Les marques atypiques

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Transcript Les marques atypiques

Les marques atypiques
Avec le concours d’Isabelle Meunier-Cœur
Conseil en P.I., Cabinet Plasseraud
Pascale Tréfigny
Maître de Conférences, Grenoble 2
Dir.ad.CUERPI
Petit rappel….
La marque est un signe susceptible de
représentation graphique servant à
distinguer les produits ou services d’une
personne… (v. Art.L.711-1 CPI)
+ Art. 2 Dir.22 oct.2008 et Art.4 Règl.40/94, 20 déc.1993
La marque, que l’on doit pouvoir identifier
clairement, doit permettre, notamment,
aux consommateurs d’identifier l’origine de
productions, de services.
A l’origine, le classicisme régnait…
Des marques simples étaient choisies:
Des noms de famille : Ducros, Dior,
Chanel, Yves Rocher, Procter et Gamble,
Jacob et Delafon, etc.
Des termes arbitraires : Petit Bateau,
Kodak, Lustucru…
Puis, assez vite, arrivent les couleurs !
Des combinaisons
Des dispositions
Puis, LA couleur…
Le Rouge Congo
Le Jaune bouton d’or
Sans négliger les formes….
La fameuse bouteille de Perrier
Le marketing était passé par là !
De nouvelles formes apparaissent…
Parfois même, il est question de l’ouïe, de
l’odorat, du goût, du toucher…
D’une représentation graphique simple à
une représentation graphique à imaginer!
En effet, comment représenter ce qui est
animé ou mieux, qui ne se voit pas?
Il s’agit de voir ici comment le droit
appréhende ces marques moins
conventionnelles,
ces marques atypiques.
Ces marques rencontrent des difficultés..
Mais y-a-t-il finalement grand intérêt à
réserver ce type de marques ?
I.- Une difficile appréhension en pratique
par le droit des marques
La CJCE (CJUE) a posé des règles pour
définir la notion de marque et les
exigences formelles du signe (A)
Leur application conduit à restreindre
considérablement les signes éligibles (B)
A.- Les règles posées par la CJUE
A l’apparente souplesse de la définition
même du signe enregistrable (1), répond
une rigueur implacable avec, notamment,
l’exigence de la représentation graphique,
telle qu’appréciée par la CJUE (2).
1.- Une apparente souplesse
Une marque n’est pas forcément visible.
En effet : un jingle, une odeur, une couleur
peut renseigner le consommateur sur une
origine.
Position des textes : « notamment » ;
Position des administrations et des juges :
accueillante, v. arrêt Sieckman notamment
2.- Une rigueur implacable
Le signe choisi
- ne doit pas heurter l’intérêt général des
autres opérateurs ;
- doit être perçu comme une marque
- et bien entendu il doit être distinctif !
La condition autonome de distinctivité …
Et surtout, depuis 2002,
La CJUE a posé nombre d’exigences
pour la représentation graphique
L’arrêt « couperet » :
La Cour de Justice retient en effet que le
signe doit « pouvoir être représenté
visuellement au moyen de figures, de
lignes ou de caractères de façon claire,
précise, complète par elle-même,
facilement accessible, durable et
objective » (Sieckman12/12/02, C-273/00).
B.- L’application pratique
 Certaines marques atypiques sont
enregistrables sans –trop- de résistance (1)
 D’autres, rencontrent de sérieuses difficultés. Et
la sévérité atteint même certains signes
considérés jusque là comme classiquement
enregistrables (2).
 Enfin, quelques unes sont totalement
impossibles à enregistrer à l’heure actuelle (3).
1.- Les marques en mouvement et de
position
Ces marques là, bien que nouvelles dans
le paysage médiatique, rentrent dans les
critères d’enregistrement précités.
Les marques en mouvement…
Canal +
Un autre exemple…
Fenêtres Microsoft…
Une marque en mouvement admise,
après un recours…
 Sony Ericsson a déposé « une séquence animée composée de 20
vignettes qui se succèdent dans un délai d’environ 6 secondes. La
séquence montre un flux de liquide coloré qui s’écoule sur un fond
blanc. Le flux de liquide s’écoule au final autour et à l’intérieur de la
sphère qui permet à la couleur du liquide d’être vue ». Ce sera
modifié pour être plus complet et précis… et finira par convaincre.
Petit quizz...Qu’y a-t-il de commun à tous
ces emballages de la Sté Ravensburger?
Une marque de position !
Marque UE n° 7 205 057 du 2/9/2008
Et pourquoi pas..
 Ravensburger a déposé ce signe en couleur
bleue, en cl 16, 28 et 41
 Description : la marque est constituée d'un
triangle, apposé sur les produits, dans le coin
inférieur droit des limites de conditionnement.
En relation avec la protection des services pris
en charge, ce triangle est apposé dans le coin
inférieur droit des matériaux publicitaires,
documents commerciaux, factures ou sur les
objets utilisés pour réaliser les prestations..
 Cette marque semble effectivement un point de
ralliement classique de la clientèle
Les marques de position, autres
exemples..
 Ce sont des marques
qui identifient un
endroit en particulier
où une couleur, un
signe, sera apposé…
 Un exemple :
Clin d’œil à du rouge aux semelles…
 Marque Lloyd UE du 1/4/96 en
cl 25, pour des chaussures
hommes: revendiquant une
bande rouge inscrite dans le
talon d’une chaussure dame
 Marque Prada UE du 24 déc
1998, en cl.25: bande rouge
disposée dans la direction
longitudinale d’une chaussure
qui recouvre en partie la zone
de la semelle et en partie la
zone postérieure chaussure
Avec une marque qui échoue…
 Plusieurs marques de
position déposées par
Christian Louboutin,
pour des chaussures
de femmes…
Avec une marque qui échoue…
Mais attention…
Même pour ces marques, il faut « marquer
l’esprit »!!!
En effet, à défaut, impossibilité pour ces
signes de constituer une marque
 v. TPICE, 14 sept.2009, T-152/07, arrêt « cadran de
montre » ; 15 juin 2010, T-547/08, coloration orange
bout de chaussette et CJUE 16 mai 2011, C-429/10 ; 20
sept.2010, couleurs rouge, noire et grise appliquées
surfaces extérieures d’un tracteur
Ne pas oublier le caractère distinctif
 OHMI, Division
d’annulation, 16 février
2012, 4783 C,
 Marque communautaire
3799574, revendiquant
un anneau vert autour du
culot d’une ampoule,
annulée car la couleur se
confond avec l’apparence
du produit, ne se
distingue pas vraiment
des normes du secteur..
2.- Un accès encore possible, mais très,
très difficile…
Dans des conditions quasi-exceptionnelles
ou grâce à un subterfuge :
Les couleurs plates ou les multicombinaisons…
Les marques tridimensionnelles
Les slogans..
Les marques sonores…
Un point sur les couleurs plates ou en
multi-combinaisons
Couleurs plates :
= Refus d’enregistrement pour les
couleurs plates par l’OHMI, ce qui traduit
un véritable durcissement
Sauf :
Sauf :
- Circonstances exceptionnelles :
Marque revendiquant du vert pour des services de
réservation et location de véhicules depuis des stations
routières…
Ou Sauf :
Preuves d’usage, le fameux Lilas de Milka
Et encore, Attention pour l’usage…
car très rarement, ces marques sont
exploitées telles quelles, sans élément
nominal ! Ex. Fnac…
Et, à l’opposé, style Arlequin ?
Non plus !
Un point sur les marques
tridimensionnelles
 Bien que ne devant pas faire de
distinction selon les types de marques, la
jurisprudence des instances
communautaires demeure extrêmement
sévère à l’égard de ces dernières…
Une sauvée pour 1000 perdues !!!
 TPICE, 3 décembre
2003, T-305/02 :
« Certains opérateurs ont
depuis des années,
cherché dans la forme de
l’emballage, le moyen de
différencier leurs produits
de ceux de la
concurrence et d’attirer
l’attention du public, apte
à percevoir la forme
comme une indication
d’origine... »
Pour combien de rejets…
 En classe 33,
 En classe 32,
Un point sur les slogans…
 Tir de barrage des instances communautaires = Rejet
quasi systématique car ces combinaisons ne sont
appréhendées que comme des messages promotionnels
incapables d’être de véritables indicateur d’origine
 DREAM IT DO IT !
TPI 2/7/2008 T-186/07 (classes
35, 36, 41 et 45) les juges retiennent que le public ne
voit qu’une incitation, une invitation à réaliser ses rêves.
 FREE YOUR SKIN , OHMI R 1193/2008-1 (classes 3 et
8 pour préparations de rasage et rasoirs)
 WHAT YOU NEED WHEN YOU NEED IT,
OHMI R616/2009-2 (classe 9) : compris comme un
slogan publicitaire dont le seul but est de mettre en
lumière les aspects positifs des produits visés
Jusqu’à la décision CJUE janv.2010
 « Vorsprung durch Technik » 21 janv.2010, v. point 44
 Toutefois pas se réjouir trop vite. Arrêt de circonstance ?
 La marque avait été acceptée en classe 12 pour cause
de caractère distinctif acquis par l’usage.
 Sans que cela soit bien justifié, cette acquisition semble
avoir bénéficiée aux autres classes…
 Mais : WHAT YOU NEED TO KNOW ABOUT
EVERYTHING THAT MATTER, OHMI 4/2/2010 R
880/2009-1 Rejet sur les mêmes bases qu’avant =
illustre au minimum une résistance de fond.
Un point sur les marques sonores
Elles sont enregistrables, grâce :
A une abstraction : la portée
A une astuce technique : le format MP3
L’abstraction :
 Le signe déposé se
détermine alors par la
« lecture » de la
portée déposée…
 Ici, dans l’exemple
choisi, aucun fichier
MP3 n’est joint..
 Exemple d’une
marque enregistrée,
pour désigner de la
viande, du café, etc:
L’astuce : MP3, mais pas encore à l’inpi..
 Tarzan…
 Le lion de la MGM
Un autre exemple…
Devinez!
3.- Un accès impossible…
Les marques olfactives, gustatives…
L’affaire semble à peu près entendue, en
leur défaveur.
Après une décision d’enregistrement pour
une marque olfactive…
La fameuse « odeur d’herbe fraîchement
coupée », pour désigner des balles de
tennis….
Qui demeure bien isolée dans le paysage
De nombreux rejets de ces marques
composées de fragrances, d’odeurs…
L’Ohmi a, ensuite, décidé à propos de
« l’odeur de framboise » pour des
carburants : Rep.graph. ok mais pas de
caract. distinctif (R711/1999-3)
Puis avec l’arrêt Sieckman (C-273/00) :
pas de Rep.graph. (pourtant : description
verbale, chimique, et offre d’échantillon)
Enfin, cela paraît bien impossible !
A propos de « l’odeur de fraise mûre »,
avec une belle photographie : ni RP ni D.
(T-305/04)
Pour les marques gustatives, approche
communautaire et approche française…
Pour l’Ohmi, le goût artificiel de framboise,
simple, univoque, répond à la Rep.graph.
mais n’a pas de caract.Dist. avec, en
outre, le problème de l’intérêt des autres
opérateurs, s’agissant de camoufler un
goût désagréable, une odeur désagréable
Et pour les juges français :
La cour d’appel de Paris estime que la
description verbale, seule, est insuffisante
à caractériser valablement ce type de
signe.
(CA Paris, 3 octobre 2009, Eli Lilly).
Mais y a-t-il un intérêt à ces marques
atypiques?
II.- Pour quel intérêt ?
En étant un peu provocatrice, mais pas
tant que cela…
Les statistiques démontrent le peu
d’intérêt des opérateurs pour certaines de
ces marques atypiques
Les chiffres :
Il n’y aurait, pour la France, aucune
marque olfactive, gustative enregistrée.
Pour les marques communautaires:
- 7 dépôts, un seul enregistré, mais non
renouvelé !
- 9 hologrammes
- 127 sonores
- 877 de couleurs et… 5830 3D/528000!
Deux questions, par conséquent :
Quel intérêt pour les titulaires ?
Quelle sécurité pour les tiers ?
A.- Quel intérêt pour les titulaires ?
1.- Par rapport aux supports utilisables
2.- Par rapport à la portée du droit
3.- Par rapport aux autres actions
possibles ?
La concurrence déloyale, le droit d’auteur,
etc.
En quelques mots…
1.- Les supports…
En effet, pour les marques olfactives,
gustatives, ou en mouvement, il faut
oublier les supports papier…
Pour les deux premiers types de marques,
il faut aussi oublier tout ce qui est
audiovisuel : tv, cinéma, mais surtout
internet…
2.- La portée…
Quel est encore l’intérêt pour les titulaires
lorsque l’on sait que la protection
s’étendant aussi à ce qui s’approche du
signe déposé, les marques en mouvement
(décomposition d’une image en plusieurs
très proches), souvent, seraient protégées
par l’enregistrement d’une seule des
images….
La portée, suite…
Autre exemple, pour les marques sonores,
réservant souvent un son bref, la
protection sera sans doute faible, sauf à
accorder une protection très large –trop
large ?- au titulaire…
Qui appréciera le risque de confusion? At-on forcément l’oreille…
3.- Par rapport aux autres actions..
En effet, le titulaire de la marque pourra
souvent obtenir gain de cause en se
prévalant de droit d’auteur : par exemple,
pour les marques en mouvement, les
odeurs (même si ce point donne
actuellement lieu à controverse en France
entre juges du fond et Cour de cassation)
Surtout…
L’action en concurrence déloyale, en
parasitisme, conserve (bien ou mal, c’est
ainsi!) toute sa vigueur et se trouve par
conséquent tout à fait efficace pour faire
sanctionner le tiers qui aurait
l’indélicatesse de reprendre tel parfum, tel
emblème, etc.
B.- Quelle sécurité pour les tiers ?
1.- Ou l’enseignement de la flûte à bec
redevient obligatoire !...
2.- Délicate appréciation du caractère
distinctif ?
3.- Et la remise en question possible de
certains principes acquis : une idée
devient-elle protégeable ?
1.- Développer encore ses
connaissances, en musique, en nez, etc.
En effet, une portée, pourquoi pas, mais il
faut quand même être expert pour pouvoir
la déchiffrer, et la jouer…
L’odeur de framboise, de banane,
pourquoi pas, mais là encore : prêts?
Une séquence non animée pour les
marques en mouvement : un peu difficile
aussi de se faire une vision très nette de
ce qui est protégé…
2.- Le caractère distinctif…
Comment déterminer le caractère
distinctif, pour une marque sonore, par
exemple, dont on a dit, déjà, pour les
couleurs, pour les formes, qu’il n’était pas
facile à percevoir, et ce, d’autant plus avec
la condition autonome de distinctivité…
Par exemple,
 Les gazouillis d’un
bébé:
 Pas de souci pour
des conseils
juridiques
 Mais quid si déposé
pour des services à
l’enfance…
3.- Remise en cause de certains principes
En effet, prenons l’exemple d’une marque
de mouvement…
L’homme enlève une sorte de
« surchemise » terne : grâce à telle
lessive, enlevez la grisaille de votre linge !
Slogan certainement pas protégeable par
la marque, ni l’idée d’ailleurs, donc pas
davantage de droit d’auteur..
Un exemple de demande de marque…
Ici :
Cette marque va permettre d’obtenir la
protection en réalité d’une idée.
Cela paraît contraire au principe selon
lequel une idée, un genre, ne peut être
réservé au profit d’un seul par ces
protections de forme…
Autre exemple : l’efficacité…Marque UE
enregistrée en classe 3
La confiance…
La perplexité !
Avec ces marques, que protège-t-on ?
Des idées, des sentiments : cela choque,
mais après tout, il y a bien une marque
verbale revendiquant la joie !
CONCLUSIONS
A chaque fois, mouvement de balancier,
en faveur des marques nouvelles, puis les
offices et les juges deviennent plus
sévères : sur la fonction de la marque, sur
l’exigence de distinctivité, de
représentation graphique…
Rien n’est jamais gagné… Reste
l’imagination, mais alliée à la rigueur…