Transcript L`esclavage a l*île Bourbon
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Ensemble documentaire pour la classe . Étude
transdisciplinaire menée par binômes.
Pascale MALLET
PLP Lettres Histoire
L.P. J. Raimu NÎMES
Ce travail a été réalisé à l’occasion de mon passage à
la Réunion
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L’île Bourbon
La colonisation réelle de l'île Bourbon (La Réunion) fut le résultat de la politique du ministre
Colbert. Pour ce dernier, l'île Bourbon devait servir d'escale, c'est-à-dire être une étape vers la
conquête de l'île de Madagascar. Pour concurrencer les autres pays européens, Louis XIV et
Colbert créèrent la Compagnie des Indes orientales en 1664. Afin d'attirer des capitaux, ils lui
accordèrent un monopole commercial dans l'océan Indien pendant 50 ans et lui donnèrent la
souveraineté de Madagascar, ainsi que des îles voisines et des futurs territoires à conquérir. La
Compagnie des Indes orientales avait pour mission d'assurer la mise en valeur de l'île Bourbon
et de son développement grâce aux plantations de café . Les voyages étant longs (de quatre à
six mois, souvent davantage), la Compagnie des Indes installa des comptoirs commerciaux
dans l'océan Indien, notamment en Afrique et à Madagascar (Fort-Dauphin), puis dans
l'archipel des Mascareignes (île Bourbon) et en Inde. L'île Bourbon reçut ses premiers colons en
1665 et c'est à partir de cette date qu'on atteste la présence des femmes sur l'île. Cette colonie
naissante était composée d'une vingtaine de personnes dirigées par Étienne Regnault de la
Compagnie des Indes, le premier «commandant» officiel de Bourbon. En 1667, plus de 200
Français débarquèrent sur l'île et, en 1671, un nouveau contingent de 13 nouveaux colons arriva
de Madagascar; ils étaient accompagnés de quelques Esclaves noirs et cinq d'entre eux avaient
une épouse malgache. La pénurie des femmes d'origine française fut signalée dès 1674.
Quelques années plus tard, on réussit à faire venir quelques filles françaises «recrutées» à
l'Hôpital général de la Salpêtrière (Paris) et jugées «aptes pour les îles». En novembre 1678,
quatorze jeunes filles en provenance de l'Inde s'installèrent dans l'île et se firent immédiatement
épouser; elles furent à l'origine de 109 naissances réunionnaises. En 1690, la population de
Bourbon comptait encore 200 habitants, surtout des Français, mais aussi des Italiens, des
Espagnols, des Portugais, des Allemands, des Anglais, des Hollandais, des Indiens et des
Malgaches (esclaves). À la toute fin du XVIIIe siècle, l'île Bourbon comptait 297 femmes sur un
total de 734 habitants. Dès le début de la colonisation de l'île Bourbon, il a existé une pratique
de l'esclavage, alors que cette pratique était interdite par un Édit royal de 1664. Afin de
contourner cet Edit, le terme esclave ne fut pas employé, on parlait plutôt de «serviteur», de
«domestique» ou de «Noir».
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À l'île Bourbon, aucun texte officiel ne semble avoir étendu l'application du Code noir.
Néanmoins, les gouverneurs s'en inspirèrent très rapidement et adoptèrent des décrets calqués
sur le modèle antillais, car les Français importèrent des Noirs dès la fin du XVIIe siècle. En
1696, l'île comptait 269 habitants, dont 200 Blancs et 69 Noirs. En 1700, on dénombrait 750
habitants mais 320 Noirs. En 1704, la population de l'île avait triplé: on y recensait 734
habitants dont 423 Français (hommes et femmes), 311 esclaves et quatre Noirs affranchis
appelés «domestiques». Les historiens ont noté une légère progression en 1708 avec 894
habitants (507 Blancs et 387 Noirs), puis, en 1711, Bourbon avait franchi le cap des 1000
habitants avec 557 Blancs et 467 Noirs. Les Noirs demeurèrent moins nombreux que les Blancs
jusqu'en 1713 alors qu'on dénombrait 1171 habitants (633 Blancs et 538 Noirs). En 1723, le
célèbre Code noir de 1685 fut adapté à l'usage des Mascareignes et les lettres patentes de Louis
XV, sous forme d'édit, furent enregistrées dans la ville de Saint-Paul, le 18 septembre 1724, par
le Conseil supérieur de Bourbon. Ce nouveau Code Noir adapté à la situation de l'île Bourbon
favorisa, dès 1725, l'arrivée de milliers d'esclaves qui venaient en majorité de l'île de
Madagascar et de l'Afrique orientale pour y cultiver le café et les plantes à épices. Cette maind'œuvre abondante paraissait nécessaire pour permettre à la Compagnie des Indes orientales
de poursuivre l'expansion économique de Bourbon. Mais les esclaves n'attendirent pas
l'abolition de l'esclavage en 1848 pour tenter d'échapper à leur asservissement et retrouver leur
liberté. Ce phénomène désigné, rappelons-le, sous le nom de marronnage, tant aux Antilles
que dans l'océan Indien, reste inséparable de l'histoire de l'esclavage à Bourbon, où il prit une
ampleur particulière au milieu du XVIIIème siècle. En 1732, la population de l'île atteignait
plus de 8000 habitants, dont 6000 esclaves noirs. Les esclaves de Bourbon étaient recrutés en
Afrique de l'Est, à partir des comptoirs arabes ou portugais du Mozambique et de Madagascar.
Le bond le plus spectaculaire se produisit entre 1735 et 1765, car les esclaves étaient passés de
6000 à 21 000 pour une population de 25 000 habitants, les Noirs étant définitivement
majoritaires.
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De 1713 à 1732, la population réunionnaise passa de 1171 habitants à 8000 (dont 6000 Noirs).
En 1715, des commerçants de Saint-Malo (France) introduisirent à Bourbon des plants de café
d'Arabie, ce qui assura une grande prospérité et attira de nouveaux immigrants. Puis la
Compagnie des Indes orientales fit abandonner la culture du café et introduisit celle du coton,
du tabac et de l'indigo. Cependant, l'un des gouverneurs de l'époque, Mahé de La
Bourdonnais, favorisa plutôt l'île de France (aujourd'hui l'île Maurice) parce que, d'une part,
l'île Bourbon paraissait trop montagneuse pour les grandes cultures, d'autre part, les désordres
sociaux étaient fréquents chez les insulaires de Bourbon. Les nouvelles cultures de l'île
Bourbon ne connurent pas le succès escompté, sauf celles du girofle , de la muscade et de
vanille . En 1764, la Compagnie des Indes orientales fit faillite. Le roi de France racheta l'île
Bourbon. Comme l'île avait besoin de main-d'œuvre pour la culture du café, des épices et, plus
tard, de la canne à sucre , les colons eurent recours à l'esclavage pour développer l'économie de
Bourbon. Les premiers esclaves malgaches débarquèrent dès 1671. On sait que, le 28 août 1670,
à la demande du ministre Colbert, le Conseil d'État du royaume officialisait la pratique de
l'esclavage en France. Aux Antilles, l'esclavage avait vite assuré la prospérité économique des
colons. En mars 1685, était proclamé le fameux code noir, une ordonnance de Louis XIV
destinée à réglementer et à tempérer le régime de l'esclavage, et précisant les devoirs des
maîtres et des esclaves. C'est un fait connu que ce Code noir, qui resta en vigueur dans toutes
les Antilles et en Guyane française jusqu'en 1848 (date de l'abolition définitive de l'esclavage
par la France), fut rarement respecté, les exploitants n'en ayant fait bien souvent qu'à leur tête.
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Quelques sites de la réunion doivent leur nom au marronnage, plutôt les héros de cette époque,
esclaves en fuite qui se réfugient dans des sites peu accessibles de l’île. On peut faire une étude
sur les toponymes ( Mafate chef des marrons , le cirque porte son nom , Cimendef un chef
marron héros de la réunion il aurait donné beaucoup de soucis aux chasseurs , il était à la tête
d’une bande d’insurgés d’une centaine de personnes. Il est tué par François Mussard en 1751.
On a aussi un esclave du nom de Anchaing, esclave en fuite réfugié avec sa femme et ses enfants
pendant de nombreuses années sur un piton de la Réunion (piton d’Enchain).
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CARTE DE FLACOURT 1658
Archives départementales de la Réunion, Bib. 164
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CCEE Région Réunion, De la servitude à la liberté : Bourbon des origines à 1848, Saint-André, Imp. Graphica, 1988
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CCEE Région Réunion, De la servitude à la liberté : Bourbon des origines à 1848, Saint-André, Imp. Graphica, 1988
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LA TRAITE INDIANOCEANIQUE
VERS L’ILE BOURBON
Histoire-Géographie 4e-3e.
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Programmes pour la Réunion, Hatier, 2001.
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La traite indianocéanique est peu connue,
le trafic débute sur terre en Afrique de l’est,
les captifs sont acheminés vers les côtes
de Zanzibar, Quiloa, Ibio , ( grand centre
de traite ) ou d’autres sites, Madagascar
vers la baie d’Antongil ou Tamatave
(esclaves cafres et des comoriens). Les
esclaves sont ensuite, une fois achetés
aux ethnies Yao ou Mérina (traite
musulmane), embarqués sur les bateaux
négriers vers Bourbon. Les voyages
varient selon l’époque de l’année, guidée
par les alizés.
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CCEE Région Réunion, De la servitude à la
liberté : Bourbon des origines à 1848, SaintAndré, Imp. Graphica, 1988
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Programmes pour la
Réunion, Hatier, 2001.
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Diapos 12 à 16/ De la capture à la vente.
Les esclaves proviennent des razzias menées à l’intérieur du pays, par des roitelets locaux, qui traitent avec les européens
ou avec des auxiliaires locaux (les gourmettes) à la solde des européens. Ils mènent les négociations, organisent les convois.
Les razzias sont possibles grâce à la supériorité de l’armement de quelques roitelets. Les survivants de l’attaque sont
enchainés, attachés par le cou par des jougs et des fourches en bois. Il faut parcourir cent ou deux cents kilomètres pour
rejoindre la côte, les conditions de déplacements sont très dures, les pistes sont jalonnées de morts, mais la plus grande peur
des captifs c’est le soupçon d’anthropophagie qu’ils nourrissent à l’égard de l’homme blanc : « on les emmène sur la côte pour
être mangés ! ».
Pour trouver sa cargaison d’esclaves, le capitaine à deux méthodes, soit le cabotage (traite volante) - il longe les côtes et
embarque de petites quantités -, soit il se dirige sur les forts ou postes tenus par les européens et recueille les esclaves
réunis en nombre à cette intention.
Pour être vendus, les esclaves sont regroupés par lots de trois ou quatre de valeur différente. Il faut s’entendre sur le prix du
lot. Présentés nus, les esclaves sont examinés par les chirurgiens du bord (voir diapo 19), les yeux, la bouche, on les fait
sauter, courir. Des pratiques de maquignon sont utilisées pour dépister les défauts, les maladies.
L’unité de base pour évaluer la marchandise est la « pièce d’inde » c'est-à-dire l’individu adulte de sexe masculin, robuste et
sans défaut, âgé de moins de trente ans.
Les prix varient dans le temps et selon les pays, pour les vendeurs musulmans, 12 esclaves équivalent à un bon cheval ;
dans les régions africaines, ce sont les étoffes, le tabac, les alcools et les armes. La verroterie est appréciée, les cauris
(coquillages) provenant des Maldives ou d’Inde servent de monnaie d’échange (importance diminue fin XVIIIème), sur la
côte de Madagascar on exige plus de 50 pour cent des paiements en fusils.
Le capitaine est un homme essentiel, bon navigateur et bon négociateur. Autre personnage important le chirurgien : il veille
à la santé de tous et il sélectionne les esclaves ; à l’arrivée du négrier c’est lui qui tentera de les remettre en forme avant
la mise en vente. Charpentier et tonnelier ont un statut particulier, c’est le charpentier qui aménage le bateau pour le
transport et le tonnelier chargé de la conservation de l’eau (denrée vitale pour tous).
On embarque les esclaves par groupes, on les dépouille de leurs gris-gris, on les marque au fer rouge. Le moment critique
c’est lorsque le bateau quitte les côtes, les tentatives de fuite sont nombreuses (certains passent par-dessus bord), on sépare
les hommes (descendus dans la cale et mis aux fers) des femmes (conduites dans une chambre située sous le logement des
officiers). Le risque de révolte persiste pendant la première semaine. Un esclave dispose d’un espace de 1m75 de long sur
40 cm de large, l’aération est très insuffisante, beaucoup meurent asphyxiés. Au bout de quelques semaines l’état sanitaire
de la cargaison est indescriptible.
La traversée est très dure, la plupart des capitaines se comportent en « professionnels » et ne souhaitent pas abimer la
marchandise, les esclaves sont montés sur le pont, ils sont lavés, rasés, ils doivent se rincer la bouche avec du citron et du
vinaigre afin d’éviter le scorbut. On joue de la musique (diapo 15) afin de les faire bouger. Malgré ses précautions la mortalité
est importante 10 à 15 pour cent (supérieure chez l’équipage, moins important qu’un esclave).
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BOURGEON, Les passagers du vent, Casterman, 1994, t.3.
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BOURGEON, Les passagers du vent, Casterman, 1994, t.4.
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CCEE Région Réunion, De la servitude à la liberté : Bourbon des origines à 1848, Saint-André, Imp. Graphica, 1988
GAZETTE DE L’ILE
BOURBON
19 mars 1831
PETITE ANNONCE
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CCEE Région Réunion, De la servitude à la liberté : Bourbon des origines à 1848, Saint-André, Imp. Graphica, 1988
FEUILLE HEBDOMADAIRE DE BOURBON
18 juillet 1820
PETITE ANNONCE
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BOURGEON, Les passagers du vent, Casterman, 1994, t.5.
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CCEE Région Réunion, De la servitude à la liberté : Bourbon des origines à 1848, Saint-André, Imp. Graphica, 1988
EFFETS DE TRAITE
Perles de verre et tissus de coton
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Histoire-Géographie 4e-3e. Programmes pour la Réunion, Hatier, 2001 et Histoire-Géographie Lycée. Programmes pour la Réunion, Hatier, 2003
L’ILE DE FRANCE ET L’ILE BOURBON
FACE A L’ABOLITION DE 1794
Pétition de l’île Bourbon envoyée à l’Assemblée
nationale, 21 avril 1796
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Les envoyés du directoire expulses de l’île de France
(1796)
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CCEE Région Réunion, De la servitude à la liberté : Bourbon des origines à 1848, Saint-André, Imp. Graphica, 1988
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Histoire-Géographie Lycée. Programmes pour la Réunion, Hatier, 2003
Négrier poursuivi, jetant ses nègres à la mer
Lithographie aquarellée, milieu du XIXe siècle
Un capitaine de négrier écrit à son armateur en 1820
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Diapos 26 à 29
Le 26 Aout 1789, la Révolution Française énonce les principes de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme.
Dans un débat houleux,
le 04 Février 1794, la convention vote et proclame l’abolition de l’esclavage dans ses colonies. Mais le 20 Mai 1802, Napoléon
rétablira l’esclavage , en partie sous la pression du « parti créole », constitué autour de Joséphine, qui n’accepte pas
l’abolition, mais qui veut faire examiner les droits des différentes catégories (mulâtres, affranchis, créoles,) . À l’époque
on dénombre d’après les théories de Moreau de Saint-Méry 128 combinaisons possibles de métissage.
La société anglaise est assez tôt sensibilisée à la question de l’esclavage, les abolitionnistes posent rapidement le problème
de la traite, le débat parlementaire dure des années et finit par aboutir à la suppression de la traite en 1807.
L’Angleterre met en place des « croisières » opérations de contrôle menées par les vaisseaux de la Navy . L’Angleterre
devient une sorte de gendarme international.
La révolution en France de 1848 va permettre à Victor Schœlcher de promulguer son décret sur l’abolition de l’esclavage
(le 27 Avril 1848).
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PETITE USINE SUCRIERE A LA RIVIERE DE L’EST
Histoire-Géographie 4e-3e. Programmes pour la Réunion, Hatier, 2001.
Jean Baptiste Dumas est
venu aux Mascareignes
entre 1828 et 1830. Il
représente ici des esclaves
enchaînés devant la
chaudière d’une sucrerie
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Jean Baptiste Dumas est venu aux Mascareignes entre 1828 et 1830. Il représente ici une
bonne d’enfants (la « nénène »)
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Gravure de Moreau le Jeune (1772) illustrant le
« Voyage à l’île de France, à l’île Bourbon… » de
Bernardin de Saint-Pierre (1773)
« Une négresse avec deux enfants
effrayés. Elle porte au cou un collier de
fer avec trois crochets, d’où descend une
chaîne qui la prend par la jambe ; près
d’elle est un nègre dévorant le cadavre
d’un cheval ; plus loin un esclave qu’un
Européen fouette sur une échelle… sur le
devant des balles » de café ».
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Sarda Gariga, fonctionnaire habile,
est envoyé sur l'île de la Réunion
par le gouvernement français le
1848. Après une période de
conciliation et d'explication auprès
des planteurs l'abolition de
l'esclavage y est promulguée le 20
décembre 1848. Il est proposé aux
anciens esclaves de travailler
librement pour leur anciens maîtres
mais ces derniers préfèrent
s'installer ailleurs. Le besoin de
main d‘oeuvre ouvrira la phase de
l'engagement à la Réunion.
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Le Code Noir [3] comporte 60 articles. En voici
quatre :
• 2 - Tous les esclaves, qui seront dans nos îles,
seront baptisés et instruits dans la religion C. A.
et R. [4]. [...]
• 12 - Les enfants qui naîtront des mariages
entre les esclaves seront esclaves et
appartiendront aux maîtres des femmes
esclaves, et non à ceux de leurs maris, si le mari
et la femme ont des maîtres différents.
• 33 - L’esclave qui aura frappé son maître, sa
maîtresse ou le mari de sa maîtresse ou leurs
enfants avec confusion ou effusion de sang, ou
au visage, sera puni de mort.
• 38 - L’esclave fugitif qui aura été en fuite
pendant un mois, à compter du jour que son
maître l’aura dénoncé en justice, aura les oreilles
coupées et sera marqué d’une fleur de lys sur
une épaule ; et s’il récidive une autre fois à
compter pareillement du jour de la dénonciation,
aura le jarret coupé et il sera marqué d’une fleur
de lys sur l’autre épaule ; et la troisième fois il
sera puni de mort.
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SERVIABLE Mario, La Réunion des grands hommes, St-Denis, ARS Terres Créoles, 1996
Edmond est né esclave en 1829 à Ste-Suzanne, de parents esclaves :
Jamphile et Mélise. II perd sa mère à la naissance. Ferréol Beaumont-Bellier, établi
à Bellevue recueillit l'enfant qui appartenait à sa sœur II s’y attacha, le traitant plus
comme son propre fils que comme son esclave. Passionné de botanique, il
emmena le jeune esclave dans son verger et lui inculqua, par l'exemple, la passion
des plantes. M. Beaumont-Bellier désespérait de trouver la technique de
fécondation artificielle de l'orchidée vanillier tentée au Muséum d'Histoire naturelle
de Paris dans les années 1840. Un autre procédé (Jannet) était également
expérimenté sans succès dans la colonie par les botanistes Richard et Bernier. Il se
contentait de féconder manuellement les fleurs de citrouille jolifiat.
EDMOND ALBIUS
(1829-9 août 1880)
Esclave et découvreur
du procédé de fécondation de la vanille
En 1841, le jeune Edmond, tentant les mêmes opérations sur la vanille
découvrit l'ingénieux moyen de féconder les fleurs pour obtenir des pousses. Il
avait 12 ans. Cette découverte permit une exploitation commerciale de la plante sur
une grande échelle. La vanille Bourbon était née. M. Beaumont-Bellier s'empressa
de faire connaître la nouvelle à tout le pays par voie de presse. Il accueillit chez lui
d'autres colons pour suivre la démonstration du jeune Edmond. II n'hésita pas à
leur prêter son jeune prodige.
Le 20 décembre 1848, l'esclavage fut aboli. Edmond reçut son nom de
liberté : Albius qui signifie Blanc. M. Mézières Lépervanche, juge de paix de SteSuzanne, présenta une requête à Sarda Garriga, commissaire général, afin de faire
accorder à Edmond une récompense publique. Cette démarche n'eut pas de suite,
le temps ayant manqué au commissaire général rappelé en France à la même
époque.
Le jeune Edmond qui voulait voir du pays s'en trouva fort démuni pour se
rendre à St-Denis. Engagé comme domestique, «la modicité de ses gages ne lui
permettant pas de satisfaire aux goûts de confort qu'il avait contractés dans la
maison de son maître». Edmond commit un vol de bijoux avec effraction. II fut
condamné à 5 ans de réclusion et à la chaîne. De nombreuses voix vont intervenir
pour demander sa grâce en rappelant sa contribution à l'économie de l'île. Le juge
de paix Mézières Lépervanche souligne que «sa conduite aux bagnes a été
exemplaire». Une remise de peine lui est consentie. Edmond Albius retourne à sa
terre à Ste-Suzanne. II épouse Marie Pauline Rassama. une couturière qui
décédera avant lui. Il mourut le 9 août 1880 à l'hôpital communal de Ste-Suzanne
au village Desprez.
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HOMBELINE DESBASSAYNS
(née Gonneau)
3 juillet 1755-4 février 1846
Chef d’entreprise
Marie-Anne-Thérèse-Hombeline (dite Ombline), fille de Julien Gonneau-Montbrun et de Marie-Thérèse Léger-Dessablons, est
née le 3 juillet 1755. Sa mère meurt «en couches» et elle restera fille unique malgré le remariage de son père. Elle est confiée dans
un premier temps à une parente — Madame Hoareau — et elle est élevée par une nourrice noire, Madeleine, qu'elle va considérer
comme sa véritable mère. Certains vont même affirmer par la suite qu'elle est fille d'esclave. Son père se lancera comme un forcené
dans le travail et va se constituer ainsi un patrimoine considérable : 200 esclaves et plusieurs habitations. Après le remariage de son
père avec Barbe Gertrude Léger, cousine de sa première femme, Ombline regagne le domicile paternel. La riche héritière épouse le
28 mars 1770 son voisin, Henry-Paulin Panon-Desbassayns. Il a 38 ans et elle en a 15. Les époux s'unissent pour le meilleur car, en
1789, Ombline et Henry-Paulin sont à la tête de la plus riche propriété de l'île. Le couple aura neuf enfants qui auront tous un sort
enviable : Julien dit Desbassayns l'aîné devint Inspecteur des Finances et se fixa en 1815 dans sa propriété du Bréau dans l'Yonne ;
Henri dit Montbrun fut contrôleur général des Finances dans le Doubs. Philippe dit Richemont épousa Eglée Fulcrande Mourgue et
fut l'homme de confiance de Bonaparte dans ses tractations secrètes avec Pitt et l'Angleterre ; commissaire ordonnateur de la
marine, il régla le problème constitutionnel de Bourbon à la Restauration. Charles et Joseph seront les pionniers de la révolution
industrielle sucrière de Bourbon le premier sera d'ailleurs président du Conseil Général.
Et les quatre filles ? Marie épousa Jean-Baptiste Pajot, membre de l'Assemblée Coloniale, Mélanie épousa joseph de Villèle,
chef du gouvernement de la France, Gertrude épousa Jean-Baptiste de Villèle et Sophie épousa Auguste Pajot. Henri-Paulin meurt
le 9 octobre 1800. La vraie vie de Madame Desbassayns commence alors. Elle prend deux décisions : elle ne se remariera pas et
elle ne laissera le soin à personne de gérer la propriété Desbassayns. Elle va racheter les parts de ses enfants qu'elle va rajouter en
1801 à la succession de son père. Une femme se trouvait à la tête d'une des plus grosses entreprises agricoles de France. Et avec
la nomination de son gendre de Villèle comme chef du gouvernement, le clan Desbassayns-de Villèle se retrouvait à la tête de l'Etat.
La veuve riche et puissante a accueilli tous les visiteurs de passage dans l'île ; elle leur offrait le gîte et le couvert. A ceux de
belle naissance qui voulaient s'établir, elle a offert l'embauche sur ses terres et la main d'une de ses filles.
Sa fortune s'est constituée dans un contexte économique et politique difficile : blocus de l'île, cyclones, sécheresses,
effondrement de la base caféière, révolution et conquête anglaise. Et son mérite est d'autant plus grand qu'elle a exercé des
responsabilités de chef d'entreprise à un moment où la pression sociale et le code civil de Napoléon renforçaient l'incapacité civile
des femmes. Sa réussite a reposé sur le système esclavagiste, est-ce pour cela qu'elle a été «démonisée» ? Elle qui croyait plus en
l'avenir vivrier de l'île accepta pour le bien commun de subventionner les recherches sucrières de Wetzell.
Elle meurt le 4 février 1846 à 18 heures. Deux ans plus tôt, le Pape Grégoire XVI lui adressa une lettre apostolique pour la
remercier de son soutien aux missionnaires de Bourbon. Deux ans plus tard, le 20 décembre 1848, les esclaves étaient libérés ; une
page de l'histoire de l'île était définitivement tournée. Enterrée dans un premier temps au cimetière de St-Paul, ses restes furent
transférés en 1866 à la chapelle Pointue, à St-Gilles-les-Hauts, où elle repose désormais. Cette chapelle fut détruite lors du cyclone
de 1932 puis reconstruite. Sa pierre tombale fissurée accueille aujourd'hui les visiteurs devant l'autel.
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SERVIABLE Mario, La Réunion des grands hommes, St-Denis, ARS Terres Créoles, 1996
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CHRONOLOGIE DE LA TRAITE DES NOIRS VERS
L’ILE BOURBON
1649 : Le commandant de Fort-Dauphin (Madagascar), Etienne de Flacourt prend possession de l’île au nom du
roi de France et la nomme Ile Bourbon.
1654 : L’Ile Bourbon appartient à la Compagnie des Indes Orientales. L’article XII des statuts de la Compagnie
interdit la traite vers Bourbon.
1699-1701 : Le Gouverneur de la Cour de Saulaie se fait verser 10% du prix des esclaves importés par les
pirates.
1702 : Le Gouverneur de Villiers autorise 3 navires britanniques à vendre 16 esclaves à St-Paul, chef-lieu de l’île.
1715 : Introduction de la culture du café à Bourbon ; le besoin de main d’œuvre servile se fait sentir. La traite
devient alors monopole de la Compagnie des Indes qui fait des profits considérables (300 à 400% de bénéfice par
esclave)
1724 : Le Code noir à l’usage des Mascareignes est enregistré à Saint-Paul
1725 : L’île se dote de navires spécialisés pour la traite régionale (les « vaisseaux de côte »).
1735 à 1746 : Le Gouverneur Mahé de Labourdonnais développe considérablement la traite.
1767 : L’île Bourbon est rendue par la Compagnie des Indes au Roi de France.
1794 : L’Assemblée Coloniale suspend la Traite vers l’île Bourbon rebaptisée Ile de La Réunion mais
l’interdiction n’est pas respectée.
1802 : L’Empereur Napoléon Bonaparte autorise à nouveau la traite telle qu’elle existait avant la
Révolution de 1789. L’Ile est rebaptisée Bonaparte.
1807 : Le Royaume-Uni interdit la Traite.
1810-1815 : L’île est occupée par les Anglais qui la rebaptisent Ile Bourbon.
1817 : La France interdit la traite. L’ordonnance du 8 janvier est enregistrée le 27 juillet à l’Ile Bourbon.
1832 : Dernière condamnation à Bourbon pour fait de Traite
1848: L’île est rebaptisée la Réunion. Le 20 Décembre on annonce l’abolition de l’esclavage à la Réunion .
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Un témoignage de la déportation
« On me jeta bientôt dans l'entrepont, raconte Equiano, et là mes narines furent saluées comme jamais auparavant dans ma vie :
la puanteur était si épouvantable, et il y avait tant de cris, que la nausée et l'abattement m'empêchèrent de manger quoi que ce
fût (...). / A cause du manque d'aération et de la chaleur ambiante qui venaient s'ajouter au surpeuplement du bateau et à
l'entassement des passagers, lesquels pouvaient à peine se retourner, nous faillîmes étouffer. On se mit à transpirer
abondamment, ce qui ne tarda pas à rendre l'air irrespirable (...) et répandit parmi les esclaves une maladie dont beaucoup
moururent. (...) Cette affligeante situation se trouva encore aggravée par les excoriations dues aux chaînes dont le port nous était
devenu insupportable, et par la saleté immonde des baquets de nécessité dans lesquels chutaient souvent les enfants. / (...) Les
hurlements des femmes et les gémissements des mourants faisaient de tout cela un spectacle d'horreur à peine concevable.»
Ce témoignage est cité dans un livre de Peter Hogg, intitulé Slavery : The Afro-American Experience, The British Library, 1979,
p.22.
L'auteur de ce témoignage est Olaudah Equiano, un Africain qui a été déporté par des négriers espagnols en 1756. Il est né en
1745 dans une des régions du royaume du Bénin (Nigeria actuel). Donc il était âgé de onze ans lorsqu'il fut capturé par des
membres d'une tribu rivale et qu'il fut vendu comme esclave.
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DANIEL VAXELAIRE, Chasseurs de noirs, Flammarion, 2000, pp. 68-73
EXTRAIT 1
La plupart des familles de Saint-Paul ne possédaient, à cette époque, que deux ou trois Noirs ; seuls quelques privilégiés en
comptaient plus de dix. Le maître se comportait souvent comme le père de cette petite communauté et celui qui aurait fouetté un
Noir sans raison se serait attiré l'opprobre de tout le pays.
Hélas ! Cette ère de paix n'était pas pour durer.
Je le constatai pour la première fois en 1724, l'année de mes neuf ans, le jour où Père acheta un quatrième esclave, Ovide.
Un bateau avait été signalé deux semaines plus tôt. Tout le quartier avait vite reconnu, à sa silhouette, un transport de Noirs. C'était
un trois-mâts de la Compagnie des Indes, lourd et bas sur l'eau. Il avait fait, quelques mois plus tôt, une campagne infructueuse à
Madagascar. Cette fois, il revenait de la côte orientale d'Afrique.
Au gré des escales, le vaisseau avait entassé dans ses soutes des bois précieux, du café, du grain, qui n'avaient guère laissé de
place à la centaine d'esclaves achetés au Mozambique. Ils avaient le plus souvent voyagé sur le pont, ne descendant dans les
coursives qu'aux mauvais jours. Cette exposition au grand air et la brièveté du voyage due à des vents favorables avaient limité les
pertes à quatorze individus — des femmes pour la plupart — dont les cadavres avaient alimenté les requins de l'océan Indien.
La population entière assista au débarquement de la cargaison humaine. Les adultes jaugeaient l'état des nouveaux arrivants, tandis
que nous, enfants, nous amusions des faciès curieux et des cicatrices rituelles, riant aux éclats quand un des Noirs, abasourdi, à la
descente de la chaloupe, chutait dans le ressac. Quelques habitants, plus hardis que les autres, s'approchèrent des premiers
groupes serrés sur la plage, commencèrent à tâter les musculatures, à examiner les dents...
— Patientez donc ! rugit le subrécargue du navire. La vente aura lieu après la fin de la quarantaine. Et écartez-vous de ceux-là.
Voulez-vous attraper quelque fièvre d'Afrique ?
L'avertissement porta. Les curieux reculèrent prudemment et laissèrent la file des esclaves se diriger vers le camp de quarantaine, à
l'extérieur du village.
Au cours des jours suivants, les commentaires allèrent bon train. C'était le premier bateau négrier depuis plusieurs mois et, pour une
fois, celui-ci n'avait pas relâché d'abord à l'île de France, où le meilleur des lots était régulièrement pillé par les colons de là-bas,
qu'on s'imaginait plus riches, donc fats.
Les colons de Bourbon éprouvaient une impatience légitime à la perspective de cette vente de premier choix. Certains, engraissés
par le commerce avec des navires de passage, ou par les faveurs du gouvernement, faisaient déjà sonner leurs piastres. D'autres,
propriétaires plus modestes, savaient qu'ils auraient bien du mal à se procurer la main-d'œuvre qui leur aurait permis d'étendre leurs
cultures, d'autant que des enchérisseurs accouraient chaque jour du quartier Saint-Denis, de la côte au vent, et même de la lointaine
rivière d'Abord'.
Cédant à mes prières, mon père m'emmena à l'encan. Mes frères Basile et Alexis vinrent aussi, ainsi qu'Odilon, qui possédait déjà
deux esclaves en propre et avait l'intention d'en acquérir un troisième.
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Les marchands avaient choisi pour estrade le perron d'un magasin de la Compagnie, surélevé de quelques caisses. Le
subrécargue du navire trônait sur la plus haute, tandis qu'à sa table, derrière, l'écrivain affûtait sa plume. Les Noirs étaient parqués à
l'abri des regards, derrière le magasin : il ne fallait pas que l'attente d'un beau spécimen cassât les enchères sur les individus moins
solides.
Sur la place, trop petite pour contenir la foule, les gros propriétaires s'étaient attribué les premiers rangs. Ils avaient fait apporter
des sièges pliants et s'y tenaient, vautrés à l'ombre du bâtiment. Les autres pouvaient bien attendre en plein soleil : eux, carrés dans
leur graisse et sûrs de leur fortune, parlaient haut et fort, et riaient avec une insolence affectée.
Les vendeurs d'esclaves connaissaient leur métier. On vit d'abord défiler les enfants et les femmes les plus âgées. Pour l'achat de
ceux-là, la concurrence ne serait pas bien vive et les prix guère élevés. Mais au fur et à mesure que la qualité des Noirs présentés
s'améliorerait et que leur nombre diminuerait, la fièvre ne tarderait pas à s'emparer des acheteurs, pour le plus grand bénéfice de la
Compagnie.
Père avait l'habitude de ces pratiques. Modeste possédant, il n'avait aucun intérêt à se heurter aux grosses fortunes de l'île. Il fit
l'acquisition, dès le début de la vente, d'un négrillon malingre dont personne n'avait voulu.
— Holà, Brancher ! lui cria un ami, celui-ci te coûtera plus en nourriture et en soins qu'il ne te rapportera !
Il se trompait : Ovide, deux ans plus tard, était devenu le meilleur aide de mon père.
L'affaire réglée, nous restâmes pour assister à la suite de la vente. Avec l'arrivée des femmes jeunes commença la bataille d'argent
entre les hommes du premier rang. Etait-ce, à vrai dire, une bataille ou un jeu ? S'excitant mutuellement de remarques grivoises,
ingurgitant à pleins verres le vin qu'apportaient les serviteurs, ils se levaient tour à tour, palpaient les esclaves, les examinaient
jusqu'en leurs plus secrets endroits.
Le subrécargue ne les incitait que mollement à la modération. Il savait que ces clients-là pouvaient payer bien plus que les autres ;
alors, quoi de mal s'ils tâtaient un peu la marchandise ?
Je me souviens encore de la surprise et de l’écœurement que ce spectacle fit naître en moi.
Les commentaires des enchérisseurs, prononcés d'une voix grasse, ne laissaient aucun doute sur leurs intentions futures : s'ils
flattaient les croupes fermes des Négresses, ce n'était certes pas dans le but d'évaluer leurs qualités de ménagères.
Et si quelques habitants, choqués, quittaient la place du village, la plupart avaient l'air de considérer ces pratiques comme tout à fait
normales.
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Quoi donc ? Ces hommes, dont la majorité étaient mariés, envisageaient d'user de ces Africaines ?
— Tu ne copuleras point en dehors du mariage, répétait le curé de Saint-Paul.
A neuf ans, je savais déjà depuis belle lurette que ce précepte n'était pas toujours suivi, surtout dans ce pays où le soleil échauffe
si vivement les humeurs ; mais tout de même, faire sa maîtresse d'une femme qui n'est pas consentante, qu'on a achetée comme
bétail, et noire de surcroît !
— Ils ont trop d'esclaves, maintenant, me murmura mon père. Ils en ont trop et ils ne connaissent même plus leurs noms.
Aujourd'hui encore, ils vont augmenter leur troupeau : ils en auront des vingt et des trente. Ces femmes, que tu vois là, ils vont les
consommer, puis les rejeter. Il y a dix ans encore, tu n'aurais pas assisté à cette scène. Un esclave était un homme et, même s'il
devait obéissance totale à son maître, il avait droit à une certaine forme de respect. Maintenant, pour ceux-là, les esclaves ne sont
guère plus que des portées de chiens qu'on élève ou qu'on noie, selon son bon plaisir. Que représente une fille jeune et belle de trois
cents livres, pour ce gros négociant ? Les trois cents livres, il les gagne chaque mois. Et quand il sera lassé de sa maîtresse, qu'il lui
aura donné un bâtard, futur esclave comme elle, il la jettera en pâture au plus servile de ses contremaîtres. J 'ai honte et j'ai peur...
J'ai honte d'être le compagnon de ces hommes. Dans la Bretagne de ta grand-mère, on lançait des pierres à celui qui maltraitait son
cheval ou torturait son chien. Ici, nous sommes trop lâches, nous ne disons rien. J'ai peur qu 'un jour certains de ces sauvages mis en
vente ne se souviennent de leur passé de guerre et se révoltent. Maintenant, rien qu'à Saint-Paul, il y a presque autant de Noirs que
de Blancs. Dans dix ans, ils seront plus nombreux que nous, et cette île ne sera peut-être plus le paradis qu'elle fut. Ce sera notre
faute : pourquoi, alors que Natte, Anna et Éveillé nous apportaient une aide suffisante, ai-je acheté un quatrième esclave ? Pourquoi
celui qui en a vingt en veut-il trente ? Notre avidité nous perdra tous...
Ces paroles furent prononcées il y a plus de seize ans ; pourtant elles résonnent encore dans ma mémoire. Aujourd 'hui, les gros
propriétaires n'ont plus vingt esclaves, mais deux cents ; les petits colons n'en ont toujours que deux ou trois, comme à l'époque de
mon père.
Et la crainte d'Alexandre Brancher s'est vérifiée : cette île ne sera jamais plus un paradis
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DANIEL VAXELAIRE, Chasseurs de noirs, Flammarion, 2000, pp. 100-102
EXTRAIT 2
Je pense que ce genre d'inhumanité a compté pour beaucoup dans l'aggravation des relations entre maîtres et esclaves : ne pouvant
répliquer aux mauvais traitements dont ils faisaient l'objet, les esclaves n'avaient d'autre issue que l'évasion.
Comme pour les y encourager, certains Blancs allaient même jusqu'à la provocation pure et simple, ainsi qu'on le vit dans l'histoire de
Petit-Louis. Petit-Louis était esclave de Monsieur Despeigne, à la rivière des Roches. Créole, c'est-à-dire, selon le nouveau
vocabulaire en usage sur les propriétés, issu de l'union d'une Noire et d'un Blanc, il était assez beau garçon, dit-on, et ne manquait
pas de bonnes fortunes, que ce fût dans le camp de son maître ou dans ceux des voisins. Il joua si bien son rôle de coq de village
que la fille d'un voisin vint à s'intéresser à lui. Ce genre d'événement était encore relativement fréquent à cette époque où tant de
colons métissés rappelaient les unions multiraciales de nos grands-parents.
Aujourd'hui, après les tristes événements qui ont déchiré le pays, la chose est devenue impensable, mais il y a dix ans encore, ces
écarts n'étaient pas réservés aux hommes.
Il n'était pas si rare, surtout dans les campagnes isolées, de voir une femme ou une fille de Blanc s'offrir quelques privautés avec un
bel esclave, à condition, bien sûr, que toutes les conditions fussent réunies pour que de semblables amusements ne portassent pas
leur fruit.
Catherine, chaude demoiselle qui avait déjà fait le bonheur de quelques loustics dans mon genre, et stimulée sans doute par une
envie de changement, avait donc jeté son dévolu sur le fameux Petit-Louis, qui eut l'imprudence de se prêter au jeu. Ce qui devait
arriver arriva, mais la belle, en jeune maîtresse qu'elle était, eut la prétention de jouir de l'exclusivité des hommages du créole. PetitLouis se rebiffa, peu désireux de renoncer à des conquêtes moins nobles mais peut-être plus piquantes ; Catherine menaça de le
dénoncer et de le faire punir ; finalement il prit peur et se fit marron.
Personne ne se préoccupa du marronnage de Petit-Louis, qui passait pour un garçon bien inoffensif. Le sieur Despeigne, son maître,
crut à quelque fugue amoureuse et s'épargna la déclaration officielle, s'attendant à voir, d'un jour à l'autre, réapparaître son esclave,
avec lequel – murmurait-on – il avait quelque lien de parenté. Des gardiens de troupeaux n'avaient-ils pas vu Petit-Louis errer dans
les environs de la propriété ? Ce qui se passa ensuite, nul ne l'a jamais vraiment su.
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La fugue se prolongea trois mois durant. Certains racontèrent que Petit-Louis faisait des incursions nocturnes dans le camp pour y
puiser réconfort auprès de ses compagnes favorites ; ils dirent aussi que, sans rancune, il retrouvait dans un petit bois l'ardente
Catherine, toujours aussi jalouse mais toujours passionnée.
Quelle que fût la véracité de ces ragots, un jour que Catherine faisait une promenade avec deux amies, elle leur demanda de
l'excuser un instant : elle avait quelque chose à faire dans le petit bois. Petit-Louis l'y attendait, sans doute pour un de ces rendezvous amoureux:
Mais, au lieu de caresses, les deux amants échangèrent des mots. Quelques minutes après, les deux compagnes de Catherine, qui
'
n avaient rien suivi de la scène, furent attirées par des cris.
Elles découvrirent en arrivant dans le bois un curieux spectacle : hurlant à perdre haleine, Catherine retenait à pleines mains le
malheureux Petit-Louis, si bien attrapé et par un si malencontreux endroit qu'il ne pouvait esquisser le moindre geste de fuite !
Les appels des jeunes filles attirèrent des hommes. Catherine parla très vite de tentative de viol, accusation accréditée par le
désordre de sa toilette ainsi que la curieuse tenue de son agresseur présumé. Malgré son inconduite notoire, la parole de la fille d'un
maître ne pouvait être mise en doute : Petit-Louis fut sommairement jugé, et, bien sûr, condamné.
Un matin, à Saint-Denis, il subit son supplice. Le bourreau lui trancha les deux poings à la hache, avant de le pendre lentement
selon la coutume : on tendait la corde avant de repousser, d 'un coup de pied, l'échafaudage, afin que les vertèbres ne se brisent pas
par une trop brusque secousse.
Petit-Louis agita longtemps ses moignons sanglants avant que ses yeux ne se révulsent dans ses orbites bleuies. Quand il fut bien
raide, on fit brûler son cadavre et les cendres furent dispersées au vent...
Le lendemain, trois esclaves s'enfuyaient de chez le sieur Despeigne, et cinq autres de chez ses voisins. Il y eut même des
rumeurs de révolte.
Ainsi la cruauté et l'inconscience de certains maîtres renforcèrent l'insoumission. Et ceux-là, sans le savoir, allaient me donner un
métier.
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DANIEL VAXELAIRE, Chasseurs de noirs, Flammarion, 2000, pp. 157-160.
EXTRAIT 3
Le jour se levait vite. Bientôt, nous pûmes, de notre position dominante, observer l'arrangement du camp : les cases étaient
dispersées près des arbres, et il y en avait probablement d'autres dans la forêt. Balthazar me désigna, en arrière du bosquet, une
ligne de falaises à demi cachées : là, il y avait des grottes. J'étais consterné : le village devait abriter au moins une cinquantaine de
Noirs, sans compter les enfants ! Une véritable colonie !
Soudain, un coup de feu retentit de la ligne amont des soldats, loin de nous, de l'autre côté des falaises. Ces diables d'ivrognes
'
n avaient pas eu la patience d'attendre mon signal ! En un instant, le camp se mit à grouiller comme une fourmilière : des femmes
couraient vers les Bas en hurlant, mamelles ballotantes, attrapant leur enfant par un bras et filant à toutes jambes en serrant leur
pagne dans leur dos ; des hommes se tenaient cois, tendus, sagaie au poing, à chercher d'où était partie la détonation.
Une salve accueillit en aval les premiers fuyards, leur coupant la route vers les pentes et la grande forêt. Je vis quelques corps
'
s effondrer, d'autres s'aplatir derrière des rochers. Et puis je n'eus plus le loisir d'observer : un groupe d'une dizaine de Noirs,
hommes, femmes et enfants fonçait vers le piton. Je visai l'un des hommes de tête, un grand Nègre rouge armé d'une pierre. La
crosse me cogna durement l'épaule. Quand la fumée se dissipa, le groupe avait disparu. Je rechargeai et me levai prudemment. Une
silhouette jaillit d'un buisson à vingt pas. Je tirai au jugé, en même temps qu'un autre derrière moi. L'ombre culbuta dans un trou,
sans que je pusse distinguer si c'était un homme ou une femme.
Je rechargeai et tirai à nouveau. On ne voyait plus rien bouger à l'intérieur du cercle fumant de nos fusils. Tous ces gens étaient-ils
hors de combat ? Nous n'avions pas prévu une telle éventualité dans nos plans de bataille de la veille. Après quelques minutes d'un
silencieux qui-vive, les hommes se levèrent lentement un à un et s'avancèrent vers le camp.
Dès les premiers pas, je compris notre erreur. Avant que nous ayons pu esquisser le moindre geste, un Noir que nous tenions pour
mort bondit sur ses pieds et fila entre nos rangs. J'épaulai, suivant du canon sa course effrénée. Mais, sur le point de tirer, je vis un
Bourbonnais se profiler dans ma mire. Et quand vint l'instant de lâcher mon coup sans risquer de toucher l'un des nôtres, l'homme
était déjà hors de portée. Notre gibier nous avait joués !
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Les soldats, eux aussi, avaient été pris de court par des ruses de ce genre. Trois d'entre eux furent assez grièvement blessés par
des sagaies lancées par de faux morts. Notre tableau de chasse se limitait finalement à huit tués et cinq prisonniers, dont quatre
femmes et un enfant à la mamelle. Piètre butin, pour une troupe forte de vingt-quatre fantassins et six miliciens de Bourbon !
Je me jurai bien de ne plus jamais repartir en chasse avec ces soi-disant soldats ; seul, avec mes cinq compagnons, nous aurions
fait mieux : il fallait ramper beaucoup plus près du village, rester à l'affût après les premiers coups de feu, et abattre tout ce qui
bougeait. Personne n'aurait pu fuir du camp ainsi cerné, et les survivants eussent été obligés de se constituer prisonniers. La prime
aurait été meilleure, et nous aurions été moins nombreux à la partager. .
Notre expédition était tout de même un succès. Pour la première fois, on frappait ces grands marrons dans un de leurs repaires. Je
laissai aux soldats le soin de couper les mains droites des morts : elles serviraient de justificatifs pour notre paiement et, clouées à
un poteau sur la Grand-Place de Saint-Paul, dissuaderaient les autres esclaves de se faire marrons.
Je m'intéressai plutôt aux prisonniers. L'un d'entre eux, muscles de fer et regard de feu, cracha par terre avec mépris, quand il vit
Balthazar attaché à mes pas. Il refusa de répondre à mes questions, mais une de ses compagnes me révéla que c'était un Noir
malgache, marron depuis plus de quatre ans ; il avait abandonné le nom de baptême chrétien que lui avait donné son ancien maître
pour reprendre son nom de sauvage : Randiane.
Une autre prisonnière m'apprit que ce Randiane avait dirigé plusieurs descentes vers des habitations de la côte et qu'il avait luimême plongé sa panga dans la gorge d'un Blanc. Les femmes étaient les compagnes plus ou moins volontaires de ce Malgache et
de ses amis. L'une d'elles se jeta aux pieds du sergent, lui expliquant qu'elle avait été enlevée au cours d'une expédition et qu'elle
avait dû suivre ses ravisseurs contre son gré ; depuis, elle subissait sans pouvoir protester leurs coups et leurs outrages. La pratique
était assez courante pour qu'on lui fit crédit, mais le sergent ne voulait prendre aucun risque et il lui fit entraver les jambes, comme
aux autres.
Un bébé hurlait dans les bras d'une autre des femmes. Benjamin, la questionnant dans sa langue, m 'apprit
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qu'elle n'était pas sa mère et que cette dernière, indigne, s'était enfuie dans la forêt. J'ordonnai à la jeune fille de s'occuper au mieux
de l'enfant, et d'essayer de lui faire ingurgiter quelque nourriture. Mais, bien que convenablement gonflés en apparence, ses seins
restaient secs.
Nous restâmes au camp toute la journée. Nous avions beaucoup à faire : détruire toutes les ajoupas, mettre le feu aux paillasses,
arracher les plantations et disperser les graines, briser les ustensiles et emporter les outils ; enfin, ne rien laisser qui pût servir à
d'autres marrons.
Par prudence, nous passâmes la nuit fortifiés au sommet du Piton Rouge, prêts à repousser toute contre-attaque des Noirs. Mais
ils n'osèrent pas se frotter à nos fusils ni cette nuit-là, ni le lendemain, lorsque nous prîmes le chemin du retour.
Au milieu du premier jour de marche, le bébé mourut. Nous l'enterrâmes au pied d'une souche, dans la forêt. Sans lui couper le
poignet : il n'y avait pas de prime pour les enfants.
Et le matin du jour suivant, nous entrâmes triomphants dans Saint-Paul, avec nos prisonniers, les trophées pendant aux sacs des
soldats.
C'est au sergent, chef de l'expédition, que revenait l'honneur de faire le récit de la chasse. Il s'en acquitta rapidement. Mais mes
compagnons vantèrent si bien mes mérites, s'extasiant sur mon savoir-faire et mon audace, que l'on me pria de faire savoir ce que je
souhaitais pour récompense. Je demandai Balthazar.
On n'accéda que partiellement à ma demande : Balthazar resterait au service de la Compagnie tout le temps que nous serions à
Saint-Paul ; mais il me serait attaché lors des expéditions contre les marrons. Si je faisais d'autres prises, me dit le greffier du
Conseil, je deviendrais peut-être propriétaire de Balthazar à part entière.
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DANIEL VAXELAIRE, Chasseurs de noirs, Flammarion, 2000, pp. 165-166
EXTRAIT 4
Dès que j'ai su que Balthazar m'appartenait pour moitié, je suis allé le quérir à la prison, pour l'interroger à loisir. Je lui ai surtout
posé des questions sur les grands chefs marrons. Il a confirmé ce que je pensais déjà : plus à l'intérieur des terres se trouvent de
grands villages, beaucoup mieux protégés et défendus que le camp du Piton Rouge, dont certains ont plusieurs centaines
d'habitants. Les marrons de ces villages ont élu des rois, anciens esclaves qui, comme Randiane, ont repris leur nom d'origine ou se
sont donné des noms de guerre. Balthazar m'a parlé de Cotte, Cimendef, Mafate, Dimitile...
Tous ne s'entendent pas, car il y a des rivalités entre Africains et Malgaches. Cotte et les siens résident, paraît-il, au haut du Pays
Brûlé, près de la Fournaise. Cimendef contrôle une véritable forteresse dans le cirque de montagne situé en haut de la rivière SaintÉtienne ; on dit qu'il la fait appeler « Tsilaosa », « l'endroit d'où personne ne revient ». Mafate et Dimitile se partagent les hauts de la
rivière des Galets ; et c'est sans doute le feu d'un de leurs camps que j'avais aperçu il y a quelques années, le jour où j'étais monté
avec mes cousins jusqu'au bord du rempart rocheux qui domine cette région.
Ces rois-là dirigent les grandes descentes. Les petits chefs comme Randiane ne sont que leurs lieutenants. Balthazar m'a expliqué
qu'ils attaquent les propriétés pour y voler des graines, des armes et des femmes. Trois priorités : le ventre, la guerre et le sexe.
Dans quelques années, disent-ils, ils seront assez forts pour s'unir en armée et, aidés par les esclaves de la côte qui se révolteront
en masse, ils massacreront et jetteront à la mer tous les Blancs de l'île. Ils se préparent en secret. Ils ont fait exécuter les auteurs
des derniers massacres de colons car ils ont peur qu'on lance contre eux de grandes expéditions de représailles ; il leur faut encore
du temps.
Dommage pour eux que Monsieur de La Bourdonnais soit venu par chez nous. Sans lui, nous nous serions contentés de renforcer
la protection des habitations les plus isolées et nous serions restés, tranquilles et innocents, derrière nos palissades de la côte,
tandis qu'au-dessus de nos terres grossissait la menace.
Depuis notre victoire du Piton Rouge, les rois marrons doivent être inquiets. Savent-ils qu'un des leurs a trahi et me livre maintenant
les secrets de leurs cachettes ? Qu'ils le sachent ou non, notre voie est tracée : il y a des territoires à reconquérir et des couronnes à
renverser. Nous devons frapper les premiers.
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J'ai aussi demandé à Balthazar des nouvelles des esclaves, hommes et femmes, faits prisonniers par les marrons lors de leurs
descentes.
La plupart se rallient aux révoltés, m'a-t-il dit, mais d'autres n'attendent que le moment de s'enfuir pour retourner chez leurs anciens
maîtres.
Il faut dire que la vie dans les montagnes est plus âpre que celle qu'ils ont connue sur les habitations. Là-haut, on dort sur la terre, à
'
l abri de quelques branches, on ne mange chaud que rarement : il ne faut pas attirer l'attention par les feux. Disparues, les pièces de
tissu que donne le maître à chaque Noël : quand les vêtements ont été déchirés par les fourrés, les marrons vivent nus ou presque,
à moins qu'ils aient pu tanner la peau de quelque cabri. Mais celui qui a palpé un cuir mal assoupli sait ce que ce contact a de
rugueux, à même la chair. Ils ont froid et ils ont faim ; ils sont rongés de vermine et leurs enfants meurent en grand nombre.
Cependant, leur vie est moins misérable dans les grands camps qui possèdent des sources permanentes, des cases solides ou des
grottes, et où ils ont des potagers et de la volaille pour pitance.
Je comprends que certains esclaves, marrons contre leur gré, n'aient d'autre envie que redescendre vers la côte, où la captivité est
aussi sécurité. Mais je comprends également que la haine des autres se forge et se renforce à la dureté de cette vie. Nos grandsparents aussi étaient seuls et démunis dans une nature vierge, et l 'adversité leur avait trempé le caractère et la volonté. Pourtant, ils
vivaient dans le climat serein de la côte, environnés de verdure et de gibier abondants ; et surtout personne ne leur faisait la guerre.
Je commence à imaginer quelle espèce d'hommes vit là-haut, derrière le sommet des montagnes, et quels ennemis j'aurai à
affronter
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DANIEL VAXELAIRE, Chasseurs de noirs, Flammarion, 2000, pp. 167-170.
EXTRAIT 5
18 décembre 1735.
Le Conseil vient de rendre son verdict concernant Randiane, le marron que nous avons capturé. Les interrogatoires ont été longs.
Mes compagnons et moi-même avons été souvent appelés comme témoins, ce qui a entravé nos préparatifs d'une nouvelle
expédition.
Les méthodes douces et les méthodes dures, et même la torture, n'ont servi à rien : Randiane n'a pas pipé mot, et comme
personne n'a reconnu son visage, nous ne savons même pas de qui il était jadis l'esclave. Il semble que cet homme est marron
depuis de longues années.
En fait, le procès a surtout été l'occasion, pour le Conseil et les personnages les plus importants de l'île, de réunir des informations
sur les Noirs de la montagne et sur notre expédition de chasse. (…)
S'il s'était montré coopératif, Randiane aurait peut-être été simplement pendu. Mais le Conseil a décidé un châtiment exemplaire,
vu l'entêtement de ce criminel.
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21 décembre 1735.
Randiane est mort hier. Il a été conduit sur la place vers le milieu de l'après-midi, à l'heure où tout le monde est rentré des
champs. Il faisait gris et une pluie fine s'est mise à tomber, grésillant sur le foyer du bourreau. J'aurais aimé éviter ce spectacle mais,
en tant que chasseur, on m'avait placé au premier rang, à quelques pas du condamné.
L'exécuteur est arrivé tête nue. On dit qu'en France ces hommes ont le visage caché par une cagoule. Ce serait bien inutile ici,
dans une ville de quelques centaines d'âmes où chacun connaît les faits et gestes de son prochain. D'ailleurs, sa fonction de
bourreau ne porte pas préjudice à notre concitoyen ; il est des honneurs nécessaires. Tout au plus use-t-on de son nom pour effrayer
les enfants désobéissants.
Deux fers chauffaient sur les braises. Deux fleurs de lys.
Randiane devait être marqué sur les deux épaules, avait dit le Conseil. On avait donc pris deux fers, afin que la seconde marque
ne fût pas moins brûlante que la première.
Ses gardiens ont bousculé le grand Noir, l'ont forcé à s'agenouiller. Il est tombé juste en face de moi, les yeux rivés aux miens.
'
C est à peine s'il a cillé quand le fer s'est soudé à sa chair, fumant et crépitant.
Chose étrange, alors qu'il y a trois jours tout le monde avait applaudi à l'annonce du verdict, personne n'a dit mot ce matin autour
de la place. Pourtant ce chef marron avait dirigé des attaques meurtrières, et chacun connaît dans sa famille ou son entourage des
victimes de descentes, torturées et massacrées, retrouvées horriblement mutilées. Mais c'est une chose de crier sa haine contre un
assassin et c'en est une autre de le voir mourir à petit feu devant soi. Même moi qui ai tiré sur des hommes et des femmes, qui en ai
tué plusieurs, et qui ai connu le goût sauvage des chasses à l'homme victorieuses, j'ai senti comme un frisson me parcourir, sous le
regard fixe du supplicié.
On l'a brutalement arraché à sa torpeur pour le lier face au tamarinier, le nez contre les mains coupées de ses compagnons. Et
deux esclaves, aidés du bourreau, ont commencé à le frapper. J'avais déjà vu punir des voleurs de quelques coups de fouet, mais je
n'avais jamais vu flageller quelqu'un à mort.
Les premiers coups n'ont pas marqué la chair élastique, mais bientôt nous avons vu l'épiderme se boursoufler puis se crevasser,
et les premières gouttes de sang suinter. Les deux exécutants transpiraient, alternant leurs gestes, croisant les lanières de cuir sur le
dos nu.
Au début, l'homme n'a pas desserré les mâchoires. Il avait la tête tournée dans notre direction, la joue contre l'écorce rugueuse de
'
l arbre. Pour ne pas voir les mains coupées, il avait fermé les yeux. Il a gardé longtemps la bouche close, retenant son souffle, je
pense. Mais bientôt ses lèvres se sont ouvertes pour laisser échapper, non des cris, mais un soupir violent et rauque, comme un «
han ! » de bûcheron, à chaque fois que le fouet frappait.
Les coups ont succédé aux coups. Bientôt ils n'ont plus claqué mais ont rendu un son mat sur la chair en bouillie.
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Les jarrets de Randiane ont faibli et j'ai vu les liens tirer plus fort sur ses poignets, forcer ses mains à s'ouvrir jusqu'à ressembler
aux mains mortes de ses compagnons.
Enfin le bourreau a ordonné de suspendre le châtiment. Plus de quatre-vingts coups avaient été donnés, et le supplicié devait être
presque mort. Le verdict était de tuer l'homme au fouet, puis de suspendre son corps à une branche de l'arbre, mais le bourreau, qui
semblait lui-même lassé de cette boucherie, voulait abréger l'exécution : pendre un homme évanoui ou pendre un cadavre, la
différence n'est pas considérable. Les membres du Conseil, assis à mes côtés, n'étaient pas dupes mais ils ne diraient rien si les
apparences étaient sauves : eux aussi étaient mal à l'aise et avaient hâte de quitter cette place, son odeur fade de sang, de sueur et
de poussière.
Mais au moment où on allait le détacher de l'arbre, Randiane a ouvert les yeux, et détourné légèrement la tête jusqu'à me faire
face. Il m'a regardé. Et pas plus que lorsqu'on le marquait au fer, je n'ai pu m'arracher à cet affreux face-à-face.
Chacun, sur la place, avait pu constater qu'il était encore vivant ; plus question donc de clémence et de pendaison anticipée. Les
coups de fouet ont repris, monotones, écœurants. L'homme ne criait plus, ne bougeait plus ; il gardait simplement les yeux grands
ouverts sur moi. Et nous attendions tous que cela finisse, que la mort nous libère de cette fascination.
Je n'ai pas vu le regard se ternir, mais j'ai su, à un moment, que j'avais les yeux dans les yeux d'un mort. Le bourreau l'a compris
presque au même instant que moi. D'un geste il a fait cesser les coups.
Le reste s'est passé très vite. Tandis que deux esclaves soutenaient Randiane par les aisselles, se souillant de sang et de chair
poisseuse, et de toutes les humeurs empestées que son corps avait lâchées durant le supplice, le bourreau lui a glissé la corde au
cou, l'a halé par dessus la branche.
La vue du cadavre flasque, pendant et tournant lamentablement sous la verdure du tamarinier, nous a tous arrachés à notre
silence morbide. Des cris et des applaudissements ont éclaté derrière moi ; et il y eut même des enfants assez hardis pour venir
pousser les pieds du Noir mort, et le faire se balancer. Tous parlaient plus haut que de coutume, en laissant éclater une joie
démesurée, comme si la mort d'un marron allait exorciser le démon qui habitait tous les autres.
Je devais passer chez Geneviève ce soir-là : je n'en ai pas eu le cœur et je suis rentré directement ici. Je ne peux m'empêcher de
penser au supplicié. S'il avait été dans la mire de mon fusil, au Piton Rouge, j'aurais tiré sans hésiter. Il serait mort sans agonie.
27 décembre 1735.
Nous avons fêté la Noël pour la première fois dans notre maison du Boucan. Toute la famille s'était rassemblée sous notre
varangue. A la nuit, nous avons fait le chemin jusqu'à Saint-Paul, à la lueur des torches. L'église était comble pour la messe de
minuit. Le curé a demandé à Dieu de nous apporter la paix, et de nous aider à vaincre nos ennemis.
Un de mes voisins, qui avait entendu de loin la messe des Noirs, dans l'après-midi, m'a dit que le prêtre avait beaucoup parlé des
marrons à ses Ouailles esclaves. Il leur a dit que ces révoltés sont habités par le Diable, et que c'est se vouer à l'enfer que les
suivre. Il a dit aussi que ceux qui dénonceraient des marrons seraient récompensés non seulement par les hommes, mais par Dieu,
qui les accueillerait en son Paradis. Ce discours a produit, au dire de mon voisin, beaucoup d'effet. C'est à la suite d'un tel prêche
qu'au quartier Saint-Denis, il y a quelques années, des esclaves ont dénoncé des comploteurs – par crainte du châtiment divin.
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DANIEL VAXELAIRE, Chasseurs de noirs, Flammarion, 2000, pp. 198-199.
EXTRAIT 6
Je me souviens de ce jour de 1737 où nous étions parvenus par surprise au sommet d 'un piton aux pentes fort raides dans le
cirque de la rivière des Galets. C'était ce même piton d'où j'avais vu sortir, des années plus tôt, une fumée. Au fil des chasses, nous
avions affiné notre tactique. Nous avions pris l'habitude de ramper sur les coudes, notre arme attachée dans le dos. Nous savions
nous laisser rouler dans les fossés sans déplacer un caillou et les oiseaux ne s 'envolaient même plus, quand nous traversions les
buissons où ils nichaient. Nous avançâmes en silence, dépassant les premières cases et leurs occupants endormis, garrottant
quelques hommes avant même qu'ils aient pu bouger. Et quand quelqu'un enfin cria l'alerte, les marrons, pris entre nous et le bord
du plateau qui donnait sur un précipice de plusieurs centaines de toises, n'eurent d'autre issue que se rendre.
Eh bien ce jour-là j'ai vu ce que peut produire le courage quand il s'allie au désespoir. J'ai vu des hommes se lever et tenter une
charge folle à mains nues vers nous, jusqu'à ce que nos fusils les clouent sur place. J 'ai vu des femmes, des enfants, des vieillards
se ruer vers le vide, rouler follement sur les pentes nues et s'abîmer dans le gouffre, où leurs cris résonnaient, lugubres, avant de
s'éteindre. Et j'ai vu Balthazar interrompre sa besogne devant cet affreux spectacle et, le fusil encore chaud, se tourner face au talus
et s'effondrer en pleurant. Nous avions fait ce jour-là une vingtaine de prisonniers, et repartîmes avec les mains de huit morts ; le
chemin du retour nous faisait longer la rivière, au pied de la montagne à la tête plate. Sur les rochers s 'étalaient, dans des postures
incongrues, les cadavres de ceux qui avaient préféré mourir en se jetant des hauteurs.
Chaque mort valait ses cent cinquante livres : il y en avait bien quinze. Mais aucun de nous n'eut le cœur d'aller trancher les mains.
Et, pour la première fois, Saint-Paul ne nous entendit pas rentrer en chantant.
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Bibliographie complémentaire :
LA TRAITE NÉGRIÈRE , La Documentation Photographique , numéro
8032
DANIEL VAXELAIRE. Vingt-et-un jours d’histoire . Orphie.2005
Manuel, scolaire d’histoire, Hatier, Lycée, programme pour la Réunion .
2003
Manuel scolaire d’histoire , Hatier , classe de troisième , programme
scolaire pour la Réunion, 2000
DANIEL VAXELAIRE, Chasseurs de noirs, Flammarion, 2000
BOURGEON, Les passagers du vent T 3,T 4 , T 5 , Casterman,1995
THEODORE CANOT, Confessions d’un négrier, édition Phébus, 2008
AMISTAD, dvd, film de Steven Spielberg , 1997
ABÉCÉDAIRE de l'esclavage des Noirs,
Gilles GAUVIN • Éditions Dapper • Sept.
2007 • ISBN 978-2-9152-58-21-9 • 13,00 €.
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Ensemble documentaire pour la classe . Étude
transdisciplinaire menée par binômes.
Pascale MALLET
PLP Lettres Histoire
L.P. J. Raimu NÎMES
Ce travail a été réalisé à l’occasion de mon passage à
la Réunion
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L’île Bourbon
La colonisation réelle de l'île Bourbon (La Réunion) fut le résultat de la politique du ministre
Colbert. Pour ce dernier, l'île Bourbon devait servir d'escale, c'est-à-dire être une étape vers la
conquête de l'île de Madagascar. Pour concurrencer les autres pays européens, Louis XIV et
Colbert créèrent la Compagnie des Indes orientales en 1664. Afin d'attirer des capitaux, ils lui
accordèrent un monopole commercial dans l'océan Indien pendant 50 ans et lui donnèrent la
souveraineté de Madagascar, ainsi que des îles voisines et des futurs territoires à conquérir. La
Compagnie des Indes orientales avait pour mission d'assurer la mise en valeur de l'île Bourbon
et de son développement grâce aux plantations de café . Les voyages étant longs (de quatre à
six mois, souvent davantage), la Compagnie des Indes installa des comptoirs commerciaux
dans l'océan Indien, notamment en Afrique et à Madagascar (Fort-Dauphin), puis dans
l'archipel des Mascareignes (île Bourbon) et en Inde. L'île Bourbon reçut ses premiers colons en
1665 et c'est à partir de cette date qu'on atteste la présence des femmes sur l'île. Cette colonie
naissante était composée d'une vingtaine de personnes dirigées par Étienne Regnault de la
Compagnie des Indes, le premier «commandant» officiel de Bourbon. En 1667, plus de 200
Français débarquèrent sur l'île et, en 1671, un nouveau contingent de 13 nouveaux colons arriva
de Madagascar; ils étaient accompagnés de quelques Esclaves noirs et cinq d'entre eux avaient
une épouse malgache. La pénurie des femmes d'origine française fut signalée dès 1674.
Quelques années plus tard, on réussit à faire venir quelques filles françaises «recrutées» à
l'Hôpital général de la Salpêtrière (Paris) et jugées «aptes pour les îles». En novembre 1678,
quatorze jeunes filles en provenance de l'Inde s'installèrent dans l'île et se firent immédiatement
épouser; elles furent à l'origine de 109 naissances réunionnaises. En 1690, la population de
Bourbon comptait encore 200 habitants, surtout des Français, mais aussi des Italiens, des
Espagnols, des Portugais, des Allemands, des Anglais, des Hollandais, des Indiens et des
Malgaches (esclaves). À la toute fin du XVIIIe siècle, l'île Bourbon comptait 297 femmes sur un
total de 734 habitants. Dès le début de la colonisation de l'île Bourbon, il a existé une pratique
de l'esclavage, alors que cette pratique était interdite par un Édit royal de 1664. Afin de
contourner cet Edit, le terme esclave ne fut pas employé, on parlait plutôt de «serviteur», de
«domestique» ou de «Noir».
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À l'île Bourbon, aucun texte officiel ne semble avoir étendu l'application du Code noir.
Néanmoins, les gouverneurs s'en inspirèrent très rapidement et adoptèrent des décrets calqués
sur le modèle antillais, car les Français importèrent des Noirs dès la fin du XVIIe siècle. En
1696, l'île comptait 269 habitants, dont 200 Blancs et 69 Noirs. En 1700, on dénombrait 750
habitants mais 320 Noirs. En 1704, la population de l'île avait triplé: on y recensait 734
habitants dont 423 Français (hommes et femmes), 311 esclaves et quatre Noirs affranchis
appelés «domestiques». Les historiens ont noté une légère progression en 1708 avec 894
habitants (507 Blancs et 387 Noirs), puis, en 1711, Bourbon avait franchi le cap des 1000
habitants avec 557 Blancs et 467 Noirs. Les Noirs demeurèrent moins nombreux que les Blancs
jusqu'en 1713 alors qu'on dénombrait 1171 habitants (633 Blancs et 538 Noirs). En 1723, le
célèbre Code noir de 1685 fut adapté à l'usage des Mascareignes et les lettres patentes de Louis
XV, sous forme d'édit, furent enregistrées dans la ville de Saint-Paul, le 18 septembre 1724, par
le Conseil supérieur de Bourbon. Ce nouveau Code Noir adapté à la situation de l'île Bourbon
favorisa, dès 1725, l'arrivée de milliers d'esclaves qui venaient en majorité de l'île de
Madagascar et de l'Afrique orientale pour y cultiver le café et les plantes à épices. Cette maind'œuvre abondante paraissait nécessaire pour permettre à la Compagnie des Indes orientales
de poursuivre l'expansion économique de Bourbon. Mais les esclaves n'attendirent pas
l'abolition de l'esclavage en 1848 pour tenter d'échapper à leur asservissement et retrouver leur
liberté. Ce phénomène désigné, rappelons-le, sous le nom de marronnage, tant aux Antilles
que dans l'océan Indien, reste inséparable de l'histoire de l'esclavage à Bourbon, où il prit une
ampleur particulière au milieu du XVIIIème siècle. En 1732, la population de l'île atteignait
plus de 8000 habitants, dont 6000 esclaves noirs. Les esclaves de Bourbon étaient recrutés en
Afrique de l'Est, à partir des comptoirs arabes ou portugais du Mozambique et de Madagascar.
Le bond le plus spectaculaire se produisit entre 1735 et 1765, car les esclaves étaient passés de
6000 à 21 000 pour une population de 25 000 habitants, les Noirs étant définitivement
majoritaires.
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De 1713 à 1732, la population réunionnaise passa de 1171 habitants à 8000 (dont 6000 Noirs).
En 1715, des commerçants de Saint-Malo (France) introduisirent à Bourbon des plants de café
d'Arabie, ce qui assura une grande prospérité et attira de nouveaux immigrants. Puis la
Compagnie des Indes orientales fit abandonner la culture du café et introduisit celle du coton,
du tabac et de l'indigo. Cependant, l'un des gouverneurs de l'époque, Mahé de La
Bourdonnais, favorisa plutôt l'île de France (aujourd'hui l'île Maurice) parce que, d'une part,
l'île Bourbon paraissait trop montagneuse pour les grandes cultures, d'autre part, les désordres
sociaux étaient fréquents chez les insulaires de Bourbon. Les nouvelles cultures de l'île
Bourbon ne connurent pas le succès escompté, sauf celles du girofle , de la muscade et de
vanille . En 1764, la Compagnie des Indes orientales fit faillite. Le roi de France racheta l'île
Bourbon. Comme l'île avait besoin de main-d'œuvre pour la culture du café, des épices et, plus
tard, de la canne à sucre , les colons eurent recours à l'esclavage pour développer l'économie de
Bourbon. Les premiers esclaves malgaches débarquèrent dès 1671. On sait que, le 28 août 1670,
à la demande du ministre Colbert, le Conseil d'État du royaume officialisait la pratique de
l'esclavage en France. Aux Antilles, l'esclavage avait vite assuré la prospérité économique des
colons. En mars 1685, était proclamé le fameux code noir, une ordonnance de Louis XIV
destinée à réglementer et à tempérer le régime de l'esclavage, et précisant les devoirs des
maîtres et des esclaves. C'est un fait connu que ce Code noir, qui resta en vigueur dans toutes
les Antilles et en Guyane française jusqu'en 1848 (date de l'abolition définitive de l'esclavage
par la France), fut rarement respecté, les exploitants n'en ayant fait bien souvent qu'à leur tête.
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Quelques sites de la réunion doivent leur nom au marronnage, plutôt les héros de cette époque,
esclaves en fuite qui se réfugient dans des sites peu accessibles de l’île. On peut faire une étude
sur les toponymes ( Mafate chef des marrons , le cirque porte son nom , Cimendef un chef
marron héros de la réunion il aurait donné beaucoup de soucis aux chasseurs , il était à la tête
d’une bande d’insurgés d’une centaine de personnes. Il est tué par François Mussard en 1751.
On a aussi un esclave du nom de Anchaing, esclave en fuite réfugié avec sa femme et ses enfants
pendant de nombreuses années sur un piton de la Réunion (piton d’Enchain).
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CARTE DE FLACOURT 1658
Archives départementales de la Réunion, Bib. 164
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CCEE Région Réunion, De la servitude à la liberté : Bourbon des origines à 1848, Saint-André, Imp. Graphica, 1988
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CCEE Région Réunion, De la servitude à la liberté : Bourbon des origines à 1848, Saint-André, Imp. Graphica, 1988
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LA TRAITE INDIANOCEANIQUE
VERS L’ILE BOURBON
Histoire-Géographie 4e-3e.
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Programmes pour la Réunion, Hatier, 2001.
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La traite indianocéanique est peu connue,
le trafic débute sur terre en Afrique de l’est,
les captifs sont acheminés vers les côtes
de Zanzibar, Quiloa, Ibio , ( grand centre
de traite ) ou d’autres sites, Madagascar
vers la baie d’Antongil ou Tamatave
(esclaves cafres et des comoriens). Les
esclaves sont ensuite, une fois achetés
aux ethnies Yao ou Mérina (traite
musulmane), embarqués sur les bateaux
négriers vers Bourbon. Les voyages
varient selon l’époque de l’année, guidée
par les alizés.
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CCEE Région Réunion, De la servitude à la
liberté : Bourbon des origines à 1848, SaintAndré, Imp. Graphica, 1988
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Histoire-Géographie 4e-3e.
Programmes pour la
Réunion, Hatier, 2001.
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Diapos 12 à 16/ De la capture à la vente.
Les esclaves proviennent des razzias menées à l’intérieur du pays, par des roitelets locaux, qui traitent avec les européens
ou avec des auxiliaires locaux (les gourmettes) à la solde des européens. Ils mènent les négociations, organisent les convois.
Les razzias sont possibles grâce à la supériorité de l’armement de quelques roitelets. Les survivants de l’attaque sont
enchainés, attachés par le cou par des jougs et des fourches en bois. Il faut parcourir cent ou deux cents kilomètres pour
rejoindre la côte, les conditions de déplacements sont très dures, les pistes sont jalonnées de morts, mais la plus grande peur
des captifs c’est le soupçon d’anthropophagie qu’ils nourrissent à l’égard de l’homme blanc : « on les emmène sur la côte pour
être mangés ! ».
Pour trouver sa cargaison d’esclaves, le capitaine à deux méthodes, soit le cabotage (traite volante) - il longe les côtes et
embarque de petites quantités -, soit il se dirige sur les forts ou postes tenus par les européens et recueille les esclaves
réunis en nombre à cette intention.
Pour être vendus, les esclaves sont regroupés par lots de trois ou quatre de valeur différente. Il faut s’entendre sur le prix du
lot. Présentés nus, les esclaves sont examinés par les chirurgiens du bord (voir diapo 19), les yeux, la bouche, on les fait
sauter, courir. Des pratiques de maquignon sont utilisées pour dépister les défauts, les maladies.
L’unité de base pour évaluer la marchandise est la « pièce d’inde » c'est-à-dire l’individu adulte de sexe masculin, robuste et
sans défaut, âgé de moins de trente ans.
Les prix varient dans le temps et selon les pays, pour les vendeurs musulmans, 12 esclaves équivalent à un bon cheval ;
dans les régions africaines, ce sont les étoffes, le tabac, les alcools et les armes. La verroterie est appréciée, les cauris
(coquillages) provenant des Maldives ou d’Inde servent de monnaie d’échange (importance diminue fin XVIIIème), sur la
côte de Madagascar on exige plus de 50 pour cent des paiements en fusils.
Le capitaine est un homme essentiel, bon navigateur et bon négociateur. Autre personnage important le chirurgien : il veille
à la santé de tous et il sélectionne les esclaves ; à l’arrivée du négrier c’est lui qui tentera de les remettre en forme avant
la mise en vente. Charpentier et tonnelier ont un statut particulier, c’est le charpentier qui aménage le bateau pour le
transport et le tonnelier chargé de la conservation de l’eau (denrée vitale pour tous).
On embarque les esclaves par groupes, on les dépouille de leurs gris-gris, on les marque au fer rouge. Le moment critique
c’est lorsque le bateau quitte les côtes, les tentatives de fuite sont nombreuses (certains passent par-dessus bord), on sépare
les hommes (descendus dans la cale et mis aux fers) des femmes (conduites dans une chambre située sous le logement des
officiers). Le risque de révolte persiste pendant la première semaine. Un esclave dispose d’un espace de 1m75 de long sur
40 cm de large, l’aération est très insuffisante, beaucoup meurent asphyxiés. Au bout de quelques semaines l’état sanitaire
de la cargaison est indescriptible.
La traversée est très dure, la plupart des capitaines se comportent en « professionnels » et ne souhaitent pas abimer la
marchandise, les esclaves sont montés sur le pont, ils sont lavés, rasés, ils doivent se rincer la bouche avec du citron et du
vinaigre afin d’éviter le scorbut. On joue de la musique (diapo 15) afin de les faire bouger. Malgré ses précautions la mortalité
est importante 10 à 15 pour cent (supérieure chez l’équipage, moins important qu’un esclave).
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BOURGEON, Les passagers du vent, Casterman, 1994, t.3.
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BOURGEON, Les passagers du vent, Casterman, 1994, t.4.
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CCEE Région Réunion, De la servitude à la liberté : Bourbon des origines à 1848, Saint-André, Imp. Graphica, 1988
GAZETTE DE L’ILE
BOURBON
19 mars 1831
PETITE ANNONCE
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FEUILLE HEBDOMADAIRE DE BOURBON
18 juillet 1820
PETITE ANNONCE
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BOURGEON, Les passagers du vent, Casterman, 1994, t.5.
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CCEE Région Réunion, De la servitude à la liberté : Bourbon des origines à 1848, Saint-André, Imp. Graphica, 1988
EFFETS DE TRAITE
Perles de verre et tissus de coton
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Histoire-Géographie 4e-3e. Programmes pour la Réunion, Hatier, 2001 et Histoire-Géographie Lycée. Programmes pour la Réunion, Hatier, 2003
L’ILE DE FRANCE ET L’ILE BOURBON
FACE A L’ABOLITION DE 1794
Pétition de l’île Bourbon envoyée à l’Assemblée
nationale, 21 avril 1796
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Les envoyés du directoire expulses de l’île de France
(1796)
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CCEE Région Réunion, De la servitude à la liberté : Bourbon des origines à 1848, Saint-André, Imp. Graphica, 1988
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Histoire-Géographie Lycée. Programmes pour la Réunion, Hatier, 2003
Négrier poursuivi, jetant ses nègres à la mer
Lithographie aquarellée, milieu du XIXe siècle
Un capitaine de négrier écrit à son armateur en 1820
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Diapos 26 à 29
Le 26 Aout 1789, la Révolution Française énonce les principes de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme.
Dans un débat houleux,
le 04 Février 1794, la convention vote et proclame l’abolition de l’esclavage dans ses colonies. Mais le 20 Mai 1802, Napoléon
rétablira l’esclavage , en partie sous la pression du « parti créole », constitué autour de Joséphine, qui n’accepte pas
l’abolition, mais qui veut faire examiner les droits des différentes catégories (mulâtres, affranchis, créoles,) . À l’époque
on dénombre d’après les théories de Moreau de Saint-Méry 128 combinaisons possibles de métissage.
La société anglaise est assez tôt sensibilisée à la question de l’esclavage, les abolitionnistes posent rapidement le problème
de la traite, le débat parlementaire dure des années et finit par aboutir à la suppression de la traite en 1807.
L’Angleterre met en place des « croisières » opérations de contrôle menées par les vaisseaux de la Navy . L’Angleterre
devient une sorte de gendarme international.
La révolution en France de 1848 va permettre à Victor Schœlcher de promulguer son décret sur l’abolition de l’esclavage
(le 27 Avril 1848).
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PETITE USINE SUCRIERE A LA RIVIERE DE L’EST
Histoire-Géographie 4e-3e. Programmes pour la Réunion, Hatier, 2001.
Jean Baptiste Dumas est
venu aux Mascareignes
entre 1828 et 1830. Il
représente ici des esclaves
enchaînés devant la
chaudière d’une sucrerie
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Jean Baptiste Dumas est venu aux Mascareignes entre 1828 et 1830. Il représente ici une
bonne d’enfants (la « nénène »)
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Gravure de Moreau le Jeune (1772) illustrant le
« Voyage à l’île de France, à l’île Bourbon… » de
Bernardin de Saint-Pierre (1773)
« Une négresse avec deux enfants
effrayés. Elle porte au cou un collier de
fer avec trois crochets, d’où descend une
chaîne qui la prend par la jambe ; près
d’elle est un nègre dévorant le cadavre
d’un cheval ; plus loin un esclave qu’un
Européen fouette sur une échelle… sur le
devant des balles » de café ».
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Sarda Gariga, fonctionnaire habile,
est envoyé sur l'île de la Réunion
par le gouvernement français le
1848. Après une période de
conciliation et d'explication auprès
des planteurs l'abolition de
l'esclavage y est promulguée le 20
décembre 1848. Il est proposé aux
anciens esclaves de travailler
librement pour leur anciens maîtres
mais ces derniers préfèrent
s'installer ailleurs. Le besoin de
main d‘oeuvre ouvrira la phase de
l'engagement à la Réunion.
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Le Code Noir [3] comporte 60 articles. En voici
quatre :
• 2 - Tous les esclaves, qui seront dans nos îles,
seront baptisés et instruits dans la religion C. A.
et R. [4]. [...]
• 12 - Les enfants qui naîtront des mariages
entre les esclaves seront esclaves et
appartiendront aux maîtres des femmes
esclaves, et non à ceux de leurs maris, si le mari
et la femme ont des maîtres différents.
• 33 - L’esclave qui aura frappé son maître, sa
maîtresse ou le mari de sa maîtresse ou leurs
enfants avec confusion ou effusion de sang, ou
au visage, sera puni de mort.
• 38 - L’esclave fugitif qui aura été en fuite
pendant un mois, à compter du jour que son
maître l’aura dénoncé en justice, aura les oreilles
coupées et sera marqué d’une fleur de lys sur
une épaule ; et s’il récidive une autre fois à
compter pareillement du jour de la dénonciation,
aura le jarret coupé et il sera marqué d’une fleur
de lys sur l’autre épaule ; et la troisième fois il
sera puni de mort.
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SERVIABLE Mario, La Réunion des grands hommes, St-Denis, ARS Terres Créoles, 1996
Edmond est né esclave en 1829 à Ste-Suzanne, de parents esclaves :
Jamphile et Mélise. II perd sa mère à la naissance. Ferréol Beaumont-Bellier, établi
à Bellevue recueillit l'enfant qui appartenait à sa sœur II s’y attacha, le traitant plus
comme son propre fils que comme son esclave. Passionné de botanique, il
emmena le jeune esclave dans son verger et lui inculqua, par l'exemple, la passion
des plantes. M. Beaumont-Bellier désespérait de trouver la technique de
fécondation artificielle de l'orchidée vanillier tentée au Muséum d'Histoire naturelle
de Paris dans les années 1840. Un autre procédé (Jannet) était également
expérimenté sans succès dans la colonie par les botanistes Richard et Bernier. Il se
contentait de féconder manuellement les fleurs de citrouille jolifiat.
EDMOND ALBIUS
(1829-9 août 1880)
Esclave et découvreur
du procédé de fécondation de la vanille
En 1841, le jeune Edmond, tentant les mêmes opérations sur la vanille
découvrit l'ingénieux moyen de féconder les fleurs pour obtenir des pousses. Il
avait 12 ans. Cette découverte permit une exploitation commerciale de la plante sur
une grande échelle. La vanille Bourbon était née. M. Beaumont-Bellier s'empressa
de faire connaître la nouvelle à tout le pays par voie de presse. Il accueillit chez lui
d'autres colons pour suivre la démonstration du jeune Edmond. II n'hésita pas à
leur prêter son jeune prodige.
Le 20 décembre 1848, l'esclavage fut aboli. Edmond reçut son nom de
liberté : Albius qui signifie Blanc. M. Mézières Lépervanche, juge de paix de SteSuzanne, présenta une requête à Sarda Garriga, commissaire général, afin de faire
accorder à Edmond une récompense publique. Cette démarche n'eut pas de suite,
le temps ayant manqué au commissaire général rappelé en France à la même
époque.
Le jeune Edmond qui voulait voir du pays s'en trouva fort démuni pour se
rendre à St-Denis. Engagé comme domestique, «la modicité de ses gages ne lui
permettant pas de satisfaire aux goûts de confort qu'il avait contractés dans la
maison de son maître». Edmond commit un vol de bijoux avec effraction. II fut
condamné à 5 ans de réclusion et à la chaîne. De nombreuses voix vont intervenir
pour demander sa grâce en rappelant sa contribution à l'économie de l'île. Le juge
de paix Mézières Lépervanche souligne que «sa conduite aux bagnes a été
exemplaire». Une remise de peine lui est consentie. Edmond Albius retourne à sa
terre à Ste-Suzanne. II épouse Marie Pauline Rassama. une couturière qui
décédera avant lui. Il mourut le 9 août 1880 à l'hôpital communal de Ste-Suzanne
au village Desprez.
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HOMBELINE DESBASSAYNS
(née Gonneau)
3 juillet 1755-4 février 1846
Chef d’entreprise
Marie-Anne-Thérèse-Hombeline (dite Ombline), fille de Julien Gonneau-Montbrun et de Marie-Thérèse Léger-Dessablons, est
née le 3 juillet 1755. Sa mère meurt «en couches» et elle restera fille unique malgré le remariage de son père. Elle est confiée dans
un premier temps à une parente — Madame Hoareau — et elle est élevée par une nourrice noire, Madeleine, qu'elle va considérer
comme sa véritable mère. Certains vont même affirmer par la suite qu'elle est fille d'esclave. Son père se lancera comme un forcené
dans le travail et va se constituer ainsi un patrimoine considérable : 200 esclaves et plusieurs habitations. Après le remariage de son
père avec Barbe Gertrude Léger, cousine de sa première femme, Ombline regagne le domicile paternel. La riche héritière épouse le
28 mars 1770 son voisin, Henry-Paulin Panon-Desbassayns. Il a 38 ans et elle en a 15. Les époux s'unissent pour le meilleur car, en
1789, Ombline et Henry-Paulin sont à la tête de la plus riche propriété de l'île. Le couple aura neuf enfants qui auront tous un sort
enviable : Julien dit Desbassayns l'aîné devint Inspecteur des Finances et se fixa en 1815 dans sa propriété du Bréau dans l'Yonne ;
Henri dit Montbrun fut contrôleur général des Finances dans le Doubs. Philippe dit Richemont épousa Eglée Fulcrande Mourgue et
fut l'homme de confiance de Bonaparte dans ses tractations secrètes avec Pitt et l'Angleterre ; commissaire ordonnateur de la
marine, il régla le problème constitutionnel de Bourbon à la Restauration. Charles et Joseph seront les pionniers de la révolution
industrielle sucrière de Bourbon le premier sera d'ailleurs président du Conseil Général.
Et les quatre filles ? Marie épousa Jean-Baptiste Pajot, membre de l'Assemblée Coloniale, Mélanie épousa joseph de Villèle,
chef du gouvernement de la France, Gertrude épousa Jean-Baptiste de Villèle et Sophie épousa Auguste Pajot. Henri-Paulin meurt
le 9 octobre 1800. La vraie vie de Madame Desbassayns commence alors. Elle prend deux décisions : elle ne se remariera pas et
elle ne laissera le soin à personne de gérer la propriété Desbassayns. Elle va racheter les parts de ses enfants qu'elle va rajouter en
1801 à la succession de son père. Une femme se trouvait à la tête d'une des plus grosses entreprises agricoles de France. Et avec
la nomination de son gendre de Villèle comme chef du gouvernement, le clan Desbassayns-de Villèle se retrouvait à la tête de l'Etat.
La veuve riche et puissante a accueilli tous les visiteurs de passage dans l'île ; elle leur offrait le gîte et le couvert. A ceux de
belle naissance qui voulaient s'établir, elle a offert l'embauche sur ses terres et la main d'une de ses filles.
Sa fortune s'est constituée dans un contexte économique et politique difficile : blocus de l'île, cyclones, sécheresses,
effondrement de la base caféière, révolution et conquête anglaise. Et son mérite est d'autant plus grand qu'elle a exercé des
responsabilités de chef d'entreprise à un moment où la pression sociale et le code civil de Napoléon renforçaient l'incapacité civile
des femmes. Sa réussite a reposé sur le système esclavagiste, est-ce pour cela qu'elle a été «démonisée» ? Elle qui croyait plus en
l'avenir vivrier de l'île accepta pour le bien commun de subventionner les recherches sucrières de Wetzell.
Elle meurt le 4 février 1846 à 18 heures. Deux ans plus tôt, le Pape Grégoire XVI lui adressa une lettre apostolique pour la
remercier de son soutien aux missionnaires de Bourbon. Deux ans plus tard, le 20 décembre 1848, les esclaves étaient libérés ; une
page de l'histoire de l'île était définitivement tournée. Enterrée dans un premier temps au cimetière de St-Paul, ses restes furent
transférés en 1866 à la chapelle Pointue, à St-Gilles-les-Hauts, où elle repose désormais. Cette chapelle fut détruite lors du cyclone
de 1932 puis reconstruite. Sa pierre tombale fissurée accueille aujourd'hui les visiteurs devant l'autel.
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SERVIABLE Mario, La Réunion des grands hommes, St-Denis, ARS Terres Créoles, 1996
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CHRONOLOGIE DE LA TRAITE DES NOIRS VERS
L’ILE BOURBON
1649 : Le commandant de Fort-Dauphin (Madagascar), Etienne de Flacourt prend possession de l’île au nom du
roi de France et la nomme Ile Bourbon.
1654 : L’Ile Bourbon appartient à la Compagnie des Indes Orientales. L’article XII des statuts de la Compagnie
interdit la traite vers Bourbon.
1699-1701 : Le Gouverneur de la Cour de Saulaie se fait verser 10% du prix des esclaves importés par les
pirates.
1702 : Le Gouverneur de Villiers autorise 3 navires britanniques à vendre 16 esclaves à St-Paul, chef-lieu de l’île.
1715 : Introduction de la culture du café à Bourbon ; le besoin de main d’œuvre servile se fait sentir. La traite
devient alors monopole de la Compagnie des Indes qui fait des profits considérables (300 à 400% de bénéfice par
esclave)
1724 : Le Code noir à l’usage des Mascareignes est enregistré à Saint-Paul
1725 : L’île se dote de navires spécialisés pour la traite régionale (les « vaisseaux de côte »).
1735 à 1746 : Le Gouverneur Mahé de Labourdonnais développe considérablement la traite.
1767 : L’île Bourbon est rendue par la Compagnie des Indes au Roi de France.
1794 : L’Assemblée Coloniale suspend la Traite vers l’île Bourbon rebaptisée Ile de La Réunion mais
l’interdiction n’est pas respectée.
1802 : L’Empereur Napoléon Bonaparte autorise à nouveau la traite telle qu’elle existait avant la
Révolution de 1789. L’Ile est rebaptisée Bonaparte.
1807 : Le Royaume-Uni interdit la Traite.
1810-1815 : L’île est occupée par les Anglais qui la rebaptisent Ile Bourbon.
1817 : La France interdit la traite. L’ordonnance du 8 janvier est enregistrée le 27 juillet à l’Ile Bourbon.
1832 : Dernière condamnation à Bourbon pour fait de Traite
1848: L’île est rebaptisée la Réunion. Le 20 Décembre on annonce l’abolition de l’esclavage à la Réunion .
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Un témoignage de la déportation
« On me jeta bientôt dans l'entrepont, raconte Equiano, et là mes narines furent saluées comme jamais auparavant dans ma vie :
la puanteur était si épouvantable, et il y avait tant de cris, que la nausée et l'abattement m'empêchèrent de manger quoi que ce
fût (...). / A cause du manque d'aération et de la chaleur ambiante qui venaient s'ajouter au surpeuplement du bateau et à
l'entassement des passagers, lesquels pouvaient à peine se retourner, nous faillîmes étouffer. On se mit à transpirer
abondamment, ce qui ne tarda pas à rendre l'air irrespirable (...) et répandit parmi les esclaves une maladie dont beaucoup
moururent. (...) Cette affligeante situation se trouva encore aggravée par les excoriations dues aux chaînes dont le port nous était
devenu insupportable, et par la saleté immonde des baquets de nécessité dans lesquels chutaient souvent les enfants. / (...) Les
hurlements des femmes et les gémissements des mourants faisaient de tout cela un spectacle d'horreur à peine concevable.»
Ce témoignage est cité dans un livre de Peter Hogg, intitulé Slavery : The Afro-American Experience, The British Library, 1979,
p.22.
L'auteur de ce témoignage est Olaudah Equiano, un Africain qui a été déporté par des négriers espagnols en 1756. Il est né en
1745 dans une des régions du royaume du Bénin (Nigeria actuel). Donc il était âgé de onze ans lorsqu'il fut capturé par des
membres d'une tribu rivale et qu'il fut vendu comme esclave.
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DANIEL VAXELAIRE, Chasseurs de noirs, Flammarion, 2000, pp. 68-73
EXTRAIT 1
La plupart des familles de Saint-Paul ne possédaient, à cette époque, que deux ou trois Noirs ; seuls quelques privilégiés en
comptaient plus de dix. Le maître se comportait souvent comme le père de cette petite communauté et celui qui aurait fouetté un
Noir sans raison se serait attiré l'opprobre de tout le pays.
Hélas ! Cette ère de paix n'était pas pour durer.
Je le constatai pour la première fois en 1724, l'année de mes neuf ans, le jour où Père acheta un quatrième esclave, Ovide.
Un bateau avait été signalé deux semaines plus tôt. Tout le quartier avait vite reconnu, à sa silhouette, un transport de Noirs. C'était
un trois-mâts de la Compagnie des Indes, lourd et bas sur l'eau. Il avait fait, quelques mois plus tôt, une campagne infructueuse à
Madagascar. Cette fois, il revenait de la côte orientale d'Afrique.
Au gré des escales, le vaisseau avait entassé dans ses soutes des bois précieux, du café, du grain, qui n'avaient guère laissé de
place à la centaine d'esclaves achetés au Mozambique. Ils avaient le plus souvent voyagé sur le pont, ne descendant dans les
coursives qu'aux mauvais jours. Cette exposition au grand air et la brièveté du voyage due à des vents favorables avaient limité les
pertes à quatorze individus — des femmes pour la plupart — dont les cadavres avaient alimenté les requins de l'océan Indien.
La population entière assista au débarquement de la cargaison humaine. Les adultes jaugeaient l'état des nouveaux arrivants, tandis
que nous, enfants, nous amusions des faciès curieux et des cicatrices rituelles, riant aux éclats quand un des Noirs, abasourdi, à la
descente de la chaloupe, chutait dans le ressac. Quelques habitants, plus hardis que les autres, s'approchèrent des premiers
groupes serrés sur la plage, commencèrent à tâter les musculatures, à examiner les dents...
— Patientez donc ! rugit le subrécargue du navire. La vente aura lieu après la fin de la quarantaine. Et écartez-vous de ceux-là.
Voulez-vous attraper quelque fièvre d'Afrique ?
L'avertissement porta. Les curieux reculèrent prudemment et laissèrent la file des esclaves se diriger vers le camp de quarantaine, à
l'extérieur du village.
Au cours des jours suivants, les commentaires allèrent bon train. C'était le premier bateau négrier depuis plusieurs mois et, pour une
fois, celui-ci n'avait pas relâché d'abord à l'île de France, où le meilleur des lots était régulièrement pillé par les colons de là-bas,
qu'on s'imaginait plus riches, donc fats.
Les colons de Bourbon éprouvaient une impatience légitime à la perspective de cette vente de premier choix. Certains, engraissés
par le commerce avec des navires de passage, ou par les faveurs du gouvernement, faisaient déjà sonner leurs piastres. D'autres,
propriétaires plus modestes, savaient qu'ils auraient bien du mal à se procurer la main-d'œuvre qui leur aurait permis d'étendre leurs
cultures, d'autant que des enchérisseurs accouraient chaque jour du quartier Saint-Denis, de la côte au vent, et même de la lointaine
rivière d'Abord'.
Cédant à mes prières, mon père m'emmena à l'encan. Mes frères Basile et Alexis vinrent aussi, ainsi qu'Odilon, qui possédait déjà
deux esclaves en propre et avait l'intention d'en acquérir un troisième.
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Les marchands avaient choisi pour estrade le perron d'un magasin de la Compagnie, surélevé de quelques caisses. Le
subrécargue du navire trônait sur la plus haute, tandis qu'à sa table, derrière, l'écrivain affûtait sa plume. Les Noirs étaient parqués à
l'abri des regards, derrière le magasin : il ne fallait pas que l'attente d'un beau spécimen cassât les enchères sur les individus moins
solides.
Sur la place, trop petite pour contenir la foule, les gros propriétaires s'étaient attribué les premiers rangs. Ils avaient fait apporter
des sièges pliants et s'y tenaient, vautrés à l'ombre du bâtiment. Les autres pouvaient bien attendre en plein soleil : eux, carrés dans
leur graisse et sûrs de leur fortune, parlaient haut et fort, et riaient avec une insolence affectée.
Les vendeurs d'esclaves connaissaient leur métier. On vit d'abord défiler les enfants et les femmes les plus âgées. Pour l'achat de
ceux-là, la concurrence ne serait pas bien vive et les prix guère élevés. Mais au fur et à mesure que la qualité des Noirs présentés
s'améliorerait et que leur nombre diminuerait, la fièvre ne tarderait pas à s'emparer des acheteurs, pour le plus grand bénéfice de la
Compagnie.
Père avait l'habitude de ces pratiques. Modeste possédant, il n'avait aucun intérêt à se heurter aux grosses fortunes de l'île. Il fit
l'acquisition, dès le début de la vente, d'un négrillon malingre dont personne n'avait voulu.
— Holà, Brancher ! lui cria un ami, celui-ci te coûtera plus en nourriture et en soins qu'il ne te rapportera !
Il se trompait : Ovide, deux ans plus tard, était devenu le meilleur aide de mon père.
L'affaire réglée, nous restâmes pour assister à la suite de la vente. Avec l'arrivée des femmes jeunes commença la bataille d'argent
entre les hommes du premier rang. Etait-ce, à vrai dire, une bataille ou un jeu ? S'excitant mutuellement de remarques grivoises,
ingurgitant à pleins verres le vin qu'apportaient les serviteurs, ils se levaient tour à tour, palpaient les esclaves, les examinaient
jusqu'en leurs plus secrets endroits.
Le subrécargue ne les incitait que mollement à la modération. Il savait que ces clients-là pouvaient payer bien plus que les autres ;
alors, quoi de mal s'ils tâtaient un peu la marchandise ?
Je me souviens encore de la surprise et de l’écœurement que ce spectacle fit naître en moi.
Les commentaires des enchérisseurs, prononcés d'une voix grasse, ne laissaient aucun doute sur leurs intentions futures : s'ils
flattaient les croupes fermes des Négresses, ce n'était certes pas dans le but d'évaluer leurs qualités de ménagères.
Et si quelques habitants, choqués, quittaient la place du village, la plupart avaient l'air de considérer ces pratiques comme tout à fait
normales.
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Quoi donc ? Ces hommes, dont la majorité étaient mariés, envisageaient d'user de ces Africaines ?
— Tu ne copuleras point en dehors du mariage, répétait le curé de Saint-Paul.
A neuf ans, je savais déjà depuis belle lurette que ce précepte n'était pas toujours suivi, surtout dans ce pays où le soleil échauffe
si vivement les humeurs ; mais tout de même, faire sa maîtresse d'une femme qui n'est pas consentante, qu'on a achetée comme
bétail, et noire de surcroît !
— Ils ont trop d'esclaves, maintenant, me murmura mon père. Ils en ont trop et ils ne connaissent même plus leurs noms.
Aujourd'hui encore, ils vont augmenter leur troupeau : ils en auront des vingt et des trente. Ces femmes, que tu vois là, ils vont les
consommer, puis les rejeter. Il y a dix ans encore, tu n'aurais pas assisté à cette scène. Un esclave était un homme et, même s'il
devait obéissance totale à son maître, il avait droit à une certaine forme de respect. Maintenant, pour ceux-là, les esclaves ne sont
guère plus que des portées de chiens qu'on élève ou qu'on noie, selon son bon plaisir. Que représente une fille jeune et belle de trois
cents livres, pour ce gros négociant ? Les trois cents livres, il les gagne chaque mois. Et quand il sera lassé de sa maîtresse, qu'il lui
aura donné un bâtard, futur esclave comme elle, il la jettera en pâture au plus servile de ses contremaîtres. J 'ai honte et j'ai peur...
J'ai honte d'être le compagnon de ces hommes. Dans la Bretagne de ta grand-mère, on lançait des pierres à celui qui maltraitait son
cheval ou torturait son chien. Ici, nous sommes trop lâches, nous ne disons rien. J'ai peur qu 'un jour certains de ces sauvages mis en
vente ne se souviennent de leur passé de guerre et se révoltent. Maintenant, rien qu'à Saint-Paul, il y a presque autant de Noirs que
de Blancs. Dans dix ans, ils seront plus nombreux que nous, et cette île ne sera peut-être plus le paradis qu'elle fut. Ce sera notre
faute : pourquoi, alors que Natte, Anna et Éveillé nous apportaient une aide suffisante, ai-je acheté un quatrième esclave ? Pourquoi
celui qui en a vingt en veut-il trente ? Notre avidité nous perdra tous...
Ces paroles furent prononcées il y a plus de seize ans ; pourtant elles résonnent encore dans ma mémoire. Aujourd 'hui, les gros
propriétaires n'ont plus vingt esclaves, mais deux cents ; les petits colons n'en ont toujours que deux ou trois, comme à l'époque de
mon père.
Et la crainte d'Alexandre Brancher s'est vérifiée : cette île ne sera jamais plus un paradis
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DANIEL VAXELAIRE, Chasseurs de noirs, Flammarion, 2000, pp. 100-102
EXTRAIT 2
Je pense que ce genre d'inhumanité a compté pour beaucoup dans l'aggravation des relations entre maîtres et esclaves : ne pouvant
répliquer aux mauvais traitements dont ils faisaient l'objet, les esclaves n'avaient d'autre issue que l'évasion.
Comme pour les y encourager, certains Blancs allaient même jusqu'à la provocation pure et simple, ainsi qu'on le vit dans l'histoire de
Petit-Louis. Petit-Louis était esclave de Monsieur Despeigne, à la rivière des Roches. Créole, c'est-à-dire, selon le nouveau
vocabulaire en usage sur les propriétés, issu de l'union d'une Noire et d'un Blanc, il était assez beau garçon, dit-on, et ne manquait
pas de bonnes fortunes, que ce fût dans le camp de son maître ou dans ceux des voisins. Il joua si bien son rôle de coq de village
que la fille d'un voisin vint à s'intéresser à lui. Ce genre d'événement était encore relativement fréquent à cette époque où tant de
colons métissés rappelaient les unions multiraciales de nos grands-parents.
Aujourd'hui, après les tristes événements qui ont déchiré le pays, la chose est devenue impensable, mais il y a dix ans encore, ces
écarts n'étaient pas réservés aux hommes.
Il n'était pas si rare, surtout dans les campagnes isolées, de voir une femme ou une fille de Blanc s'offrir quelques privautés avec un
bel esclave, à condition, bien sûr, que toutes les conditions fussent réunies pour que de semblables amusements ne portassent pas
leur fruit.
Catherine, chaude demoiselle qui avait déjà fait le bonheur de quelques loustics dans mon genre, et stimulée sans doute par une
envie de changement, avait donc jeté son dévolu sur le fameux Petit-Louis, qui eut l'imprudence de se prêter au jeu. Ce qui devait
arriver arriva, mais la belle, en jeune maîtresse qu'elle était, eut la prétention de jouir de l'exclusivité des hommages du créole. PetitLouis se rebiffa, peu désireux de renoncer à des conquêtes moins nobles mais peut-être plus piquantes ; Catherine menaça de le
dénoncer et de le faire punir ; finalement il prit peur et se fit marron.
Personne ne se préoccupa du marronnage de Petit-Louis, qui passait pour un garçon bien inoffensif. Le sieur Despeigne, son maître,
crut à quelque fugue amoureuse et s'épargna la déclaration officielle, s'attendant à voir, d'un jour à l'autre, réapparaître son esclave,
avec lequel – murmurait-on – il avait quelque lien de parenté. Des gardiens de troupeaux n'avaient-ils pas vu Petit-Louis errer dans
les environs de la propriété ? Ce qui se passa ensuite, nul ne l'a jamais vraiment su.
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La fugue se prolongea trois mois durant. Certains racontèrent que Petit-Louis faisait des incursions nocturnes dans le camp pour y
puiser réconfort auprès de ses compagnes favorites ; ils dirent aussi que, sans rancune, il retrouvait dans un petit bois l'ardente
Catherine, toujours aussi jalouse mais toujours passionnée.
Quelle que fût la véracité de ces ragots, un jour que Catherine faisait une promenade avec deux amies, elle leur demanda de
l'excuser un instant : elle avait quelque chose à faire dans le petit bois. Petit-Louis l'y attendait, sans doute pour un de ces rendezvous amoureux:
Mais, au lieu de caresses, les deux amants échangèrent des mots. Quelques minutes après, les deux compagnes de Catherine, qui
'
n avaient rien suivi de la scène, furent attirées par des cris.
Elles découvrirent en arrivant dans le bois un curieux spectacle : hurlant à perdre haleine, Catherine retenait à pleines mains le
malheureux Petit-Louis, si bien attrapé et par un si malencontreux endroit qu'il ne pouvait esquisser le moindre geste de fuite !
Les appels des jeunes filles attirèrent des hommes. Catherine parla très vite de tentative de viol, accusation accréditée par le
désordre de sa toilette ainsi que la curieuse tenue de son agresseur présumé. Malgré son inconduite notoire, la parole de la fille d'un
maître ne pouvait être mise en doute : Petit-Louis fut sommairement jugé, et, bien sûr, condamné.
Un matin, à Saint-Denis, il subit son supplice. Le bourreau lui trancha les deux poings à la hache, avant de le pendre lentement
selon la coutume : on tendait la corde avant de repousser, d 'un coup de pied, l'échafaudage, afin que les vertèbres ne se brisent pas
par une trop brusque secousse.
Petit-Louis agita longtemps ses moignons sanglants avant que ses yeux ne se révulsent dans ses orbites bleuies. Quand il fut bien
raide, on fit brûler son cadavre et les cendres furent dispersées au vent...
Le lendemain, trois esclaves s'enfuyaient de chez le sieur Despeigne, et cinq autres de chez ses voisins. Il y eut même des
rumeurs de révolte.
Ainsi la cruauté et l'inconscience de certains maîtres renforcèrent l'insoumission. Et ceux-là, sans le savoir, allaient me donner un
métier.
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DANIEL VAXELAIRE, Chasseurs de noirs, Flammarion, 2000, pp. 157-160.
EXTRAIT 3
Le jour se levait vite. Bientôt, nous pûmes, de notre position dominante, observer l'arrangement du camp : les cases étaient
dispersées près des arbres, et il y en avait probablement d'autres dans la forêt. Balthazar me désigna, en arrière du bosquet, une
ligne de falaises à demi cachées : là, il y avait des grottes. J'étais consterné : le village devait abriter au moins une cinquantaine de
Noirs, sans compter les enfants ! Une véritable colonie !
Soudain, un coup de feu retentit de la ligne amont des soldats, loin de nous, de l'autre côté des falaises. Ces diables d'ivrognes
'
n avaient pas eu la patience d'attendre mon signal ! En un instant, le camp se mit à grouiller comme une fourmilière : des femmes
couraient vers les Bas en hurlant, mamelles ballotantes, attrapant leur enfant par un bras et filant à toutes jambes en serrant leur
pagne dans leur dos ; des hommes se tenaient cois, tendus, sagaie au poing, à chercher d'où était partie la détonation.
Une salve accueillit en aval les premiers fuyards, leur coupant la route vers les pentes et la grande forêt. Je vis quelques corps
'
s effondrer, d'autres s'aplatir derrière des rochers. Et puis je n'eus plus le loisir d'observer : un groupe d'une dizaine de Noirs,
hommes, femmes et enfants fonçait vers le piton. Je visai l'un des hommes de tête, un grand Nègre rouge armé d'une pierre. La
crosse me cogna durement l'épaule. Quand la fumée se dissipa, le groupe avait disparu. Je rechargeai et me levai prudemment. Une
silhouette jaillit d'un buisson à vingt pas. Je tirai au jugé, en même temps qu'un autre derrière moi. L'ombre culbuta dans un trou,
sans que je pusse distinguer si c'était un homme ou une femme.
Je rechargeai et tirai à nouveau. On ne voyait plus rien bouger à l'intérieur du cercle fumant de nos fusils. Tous ces gens étaient-ils
hors de combat ? Nous n'avions pas prévu une telle éventualité dans nos plans de bataille de la veille. Après quelques minutes d'un
silencieux qui-vive, les hommes se levèrent lentement un à un et s'avancèrent vers le camp.
Dès les premiers pas, je compris notre erreur. Avant que nous ayons pu esquisser le moindre geste, un Noir que nous tenions pour
mort bondit sur ses pieds et fila entre nos rangs. J'épaulai, suivant du canon sa course effrénée. Mais, sur le point de tirer, je vis un
Bourbonnais se profiler dans ma mire. Et quand vint l'instant de lâcher mon coup sans risquer de toucher l'un des nôtres, l'homme
était déjà hors de portée. Notre gibier nous avait joués !
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Les soldats, eux aussi, avaient été pris de court par des ruses de ce genre. Trois d'entre eux furent assez grièvement blessés par
des sagaies lancées par de faux morts. Notre tableau de chasse se limitait finalement à huit tués et cinq prisonniers, dont quatre
femmes et un enfant à la mamelle. Piètre butin, pour une troupe forte de vingt-quatre fantassins et six miliciens de Bourbon !
Je me jurai bien de ne plus jamais repartir en chasse avec ces soi-disant soldats ; seul, avec mes cinq compagnons, nous aurions
fait mieux : il fallait ramper beaucoup plus près du village, rester à l'affût après les premiers coups de feu, et abattre tout ce qui
bougeait. Personne n'aurait pu fuir du camp ainsi cerné, et les survivants eussent été obligés de se constituer prisonniers. La prime
aurait été meilleure, et nous aurions été moins nombreux à la partager. .
Notre expédition était tout de même un succès. Pour la première fois, on frappait ces grands marrons dans un de leurs repaires. Je
laissai aux soldats le soin de couper les mains droites des morts : elles serviraient de justificatifs pour notre paiement et, clouées à
un poteau sur la Grand-Place de Saint-Paul, dissuaderaient les autres esclaves de se faire marrons.
Je m'intéressai plutôt aux prisonniers. L'un d'entre eux, muscles de fer et regard de feu, cracha par terre avec mépris, quand il vit
Balthazar attaché à mes pas. Il refusa de répondre à mes questions, mais une de ses compagnes me révéla que c'était un Noir
malgache, marron depuis plus de quatre ans ; il avait abandonné le nom de baptême chrétien que lui avait donné son ancien maître
pour reprendre son nom de sauvage : Randiane.
Une autre prisonnière m'apprit que ce Randiane avait dirigé plusieurs descentes vers des habitations de la côte et qu'il avait luimême plongé sa panga dans la gorge d'un Blanc. Les femmes étaient les compagnes plus ou moins volontaires de ce Malgache et
de ses amis. L'une d'elles se jeta aux pieds du sergent, lui expliquant qu'elle avait été enlevée au cours d'une expédition et qu'elle
avait dû suivre ses ravisseurs contre son gré ; depuis, elle subissait sans pouvoir protester leurs coups et leurs outrages. La pratique
était assez courante pour qu'on lui fit crédit, mais le sergent ne voulait prendre aucun risque et il lui fit entraver les jambes, comme
aux autres.
Un bébé hurlait dans les bras d'une autre des femmes. Benjamin, la questionnant dans sa langue, m 'apprit
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qu'elle n'était pas sa mère et que cette dernière, indigne, s'était enfuie dans la forêt. J'ordonnai à la jeune fille de s'occuper au mieux
de l'enfant, et d'essayer de lui faire ingurgiter quelque nourriture. Mais, bien que convenablement gonflés en apparence, ses seins
restaient secs.
Nous restâmes au camp toute la journée. Nous avions beaucoup à faire : détruire toutes les ajoupas, mettre le feu aux paillasses,
arracher les plantations et disperser les graines, briser les ustensiles et emporter les outils ; enfin, ne rien laisser qui pût servir à
d'autres marrons.
Par prudence, nous passâmes la nuit fortifiés au sommet du Piton Rouge, prêts à repousser toute contre-attaque des Noirs. Mais
ils n'osèrent pas se frotter à nos fusils ni cette nuit-là, ni le lendemain, lorsque nous prîmes le chemin du retour.
Au milieu du premier jour de marche, le bébé mourut. Nous l'enterrâmes au pied d'une souche, dans la forêt. Sans lui couper le
poignet : il n'y avait pas de prime pour les enfants.
Et le matin du jour suivant, nous entrâmes triomphants dans Saint-Paul, avec nos prisonniers, les trophées pendant aux sacs des
soldats.
C'est au sergent, chef de l'expédition, que revenait l'honneur de faire le récit de la chasse. Il s'en acquitta rapidement. Mais mes
compagnons vantèrent si bien mes mérites, s'extasiant sur mon savoir-faire et mon audace, que l'on me pria de faire savoir ce que je
souhaitais pour récompense. Je demandai Balthazar.
On n'accéda que partiellement à ma demande : Balthazar resterait au service de la Compagnie tout le temps que nous serions à
Saint-Paul ; mais il me serait attaché lors des expéditions contre les marrons. Si je faisais d'autres prises, me dit le greffier du
Conseil, je deviendrais peut-être propriétaire de Balthazar à part entière.
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DANIEL VAXELAIRE, Chasseurs de noirs, Flammarion, 2000, pp. 165-166
EXTRAIT 4
Dès que j'ai su que Balthazar m'appartenait pour moitié, je suis allé le quérir à la prison, pour l'interroger à loisir. Je lui ai surtout
posé des questions sur les grands chefs marrons. Il a confirmé ce que je pensais déjà : plus à l'intérieur des terres se trouvent de
grands villages, beaucoup mieux protégés et défendus que le camp du Piton Rouge, dont certains ont plusieurs centaines
d'habitants. Les marrons de ces villages ont élu des rois, anciens esclaves qui, comme Randiane, ont repris leur nom d'origine ou se
sont donné des noms de guerre. Balthazar m'a parlé de Cotte, Cimendef, Mafate, Dimitile...
Tous ne s'entendent pas, car il y a des rivalités entre Africains et Malgaches. Cotte et les siens résident, paraît-il, au haut du Pays
Brûlé, près de la Fournaise. Cimendef contrôle une véritable forteresse dans le cirque de montagne situé en haut de la rivière SaintÉtienne ; on dit qu'il la fait appeler « Tsilaosa », « l'endroit d'où personne ne revient ». Mafate et Dimitile se partagent les hauts de la
rivière des Galets ; et c'est sans doute le feu d'un de leurs camps que j'avais aperçu il y a quelques années, le jour où j'étais monté
avec mes cousins jusqu'au bord du rempart rocheux qui domine cette région.
Ces rois-là dirigent les grandes descentes. Les petits chefs comme Randiane ne sont que leurs lieutenants. Balthazar m'a expliqué
qu'ils attaquent les propriétés pour y voler des graines, des armes et des femmes. Trois priorités : le ventre, la guerre et le sexe.
Dans quelques années, disent-ils, ils seront assez forts pour s'unir en armée et, aidés par les esclaves de la côte qui se révolteront
en masse, ils massacreront et jetteront à la mer tous les Blancs de l'île. Ils se préparent en secret. Ils ont fait exécuter les auteurs
des derniers massacres de colons car ils ont peur qu'on lance contre eux de grandes expéditions de représailles ; il leur faut encore
du temps.
Dommage pour eux que Monsieur de La Bourdonnais soit venu par chez nous. Sans lui, nous nous serions contentés de renforcer
la protection des habitations les plus isolées et nous serions restés, tranquilles et innocents, derrière nos palissades de la côte,
tandis qu'au-dessus de nos terres grossissait la menace.
Depuis notre victoire du Piton Rouge, les rois marrons doivent être inquiets. Savent-ils qu'un des leurs a trahi et me livre maintenant
les secrets de leurs cachettes ? Qu'ils le sachent ou non, notre voie est tracée : il y a des territoires à reconquérir et des couronnes à
renverser. Nous devons frapper les premiers.
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J'ai aussi demandé à Balthazar des nouvelles des esclaves, hommes et femmes, faits prisonniers par les marrons lors de leurs
descentes.
La plupart se rallient aux révoltés, m'a-t-il dit, mais d'autres n'attendent que le moment de s'enfuir pour retourner chez leurs anciens
maîtres.
Il faut dire que la vie dans les montagnes est plus âpre que celle qu'ils ont connue sur les habitations. Là-haut, on dort sur la terre, à
'
l abri de quelques branches, on ne mange chaud que rarement : il ne faut pas attirer l'attention par les feux. Disparues, les pièces de
tissu que donne le maître à chaque Noël : quand les vêtements ont été déchirés par les fourrés, les marrons vivent nus ou presque,
à moins qu'ils aient pu tanner la peau de quelque cabri. Mais celui qui a palpé un cuir mal assoupli sait ce que ce contact a de
rugueux, à même la chair. Ils ont froid et ils ont faim ; ils sont rongés de vermine et leurs enfants meurent en grand nombre.
Cependant, leur vie est moins misérable dans les grands camps qui possèdent des sources permanentes, des cases solides ou des
grottes, et où ils ont des potagers et de la volaille pour pitance.
Je comprends que certains esclaves, marrons contre leur gré, n'aient d'autre envie que redescendre vers la côte, où la captivité est
aussi sécurité. Mais je comprends également que la haine des autres se forge et se renforce à la dureté de cette vie. Nos grandsparents aussi étaient seuls et démunis dans une nature vierge, et l 'adversité leur avait trempé le caractère et la volonté. Pourtant, ils
vivaient dans le climat serein de la côte, environnés de verdure et de gibier abondants ; et surtout personne ne leur faisait la guerre.
Je commence à imaginer quelle espèce d'hommes vit là-haut, derrière le sommet des montagnes, et quels ennemis j'aurai à
affronter
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DANIEL VAXELAIRE, Chasseurs de noirs, Flammarion, 2000, pp. 167-170.
EXTRAIT 5
18 décembre 1735.
Le Conseil vient de rendre son verdict concernant Randiane, le marron que nous avons capturé. Les interrogatoires ont été longs.
Mes compagnons et moi-même avons été souvent appelés comme témoins, ce qui a entravé nos préparatifs d'une nouvelle
expédition.
Les méthodes douces et les méthodes dures, et même la torture, n'ont servi à rien : Randiane n'a pas pipé mot, et comme
personne n'a reconnu son visage, nous ne savons même pas de qui il était jadis l'esclave. Il semble que cet homme est marron
depuis de longues années.
En fait, le procès a surtout été l'occasion, pour le Conseil et les personnages les plus importants de l'île, de réunir des informations
sur les Noirs de la montagne et sur notre expédition de chasse. (…)
S'il s'était montré coopératif, Randiane aurait peut-être été simplement pendu. Mais le Conseil a décidé un châtiment exemplaire,
vu l'entêtement de ce criminel.
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21 décembre 1735.
Randiane est mort hier. Il a été conduit sur la place vers le milieu de l'après-midi, à l'heure où tout le monde est rentré des
champs. Il faisait gris et une pluie fine s'est mise à tomber, grésillant sur le foyer du bourreau. J'aurais aimé éviter ce spectacle mais,
en tant que chasseur, on m'avait placé au premier rang, à quelques pas du condamné.
L'exécuteur est arrivé tête nue. On dit qu'en France ces hommes ont le visage caché par une cagoule. Ce serait bien inutile ici,
dans une ville de quelques centaines d'âmes où chacun connaît les faits et gestes de son prochain. D'ailleurs, sa fonction de
bourreau ne porte pas préjudice à notre concitoyen ; il est des honneurs nécessaires. Tout au plus use-t-on de son nom pour effrayer
les enfants désobéissants.
Deux fers chauffaient sur les braises. Deux fleurs de lys.
Randiane devait être marqué sur les deux épaules, avait dit le Conseil. On avait donc pris deux fers, afin que la seconde marque
ne fût pas moins brûlante que la première.
Ses gardiens ont bousculé le grand Noir, l'ont forcé à s'agenouiller. Il est tombé juste en face de moi, les yeux rivés aux miens.
'
C est à peine s'il a cillé quand le fer s'est soudé à sa chair, fumant et crépitant.
Chose étrange, alors qu'il y a trois jours tout le monde avait applaudi à l'annonce du verdict, personne n'a dit mot ce matin autour
de la place. Pourtant ce chef marron avait dirigé des attaques meurtrières, et chacun connaît dans sa famille ou son entourage des
victimes de descentes, torturées et massacrées, retrouvées horriblement mutilées. Mais c'est une chose de crier sa haine contre un
assassin et c'en est une autre de le voir mourir à petit feu devant soi. Même moi qui ai tiré sur des hommes et des femmes, qui en ai
tué plusieurs, et qui ai connu le goût sauvage des chasses à l'homme victorieuses, j'ai senti comme un frisson me parcourir, sous le
regard fixe du supplicié.
On l'a brutalement arraché à sa torpeur pour le lier face au tamarinier, le nez contre les mains coupées de ses compagnons. Et
deux esclaves, aidés du bourreau, ont commencé à le frapper. J'avais déjà vu punir des voleurs de quelques coups de fouet, mais je
n'avais jamais vu flageller quelqu'un à mort.
Les premiers coups n'ont pas marqué la chair élastique, mais bientôt nous avons vu l'épiderme se boursoufler puis se crevasser,
et les premières gouttes de sang suinter. Les deux exécutants transpiraient, alternant leurs gestes, croisant les lanières de cuir sur le
dos nu.
Au début, l'homme n'a pas desserré les mâchoires. Il avait la tête tournée dans notre direction, la joue contre l'écorce rugueuse de
'
l arbre. Pour ne pas voir les mains coupées, il avait fermé les yeux. Il a gardé longtemps la bouche close, retenant son souffle, je
pense. Mais bientôt ses lèvres se sont ouvertes pour laisser échapper, non des cris, mais un soupir violent et rauque, comme un «
han ! » de bûcheron, à chaque fois que le fouet frappait.
Les coups ont succédé aux coups. Bientôt ils n'ont plus claqué mais ont rendu un son mat sur la chair en bouillie.
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Les jarrets de Randiane ont faibli et j'ai vu les liens tirer plus fort sur ses poignets, forcer ses mains à s'ouvrir jusqu'à ressembler
aux mains mortes de ses compagnons.
Enfin le bourreau a ordonné de suspendre le châtiment. Plus de quatre-vingts coups avaient été donnés, et le supplicié devait être
presque mort. Le verdict était de tuer l'homme au fouet, puis de suspendre son corps à une branche de l'arbre, mais le bourreau, qui
semblait lui-même lassé de cette boucherie, voulait abréger l'exécution : pendre un homme évanoui ou pendre un cadavre, la
différence n'est pas considérable. Les membres du Conseil, assis à mes côtés, n'étaient pas dupes mais ils ne diraient rien si les
apparences étaient sauves : eux aussi étaient mal à l'aise et avaient hâte de quitter cette place, son odeur fade de sang, de sueur et
de poussière.
Mais au moment où on allait le détacher de l'arbre, Randiane a ouvert les yeux, et détourné légèrement la tête jusqu'à me faire
face. Il m'a regardé. Et pas plus que lorsqu'on le marquait au fer, je n'ai pu m'arracher à cet affreux face-à-face.
Chacun, sur la place, avait pu constater qu'il était encore vivant ; plus question donc de clémence et de pendaison anticipée. Les
coups de fouet ont repris, monotones, écœurants. L'homme ne criait plus, ne bougeait plus ; il gardait simplement les yeux grands
ouverts sur moi. Et nous attendions tous que cela finisse, que la mort nous libère de cette fascination.
Je n'ai pas vu le regard se ternir, mais j'ai su, à un moment, que j'avais les yeux dans les yeux d'un mort. Le bourreau l'a compris
presque au même instant que moi. D'un geste il a fait cesser les coups.
Le reste s'est passé très vite. Tandis que deux esclaves soutenaient Randiane par les aisselles, se souillant de sang et de chair
poisseuse, et de toutes les humeurs empestées que son corps avait lâchées durant le supplice, le bourreau lui a glissé la corde au
cou, l'a halé par dessus la branche.
La vue du cadavre flasque, pendant et tournant lamentablement sous la verdure du tamarinier, nous a tous arrachés à notre
silence morbide. Des cris et des applaudissements ont éclaté derrière moi ; et il y eut même des enfants assez hardis pour venir
pousser les pieds du Noir mort, et le faire se balancer. Tous parlaient plus haut que de coutume, en laissant éclater une joie
démesurée, comme si la mort d'un marron allait exorciser le démon qui habitait tous les autres.
Je devais passer chez Geneviève ce soir-là : je n'en ai pas eu le cœur et je suis rentré directement ici. Je ne peux m'empêcher de
penser au supplicié. S'il avait été dans la mire de mon fusil, au Piton Rouge, j'aurais tiré sans hésiter. Il serait mort sans agonie.
27 décembre 1735.
Nous avons fêté la Noël pour la première fois dans notre maison du Boucan. Toute la famille s'était rassemblée sous notre
varangue. A la nuit, nous avons fait le chemin jusqu'à Saint-Paul, à la lueur des torches. L'église était comble pour la messe de
minuit. Le curé a demandé à Dieu de nous apporter la paix, et de nous aider à vaincre nos ennemis.
Un de mes voisins, qui avait entendu de loin la messe des Noirs, dans l'après-midi, m'a dit que le prêtre avait beaucoup parlé des
marrons à ses Ouailles esclaves. Il leur a dit que ces révoltés sont habités par le Diable, et que c'est se vouer à l'enfer que les
suivre. Il a dit aussi que ceux qui dénonceraient des marrons seraient récompensés non seulement par les hommes, mais par Dieu,
qui les accueillerait en son Paradis. Ce discours a produit, au dire de mon voisin, beaucoup d'effet. C'est à la suite d'un tel prêche
qu'au quartier Saint-Denis, il y a quelques années, des esclaves ont dénoncé des comploteurs – par crainte du châtiment divin.
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DANIEL VAXELAIRE, Chasseurs de noirs, Flammarion, 2000, pp. 198-199.
EXTRAIT 6
Je me souviens de ce jour de 1737 où nous étions parvenus par surprise au sommet d 'un piton aux pentes fort raides dans le
cirque de la rivière des Galets. C'était ce même piton d'où j'avais vu sortir, des années plus tôt, une fumée. Au fil des chasses, nous
avions affiné notre tactique. Nous avions pris l'habitude de ramper sur les coudes, notre arme attachée dans le dos. Nous savions
nous laisser rouler dans les fossés sans déplacer un caillou et les oiseaux ne s 'envolaient même plus, quand nous traversions les
buissons où ils nichaient. Nous avançâmes en silence, dépassant les premières cases et leurs occupants endormis, garrottant
quelques hommes avant même qu'ils aient pu bouger. Et quand quelqu'un enfin cria l'alerte, les marrons, pris entre nous et le bord
du plateau qui donnait sur un précipice de plusieurs centaines de toises, n'eurent d'autre issue que se rendre.
Eh bien ce jour-là j'ai vu ce que peut produire le courage quand il s'allie au désespoir. J'ai vu des hommes se lever et tenter une
charge folle à mains nues vers nous, jusqu'à ce que nos fusils les clouent sur place. J 'ai vu des femmes, des enfants, des vieillards
se ruer vers le vide, rouler follement sur les pentes nues et s'abîmer dans le gouffre, où leurs cris résonnaient, lugubres, avant de
s'éteindre. Et j'ai vu Balthazar interrompre sa besogne devant cet affreux spectacle et, le fusil encore chaud, se tourner face au talus
et s'effondrer en pleurant. Nous avions fait ce jour-là une vingtaine de prisonniers, et repartîmes avec les mains de huit morts ; le
chemin du retour nous faisait longer la rivière, au pied de la montagne à la tête plate. Sur les rochers s 'étalaient, dans des postures
incongrues, les cadavres de ceux qui avaient préféré mourir en se jetant des hauteurs.
Chaque mort valait ses cent cinquante livres : il y en avait bien quinze. Mais aucun de nous n'eut le cœur d'aller trancher les mains.
Et, pour la première fois, Saint-Paul ne nous entendit pas rentrer en chantant.
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Bibliographie complémentaire :
LA TRAITE NÉGRIÈRE , La Documentation Photographique , numéro
8032
DANIEL VAXELAIRE. Vingt-et-un jours d’histoire . Orphie.2005
Manuel, scolaire d’histoire, Hatier, Lycée, programme pour la Réunion .
2003
Manuel scolaire d’histoire , Hatier , classe de troisième , programme
scolaire pour la Réunion, 2000
DANIEL VAXELAIRE, Chasseurs de noirs, Flammarion, 2000
BOURGEON, Les passagers du vent T 3,T 4 , T 5 , Casterman,1995
THEODORE CANOT, Confessions d’un négrier, édition Phébus, 2008
AMISTAD, dvd, film de Steven Spielberg , 1997
ABÉCÉDAIRE de l'esclavage des Noirs,
Gilles GAUVIN • Éditions Dapper • Sept.
2007 • ISBN 978-2-9152-58-21-9 • 13,00 €.
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