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RONSARD, EXTRAITS
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Quand au premier[1] la Dame que j’adore,
Ni de son chef le tresor crépelu[1],
De ces beautés vint embellir les cieus,
Ni de sa joue une & l’autre fossette
Le Fils de Rhée[2] apella tous les Dieus,
Ni l’embonpoint de sa gorge grassette,
Pour faire encor d’elle une autre Pandore.
Ni son menton rondement fosselu[2],
Lors Apollin richement la decore,
Ni son bel œil, que les miens ont voulu
Or, de ses rais[3] lui façonnant les yeus,
Choisir pour prince à mon ame sugette,
Or, lui donnant son chant melodieux,
Ni son beau sein, dont l’Archerot[3] me gette
Or, son oracle & ses beaus vers encore.
Le plus agu de son trait émoulu[4],
Mars lui donna sa fiere cruauté,
Ni de son ris les miliers de Charites[5],
Venus son ris[4], Dione sa beauté,
Ni ses beautés en mile cœurs ecrites
Pithon[5] sa vois, Ceres son abondance.
N’ont esclavé[6] ma libre affection.
L’Aube ses dois & ses crins[6] deliés,
Seul son esprit, où tout le ciel abonde,
Amour son arc, Thetis donna ses piés,
Et les torrens de sa douce faconde[7]
Clion[7] sa gloire, & Pallas sa prudence.
Me font mourir pour sa perfection.
[1] au début
[2] Jupiter
[3] rayons
[4] sourire
[5] déesse de la persuasion
[6] cheuveux
[7] Clio, muse de l’histoire
[1] Le trésor de ses cheveux aux petites
ondulations
[2] a la fossette arrondie
[3] l’Amour
[4] la partie la plus pointue de son trait aiguisé
[5] grâces
[6] rendu esclave
[7] parole facile et harmonieuse
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Œil, qui portrait dedans les miens reposes
Œil, qui mes pleurs de tes raions essuie,
Comme un Soleil, le dieu de ma clarté[1] :
Sourci, mais ciel des autres le greigneur[1],
Ris, qui forçant ma douce liberté
Front estoilé, Trofée à mon Seigneur,
Me transformas en cent metamorfoses :
Qui dans ton jour ses dépouilles etuie[2] :
Larme d’argent, qui mes soupirs arroses,
Gorge de marbre, où la beauté s’apuie,
Quand tu languis de me veoir mal traité,
Col Albastrin[3] emperlé de bonheur,
Main, qui mon cœur captives arresté[2]
Tetin d’ivoire, où se niche l’honneur,
Par my ton lis, ton ivoire & tes roses :
Sein, dont l’espoir mes travaus desennuie[4] :
Je suis tant vôtre, & tant l’affection
Vous avés tant apâté mon desir,
M’a peint au vif[3] vôtre perfection,
Que pour souler[5] la faim de son plaisir,
Que ni le tans ni la mort tant soit forte
Et nuit & jour il faut qu’il vous revoie :
Ne fera point qu’au centre de mon sein,
Comme un oiseau, qui ne peut sejourner,
Toujours gravés en l’ame je ne porte,
Sans revoler, tourner, & retourner,
Un œil, un ris, une larme, une main.
Aus bors connus pour i trouver sa proie
[1] Œil, qui, peint dans mes yeux, y reposes [1] sourcil mais ben plutôt ciel, le plus grand de
comme un soleil, œil, dieu de ma clarté
tous. Allusion à la conception antique de
l’Univers qui laissait entendre que les cieux
[2] qui retient captif
étaient faits de sphères concentriques emboîtées
[3] au naturel
les unes dans les autres. La plus élevée (donc la
plus grande : « greigneur ») était celle des étoiles
fixes. C’est à cette partie que le sourcil est
assimilé.
[2] Ronsard imagine qu’Amour utilise le front
de la belle pour y ranger comme dans un étui le
cœur des amants (« dépouilles ») éblouis par la
belle.
[3] d’albâtre
[4] dissipe mes peines
[5] assouvir
2
Nature ornant la dame qui devoit
De sa douceur forcer les plus rebelles,
Lui fit present des beautés les plus belles
Que dès mille ans[1] en epargne elle avoit.
Tout ce qu’Amour avarement couvoit
De beau, de chaste, & d’honneur sous ses aeles,
Emmïélla[2] les graces immortelles
De son bel œil, qui les dieus émouvoit.
Du ciel à peine elle étoit descendue,
Quand je la vi, quand mon ame éperdue
En devint folle, & d’un si poignant trait
Le fier[3] destin l’engrava dans mon ame,
Que vif ne mort[4] jamais d’une autre dame
Empraint au cœur je n’aurai le portrait.
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Avant qu’Amour, du Chaos ocieus
Ouvrist le sein[1], qui vouvoit la lumiere[2],
Avec la terre, avec l’onde premiere,
Sans art, sans forme, estoient brouillés les cieus.
Ainsi mon Tout erroit seditieus[3]
Dans le giron de ma lourde matiere,
Sans art, sans forme, & sans figure entiere :
Alors qu’Amour le perça de ses yeux.
Il arrondit de mes affections
Les petis cors en leurs perfections[4],
Il anima mes pensers de sa flamme.
Il me donna la vie & le pouvoir,
Et de son branle il fit d’ordre mouvoir[5]
Les pas suivis du globe de mon ame[6].
[1] depuis
[2] adoucir
[3] cruel
[4] vivant ni mort
[1] ouvrit le sein du chaos inerte
[2] La lumière était au sein du chaos et ne
demandait qu’à sortir.
[3] séditieux : par conséquent en désordre.
[4] Il arrondit les atomes de mes affections pour les
rendre parfaits
[5] se mouvoir en ordre.
[6] les pas suivis du globe : façon imagée de dire
que son âme, rendue parfaite comme une forme
ronde, se met en mouvement. La sphère ou le globe
sont les formes qui approchent le plus de la perfection
de l’âme.
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Cent fois le jour, à part moi je repense
Que
c'est
qu'Amour[1],
quelle
Quand ces beaus yeus jugeront que je meure[1],
humeur
l'entretient,
Quel est son arc, & quelle place il tient
Dedans nos coeurs, & quelle est son essence.
Je conoi bien des astres la puissance,
Je sai comment la mer fuit & revient,
Comme en son Tout le Monde se contient:
De lui[2] sans plus me fuit la conoissance.
Si sai-je bien que[3] c'est un puissant Dieu,
Et que, mobile, ores il prend son lieu
Dedans mon coeur, & ores dans mes veines
Et que depuis qu'en sa douce prison
Dessous mes sens fit serve ma raison[4]
Toujours, mal sain, je n'ai langui qu'en peines.
Avant mes jours me foudroiant là bas[2],
Et que la Parque aura porté mes pas
A l’autre flanc[3] de la rive meilleure :
Antres & prés, & vous forêts, à l’heure[4],
Je vous suppli, ne me dedaignés pas,
Ains donnés moi, sous l’ombre de vos bras,
Quelque repos de paisible demeure[5].
Puisse avenir qu’un poëte amoureus
Aiant horreur de mon sort malheureus,
Dans un cyprès note cet epigramme :
CI DESSOUS GIT UN AMANT VANDOMOIS,
QUE LA DOULEUR TUA DEDANS CE BOIS,
POUR AIMER TROP[6] LES BEAUX YEUS DE SA DAME
[1] Ce qu’est amour
[2] D’Amour
[3] je sais bien pourtant
[1] voudront par jugement que je meure
[2] en m’envoyant là-bas (dans l’au-delà)
[3] à l’autre bord
[4] Depuis qu’il … asservit ma raison à mes
[4] alors
sens
[5] Dans un séjour paisible
[6] parce qu’il aimait trop
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J’espere & crain, je me tait & suplie,
Petit nombril, que mon penser adore,
Or je suis glace, & ores un feu chaut,
Non pas mon œil, qui n’eut onques ce bien,
J’admire tout, & de rien ne me chaut[1],
Nombril, de qui l’honneur merite bien
Je me delace[2], & puis je me relie.
Qu’une grand’vile on lui bastisse encore :
Rien ne me plaist sinon ce qui m’ennuie :
Signe divin, qui divinement ore[1],
Je suis vaillant, & le cœur me defaut[3],
Retiens encore l’Androgyne lien[2],
Jai l’espoir bas, j’ai le courage[4] haut,
Combien & toi, mon mignon, & combien
Je doute Amour, & si je le deffie[5].
Tes flancs jumeaus folastrement j’honore !
Plus je me pique, & plus je suis retif,
J’aime estre libre, & veus estre captif,
Cent fois je meur, cent fois je pren naissance.
Un Prométhée[6] en passions je suis,
Et pour aimer perdant toute puissance,
Ne pouvant rien je fai ce que je puis.
Ni ce beau chef[3], ni ces yeus, ni ce front,
Ni ce dous ris[4], ni cette main qui fond
Mon cœur en source, & de pleurs me fait riche :
Ne me sauroient de leur beau [5] contenter,
Sans esperer quelque fois de tâter
Ton paradis, où mon plaisir se niche.
[1] maintenant
[1] Je contemple tout avec émerveillement et je
[2] Selon le Banquet de Platon, les êtres
suis indifférent à tout.
humains, au début, étaient androgynes. Jupiter
[2] Je romps mes liens
ordonna à Apollon de couper ces êtres par le
milieur en mâles et femelles. Le nombril
[3] Défaille
représente la cicatrice de cette séparation, le
[4] Courage désigne l’ensemble des dispositions
« signe divin » dont parle Ronsard.
de l’âme
[3] tête
[5] Je redoute Amour et pourtant je le défie
[4] sourire
[6] Prométhée avait été supllicié pour avoir volé
le feu à Jupiter ; un aigle dévorait sans cesse son [5] beauté
foie renaissant.