La politique commerciale du Japon

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Politiques commerciales

des

grandes puissances

La tentation du néoprotectionnisme Lahsen Abdelmalki René Sandretto Chapitre 12 La politique commerciale du Japon

    Le Japon est à la fois le moins vaste et le moins peuplé des grandes puissances Le pays est aussi plus pauvre en matières premières. • La dépendance des approvisionnements externes le pousse à s’en affranchir par le développement des biens d’équipement et des produits manufacturés • La réussite est telle que le Japon est perçu communément comme étant la patrie du high-tech Les performances commerciales accumulées par le Japon invitent à considérer le rôle des institutions qui ont la charge de la politique commerciale jusqu’au milieu des années 1990 Des menaces récurrentes de déflation depuis 1992 et l’essor impressionnant du grand voisin chinois invitent à tirer quelques conclusions nuancées concernant l’avenir de la puissance japonaise

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    À la suite du Traité de paix de San Francisco ainsi qu’au Pacte de sécurité nippo américain, le Japon accède à son indépendance en 1951 Près de quinze ans après, le Japon se hisse au rang de deuxième puissance industrielle du monde, avant d’en devenir la deuxième puissance commerciale dans les années 1970 et la première puissance financière dans les années 1980 Ce retour, le Japon le doit au départ à sa position dans la géopolitique internationale : le déclenchement de la Guerre froide avec l’URSS (1947) et l’entrée en scène de la Chine communiste (1949) poussent les États-Unis à considérer le Japon comme un allié régional • Au niveau intérieur, le gouvernement accorde une importance stratégique aux questions économiques (restauration le MITI dès 1949) • Au niveau extérieur, le Japon consacre ses efforts à « la diplomatie économique » (keizai gaikou)

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     Au Japon, 30 % seulement de la surface du pays est habitable et, plus restrictif encore, seules 15 % des terres sont cultivables Le taux d’alphabétisation compte parmi les plus importants (99 %) et l’IDH se trouve régulièrement parmi les plus élevés de la planète Pendant longtemps, le taux d’épargne nippon comptait parmi les plus élevés au monde. • La crise du logement est souvent considérée comme le principal facteur explicatif du comportement de « fourmis » des Japonais • Alors qu’il était évalué à 23 % du revenu en 1975, il est revenu à 11,4 % en 1997 puis à 3,2 % en 2009 Enfin, les Japonais ont la réputation d’être extrêmement sérieux, acharnés et perfectionnistes. • Cette idée n’est pas nouvelle • On la retrouvait dans les témoignages des premiers Européens arrivés au Japon

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    Sur le long terme, la croissance japonaise est l’une des plus fortes de l’après-guerre • À la fin de 2009, le PIB du pays est le troisième du monde (5 068 M$US), derrière celui des États-Unis (14 256 M$US) et devant celui de la Chine (4 909 M$US) • Il est le troisième du monde si l’on considère l’Union européenne comme un tout (16 447 M$US) La croissance japonaise a connu des variations cycliques très accentuées, avec une tendance baissière à long terme • 10 % dans les années 1960, • 8 % dans les années 1970, • • 4 % dans les années 1980 et, enfin, 2 % dans les années 1990-2000 De nouveau, la croissance japonaise connaît des oscillations très marquées actuellement • Elle passe de phases de reprise (2,9 % en 2005) à des phases de baisse plus ou moins forte (-5,9 % en 2009)

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  Le Japon inspire contradictoirement de la crainte et de l’admiration, aussi bien à ses partenaires les plus compréhensifs qu’à ses adversaires les plus suspicieux • Dans le top des 500 premières entreprises industrielles mondiales, le Japon compte 68 sociétés, dont le constructeur automobile Toyota (10e place) • • Le Japon compte 10 groupes industriels parmi le top 25 des plus puissants du monde. Tous bénéficient d’une réputation mondiale en matière de qualité des produits, de l’assistance technique après-vente Le Japon est aussi l’un des premiers marchés mondiaux de la propriété industrielle, avec près de 138 000 marques et 408 000 brevets déposés au « Japan Patent Office » • • (JPO) en 2009 Dans le classement mondial des villes accueillant le plus de sièges d’entreprises, Tokyo arrive en tête avec 11 localisations Enfin, le Japon demeure dans le peloton de tête des pays hôtes des meilleures écoles et universités dans le monde

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     Si la crise de 1973-1979 avait révélé l’impréparation de l’Europe aux chocs extérieurs, elle est pour le Japon l’occasion de restructurations industrielles importantes • La priorité est donnée à une nouvelle génération d’industries (automobiles, électronique, machines-outils - qui bénéficient de méthodes de production inédites En 1985, le fameux accord du Plaza oblige le Japon à réévaluer fortement le yen.

• Le « yen cher », gêne un temps les exportations japonaises, mais contribue à faire du pays une puissance financière majeure Le Japon devient le premier créancier mondial en 1990. La même année, son PIB dépasse celui de l’Allemagne, de la France et de la Grande-Bretagne réunies.

De 1976 à 1990, le Japon oriente sa politique industrielle dans trois directions : • La substitution des industries lourdes par des industries de haute technologie • • Le soutien à la rationalisation des activités en déclin Le développement des industries nouvelles

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  On ne peut comprendre les performances du Japon, comme du reste ses contre performances récentes, si on ne les replace pas dans le cadre du système social • Dès l’ère Meiji, le Japon s’est positionné dans un élan de rivalité avec le reste du • • • • • monde. Faute d’une classe d’entrepreneurs assez puissante, le développement industriel est mis en œuvre par l’État qui crée, de facto, un « capitalisme sans capitalistes » Longtemps isolée, la société japonaise entretient un « esprit de corps », c’est-à-dire un sentiment de cohésion très fort On trouve des phénomènes de soumission à plusieurs niveaux de l’organisation sociale : la famille est soumise aux parents, l’entreprise au patron, la nation à l’empereur… Des phénomènes de collusion existent aussi entre sphère publique et sphère privée, entre fonctionnaires, entrepreneurs et banquiers, etc.

Cette solidarité du corps social existe aussi dans le domaine de la mutualisation de l’information (cf. rôle du JETRO /Japan External Trade Organization)

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  Le rôle économique du MITI est celui d’un « coordinateur » des initiatives et des incitations de l’État. • Les origines du MITI remontent à 1925, lorsqu’il est créé une première fois, par scission du ministère de l’Agriculture et du Commerce. Démantelé en 1943, il a été reconstitué en 1949 • • • • • Le MITI encadre l’activité économique de l’État. À ce titre, il se pose comme le chef d’orchestre de la croissance japonaise. Il oriente également les stratégies des Keiretsu Le MITI a été rebaptisé en METI (Ministry of Economy, Trade and Industry) en 1997 Le METI est derrière le formidable bond en avant du Japon dans les domaines des nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC). Le METI opère en relation avec deux autres ministères : le ministère des Affaires étrangères (veille sur l’image du Japon à l’étranger) et le ministère des Finances (gestion de la parité du yen) Toutefois, le génie du METI est de stimuler l’émulation entre groupes et non de se substituer au rôle du secteur privé (M. Porter)

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120 100 80 60 40 Industrie 20 0 -20 Agriculture Services -40 -60 -80 -100 67 71 75 79 83 87 91 95 99 03 07 Mines Énergie Japon 1967 Points forts Points faible

PIB en millièmes de USD courants

Electronique grand public Voitures et cycles 6,3 4,2 Pétrole brut Produits raffinés de pétrole Bateaux Appareils électriques Acier Matériels informatiques divers Optique Divers articles industriels Articles en plastique Tissus 3,7 3,3 2,9 2,8 2,6 2,6 2,4 2,3 Minerais de fer Minerais non ferreux Prod. agricole non-comestible Charbon Minerais non ferreux Gaz naturel Ordinateurs Produits pharmaceutiques

Japon 2008 Points faible

Voitures et cycles Moteurs Acier

Points forts

PIB en millièmes de USD courants

Pétrole brut Gaz naturel Charbon Appareils électriques Machines spécialisées Composants automobiles Composants électroniques Équipements de construction Bateaux Véhicules Minerais non ferreux Viande Tricot Habillement Cuir Autre prod. agricole comestible Prod. agricole non-comestible -18,4 -5,9 -4,8 -3,5 -2,6 -2,5 -2,4 -2,2 -2,0 -1,8 -31,3 -10,8 -5,4 -3,5 -3,2 -2,4 -2,4 -2,1 -2,0 -1,9 Source : CEPII, CHELEM-International Trade, CHELEM-GDP et CHELEM-Balance of Payments databases

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    La force du Japon es dans la force qu’il met dans la protection de ses marchés • Le Japon a constamment défendu ses intérêts commerciaux, expérimentant très tôt le « protectionnisme éducateur », pourtant inventé par les Européens • • C’est dans cet esprit que le pays avait empêché l’implantation de Fiat en 1960 Cette stratégie s’est accompagnée d’une tactique d’élimination de la concurrence par des politiques de prix permettant la conquête des marchés mondiaux Historiquement, l’économie du Japon a d’abord reposé sur son marché intérieur et le commerce japonais est resté déficitaire jusqu’en 1965. Ensuite, les excédents vont exploser à partir du premier choc pétrolier et jusqu’en 1992 Après des difficultés importantes entre 1993 et 2008, le commerce extérieur semble s’être redressé au début des années 2000 : • Depuis le, c’est en Asie que le Japon trouve ses principaux débouchés, avec 54 % du total, devant l’Amérique du Nord (21 %) et l’Europe (16 %) • Enfin, c’est avec le Moyen-Orient que le Japon accuse les plus gros déficits : 132,6 milliards en 2008. On retrouve ici ce qui fait sa plus grande fragilité : la dépendance à l’égard des approvisionnements pétroliers

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Solde Export - Import Monde Amérique du Nord États-Unis Amérique du Sud et centrale Europe Afrique Moyen-Orient Asie Chine 1998 109,3 54,0 42,4 7,6 34,5 1,8 2000 97,0 73,3 71,5 -0,2 32,8 -0,7 2002 76,7 106,9 63,9 68,3 61,7 -0,1 17,6 -1,7 2004 65,1 -2,3 30,3 -2,1 2006 58,2 84,3 77,5 -4,2 33,9 -4,8 -13,1 -39,5 -29,3 -48,3 -89,9 24,4 31,3 26,4 60,9 38,9 - -12,6 -9,3 -1,4 -6,5 2008 Var 2008-1998 4,3 63,9 -92,6 18,2 59,7 -2,9 39,7 40,9 -138,6 15,1 -594,3 -8,9 132,6 45,1 2,9 913,7 84,9 Source : OMC, Statistiques du commerce international, 2009

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Zones Monde Amérique du Nord États-Unis Amérique du Sud et centrale Europe Afrique Moyen-Orient Asie Chine Source : OMC, Statistiques du commerce international, 2009 Exportations 100 % 21 % 18 % 3 % 16 % 2 % 5 % 54 % 20 % Importations 100 % 13 % 10 % 3 % 11 % 3 % 22 % 48 % 19 %

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   Certains observateurs n’hésitent pas à qualifier le Japon d’économie mercantiliste. Le mercantilisme peut se résumer en une proposition simple : tout par et pour le pays • L’une des principales caractéristiques du mercantilisme en Europe était le développement contrôlé et satellisée des colonies par la métropole. Le mercantilisme nippon se reflète aussi dans la structure des échanges extérieurs • Les plus gros postes parmi les importations sont : les œuvres d’art, l’acier, le cuivre et les alliages, le coton brut, l’or, l’aluminium, les diamants, le maïs, les produits chimiques ainsi que les produits pétroliers. • Les exportations sont dominées par les véhicules automobiles et les matériels de transport. Viennent ensuite les deux-roues, les matériels de chauffage, les moteurs, les semi-conducteurs, les télécommunications, les bateaux et l’électronique grand public  Bien que le Japon n'assure que 4 % des exportations mondiales, son dynamisme commercial fait figure d’exemplarité

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  Le Japon a été très longtemps accusé par ses partenaires de pratiquer la prédation par les prix, en maintenant artificiellement bas le niveau de sa monnaie • Il n’est pas certain que les faits corroborent cette accusation. Ainsi, sur toute la période 1960-1993, le taux de change effectif nominal du yen est celui qui a enregistré la plus forte appréciation parmi les monnaies des grands pays industrialisés • • • (+228 %). Au cours de la même période, l’appréciation nominale du DM (Allemagne) a atteint 148 % Sur toute la période 1960-2009, la parité est revenue de 300 yens à moins de 90 pour un dollar. Contre les apparences, l’évolution à long terme du taux de change du yen montre que la monnaie japonaise n’a pas été une monnaie structurellement faible. C’est l’un des traits de distinction entre le Japon d’hier et la Chine d’aujourd’hui

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300,000 250,000 200,000 150,000 100,000 50,000 0,000

226,741 Taux de change nominal - indice 2005 = 100 94,060 87,780

Source : FMI, Statistiques financières internationales, février 2011

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  Au début des années 1990, l’économie japonaise bénéficiait d’une position forte en Asie (60 % du PIB de l’Asie orientale). Cette situation lui a permis de profiter pleinement de l’essor économique de la région Depuis 1993, le •

leadership

de s’éroder, à mesure que cette région (Chine en tête) engrangeaient les dividendes de leur essor économique économique et commercial du Japon sur l’Asie n’a cessé En 2010, le Japon a cédé sa place de deuxième puissance mondiale, selon le critère de la valeur nominale du PIB, à la Chine (5 474,2 contre 5 878,6 milliards de dollars • • • pour la Chine) Si, le Japon a l’avantage de se retrouver dans une aire de croissance soutenue, la nouvelle situation ravive les rivalités entre les deux pays en menaçant ce qui reste de la suprématie régionale du Japon, c’est-à-dire son avance technologique Le pays a récemment fait évoluer sa politique commerciale en s’associant à plusieurs pays d’Asie et d’Amérique latine. C’est un signal que le Japon envoie à la Chine et aux États-Unis, pour signifier qu’il n’entend pas renoncer à ses intérêts sur les deux continents

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