De la vente au mareyage, les petites mains au turbin

Download Report

Transcript De la vente au mareyage, les petites mains au turbin

Erquy
Ouest-France
Jeudi 5 mars 2015
De la vente au mareyage, les petites mains au turbin
1
2
Le prof de tennis est devenu mareyeur
3
Walter Dubois, 47 ans, mareyeur
aux Frères du Cap, à Erquy.
Deuxième volet d’une série de trois
parutions consacrée à la vie de la
criée.
«
Je suis fils de marin-pêcheur.
Après avoir été professeur de tennis,
j’évolue dans le monde de la pêche
depuis une dizaine d’années. Avec
mon frère Richard, on a monté notre
petite entreprise de mareyage.
J’assiste aux ventes du lundi au
vendredi. Je suis arrivé à 4 h 30 pour
faire le tour des bacs. J’ai déjà acheté un bon assortiment de 153 kg : de
la lotte, du merlu, de la sole, du merlan… Ça dépend des matins, mais
je repars avec un stock de 200 à
800 kg de poissons. C’est aussi lié
aux tonnages de la vente. 2014 a été
une meilleure année que 2013. On
Reportage
Mercredi, 4 h 30. Sous la lueur des
lampadaires, les premiers acheteurs
débarquent à la criée. Après avoir
saisi le catalogue de la vente du
jour, petit tour dans les stocks de la
chambre froide pour vérifier la qualité
du poisson.
« Qu’est ce ça vaut ce matin ? »,
entend-t-on. Chacun repère les lots
les plus intéressants. L’équipe de
nuit est encore sur le pont du tri. La
cadence est toujours intense. Les
gestes restent vifs. Coline, la secrétaire, et Gilles, le comptable, veillent
au grain. « Se lever tôt est une
question d’habitude », relève Gilles,
trente ans de maison. Roger, chef de
l’équipe de jour, dirige 16 personnes.
5 h 45. Tout est trié, calibré et pesé.
Carlo, qui fait les marchés et des tournées, achète seulement « du poisson d’ici. Il m’en faut 25 kg ». Poissonniers, mareyeurs, acheteurs…
Tout le monde se connaît. Saint-Malo, Erquy, Finistère… On fait le tour de
la Bretagne.
« Les ventes pouvaient
durer 10 h »
6 h 15. Dans la salle de vente d’une
quarantaine de places, une quinzaine d’acheteurs sont prêts à enchérir.
De l’autre côté de la vitre, le crieur
Éric, qui ne crie plus, est devant son
ordinateur et gère le tableau des
cours, qui trône devant les acheteurs.
L’informatique a remplacé les ventes
à la voix d’autrefois. Les acheteurs
se déplacent moins. Fini le temps où
la salle était pleine à craquer. « Aujourd’hui, 70 % achats se font sur
internet. 90 acheteurs sont agréés,
constate Patrick Macé, patron des
criées costarmoricaines. Avant, les
ventes, bac par bac, pouvaient durer jusqu’à 10 h. »
Bernard, de Saint-Malo, vient depuis vingt-deux ans ; Johnny a acheté 14 t de poissons ; une quinzaine d’acheteurs
ont pris place dans la salle de vente.
Jusqu’à 85 t de poissons peuvent
être vendues sur une journée.
6 h 30. « De la lotte », lâche Éric.
Portable à l’oreille, le malouin Johnny
fait le lien avec son patron, les Pêcheries Océanes. Tous sont concentrés.
Sur leurs écrans, les acheteurs voient
aussi les prix pratiqués à la criée de
Saint-Quay-Portrieux.
6 h 40. Dans ce monde d’hommes,
où chacun s’assoit toujours à la
même place, deux femmes. Depuis
dix-huit ans, Nathalie Anquet, pupitre n°24, achète pour le compte
d’une entreprise de Penmarch. « Au
début, il ne faut pas se laisser marcher sur les pieds. Les ventes à la
voix, c’était plus difficile. Il fallait se
battre ! » Maintenant, un clic suffit
pour enchérir.
Guylaine Jégou, n°15, tient la poissonnerie du Centre, dans la station. « Nous sommes au maximum
quatre femmes. On se soutient. On
«
ans,
Je travaille ici depuis 9 ans. C’est
vrai que l’esprit d’équipe est important. Je traite toutes les commandes
et les distribue à chacun, selon les
compétences. Mais quasiment tout
le monde est polyvalent.
Bien sûr, il y a des pros sur certains
produits. Ils ont le coup de main
dans la découpe, mais ils peuvent intervenir ailleurs. Quelqu’un a besoin
d’aide ? On y va. J’aide à l’emballage,
je gère les stocks. Je retrie aussi certains poissons. La balance ne sert
a réussi à faire notre place ! Il faut
avoir du caractère. »
« Ne pas se tromper »
6 h 55. Audric, qui vient de terminer
sa nuit, passe faire un tour. « On se
voit tous les matins. Des liens se
sont instaurés. » Mika, chef de la
nuit, aussi crieur à ses heures, salue
aussi les acheteurs.
Bernard, poissonnier à Saint-Malo, est le « doyen » des acheteurs.
Vingt-deux ans qu’il vient à Erquy…
Après deux cafés, il a de l’humour à
revendre. « On est passé de la voix
à Internet, en passant par le Minitel ! J’aime mon métier mais il ne
faut pas être fainéant. Il faut en vouloir. » Walter, siège n° 3 : « Bernard
met l’ambiance. Sans parler, il a
déjà un potentiel de drôlerie ! » La
bonne camaraderie règne.
7 h 10. Parfois, on peut croiser des
« Schtroumpfs », ces visiteurs vêtus
Arnaud Roy, responsable
des activitées marées fraîches
aux Pêcheries d’Armorique (groupe
Le Graët), depuis 10 ans.
»
pas beaucoup. J’ai l’habitude. Ça se
fait à l’œil et au poids.
Amandine Lecoufflard, 32 ans,
à l’emballage depuis trois ans.
«
deux pauses, on a tous de l’énergie.
Et puis on a un bon chef !
de blouses bleues découvrent l’univers caché de la criée.
7 h 30. Des acheteurs sont déjà
partis. Il y a de la route derrière. Les
chauffeurs chargent les palettes avec
les lots achetés en ligne par les professionnels de la filière. Petit tour devant la machine à café. « À peine
partis, les clients appellent pour savoir quand on arrive », jette Jérôme,
chauffeur de Landivisiau.
7 h 45. Johnny, le solide gaillard
de 38 ans, a « la responsabilité de
ne pas se tromper. J’ai acheté 14
tonnes de poisson pour un peu plus
de 35 000 € ».
15 h 30. Vente de la coquille débarquée à midi. Il faut à peine cinq minutes pour vendre une centaine de
tonnes.
Textes : Soizic QUÉRO
et Sonia TREMBLAIS.
Photos : Pascal LE COZ.
Bruno,
50
ans,
adjoint
au responsable d’exploitation
de la criée, y travaille depuis 1987.
«
Lorsque c’était à la voix, on pouvait perdre jusqu’à un kilo par vente !
C’était stressant. Je fais partie des
trois crieurs. En quelque sorte, on
joue avec l’argent des pêcheurs et
des mareyeurs. Les ventes pouvaient
s’étirer de 7 h à 10 h 30, voire 11 h.
C’était différent, plus convivial. C’était
une autre époque.
Moi je préfère la coquille. Certains
de mes collègues sont plus « poisson ». Jusqu’au début des années
1990, on pouvait faire jusqu’à quatre
ventes dans la même journée. Tous
les matins, je suis debout à 3 h 45.
Si de gros apports de poissons se
présentent, on peut venir aider nos
70 %
collègues de la nuit. L’équipe de
jour termine son travail vers 17 h 30,
18 h. Après la vente du matin, la criée
se vide vers 10 h. C’est un enchaînement. Cet après-midi, ce sera la
vente de la coquille. 42 t aujourd’hui,
37 demain… Chaque jour, c’est une
nouvelle histoire.
»
« Des achats se font sur internet aujourd’hui »,
explique Patrick Macé, patron des criées
costarmoricaines.
« Nous sommes un peu les traders du poisson ! »
Entretien
« Donner un coup de collier quand il le faut »
Je suis une femme de la mer.
Normal, mon père était marin pêcheur. Mon rôle ici est de choisir le
bon poisson. Une fois que Sébastien,
le chef, m’a donné une commande à
honorer, je cherche, je choisis selon
son poids.
Ici, on travaille dans une bonne ambiance. Une bonne équipe. Chaque
jour de boulot est différent. Mais on
sait donner un coup de collier quand
il le faut. De 7 h à 15 h, ça peut paraître long pour certains. Mais on fait
»
« Jusqu’à 1 kg perdu par vente à la voix ! »
« Ici, on est polyvalent et on s’entraide »
Sébastien Jégou, 35
responsable de production.
croise les doigts pour 2015. On sert
des restaurants gastronomiques en
poissons nobles. Nos clients sont en
France, Belgique, Luxembourg, Italie… Je n’ai assisté qu’à trois ventes à
la voix… lorsque le système informatique est tombé en panne !
Comment fonctionnent
les Pêcheries d’Armorique ?
Tout d’abord, les pêcheries sont divisées en deux sites. Au port, c’est
l’activité de mareyage et de transformation.
Le second site, situé aux Jeanettes,
est dédié à la congélation et au décorticage des coquillages : bulots,
palourdes roses, coquilles Saint-Jacques de la baie… 25 personnes travaillent au port, tous métiers confondus, et 20 sur l’autre site.
Vous achetez poissons
et coquillages ? Vous êtes
un peu des traders finalement ?
C’est vrai, avec mes trois collègues,
nous sommes un peu les traders du
poisson !
La technologie s’est invitée. C’est
un module d’achat avec un système
particulier. Tout y est centralisé. On
veille au grain selon les demandes,
spécifiques ou non. Tout dépend des
consommateurs.
Je connais aussi les besoins, parce
que je connais ma clientèle. Quatre
commerciaux travaillent à côté sur
les centrales d’achats, les grossistes,
l’export et la restauration hors foyer.
Un métier prenant ?
Tout à fait. Nous devons être réactifs, et ce de 4 h 30 à 9 h 30. Nous
sommes concentrés et devons
prendre les bonnes décisions. Donc
pas de précipitation. Ne pas acheter
peut être un bon achat !
En tout cas, nous communiquons
beaucoup entre nous, Et puis, à
force, on a le ressenti du marché.
Ça vient avec l’expérience. Mais on
a toujours un doute. A-t-on fait le bon
choix ? Après 9 h 30, c’est la vente et
l’organisation de la production.
Parfois, nous avons des clients déçus parce qu’on n’a pas pu acheter le
poisson voulu. On n’y peut rien, c’est
la pêche qui commande !
Comment fonctionne
la production ?
Elle est divisée en quatre parties. Le
frigo, d’abord, avec toutes les matières premières en bacs. Tout est travaillé dans les 48 heures.
Puis, c’est la découpe. Il faut une
bonne technique, précise.
Puis l’emballage, cette fois sans
transformation, le poisson est en
l’état, et l’étiquetage.
En dernier, c’est le glaçage, le fermage et la mise sur palettes. Sébastien est le responsable des
commandes. C’est le chef d’orchestre.
Il distribue les commandes aux employés, qu’il connaît bien. Le rythme
de travail est soutenu.
Pour Arnaud, qui travaille devant ses quatre écrans, le travail d’équipe
est important. « Ce travail, ce sont des relations humaines avant tout. »
Les achats, c’est du local
en général ?
Le local représente 80 % des achats.
Nous avons de la chance d’avoir un
armateur comme Jean Porcher.
La qualité s’en ressent, elle est
constante. Les circuits courts sont un
réel avantage. Il n’y pas mieux pour la
traçabilité. Les produits sont toujours
vendus, il ne reste pas un poisson !
Mais, parfois, on ne gagne pas d’argent. C’est comme ça.
Les prix varient-ils beaucoup ?
Ça dépend. Mais déjà, entre SaintQuay et nous, il y a une légère variation. Les enchères sont toujours
descendantes. On part de 500 € par
exemple, et on descend. Quand un
prix nous convient, on clique sur la
barre espace du clavier, et l’achat est
fait.
Simple, mais attention à ne pas cliquer trop vite !
On vous sent fier
de travailler ici…
Oui, c’est vrai. Parfois, on nous traite
de chauvins. Mais nous contribuons
à valoriser la ville. Les Pêcheries représentent quand même 50 emplois. Et je ne compte pas tous les
pêcheurs.
On est reconnaissant de leur travail, qui n’est facile. Ici, la solidarité
n’est pas un vain mot.