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La place des prescriptions dans la programmation de l’enseignement IFE 19 mars 2014 Professionnalité enseignante en LP Nicole Bouin Enseignante en LP et formatrice Respect des prescriptions et liberté pédagogique Progression Ouvrier d’enseignement ou ingénieur de la formation ? Comment l’enseignant peut-il respecter la mission qui lui est confiée tout en assumant sa responsabilité de concepteur de la formation sur le terrain ? Quelle marge de manœuvre par rapport aux ordonnances ministérielles et rectorales lui permet de conserver une part d’autonomie et de faire jouer sa créativité pour ne pas s’ennuyer dans une fonction de simple exécutant ? Comment éclairer et nourrir les capacités de discernement des enseignants qui vont décliner les programmes avec souplesse, dans le respect de l’esprit des textes officiels ? Une problématique moins soft : « Faire le programme ou faire son métier ? » « L’action de planifier est soit rigide et triviale, « appliquer les instructions », soit flexible et d’une indéniable complexité, « hiérarchisez les objectifs et régulez les progressions ». » Olivier Maulini 2013 Programme, référentiel et curriculum • La prescription = une injonction de faire émise par une autorité, procédures ou consignes écrites. De plus en plus les ergonomes appellent aussi prescription, toutes les autres indications fournies par le milieu professionnel ou non, et même les auto-prescriptions. • Le programme = liste de thèmes, de connaissances, ensemble de savoirs comme une fin en soi et non comme une ressource pour agir, peu de savoir faire ou savoir être associés. • Le référentiel = cahier des charges des performances attendues en fin de formation. Fondé sur les pratiques professionnelles de référence il décline la transposition didactique en plan de formation. Il articule les compétences comportementales et les notions. Il est pragmatique et ponctuel, dans le domaine professionnel et social. • Le curriculum = Plan d’action pédagogique global à long terme, projet d’enseignement raisonné et complet du cursus de l’élève. Son étendue est plus vaste que celle du programme d’enseignement qu’il inclut. Il comprend les contenus à enseigner, les visées éducatives, la progression, l’organisation, les situations d’apprentissage et d’enseignement, les méthodes pédagogiques, les activités, les moyens et les modalités d’évaluation des compétences visées. On distingue le curriculum prescrit, mis en œuvre, effectué ou acquis, le curriculum évalué ou validé et le curriculum caché ou implicite. • La progression = outil de gestion du temps et de la classe représentant l’organisation prévisionnelles d’activités, le déroulement séquentiel et le suivi du programme (François Muller). C’est la répartition du programme dans le temps, la distribution des objets d’étude sur l’année. Elle est constamment régulée. Charte des programmes de février 1992 « Le programme est un texte réglementaire publié au B.O. : c’est le texte officiel qui sert de référence nationale pour fonder dans chaque discipline, à chaque niveau, le « contrat d’enseignement », c’est-à-dire le cadre à l’intérieur duquel chaque enseignant ou l’équipe pédagogique font les choix pédagogiques adaptés aux élèves dont ils ont la responsabilité. Il a par ailleurs fonction d’établir une clarification entre les différents niveaux du système éducatif et de définir les compétences que les élèves doivent acquérir. » Compétences et capacités • Compétences = Maîtrise globale d’une situation sollicitant une reconfiguration de savoirs et de capacités auxquelles s’ajoutent des connaissances, l’expérience, les affects et l’émotion. Il s’agit donc d’un savoir agir ou un savoir en acte réfléchi mettant en synergie savoirs, habiletés, informations, attitude, postures, valeurs et composantes de l’identité et de la personnalité. Les compétences sont évaluées par des performances qui permettent de vérifier que le candidat sait mobiliser et combiner les ressources pertinentes en temps réel. Ce qui suppose de passer d’un enseignement linéaires et cumulatif des connaissances à une acquisition spiralaire des compétences. • Capacités = schèmes d’opérations mentales, connaissances et attitudes Deux exemples pour réfléchir Le Monde du 10 octobre 2013 Un premier exemple : le français en baccalauréat professionnel Le programme de 2009 comprends 5 axes : L’introduction met en avant la visée de cet enseignement et les objectifs entre le socle commun du collège et l’insertion professionnelle ou la poursuite d’études post-bac : o o o o o o o o Maîtrise de l’expression orale et écrite Identité culturelle : partage de connaissances, de valeurs, de langages Autonomie dans la construction et la mise en perspective des connaissances Expression des jugements et des goûts dans le respect d’autrui Réflexion sur soi-même et le monde Confrontation aux productions artistiques Affirmation de ses choix Possibilité de poursuite d’études vers enseignement supérieur - En enseignement général au LP le terme « programme » est conservé mais il n’a plus rien à voir avec un syllabus qui se limiterait à des thèmes ou un sommaire. Avant de présenter les objets d’étude, on avance ici les acquis attendus de l’apprentissage. On le voit ces prescriptions portent à la fois sur des compétences scolaires et sur des attitudes en lien avec des valeurs, des compétences sociales et psychologiques qui renvoient à des exigences extérieures au système scolaire. o La première partie : Finalités - Rappelle les 4 compétences : oral, écrit, lecture, identité culturelle A deux reprises on trouve l’expression «construction/affirmation de l’identité culturelle » qui, au-delà de la culture générale évoque la construction de la personnalité des adolescents mais aussi la spécificité de la culture française et européenne… La dimension politique est ici implicite mais prégnante. Ces indices lexicaux nous rappellent que « les contenus d’enseignement s’inscrivent dans des contextes politiques précis » (Chervel 2010) et qu’ils traduisent les finalités assignées au projet éducatif. Ici fondre dans une matrice commune les différences sociales et culturelles en tablant sur les vertus intégratrices de l’enseignement. - Affirme la nécessité du décloisonnement « externe » : histoire géographie, éducation à la citoyenneté, philosophie, langues, arts appliqués… Notons qu’en LP le décloisonnement est favorisé par la polyvalence et les projets techniques. - Situe les textes littéraires comme médiation permettant une approche de soi et du monde La littérature n’est pas considérée comme un objet en soi mais comme un moyen pour le jeune de se connaître et de construire sa relation aux autres et au monde. Ce qui représente un glissement non négligeable dans les visées et la didactique de la discipline. Il ne s’agit plus seulement de réussir sa scolarité mais son insertion sociale et professionnelle, sa vie. Il ne s’agit plus seulement de se construire une culture mais de se construire à travers la culture. o La deuxième partie : Démarches - Prescrit 3 objets d’étude au programme chaque année - Affirme la nécessité absolue du décloisonnement « interne » : la maîtrise de la langue orale et écrite, les compétences de lecture, la construction de l’identité culturelle - Fournit des exemples d’activités pour chacune des compétences : oral, écriture, langue, arts et TIC Faut-il s’amuser que le décloisonnement prescrit impérativement dans l’enseignement ne soit pas respecté dans la présentation du référentiel « pour la clarté de la présentation » ? Cela devrait interroger les concepteurs de référentiel. Cela pose en fait la très intéressante question des injonctions réitérées, d’autant plus souvent rappelées qu’elles suscitent une résistance de longue durée et qu’elles passent mal dans la pratique. Le décloisonnement interne à la discipline est à l’origine de l’émergence de la séquence. Bertrand Daunay*, professeur de didactique du français, montre que cette notion remonte au moins à 1938, l’expression apparaissant quant à elle en 1977. Pourtant elle s’impose difficilement dans les pratiques. Pour le corps d’inspection la résistance à appliquer strictement cette injonction, en particulier pour l’étude de la langue, est souvent interprétée comme un réflexe d’autodéfense réactionnaire, un conservatisme révélateur d’incompétence ou un acte d’insubordination, une inertie par paresse. Et si, se demande le didacticien « l’étude de la langue et l’étude des textes littéraires (nécessitaient) une approche qui convoque des pratiques langagières spécifiques » et si le « décloisonnement (empêchait) un apprentissage des dispositions et des procédures cognitives nécessaires à l’objectivation de la langue » ? Pierre Lévêque estime aussi « qu’intégrer l’enseignement de la langue entraîne des risques de dispersion, de fragmentation du savoir ». Cela explique pour lui le dépérissement de cet enseignement en LP faute de parvenir à respecter les injonctions. Une résistance aussi persistante mériterait en tous cas d’être interrogée avant d’être condamnée. Dans le même ordre d’idées, l’individualisation de l’enseignement qui est déjà évoquée en 1920. Ce n’est pas par manque d’intérêt pour les préconisations récurrentes que les enseignants peinent à les mettre en œuvre mais parce qu’elles posent problème dans la réalité du terrain. C’est à ces difficultés qu’il faudrait s’attaquer, pas aux enseignants. On pourrait se dire que si les problèmes perdurent c’est parce qu’ils sont mal posés. o La quatrième partie : Contenus et mise en oeuvre - Fait le point sur : - les injonctions incontournables : objets d’études, compétences - et ce qui relève de la liberté pédagogique de l’enseignant : l’ordre dans lequel on aborde les objets d’étude, le nombre de séquences (à condition qu’elles n’excèdent pas six semaines chacune) - Nourrit chaque objet d’étude de 3 problématiques. - On voit que le cadrage est strict et la marge de manœuvre étroite puisque la responsabilité de la problématisation n’est pas laissée à l’enseignant. o La quatrième partie : Organisation de l’enseignement - Met en relation pour chaque objet d’étude : - Les capacités à développer - Les connaissances à acquérir - Les attitudes à susciter On note que ce programme ne précise pas les supports, les œuvres à aborder, mais il est complété de nombreux documents d’accompagnement : - Pour lire correctement le programme de 2009 - pour chaque compétence - et chaque objet d’étude. Le document « présentation des programmes » • Reformule le programme de mai 2009 en octobre 2010 • Insiste sur la liberté pédagogique de l’enseignant • Le précise sur certains points : objets d’étude, des œuvres, des activités… – – – – – Opte pour un parcours dans une œuvre longue plutôt que pour des œuvres courtes Impose l’étude d’œuvres intégrales, de corpus,interdit le texte seul Explique la possibilité de faire alterner des séances majeures de 6 semaines et mineures de 3 semaines ou de croiser deux objets d’étude Souligne la logique des 3 problématiques : représentations des élèves, traitement littéraire de la question, élargissement culturel et réflexion, tout en indiquant que l’enseignant peut les prendre dans l’ordre qu’il souhaite, voire de front Insiste sur l’esprit du nouveau programme : • • – : choix de l’ordre des Pas de « cours sur » mais des mises en activités qui permettent la construction de la réflexion, il y a cependant une liste de connaissances à acquérir impérativement Pas d’enseignement de notions pour elles-mêmes mais on fournit des notions pour outiller la lecture Rappelle les enjeux des compétences linguistiques au service d’une métacompétence : les rendre apte à participer au monde professionnel, à la société française, européenne, mondiale. En d’autres termes « Maîtriser les outils d’une citoyenneté du XXIe siècle. On le voit la tension entre prescriptions strictes et liberté d’interprétation est grande. Le professeur est libre de choisir les œuvres mais pas d’étudier une nouvelle ou un texte isolé. Se pose ici la question des modes subies par les enseignants ou des injonctions fluctuantes chaque fois présentées comme la seule vérité acceptable excluant toute flexibilité, comme un dogme : - La dictée obligatoire, interdite (alors même qu’elle reste présente à l’examen final du DNB), tolérée, revisitée… Les oeuvres intégrales longues, nouvelles, parcours dans l’oeuvre… Les progressions thématique, chronologique, par types de textes… Les théories linguistiques d’analyse du discours plus ou moins adaptables à l’enseignement comme l’opposition récit/discours par exemple. Classiques littéraires, œuvres contemporaines, textes non littéraires, littérature de jeunesse… Nombre de documents par séance … Il ne s’agit pas de refuser les apports de la recherche à l’enseignement, loin de là, mais seulement de reconnaître la pluralité des positions des chercheurs et la dimension théorique, relative et provisoire, voire arbitraire, de ces études qui pourront être remises en cause par de nouvelles recherches. Les documents d’accompagnement Où l’on passe de l’injonction à la ressource : Le principe de liberté pédagogique En application de la loi n°2005-380 du 23 avril 2005 d'orientation et de programme pour l'avenir de l'École, «la liberté pédagogique de l'enseignant s'exerce dans le respect des programmes et des instructions du ministre chargé de l'Éducation nationale et dans le cadre du projet d'école ou d'établissement avec le conseil et sous le contrôle des membres des corps d'inspection». Les programmes sont, en conséquence, la seule référence réglementaire adressée aux professeurs. Les ressources et documents proposés aux enseignants garantissent ce principe, il revient à chaque enseignant de s'approprier les programmes dont il a la charge, d'organiser le travail de ses élèves et de choisir les méthodes qui lui semblent les plus adaptées en fonction des objectifs à atteindre. Les ressources pour faire la classe proposées par la DGESCO ne sont que des appuis à la libre disposition des professeurs. Pour chacun des 9 objets d’étude les ressources fournissent : • • • • • Des perspectives, en fait une introduction sous forme de problématique globale L’explication des 3 problématiques imposées Une bibliographie, sitographie, filmographie indicatives Des exemples d’activités Des exemples de validation des attitudes, d’évaluation formative, des pistes de séquences à dominante lecture intégrale, lecture de corpus, écriture. La contrainte étant source de créativité que reste-t-il à faire à l’enseignant ? Reconception, coconception ou conformation ? Adapter le programme et le niveau d’exigence institutionnel • À la classe (degré d’hétérogénéité, milieu, intérêts, envies, prérequis & préacquis, orientation souhaitée, style d’apprentissage…) • Aux projets de l’équipe pédagogique • A la filière (industrielle, tertiaire… et aux spécialités) • Aux opportunités locales (spectacles, expositions, visites, sortie d’un film…) • A la culture d’établissement (aides didactiques disponibles, structures d’encadrement du travail personnel (en internat par exemple), trimestre/semestre/stages, café philo, semaine des arts, voyages scolaires, dédoublements…) • Aux compétences et goûts de l’enseignant à ses valeurs et croyances pédagogiques Construire la progression Choisir, doser, organiser • • • • • Décider de prendre un manuel ou pas Construire sa progression seul ou en équipe Hiérarchiser les priorités : doser risque et sécurité Choisir les œuvres majeures de l’année, textes, films, supports, sites Organiser les objets d’étude et les séquences sur l’année scolaire « La progression est bien la combinaison complexe d’invariants programmatiques, mais de variantes contextuelles, professionnelles et personnelles. » François Muller En fait il s’agit de concilier prescriptions ministérielles, envies des élèves, intérêts du prof et contraintes de la préparation à l’examen à la poursuite d’études. « Travailler c’est mettre en débat une diversité de sources de prescription, établir des priorités, trier entre elles, et parfois ne pas pouvoir les satisfaire toutes tout le temps. » (Schwartz 2000) Prenons un exemple concret, le professeur de français se trouve face à une classe de 1ère professionnelle industrielle peu intéressée par la matière et manquant de vocabulaire et de bases dans sa discipline. Il lit la problématique qu’il doit les amener à traiter : « Comment l’imaginaire joue-t-il avec les moyens du langage, à l’opposé de sa fonction utilitaire ou référentielle ? » Il va forcément devoir confronter cette prescription ambitieuse à ce que ses élèves peuvent comprendre et supporter puis imaginer un détour pour les amener à ce point de la réflexion. La prescription ne prend un sens que confrontée à l’activité sur le terrain. C’est pourquoi les enseignants aimeraient bien ne pas être évalués à la seule aune de la conformité au référentiel mais aussi sur leur capacité à s’adapter à des situations réelles. Tout en restant dans le cadre normatif de la prescription bien sûr. Monter une séquence Respectés • L’objets d’étude et les problématiques Non respectés • La durée, il s’agit en effet d’un cours d’introduction présentant la problématique globale de l’année, rappelant aux jeunes les règles de travail en groupe et reprenant les techniques de base et les notions acquises l’année précédente comme les genres de textes. • Les notions à transmettre • Le décloisonnement intradisciplinaire presque • Les modes d’évaluations préparant à la certification de fin d’année L’esprit et la lettre • Cette séquence installe ou rappelle un des objectifs majeurs de l’enseignement de la discipline, la capacité à distinguer les niveaux de lecture quel que soit le support. • La séance 1 introduit, à partir d’un court métrage, la problématique annuelle et les objets d’étude de français, d’histoire, de géographie et d’éducation civique. Un exemple en histoire Question de la marge de manœuvre Le thème d’étude est obligatoire mais l’enseignant choisit entre 3 développements illustratifs possibles. On constate que les sujets d’étude poursuivent trois finalités : identitaire, intellectuelle et civique. Un exemple en histoire géographie Choix Le professeur qui connaît bien ses élèves repère vite ce qui va faire problème dans la réponse à la prescription et il va concevoir une stratégie pour faire face à la difficulté, penser l’articulation entre démarches et contenus. On peut constater que ce document de deux pages comprend moins de 10% de programme et plus de 90% de « cours d’histoire » pour le professeur afin qu’il aborde ce thème comme les concepteurs (anonymes) du programme le souhaitent, en adoptant le modèle retenu et peut-être aussi pour lui rappeler des notions de base et l’inciter à faire des révisions à partir de la bibliographie. Le texte ne semble pas trancher entre l’approche chronologique et l’approche thématique. L’enseignants s’approprie les instructions officielles avant de se livrer à une activité de re-conception. « L’écart entre le prescrit et le réalisé n’est pas vide. Il est plein d’une activité professionnelle saturée par des dimensions collectives et une forte mobilisation individuelle. C’est dans cet écart que les professeurs conçoivent des outils, des dispositifs nouveaux. (…) le professeur qui va devenir « l’exécutant » de sa propre conception » René Amigues – Equipe ERGAPE « Le travail enseignant : prescriptions et dimensions collectives de l’activité » Du programme à sa mise en oeuvre • Sujet d’étude obligatoire • • Pas de problématique proposée • Problématique choisie : Mais qu’est-ce qui • Choix de Carmaux • 3 situations au choix Ce qui complique le sujet du diplôme national • • Orientations et mots clés : – – – – – évolution de 1830 à la fin des 30 Glorieuses Sociabilité et culture ouvrière Conscience de classe à travers les luttes Grève, syndicalisme, partis Processus d’intégration républicaine Evaluation pas abordée ici • • Placé en début d’année de la rentrée à la Toussaint (LP industriel de garçons) fait évoluer la condition ouvrière depuis le XIXe siècle ? comme sujet le plus à même d’aider les élèves à comprendre les notions complexes imposées et le processus de formation de la classe ouvrière, à réviser la chronologie et caractériser un personnage historique : Jean Jaurès Choix des modalités pédagogiques qui vont permettre aux élèves de s’approprier techniques, capacités et notions prescrites : l’organisation des séances : temps d’exposition, exercices à visée d’imitation, résolution de problème, jeu sérieux, projet, détour, jeu de rôles, recherche documentaire, débat, réalisation d’un support, travail collectif, individuel, en binômes ou en sous-groupes… Les évaluations conçues par les enseignants sont le plus souvent calquées sur les annales d’examens. L’apprentissage, le grand absent des prescriptions officielles A aucun moment les programmes et les documents d’accompagnement n’abordent la question des apprentissages. La façon de provoquer chez l’élève la compréhension ou l’appropriation des techniques, des notions, de développer les capacités n’est jamais évoquée. Les moyens d’aider les élèves à trouver leurs propres stratégies d’apprentissage sachant qu’ils devront toute leur vie construire de nouveaux savoirs par eux-mêmes. On nous dit quoi faire mais pas comment faire. On rappelle que « apprendre à apprendre » est la seule compétence européenne qui n’a pas été reprise dans le socle commun. Cette dimension est pratiquement absente des programmes. François Daniellou évoque « une prescription infinie des objectifs et une sousprescription totale des moyens pour les atteindre. » Philippe Perrenoud : « aucune conceptualisation partagée de la manière dont les savoirs se construisent dans l’esprit des élèves ». Roger-François Gauthier : « plus tournés vers un idéal d’enseignement que vers une effectivité d’apprentissage, et ne se prononçant ni sur l’outillage matériel nécessaire, ni sur les questions d’évaluation, ni sur le niveau d’atteinte attendu des élèves. » Ce qui est justifié parce que c’est le cœur de métier de l’enseignant qui doit avoir été sensibilisé à la didactisation en formation initiale et qui doit continuer à s’y entraîner durant toute sa carrière par la formation continue. Une formation continue qui ne se limiterait pas à la présentation des changements de programmes ou la mise à jour des contenus. Une formation continue qui comprendrait le travail en équipe dans l’établissement ou inter-établissements dans des groupes de recherche-action, la lecture d’ouvrages et de revues, la participation à des stages... De la professionnalisation enseignante ! • Tout se passe comme si le programme répondait au quoi et pourquoi et que le comment revenait aux enseignants. • La prescription ne dit pas tout. La recherche d’efficacité amène l’enseignant à faire ce que la prescription ne dit pas, à faire plus que ce qu’elle demande pour donner priorité à la loyauté envers les élèves. • En restant dans l’esprit et en respectant les intentions on refuse une logique applicationniste du programme qui infantilise l’enseignant. Par exemple, le BO indique 5 capacités à développer pour se repérer dans le temps mais c’est au professeur de décider de la démarche. • Un processus didactique possible : faire construire par les élèves une frise chronologique thématique ce qui suppose : – Le choix d’une échelle qui amène à se poser la question ça va de quand à quand en fonction du titre et pourquoi ? – La hiérarchisation de faits parmi ceux qui sont cités dans la séquence – La distinction entre faits ponctuels (flèches) et durée (couleur de la bande) – L’utilisation d’une légende qui distingue les actions ouvrières, les prises de position des intellectuels et les avancées sociales. Ce qui est aussi une façon de répondre à la problématique choisie par l’enseignant : « Mais qu’est-ce qui fait avancer la condition ouvrière ? » – Reste encore à opérationnaliser l’activité, décider du degré d’accompagnement et d’autonomie des élèves, construire une séance dans laquelle chaque élève va disposer de la guidance dont il a besoin, s’assurer qu’ils ne vont pas confondre la tâche et l’exercice intellectuel qui consiste à mettre en lien des événements pour leur donner du sens, c’est-à-dire qu’ils fassent bien le lien entre ce qu’ils représentent sur la frise et ce que cela signifie sur le plan historique. Que l’exercice leur permette de nourrir la problématique proposée. • Par exemple, le BO indique : « On présente la formation d’une conscience de classe à travers les luttes sociales et politiques ». • Quelle activité proposer aux élèves pour qu’ils s’approprient cette notion difficile à approcher pour eux et non qu’ils se contentent d’apprendre par cœur une définition fournie. • Un processus didactique possible : quelques extraits de films à partir desquels on va amener progressivement les élèves à exprimer un ressenti, à le rationaliser, à cerner la notion. – – – – Un extrait du film de Laurent Cantet « Ressources humaines » dans lequel un fils ingénieur reproche en mai 68 à son père d’avoir honte de sa condition d’ouvrier Le documentaire « 3 classes sociales au Creusot » dans lequel on voit successivement l’instituteur, l’ouvrier et le patron parler des forges Un reportage sur des ouvriers des forges d’Audincourt qui parlent de leur métier et de leur vie Une interview d’un syndicaliste de l’industrie automobile qui regrette en 1998 qu’on attribue le mérite de mai 68 aux seuls étudiants • Reste encore à opérationnaliser l’activité, comment amener les élève peu à peu à ne pas en rester à la lecture de ces documents au premier degré, à interpréter ce qu’ils voient en lien avec le cours, à sélectionner les informations utiles pour répondre à la question posée par le professeur : qu’est-ce que la conscience de classe ? Et surtout à verbaliser en conclusion la façon dont ils s’y sont pris pour favoriser le transfert dans une autre situation, voire une autre discipline. Schéma illustrant le désordre du réel ou les implications complexes de la question Pour moi, articuler judicieusement respect des directives et autonomie professionnelle suppose : • • • • Une formation initiale et continue robuste Le travail en équipe des enseignants et l’analyse des pratiques, l’activité collective doit contribuer à établir le rapport entre le prescrit et le réalisé. Un mode de gouvernance qui s’attache davantage à l’esprit qu’à la lettre et qui reconnaisse aux enseignants une expertise de terrain, surtout lorsqu’ils sont formés et expérimentés. La prescription pourrait prendre la forme d’un questionnement professionnel plutôt que celle d’une injonction directe à l’action, et rester ouverte à la créativité pédagogique. Le corps enseignant davantage associé à l’élaboration de programmes moins internes aux cadres disciplinaires et moins chargés. Un programme n’est enseignable que si la profession s’en empare : « Rendons aux professeurs ce qui appartient aux programmes ». Des programmes qui aident les enseignants ? Charlotte Vanhalme – Enseignante belge Comment éduquer les jeunes à la responsabilité sans assumer nous-mêmes la responsabilité de notre enseignement ? Je vous remercie de votre attention IFE 19 mars 2014 Professionnalité Enseignante En LP Nicole Bouin [email protected]