Texte de la conférence du Père Georges Passerat, le 2 mars à la

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Transcript Texte de la conférence du Père Georges Passerat, le 2 mars à la

1215
Le saint, le troubadour et le guerrier
Grande effervescence dans toute la chrétienté en cette fin d’année
1215, à Rome, où, le 1er novembre, le pape Innocent III ouvre l’un
des conciles les plus importants de toute l’histoire de l’Eglise : le IVe
concile du Latran. Parmi les nombreux prélats, plus de 400,
rassemblés pour réformer l’Eglise, tous les évêques de nos pays
occitans sont présents autour des archevêques de Bordeaux, Bourges,
Narbonne, Aix…Au programme des sessions figure le règlement de
l’affaire albigeoise. Sont venus aussi pour se défendre le comte
Raimond VI de Toulouse et son jeune fils, le futur Raimond VII, âgé
de 18 ans, lo comte jove ou Ramonet, auprès d’eux se trouvent les
deux comtes de Foix et de Comminges. La défaite de Muret, du jeudi
12 septembre 1213, a vu le triomphe de Simon de Montfort et de la
croisade menée contre les cathares. Le débat devenu international est
porté devant le chef de la chrétienté : il s’agit de savoir si le comte de
Toulouse, dépossédé de ses terres, peut être réconcilié et retrouver son
pouvoir quasi royal sur les terres du Sud. Le pape tranchera en faveur
des adversaires de Toulouse et Simon de Montfort sera confirmé
comme comte de Toulouse.
Bien entendu, l’évêque Foulques de Toulouse est très actif et il
mène le débat pour faire fléchir le pape en faveur des partisans de la
croisade quand il sent que ce dernier est prêt à verser une larme sur le
sort du jeune comte venu le supplier et reçu en audience privée.
Ce concile décide aussi très solennellement que tous ceux qui
auraient des velléités de créer des ordres nouveaux pour réformer
l’Eglise devront se contenter de ce qui existe déjà et suivre les règles
des chanoines, des bénédictins noir ou des cisterciens. Sauf que durant
les pauses, le pape Innocent III se laisse séduire par le projet de vie de
deux hommes hors du commun – il avait rêvé que la basilique du
Latran s’effondrait et que chaque fois un homme la soulevait- tantôt
François l’ombrien, tantôt Dominique le castillan, selon les légendes
de chaque ordre. Innocent III est capable d’user du bâton et de
déclencher la première croisade en pays chrétien comme de se laisser
séduire par les chercheurs d’idéal évangélique.
Cette revendication d’une Eglise plus pauvre et plus attentive à la
vie des laïcs, elle était porté en Italie comme en Languedoc par deux
mouvements les Vaudois, ou Pauvres de Lyon et les Bonshommes, ou
Eglise de Dieu, que nous appelons généralement cathares. Il avait
ainsi autorisé en Lombardie un groupe d’Humiliés à vivre dans des
communautés fraternelles de travail, en les laissant prêcher. Chez
nous, en Languedoc et dans le Roussillon, en 1207, après une
intervention de saint Dominique, le chef de file des vaudois avait été
autorisé à créer un de ces groupes, appelés Pauvres Catholiques.
C’est dans ce contexte que démarre l’aventure de la Sainte
Prédication inaugurée par frère Dominique, qui accompagne son
évêque Diego d’Osma, quand ils arrivent tous les deux dans la région
de Montpellier au printemps 1206. Il choisit de marcher pieds nus sur
les chemins, pour aller discuter avec les représentants des
Bonshommes dans les salles de châteaux, sur les places publiques ou
dans les églises. Ce chemin le conduira jusqu’à la région de Fanjeaux
où il s’établira dans l’œil du cyclone cathare, arrachant à l’influence
des prédicateurs pauvres et évangéliques les jeunes filles de la
noblesse locale qu’il installe à Prouille, en fondant ainsi une première
communauté féminine.
Dès 1210-1211, il passe une année complète à Toulouse, avec le
titre de prédicateur que lui confère l’évêque de Toulouse, Foulques.
C’est ainsi que frère Dominique sera amené à se retrouver très vite
mêlé aux événements de la croisade en cette année 1211 marquée par
de terribles révoltes contre l’évêque de la ville rose. Il faut bien avouer
que le massacre de la population de Lavaur, le 3 mai 1211, avec 400
brûlés (le plus grand bûcher de toute la croisade) a profondément
choqué les populations. La ville de Toulouse est à feu et à sang et la
confrérie blanche, menée par l’évêque, se bat dans les rues avec la
confrérie noire qui soutient le Comte de Toulouse et les bourgeois de
la cité regroupés autour du Capitole. Durant ses 26 ans d’épiscopat, de
1205 à 1231, on a noté que Foulques de Marseille, qui fut un
troubadour gai et talentueux avant de se convertir et d’entrer chez les
cisterciens du Thoronet, appelé tout simplement Foulquet, aura passé
15 ans en exil hors de sa ville épiscopale. En 1211, tout le clergé
ferme les églises et sort avec le Saint-Sacrement, l’interdit est jeté sur
la cité des comtes.
Cependant la victoire du clan des croisés à Muret, mené par
Simon de Montfort et Foulques, a permis le retour en force des
catholiques à l’intérieur des murs de la ville.
L’année 1215 illustre pour saint Dominique ce mouvement de
reconquête, « A nous deux Toulouse ! » aurait pu dire le castillan en
franchissant la Porte Narbonnaise.
Il reçoit tout d’abord, le 25 avril, la donation d’une maison, celle
des frères Selhan, près du rempart, en face du Château Narbonnais,
située à l’arrivée de la route du Lauragais, en venant de Carcassonne
et de Fanjeaux. Une première communauté de 3 frères se regroupe
autour de lui.
Au début de l’été, vers juin-juillet, l’évêque Foulques produit le
document, dont nous fêtons les 800 ans : il confie à frère Dominique
une mission de prédication dans son diocèse avec tout un programme
à réaliser : « extirper la perversion hérétique, chasser les vices,
enseigner la règle de la foi, inculquer aux hommes des mœurs
saines ». Dominique et ses compagnons « se sont religieusement
proposés pour aller à pied, dans la pauvreté évangélique, prêcher
l’évangélique parole de vérité » Il leur réserve les produits des dîmes
et les revenus de plusieurs églises pour les mettre à l’abri du besoin et
assurer leur activité de prédication sans souci matériel.
A la porte Arnaud-Bernard, les frères voués à la prédication
reçoivent une maison pour y abriter des filles repenties, sûrement des
prostituées. Ils exercent ainsi un ministère de la rue qui montre bien
l’état d’esprit de ces futurs ordres mendiants qui s’établiront aux
périphéries des villes, choisissant l’abjection de la pauvreté volontaire
pour se mettre au niveau de ces mineurs, lépreux ou prostituées, très
nombreux aux portes des villes médiévales.
Et Dominique va s’envoler littéralement, dynamisé par cette
reconnaissance épiscopale. Désormais, lui, le grand marcheur qui
sillonnait les routes du Lauragais va devenir le globe-trotter de
l’Europe. Il avait déjà fait deux fois le trajet de l’Espagne au
Danemark en passant par Rome, mais cette fois-ci il se dirigera à deux
reprises vers Rome, fin 1215 et fin 1216. Il en reviendra avec une
bulle d’approbation du pape Honorius III, datée du 22 décembre 1216.
Désormais son ordre devient universel et il décide d’abandonner
Toulouse, ses pas le conduiront vers Paris, Madrid, Salamanque,
Bologne…
Personne ne peut le retenir, le plus déçu dans l’affaire sera son
protecteur l’évêque Foulques : « ce fut contre la volonté du comte de
Montfort, de l’archevêque de Narbonne, de l’évêque de Toulouse, de
l’évêque de Toulouse, et le mien propre » dit-il pour justifier cet
arrachement, « je sais ce que je fais !»
Adissiatz Tolosa !, il part définitivement en septembre 1217.
Parmi les explications plausibles de la dispersion des frères et du
démantèlement de la communauté de Toulouse, se trouve un épisode
curieux lié encore une fois à la situation de Toulouse à partir de 1216.
C’est le soulèvement des occitans depuis la Provence et le retour en
force des comtes légitimes acclamés par les populations du
Languedoc, comme si tant d’années d’épreuves et de massacres
n’avaient servi à rien.
Dominique a eu une vision : un arbre majestueux recouvert d’une
multitude d’oiseaux. Le grand chêne s’abat et les petits oiseaux
effrayés tombent de ses branches. Il comprit alors qu’un danger
menaçait le grand et illustre capitaine, le comte de Montfort.
Cette prédiction de la chute du lion Montfort sous les murs de
Toulouse, qui se produira le 25 juin 1218, aurait troublé frère
Dominique qui était très proche du chef de la croisade installé à
Fanjeaux même: il a baptisé ses enfants , marié son fils… C’en est
trop pour lui, le changement imprévu du destin de Toulouse qui voit à
nouveau triompher les ennemis de l’Eglise le persuade que sa place
n’est plus au milieu des atrocités, même s’il apparaît toujours comme
le grand absent des zones de combat. Il se glisse silencieusement,
comme un bon génie protecteur, dans ce décor où il apparaît en
filigrane, à l’image de saint François d’Assise réussissant lui-aussi à
promouvoir la paix et le dialogue dans la lutte contre les Sarrasins.
Lui le saint, l’homme évangélique, il a vécu son séjour toulousain
en étant l’ami de l’ancien troubadour de Marseille devenu un évêque
si pugnace que l’auteur anonyme de la Canso le qualifie d’Antéchrist
de Rome, en rapportant les propos prononcés au concile de Latran par
un archidiacre de Lyon (qui sera sanctionné pour cette prise de
parole) : « Vous êtes si méchant et si agressif qu’avec vos prêches et
vos paroles dures vous plongez dans la douleur plus de cinq cent mille
personnes, qui pleurent dans leurs âmes et saignent dans leur corps ».
Ne parlons pas de Simon de Montfort, la figure du guerrier par
excellence, que ce même auteur tourne en dérision (à la Charlie hebdo
avant l’heure) en nous offrant son épitaphe sarcastique qui est un
sommet de la littérature anticléricale de tous le temps. Cet auteur est
un chrétien de Toulouse, un patriote occitan, invoquant Saint-Sernin et
la Vierge Marie, qui tire la leçon des événements perçus depuis
Toulouse et dit son indignation de croyant sincère.
Alors, cher frère Dominique, il me plait ce soir de vous imaginer
réconcilié avec Toulouse qui vous aime et vous fête. Sous les arcades
du Capitole, le peintre Moretti vous a campé parmi les illustres
personnages de notre histoire et vous y côtoyez les comtes Raimond.
Vous veniez à peine de quitter la Ville Rose, à une semaine près, le 13
septembre 1217, vous auriez vu la joie des toulousains de voir revenir
Raimond VI, symboliquement quatre ans exactement après Muret :
Los barons e la donas, las molhers e.l maritz
Les barons et les dames, les épouses et les maris
Tous s’agenouillent et baisent ses vêtements
Ils pleurent de joie
Car lo joi que repaira es floritz
Car la joie espérée refleurit pour nous
« Ara avèm Jesus Crist, lo lugan e l’estela que nos esclaritz !
Maintenant nous avons Jésus Christ, l’astre lumineux et l’étoile
qui nous éclaire »
Le comte de Toulouse est ressuscité, il revient comme le Christ est
revenu vivant.
Sous les voûtes ce cette nef raimondine, édifié en ces mêmes années,
où se trouve incrustée la crotz ramondenca, qui étincelle de se douze
boules d’or, cette belle croix chrétienne, signe de la victoire du
ressuscité, nous pouvons voir s’élever en pensée le grand manteau
emblème des frères Prêcheurs, arborant fièrement les sept étoiles, tel
qu’il vous apparut au tout début de votre aventure en Occitanie. Vive
Toulouse et vive saint Dominique. Glòria per Tolosa e glòria a vos
sant Domenge dins Tolosa la vòstra ciutat !
Jordi PASSERAT 2 mars 2015