L’expérience de la 2 génération au Québec : les jeunes d’origine haïtienne

Download Report

Transcript L’expérience de la 2 génération au Québec : les jeunes d’origine haïtienne

L’expérience de la 2e génération
au Québec : les jeunes d’origine
haïtienne
Conférence dans le cadre de la série Brown Bag
Métropolis
Ottawa, le 13 novembre 2008
Maryse Potvin, Ph.D. sociologie,
Professeure, Faculté d’éducation, Université du Québec à Montréal (UQAM)
Directrice du pôle « discriminations et insertion » du Centre d’études ethniques
des universités montréalaises (CEETUM)
Chercheure au Centre Métropolis du Québec
Plan de présentation
• Jeunes 2e génération : un vieux débat mais des
données récentes au Canada
• L’exemple des jeunes d’origine haïtienne au
Québec :
–
–
–
–
Une expérience sociale spécifique ?
Différents des autres jeunes Québécois ?
Première et seconde génération
L’action de différents pôles identitaires (dont :
haïtianité, québécitude, blackness).
– Rôle du racisme : tension entre les pôles
– Pistes d’actions
La 2e génération : un vieux débat
• Début XXème siècle aux USA : École de Chicago, maintien de
l’ethnicité
• Consensus relatif : enfants nés dans la « pays d’accueil » de
parents immigrants (Gans, 1992; Portes, 1996; Waters, 1996;
Perlmann et Waldinger, 1997; Zhou, 1997; Portes et Rumbaut,
2000).
• Certains incluent dans la «2e génération» les enfants d’immigrants
arrivés en bas âge (moins de 5, 7 ou 10 ans) (Portes, Zhou,Jensen).
• Rumbaut et Ima suggèrent le concept de «génération 1.5» pour
désigner les jeunes nés à l’étranger mais socialisés et éduqués
principalement aux E-U.
• Ce concept : présomption d‘une expérience sociale spécifique et
comparaison avec d’autres groupes (dont la 1ère génération).
La 2e génération : données
récentes au Canada
• Pour Statistiques Canada, la deuxième génération = née au Canada
(question sur pays de naissance des parents réintroduite en 2001)
• Les “jeunes issus de l’immigration”= nés au Canada ou immigrants.
jusqu’où remonter ? (Boyd)
• Ne tient pas compte de l’âge des parents au moment de leur
migration. Peuvent être de 2e génération, selon la définition adoptée
• L’Enquête canadienne sur la diversité ethnique (CIC) = a montré les
spécificités de l’expérience de la 2e génération de plusieurs
“minorités visibles”, mais aussi son hétérogénéïté (variabilité selon
les origines, le sexe, etc. : Boyd, 2008).
• Plusieurs indicateurs: chômage, salaires moindres, réussite scolaire
et scolarité élevées, multilinguisme, perceptions similaires sur
discriminations et sentiment de victimisation élevé (« droits
acquis »), etc. (Reitz et Banerjee, 2007).
La 2e génération : données
récentes au Canada
• Les jeunes de 2e génération issue des minorités visibles
s’estiment davantage victimes de discriminations, parce
qu’en tant que natifs du Canada, ils s’attendent à ce que
leurs droits de citoyens et l’égalité sociale soit respectés.
• Les études, dans le dernier numéro de la Revue
Diversité Canadienne, montrent toutes que le moment
crucial de prise de conscience : transition vers
l’emploi/entrée sur le marché du travail.
• Au Québec, études des années 1980 et 90 ne
distinguaient pas 1ère-2ème générations.
Intérêts et intuitions de
recherche
• Années 1980 et 1990, ces jeunes des minorités « visibles »:
– Population d’origine haïtienne: autour de 150 000. La moitié =
née au Québec
– Indicateurs négatifs: monoparentalité forte, pauvreté, crise
d’autorité parentale, taux de chômage (données par quartier +
stat Can et Consortium de McGill).
– Jeunes au centre de débats publics et de discours alarmistes sur
l’intégration, l’échec scolaire, la violence urbaine, dans les
médias, les milieux associatifs et intellectuels et les officines
gouvernementales.
– Phénomènes identitaires : Blackness, Malcolm X, Islam, rap, etc.
Ces jeunes, au centre des débats
• Dépeints comme problèmes et/ou victimes, sous
l’angle de la « pathologie sociale » et d’un conflit
culturel propre à la deuxième génération.
– Catégorie «problème», aliénée, anomique, prise entre
deux systèmes culturels présumés inconciliables ou
antagonistes.
– Associés à : gangs de rues criminalisés, pauvreté,
demandes d’accommodements raisonnables
– Le concept leur semble « réservé »
Ces jeunes, au centre des débats
– Image de crise : associée aux jeunes minoritaires les
plus insérés dans la culture majoritaire et dans le
champ des rapports sociaux de la société«d’accueil».
– Insertion culturelle forte vs insertion sociale affaiblie
(néoracisme /discriminations)
– Il leur est demandé d’incarner, plus que les autres
citoyens, les réussites du « modèle d’intégration » (et
du « Nous inclusif ») et d’attester par là du bon
fonctionnement des décisions politiques prises à leur
égard, de la « cohésion sociale » et de l’ordre
dominant.
Ces jeunes, au centre des débats
• Leurs dits « problèmes » nous renseignent plus sur les sociétés
d’accueil elles-mêmes, et ses rapports majoritaires-minoritaires.
– Ex. Quartiers défavorisés de Montréal-Nord et St-Michel,
souvent comparés à des ghettos et aux banlieues françaises.
Refus au Québec de parler de ghettos mais de facto, une partie
de ces jeunes constitue un « nouvelle classe urbaine
marginale ».
• Ils mettent en cause le « modèle d’intégration » et d’égalité de la
société dite d’accueil ; « […] l’on découvre les « deuxièmes
générations » quand les enfants semblent moins bien traités que
leurs aînés ou quand ils n’acceptent plus d’être aussi mal traités »
(préface de Dubet, 2007 : 7)
Ces jeunes, au centre des débats
• Ils connaissent une assimilation segmentée (Zhou,
1997), même si certains réussissent scolairement et
professionnellement (ex. Gouverneure générale),
quittent les quartiers ethniques et échappent ainsi au
statut de « deuxième génération ».
« Pour l’essentiel, le thème de la seconde génération
apparaît quand s’interrompt le processus migratoire,
quand les enfants et les petits enfants des premiers
venus ne sont plus des immigrés et ne sont pas devenus
non plus, malgré le temps, des Français ou des
Québécois comme les autres » (Dubet, Ibid).
Notre recherche sur les jeunes
d’origine haïtienne
•
Série d’interventions sociologiques (années 1990-début 2000)
– Processus de réflexion collective sur plusieurs semaines avec chaque groupes
(5 groupes de 10 personnes: 50)
– Reproduction de relations sociales «en laboratoire »
– Autres informateurs clés (entrevues individuelles: 40)
– Participation à des événements et émissions de radio
•
Séances avec des jeunes de 2e génération d’origine haïtienne, de milieux
défavorisés et aisés (diversité : sexe, âge, quartiers, situation
professionnelle…)
•
Première et 2e générations: similitudes et différences, réciprocité des
regards et attentes mutuelles
Potvin, 1997, 1999, 2000, 2001, 2002, 2007a,b, 2008
Jeunes d’origine haïtienne
Objectifs
• Comprendre comment les processus sociologiques de production des
inégalités, des discriminations et des frontières, à l’œuvre dans le quotidien
de ces jeunes, agissent sur la construction de leur identité et, plus
largement, de leur « expérience sociale ».
•
Mettre au jour le caractère pluriel et variable des processus et modalités de
participation et d’appartenance, mais aussi les stratégies de résistance,
d’opposition et de négociation de la seconde génération, tout en replaçant
ces processus dans les rapports sociaux de leur société.
•
En quoi ces jeunes se distinguent des autres jeunes natifs du groupe
«majoritaire» et de la première génération qui a immigré ?
•
Une expérience sociale spécifique aux 2e générations ou une expérience
propre aux groupes racialisés, ethnicisés, défavorisés ?
Jeunes d’origine haïtienne
Différences et similitudes avec les autres jeunes Québécois ?
•
Processus d’insertion socio-culturelle qui, par la consommation de
masse, l’école, les médias et la culture des pairs, les rendent
indifférenciables culturellement des autres jeunes, ce qui n’exclut pas,
mais ne signifie pas non plus, une intégration parallèle dans une culture
et des réseaux « ethniques ».
Cheminement et réussite scolaires (McAndrew et al., 2005)
•
Plusieurs variables considérées : fortes distinctions selon langue maternelle, naissance au
Québec, EHDAA, milieu social…
•
Très fortement issus de milieux défavorisés correspondant à des déciles supérieurs de l’indice
socio-économique, ils sont, à plus de 60 %, nés à l’extérieur du pays et connaissent un profil
de scolarisation plutôt éclaté.
•
Plus de 40 % d’entre eux n’intègrent le système scolaire québécois qu’au secondaire.
Jeunes d’origine haïtienne
•
Au secteur français, près du quart intègre le secondaire avec 2 ans de
retard ou plus, et continue d’en accumuler en secondaire 3. C’est le cas du
tiers des élèves arrivés à l’âge normal et de plus des deux tiers des élèves
arrivés en retard.
•
Après 5, 6 ou 7 ans d’études: taux de diplomation inférieurs à ceux de
l’ensemble de la population (écart après sept ans de 17,2 %) ou même de
l’ensemble des élèves issus de l’immigration (écart après sept ans de
5,6 %). Les taux d’accès et de diplomation collégiale sont à l’avenant.
•
Aux épreuves de secondaire 4 et 5, leurs résultats, bien que plus faibles
que ceux de la population dans son ensemble, sauf en anglais écrit langue
seconde, sont globalement positifs. Les élèves diplômés du secondaire
poursuivent leurs études collégiales.
•
La situation des créolophones et des anglophones originaires des Antilles:
plus négative que celles des autres groupes.
Francophones, originaires des Antilles ou de l’Afrique, se distinguent
positivement. Ces derniers ont, à certains indicateurs, des résultats plus
favorables que l’ensemble des élèves issus de l’immigration et, parfois, de
l’ensemble de la population scolaire.
•
Jeunes d’origine haïtienne
•
L’élève à risque: garçon créolophone ou anglophone d’origine
antillaise, né à l’étranger, arrivé en secondaire en cours de
scolarité secondaire et fréquentant une école de la région de
Montréal.
•
S’il accumule du retard supplémentaire avant le secondaire 3, ses
chances d’obtenir un diplôme secondaire passent de faibles à
extrêmement limitées, alors que le retard qu’il aurait pu accumuler
au secondaire semble moins opérant.
•
Ce qui les distinguerait : le racisme. Néo-racisme différentialiste,
exacerbé à l’égard de cette seconde génération, située à la fois
dedans et dehors. Ces jeunes, qui incarnent simultanément
« l’Autre » (l’étranger) et le « Même » (le natif), brouillent la
catégorisation Nous-Eux du groupe majoritaire.
Jeunes d’origine haïtienne
•
Première et seconde génération
– Trois vagues migratoires d’haïtiens, depuis les années 60. Des profils
et modalités d’intégration différents.
– Des rapports inter-vagues et intergénérationnels ambivalents:
reprochent à la première vague d’immigrants des années 1960-1970,
de n’avoir « rien léguée » en termes de ressources communautaires.
– La construction « communautaire » : fin du mythe du retour, invisibilité
des jeunes, engagement différent, prise de conscience de l’ancrage au
Québec, préoccupations qui changent. Jeunes = au centre de ces
préoccupations – alarmisme.
– Réciprocité des regards et attentes mutuelles
– L’historicité « québécoise » et distinctions générationnelles : police,
actions collectives, médias, transnationalisme des repères culturels,
musique, héros Noirs, afrocentrisme….
Jeunes d’origine haïtienne
L’action de différents pôles identitaires : entre
haïtianité, québécitude et blackness
• Pour ces jeunes, il n’existe pas «d’ailleurs» (auquel ils sont souvent
renvoyés). Ils ne sont pas des immigrés.
• Ne trouvent pas « refuge » dans la communauté haïtienne à
Montréal, perçue comme un espace minoritaire créé par et pour la
«première génération», offrant des services aux nouveaux arrivants
et un tremplin politique à une élite constituée + que des outils
d’insertion à ces jeunes.
• Naviguent entre différents « pôles » identitaires, parfois difficilement
et parfois non, afin de trouver des ressources positives pour donner
sens à leur expérience fragmentée par le racisme.
Jeunes d’origine haïtienne
•
Circulent principalement entre trois pôles d’appartenance, qui sont des
lieux de participation significatifs, conduisant à des actions normatives,
stratégiques ou éthiques chez les jeunes, qui vont varier selon les situations
et relations sociales :
– une communauté haïtienne minoritaire (pôle haïtien), léguée par la première
génération au Québec et constituant un faible support concret et matériel à leur
expérience (ressources, réseaux, capital social et complétude institutionnelle);
– un espace sociétal québécois (pôle québécois), qui les intègre culturellement et
les rejette socialement tout à la fois, pour un grand nombre d’entre eux ;
– une communauté Black (pôle Black), symbolique, diasporique et transcendante,
qui agit comme support d’un méta-récit universalisé, transnational et historicisé
donnant un sens à leur expérience du racisme au Québec.
Jeunes d’origine haïtienne
• Chacun de ces pôles comporte une face sombre et une face
lumineuse, des ressources positives et une dimension négative.
• Chaque pôle est traversé par une tension, qui agit sur les
représentations ambivalentes qu’ont les jeunes de leurs
appartenances et participation. En tension les uns avec les autres.
• Cet équilibre instable caractérise leur expérience, donnant aux
jeunes le sentiment de vivre une expérience bien « à eux » : celle de
jeunes Black de deuxième génération haïtienne.
• La spécificité de cette expérience commune : tension entre leur forte
intégration culturelle et leur participation sociale et politique affaiblie.
Jeunes d’origine haïtienne
Le pôle haïtien
•
Espace d’affectivité : filiation, extension de la vie familiale et « complétude
institutionnelle » au Québec, mais aussi : expérience douloureuse d’immigration des
parents, images négatives dans les médias et ruptures.
•
Leur paraît peu organisée, sans ressources, peu attirante et incapable de répondre
aux besoins qu’ils croient spécifiques à leur génération. Ils ne connaissent ni ses
structures ni son évolution, et ne pensent pas continuer le travail des « anciens ».
•
L’attachement au pays d’origine des parents : faible et symbolique. Plusieurs n’y sont
jamais allés.
•
Ils peinent à s’identifier à un groupe minoritaire, extranéïsé et objet de préjugés
défavorables de la part du groupe dominant. Statut minoritaire, faiblesse de ses
structures associatives, de ses réseaux, de son pouvoir politique et économique.
•
Ils désirent déborder de la communauté tout en s’attendant à ce qu’elle « fasse
quelque chose» pour les doter des ressources qu’ils ne trouvent pas ailleurs.
Jeunes d’origine haïtienne
Le « pôle » québécois : fragmenté et mis en opposition avec les deux autres
•
Lieu de références culturelles (école, télé, travail, quartier, amitiés, musique), mais
leur sentiment d’être rejetés sur la base de «différences» est aussi alimenté par
–
–
–
–
–
–
les images des médias,
la discrimination en emploi,
le traitement différentiel et « injuste » de la police,
leurs expériences douloureuses à l’école ou dans leur quartier,
l’effritement progressif de leurs amitiés avec des Québécois francophones,
leur perception d’un nationalisme « marginalisant » et leur difficulté à développer des actions
communes et à affirmer leur citoyenneté.
•
Perçus comme des « Haïtiens »: blocage de leur mobilité et restent fixés en bas de la
société sans être pour autant des immigrés.
•
En dépit d’un accès à la scolarité et à la formation, ces jeunes ne parviennent pas à
surmonter la cristallisation des handicaps sociaux associés aux catégories populaires
ou défavorisées et attribuées, souvent indûment, à « l’immigrant du Tiers-Monde ».
Jeunes d’origine haïtienne
Le « pôle » québécois (suite)
•
En dépit aussi d’une politique d’immigration sélective, les rapports inégaux
entre le Nord et le Sud continuent d’alimenter un certain « imaginaire »
collectif infériorisant qui affecte ces descendants d’immigrants, même parmi
les plus scolarisés.
•
Ils estiment que le marché du travail fonctionne sur des préjugés, dévalorise
leurs « différences » (qu’ils voient comme des atouts), les exploite et les
exclut parce qu’ils appartiennent à un groupe minoritaire qui n’a pas le
poids du nombre pour établir un rapport de force ou se construire un
marché « parallèle ».
•
Le fait que certains d’entre eux « s’en sortent » accentue la frustration et le
sentiment d’exclusion des autres (trahison, abandon…).
•
Leurs problèmes seraient mal traduits par le discours dominant et ne
correspondraient pas à la division « classique » souverainistes/ fédéralistes
Jeunes d’origine haïtienne
•
Sont conscients des rôles sociaux qu’ils ont intériorisés, des valeurs
civiques de la société québécoise, mais refusent simultanément d’adopter
une logique strictement normative (hypocrisie du « Merit System »).
•
De même, ils adhèrent à la défense de leurs intérêts sur des marchés,
(scolaires et du travail), mais demeurent critiques à l’égard d’une logique
purement instrumentale et marchande, perçue comme un piège néolibéral
de responsabilisation individuelle des « échecs » (doivent se solidariser
pour contrer l’exclusion dont ils se sentent victimes).
•
La tension entre ces logiques indique un espace de subjectivité. Permet aux
sujets de prendre leur distance et d’être critique à l’égard des rôles et des
stratégies, à partir d’une conception éthique de leur propre vie.
•
Cette logique de subjectivation est alimentée par l’expérience du racisme :
en se sentant différenciés et infériorisés, ces jeunes vivent une tension plus
forte entre les normes sociales (l’égalité, le mérite, la compétence, l’utilité,
etc., qui participeraient à une sorte « d’hypocrisie » sociale) et leurs
stratégies pour défendre leurs intérêts, mettant en conflit leurs différents
pôles identitaires.
Jeunes d’origine haïtienne
Le pôle Black
•
Ne donne pas de ressources matérielles ou pratiques mais joue le rôle
d’intermédiaire symbolique entre leur québécitude et leur haïtianité.
•
Agit à la fois comme réponse culturelle aux problèmes d’insertion sociale et comme
politisation de l’identité qui les démarque de la 1ère génération et des autres jeunes.
•
Pour ces jeunes, l’identité Black, syncrétique, exprime beaucoup plus leur sentiment
de partager une «expérience» et un destin communs permettant d’articuler une
identité, une opposition et une historicité.
•
Le pôle Noir donne une continuité, un sens et un ancrage historique en Amérique du
Nord, à la fois plus large, plus intégré à leur expérience et plus « moderne » que les
quelques bribes d’histoire d’Haïti qu’ils possèdent. Il permet une appartenance
symbolique à diverses cultures, histoires, héros, courants de pensées, modes et
mouvements de lutte.
Jeunes d’origine haïtienne
Le pôle Black
• Fournit : images de « réussite » et de résistance, ancrage
historique, fragments de mémoire, sentiment d’une expérience
commune et foi (par l’Islam, pour certains jeunes convertis). Par sa
dimension symbolique, l’identité Black « leur appartient » : adaptée
à leur vie «moderne » et urbaine, dote de capacités créatrices et
critiques (ex. musique).
• Elle agit comme support d’une action libératrice et solidaire, qui
permet une construction des appartenances plutôt qu’une
soumission à des appartenances.
• Transclassiste et transnationale, unifie les expériences des Noirs à
travers le monde, médiatise les identités noires.
• Permet de se poser contre la domination : retrouver ses racines,
s’autodéfinir, se «libérer le cerveau» des chaînes posées par le
rapport aux « Blancs », etc.
Jeunes d’origine haïtienne
Le pôle Black
•
Le racisme devient une «catégorie cognitive » qui recompose l’identité
autour de la « diaspora noire » et d’une mémoire «mondialisée »
(mouvements noirs et cultures Black), leur permettant de faire l’analogie
entre leur situation et celles des populations noires dans le monde.
•
Les figures des luttes américaines, comme Malcolm X ou Luther King,
permettent, par leur plasticité postmoderne, de concilier le procès
d’individuation avec l’appartenance à une entité collective.
•
Par ses ressources culturelles, les jeunes estiment appartenir à cette
«communauté de sentiments » aux référents historiques non nationaux.
•
Mais le pôle Black n’est pas non plus sans ambiguïté : la couleur de la peau
les restreint dans leur liberté comme sujet et cette Blackness ne leur donne
pas de ressources pratiques d’insertion sociale, capables de répondre aux
besoins quotidiens.
Conclusion
• Variations de l’expérience selon origines ethniques, sexe, classe.
• Sentiment toutefois de vivre une expérience semblable & spécifique:
pour eux, les jeunes noirs de 2e génération ont « les mêmes
problèmes » d’injustice mais n’arrivent pas à se positionner comme
acteur au sein d’un rapport de force.
• Ils doivent concilier plusieurs pôles d’appartenances identitaires
pour se faire une place au sein de leur société
• Ils se disent impuissants pour se rassembler, se construire des
réseaux, revendiquer collectivement la reconnaissance de leurs
droits (et de leurs problèmes) et faire contrepoids aux situations
discriminatoires.
Conclusion
L’identité circule difficilement entre ces pôles.
•
Elle se conçoit à travers un rapport de domination, dérive parfois vers une obsession
de l’authenticité, une essentialisation de la couleur et un rejet du « Blanc » pour
s’assumer individuellement et collectivement.
•
Elle vise aussi l’intégration des jeunes Noirs à une société qui les prive d’une fonction
sociale correspondante aux attentes qu’elle suscite.
•
Ces divers modes de définition de soi renvoient aux différents héritages qui les
constituent et à des modes de participation variés.
•
Selon les relations sociales et les interlocuteurs qu’ils rencontrent, l’identité ou le
«Nous » des jeunes prend un sens différent pour s’opposer, s’affirmer, se distinguer,
exister ou se comprendre : devant la première génération, ils mettent souvent de
l’avant leur «québécitude », leur individualité, leur Blackness ou leurs « racines
africaines » ; devant les flics, ils sont dominés, jeunes, Noirs et immigrés ; devant les
institutions ou les militants antiracistes, ils font valoir leur «haïtianité » ou leur
Blackness.
Conclusion
• Par opposition à l’exclusion, ils se dotent de ressources culturelles
pour se construire une identité « à eux », identité qui n’appartient ni
aux « parents » immigrants, ni aux autres jeunes québécois.
• L’expérience du racisme est en elle-même une source
d’identification et d’explication de leur expérience, qui décompose
puis recompose l’identité du sujet.
• Cette «expérience » procède à la fois d’une distance critique à
l’égard de la communauté haïtienne au Québec et de l’ordre
dominant, tout comme d’une adhésion à ce qu’ils nomment la
diaspora et la Blackness (la Négritude de Césaire) dans laquelle ils
puisent des ressources culturelles.
Conclusion
• La seconde génération tend à négocier son rapport à la citoyenneté
et à l’ethnicité selon des modes qui s’accommodent bien mal des
schèmes réducteurs à partir desquels les discours dominants
l’appréhendent.
• Les marqueurs ethniques mobilisés par ces jeunes, déployés en
partie en réaction à l’exclusion symbolique et matérielle, sont aussi
producteurs de modèles identitaires alternatifs fondés sur la
résistance, le métissage, le cumul des appartenances et l’alternance
des codes.
• Cette expérience spécifique de la 2e génération est surtout
révélatrice des problèmes de la société québécoise, des débats qui
la traversent et des rapports sociaux qui lui donnent sens.
Pistes d’action
•
Parler de ces problèmes en toute transparence dans les discours normatifs (prise en compte
sérieuse au niveau politique)
•
En éducation : Prioriser un soutien scolaire maximal aux cours des deux premières années du
secondaire au secteur Jeunes et, pour les années subséquentes, à l’éducation des adultes (de
plus en plus nombreux : Potvin, en cours)
•
Prioriser, en milieu scolaire, des interventions spécifiques à l’égard des jeunes noirs de milieux
défavorisés
•
Examiner de près les outils et processus de classements des élèves arrivés du Tiers-Monde
(incohérence systémique actuelle = effets sur les trajectoires des jeunes).
•
Introduire une perspective antiraciste plus importante dans l’éducation à la citoyenneté au secteur
scolaire francophone, avant d’en arriver à conclure aux bienfaits des écoles Afrocentristes…
•
Investir dans les modèles positifs, le mentorat en emploi, les jeunes médiateurs
•
Introduire des monitoring et indicateurs de cheminement et de réussite scolaires, et une plus
grande imputabilité des milieux scolaires quant aux classements et aux soutiens des élèves
(notamment ceux en grand retard scolaire).