Les voyages du frère Polycarpe ON DIRAIT UN CONTE, MAIS IL N’EN EST PAS UN… Quand je suis arrivé à SaintFlour, je me suis arrêté.

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Transcript Les voyages du frère Polycarpe ON DIRAIT UN CONTE, MAIS IL N’EN EST PAS UN… Quand je suis arrivé à SaintFlour, je me suis arrêté.

Les voyages
du
frère
Polycarpe
ON DIRAIT UN CONTE, MAIS IL N’EN EST PAS UN…
Quand je suis arrivé à SaintFlour, je me suis arrêté pour
discuter avec Monseigneur de
Marguerye sur une affaire
concernant les écoles.
Tout de suite après l’audience
avec l’évêque, j’ai essayé de
poursuivre mon voyage, mais il
a commencé à neiger, le vent
s’est levé et la température
est devenue glaciale.
L’évêque n’a pas voulu entendre
parler de continuer le voyage et
il m’a dit: « Il fait un temps à ne
pas mettre un chien dehors, et
encore moins, par conséquent, un
saint du bon Dieu! »
Je lui ai répondu: « Nous autres,
pauvres frères, nous ne sommes
pas faits pour les palais, même
pour ceux où président la
bienveillance et la charité. »
Cependant, j’ai dû accepter de
passer la nuit dans son “palais”.
Le lendemain matin, malgré que
l’orage sévissait, et qu’on me
conseillait de ne pas continuer, j’ai
repris la route. La neige tombait à
flocons, le jour était sombre, les
routes s’effaçaient, se
confondaient; la voiture avançait
lentement au milieu des montagnes
du Cantal devenues comme une
immense solitude couverte d’un
linceul blanc.
Après un parcours de quelques lieues, la marche devint décidément
impossible. Le conducteur hésitait, craignait de s'égarer; il redoutait
quelque désastre: à chaque instant la voiture ne pouvait pas s'engager
dans une fondrière, ou rouler dans un précipice? Mais on ne pouvait
pas non plus faire halte dans cette Sibérie; hommes et chevaux
auraient gelé pendant la nuit.. Je n’avais jamais eu une peur semblable
à celle de ce jour-là. Plus d’une fois, au milieu de la neige, je croyais
que mon dernier jour était arrivé.
Après de longues heures
d’angoisse, nous
arrivâmes enfin à SaintChély.
Quelle joie d’être
accueilli par mes frères !
Je m’y sentais enfin
chez moi !
Une autre fois, c'était
dans une saison toute
différente, en plein été
de l'année 1852. Je
marchais seul, portant
un sac de voyage. Le
ciel était sans nuages,
la chaleur accablante.
Après une marche
longue et pénible, je
m’arrêtai dans un lieu
solitaire où je trouvai
un ruisseau et l’ombre à
souhait.
Environ deux heures après, je me
disposais à partir, lorsque soudain
apparut devant moi un homme à la
mine rébarbative, à la voix
impérieuse, et dans un état voisin de
l'ivresse : c‘était le garde-champêtre
de la contrée. Il vint droit à moi. Je
me levai et voulus continuer ma route;
mais le garde m'interpella avec
brutalité : « Que faites-vous là ?
Avez-vous un passeport? Vous n'en
avez pas? Je m'y attendais, vous êtes
un vagabond et qui sait? peut-être un
de ces malfaiteurs dont la police nous
a donné le signalement... Au nom de la
loi, je vous arrête! En avant, marchez,
et plus vite que ça ! »
Je me suis identifié comme religieux, mais
mes protestations furent vaines et je dus
obéir l’impitoyable fonctionnaire champêtre.
Je fus conduit à Trémouille. Le trajet était
environ de cinq kilomètres. J’étais accablé
de lassitude, je ne pouvais plus porter mon
léger bagage et je priai le garde de m’aider.
Les curieux sortaient sur le devant de leurs
portes pour nous voir passer. Chacun faisait
son commentaire. « C'est un voleur pris sur
le fait : qui sait quel « butin » on va trouver
dans ce sac ! Non, c'est un simple chevalier
d'industrie habillé en religieux. »
Devant le maire, à qui je parlai d'un ton modéré mais ferme, c'est
encore vainement que je cherchai à m'expliquer. À peine daigna-t-on
m'entendre:
« Mettez-moi ce gaillard-là en lieu sûr; il a trop bonne langue pour un
honnête homme; je ne suis pas dupe de ses finasseries ! Aussi ne vous
garderons-nous pas; demain, de bonne heure, vous serez conduit à
Champs, notre chef-lieu de canton, et je compte bien que M. le Juge
de paix me fera compliment d'une aussi bonne prise. »
Cette nuit-là, je dormis, si on peut
appeler cela dormir, en prison.
Impossible de fermer les yeux à
cause des piqûres de mille insectes
parasites qui, établis avant moi, dans
cette cellule, m’en disputaient la
possession et se vengeaient sur moi
du trouble que je leur apportais.
Le lendemain matin tout fut réglé.
Tout le monde s’excusait et
s’accusait mutuellement. Alors je dis
avec beaucoup de charité et un peu
de malice:
Ces messieurs m'ont fait beaucoup
d'honneur; ils m'ont d'abord
escorté à travers la campagne, puis
ils m'ont fait passer la nuit en
nombreuse compagnie, il faut
l'avouer, mais en sécurité parfaite,
sous la vigilance d'un sûr et fidèle
gardien; je ne puis que leur adresser
mes remerciements.