Nutrition parentérale versus entérale chez les patients admis dans

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Nutrition parentérale versus entérale chez les patients
admis dans les unités de soins intensifs
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par Kamel Mohammedi
Novembre 2014
Harvey SE et al. CALORIES Trial Investigators. Trial of the route of early nutritional support in critically ill adults. N
Engl J Med 2014, 371:1673-84. doi: 10.1056/NEJMoa1409860
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Les patients admis dans les unités de soins intensifs (USI) nécessitent régulièrement
une nutrition artificielle. Cette dernière implique des précautions particulières, notamment en
termes d’apport calorique, de choix de la voie et des horaires d’administration, qui peuvent
influencer l’évolution clinique. La majorité des sociétés savantes Européennes et NordAméricaines recommande de privilégier la voie entérale, considérée comme une voie
d’administration physiologique comportant un faible risque de complications [1, 2, 3].
Néanmoins, la voie entérale est associée à un risque d’intolérance gastro-intestinale et, de
fait, de sous-nutrition [4, 5]. La voie parentérale est elle associée à un risque plus élevé de
complications, notamment infectieuses [6, 7]. La littérature visant à déterminer la meilleure
voie d’administration de la nutrition artificielle en USI est pauvre et difficile à analyser du fait
des faibles effectifs des études, de l’absence de définitions standardisées et de plusieurs
autres biais de sélection, particulièrement chez ces patients [6]. L’étude CALORIES a testé
l’hypothèse qu’une nutrition artificielle précoce délivrée par voie parentérale est supérieure à
celle administrée par voie entérale chez les patients adultes admis en urgence dans les USI.
Harvey et al. ont mené une étude multicentrique, randomisée en deux bras parallèles
en ouvert, dans 33 USI au Royaume-Uni. L’étude CALORIES a inclus des patients âgés de
plus de 18 ans, admis dans des USI pour une durée > 3 jours, et nécessitant une
alimentation artificielle pendant au moins 2 jours. Ont été exclus les patients ne pouvant pas
bénéficier d’une nutrition entérale ou parentérale, recevant une alimentation artificielle les 7
derniers jours, ou ayant eu une gastrostomie ou une jéjunostomie, et les femmes enceintes.
Les patients ont été randomisés pour recevoir soit une nutrition entérale soit parentérale. Ils
ont été stratifiés selon l’âge (< 65 ans ou ≥ 65 ans), le statut chirurgical (chirurgie < 24 heures
avant l’admission en USI, ou absence de chirurgie), et le statut nutritionnel (présence ou
absence de dénutrition sévère). L’alimentation artificielle a été initiée dès que possible (36
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heures après l’admission) et utilisée de façon exclusive pendant au moins 5 jours ou jusqu’à
la reprise de l’alimentation orale, la sortie de l’USI ou jusqu’au décès. L’alimentation artificielle
apportait 25 kcal/kg/jour administrées via un cathéter veineux (voie parentérale) ou par une
sonde nasogastrique ou nasojéjunale (voie entérale). L’apport protidique a été évalué selon
les pratiques locales de chaque centre. La glycémie a été régulée selon les recommandations
internationales avec un objectif de glycémie < 1,8 g/l. Le critère de jugement principal a été la
mortalité de toute cause à 30 jours. Les critères de jugement secondaires étaient : absence
de défaillance d’organe, infections traitées, complications non infectieuses, durée du séjour
en USI et à l’hôpital, survie à la sortie de l’USI et de l’hôpital, mortalité à 90 jours et à un an.
Les effets indésirables ont été recueillis pendant 30 jours. Au cours de cette étude, 2388
patients ont été randomisés, soit 1191 dans le bras « nutrition parentérale » (âge moyen 63,3
± 15,1 ans et 57,9 % d’hommes) et 1197 dans le bras « nutrition entérale » (âge moyen 62,9
± 15,4 ans et 60,6 % d’hommes). Pendant la période interventionnelle, chaque patient a reçu
au total 89 ± 44 (voie parentérale) et 74 ± 44 kcal/kg (voie entérale).
La mortalité totale à 30 jours était comparable dans les 2 groupes (33,1 % vs 34,2 %).
Les auteurs n’ont pas observé de différences significatives pour les critères de jugement
secondaires, notamment l’incidence des complications infectieuses. En revanche,
l’alimentation parentérale était associée à une réduction significative du risque
d’hypoglycémie (3,7 % vs 6,2 %), et de vomissement (8,4 % vs 16,2 %). Les analyses des
sous-groupes n’ont pas montré d’autres résultats significatifs.
Les évènements indésirables graves (EIG) ont été comparables dans les 2 bras de
l’étude (4,9 % versus 4,8 % pour les groupes d’alimentation parentérale et entérale,
respectivement). Cinq EIG inattendus dont 4 potentiellement liés au type de voie
d’administration : alimentation parentérale (ischémie intestinale, hypoglycémie, hémorragie
digestive haute, et infarctus du myocarde) et alimentation entérale (hémorragie digestive
basse).
Cette étude originale ne montre pas de différences significatives en termes d’incidence
de mortalité, d’infection, ou des autres complications, entre l’alimentation parentérale et
entérale, chez les patients admis dans les USI. Néanmoins, la voie parentérale était associée
à un faible risque d’hypoglycémie et de vomissements. Contrairement aux études
précédentes, la voie parentérale n’a pas été associée à une augmentation des complications
infectieuses. Compte tenu du fait que l’apport calorique et glucidique était comparable dans
les 2 bras de l’étude, l’augmentation de l’incidence des hypoglycémies dans le groupe
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d’alimentation entérale pourrait être secondaire à un effet incrétine. Ces résultats nous
encouragent-ils à privilégier la voie parentérale chez les patients diabétiques, permettant ainsi
de diminuer le risque d’hypoglycémie ? Des études dédiées à la population diabétique sont
nécessaires pour répondre à cette question, d’autant qu’il s’agit là de patients plus exposés
au risque infectieux. Enfin, les résultats de cette étude pragmatique, basée sur les pratiques
cliniques au Royaume-Uni, ne sont pas forcément applicables à tous les centres à travers le
monde.
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Références
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[1] Heyland DK et al. Canadian clinical practice guidelines for nutrition support in mechanically ventilated,
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PMID: 12971736
[2] Martindale RG et al. Guidelines for the provision and assessment of nutrition support therapy in the adult
critically ill patient: Society of Critical Care Medicine and American Society for Parenteral and Enteral Nutrition:
executive summary. Crit Care Med 2009;37:1757-61.
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[3] Singer P et al. ESPEN guidelines on parenteral nutrition: intensive care. Clin Nutr 2009; 28:387-400.
doi: 10.1016/j.clnu.2009.04.024
[4] De Jonghe B et al. A prospective survey of nutritional support practices in intensive care unit patients: what is
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PMID: 11176150
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PMID: 15474870
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PMID: 15592814
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Mots-clés
Dénutrition, alimentation parentérale, alimentation entérale, unité de soins intensifs.
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