problèmes)
S’il est important d’avoir des principes de notation du
créole et de s’y conformer au maximum (pour la
meilleure communication), il n’est sûrement pas urgent
de fixer une orthographe plus définitivement.
Début d’un conte créole…
Zanba, Lapen, Tig épi Louwa
- Tim tim !
- Bwa sèk
-Ni on madanm ka kouri, i pa ka jan las ?
Rivyè
Pè Louwa té ni on troupo bèf, enki bèl bèf, Lapen é
Zanba té konpè é, sé boug ki té toujou enmé manjé bon
gèl. Alò on jou Lapen ka di :
- Konpè Zanba an vwè pè Louwa ni dé bèl bèf la, fò
nou ay pwan vyann pou nou manjé.
- Ki jan nou ké fè sa ?
- Annou alé, an sé on boug ki savan, annou alé é an ké
di’w ka pou’w fè.
Pour aller plus loin…
Le créole et son statut politique
Si une langue existe indépendamment de son statut politique (qui
peut être de « langue officielle », de « langue nationale », de
« langue internationale »…), [on parle souvent de langue
vernaculaire ou véhiculaire pour préciser l’extension d’une
langue], il est tout à fait légitime de vouloir voir reconnaître sa
langue maternelle.
Dans le monde, on voit régulièrement des combats pour doter
une langue d’un statut (en particulier dans les mondes de
l’ancienne colonisation).
Depuis quelques années, un nouveau statut est proposé : celui
de « langue régionale » !
Il est vrai qu’on répugne souvent à appeler « langues »
des idiomes qui ne jouissent pas d’une certaine
reconnaissance officielle, ou qui sont « minoritaires »
(ou minorées).
Si dans les DOM, les créoles font souvent figure de
« patois » - ce qu’ils ne sont pas (car toute la population
les parle), dans certains pays indépendants, les créoles
sont parfois déclarés langues nationales, ou même
langues officielles : c’est le cas effectivement pour le
créole aux Seychelles, langue officielle au même titre
que le français et « première langue nationale » ; en
Haïti, le créole « langue nationale » avec le français
jusqu’en 1987, est devenu aussi « langue officielle »
(toujours avec le français).
Alors (en conclusion) :
Les créoles sont bien des langues
• Qui ont de nombreux locuteurs
• Qui ont leurs propres systèmes linguistiques
• Qu’il faut apprendre
• Qui se développent
• Qui méritent d’être l’objet d’une
instrumentalisation
• Qui ont déjà donné des œuvres littéraires… et
n’ont sans doute pas dit leur dernier mot !
Mais ils ont des traits qui souvent caractérisent
les « dialectes » :
• ils ne jouissent pas partout d’un statut officiel
• ils restent peu écrits (au regard des langues
avec lesquelles ils sont en contact)
• ils ne sont pas véritablement enseignés à
l’école…
…/…
• on ne sait donc ni les lire ni les écrire !
• les locuteurs, qui ne les ont pas appris
formellement, doutent qu’ils ont une
grammaire !
Mais on peut apprendre à lire et écrire le créole, on peut
découvrir sa grammaire et son lexique…
Vous pouvez découvrir un cours de créole
des Petites Antilles sur Internet !