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Technologie et Sciences humaines
chez Gilbert Simondon
Vincent Bontems (CEA-Larsim)
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La « technologie » chez Simondon ?
Vincent Bontems, Ludovic Duhem et Sacha Loeve
Yves Deforges : Monsieur le professeur, vous avez écrit un livre qui s'intitule :
"Du mode d'existence des objets techniques" et dans ce livre vous parlez de la
technologie. Pouvez-vous nous dire si votre définition de la technologie
correspond à celle des ethnologues ou bien à celle des techniciens ?
Gilbert Simondon : A proprement parler, l'ouvrage ne cherche pas à donner une
définition de la technologie. Il voulait présenter une catégorie de réalités : celles
de l'objet technique. Mais il est certain que les définitions qui ont été présentées
par les différents spécialistes que vous avez nommés sont très bonnes.
Simplement on pourrait sans doute ajouter une dimension nouvelle : on pourrait
présenter la technologie comme comportant aussi un aspect normatif, un aspect
d'intégration à la culture, un aspect en somme assez voisin de celui de
l'esthétique et peut-être de la morale.
« Entretien avec Monsieur Gilbert Simondon », 1966.
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La technologie dans Du Mode d’existence des
objets techniques (1968) : la cybernétique ?
« De plus, les schèmes fondamentaux de causalité et de régulation qui constituent une
axiomatique de la technologie doivent être enseignés de façon universelle, comme sont
enseignés les fondements de la culture littéraire. » (p. 13)
« on peut remonter vers les sciences séparées pour poser le problème de la corrélation de
leurs principes et fonder une science des corrélations et des transformations qui serait une
technologie générale ou mécanologie. » (p. 48)
« La théorie de l’information est une technologie interscientifique, qui permet une
systématisation des concepts scientifiques aussi bien que du schématisme des diverses
techniques (…) la théorie de l’information intervient comme science des techniques et
technique des sciences, déterminant un état réciproque de ces fonctions d’échange. » (p.
110)
17) « Par là se trouve fondée une technologie réflexive au-dessus des différentes technique,
et définie une pensée qui crée une relation entre les sciences et les techniques. » (p. 110)
Evolution historique de la technologie
comme source de paradigmes
Projet d’encyclopédie génétique (inédit) :
Il est d’usage de considérer les deuxième et troisième règles de la méthode de DESCARTES
comme inspirées de la mise en équation et de la résolution des équations en
mathématiques. On pourrait peut-être, à plus juste titre, les considérer comme des
formulations abstraites et des généralisations du schème de concaténation tiré de la
technologie rationnelle, applicable à tous les cas où s’opère un transfert de causalité. Un
raisonnement se construit avec de longues chaînes de raisons qui opèrent un « transport
d’évidence » comme une machine simple se construit avec de longues chaînes d’engrenages
et de poulies ou d’articulations qui opèrent un transfert de causalité avec conservation du
mouvement, comme il y a conservation de l’évidence dans un raisonnement bien construit.
L’importance des phases encyclopédiques dans MEOT comme passage à une technologie
réflexive :
« Nous allons tenter d’analyser la relation de l’esprit encyclopédique à l’objet technique,
parce qu’elle semble bien être un des pôle de toute conscience technologique, et posséder
ainsi, en plus de sa signification historique, un sens toujours valable pour la connaissance de
la technicité. » (p. 94)
« Sur la naissance de la technologie »
Cours inédit de 1969-1970
Une définition :
« La technologie est déjà présente dans l’invention d’une machine simple :
un outil, comme le levier du carrier, ou le faisceau de cordes, ou la roue, ou
encore le rouleau, constitue un medium entre l’opérateur et la matière
naturelle. Dans une machine, il existe un enchaînement d’opérations
d’outils agissant les uns sur les autres, ce qui fait que dans cette chaîne
transductive chacun des outils élémentaires est à la fois opéré et opérateur,
nature-objet et sujet-opérant. Le logos de la technologie est cet
enchaînement (différent du regard jeté par le sujet connaissant sur la
nature connue), le metron de la relation transductive. »
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La technologie comme universalisation
des schèmes mécanologique et chimique
La technologie possède deux branches :
« La technologie chimique n’est pas différente en structure de la technologie
physique des machines ; elle est un enchaînement rattachant des ordres de
grandeur qui sans elles n’auraient pas de communication. »
La technologie se fonde sur la communication entre ordres de grandeur :
« De tous les aspects du caractère transductif de la technologie, celui qui permet le
changement d’ordre de grandeur, et par conséquent la mobilisation,
l’intemporalisation, la potentialisation, est sans doute le plus important. »
C’est pourquoi l’une de ces premières figures est l’alchimie :
« L'alchimie postule l'unité des sciences les unes par rapport aux autres, et l'unité
des sciences et des techniques, contenue dans le sens même de la technologie,
mécanique ou alchimique. »
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La technologie est « allagmatique », non une
science, mais une technologie interscientifique
« Le no man's land entre les sciences particulières n'est pas une science
particulière, mais un savoir technologique universel, une technologie
interscientifique qui vise non un objet théorique découpé dans le monde mais
une situation. »
Sa figure contemporaine est inspirée de la cybernétique telle que l’appréhendait
L’Individuation à la lumière des notions de forme et d’information (1964, 2005) :
« au cours de ce remplacement, la notion d’information ne doit jamais être
ramenée aux signaux et supports ou véhicules d’information, comme tend à le
faire la théorie technologique de l’information, tirée par abstraction de la
technologie des transmissions. La notion pure de forme doit donc être sauvée
deux fois d’un paradigmatisme technologique trop sommaire : une première
fois, relativement à la culture ancienne, à cause de l’usage réducteur qui est fait
de cette notion le schème hylémorphique ; une seconde fois, à l’état de notion
d’information, pour sauver l’information comme signification de la théorie
technologique de l’information, dans la culture moderne. » (p. 35)
Le caractère normatif de la technologie :
lutter contre l’aliénation par la réflexivité
La technologie devient l’élément central de la réflexivité encyclopédique contemporaine (MEOT) :
« l’homme se libérait, par la technique, de la contrainte sociale ; par la technologie de
l’information, il devient créateur de cette organisation de solidarité qui jadis l’emprisonnait ;
l’étape de l’encyclopédisme technique ne peut être que provisoire ; elle appelle celle de
l’encyclopédisme technologique qui l’achève en donnant à l’individu une possibilité de
retour au social qui change de statut, et devient l’objet d’une construction organisatrice au
lieu d’être l’acceptation d’un donné valorisé ou combattu, mais subsistant avec ses
caractères primitifs, extérieurs à l’activité de l’homme. (…) Telles sont les trois étapes de
l’esprit encyclopédique, qui fut d’abord éthique, puis technique, et qui peut devenir
technologique, en allant au-delà de l’idée de finalité prise comme justification dernière. » (p.
105)
« la technologie, en les enveloppant (adaptations) et en permettant non seulement de les
penser, mais aussi de les réaliser rationnellement, laisse en pleine lumière les processus
ouverts de la vie sociale et individuelle. En ce sens, la technologie réduit l’aliénation. » (pp.
105-106)
Cette ambition se heurte à des blocages
psychosociaux dans la culture
MEOT :
« La tâche du technologue est donc d’être le représentant des êtres techniques
auprès de ceux par qui s’élabore la culture : écrivains, artistes, et, très généralement,
auprès de ceux que l’on nomme cynosures en psychologie sociale. Il ne s’agit pas
d’obtenir, par l’intégration d’une représentation adéquate des techniques à la culture,
que la société soit mécanisée. (…) L’intégration d’une représentation des réalités
techniques à la culture, par une élévation et un élargissement du domaine technique,
doit remettre à leur place, comme techniques, les problèmes de finalité, considérés à
tort comme éthiques et parfois comme religieux. » (pp. 151-152)
Psychosociologie de la technicité (1961) :
« L’allure aérodynamique d’un véhicule peut être fort éloignée de l’aérodynamisme
réel ; des constructeurs puristes en technologie ont parfois déplu à la clientèle pour
avoir recherché un aérodynamisme réel et non l’image stéréotypée de la ‘forme
aérodynamique’ ».
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La technologie n’est pas une technique
de l’homme mais du rapport au monde
MEOT :
« La pensée technique doit développer le réseau de points relationnels de
l’homme et du monde, en devenant une technologie, c’est-à-dire une technique
au second degré qui s’occupe d’organiser ces points relationnels. » (p. 226)
« la technologie ne peut se développer que sur une réalité déjà technique. La
pensée réflexive doit réaliser une promotion de la technologie, mais elle ne doit
pas tenter d’appliquer les schèmes et les procédés techniques en dehors du
domaine de la réalité technique. » (pp. 226-227)
« La culture est ce par quoi l’homme règle sa relation au monde et sa relation à
lui-même ; or, si la culture n’incorporait pas la technologie, elle comporterait
une zone obscure et ne pourrait apporter sa normativité régulatrice au couplage
de l’homme et du monde. » (p. 227)
La technologie face aux sciences
humaines, retour à la méthode…
L’Invention dans les techniques (1971, 2005) :
« La technologie serait en ce sens une étude parallèle à la linguistique et
différente de celle-ci. Elle définirait un type de cohérence (celui de l’objet
technique) qui vient des propriétés conférées aux composants en action par le
fait que le problème est supposé résolu (…). L’analyse technique est une étude
de l’objet diachronique, selon sa genèse (discontinue, par grandes inventions, ou
continue, par perfectionnements), et synchronique, sous la forme de la définition
des régimes de fonctionnement et des structures. » (p. 84)
« Il est donc possible de définir un troisième type d’étude de la technique, la
technologie comparée, partant des résolutions de problèmes (médiation
instrumentale) chez les animaux et ordonnant les différents moyens en fonction
à la fois de leur utilité fonctionnelle (comme médiation entre l’organisme et son
milieu) et leur perfection, ou autocorrélation interne, ce qui est un critère
normatif de l’acte d’invention institue ces médiations. » (p. 85)