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cas clinique

Présentation atypique d’un lymphome B centrofolliculaire

Rev Med Suisse 2014 ; 10 : 744-8

M. Sahil C. Prins G. Kaya F. Poffet W.-H. Boehncke B. Cortés

Drs Maral Sahil, Christa Prins, Gürkan Kaya, Frédéric Poffet et Begonia Cortés Pr Wolf-Henning Boehncke Service de dermatologie et vénéréologie HUG, 1211 Genève 14 [email protected]

Case report : unusual clinical presentation of a follicular lymphoma

Follicular lymphoma is an indolent B-cell lymphoma. Fluctuant asymptomatic lympha denopathies are their usual clinical manifes tation. B-cell neoplasms can sometimes in volve the skin. In this case, it is important to distinguish a systemic B-cell lymphoma with secondary skin involvement from primary cutaneous lymphoma. Immunohistochemical stainings and staging usually allow to make the difference.

Here we report the first case of a systemic fol licular lymphoma with secondary cutaneous involvement presented with papular lesions on the face mimicking a rosacea.

Le lymphome B folliculaire est un lymphome indolent qui se manifeste par des adénopathies asymptomatiques fluctuantes. Il peut parfois se présenter sous la forme de lésions cutanées. Dans ce cas, il est essentiel de distinguer une localisation se condaire du lymphome folliculaire systémique d’un lymphome B primitivement cutané. L’étude immunophénotypique et le bilan d’extension permettent de faire la différence.

Nous rapportons dans cet article le premier cas décrit de lym phome B folliculaire systémique avec atteinte cutanée secon daire qui s’est manifesté sous forme de lésions papuleuses du visage mimant une rosacée.

introduction

Le lymphome folliculaire (LF) est le deuxième lymphome le plus fréquent parmi les lymphomes non hodgkiniens. En Europe, son incidence est estimée à 2,18 cas pour 100 000 personnes/ année.

1 L’incidence augmente avec l’âge. L’âge médian au mo ment du diagnostic est de 60 ans.

Le LF se développe à partir des cellules B du centre germinatif. Dans la plupart des cas, on retrouve la translocation t(14;18), qui entraîne une surexpression de la protéine bcl-2, membre de la famille des protéines qui bloque l’apoptose.

Il s’agit d’un lymphome indolent, qui se manifeste initialement par des adénopathies asymptomatiques. Une atteinte médul laire est présente dans 70% des cas, mais l’invasion d’autres organes n’est pas habituelle.

trices d’une rosacée.

2 Nous rapportons dans cet article, le cas d’un patient qui présente un lymphome B folliculaire systémique avec une atteinte cutanée secondaire s’étant manifestée initialement sous forme de lésions papuleuses du visage, cliniquement évoca-

observation

Monsieur C. 87 ans, est connu pour une hypertension artérielle traitée par un anticalcique, une obésité, une gammapathie monoclonale IgM kappa (MGUS) et un syndrome d’apnées du sommeil non appareillé. Il présente, en février 2011, des papules érythémateuses, sans atteinte épidermique, confluentes en plaques, fixes et non prurigineuses des deux joues et du lobe de l’oreille droite. On ne re trouve pas de pustules ni de télangiectasies ou lucite polymorphe.

germinatifs (figures 2 et 3) des marqueurs de phénotype B (CD20 r ) (figures 1A et B) (figure 4) .

Devant ces lésions, nous évoquons comme diagnostic différentiel un infiltrat granulomateux (rosacée granulomateuse ou sarcoïdose), un infiltrat lymphocytaire (lymphome, ou pseudolymphome) ou une pathologie inflammatoire de type lupus Une biopsie cutanée est réalisée. A l’examen histologique, on retrouve un in filtrat lymphocytaire avec des atypies cytonucléaires et la formation de centres . L’étude immunophénotypique montre une positivité , un marquage du

bcl-6

dans les

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A B Figure 4.

Immunomarquage

Cellules majoritairement de phénotype B (CD20 r ).

Figure 1.

Examen clinique

Papules érythémateuses infiltrées, confluentes en plaques, fixes et non prurigineuses sur les deux joues et le lobe de l’oreille droite.

(Policlinique de dermatologie, HUG).

cellules des centres folliculaires (figure 5) et une positivité diffuse pour le tivité du

bcl-2 bcl-2

lymphocytaire CD20 (figure 6) . Cette image histologi que et ce profil immunohistochimique sont compatibles avec un lymphome B cutané centrofolliculaire, néanmoins la posi est inhabituelle.

Nous effectuons donc un bilan d’extension comprenant un scanner et une ponction-biopsie de moelle (PBM). Le scanner cervico-thoraco-abdominal montre de multiples adénopathies mésentériques et rétropéritonéales, non ac cessibles à une ponction.

La PBM montre une moelle trilinéaire avec un petit amas r et CD79 r , faisant suspecter une pro-

Figure 5.

Immunomarquage

Marquage bcl-6 dans les cellules des centres folliculaires ainsi que quelques cellules positives pour les chaînes légères kappa et delta des immunoglo bulines au sein de ces foyers lymphoïdes.

bable localisation médullaire du lymphome centrofollicu laire (figures 7A et B) . Il n’y a pas assez de matériel pour les immunomarquages. La cytométrie de flux sur le sang et l’aspiration médullaire sont négatives.

Néanmoins, un examen de biologie moléculaire effectué dans la peau met en évidence une translocation t(14;18)

Figure 2.

Histologie cutanée

Sous un épiderme atrophique, on trouve dans le derme superficiel, moyen et profond, un infiltrat cellulaire dense.

Figure 6.

Immunomarquage

Positivé diffuse pour le bcl-2.

A B Figure 3.

Histologie cutanée

Plages cellulaires constituées principalement de lymphocytes montrant des atypies cytonucléaires avec formation de centres germinatifs.

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Figure 7.

Ponction-biopsie de moelle

Présence de cellules tumorales dans la moelle osseuse, notamment un infiltrat lymphocytaire B atypique (CD20 r et CD79 r ).

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Figure 8.

Biologie moléculaire

La translocation t(14;18) impliquant les gènes bcl-2 et la chaîne lourde Ig (IGH) détectée par FISH.

FISH : hybridation in situ en fluorescence.

entre les gènes

bcl-2

et la chaîne lourde d’immunoglobu line (IgH) (figure 8) .

L’expression diffuse du

bcl-2

, la présence de la translo cation t(14;18), d’une probable atteinte ganglionnaire et d’une atteinte médullaire nous orientent dans notre cas vers un LF systémique avec une atteinte cutanée secondaire.

D’un point de vue thérapeutique, compte tenu des co morbidités et de l’âge avancé du patient, nous introduisons un cycle de quatre perfusions de rituximab de 375 mg/m 2 1 x/semaine pendant un mois, avec une évolution clinique favorable.

Une année après la mise en rémission, on observe une récidive sous forme de nodules cutanés de la tempe droite et d’une infiltration de la paroi thoracique droite, objectivée au scanner. L’histologie de la ponction de la paroi thoraci que droite confirme la récidive de ce lymphome folliculaire de grade II. Malgré l’introduction d’un deuxième cycle de quatre perfusions de rituximab, suivi d’une cure d’entretien tous les trois mois, l’évolution est défavorable.

Le patient bénéficie alors d’une radiothérapie sur la tempe et la paroi thoracique droite qui consiste en 20 Gy administrés en cinq fractions de quatre Gy.

Six mois plus tard, le patient se présente avec une dimi nution de son état général. Un scanner montre une adéno pathie intraparotidienne droite, une masse rétrotrachéale, ainsi qu’une lésion lytique de la tête de l’humérus gauche. La cytoponction du nodule parotidien montre une image compatible avec le lymphome folliculaire connu, par contre la ponction de la lésion lytique de la tête de l’humérus évo que une transformation en

lymphome B diffus à grandes cellules

.

discussion

Dans la plupart des cas, les LF systémiques se manifes tent initialement par des adénopathies, qui peuvent être accompagnées d’une atteinte médullaire. Dans notre cas, le patient présentait une atteinte cutanée secondaire con comitante, qui a permis de poser le diagnostic. La présen tation clinique et histologique aurait pu être compatible avec un lymphome B cutané centrofolliculaire (LBCCF). Néanmoins, la positivité du

bcl-2

et la présence de la trans location t(14;18) nous ont orientés vers des lésions secon daires. Le LF systémique et le LBCCF doivent être consi dérés comme deux entités différentes, au vu des différences phénotypiques. Par ailleurs, les LBCCF ont un meilleur taux de réponses au traitement ainsi qu’un meilleur pronostic, et ne nécessitent donc pas, dans la majorité des cas, de traitements lourds de type chimiothérapie.

3 L’expression du

bcl-2

dans un LF cutané doit donc nous inciter à recher cher un LF systémique avec atteinte cutanée secondaire par un bilan d’extension complet.

d’une rosacée.

4 Dans notre cas, la maladie s’est manifestée par des lésions cutanées très atypiques, cliniquement évocatrices Habituellement, les lésions de lymphomes B folliculaires cutanés primaires ou secondaires sont caractérisées par des nodules érythémateux infiltrés distribués de façon asymé trique sur l’extrémité céphalique, moins souvent sur le tronc. Les maladies lymphoprolifératives B mimant une rosacée ou un rhinophyma sont extrêmement rares. Il n’y a que vingt cas décrits dans la littérature. Il s’agissait d’un LBCCF dans cinq cas, 5,6 d’un LBC de la zone marginale dans dix cas 5,7-10 et d’une leucémie lymphoïde chronique 5,11-13 dans cinq cas. A notre connaissance, aucun cas de LF systémique, ayant ce type de présentation, n’a été précédemment décrit. Sur les vingt cas décrits dans la littérature, quatre avaient une rosacée préexistante qui se manifestait sous la forme d’un flush facial, d’un érythème et de télangiectasies des joues.

5,9 L’apparition de papules et d’un rhinophyma dans ces cas-là a été attribuée à la progression de la rosacée.

La plupart des patients avaient bénéficié d’un traitement de rosacée (antibiotiques, traitements topiques), avec une évolution défavorable, motivant une biopsie cutanée.

Le temps moyen entre la présentation initiale et le diag nostic était de quelques mois à dix ans.

D’après les auteurs, on peut supposer que la stimula tion antigénique chronique causée par des organismes, tels que le Demodex (genre d’acariens de la famille des

Demo dicidae

), entraîne le développement d’un lymphome, comme pour l’

Helicobacter pylori

dans le lymphome gastrique. La localisation du lymphome au niveau du visage pourrait également correspondre à un phénomène isomorphique sur les sites d’une rosacée préexistante.

5

conclusion

L’atteinte cutanée des lymphomes B peut mimer une rosacée ou un rhinophyma. Le diagnostic est souvent tardif. Il ne faut donc pas hésiter à faire une biopsie devant des lésions de type rosacée qui n’évoluent pas favorablement après traitement par des antibiotiques systémiques ou topiques. Une fois le diagnostic posé, il est important de distinguer un lymphome B cutané centrofolliculaire d’une localisation cutanée secondaire d’un lymphome B follicu laire systémique, par un

staging

comprenant un scanner, une biopsie de moelle osseuse ainsi qu’une étude immuno phénotypique (recherche de l’expression du

bcl-2

et de la translocation t(14;18)). Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article.

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Implications pratiques

> Il faut effectuer une biopsie devant toute rosacée n’évoluant pas favorablement sous traitement antibiotique systémique ou local > Il est important de distinguer un lymphome B cutané centro folliculaire d’un lymphome B folliculaire avec atteinte cutanée secondaire, puisque le pronostic et le traitement seront dif férents > En cas de lymphome B centrofolliculaire, la positivité de l’ex pression du bcl-2 aux immunomarquages doit orienter vers un lymphome systémique et inciter à effectuer un bilan d’ex tension complet

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