Un lévrier utilisé pour la chasse puis martyrisé et tué

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SUDPRESSE
l SOPHIE KIP
SEVILLE - HANNUT
Ces chiens-là ont connu
mais dans les cœurs de ceux qui
l’enfer et en sont revenus.
sont rassemblés ici, une petite
Ils ont parfois le corps et l’âme un trentaine de personnes, il fait sopeu cabossés mais le cœur est
leil. Aujourd’hui c’est le grand
intact. Malgré ce qu’ils ont vécu,
jour. Le jour où ils vont, enfin,
là-bas, en Espagne ; malgré la
pouvoir toucher, caresser, serrer
haine, les coups, les mauvais
dans leurs bras ce lévrier espatraitements, ils sont
gnol, ce galgo arraché à
toujours capables de
un sort peu enviable,
On
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les galgos. Nous
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sommes allés
pagnon de vie
accueillir Nutella,
Aura, Leon, David,
CHALLENGE
Luisito, Lucia et les autres à
Patricia Colomberotto,
leur arrivée en Belgique.
présidente de l’association Galgos
Reportage.
Rescue Belgium (lire ci-dessous),
Samedi, 8 heures du mat, au
centre d’éducation canine de Hannut. La pluie et la grisaille tentent
d’empêcher le jour de se lever
accueille chacun des nouveaux arrivants. Ses précieux acolytes, Sandra, François, Karine et les autres,
Françoise et ses petits-enfants
attendent impatiemment leur
petite Liby.
l SOPHIE KIP
DIMANCHE 2 FÉVRIER 2014
galgos r
Grâce à l’association Galgos
Rescue Belgium, la vie de
ces lévriers espagnols ne
sera plus jamais la même...
s’affairent. Les adoptants, Patricia les connaît tous. C’est qu’on
n’adopte pas un chien, même
pour lui sauver la mise,
comme on achèterait une
paire de chaussures. « Faire
adopter un chien, c’est toujours
un challenge », concède Patricia. Qui, avec son association,
tente, inlassablement, de faire
se rencontrer les intérêts des
uns et de l’autre. D’abord en
testant les chiens, là-bas, en
Espagne, dans les installations de la Fondation Benjamin Mehnert, avec qui les
Belges travaillent. Et puis en
sondant les candidats à
l’adoption. Sans rien d’intrusif, ce n’est pas le genre de la
présidente, juste pour pouvoir cerner au plus juste les
attentes.
Et ça fonctionne ! Ils sont
nombreux ceux qui, après
avoir tenté l’aventure du galgo un
jour, reviennent aujourd’hui
chercher un second compagnon.
Comme Cathy et Laurent. Eux,
ils viennent de Montigny-leTilleul. Ils évoquent avec chaleur
Catalpa, leur première galga.
« Nous voulions depuis longtemps adopter un chien. Mais
nous travaillons dans la reconstitution médiévale et il nous fallait un compagnon qui cadre
avec le décor. » Au fil des sites,
ils vont tomber sur celui de
Galgos Rescue Belgium. Les lévriers
espagnols
correspondent parfaitement au profil recherché. Cathy se remémore la longue attente, l’impatience, l’émotion… Un an
et demi plus tard, les revoici.
Ils attendent Nutella. « On
avait l’impression que Catalpa
Liby, une petite podenca au poil hirsute, atterrit dans les
bras de Françoise.
Une
cinquième
adoption ! « J’ai déjà
quatre galgos », précise la Hannutoise,
ravie par sa nouvelle
conquête. « Cette fois,
j‘ai pris une podenca,
c’est plus petit… » Flanquée de ses petits-enfants, venus eux aussi
accueillir leur nouvelle copine, Françoise
emmène Liby rejoindre ses congénères
dans le « carré pipi ».
EFFERVESCENCE
s’ennuyait un peu, toute seule », explique Cathy. « Et puis on a vu Nutella sur le site. Un vrai coup de
cœur ! Ses yeux… »
OUBLIER LE PASSÉ
Alors les voici, ici à Hannut, l’impatience au cœur. Et quand on
leur demande s’ils savent ce qu’a
vécu leur future compagne,
Laurent tranche, sèchement :
« L’histoire qu’elle a vécue est sans
importance. C’est l’histoire qu’elle
va vivre qui est la plus intéressante. »
L‘heure tourne… De plus en plus
souvent, les yeux cherchent l’horloge murale. Patricia, impatiente,
un peu inquiète, ne lâche pas son
GSM, redoutant qu’il ne sonne.
Elle a peu dormi cette nuit : c’est
qu’il peut s’en passer des choses
sur les 2.700 km entre les envi-
Patricia Colomberotto ne cache
pas son émotion. Ces chiens, ce
sont un peu les siens.
l S. KIP
rons de Séville et Hannut. Et puis,
enfin, les voici. La grosse camionnette rose s’arrête sur le parking
du club d’éducation canine de
Hannut. Isabella, la directrice du
refuge espagnol, distribue des
« Holà » à la ronde. Les chiens
passent une truffe inquisitrice à
travers le grillage de leurs cages.
« Où sommes-nous ? Qui sont ces
gens ? Pourquoi fait-il si froid ici ? »,
semblent-ils se demander. Chacun
porte autour du cou un collier à
son nom. « Pandora », « Dulcinea »,
« Maura »… À chaque nom, un
adoptant s’approche, parfois les
larmes aux yeux. À l‘intérieur de
la camionnette, des voix s’élèvent :
celles des chiens qui n’ont pas encore été délivrés et qui protestent.
En pratique
Un lévrier utilisé pour la
chasse puis martyrisé et tué
chasse au sens premier du
terme », explique Patricia Colomberotto. « Les galgueros (chasseurs qui utilisent le galgo), ne
chassent pas pour manger. Ils
chassent pour comparer les mérites de leurs chiens. » Les galgueros amènent donc deux chiens
et un lièvre en terrain découvert
et lâchent le tout. Cette chasse
est à configuration variable et le
gagnant n’est pas forcément le
plus rapide ou celui qui s’empare de la proie. Selon les critères, fluctuants, il peut s’agir
du galgo qui a la course la plus
esthétique ou de celui qui
« vole » littéralement dans un
dernier bond sur le lièvre. « Certains de ces chiens ont les dents limées », précise Patricia. « Pour
éviter qu’ils n’abîment le lièvre. »
Les vainqueurs ont la vie sauve.
CATHY MATHOT
INFOS
PORTRAIT
Grand, fin, racé comme un pursang, le galgo a, comme la plupart des lévriers, l’allure d’un
aristocrate. Pourtant, dans son
pays d’origine, l’Espagne, il est
traité en paria. il n’a pas de statut, juste un métier, chasseur de
lièvre. « Mais il ne s’agit pas d’une
Dans la buvette, c‘est
l’effervescence. Petit à
petit, les chiens se détendent. Des truffes inquisitrices cherchent les
mains porteuses de biscuits. Une
grande galga, à demi affalée sur
les genoux de sa nouvelle copine
humaine, observe toute cette agitation dans le calme. Dans le fond
de la salle, Karine, la vétérinaire,
donne les dernières consignes aux
adoptants d‘une jolie chienne qui
a été stérilisée la semaine précédente. Les colliers en plastique du
refuge laissent la place à d’autres,
plus smart, parfois même couverts de strass. Et puis, un par un,
les chiens s’en vont vers leur nouvelle vie. Patricia en serre certains
dans ses bras, cœur à cœur sans
paroles que les chiens comprennent. Ils savent ce qu’elle leur
dit en secret et que l’on pourrait
résumer par « Bonne chance, mon
ami ». l
Quant aux autres… « Pour les Espagnols », précise Patricia, « le
galgo n’est nullement un compagnon, c’est un outil de travail. Et
quand on parle avec les anciens »,
poursuit-elle, « certains nous
citent cette vieille croyance qui
veut qu’au plus un galgo aura été
maltraité, au plus atroce aura été
sa mort, meilleur sera celui qui
lui succédera. » Inimaginable et
pourtant…
IMAGES TERRIBLES
Pourtant, ce petit bout de
femme qui a tenté quelques incursions dans le milieu, très fermé, des galgueros parfois au péril de sa propre intégrité physique, en ramène des images terribles. Comme celle de ce jeune
enfant, à genoux sur une petite
galga qui ne lui avait rien fait,
en train de la frapper à coups de
poing. Un enfant ! Pour l’anecdote, cette fois-là, Patricia est repartie avec la petite chienne
dans le coffre de sa voiture.
Au terme de la saison de chasse,
les galgos deviennent des
bouches inutiles. Dont on se dé-
barrasse parfois « proprement »,
en se contentant de les abandonner, parfois en les torturant de
toutes les manières possibles et
imaginables : chiens battus à
mort, pendus, brûlés… Et puis il y
a ce jeu idiot qui consiste à lâcher
des galgos au milieu d’une voie
rapide et à les regarder se faire
tamponner par les voitures…
SAGESSE
Comment peut-on refuser à ces
chiens le statut d’êtres vivants,
rester insensible à leur souffrance, ne pas être touché par la
totale incompréhension qui se lit
dans leurs yeux ? Comment peuton infliger de telles souffrances à
un autre être vivant ? Patricia
l’avoue, elle ne peut le comprendre. Ni l’accepter. Mais, si
souvent les larmes lui montent
aux yeux, elle se refuse à toute réaction épidermique. « Parce qu’on
n’arrête pas la violence par la violence », dit-elle avec ce mélange de
sagesse et de dignité qui force l’admiration.
Face à la haine, elle prône le dialogue, l’information, l’éducation.
Un voyage de 2.700 km pour
découvrir, enfin, que l’humain
peut être bon.
l SOPHIE KIP
Un travail de fond effectué sur
place et qui vise la jeune génération. Un travail dont elle sait
qu’elle ne verra jamais le bout
mais dont elle espère qu’il portera un jour ses fruits. Pour qu’un
jour plus aucun gamin de galguero ne finisse à genoux sur le
chien qu’il est en train de massacrer de ses petits poings fermés.
Et puis, il y a cette coopération
avec la Fondation Benjamin Mehnert, là-bas, en Andalousie. Il y a
les soins que, via l’association, la
vétérinaire Karine Huynen va
prodiguer sur place une fois par
mois, il y a les colis de nourriture, les médicaments, que son
association fournit au refuge
espagnol. Il y a ces bénévoles qui
font du travail d’information aux
quatre coins de la Belgique. Et
puis il y a les adoptions : 105
chiens adoptés en 2013 via Galgos Rescue Belgium. « Une goutte
d’eau dans la mer », admet Patricia qui pointe les 60.000 galgos
en souffrance que produit
chaque année l’Andalousie. Mais
pour ces 105 chiens auquel est
enfin reconnu le statut d’êtres vivants, pour ces 105 chiens sortis
de l’enfer, cette petite goutte,
c‘est la vie, c’est tout ! Alors Patricia et son équipe continuent. Modestement, dignement, opiniâtrement. l
C.MATH.
Les chiens qui arrivent au refuge de la
fondation Benjamin Mehnert, en Espagne (pour la petite histoire, Benjamin était le chien de la fondatrice de
ce refuge, Gisela Mehnert, qui lui a
dédié son action en faveur des galgos) subissent d’abord un bilan sérologique complet. En clair, une prise de
sang permettra d’établir, ou non,
l’existence de maladies méditerranéennes, principalement parasitaires
et de juger de l’état de santé du
chien.
La majorité de ces chiens sont des
galgos mais il y a aussi des podencos,
plus petits, ainsi que quelques représentants d’autres races. Car comment
voler au secours des uns sans se préoccuper des autres ?
Les chiens seront tous stérilisés et
identifiés. Ils ne quitteront le refuge
que munis des documents sanitaires
indispensables pour passer les frontières. Avant d’être confiés aux familles d’adoptants, ils auront également subi une évaluation psychologique afin de permettre à l’association de se faire une idée de leur
personnalité et de ne pas confier à
une famille un chien qui ne leur
conviendrait pas.
Le prix de l’adoption s’élève à 250 euros auxquels il faut ajouter 16 euros
pour l’identification auprès de l’Abiec.
À NOTER Toutes ces infos et bien d’autres
sont disponibles sur le site de l’association :
www.galgosrescuebelgium.be
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