Quelques questions autour de la traduction : Aspects
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Transcript Quelques questions autour de la traduction : Aspects
Quelques questions autour
de la traduction :
aspects linguistiques du
transfert entre les cultures
Marie-Christine Hazaël-Massieux
Professeur à l’Université de Provence
[email protected]
Quelques remarques préliminaires
A côté de la définition, très synthétique de Nicolas Schöffer :
« La culture est l’ensemble de la production, de la diffusion et de
la consommation des produits de l’esprit créateur humain dans le
domaine des arts et des connaissances. »
on peut rappeler, de façon plus extensive, que le terme de culture
renvoie généralement à l’ensemble constitué par les coutumes, les
croyances, la langue, les idées, les goûts esthétiques et la
connaissance technique, mais aussi à l’organisation de
l’environnement total de l’homme, c’est-à-dire à la culture
matérielle, les outils, l’habitat et plus généralement à tout
l’ensemble technologique transmissible régulant les rapports et
les comportements d’un groupe social avec l’environnement.
Les faits culturels, les « façons de penser », les structures
mentales, varient
•Avec pays ou régions
•Avec époques
•Avec groupes humains…
Où passent les frontières culturelles ?
Peut-on transférer vraiment des données culturelles construites
dans une langue à travers une autre langue ? Problème de la
traduction.
Un exemple tiré de Peter Trudgill, 1974 :
« En njamal, langue aborigène d’Australie, par exemple, il y a,
comme en anglais, une quinzaine de termes pour indiquer les
relations de parenté, mais la façon selon laquelle ces termes
s’organisent par comparaison avec leurs équivalents anglais nous
apprend beaucoup sur les différences entre les deux sociétés. »
Ex. : Les mâles de la génération du père.
karna
mama
mama
karna
mama
mari - sœur
frère
père – mère
frère
sœur - mari
ego
Question fondamentale posée par les transferts
culturels : peut-on vraiment accéder à la langue et
surtout à la culture de l’autre ?
Question qui a à voir avec :
•Situations et contextes de communication
•L’imaginaire (et les croyances)…
•La compréhension (et donc le sens, les symboles, les images –
et leur encodage/décodage…)…
•L’acquisition et l’apprentissage des langues
•Les structures mentales (et donc la cognition : cerveau,
mémoire…)
•Les « universaux » (voire les questions de genèse des
langues…)
Autrement dit :
- Transférer, transmettre ? Peut-être…
- Comprendre, vraiment communiquer ? Est-ce possible ?
C’est là l’intéressante question posée par Dominique Wolton
dans L’autre mondialisation :
« Longtemps considérée comme un facteur d’émancipation et
de progrès, l’information peut devenir un facteur
d’incompréhension, voire de haine. L’information ne suffit
plus à créer la communication, c’est même l’inverse. En
rendant visibles les différences culturelles et les inégalités,
elle oblige à un gigantesque effort de compréhension.
[…] l’omniprésence de l’Autre est un facteur aggravant
d’incompréhension. Hier, l’Autre était une réalité
ethnologique, lointaine ; aujourd’hui il est une réalité
sociologique, avec laquelle il faut cohabiter. Les distances ne
sont plus physiques, elles sont culturelles. » (pp. 10-11)
Le paradoxe est bien sûr que la langue est un des éléments
culturels, tout en étant le moyen fondamental utilisé par
l’homme pour transmettre et transférer sa culture.
Dans ces conditions, nous allons nous pencher ici tout
particulièrement sur la question de la traduction, qui est au cœur des
problèmes liés au transfert de culture(s). Question essentielle (et
complexe) pour lesquelles sans doute le linguiste a quelque chose à
dire.
Question à propos de laquelle quelques points méritent
d’être rappelés :
•On parle volontiers de la traductologie comme d’une branche
de la linguistique. Mais la traduction nous renvoie bien sûr
aussi à l’anthropologie, à l’histoire…
•Faut-il faire une distinction entre la traduction
interlinguistique et la traduction intralinguistique ? Au
cœur des deux : un problème de compréhension.
•Tout particulièrement ici, dans la recherche d’une meilleure
définition de la notion de culture, nous parlerons de la traduction
en diglossie (cf. situations des mondes créoles ?).
•Un regard sur la question des universaux et de la typologie…
G. Steiner (titre du 1er chapitre de Après Babel) :
« Comprendre c’est traduire. »
Comment comprendre véritablement, et comment traduire ce qui
vient d’un autre que nous-même ?
Introduction
Les « transferts culturels » ne peuvent se passer de la
traduction ! Et il serait bien audacieux de penser que celleci ne change pas la culture.
Y a-t-il quelque chose avant la mise en langue ? Que
transmet-on ?
Se rappeler : « Le langage est [..] le premier garant d’une
compréhension advenue ; en sorte que, avant que quelque
chose soit dit, non seulement rien n’est dit, mais il n’y a
rien à dire – le sens ne préexistant pas à la création qu’il en
faut faire » (P.J. Labarrière, Croire et comprendre, Cerf,
1999, pp. 21-22)
Quelques problèmes classiques
de la traduction interlinguistique
Si la traduction technique semble parfois moins complexe, la
traduction « littéraire » passe toujours pour difficile : dans la
littérature sont en étroit rapport « sons » et « sens », structure
et signification. La traduction est de plus en plus complexe
quand on a un décalage :
Géographique
Historique
Social…
Un exemple particulièrement significatif de toutes les
questions de traductologie : traduction de la Bible .
De fait, on traduit la langue – du moins on essaye. Transfert-on
vraiment la culture qui va avec ?
Difficultés pour rendre les spécificités d’une époque révolue,
d’une culture profondément différente : cf. pharisiens,
sadducéens, le messie, les modes de vie, le rapport à la vie, le
rôle des hommes et des femmes, la mort, …
Autre exemple : Les occidentaux maintenant évoquent
volontiers le yin et le yang : savons-nous vraiment ce que cela
signifie…?
Pour ce qui concerne la Bible, ce n’est pas seulement une
question de vocabulaire (qui pourrait et qui est souvent résolue
par l’emprunt, la création, la périphrase, le commentaire…) : une
question précisément de culture… La Bible n’est accessible des
siècles ou des milliers d’année après… qu’à travers nos schèmes
de pensée, marqués par notre époque, notre langue…
Traduire ce n’est pas passer de la nomenclature d’une langue à
la nomenclature d’une autre. Une langue est bien autre chose
qu’un répertoire de mots.
André Martinet, 1970 :
« …à chaque langue correspond une organisation
particulière des données de l’expérience. Apprendre une
autre langue, ce n’est pas mettre de nouvelles étiquettes sur
des objets connus, mais s’habituer à analyser autrement ce
qui fait l’objet de communications linguistiques. » (p. 12)
En référence à l’exemple bien connu (frère aîné / frère cadet
en hongrois (pas de terme pour dire frère) : Jakobson, 1963 :
« Les langues diffèrent essentiellement par ce qu’elles
doivent exprimer, et non par ce qu’elles peuvent exprimer. »
(p. 84)
•Quand on part d’une langue qui dit plus pour aller vers une
langue qui dit moins…
•Quand on part d’une langue qui dit moins pour aller vers une
langue qui dit plus ?
•En croyant être fidèle, ne risque-t-on pas de dire « trop » ou
« pas assez » ? En tout cas différemment ?
Certains ont même pu s’interroger sur l’existence d’une
réalité objective : cf. notion de « vision du monde »
Mounin, 1963 :
« Cette idée que chaque langue découpe dans le réel des
aspects différents (négligeant ce qu’une autre langue met en
relief, apercevant ce qu’une autre oublie), et qu’elle
découpe aussi le même réel en unités différentes (divisant ce
qu’une autre unit, unissant ce qu’une autre divise, englobant
ce qu’une autre exclut, excluant ce qu’une autre englobe),
est devenu le bien commun de toute la linguistique
actuelle. » (p. 48)
Même quand une époque est « révolue », quand un pays est
lointain, quand les références culturelles semblent totalement
différentes, on peut avoir une volonté de maintenir et faire passer
un sens.
Quand on traduit la Bible
Il faut admettre l’évolution : avec chaque lecteur change la
lecture; l’AT n’est déjà plus le même pour ceux qui connaissent
le NT : cf. figures. Et pour nos contemporains : les différences
sont encore plus grandes...
Et si l’évolution du sens avait elle-même « du sens »…?
Quelques exemples classiques en matière de traduction
biblique
Le symbole de l’Agneau chez les Esquimaux (le blanchon ! ) ?
La parabole du semeur ?
La question de l’Amour ? Ex. donné par la traduction de la Bible
en chinois (Tai, Ting-Li)…
Cf. plus proches de nous, tous les commentaires appelés pour
faire passer une œuvre du XVIIe siècle.
Et même les œuvres du XXe siècle, du fait des changements sociaux
considérables, explications sont nécessaires pour les jeunes
générations : vie dans les sociétés rurales traditionnelles, l’école
autrefois...
De fait particulièrement délicate est la question des « champs
sémantiques » qui ne correspondent jamais.
Thèse passionnante de Ting-Li Tai sur la traduction de la Bible
en chinois.
Comment rendre agapao, philèo ? Comment « interpréter » leur
usage :
Le français lui-même a renoncé à rendre l’opposition entre philia
et agapê (Jn 21, 15-17) :
« Simon, fils de Jean, m’aimes-tu plus que ceux-ci ? » (avec
« agapas »)
- Oui Seigneur, tu sais que je t’aime » (avec philô)
Il n’y a pas de traduction neutre. Cf. la découverte du récepteur
et de son rôle dans la communication.
Il y a toujours place pour de nouvelles traductions – comme il y a
place pour plusieurs lectures.
Traductions (ou lectures) changent avec cultures (du lieu, du
temps, du moment…).
Une deuxième lecture est toujours différente (car il y a eu la
première !).
Comparer les traductions : cf. Les Hauts du Hurlevent,
retraduit en Hurlevent des monts par Pierre Leyris..., Les
Confessions de St Augustin devenues Les Aveux avec Frédéric
Boyer... Ce ne sont pas que les titres qui changent !
Et la traduction intralinguistique ?
N’est-ce pas de traduction « intralinguistique » qu’il s’agit en
diglossie ?
« Traduction » ou « reformulation » ?
Est-ce qu’elle oppose deux cultures ou a lieu à l’intérieur d’une
seule culture?
Même en parlant la même langue, on ne se comprend pas
toujours !
Exemples amusants à propos de la « culture internet » :
« fermez votre fenêtre ! »
Dans le domaine créole, est-ce qu’il y a traduction quand on
substitue un français particulier au français standard ? Que
l’on rend en français régional des textes créoles ? Est-ce qu’il
ne s’agit pas de « reformulation » comme ce que nous faisons
tous les jours ?
Si l’on ne peut traduire le créole en français et vice versa n’estce pas parce que nous avons affaire souvent à deux niveaux
d’une même langue ?
Est-ce qu’une « culture créole » s’oppose à une « culture
française » ? Ou bien y a-t-il une « culture antillaise » ?
Y a-t-il traduction possible
en diglossie ?
Diglossie selon Ferguson
bilinguisme
Diglossie « réelle »
Alors, peut-on opposer culture française et culture créole ?
Deux langues ou une seule : cf. la macro-langue de Prudent.
Est-ce que Confiant (et ses traducteurs) traduisent ses œuvres
créoles quand il(s) passent au français ?
Ex de « madigwan », « quatre-chemins », « vieux-corps »,
« chabin », « mabolo »…
Les ajouts (très nombreux) et leurs caractéristiques :
explicitation culturelle pour des « étrangers » ? Faire
« exotique » ? « Zinyam » = traduit par « igname pakala »…
Faut-il (et comment le faire alors ?) forger les lectes
manquants? Cf. schéma diglossie réelle
Du point de vue linguistique : - oui, sans doute
Du point de vue culturel ? – avec le bilinguisme ne s’agit-il
pas plutôt de séparer les deux langues, de constituer deux
cultures ? D’avoir désormais deux langues à traduire ?
En diglossie, les décalages linguistiques et culturels comme
source d’humour : si on les comprend, c’est parce qu’on est
dans la même langue : cf. « néanmoins » / « né-an-moin »…
Quelques autres questions
soulevées
par les contacts de cultures
(au-delà des formulations données ici dans le domaine de la
traduction)
Influence du genre grammatical sur la perception sexuée
(et vice versa) ? Belle question souvent rencontrée par
traducteurs littéraires.
…/…
Groupe de recherche de Luce Irigaray (qui travaille sur
« Différence sexuelle et communication(s) ».
1. L’influence du contexte, de l’âge, du niveau socio-culturel
est-elle plus ou moins importante que celle déterminée par
l’identité sexuée ?
2. L’identité sexuée est-elle historiquement constituée ou,
pour une part, transhistorique ? Comment rendre compte
de cette irréductibilité propre à la subjectivité de la femme
et de l’homme ?
3. Quel est l’impact d’une langue et d’une culture sur la
constitution de la subjectivité sexuée ? Y a-t-il des
« universaux » ou plutôt des « schématismes » qui
traversent les diverses langues et cultures ? Comment les
individualiser ?
4. Comment les hommes et les femmes peuvent-ils
communiquer malgré les obstacles culturels et ceux liés à
l’irréductibilité de leurs subjectivités ?
De ces questions liées à la sexuation et à la subjectivité dans le
discours découlent par exemple la complexité des problèmes
posés par la traduction de la catégorie du genre – qu’on ne peut
pas toujours ignorer. Cette question qui déborde les questions
de la traduction est en relation avec elles cf. par exemple la
lune féminine, le soleil masculin…dans la poésie française, et
les transferts en allemand.
Plusieurs techniques de traduction : cf. exemples à
partir de Baudelaire :
•Dans « La lune offensée » : le traducteur ne s’inquiète pas de
l’ambiguïté du « baiser » donné par « Der Mond » au berger
Endymion : il est vrai que ce sont « ses grâces surannées » qui
sont baisées !
« Schweifst du in deinem gelben Domino wie einst verstohlen,
von spät bis früh die längst verblühten Reize Endymions zu
küssen ? »
•Traduire « la lune » par Luna quand dans « Tristesses de la
lune » la lune rêve « ainsi qu’une beauté […] Qui d’une main
distraite et légère caresse / Avant de s’endormir le contour de ses
seins. »
•Expliciter le rapport comme une comparaison (qui est de fait
plus diffuse en français) : « Le soleil », 2e strophe
« Ce père nourricier, ennemi des chloroses,
Eveille dans les champs les vers comme les roses ; »
Devient en allemand (cf. reprise de « Die Sonne ») :
« Die Sonne, diseser Vater und Ernährer, der die Belichsucht
hasst, weckt in den Feldern Verse wie Rosen auf ; »
Des universaux et de la typologie
On a reproché à Chomsky de proposer comme catégories de
la grammaire générative des catégories forgées par la
description de l’anglais.
Bloomfield, Léonard, 1933:
« Les anciens Grecs n'étudièrent que leur propre langue ; ils
considérèrent comme évident que la structure de cette langue
incarnait les formes universelles de la pensée humaine ou, peutêtre, de l'ordre du cosmos. En conséquence, ils firent des
observations grammaticales, mais les limitèrent à une seule
langue, et les formulèrent en termes de philosophie. » (c’est
nous qui traduisons) (p. 5).
Coseriu a souligné qu’il ne faut pas confondre universaux de
la linguistique et universaux du langage.
Difficulté : les catégories, notions comparées sont le plus
souvent issues de notre(nos) langue(s).
Exemple… les « pronoms », en haïtien et en français.
E. Benveniste souligne que les catégories logiques d’Aristote (qui
servent encore de base à bien des grammaires occidentales) sont
la transposition des catégories de langue propres au grec :
« Nous pensons un univers que notre langue a d’abord modelé »
(cf. 1954, p. 133).
L’hypothèse Sapir-Whorf : Whorf, [1956] :
« Chaque langue est un vaste système de structures différent
des autres, dans lequel il existe un ordonnancement culturel
des formes et des catégories qui non seulement permet à
l’individu de communiquer, mais également analyse le réel,
remarque ou néglige des types de relations et de phénomènes,
canalise son raisonnement et jalonne peu à peu le champ de sa
conscience. » ( pp. 192-193).
Y a-t-il la possibilité d’atteindre une typologie non
marquée par les langues de ceux qui la constitue ?
Ne nous laissons pas abuser : on n’étudie pas « être » et
« avoir » dans les langues du monde comme pourrait le
laisser penser le titre d’un ouvrage : « Etre » et « avoir ».
Syntaxe, sémantique, typologie, (sous la direction d’Alain
Rouveret, 1998) mais, par exemple, « les différentes
formes syntaxiques auxquelles ont recours, pour traduire
« avoir », des langues qui, comme le hindi et les autres
langues indiennes modernes, sont dépourvues d’équivalent
lexical de ce verbe. » (p. 7) : ces propos doivent sans doute
être étendus à toute typologie : n’étudie-t-on pas d’abord
les façons de traduire ? Les catégories, d’une langue à
l’autre, (comme les mots, les structures, les notions…),
sont différentes car définies en références à des paradigmes
et des syntagmes toujours différents.
Conclusion
Cultures ?
Langues ?
Transferts ?
Part, rôles, définitions dans les
diverses formes de contact ?
Communication ?
Complexité des transferts implique certainement les difficultés
de compréhension entre les individus et les sociétés dont nous
sommes chaque jour témoins dans notre monde.
Quatre points de conclusion ou plutôt, dans la perspective de
ce qui précède : quelques pistes pour une discussion :
1. L’automatisation de la traduction est-elle possible ?
Réflexions sur les capacités d’adaptation du cerveau humain.
Si dans bien des domaines on peut rêver d’une certaine
automatisation des tâches, si la « traduction automatique » est fort
utile dans des domaines techniques et spécialisés, Nida conçoit
difficilement le remplacement de l’homme par la machine dans le
cas de la littérature et de l’art :
« Even in that day when engineers build machines to rival the
storage capacity of the human brain, such « hardware » will still
not pose any substantial threat to the sensitive translator ; for
memory is not equivalent to empathy, nor is speed a substitute
for esthetic feeling. » (Nida, 1964, p. 264)
2. La traduction, malgré les difficultés que l’on rencontre,
permet et est de fait le seul moyen pour accéder à une autre
culture.
C’est toujours grâce à elle que les transferts culturels sont
possibles : que l’on parle de traduction, d’adaptation, de
reformulation…, que l’on soit dans le cadre de communications
inter- ou intra-linguistiques (et culturelles)…
« Pour éviter le massacre des cultures étrangères, le traducteur est
appelé à éviter l’égocentrisme, à s’ouvrir sans préjugés, avec
modestie et clairvoyance sur les autres cultures. » (Naïma Mefftah
Tlili : « Traduction et plurilinguisme/Traduction et culture », in
Mejri, et al. 2003, éds).
3. Mais n’oublions pas que la tendance constante est
d’expliquer une autre culture, une autre langue par
comparaison avec la nôtre, en partant de la nôtre : de ce
point de vue là l’européanocentrisme a joué à plein dans la
description linguistique et dans l’élaboration des problèmes
typologiques.
Je laisserai donc l’avant-dernière conclusion à Borgès qui dans
un texte littéraire célèbre évoque une encyclopédie chinoise dont
les catégories animales nous obligent à réfléchir non pas tant sur
les classifications que sur le raisonnement classifiant lui-même :
« Dans les pages lointaines de ce livre, il est écrit que les
animaux se divisent en a) appartenant à l’Empereur, b)
embaumés, c) apprivoisés, d) cochons de lait, e) sirènes, f)
fabuleux, g) chiens en liberté, h) inclus dans la présente
classification, i) qui s’agitent comme des fous, j) innombrables,
k) dessinés avec un très fin pinceau de poils de chameau, l) et
coetera, m) qui viennent de casser la cruche, n) qui de loin
semblent des mouches. »
(« La langue analytique de John Wilkins », in Enquêtes)
A méditer, donc… !
4.…en incluant la toute dernière conclusion qui sera de
François Cheng : tout en notant que
« il n’y a pas de système constitué plus étanche, dressant des
barrières aussi sévèrement gardées, difficilement franchissables
aux yeux de quelqu’un qui n’a pas la chance de « naître
dedans » [que la langue] (Le Dialogue, p. 9),
il souligne que l’on peut passer des échanges entre individus
(chacun étant unique) aux échanges entre cultures :
« paradoxalement, cette unicité de chacun ne peut prendre
sens, n’est à même de se révéler et de s’épanouir que dans
l’échange avec d’autres unicités… L’image idéale d’une culture
n’est-elle pas un jardin à multiples plantes qui rivalisent de
singularité et qui, par leurs résonances réciproques, participent
à une œuvre commune ? »
Et il avoue croire à cela « entre les cultures »… « Il y faut bien
entendu beaucoup de temps et un minimum d’humilité. » (pp.
13-14)
Références bibliographiques
Bloomfield, Leonard, 1933, Language
Cheng, François, 2002 : Le dialogue, Desclée de Brouwer
Hazaël-Massieux, Marie-Christine, 1993, "Traduction et
diglossie", in Travaux du CLAIX n° 10, pp. 85-100
Hazaël-Massieux, Marie-Christine, 1993 : Ecrire en créole,
Paris, L'Harmattan, 316 p.
Hazaël-Massieux, Marie-Christine, 1995 : « A propos de la
traduction de la Bible en créole. Analyse de quelques
problèmes linguistiques et sociolinguistiques », in Etudes
Créoles, vol. XVIII, n° 1, 1995, pp. 39-73
Hazaël-Massieux, Marie-Christine, 1999 : Les créoles :
l’indispensable survie, Paris, Editions Entente
Irigaray, Luce, éd., 1993 : Langages, n° 111, septembre 1993,
« Genres culturels et interculturels »
Jakobson, Roman, 1963 : Essais de linguistique générale,
Editions de Minuit
Labarrière, P.J., 1999, Croire et comprendre, Cerf, 1999
Martinet, André, 1970, Eléments de linguistique générale, A.
Colin
Mejri, Salah, Baccouche, Taïeb, Class, André, Gross Gaston,
éds. 2003 : Traduire la langue. Traduire la culture,
Maisonneuve et Larose
Mounin, Georges, 1963, Problèmes théoriques de la traduction,
NRF-Gallimard
Nida, Eugène A., 1964 : Toward a Science of translating, Leiden,
E.J. Brill
Rouveret, Alain, sous la direction de, 1998 : « Etre » et « avoir ».
Syntaxe, sémantique, typologie, Sciences du langage, PUV
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la traduction, Paris, Albin Michel, 470 p. (1ère éd. anglaise,
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Whorf, Benjamin Lee, [1956) : éd. française :1969 :
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Wolton, Dominique, 2003 : L’autre mondialisation,
Flammarion