Enquête sur le mentor des tueurs de « Charlie » et de l`Hyper Cacher

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Transcript Enquête sur le mentor des tueurs de « Charlie » et de l`Hyper Cacher

collection inédite
LE MONDE
DES LIVRES
N° 2
ABBEY ROAD
EN KIOSQUES DÈS AUJOURD’HUI
EN FRANCE MÉTROPOLITAINE
SUPPLÉMENT
EN KIOSQUES
DÈS AUJOURD’HUI
EN FRANCE
MÉTROPOLITAINE
Vendredi 30 janvier 2015 ­ 71e année ­ No 21784 ­ 2,20 € ­ France métropolitaine ­ www.lemonde.fr ―
Fondateur : Hubert Beuve­Méry
Enquête sur le mentor des tueurs
de « Charlie » et de l’Hyper Cacher
PROCÈS BETTENCOURT
BANIER, L’AMI
DÉLICIEUSEMENT
INSUPPORTABLE
→
LIR E L’ E NQU Ê T E PAGE 1 3
▶ Figure du djihadisme international, Djamel Beghal a fait le lien, en prison, entre Amedy Coulibaly et Cherif Kouachi
ÉDITION
I
l est celui auquel tous les spécialistes
de l’islam radical ont pensé lorsque
l’identité des tueurs de Charlie
Hebdo et du supermarché casher de la
porte de Vincennes a été connue. C’est
sous l’égide de Djamel Beghal, terroriste
algérien incarcéré en France, que Cherif
Kouachi et Amedy Coulibaly ont fait con­
LE MONDE DES LIVRES
À ANGOULÊME,
LA BD SOLIDAIRE
DE « CHARLIE »
naissance à la prison de Fleury­Mérogis
en 2006. Une fois libres, les deux hom­
mes se sont rendus au domicile de l’Algé­
rien à Murat (Cantal), où il était placé en
résidence surveillée. Dans un document
du 26 juillet 2013, le parquet de Paris défi­
nit Amedy Coulibaly et Cherif Kouachi
comme « les “élèves” de Djamel Beghal ».
Le terroriste, qui se fait aussi appeler
Abou Hamza, est de nouveau derrière les
barreaux depuis le printemps 2010, ac­
cusé d’avoir fomenté l’évasion de Smaïn
Aït Ali Belkacem, l’auteur de l’attentat
contre la station RER Musée­d’Orsay
en 1995. Aucun contact récent entre les
tueurs des 7, 8 et 9 janvier et leur mentor
n’a été établi. Pourtant, les enquêteurs se
posent la question du rôle qu’il a pu jouer
dans leur passage à l’acte. Sa cellule a été
fouillée à trois reprises dans les jours sui­
vant les attentats.
→
jacques follorou,
simon piel et matthieu suc
LIR E L A S U IT E PAGE S 1 0 - 1 1
L’ISLAM,
SUCCÈS DE
LIBRAIRIE APRÈS
LES ATTENTATS
→
Syriza, premiers pas, premiers conflits
LIR E PAGE 1 7
LE CHÔMAGE,
CET ÉCHEC
FRANÇAIS
▶ Dette, Russie,
Allemagne : les choix
controversés du
gouvernement grec
→
LI R E P A G E 21
→ LIRE LE CAHIER ÉCO PAGES 2-3
ET DÉBATS P. 14
UMP
IL FAUDRA
2 775 PARRAINS
POUR PARTICIPER
À LA PRIMAIRE
▶ Au Festival de
la bande dessinée,
« bédéistes »
et dessinateurs
de presse
partagent la même
détermination
▶ Justine Lévy,
en douce
▶ Philippe Grimbert
ébloui par Noureev
→
THÉÂTRE
Yanis Varoufakis,
ministre des finances grec,
mercredi 28 janvier.
PETROS GIANNAKOURIS/AP
L’EUROPE
DÉSEMPARÉE PAR
L’OFFENSIVE RUSSE
par yves-michel riols
et jean-pierre stroobants
U
ne « évaluation », voire un « point d’étape ».
La réunion extraordinaire des ministres
des affaires étrangères de l’Union euro­
péenne, convoquée jeudi 29 janvier à Bruxelles,
après la recrudescence des combats dans l’est de
l’Ukraine et les bombardements des séparatistes
prorusses sur la ville portuaire de Marioupol, ne
sera pas celle des grandes envolées.
La condamnation de Moscou et de ses alliés pro­
met d’être dure et l’appel lancinant aux accords de
paix de Minsk réitéré, même si beaucoup doutent
que ce pacte signé il y a cinq mois puisse encore être
vraiment respecté. Les Vingt­Huit comptent aussi
accentuer leur aide humanitaire aux Ukrainiens et
lancer un discours de « contre­propagande », à op­
poser à celui de la Russie.
Au­delà ? C’est la prudence qui reste de mise,
même si la question de nouvelles sanctions est re­
lancée. Parce que l’objectif consiste avant tout à do­
ser les différentes sensibilités pour trouver une po­
sition commune. « La cerise sur le gâteau, insiste un
diplomate, serait d’offrir à Poutine un concert des divergences européennes qu’il cherche à attiser. »
LE REGARD DE PLANTU
→
LIR E L A S U IT E PAGE 3
Petrobras,
symbole de
tous les maux
du Brésil
ENQUÊTE
Aucun groupe industriel n’a per­
sonnifié à ce point l’ascension du
Brésil. Aucun ne s’est trouvé au
cœur d’un tel scandale. Frappé
par la révélation d’un système de
corruption généralisé, le géant
pétrolier Petrobras est devenu le
symbole de tous les maux du
pays. La publication des résultats
financiers, mercredi 28 janvier,
n’a pas apaisé les craintes. Après
deux reports de publication, l’en­
treprise a annoncé des résultats
en recul de 22 % sur la période
janvier­septembre 2014.
→
« MARTYR »
DÉCRIT UNE DÉRIVE
DANS L’INTÉGRISME
CATHOLIQUE
→
LIR E PAGE 1 6
OD ON
29 janvier – 1er mars
7 avril – 3 mai / Odéon 6e
Théâtre de l’Europe
IVANOV
antOn tchekhOv
luc bOndy
création
Marcel bozonnet
christiane cohendy
victoire du bois
ariel Garcia valdès
laurent Grévill
Marina hands
yannik landrein
Roch leibovici
Micha lescot
chantal neuwirth
nicolas Peduzzi
dimitri Radochévitch
Fred ulysse
Marie vialle
LIR E LE C A HIE R É CO P. 6
Algérie 180 DA, Allemagne 2,50 €, Andorre 2,40 €, Autriche 2,80 €, Belgique 2,20 €, Cameroun 1 900 F CFA, Canada 4,50 $, Côte d'Ivoire 1 900 F CFA, Danemark 30 KRD, Espagne 2,50 €, Finlande 4 €, Gabon 1 900 F CFA, Grande-Bretagne 1,90 £, Grèce 2,50 €, Guadeloupe-Martinique 2,40 €, Guyane 2,80 €, Hongrie 950 HUF,
Irlande 2,50 €, Italie 2,50 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 2,20 €, Malte 2,50 €, Maroc 13 DH, Pays-Bas 2,50 €, Portugal cont. 2,50 €, La Réunion 2,40 €, Sénégal 1 900 F CFA, Slovénie 2,50 €, Saint-Martin 2,80 €, Suisse 3,50 CHF, TOM Avion 450 XPF, Tunisie 2,50 DT, Turquie 9 TL, Afrique CFA autres 1 900 F CFA
© Thierry Depagne / Licence d’entrepreneur de spectacles 1064581
→ SUPPLÉMENT
UKRAINE
LIR E PAGE 8
2 | international
0123
VENDREDI 30 JANVIER 2015
LE CONFLIT UKRAINIEN
Combattant
séparatiste
du bataillon
« Vostok », dans le
village de Krasny
Partizan, au nord
de Donetsk,
le 24 janvier.
MARIA TURCHENKOVA
POUR « LE MONDE »
REPORTAGE
benoît vitkine
région de donetsk (ukraine) – envoyé spécial
D’
ordinaire, le visage
rond du commandant
Douchman ne se dé­
part jamais d’un large
sourire. Le comman­
dant est même célèbre
pour cela : ses dents en or, ses yeux d’un bleu
profond, et son sourire. Ce mercredi 28 janvier, Douchman ne sourit pas. La fatigue,
explique-t-il. Douchman – Iouri, dans cette
autre vie où il n’était qu’un paisible retraité
de l’armée soviétique – a 51 ans. Cela fait
dix mois qu’il fait la guerre dans les rangs
des séparatistes prorusses du Donbass.
En avril, il commandait une cinquantaine
d’hommes de Sloviansk, parmi les premiers à
avoir pris les armes dans cette ville qui allait
devenir une place forte des insurgés. Certains
n’avaient pour seule arme qu’un fusil de
chasse. Ils ont appris à conduire des chars. Le
commandant, lui, est désormais à la tête de
4 200 hommes, rattachés au bataillon « Vostok ».
Douchman ne sourit pas, et pourtant il
vient d’engranger l’une des rares victoires
dont peut s’enorgueillir la « République populaire de Donetsk » depuis la dizaine de
jours que la guerre a repris dans l’est de
l’Ukraine. Cette victoire, c’est la prise de
Krasny Partizan, à une trentaine de kilomètres au nord de Donetsk.
Ses hommes ont attaqué le village le 24 janvier au matin. La bataille n’a duré que quelques heures, faisant au moins quatre tués
dans les rangs ukrainiens et sept blessés côté
rebelle. Les entrées du village sont jonchées
de douilles, des explosions résonnent encore
non loin de là. Les tranchées ukrainiennes ont
été laissées intactes, remplies de conserves,
de couvertures, de réchauds de fortune, ces
mille petites choses qui font le quotidien des
soldats de cette armée pauvre et mal équipée.
Violence inégalée depuis l’été
Si Douchman ne sourit pas, c’est peut-être
aussi que son trophée a triste allure. Krasny
Partizan compte une centaine de maisons ;
un bon quart d’entre elles on été éventrées
par des bombardements. Selon le commandant, les obus ont commencé à tomber après
la prise de la ville. Une façon pour l’armée
ukrainienne de se venger, assure-t-il.
Lioudmila Mikhaïlovna, une retraitée de
67 ans, a une lecture différente du calendrier.
Selon elle, les tirs ont commencé le 22 janvier,
ce qui veut dire que les séparatistes ont eux
aussi bombardé le village, avant d’y entrer.
A elle seule, Mme Mikhaïlovna incarne la tragédie de la guerre. Elle raconte, d’une voix
douce, son mari mort d’une attaque cardiaque en septembre 2014. Il se terrait dans la
cave, lors de précédents bombardements, et
Village par village,
les prorusses progressent
en Ukraine
Les séparatistes mènent une
guerre de conquête. L’armée
ukrainienne, mal équipée,
semble être débordée
personne n’a pu lui apporter de médicaments. Elle raconte son petit-fils de 5 ans, Vassili, dont une partie des cheveux sont
subitement devenus gris. Comme beaucoup
de ceux qui sont restés dans le Donbass,
Lioudmila voit dans l’Ukraine l’agresseur,
mais elle ne se soucie désormais plus de
savoir qui gagnera cette guerre, pourvu
qu’elle s’arrête.
Malgré deux cessez-le-feu successifs, en
septembre et en décembre, les combats
n’ont jamais vraiment cessé dans la région.
Mais, il y a dix jours, la guerre a repris avec
une violence inégalée depuis l’été. Et les
rebelles sont à nouveau à l’offensive. Le chef
des séparatistes de Donetsk, Alexandre
Zakhartchenko, l’a dit sans détour, le 23 janvier : « Il n’y aura plus de trêve. Kiev ne comprend pas que nous avons les moyens d’attaquer dans trois directions à la fois. »
M. Zakhartchenko, qui avait signé en septembre avec Kiev et Moscou des accords
censés figer la ligne de front, a aussi annoncé
son objectif : conquérir l’intégralité de la région administrative de Donetsk, dont il ne
contrôle actuellement qu’un gros tiers.
Le chef rebelle a-t-il pris ses ordres de Moscou ? Rien ne l’indique, et les rebelles ont toujours disposé d’une marge d’initiative importante vis-à-vis de leur parrain russe. Mais les
forces déployées, le nombre de blindés présents sur le terrain, la débauche d’obus tirés,
tout indique que le Kremlin continue à alimenter massivement la machine de guerre
séparatiste. Autrement dit, tant que la Russie
ne ferme pas sa frontière avec les régions re-
TOUT INDIQUE
QUE LE KREMLIN
CONTINUE
À ALIMENTER
MASSIVEMENT
LA MACHINE DE
GUERRE SÉPARATISTE
belles, aucune promesse russe de contribuer à
un règlement pacifique du conflit n’a de sens.
Le président ukrainien, Petro Porochenko, a
de son côté évoqué la présence de 9 000 soldats russes dans le Donbass. Le chiffre est invérifiable.
A Krasny Partizan, les hommes du commandant Douchman ont pris leurs quartiers
dans la maison d’un colonel de la police en
fuite. Le lieu est luxueusement équipé :
billard, sauna, une petite piscine…
Douchman admet que la Russie approvisionne son bataillon, mais, assure-t-il, seulement en munitions. Les chars et les canons
auraient été pris aux Ukrainiens et pas un soldat russe ne participerait aux combats. Le
commandant est interrompu par l’arrivée
d’un des combattants qui ouvre la porte d’un
coup sec et demande à la cantonade : « C’est
qui ces éclaireurs russes qui tirent dans tous les
sens ? » « Plus tard », coupe Douchman en le
fusillant du regard.
Malgré ce déploiement de force, la progression des rebelles est lente. Depuis la prise de
Donetsk, le 22 janvier, les victoires se comptent sur les doigts de la main. La guerre du
Donbass est avant tout une guerre d’artillerie.
Des deux côtés, on s’échange des milliers
d’obus et de roquettes. Les engagements rapprochés sont rares. Si la période du cessez-lefeu avait cantonné les combats à quelques
points chauds, pas un endroit de la ligne de
front n’est désormais épargné.
Plus de 5 000 morts
Le lendemain du jour où Alexandre Zakhartchenko s’exprimait, 120 roquettes s’abattaient sur Marioupol, le grand port sur la mer
d’Azov que les séparatistes revendiquent. Les
tirs venaient de l’est, des positions rebelles.
Ce jour-là, la ville d’un demi-million d’habitants, jusque-là épargnée par les combats,
faisait connaissance avec la guerre : des
écoles, des jardins d’enfants, un marché
touchés ; trente cadavres éparpillés sur les
trottoirs, jambes brisées ou ventres perforés
par les éclats métalliques des obus.
C’est une guerre de conquête que mènent
les séparatistes prorusses. On se bat pour
Marioupol, mais aussi pour des villages
comme Krasny Partizan – des villages de
retraités, misérables, dont les routes étaient
défoncées bien avant que les obus ne commencent à y pleuvoir et qui le resteront sans
doute longtemps, quel que soit le vainqueur.
Au nord de Krasny Partizan, la route continue quelques kilomètres en territoire séparatiste. Au-delà, c’est le territoire tenu par l’armée ukrainienne. Un passage y est prévu
pour les civils qui voudraient passer d’une
zone à l’autre, sous réserve de posséder un
laissez-passer délivré par les autorités de Kiev.
Même là, loin de toute position militaire, les
bombardements sont permanents, provenant des deux côtés. Le bruit terrifiant des
explosions est omniprésent. Une roquette
énorme tombe sur la route enneigée. C’est un
« smertch », un engin d’une tonne et de 8 mètres de long si puissant qu’il est rarement utilisé dans la région. Celui-là n’explosera pas.
La guerre a déjà tué plus de 5 000 personnes dans l’Est. Le chiffre ne prend pas en
compte les pertes rebelles ou russes, et celles
des soldats ukrainiens sont très probablement sous-estimées. Mais une chose est
sûre, la majorité de ces morts sont des civils.
L’une des dernières victimes s’appelait
Tatiana Lachina. Elle a été tuée le 25 janvier,
probablement par un tir ukrainien. L’armée
visait sans doute une position séparatiste à
un kilomètre de là, mais c’est son appartement qui a été soufflé, en plein centre de la
ville de Dokoutchaeïvsk, à une vingtaine de
kilomètres au sud de Donetsk.
Virma, son chien, n’a pas bougé du tas de
ruines depuis trois jours. Dans les décombres, des bribes de la vie de Tatiana Lachina
émergent : une pantoufle, des ustensiles de
cuisine, la peluche d’une petite fille. Un voisin, Fiodor, se charge d’assembler les morceaux : Tatiana avait 55 ans ; technicienne à
la retraite, elle n’avait pas touché sa pension
depuis l’été ; elle vivait pauvrement, mais
s’efforçait de venir en aide aux familles du
voisinage.
Dans les ruines, il y a aussi un carnet dans
lequel Tatiana Lachina notait consciencieusement toutes ses lectures. Le 107e et dernier
livre qu’elle a lu avant de mourir s’appelait
Un million de plaisirs interdits. p
international | 3
0123
VENDREDI 30 JANVIER 2015
L’Europe désemparée face à la surenchère russe
Malgré la reprise des hostilités en Ukraine, les Vingt-Huit restent divisés sur la riposte à adopter face à Moscou
suite de la première page
Or les divisions restent évidentes.
Londres, qui a exigé la réunion de
jeudi, la Pologne et les Etats baltes
sont toujours en pointe pour ré­
clamer une condamnation sans
faille de la Russie. L’Allemagne
n’est, elle, pas favorable à de nouvelles mesures restrictives, a indiqué mercredi soir le vice-chancelier et ministre de l’économie,
Sigmar Gabriel. Quant au nouveau gouvernement grec, il a affiché ses divergences avec le président du Conseil européen, le Polonais Donald Tusk, lorsque celui-ci
a publié, mardi, un communiqué
évoquant – au nom des VingtHuit en principe… – un nouveau
volet de sanctions.
LES DATES
2014
17 mars
Au lendemain du référendum sur
le rattachement de la Crimée à
la Russie, les Etats-Unis et
l’Union européenne annoncent
simultanément les premières
sanctions contre 32 officiels russes et ukrainiens : 11 noms
figurent sur la liste américaine et
21 sur celle des Européens.
Parmi les personnes visées
figurent le vice-premier ministre
russe, Dmitri Rogozine, et
l’ex-président ukrainien Viktor
Ianoukovitch, réfugié en Russie.
29 juillet
Après la destruction d’un avion
de la Malaysia Airlines au-dessus
de l’Ukraine et la mort de ses
298 occupants, le 17 juillet, l’UE
adopte des sanctions économiques à l’égard de la Russie.
Celles-ci visent les secteurs
bancaires, de la défense, de
l’énergie et des technologies
dites « sensibles ». Quatre oligarques, des hommes d’affaires
proches du président Vladimir
Poutine, sont également visés.
La France
s’efforce
depuis des mois
de jouer, avec
l’Allemagne, un
rôle de médiation
entre Moscou
et les Européens
Dans l’immédiat, la France
prône l’adoption de nouvelles
mesures individuelles (privation
de visas et gel des avoirs) contre
des dirigeants séparatistes et
leurs parrains russes. Elles peuvent être adoptées rapidement et
ont un effet immédiat sur les individus concernés. Le principe devait être évoqué jeudi, mais
l’adoption formelle n’interviendrait que lors du prochain conseil
des chefs d’Etat et de gouvernement, le 12 février.
Paris veut durcir le ton
Pour le moment, la condamnation européenne sera donc seulement politique, car l’extension
des sanctions économiques n’est,
à ce stade, pas envisagée. D’abord
parce qu’elles sont plus compliquées à mettre en œuvre. Mais
surtout parce que de telles sanctions « sectorielles » entraîneront
sûrement de nouvelles représailles que les Européens veulent,
à tout prix, éviter.
Paris veut cependant durcir le
ton face à la Russie, qui ne tient
aucun de ses engagements. La
France s’efforce depuis des mois
de jouer, avec l’Allemagne, un rôle
de médiation entre Moscou et les
Européens. Mais Laurent Fabius,
le ministre des affaires étrangères, déplore le double langage du
Kremlin, en évoquant les négociations avortées du 21 janvier, à Berlin, avec ses homologues russe,
ukrainien et allemand.
Au terme de cette rencontre, la
Russie avait approuvé un texte
appelant à une « cessation des
hostilités dans l’est » de l’Ukraine.
Kiev au bord de la faillite
I
l y a urgence. Esseulée par des
mois de conflit avec les séparatistes prorusses, l’Ukraine
est aujourd’hui au bord du défaut
de paiement. Sans aide supplémentaire de ses créanciers internationaux, elle aura du mal à
éviter ce scénario catastrophe.
Jeudi 29 janvier, le Fonds monétaire international (FMI) devait
achever une mission engagée à
Kiev au début du mois. Son objet :
négocier un nouveau plan d’urgence. L’institution a déjà porté
secours à l’Ukraine en avril 2014,
en lui octroyant une ligne de crédit
de 17 milliards de dollars (15 milliards d’euros) sur deux ans. Mais
celle-ci se révèle déjà insuffisante.
Et pour cause : ce premier plan
sous-estimait l’impact ravageur
des combats à l’est. « Les marchés
estiment aujourd’hui à 75 % la probabilité que l’Ukraine fasse défaut
d’ici à cinq ans : c’est énorme »,
explique Christopher Dembik,
économiste chez Saxo Banque.
L’économie ukrainienne, déjà
minée par les problèmes structurels avant la crise, est à présent
« moribonde et amputée de secteurs d’activité essentiels, notamment dans l’industrie », explique
M. Dembik. De fait, la région du
Donbass occupée par les prorusses concentre une large partie de
la production d’acier et des mines
de charbon du pays. « En 2013, elle
contribuait à 16 % du produit intérieur brut (PIB) et un quart des exportations », expliquent les économistes de l’assureur-crédit Coface.
Kiev souffre également de sa
trop grande dépendance aux exportations de matières premières, dont les prix ont plongé, tandis que ceux du gaz qu’elle importe sont restés élevés. Résultat :
sa balance courante est déficitaire. Et ses réserves de change
ont fondu de moitié en 2014, passant sous la barre des 10 milliards
de dollars. La banque centrale y a
massivement pioché pour défendre la hryvnia, qui a perdu 45 % de
sa valeur en douze mois.
Situation explosive
Pas étonnant, dès lors, que le PIB
ukrainien se soit effondré de 7,5 %
en 2014. « Notre pays n’avait pas
connu d’année aussi difficile depuis la seconde guerre mondiale »,
s’inquiétait la gouverneure de la
banque centrale, Valeria Gontareva, le 30 décembre.
De l’aveu même du FMI,
l’Ukraine a besoin d’au moins
15 milliards de dollars de plus –
soit 10 % du PIB – pour tenir ses engagements vis-à-vis de ses créanciers. Comme cela risque de ne pas
suffire, Kiev espère renégocier
aussi sa dette souveraine (66 % du
PIB) avec les détenteurs de celle-ci.
C’est-à-dire l’allonger ou en effacer
une partie. Mais une telle discussion ne pourra avoir lieu qu’après
un nouvel accord avec le FMI. Une
situation explosive et inédite pour
ce dernier qui, depuis soixantedix ans, n’est quasiment jamais intervenu dans un pays en guerre. p
marie charrel
Le président du Conseil européen, le Polonais Donald Tusk, quitte le palais de l’Elysée, mercredi 28 janvier. MARTIN BUREAU/AFP
Le lendemain, l’offensive sur l’aéroport de Donetsk reprenait, suivie ensuite des attaques contre
Marioupol.
« Calibrer la réponse »
D’où la nécessité d’un « signal » à
envoyer à la Russie. « Il ne faut pas
se mettre la tête sous la table, mais
il faut aussi calibrer la réponse »,
indique une source française.
« Les sanctions ont un réel impact
économique mais elles ne changent pas le comportement de
Poutine », ajoute un haut fonctionnaire. Qui précise : « Les
sanctions sont comme une échelle
de perroquet : il n’y a pas tant de
barreaux que cela et nous sommes
"
« Poutine perçoit
bien le désarroi
stratégique des
Occidentaux »
THOMAS GOMART
Institut français des relations
internationales
déjà en haut de l’échelle… »
Et, comme l’a souligné, il y a
plusieurs semaines, Frank-Walter
Steinmeier, le chef de la diplomatie allemande, si les Européens
épuisent les sanctions, il ne leur
restera plus d’outils de dissua-
sion, puisque le recours à la force
est écarté.
« Poutine perçoit bien le désarroi
stratégique des Occidentaux »,
relève Thomas Gomart, spécialiste de la Russie à l’Institut français des relations internationales.
Les événements de Marioupol,
dit-il, traduisent « une intensification du soutien russe aux séparatistes », mais s’inscrivent aussi
dans « la continuité de l’offensive
déclenchée depuis l’annexion de la
Crimée, en mars ». Le président
russe, dit-il, est dans une logique
permanente d’escalade qui vise à
entretenir une « guerre limitée »
pour permettre à Moscou de peser sur le destin de l’Ukraine, à un
moment où les Européens sont
« saturés » par d’autres crises.
Après avoir tenté, il y a deux semaines, une ouverture et un retour au dialogue en proposant un
débat sur les sanctions en
échange d’une application réelle
des accords de Minsk, la haute représentante Federica Mogherini a
constaté le refus du Kremlin. Elle
doit désormais tenter de convaincre certaines capitales que, malgré cet échec, il est toujours possible de compter sur Moscou pour
résoudre d’autres dossiers diplomatiques majeurs. p
jean-pierre stroobants
(à bruxelles)
et yves-michel riols (à paris)
Le meilleur livre que j’ai lu cette année
est Au bord du monde de Brian Hart.
Philipp Meyer
"
4 | international & europe
0123
VENDREDI 30 JANVIER 2015
Lutte antiterroriste : les difficiles progrès de l’UE
Les Vingt-Huit discutent d’un fichier passagers, du contrôle d’Internet et d’un partage de renseignements
LE CONTEXTE
bruxelles - bureau européen
M
ieux coordonner
l’action antiterro­
riste des Vingt­
Huit : c’est, depuis
les attentats de Paris, le credo des
ministres de l’intérieur, même si
tous savent que le projet se heurte
à une contrainte majeure, celle
des traités européens. Ils énoncent que la sécurité reste, pour l’essentiel, une compétence des Etats.
Réunis à Riga, jeudi 29 janvier,
pour une rencontre « informelle », les 28 ministres devaient
toutefois tenter d’avancer dans
les différents domaines où la
coopération peut être améliorée.
Et préparer le terrain pour des décisions qui seraient annoncées le
12 février, lors d’un sommet des
chefs d’Etat et de gouvernement,
à Bruxelles. Comme on l’indique
de source française, l’idée était
d’abord de trouver un accord pour
accentuer la pression sur la Commission, afin qu’elle relance le
projet de « PNR européen », ce fichier qui reprendrait une série de
données sur les passagers aériens,
un outil que les responsables de la
sécurité jugent indispensable
pour mieux repérer et suivre les
membres de groupes terroristes.
« Si on arrive à dire à 28 ce que
l’on a dit à 11, le 11 janvier à Paris, on
aura déjà avancé », résume une
source française. Les partisans du
projet disposent d’une série d’arguments. D’abord, que les Européens ont été contraints de livrer
des informations de ce type aux
Etats-Unis, au Canada et à l’Australie et qu’il serait paradoxal qu’ils
LES ATTENTATS
Les attaques contre Charlie
Hebdo et l’Hyper Cacher de la
porte de Vincennes ont relancé
l’idée de la coopération
antiterroriste européenne.
LA RIPOSTE
Les ministres de l’intérieur cherchent des réponses communes,
dans le cadre des traités.
LES OBSTACLES
Les projets de collaboration
européenne se heurtent
aux réticences des institutions
et des services.
Conférence de presse des ministres des affaires étrangères suédois et letton, le 23 janvier, à Riga. ILMARS ZNOTINS/AFP
en privent plus longtemps leur
police et leurs services de renseignement. Ensuite, que le blocage
actuel autour de ce texte entraîne
la naissance de PNR nationaux qui
risquent d’être « moins efficaces et
Démenti à propos d’un projet de fichier
passagers européen
Selon le quotidien britannique The Guardian, un projet de la
Commission européenne concernant un fichier de données
passagers, ou PNR, évoquerait la nécessité de récolter et de
stocker 42 types de renseignements sur ceux qui quitteraient
l’Europe et y entreraient. Les données (carte de crédit, adresse,
mode de paiement du voyage, préférences alimentaires, etc.)
seraient conservées durant cinq ans dans un fichier accessible
aux services de police et de renseignement.
Lors d’une audition au Parlement européen, mercredi 28 janvier, le commissaire aux affaires intérieures, Dimitris Avramopoulos, a affirmé qu’aucune décision quant au PNR n’était prise
et que « tout ce qui est publié à ce propos était erroné ».
moins protecteurs », comme le dit
le coordinateur européen de l’antiterrorisme, Gilles de Kerchove.
Fortes réticences
A l’heure actuelle, 14 pays songent
à créer leur propre système, dont
les informations ne seront pas nécessairement échangées avec les
voisins. La France travaille à un
PNR qui sera mis en service au
mois d’octobre et regroupera
24 « items » sur chaque passager,
conservés durant cinq ans mais
masqués au bout de deux ans. Les
services devraient faire des demandes spécifiques pour obtenir
les informations. Après avoir persuadé la Commission, les Etats
favorables à un PNR européen
devront encore convaincre le Parlement de Strasbourg.
Les récents débats indiquent
« Si on arrive
à dire à 28 ce que
l’on a dit à 11,
le 11 janvier
à Paris, on aura
déjà avancé »,
résume une
source française
que, même si certains socialistes
entrouvrent la porte à un accord,
les réticences restent fortes au
sein de l’assemblée, qui redoute
une menace sur les libertés. Les
Verts évoquent « une réponse caricaturale au terrorisme », Sophie
in’t Veld, du groupe libéral ALDE,
réclame le déblocage d’un projet
plus général sur la protection des
données personnelles, en rade depuis dix-huit mois. Les populistes
détournent le débat sur l’immigration et la menace islamiste.
Proposition de créer « EuroIntel »
Un autre axe de réflexion pour les
ministres
concerne
une
meilleure coopération entre les
services de renseignement. « On
possède très souvent les informations, mais on ne les partage pas »,
constate Guy Verhofstadt, le chef
du groupe libéral à Strasbourg. Il
propose dès lors la création d’un
« EuroIntel », un centre européen
du renseignement basé sur « le
partage et la confiance ». Un autre
appel qui se heurte à la réalité du
terrain : la plupart des services
restent peu enclins à échanger les
informations dont ils disposent,
Le Conseil de l’Europe livre un rapport
sans concession sur la NSA
Le texte dénonce la surveillance mondiale exercée par les Etats-Unis
Du 7 janvier au 17 février
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A
près plus d’un an de travail, le député démocratechrétien néerlandais Pieter Omtzigt (PPE) a présenté un
rapport très critique sur les programmes américains de surveillance électronique de masse de
la National Security Agency (NSA),
révélés par Edward Snowden, et
leurs conséquences pour l’Europe.
Lundi 26 janvier, les 84 membres
de la commission des affaires juridiques et des libertés de l’assemblée parlementaire du Conseil, représentant 47 pays, ont adopté le
rapport à l’unanimité, sans amendement. Même les conservateurs
britanniques et polonais, qui
avaient émis des réserves sur certains passages, l’ont approuvé.
En exergue, une phrase de Soljenitsyne résume l’état d’esprit des
rédacteurs : « Notre liberté repose
sur ce que les autres ignorent de
notre existence. » Le cœur du rapport est une énumération de toutes les révélations d’Edward
Snowden. Même pour ceux qui
ont suivi l’affaire assidûment,
cette compilation reste impressionnante : on redécouvre que,
grâce aux réseaux électroniques,
les Etats-Unis se sont donné les
moyens d’espionner la terre entière en permanence.
Le rapport condamne les EtatsUnis sans réserve : « Ces opérations mettent en danger les droits
de l’homme fondamentaux, notamment le droit au respect de la
vie privée (…), le droit à la liberté
d’information et d’expression (…),
le droit à un procès équitable et à la
liberté de religion. » Plus généralement, « le fait de savoir que les
Etats opèrent une surveillance
massive a un effet dissuasif sur
l’exercice de ces libertés ». Juridiquement, cet espionnage constitue une violation de la Convention européenne des droits de
l’homme et de la convention du
Conseil de l’Europe sur la protection des données personnelles.
« Emballement de la machine »
Le rapport regrette aussi « la réticence des autorités américaines et
de leurs homologues européens à
apporter leur concours à l’éclaircissement des faits ». On assiste, selon lui, à l’émergence d’un « gigantesque complexe industriel de
la surveillance » qui menace « le
caractère libre et ouvert de nos sociétés. (…) L’emballement de cette
machine de surveillance est dû au
fait que les dirigeants politiques
ont perdu le contrôle des activités
des services de renseignement ».
Pis : il observe que « les opérations massives de surveillance ne
semblent pas avoir contribué à
prévenir les attentats terroristes ».
Et accuse la NSA de jouer les apprentis sorciers : « La présence, entre les mains de régimes autoritaires, d’outils (…) comparables à ceux
qu’ont mis au point les services
américains et alliés aurait des conséquences catastrophiques. » Enfin, il rappelle que ces scandales
ont durablement détérioré les relations entre les Etats-Unis et certains de leurs alliés.
Comment, dès lors, réparer les
dégâts ? Le rapport indique que le
Conseil de l’Europe doit soutenir
les membres du Congrès américain, du Bundestag et du Parlement européen qui tentent de
faire voter des lois limitant ces
abus. Après ce premier succès, le
texte sera soumis à l’assemblée
plénière du Conseil en avril. p
yves eudes
par crainte qu’elles soient mal
utilisées ou que leurs enquêtes
soient mises en péril.
Les récents attentats ont relancé
un autre projet encore : un
meilleur contrôle d’Internet et des
réseaux sociaux, principaux outils
d’endoctrinement et de propagande pour des groupes radicaux.
L’idée serait de confier à Europol
une mission de surveillance et de
détection. Ce projet, même balbutiant, soulève déjà des critiques. Et
s’avère complexe : des opérateurs
encryptent désormais les messages, jusqu’à les rendre inaccessibles pour les services de sécurité.
D’autre part, la masse des informations diffusées semble en réalité incontrôlable : 500 millions
de messages sont diffusés chaque
jour sur Twitter ; toutes les
soixante secondes, trois heures
de vidéo sont téléchargées sur
YouTube, souligne Verity Harding, responsable de la politique
publique de Google. Un contrôle
accru aux frontières extérieures
de l’espace Schengen, une
meilleure prévention, l’élaboration d’un « contre-discours » face
au radicalisme : les autres projets
ministériels ne seront pas plus
simples à réaliser. p
jean-pierre stroobants avec
matthieu suc (à paris)
CU BA
Raul Castro exige la fin
de l’embargo pour
normaliser les relations
avec Washington
Le président cubain, Raul Castro, a affirmé mercredi 28 janvier au sommet de la Communauté des Etats latinoaméricains et des Caraïbes, au
Costa Rica, que la normalisation des relations de son pays
avec les Etats-Unis « ne sera
pas possible tant qu’existera
l’embargo ». M. Castro a
ajouté que cette normalisation ne pourra pas non plus
avoir lieu tant que « ne sera
pas restitué le territoire occupé
illégalement par la base navale de Guantanamo ». – (AFP.)
MALI
Une dizaine de morts
dans une attaque contre
des rebelles du Nord
Une attaque lancée dans la
nuit de mardi 27 à mercredi
28 janvier à Tabankort, dans
le nord du Mali, par une milice progouvernementale
contre des rebelles de la
Coordination des mouvements de l’Azawad a fait une
dizaine de morts. Plusieurs
kamikazes ont participé à
l’assaut. Les affrontements
meurtriers se sont succédé
depuis un mois dans cette
zone située entre Kidal, fief
de la rébellion, et Gao, contrôlée par des groupes armés
favorables à Bamako. – (AFP.)
international | 5
0123
VENDREDI 30 JANVIER 2015
Deux soldats israéliens ont été tués par le Hezbollah
La réplique d’Israël à l’attaque de la milice chiite a coûté la vie à un casque bleu espagnol de la Finul
correspondants
D
eux soldats israéliens
ont été tués et sept blessés, mercredi 28 janvier,
dans l’attaque de leur convoi près
de la frontière libanaise par le
Hezbollah. Cette attaque représente une vengeance pour le
mouvement chiite, dix jours
après la mort de six de ses combattants et d’un nombre indéterminé de militaires iraniens dans
un raid israélien contre l’un de ses
convois en Syrie, le 18 janvier.
Israël a répliqué en bombardant
des positions du Hezbollah dans
le sud du Liban, mais s’est gardé
pour l’heure d’une réponse de
grande envergure.
Un casque bleu espagnol de la
Force intérimaire des Nations
unies au Liban (Finul) a perdu la
vie, visiblement dans une frappe
israélienne, même si le contingent
onusien n’a pas précisé l’origine
du tir. L’Espagne a réclamé une enquête immédiate.
A la demande de la France, une
réunion d’urgence du Conseil de
sécurité s’est tenue à New York. La
nature soigneusement calculée
des représailles du Hezbollah
(une cible militaire, sur la frontière, un bilan limité à deux
morts) et de la contre-riposte israélienne pourrait permettre de
refermer ce nouveau cycle de violences. Les messages transmis par
les deux camps à la Finul indiquent que ni l’un ni l’autre ne
semblent désireux de se lancer
dans une confrontation généralisée, semblable à celle de 2006.
L’attaque du Hezbollah s’est
produite vers 11 h 30. Six missiles
antichars de type Kornet, de fabri-
cation russe, ont été tirés d’une
distance de 4 à 5 km en direction
d’un convoi militaire israélien circulant dans la zone de Har Dov,
connue comme celle des fermes
de Chebaa. Un territoire de 25 km2,
occupé par Israël, revendiqué par
le Liban, mais que l’ONU considère comme appartenant à la Syrie. Cinq de ces missiles ont atteint deux véhicules, le dernier
touchant des habitations dans le
village arabe de Ghadjar, a précisé
au Monde un porte-parole de l’armée. Une enquête interne a été
ouverte afin d’établir pourquoi
les soldats circulaient à bord de
véhicules non blindés, sur une
route dégagée, alors que le nord
du pays était en état d’alerte.
Autres opérations à venir
Des photos des projectiles tirés par
le Hezbollah ont été diffusées sur
les réseaux sociaux portant les
inscriptions « martyrs de Quneitra » et « Jihad Moughniyeh ».
Une allusion au fils de l’ancien
chef des opérations militaires du
Hezbollah, tué dans l’attaque israélienne du 18 janvier, au côté
d’un général iranien des Gardiens
de la révolution, Mohammed Ali
Allah Dadi. La milice chiite avait
promis de venger cet affront. La
question était quand et comment.
Le communiqué revendiquant
l’embuscade de mercredi a été
qualifié de « déclaration n° 1 », ce
qui laisse supposer que d’autres
opérations pourraient suivre.
Les bombardements israéliens
ont cessé après deux heures, mais
des avions de chasse ont continué
à tournoyer dans le ciel du sud du
Liban, pendant toute l’après-midi.
Le premier ministre Benyamin
Nétanyahou, en déplacement à
L’HISTOIRE DU JOUR
Quand les ex-forces spéciales
étaient contraintes à l’arrêt
C
e funeste été 2011, en Afghanistan, l’armée française est résolument à l’offensive contre les talibans dans la petite région de la Kapisa. Elle subit de lourdes pertes, dix-sept soldats tombent entre juin et septembre. Cinq périssent le 13 juillet
dans une attaque-suicide, un autre le 14 au matin, à quelques heures à peine du défilé parisien. Il est le mort de trop pour le président Sarkozy, qui explose de colère au téléphone aux oreilles du
chef d’état-major. Début septembre, nouvel accrochage mortel. Le
chef de l’Etat ordonne alors un arrêt des combats.
On découvre aujourd’hui, au fil d’un récit de guerre comme il
s’en écrit beaucoup, que cette « pause », jamais admise officiellement, a même affecté les forces spéciales. Lui s’appelle Calvin
Gautier, c’est un ancien « stick actions spéciales » (SAS) du 1er régiment de parachutistes d’infanterie de marine (RPIMa) et, en ce
début 2015, alors que tous les militaires français ont quitté Kaboul
pour combattre les djihadistes au Sahel ou en Irak, il témoigne.
« Trop offensifs » : c’est par ces mots que son unité fut accueillie en
octobre 2011 dans la Kapisa. La présidentielle de 2012 était en vue.
Les Français ne voulaient plus de cette
guerre dès lors qu’elle tuait leurs enfants. Le départ anticipé d’AfghanisLES FRANÇAIS
tan, encore officieux, fut acté.
NE VOULAIENT PLUS
« Pour nous, c’est inacceptable, nous
avons
des camarades dans ce
DE CETTE GUERRE DÈS conflit,perdu
alors il faut finir le boulot proprement et ne pas quitter l’AfghanisLORS QU’ELLE TUAIT
tan comme des voleurs », écrit le SAS.
LEURS ENFANTS
Ne sont-ils pas « payés pour lutter contre le terrorisme international » ? Calvin, 40 ans aujourd’hui, était venu porter des coups « aux salopards contre lesquels nous nous battions depuis dix ans ». Après
l’incompréhension, les « désillusions ». Le récit de sa mission entre septembre 2011 et février 2012, Task Force 32, est publié à
compte d’auteur grâce à ses amis serbes. Calvin n’est « ni écrivain
ni poète », dit l’un de ses proches, mais son témoignage résonne.
Sur le terrain, la guerre « zéro mort » confine à l’absurde. Le soldat évoque le « manque de délégation des ordres de tir au plus bas
niveau », ce qui revient à laisser filer des ennemis identifiés
comme tels. Les talibans, eux, ne font pas de pause. Regagnant du
terrain, ils harcèlent les bases françaises transformées en cibles
« puisque nous sortons de moins en moins ». Puis les infiltrent, jusqu’au drame : le 20 janvier 2012, quatre soldats sont tués durant
leur jogging, en pleine base, par des Afghans. Trop d’opérations
prévues sont annulées. « Nous savons où sont les insurgés, mais
on nous envoie faire des embuscades en rase campagne », se souvient Calvin. Lors d’une ces dernières sorties inutiles, « personne
ne s’est plaint, mais j’ai senti que le cœur n’y était plus ». p
nathalie guibert
Le Hezbollah
avait promis de
se venger après
le raid israélien
du 18 janvier
lors duquel six de
ses combattants
étaient morts
Sderot, dans le sud du pays, au moment de l’attaque, a regagné d’urgence la Kyria, le quartier général
de l’armée, à Tel-Aviv.
M. Nétanyahou a lancé un avertissement : « Ceux qui se trouvent
derrière l’attaque d’aujourd’hui en
paieront le prix complet. Depuis un
certain temps, l’Iran, via le Hezbollah, s’efforce d’ouvrir un front terroriste supplémentaire contre nous
en provenance du plateau du Go-
WWW.VALENTINO.COM
beyrouth, jérusalem -
lan. » Pour le premier ministre,
« le gouvernement libanais et le régime d’Assad partagent la responsabilité des conséquences des attaques émanant de leurs territoires ».
Israël se considère en situation de
légitime défense. La droite et certains experts jugent que la guerre
en Syrie et ses répliques sur la
frontière avec l’Etat hébreu obligent celui-ci à sortir de sa réserve
pour empêcher l’émergence, dans
la zone tampon du Golan, de postes avancés du Hezbollah.
Selon le professeur Efraïm Inbar,
directeur du Centre Begin-Sadat
pour les études stratégiques, Israël
« souhaite un retour au statu quo,
alors que le Hezbollah semble vouloir imiter le Hamas à Gaza en préparant un déluge de feu sur Israël.
Cela peut finalement fournir une
bonne occasion à Israël pour éliminer l’arsenal du Hezbollah. Beaucoup d’Israéliens pensent que l’escalade est la seule option viable »,
croit savoir le professeur.
Mais cette escalade serait aussi
lourde de dangers, militaires et
politiques, à l’approche des élections législatives du 17 mars. Le secrétaire général du Hezbollah,
Hassan Nasrallah, a prévu de s’exprimer vendredi sur ces incidents
qui divisent la classe politique libanaise. Samir Geagea, chef des
Forces libanaises (droite chrétienne) et candidat à la présidence
contre l’ancien chef d’état-major
Mer
Méditerranée
LIBAN
Damas
Fermes de Chebaa
Gha jar
Haïfa
PLATEAU
DU
GOLAN
Lac de
Tibériade
SYRIE
ISRAËL
CISJORDANIE
JORDANIE
25 km
Michel Aoun qui a le soutien de
l’organisation chiite, l’a accusée
de mettre en danger le pays.
« Comment le Hezbollah se permet-il de prendre des décisions sécuritaires et militaires avec lesquelles les Libanais ne sont pas
d’accord et qui auront de graves répercussions », s’est-il interrogé.
De son côté, le premier ministre
libanais, Tammam Salam, a accusé Israël de « jouer avec la stabilité de la région ». Le ministère des
affaires étrangères libanais a affirmé que le pays du Cèdre restait
lié par la résolution 1701 qui a mis
fin à la guerre de 2006. Selon lui,
l’attaque du Hezbollah ne constitue pas une violation de ce texte,
dans la mesure où elle s’est produite en territoire libanais occupé
(les fermes de Chebaa). Dans son
communiqué, la Finul déplorait
cependant « une violation sérieuse » de cette résolution. p
benjamin barthe
et piotr smolar
6 | international
0123
VENDREDI 30 JANVIER 2015
Dans Kobané,
libérée
mais détruite
Les combattants kurdes syriens sont
désormais seuls maîtres de la ville
REPORTAGE
kobané (syrie) - envoyé spécial
P
our entrer dans Kobané
depuis la frontière turque, il faut enjamber les
rails de la ligne Berlin-Bagdad. On passe des militaires turcs
aux miliciens kurdes en longeant
le flanc d’une gare ottomane, qui a
longtemps été la principale curiosité de la ville. Derrière une porte
de métal s’ouvre l’avenue des
Douanes : ce qu’il en reste, du ciel
entre deux rangées de bâtiments
crevés, de piliers nus et de toitures
écroulées au sol. A 200 mètres au
sud, sur le rond-point de la place
de la Paix, deux gros oiseaux de
bétons blanchis à la chaux, presque intacts. Ils ont miraculeusement échappé au désastre.
« Victoire contre la barbarie »
Les djihadistes de l’Etat islamique
(EI) se sont battus de la fin septembre 2014 à novembre pour couper
cette voie de ravitaillement vitale
pour la ville, qui comptait avant la
guerre quelque 70 000 habitants.
Puis ils ont été repoussés vers l’est,
rue par rue, durant plus de deux
mois. Les Unités de protection du
peuple (YPG, affiliées au Parti des
travailleurs du Kurdistan, le PKK,
séparatiste, interdit en Turquie),
aidées de peshmergas venus du
Kurdistan irakien et de rebelles
arabes de l’Armée syrienne libre
(ASL), les y ont contraints.
Ils ont reçu l’appui de plus de
700 frappes aériennes de la coalition internationale menée par les
Etats-Unis. Soit près des trois
quarts des bombardements qui
ont visé l’EI en Syrie.
Les YPG affirment avoir chassé,
depuis mardi 27 janvier, les der-
« Nous sommes
très heureux et
fiers d’avoir battu
l’Etat islamique.
Mais il y a eu tant
de morts… »
ADLA KASSOU
habitante de Kobané
niers djihadistes du quartier de
Mektele, à l’extrémité sud-est de la
ville. Elles revendiquent « une victoire pour l’humanité, une victoire
contre la barbarie et la brutalité de
Daech [acronyme arabe de l’EI] ».
Depuis la place de la Paix, ce qui
reste de Kobané se situe à main
droite : dans une poche qui représente un peu plus d’un dixième
de la ville, les quartiers ouest, où
vivent tous les civils. Des combattants y passent en voiture, visages
recrus de fatigue, levant des trombes de poussière. Parmi eux, on
aperçoit un adolescent qui n’a
probablement pas 15 ans, en uniforme, une kalachnikov en main.
Le reste de la ville est en ruines.
Sur l’avenue qui mène à Jarablous, à l’ouest, Faradoun, 13 ans,
traîne dans le magasin d’un parent mécanicien. Les garages de
l’avenue ont été transformés en
manufactures d’armes. Faradoun
est resté en ville durant tout le
conflit, il a travaillé à l’atelier. Il
s’apprête à aider à nettoyer la carcasse d’un canon antiaérien soviétique, partiellement brûlé.
D’autres habitants sont revenus
de leur exil en Turquie (200 000
réfugiés depuis la mi-septembre)
depuis un peu plus d’un mois, famille après famille. Les autorités
A l’entrée de Kobané, mercredi 28 janvier. LAURENCE GEAI POUR « LE MONDE »/SIPA
turques et kurdes limitent encore
ces passages. Les YPG leur interdisent de s’installer dans le centre et
l’est de la ville.
« Nous sommes très heureux et
fiers d’avoir battu Daech. Mais il y
a eu tant de morts… », raconte
Adla Kassou, 41 ans, qui a perdu
un frère dans les combats. Elle est
revenue en ville il y a dix jours. Sa
famille étendue, d’une dizaine de
membres, trouve de l’eau dans un
puits voisin. Les YPG fournissent
l’essence pour un générateur. On
en entend vrombir à tous les
coins de rue.
M. Erdogan remercié
« Nous nettoyons les rues, nous allons construire un camp de tentes
sous les arbres derrière les quartiers ouest », explique Mohammed Saïdi, le chef de l’administration municipale, sous le seul minaret encore debout. « Dans l’est,
nous aurons d’abord besoin de
bulldozers pour dégager les corps
des décombres », qui pourrissent
et empuantissent la ville. « Mais
nous ne pourrons jamais recons-
cratique (PYD), émanation en Syrie du PKK. Depuis que le régime
de Bachar Al-Assad a abandonné
la région aux Kurdes en 2012, le
PKK, d’inspiration marxiste, a pris
le contrôle de Kobané et des deux
autres régions kurdes de Syrie.
Après l’attaque de l’EI, les autres
partis kurdes ont quitté la ville.
Pour reconstruire, les autorités
du Kurdistan syrien devront s’en-
truire seuls, il nous faudra de
l’aide », ajoute-t-il. Pas rebuté par
l’ampleur de la tâche, l’administrateur a commencé à faire le bilan des destructions. Il voudrait
évaluer le montant des travaux
rue par rue.
Une chose simplifiera le travail
de cette administration : la ville
est aux mains d’une seule organisation, le Parti de l’union démo-
TURQUIE
Jarablous
Kobané
Alep
Rakka
Mer
Méditerranée
IRAK
SYRIE
Homs
LIBAN
Damas
60 km
JORDANIE
tendre avec la Turquie voisine, où
le PKK a mené durant trente ans
une insurrection qui a fait 40 000
morts. La Turquie a laissé passer
civils, combattants et approvisionnement durant la bataille.
Elle l’a fait discrètement, en multipliant les embûches.
Elle a aussi laissé passer à grand
bruit, fin octobre, les 150 peshmergas venus d’Irak. Mardi, le
président de la région autonome
kurde d’Irak, Massoud Barzani, rival du PKK, a remercié M. Erdogan
pour son rôle dans « le sauvetage » de Kobané.
Enfin, si les Kurdes de Syrie ont
reconquis la ville, la province de
Kobané reste aux mains des djihadistes. Les Kurdes affirment avoir
« libéré » une demi-douzaine de
villages, situés entre 4 et 8 kilomètres autour de la ville. Pour pousser
plus loin sans attendre un retrait
de l’EI, ils devraient progresser en
terrain découvert. Il leur faudrait
des armes lourdes, des blindés et
des chars, ce qu’ils n’ont pas, à l’inverse de l’Etat islamique. p
louis imbert
L’Etat islamique cherche à déstabiliser Amman en utilisant ses otages
L’organisation propose de libérer un journaliste japonais en échange d’une djihadiste irakienne détenue en Jordanie depuis 2005
L’
Etat islamique (EI) n’est
pas prêt à transiger sur
son
ultimatum
au
royaume jordanien. Dans un
message audio attribué à l’otage
japonais Kenji Goto, dont
l’authenticité n’a pas été formellement établie, le groupe djihadiste
a donné à Amman jusqu’au jeudi
29 janvier, coucher du soleil, pour
libérer Sajida Al-Richaoui, sous
peine d’exécuter le journaliste
ainsi que le pilote jordanien Maaz
Al-Kassasbeh, également retenu
en otage depuis le 24 décembre 2014. L’EI réclame depuis samedi la libération de sa « sœur
emprisonnée » en Jordanie depuis
2005 contre la libération du Japonais et la vie sauve au Jordanien.
Mercredi midi, les autorités jordaniennes ont tenté de modifier les
termes de l’accord, en offrant de
livrer la djihadiste à la condition
que leur ressortissant soit libéré.
Position inconfortable
La demande formulée par l’EI
place le royaume hachémite dans
une position inconfortable. Le Japon, bouleversé par l’annonce samedi de l’exécution de Haruna Yukawa, n’entend pas perdre un second otage. Son sort est désormais
lié au bon vouloir d’Amman. Le vice-ministre japonais des affaires
étrangères, Yasuhide Nakayama, y
a été dépêché pour suivre les négociations indirectes avec l’EI.
La Jordanie peut, pour sa part,
difficilement accepter de libérer la
djihadiste irakienne sans obtenir
celle de son pilote, alors que ses
proches, membres de l’influente
tribu de Karkak, ont menacé de
plonger le pays dans le chaos s’il
était tué. Amman craint une surenchère du groupe djihadiste.
« L’un des scénarios envisagés est
que l’EI échange le journaliste japonais et conserve Maaz Al-Kassasbeh pour un accord à portée régionale, comme la libération d’Irakiens détenus dans d’autres pays »,
estime Osama Al-Sharif, un analyste jordanien. A ces pressions
s’ajoutent celles de l’allié américain, intransigeant sur toute négociation avec les groupes extrémistes.
La demande
formulée par l’EI
place le royaume
hachémite dans
une position
inconfortable
Des doutes subsistent sur le sérieux de la proposition de l’EI, inédite pour ce groupe. Certains experts y voient une marque d’attention de l’EI en direction de ses disciples. Sajida Al-Richaoui est une
figure symbolique pour le groupe.
Cette Irakienne, âgée de 44 ans, est
la sœur de Thamer Moubarak
Atrouss, ancien bras droit du Jordanien Abou Moussab Al-Zarkaoui. Depuis sa mort en 2006
dans un bombardement américain, le fondateur d’Al-Qaida en
Irak reste admiré des membres de
l’EI, dont l’Etat islamique est une
résurgence. Zarkaoui avait envoyé
Sajida Al-Richaoui, son mari et
trois autres hommes perpétrer
des attentats dans trois hôtels
d’Amman, qui avaient fait 57 morts
le 9 novembre 2005.
Richaoui, qui n’avait pas réussi à
activer sa ceinture d’explosifs, a
été arrêtée et condamnée à mort
en septembre 2006 pour complicité. Un moratoire sur son exécution a expiré fin 2014.
Les négociations sur le sort du pi-
lote jordanien offrent surtout à l’EI
un précieux moyen de déstabiliser
le royaume hachémite. « S’il est
exécuté, la controverse sur la participation de la Jordanie à la coalition internationale anti-EI va
s’étendre au sein de l’opinion publique. Elle est encore limitée aux proches du pilote et à quelques députés
islamistes. C’est l’une des plus grandes crises politiques que traverse la
Jordanie depuis des années », indique Osama Al-Sharif. Alors que l’EI
s’ancre dans la province irakienne
voisine de l’Anbar, le royaume
craint le retour des djihadistes jordaniens, nombreux au sein de l’EI.
« C’est notre guerre », a martelé il y
a quelques jours le roi Abdallah. p
hélène sallon
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Vous êtes plus d’1
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L’
franceinter.fr
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*Médiamétrie 126 000 Nov-Déc 2014 AC 18h-19h LàV 13+
nicolas un jour dans le monde
demorand du lundi au vendredi 18h15
avec les chroniques
d’Arnaud Leparmentier et Alain Frachon
MERCI !
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0123
VENDREDI 30 JANVIER 2015
La santé des grands prématurés s’améliore
Une étude française portant sur 7 000 enfants souligne les progrès réalisés au-delà de six mois de grossesse
C’
est une bonne nouvelle. La survie des
grands prématurés
s’améliore. C’est ce
qu’indique une étude réalisée par
les chercheurs de l’Institut national de la santé et de la recherche
médicale (Inserm), publiée dans
la revue JAMA Pediatrics lundi
26 janvier et présentée mercredi
28 janvier. Appelée Epipage 2
(pour étude épidémiologique sur
les petits âges gestationnels),
cette étude porte sur 7 000 enfants nés depuis 2011 entre la 22e
semaine et la 34e semaine d’aménorrhée (absence de règles). Les
chercheurs ont comparé cet
échantillon avec celui d’une précédente étude, appelée Epipage 1,
conduite en 1997.
Le travail porte sur la grande
prématurité, préviennent les
auteurs. Les 6 696 enfants ont été
répartis en trois groupes : le premier regroupe les enfants extrêmement prématurés (nés avant
la fin du 6e mois, de 22 à 26 semaines), le second comprend les
grands prématurés (avant la fin
du 7e mois, entre 27 et 31 semaines), et le dernier inclut les enfants « modérément prématurés »
(nés au début du 8e mois, entre 32
et 34 semaines).
Evolution des mentalités
Comparée à la première étude Epipage 1, « la proportion des enfants
ayant survécu sans morbidité sévère a augmenté de 14 % pour les
prématurés nés entre la 25e et la 29e
semaine et de 6 % pour les enfants
nés entre 30 et 31 semaines d’amé-
Point noir :
seulement 0,7 %
des bébés nés
avant vingtquatre semaines
survivent
norrhée », explique le docteur
Pierre-Yves Ancel, responsable de
l’équipe Inserm d’épidémiologie
obstétricale, périnatale et pédiatrique (Inserm, université Paris-Descartes), qui coordonne l’étude.
Les taux de survie des enfants
sortis des services de néonatologie, sans pathologie néonatale
grave (complications cérébrales,
respiratoires et digestives), se situent à 97 % pour les bébés modérément prématurés (32 à 34 semaines), 81 % pour les bébés
grands prématurés (27 à 31 semaines) et à 48 % pour les enfants nés
à 26 semaines de grossesse (6
mois). Chaque semaine compte,
plus les enfants sont prématurés,
plus le taux de survie diminue. La
survie atteint en effet 99 % à
32-34 semaines, 94 % à 27-31 semaines, 75 % à 26 semaines, 59 %
à 25 semaines.
Comment expliquer les progrès
effectués en quinze ans mesurés
par cette étude ? La plupart de ces
bébés naissent dans des maternités de type 3 qui peuvent prendre
en charge les grossesses à haut risque, avec un service de réanimation néonatale. Autre raison, « les
mères ont plus souvent reçu des
corticoïdes [pour accélérer la maturation du poumon] », explique
le professeur François Goffinet,
chef de service de la maternité de
l’hôpital Port-Royal (Paris) et coauteur de l’étude. « En vingt ans, les
mentalités ont évolué, on va vers le
moins invasif pour le bébé, avec de
moins en moins de gestes douloureux », explique le professeur
Jean-Christophe Rozé, chef de service de médecine néonatale du
CHU de Nantes. La reconnaissance
de la douleur est mieux appréhendée par le personnel soignant. Les
services de néonatalogie essaient
aussi de limiter les agressions sonores et celles de la lumière.
Au final, l’enjeu, comme l’a rappelé mercredi Charlotte Bouvard,
présidente et fondatrice de l’association SOS Préma, qui vient en
aide aux parents de bébés prématurés, est « que l’enfant s’en sorte
bien et avec le moins de séquelles
possibles ». Le handicap moteur
et la déficience intellectuelle sont
les risques les plus fréquents. Ils
surviennent
respectivement
chez 10 % et 15 % des grands prématurés.
Inégalités criantes
Méthode universelle, le « peau à
peau » est fortement recommandé, car il restaure le contact
intime entre la mère et son enfant, de même que le lien avec
les parents, souvent désemparés, avec un fort sentiment d’impuissance.
Point noir, seulement 0,7 % des
bébés nés avant vingt-quatre semaines survivent. « La situation
n’a pas évolué par rapport à 1997
pour les plus grands prématurés,
nés avant vingt-quatre semaines,
explique le docteur Ancel, elle
traduit une grande incertitude
sur le devenir de ces enfants. »
Seulement 31 % des enfants nés
à 24 semaines survivent, dont
12 % sans comorbidité grave. On
parle souvent de « zone grise »,
55 000
bébés naissent prématurément en France chaque année
Soit 7 % des naissances en 2013, au cours de laquelle 781 000 bébés
sont nés en France. Un bébé sur cinq né avant terme est un grand
prématuré, soit entre 8 000 et 8 500 bébés nés avant 32 semaines
d’aménorrhée (absence de règles) révolues. Le nombre de prématurés croît depuis vingt ans, en raison de l’augmentation des grossesses multiples, de l’âge des mères, du développement de la procréation médicalement assistée et de pathologies de l’enfant.
qui se situe en deçà de 24 semaines. Faut-il réanimer ? Très complexe, cette question varie selon
les pays, et la réponse se prend
en accord avec les parents.
Autre bémol, les inégalités
sont criantes : le risque de prématurité est d’autant plus élevé
que les mères sont socialement
défavorisées. Si des progrès ont
été réalisés, les situations restent très hétérogènes d’un hôpital à l’autre et d’une région à
l’autre.
Ces chiffres font partie des premières données produites par
cette équipe de recherche. La
prochaine étape de l’étude Epipage 2 est de fournir des données sur le suivi à cinq ans. Le
coût atteint 6 millions d’euros.
Les chercheurs ne cachent pas
leur inquiétude pour la suite, car
« la recherche dans le domaine
périnatal se heurte à de nombreux obstacles, elle intéresse peu
les industriels ». p
La France suspend toute
exportation d’ivoire brut
En 2014, plus de trois tonnes de défenses
d’éléphant ont été vendues aux enchères
P
lus aucun certificat d’exportation d’ivoire brut ne
sera délivré en France, a annoncé la ministre de l’écologie, Ségolène Royal, mercredi 28 janvier,
à l’issue d’une réunion consacrée à
la lutte contre le braconnage et à la
préservation des éléphants, réunissant de nombreuses ONG. « A
l’instar d’autres Etats membres
comme l’Allemagne et le RoyaumeUni, j’ai décidé que la France ne devait plus autoriser d’exportation
d’ivoire brut. J’ai en outre demandé
le soutien de la Commission européenne dans cette approche. »
Cette mesure, attendue depuis
de nombreuses années par les associations, devrait permettre de
lutter contre le trafic illégal, très
important en France. En 2014, ce
sont plus de trois tonnes d’ivoire
brut (non travaillé) qui auraient
été vendues aux enchères dans les
salles de ventes françaises, explique l’association Robin des Bois, et
l’Europe représente une plaque
tournante majeure dans le commerce international, à destination
notamment de la Chine.
Selon les ONG, en 2013, « la
France a délivré des permis d’exportation pour 116 défenses d’éléphants d’Afrique, une quantité record, jamais atteinte depuis 1990 »,
date à laquelle le commerce de
l’ivoire a été strictement régle-
Ségolène Royal
a annoncé
une nouvelle
destruction,
courant 2015,
des stocks
d’ivoire saisis
menté. Il doit être limité aux pièces datant d’avant 1947 et considérées comme des antiquités ou à
des pièces et morceaux bruts entrés dans l’Union européenne
avant 1990. La preuve de cette antériorité doit être fournie pour obtenir un certificat intracommunautaire qui permet la vente de la
pièce, lors des enchères notamment. Mais l’ivoire continue d’entrer clandestinement en France et
fait l’objet de trafic de certificats.
Des défenses d’éléphants post-coloniales, bénéficiant de faux certificats, sont ainsi vendues aux enchères, achetées par des réseaux
criminels et exportées.
Contrôles renforcés
Il y a urgence à agir : selon plusieurs études, la quantité d’ivoire
issu du braconnage aurait été multipliée par quatre en quinze ans. Et
le nombre d’éléphants en Afrique
centrale a décliné de 60 % au cours
des dix dernières années.
« C’est une bonne nouvelle, a déclaré Charlotte Nithart, porte-parole de Robin des Bois, car la survie
des éléphants sauvages est menacée à une échéance de quinze à
vingt-cinq ans si le rythme du braconnage et la prolifération de la
corruption ne sont pas maîtrisés. »
Les ONG n’ont par contre pas obtenu l’interdiction du commerce
de l’ivoire au niveau national. Mais
la ministre a promis un renforcement des contrôles et moyens de
répression. Après la destruction de
3 tonnes d’ivoire en février 2014 à
Paris, Mme Royal a annoncé une
nouvelle destruction, courant
2015, des stocks d’ivoire saisis. Enfin, aucune importation en France
d’éléphants vivants capturés dans
les parcs nationaux et milieux naturels ne sera autorisée. p
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VENDREDI 30 JANVIER 2015
Alain Juppé entre en primaire
Le maire de Bordeaux, officiellement candidat pour 2017, a commencé sa campagne mercredi en Saône-et-Loire
branges (saône-et-loire) envoyé spécial
L
e coup d’envoi est donné.
Alain Juppé est officiellement lancé dans la course
à l’Elysée. Le maire de Bordeaux a entamé, mercredi 28 janvier, sa série de déplacements
dans l’optique de la présidentielle
de 2017. La première étape a été la
Saône-et-Loire, où le candidat à la
primaire à droite est venu « à la
rencontre des Français ». Après
avoir visité dans l’après-midi une
entreprise de textile à Montceaules-Mines et s’être entretenu avec
des élus locaux, il a tenu une réunion publique dans la salle des fêtes de Branges (2 400 habitants), à
l’occasion de la cérémonie des
vœux de l’un de ses soutiens, le député européen Arnaud Danjean.
Pas d’effervescence, ni d’effet de
scène : l’ancien premier ministre
de Jacques Chirac a délivré un discours mesuré, sur un ton posé, devant près de 800 personnes
l’écoutant attentivement « parler
de la France ». Face à un auditoire
visiblement impressionné, il a exposé « quelques pistes de réformes » pour sortir le pays de la
crise. Le contraste s’avérait saisissant avec le climat d’euphorie qui
règne habituellement dans les
meetings de Nicolas Sarkozy. Une
opposition de style totalement
assumée par Alain Juppé. Pendant
les près de quarante minutes passées à la tribune, il a tenté de se
différencier de son principal rival
dans la course élyséenne. Autant
sur le fond que sur le style, sans
l’attaquer frontalement pour
autant.
Le maire de Bordeaux s’est efforcé de cultiver sa stature
d’homme d’Etat. Il s’est posé en
homme politique responsable et
expérimenté, allergique à toute
démagogie. Répétant sa volonté
de « continuer à travailler » sur son
projet, il ne s’est pas laissé aller à
des slogans destinés à flatter la
base UMP.
Approbation polie
La manière dont il a parlé de la
construction européenne en témoigne : « Il paraît que lorsque l’on
dit “l’Europe, c’est la paix”, cela fait
ringard. C’est pourtant plus vrai
que jamais. » « On sera mieux ensemble plutôt que séparément. On
ne va pas mettre des frontières entre nous ou supprimer Schengen »,
a-t-il tranché, rejetant une proposition chère à Nicolas Sarkozy et se
posant à contre-courant de l’euroscepticisme ambiant. Face à « toutes les fariboles que l’on entend (…),
moi, je tiendrai un discours allant
dans le sens d’un renforcement de
l’Europe », a-t-il assumé sous les
applaudissements de la salle. Un
A Branges (Saône-et-Loire), mercredi 28 janvier. BRUNO AMSELLEM/SIGNATURES
message responsable, loin de galvaniser l’assistance mais suscitant
une approbation polie.
Même tonalité sur la nécessité
de faire perdurer le climat d’unité
nationale, à la suite des attentats.
Alors que M. Sarkozy a rompu le
21 janvier, sur le plateau du
« 20 heures » de Fance 2, la trêve
qui régnait entre le gouvernement et l’opposition, M. Juppé a
endossé de son côté la posture du
sage davantage préoccupé par
l’intérêt général que par ses ambitions personnelles.
« Face à cette tragédie, nous
avons vu un peuple qui aspire à
l’unité. Dans cette épreuve, l’exécutif a fait son devoir et nous aussi,
en le soutenant comme il le fallait
(…). J’entends dire que cette unité
nationale profite d’abord au pouvoir en place. Je ne veux pas rentrer
dans ce raisonnement parce que la
gravité de ce que nous avons vécu
devrait nous convaincre que le moment n’est pas aux calculs partisans ou politiciens », a-t-il asséné.
Demandant à l’opposition de se
montrer à la fois « constructive »
Pendant près
de quarante
minutes,
il s’est efforcé
de cultiver
sa stature
d’homme d’Etat
et « vigilante » vis-à-vis du gouvernement, il a essayé de montrer
l’exemple. D’un côté, il a salué la
décision de François Hollande de
suspendre la réduction des effectifs militaires. De l’autre, il a dénoncé la politique pénale menée
par la ministre de la justice, Christiane Taubira, taxée de laxisme.
M. Juppé a aussi apporté sa
nuance sur la nature des réponses
à apporter en matière de sécurité.
Pour lui, il ne faut pas légiférer
dans l’urgence face à la menace
djihadiste mais plutôt « commencer à appliquer les lois qui existent », en particulier celle sur l’an-
titerrorisme votée au Parlement
en novembre 2014. « C’est une manie en France de vouloir faire de
nouvelles lois sans se demander si
celles qui existent sont appliquées », a-t-il regretté. Manière de
se démarquer du président de
l’UMP, qui a formulé une batterie
de propositions, dont le rétablissement de la mesure d’« indignité
nationale » pour les djihadistes
français.
Si M. Sarkozy a estimé le 12 janvier que « les questions de l’immigration et de l’islam sont clairement posées » à travers les attentats, son rival a délivré au contraire un message d’apaisement
vis-à-vis des musulmans. « Dans
leur immense majorité, ils ne se reconnaissent pas dans les dérives
fanatiques d’une idéologie de
haine et de mort. Dans ces conditions, ils ont toute leur place parmi
nous », a-t-il affirmé, en jugeant
toutefois qu’ils devaient « s’exprimer » plus fortement pour marquer leur désaccord avec l’islam
radical. Regrettant que l’Etat n’ait
pas de vrai « interlocuteur » avec
la communauté musulmane, il a
aussi appelé les fidèles à « s’organiser » pour établir un dialogue
constructif avec les pouvoirs publics. Dans un contexte de droitisation générale de la plupart des
ténors de l’UMP, M. Juppé cherche
à garder un discours équilibré.
Sans courir après le FN ni faire
preuve de naïveté.
« Zigzags »
Une évolution est d’ailleurs à noter dans son discours sur l’immigration. Le maire de Bordeaux a
fait un pas en arrière par rapport
au discours qu’il avait tenu en
septembre 2014, appelant à l’établissement d’une « identité heureuse » en France. Critiqué durement pour ses propos jugés angéliques par les sarkozystes, qui le
dépeignaient depuis comme un
« bobo, coupé de la réalité » et méconnaissant les quartiers difficiles, M. Juppé a admis mercredi
que « cet objectif paraissait
aujourd’hui décalé par rapport
aux événements » récents. De manière plus consensuelle, il a pré-
féré insister sur la nécessité de
« réformer l’éducation nationale »
pour « renforcer la cohésion sociale » et mieux préparer les jeunes au marché de l’emploi.
Dénonçant les « zigzags » de la
politique économique du gouvernement, il a enfin évoqué le besoin de « stabilité et de visibilité »
pour relancer l’activité. Sa priorité : « Fixer un cap et s’y tenir »
pour redonner confiance à tous
les acteurs de l’économie.
Son cap à lui est déjà clairement
identifié : la présidentielle. Celui
qui reste la personnalité politique
préférée des Français dans le dernier baromètre IFOP-Paris Match,
publié mardi 27 janvier, se projette déjà dans l’exercice du pouvoir. S’il accède à l’Elysée, il promet de mettre en œuvre « sept ou
huit réformes fondamentales ». En
réponse à ses détracteurs, qui rappellent qu’il aura 71 ans en 2017, il
a précisé – en suscitant des rires
dans l’assistance – qu’il comptait
exercer le pouvoir pendant « cinq
ans… et pas davantage ». p
alexandre lemarié
L’UMP fixe les règles d’admission à la candidature
Au total, il faudra au moins 2 750 parrains pour prétendre à la primaire du parti
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quel prix sera le ticket
d’entrée du scrutin le
plus attendu de 2016 ?
Mardi 27 janvier, la commission
d’organisation de la primaire,
l’élection qui départagera les prétendants de la droite à la présidentielle, a fixé les conditions de participation. Avant de se présenter
au suffrage des électeurs, chacun
des participants devra être parrainé par 250 élus (maires, conseillers départementaux ou régionaux) dont 25 parlementaires,
mais aussi par 2 500 militants.
Lors d’une rencontre avec
Thierry Solère, président de cette
commission, le président du parti,
Nicolas Sarkozy, a donné son accord à cette solution, mercredi
28 janvier. « Les conditions sont as-
sez ouvertes pour que tous les courants de la droite puissent se présenter tout en évitant les candidatures
farfelues », résume M. Solère, député des Hauts-de-Seine. Ces conditions devront être avalisées par le
bureau politique du parti en mars.
Ambiance de consensus
La question des parrainages est
importante pour l’UMP puisqu’elle déterminera le nombre de
candidats à ce scrutin. Et placer le
curseur est un équilibre subtil. Si le
nombre de parrains exigé est trop
faible, le risque est de voir se multiplier les candidatures. Dans le cas
contraire, par exemple en demandant la signature de 50 parlementaires, l’UMP peut dire adieu à une
candidature des partis centristes.
Les prétendants devront être organisés, notamment pour convaincre les 250 grands élus, un
nombre assez élevé si on le compare aux 500 signatures exigées
pour les candidats à la présidentielle. En 2011, pour sa primaire, le
PS avait demandé aux candidats
de recueillir les parrainages de 5 %
des parlementaires (soit 17 signatures), ou 5 % des membres du
conseil national, ou 5 % des élus
locaux (maires des villes de plus
de 10 000 habitants, conseillers
généraux ou régionaux). Mais le
PS avait laissé le Parti radical de
gauche décider de la façon de sélectionner son candidat, Jean-Michel Baylet.
Après avoir fixé le corps électoral
le 6 janvier (les votants devront si-
gner une charte d’adhésion aux
valeurs de la droite et du centre,
être inscrits sur les listes électorales et payer 2 euros), la commission a déminé le sujet dans une
ambiance de consensus entre les
représentants des candidats qui
siègent dans cette instance.
Certains ont seulement évoqué
l’idée que ce soit des sympathisants qui apportent leur signature. Mais sans aller jusqu’au bras
de fer. « La plupart des sujets politiquement épineux sont derrière
nous », se réjouit M. Solère. La
commission doit maintenant réfléchir au nombre de bureaux de
vote qui seront mis en place et à la
création d’une haute autorité indépendante garante du scrutin. p
matthieu goar
france | 9
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VENDREDI 30 JANVIER 2015
M. Valls en Chineen VRP de la politique française
Le premier ministre, arrivé mercredi à Tianjin, se rendra ensuite à Pékin puis à Shanghaï
pékin - envoyé spécial
D
es avenues sans fin et
vidées de toute présence humaine sauf
policière, décorées des
drapeaux français et chinois, bordées d’immeubles parfaitement
alignés, jumeaux gigantesques de
verre et d’acier plantés toutes les
centaines de mètres : bienvenue
en Chine, Manuel Valls…
Moins de deux ans après celui
effectué par François Hollande, le
premier ministre a entamé, jeudi
29 janvier, un déplacement de
trois jours, programmé de longue
date, en République populaire de
Chine par une visite de Tianjin,
quatrième ville et poumon industriel et portuaire du pays. A peine
débarqué de l’avion présidentiel,
dans un froid glacial, M. Valls s’est
rendu immédiatement sur le site
d’assemblage de l’usine Airbus,
installée depuis 2007 et qui produit des A320 à la chaîne – quatre
en moyenne chaque mois, le
200e appareil a été livré en décembre 2014.
La rupture avec Paris est grande,
surtout après dix heures de vol.
Accueilli par une chorale interprétant en français la chanson du
film Les Choristes, le chef du gou-
« Je suis venu
en Chine pour
expliquer les
réformes
ambitieuses que
nous menons »
MANUEL VALLS
premier ministre
vernement, accompagné par Laurent Fabius, le ministre des affaires étrangères, et l’ancien premier
ministre Jean-Pierre Raffarin, personnalité appréciée dans le pays,
réussit à vanter l’« audace » et
l’« esprit pionnier » chinois, avant
de distribuer leurs nouveaux diplômes à des élèves ingénieurs locaux et de remettre la Légion
d’honneur à Lan Xinguo, l’ancien
PDG chinois de la compagnie aérienne Sichuan Airlines.
dire que la France est plus que jamais ouverte aux investissements
chinois créateurs d’emplois et de
croissance, ainsi qu’aux étudiants
et aux touristes chinois », a-t-il déclaré. Un appel clair aux subsides
de la toute récente première puissance économique mondiale, répété quelques heures plus tard à
Pékin lors d’un séminaire sur le
développement de l’économie
verte, et qu’il devrait réitérer à
Shanghaï, où il se rend samedi.
Manuel Valls, qui devait signer
jeudi avec son homologue chinois, le premier ministre Li Keqiang, une série d’accords économiques dans les secteurs de l’aéronautique, de l’agroalimentaire
et de l’énergie, a néanmoins conscience de la longue marche qu’il
reste à parcourir face au géant
asiatique. « Notre relation demeure encore déséquilibrée puisque nos importations de Chine représentent 2,5 fois nos exportations vers la Chine », a-t-il reconnu.
Raison de plus pour se transformer, depuis l’empire du Milieu, en
VRP de la politique de son gouvernement, malgré la faiblesse de la
reprise économique et les récents
chiffres du chômage, toujours
aussi décevants en France. « Je suis
aussi venu en Chine pour expliquer
les réformes ambitieuses que nous
menons pour renforcer la compétitivité des entreprises françaises et
l’attractivité de notre territoire », a
déclaré M. Valls. Pour Manuel
Valls, ce voyage est le premier à
l’emmener aussi loin et longtemps dans un pays du G20 depuis
qu’il est en fonctions à Matignon.
Devenir un visage familier
Invité à l’occasion de la clôture des
célébrations du 50e anniversaire
des relations diplomatiques entre
la Chine et la France, établies
en 1964 par le président de Gaulle,
le premier ministre souhaite profiter du déplacement pour
Martine Aubry n’est pas du voyage
Martine Aubry, maire de Lille (Pas-de-Calais), ne figure pas dans
la délégation du premier ministre. Une absence d’autant plus remarquée que Mme Aubry est, depuis 2012, « représentante spéciale pour les relations économiques avec la Chine ». Son entourage et celui de M. Valls ont toutefois tenu à minorer cette
absence. Matignon a ainsi assuré au quotidien L’Opinion que
M. Valls et Mme Aubry « ont eu des échanges ». De son côté, la mairie de Lille a expliqué au Figaro.fr que les deux socialistes « ont
convenu que les missions ne correspondaient pas au rôle de représentante de Martine Aubry ».
« nouer des relations personnelles » avec les dirigeants du pays,
explique son entourage. M. Valls,
qui est déjà venu en Chine en 2010
à l’occasion de l’Exposition universelle de Shanghaï, est « très attendu » sur place, selon Matignon,
les autorités du régime voyant en
lui l’incarnation d’une « certaine
modernité de la France ».
L’ancien maire d’Evry (Essonne),
qui avait reçu dans sa ville le dalaïlama en 2008, n’est toutefois pas
encore un visage familier pour le
peuple chinois. « Ici, les Français
les plus célèbres restent Jacques
Chirac, très apprécié pour sa connaissance des arts asiatiques, et Zidane. François Hollande, Manuel
Valls ou Nicolas Sarkozy ne sont
guère connus par le Chinois de la
rue », explique un restaurateur
français installé depuis plusieurs
années à Pékin. Il reste trois jours
au premier ministre pour tenter
d’inverser la tendance. p
bastien bonnefous
Appel aux subsides
Depuis Tianjin, où des ouvriers
continuent leurs travaux dans un
coin de l’usine pendant qu’il s’exprime, le premier ministre délivre
un message qui sera le leitmotiv
de son voyage : « Je suis venu pour
Très mal en point,
le NPA se prépare
à un congrès décisif
Olivier Besancenot et Alain Krivine
s’affrontent sur des motions opposées
A
lors que Syriza triomphe
en Grèce, la gauche radicale et l’extrême gauche
françaises sont à la peine. Si le
Front de gauche parvient encore à
capitaliser sur le bon score de
Jean-Luc Mélenchon à l’élection
présidentielle de 2012, pour le
Nouveau parti anticapitaliste
(NPA), en revanche, la situation
est plus critique. L’ex-Ligue communiste révolutionnaire (LCR) est
passée de 10 000 militants
en 2009, date de sa refondation, à
seulement 2 100 adhérents
aujourd’hui. C’est le chiffre officiel enregistré à la veille de son
congrès, qui se tient à Saint-Denis
(Seine-Saint-Denis), du 30 janvier
au 1er février. Et plus les troupes
sont réduites, plus les divisions
sont grandes.
« Nos disputes internes sont entretenues par un climat social pas
enthousiasmant. On se renferme
sur nous-mêmes », reconnaît volontiers Philippe Poutou, candidat du NPA à la présidentielle de
2012. « Quand il y a peu de mobilisations, peu de luttes, les débats se
focalisent sur des virgules », déplore quant à lui Alain Krivine, figure de proue de l’ex-LCR.
« Convergences »
Ces « virgules » sont les mêmes
depuis plusieurs années. Quels
rapports entretenir avec les
autres formations de gauche, en
particulier le Front de gauche ?
Faut-il continuer à se réclamer de
l’opposition de gauche au gouvernement quand, des frondeurs du
Parti socialiste aux écologistes,
l’opposition
institutionnelle
prend de l’ampleur ? Pour la première fois, Olivier Besancenot, la
toujours emblématique figure du
parti, s’oppose sur le sujet à son
ancien mentor, Alain Krivine. Le
premier plaide pour des « convergences » à gauche. Le second soutient une stricte indépendance,
sur le plan électoral tout du
moins. Ces deux lignes se retrouvent dans deux plateformes qui
vont tenter de s’entendre lors du
congrès.
Ces derniers temps, l’ensemble
du mouvement ne s’est exprimé
d’une même voix que pour refuser d’appeler à participer à la manifestation du 11 janvier et rejeter
l’idée d’union nationale à la suite
des attentats des 7, 8 et 9 janvier.
Pas de concorde, en revanche,
quand il s’est agi de décider s’il fallait ou non se rendre au meeting
de soutien à Syriza, à Paris, le
19 janvier, en compagnie du Front
de gauche et de certains écologistes. « Nous sommes solidaires avec
la lutte du peuple grec, mais attentifs à ce que ce ne soit pas une
source d’instrumentalisation pour
nous faire croire qu’on peut refaire
une gauche plurielle en France »,
explique M. Besancenot.
Si ce dernier se réjouit du succès
de la gauche radicale en Grèce ou
en Espagne, avec Podemos, pour
lui, la situation française diffère.
« Notre mouvement des indignés,
c’était au moment de la réforme
des retraites, en 2010, mais on a
perdu. Aujourd’hui, il y a une génération politique qui est en train de
naître, après la mort de Rémi
Fraisse, celle de Clément Méric et la
manifestation du 11 janvier »,
veut-il croire.
L’ex-porte parole du NPA, qui a
refusé de se présenter à la présidentielle de 2012 et n’entend pas
« personnaliser » son parti, risque
d’être appelé à revenir sur le devant de la scène dans les mois qui
viennent. « Ce serait plus facile
en 2017 si Olivier était candidat. Les
conditions vont être compliquées », reconnaît Jean-Marc
Bourquin, membre de la direction
du NPA. La récolte des 500 signatures d’élus nécessaires pour présenter un candidat à la présidentielle risque de ressembler à un
chemin de croix. La stratégie du
mouvement sur le sujet doit être
arrêtée en 2016. Pour l’instant,
Olivier Besancenot ne veut pas en
entendre parler. p
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VENDREDI 30 JANVIER 2015
AT T E N TAT S
« Frère » Djamel Beghal, mentor en terrorisme
Le maître à penser des tueurs de « Charlie Hebdo » et de l’Hyper Cacher est une icône du djihad international
suite de la première page
Un téléphone lui a été saisi avant
d’être transmis pour analyse à la
DGSI. Sans puce, il ne devrait pas
livrer d’information. « Le lien entre les visites de Kouachi et Coulibaly dans le Cantal et les attaques
de janvier me paraît impossible et
rien, à ce jour, ne le démontre », assure Bérenger Tourné, l’avocat de
Djamel Beghal. « Il est, en revanche, plausible que leurs relations
avec mon client aient renforcé leur
conviction religieuse », admet-il.
Figure de la galaxie djihadiste
internationale, membre de la
mouvance sectaire « Al Takfir Wal
Hijra », Djamel Beghal incarne
l’un des défis auxquels sont confrontées, aujourd’hui, les démocraties occidentales. Voilà vingt
ans qu’il a été identifié comme
une menace mais les autorités
disposent, en réalité, de peu d’éléments tangibles contre lui. Le parcours de ce père de quatre enfants, marié à une Bretonne, illustre la difficulté de juguler des projets religieux pouvant déboucher
sur du terrorisme. Si Djamel Beghal a été condamné à plusieurs
reprises, la justice n’en paraît pas
moins démunie pour voir le vrai
visage de cet homme conscient
de sa stature intellectuelle, déterminé et charmeur. Ou, pour reprendre les termes d’un enquêteur de personnalité, « tout à la
fois aimable et menaçant, convenable et méprisant ».
Un passage par le Londonistan
Maître à penser du djihadisme
VERBATIM
“
Je ne peux concevoir qu’on
peut montrer du doigt quelqu’un qui se montre sensible à
une belle voix, à une mélodie enchanteuse (...). Sans vouloir être
ironique, que dire de ceux qui
écoutent ou obligent même des
joueurs de foot à hurler une Marseillaise de laquelle je ne retiendrai que des propositions telles
que “Aux armes citoyens”, “Formez les bataillons” ou “Qu’un
sang impur abreuve nos sillons” ?
Dois- je comprendre que les
Français (...) sont des hommes et
des femmes de violence ou plutôt ceux qui prônent la liberté, la
fraternité, l’égalité et les droits
de l’homme ? »
Djamel Beghal, le 29 juin 2010
au juge d’instruction qui s’étonne
des chants guerriers Moi terroriste, Explosez-les ou Aucune solution sauf les armes découverts
en perquisition.
Voilà vingt ans
que Beghal a été
identifié comme
une menace,
mais les autorités
disposent de peu
d’éléments
contre lui
pour certains, électron libre de la
sphère islamiste à l’ego surdimensionné pour d’autres, il a, à chaque étape de sa vie, su agréger
autour de lui un cercle d’affidés
totalement dévoués. Né en 1965
en Kabylie dans la commune de
Bordj Bou Arreridj, cet ancien étudiant en informatique se radicalise dans le sillon creusé par les
anciens des Groupes islamistes algériens (GIA). Il quitte l’Algérie à la
fin des années 1980 pour la
France où il approfondit ses con­
naissances religieuses. En 1994, à
Corbeil-Essonnes, il se rapproche
du groupe de la « Daawa et du Tabligh » et suit, dira-t-il plus tard
devant les juges antiterroristes,
les cours dispensés par Tariq Ramadan, un Suisse d’origine égyptienne, petit-fils du fondateur des
Frères musulmans. Il aurait
même travaillé à la rédaction de
ses discours. M. Ramadan n’a pas
souhaité répondre aux questions
du Monde mais il s’était exprimé
dans le passé sur ces liens, assurant que ces affirmations étaient
infondées.
Djamel Beghal multiplie les contacts avec les communautés salafistes en Europe. En janvier 1997, il
est interpellé une première fois
lors du démantèlement d’un réseau de soutien aux maquis islamistes algériens, avant d’être relâché. Il part s’installer, en 1998, à
Leicester, au Royaume-Uni, et se
lie avec un prédicateur vedette
d’origine jordanienne, Abou Qatada, présenté comme l’un des
chefs spirituels d’Al-Qaida en Europe. Le Royaume-Uni laisse alors
se réunir sur son sol les islamistes
radicaux étrangers, considérant
que la meilleure politique est de
les contrôler dans leur sanctuaire
surnommé le « Londonistan »,
plutôt qu’éparpillés dans la clandestinité.
Cette mouvance entend retrouver les valeurs fondamentales de
l’islam et envoie ses partisans
combattre en Bosnie, au Kosovo,
en Tchétchénie, en Ouzbékistan,
au Cachemire et bien sûr dans la
zone afghano-pakistanaise. De
son côté, selon un arrêt de la cour
d’appel de Paris daté du 14 décembre 2005, « M. Beghal a été
chargé de la diffusion des idées
www.monde-diplomatique.fr
FÉVRIER 2015
DOSSIER SPÉCIAL ATTENTATS DE PARIS
Les chemins
de la radicalisation
Par Laurent Bonelli
Chaque mois, avec Le Monde diplomatique,
on s’arrête, on réf léchit.
Chez votre marchand de journaux, 28
pages, 5,40 €
d’Abou Qatada en France ». Entre
autres missions, Djamel Beghal
doit livrer des faux passeports et
du liquide à des membres de leur
groupe ou se rendre, en
mars 1999, en Espagne pour payer
l’avocat d’un complice interpellé.
Mais Beghal ne se cantonne pas à
un rôle de lieutenant. Il fédère,
crée des passerelles avec des islamistes dispersés dans le monde
entier. Et diffuse sa vision extrémiste de la religion auprès d’individus qui agissent ensuite dans le
cadre d’un réseau aux contours
indistincts qui échappe aux radars des services de renseignement.
Jérôme Courtailler, un charcutier Savoyard de 27 ans, vient ainsi
se convertir à l’Islam auprès de
Beghal à Leicester. Son jeune frère
David suivra son exemple. La justice condamnera l’aîné pour avoir
falsifié des passeports et des cartes de crédit. Parmi les bénéficiaires des faux papiers figure notamment Nizar Trabelsi. Cet exfootballeur professionnel tunisien radicalisé auprès de Djamel
Beghal a été arrêté après avoir séjourné en Afghanistan où il a rencontré, selon ses propres dires, à
cinq reprises Oussama Ben Laden. Après s’être senti trahi par
son ancien mentor, Nizar Trabelsi
relatera au tribunal l’ascendant
de Djamel Beghal. « Il avait constitué à Düsseldorf un pôle d’attraction pour une série de personnes
ayant renoncé à vivre en France, en
Belgique ou en Italie en raison des
dangers [judiciaires] qu’elles y
couraient. »
Figure dominante
Les faux papiers d’identité fournis par les frères Courtailler ont
aussi bénéficié à deux hommes
qui ont marqué l’histoire à leur
manière, le 9 septembre 2001. Les
deux kamikazes, responsables de
la mort du commandant Massoud, ennemi juré des talibans,
étaient porteurs de faux passeports belges fournis par le réseau
Beghal. L’épouse de Djamel Beghal a confirmé à la justice française que son couple connaissait
bien l’un des deux hommes envoyés par Al-Qaida pour tuer le
commandant Massoud et qu’elle
a hébergé sa veuve, Malika ElAroud. En effet, suivant les conseils d’Abou Qatada, Djamel Beghal s’était envolé pour le Pakistan le 11 novembre 2000.
Une fois en Afghanistan, il se
fait une place au sein de la mouvance djihadiste. Vivant, notam-
Djamel Beghal à Murat (Cantal), en 2010, dans la chambre d’hôtel où il était assigné à résidence. DR
ment, à Djalalabad, au nord est de
l’Afghanistan, il fait partie des cadres dirigeants étrangers. Roulant
dans un 4X4 rutilant, protégé par
le bras droit d’Abou Qatada, il habite dans les beaux quartiers et
laisse les rudes nuits en bivouacs
du camp d’entraînement, à
quinze kilomètres de la ville, aux
recrues ordinaires. L’aura de Djamel Beghal dépasse le seul cercle
des Algériens en Afghanistan. Il
s’impose comme la figure dominante au sein de la Maison des Tunisiens à Kaboul. Où qu’il passe, il
entend être le chef.
En décembre 2000, il suit un entraînement paramilitaire, selon
les éléments transmis à la justice
par la Direction de la surveillance
du territoire (devenue Direction
générale de la sécurité intérieure),
puis est envoyé, en mars 2001,
dans le sud du pays, à Kandahar
afin d’affiner sa formation religieuse. C’est là, selon la DST, qu’il
aurait approché au plus près
l’état-major d’Al-Qaida en séjournant dans « la maison de Ben Laden » et en fréquentant l’homme
chargé des « relations extérieures » d’Al-Qaida, Abou Zoubeida,
qui l’aurait chargé de superviser
un attentat contre des intérêts
américains en France. Djamel Beghal niera, arguant que ses aveux
à ce sujet ont été obtenus par
l’usage de la torture après son arrestation, le 28 juillet 2001, à Du-
baï, alors qu’il revenait d’Afghanistan.
La cour d’appel de Paris lui donnera raison dans son arrêt du
14 décembre 2005 sur le projet
d’attentat, en 2001, contre l’ambassade des Etats-Unis à Paris. Les
juges indiquent que ces déclarations ont été faites « devant des
enquêteurs émiratis (…) dans des
conditions non conformes au respect des droits de la défense et ne
pouvaient être retenues ». Il a
néanmoins été condamné à dix
ans de prison pour association de
malfaiteurs en relation avec une
entreprise terroriste.
Le 18 janvier 2011, depuis ce qu’il
qualifie alors de « quartier d’isolement total et de torture légale » de
la maison d’arrêt de Bois d'Arcy, il
dénoncera à nouveau dans un
courrier adressé à son juge d’instruction « le complot » dont il
aurait été victime et les « mani-
Beghal fédère,
crée des
passerelles avec
des islamistes
du monde entier.
Et diffuse sa
vision extrémiste
de la religion
gances politico-judiciaires dans le
contexte de l’effervescence des événements du 11 septembre 2001 ».
Le rôle précis de Djamel Beghal
dans ce projet d’attentat, à Paris,
est toujours discuté. « Il n’avait ni
la logistique ni les hommes pour le
faire », se souvient Alain Chouet,
alors directeur du renseignement
de sécurité à la Direction générale
de la sécurité extérieure (DGSE) de
2000 à 2002, expert du monde
arabe et des questions de terrorisme. « Les Américains ont eu l’information grâce à une écoute du
Koweïtien Khalid Cheikh Mohammed [organisateur des attentats
du 11-Septembre], ajoute-t-il ;
D’après M. Chouet, « c’était un
leurre, une opération de désinformation, il a lâché l’information sur
une ligne surveillée pour détourner
les regards de ce qu’il préparait aux
Etats-Unis le 11 septembre, et il en
profitait aussi pour se débarrasser
de Beghal qu’il ne supportait pas ».
Si, judiciairement, le lien formel
entre Djamel Beghal et Al-Qaida
n’a pas été démontré, sa réputation, en revanche n’est plus à faire,
« elle le précède », confirme Philippe Van Der Meulen, l’avocat de
Smaïn Ait Ali Belkacem, ex-GIA,
condamné à la prison à perpétuité pour les attentats, à Paris,
en 1995, contre la station RER du
Musée d’Orsay. « Les deux hommes se connaissent, ils se sont croisés en prison mais Beghal n’est pas
france | 11
0123
VENDREDI 30 JANVIER 2015
Le prosélytisme carcéral,
terreau de la radicalisation
Djamel Beghal et Smaïn Aït Ali Belkacem sont considérés comme
les principaux agents recruteurs du salafisme pénitentiaire
L
e cas d’Amedy Coulibaly illustre la question de la radicalisation islamiste en détention. Comme avant lui Khaled
Kelkal, l’un des auteurs des attentats de 1995, Mohamed Merah, le
tueur de Toulouse, et Mehdi Nemmouche, celui de Bruxelles, l’assassin de l’Hyper Cacher de la
porte de Vincennes était d’abord
un petit braqueur de cité devenu,
après un épisode carcéral, terroriste sanguinaire.
Pour Coulibaly, cela s’est passé à
la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis (Essonne) lorsqu’il côtoie,
en 2006, Djamel Beghal qui purge
alors une peine de dix années de
prison pour un projet d’attentat,
en 2001, contre l’ambassade des
États-Unis, à Paris. Une radicalisation qui se traduit par le projet
d’évasion, mené par le mentor et
son élève, d’un autre terroriste,
Smaïn Ait Ali Belkacem. Incarcérés depuis une quinzaine d’années en France, Beghal et Belkacem figurent comme deux des
principaux agents recruteurs du
salafisme pénitentiaire. Ces deux
hommes qui n’ont pas été, à ce
jour, mis en cause dans l’enquête
sur les attaques de janvier, opèrent dans des styles très différents.
Placé à l’isolement entre
mars 2003 et 2006 et aussi depuis
2010, Djamel Beghal est considéré
comme un détenu modèle, aucun
incident n’est inscrit dans son
dossier carcéral excepté un appel
à la prière en 2006. Mais, auréolé
d’une réputation de fin théologien, Beghal n’a pas besoin de
hausser la voix ni même de beaucoup de temps pour assurer son
emprise sur un détenu.
A Murat,
en 2010,
Djamel
Beghal
accueille
Cherif
Kouachi. DR
Djamel
Beghal et
Amedy
Coulibaly,
lors d’une
randonnée
dans le Cantal
en 2010. DR
Teddy Valcy :
ce braqueur a
été converti
en détention
par Smaïn Aït
Ali Belkacem,
puis est
passé sous
la coupe
de Djamel
Beghal. DR
« Abderrahmane de Montargis »
Farid Melouk n’avait besoin de
personne pour se radicaliser. Il a
été condamné en France pour son
soutien aux Groupes islamistes
armés et en Belgique toujours
pour des faits de terrorisme. Pourtant il suffit, de son propre aveu,
d’un transfert commun, en 2004,
de la maison d’arrêt de la Santé au
palais de justice de Paris, pour que
ce vétéran du djihad tombe sous
le charme de Djamel Beghal. Une
fois sorti de prison en 2009, Farid
Melouk rencontre Chérif Kouachi, fait office de commis de Beghal, récupère ses affaires lorsque
celui-ci est de nouveau interpellé,
lui envoie des mandats en prison.
A l’opposé de son ami Beghal,
Smaïn Ait Ali Belkacem, 46 ans, est
beaucoup plus remuant en déten-
un politique, à la différence de
mon client. Sa légitimité vient de la
religion, c’est même une référence
pour Belkacem comme pour des
thésards ou des chercheurs. »
En décembre 2014, Djamel Beghal était à nouveau condamné
en appel pour avoir projeté de
faire évader Belkacem. Lors de
l’enquête, les policiers avaient notamment saisi, dans sa résidence
de Murat, de la documentation
sur des armes de guerre ainsi que
de nombreux documents relatifs
au djihad. Ils avaient notamment
trouvé un ouvrage de Abdullah
Azzam, l’un des pères du djihad
mondial, considéré comme l’un
des inspirateurs d’Oussama Ben
Laden. Sur les 160 islamistes radicaux surveillés aujourd’hui par
les services du renseignement pénitentiaire, Djamel Beghal figure
en bonne place ? il fait l’objet
d’une attention particulière qui
s’est encore renforcée après les attentats qui ont touché la France.
« Frère Djamel »
Son aura sur la sphère djihadiste
n’a pas faibli. Sur une écoute, on
entend clairement Belkacem se
rassurer après avoir reçu l’assentiment de « frère Djamel » pour que
sa femme vienne le voir au parloir
sans niqab. Qu’une figure comme
Belkacem se laisse dicter sa conduite par Beghal laisse deviner
l’emprise que celui-ci peut avoir
sur des Kouachi et Coulibaly, de
dix-sept ans ses cadets.
Le 12 mars 2010, à l’occasion
d’une conversation téléphonique
entre Amedy Coulibaly et Djamel
Beghal interceptée par les enquêteurs, il encourage ainsi son jeune
élève à donner de l’argent pour les
orphelins de Palestine : « Les enfants de Palestine, ce sont les combattants de demain mon ami, c’est
eux qui sont en train de tenir tête
aux juifs . » Et le magistrat alors
chargé de l’enquête sur le projet
d’évasion de Smaïn Aït Ali Belkacem note, à l’aune des nombreuses écoutes du dossier : « Au-delà
du plaisir bien innocent de rendre
une visite bucolique à un ami, Djamel Beghal paraissait être pour eux
un maître en religion dont ils semblaient boire les paroles sans aucun
recul critique. » p
jacques follorou, simon piel
et matthieu suc
Auréolé
d’une réputation
de fin théologien,
Djamel Beghal
assure
rapidement
son emprise
sur un détenu
tion. Condamné à la réclusion criminelle à perpétuité pour l’attentat, en 1995, à la station RER Musée-d’Orsay, à Paris, il est connu de
l’administration
pénitentiaire
pour recruter dans les différentes
maisons d’arrêt qu’il écume depuis maintenant vingt ans.
En 2004, la fréquentation du culte
musulman a doublé dans le bâtiment où il était incarcéré à la centrale de Saint-Maur (Indre). A son
passif carcéral, trois projets d’évasion, le dernier date de mars 2013
lorsque, avec un jeune braqueur
récemment converti, Belkacem a
tenté de faire sauter une porte de
la cour de promenade de la prison
de Réau (Seine-et-Marne).
Dans un rapport qui lui est consacré le 6 avril 2010, la sous-direction antiterroriste de la police judiciaire souligne que, lorsqu’il ne
pense pas à s’évader, Belkacem
« évoque le Coran à voix haute et
participe à des prêches ou prières
collectives non autorisés (…) il était
également considéré comme le
meneur d’un groupe d’islamistes
radicaux qui avaient des tensions
avec un groupe de non-islamistes
à Saint-Maur entre 2004 et 2006 ».
Stéphane Hadoux, petit délinquant du Loiret, a croisé en 2001
Belkacem à l’arrivée de celui-ci au
bâtiment D2 de Fleury-Mérogis.
Au bout de quinze jours, l’administration décide de les séparer. Peine
perdue : Hadoux se fait désormais
appeler « Abderrahmane de Montargis ». En 2005, il tombe avec des
complices suspectés de préparer
des attentats visant le siège du
contre-espionnage français et l’aéroport d’Orly.
Sur une écoute, on découvre que
Hadoux est proche de ceux qu’il
qualifie d’« élèves » de Beghal,
Chérif Kouachi, « notre frère bien
aimé », et Amedy Coulibaly, qui
est marié avec la sœur de son excompagne. Dans un courrier retrouvé en 2010 chez Kouachi, Hadoux exalte la « sortie glorieuse de
vie par une mort honorée » et
l’« éternité glorieuse » ainsi acquise.
Pour endoctriner Teddy Valcy,
braqueur antillais, Smaïn Ait Ali
Belkacem a un ressort tout
trouvé : sa croisade contre la pénitentiaire. Lors d’une tentative
d’évasion en 1998, les surveillants
avaient abattu un de ses complices
en train d’escalader à ses côtés le
grillage de la maison d’arrêt en
Guadeloupe. En 2008, Valcy sert de
gros bras à Belkacem lorsqu’il y a
des tensions avec d’autres détenus. Une fois libre, il passe sous la
coupe de Beghal et prépare l’évasion de Belkacem avec la complicité d’un autre braqueur converti,
Amedy Coulibaly. « Pour moi, le
summum de l’amitié, c’est d’être
prêt à faire sauter des murs pour libérer un frère », résumera Valcy.
Avec un assassinat, une tentative
de meurtre sur un gardien de prison et deux évasions au casier judiciaire, Nadir Mansouri est libérable en 2029 lorsque Smaïn Ait Ali
Belkacem est transféré à la centrale de Clairvaux (Aube). Mansouri, qui s’est converti sous l’égide
de Beghal en 2008, passe désormais son temps dans la cellule 208
qu’occupe Belkacem. Les deux
hommes réclament des parloirs
communs avec leurs épouses voilées pour prier ensemble. L’administration pénitentiaire s’inquiète,
le 12 avril 2010, de l’« influence négative » que Mansouri exerce aux
côtés de Belkacem « sur l’ensemble
de ses codétenus ».
Interrogé par Le Monde, un
voyou – qui souhaite garder l’anonymat – lui aussi converti par un
membre du duo Beghal-Belkacem, décrypte leur procédé :
« Après un braquage, tu te retrouves en prison. Les mois passent. Ta
voiture est saisie, ta maison aussi.
Tu te dis : Je me suis trompé de
carrière. Et puis, tu vois des mecs
en promenade, condamnés à 20
ans de taule et ils ont toujours le
sourire. Tu leur demandes quel est
leur secret. C’est l’islam ! Ils sont
charismatiques. Ils affichent leur
gentillesse pour mieux te mettre
leur disquette dans la tête… »
La difficulté est ensuite pour les
services de renseignement de l’administration pénitentiaire de déceler ceux dont la radicalisation représente une vraie menace. Parmi
les élèves du duo Beghal-Belkacem, Chérif Kouachi et Amedy
Coulibaly étaient loin d’avoir les
plus gros pedigrees. Ce sont pourtant eux qui sont passés à l’acte. p
j. fo., s. pi. et m. su.
Un défi pour le renseignement pénitentiaire
160 personnes gravitant autour de l’islam radical sont aujourd’hui attentivement surveillées
J
usqu’à l’affaire Merah, le bureau du renseignement de
l’administration pénitentiaire, créé en 2003 avec l’étatmajor de la sécurité, travaillait
dans l’indifférence relative des
autres services de renseignement.
Depuis, le paradigme a changé. Et
les attentats des 7, 8 et 9 janvier
imposent une accélération de
cette évolution. Aujourd’hui, 13
personnes travaillent au sein du
bureau parisien. Chaque bureau
pénitentiaire dispose de délégués
locaux sur le terrain. A Paris, Lyon,
Lille et Marseille, deux délégués
œuvrent à plein-temps.
Ressources renforcées
A la suite des annonces du premier ministre Manuel Valls consécutives aux attentats, les ressources humaines du dispositif de renseignement au sein de l’adminis-
tration pénitentiaire devraient
être renforcées de 66 personnes.
Actuellement, au sein de la population pénale sur l’ensemble du
territoire, 850 personnes font
l’objet d’une surveillance. Parmi
elles, outre des membres de la criminalité organisée du grand banditisme, des militants basques et
corses, 160 personnes gravitant
autour de l’islam radical sont attentivement suivies.
Pour l’essentiel, il s’agit d’observer les comportements des détenus. Une tâche de plus en plus difficile. Dans les cas de Mohamed
Merah, Chérif Kouachi ou Amedy
Coulibaly, les signes extérieurs
d’une radicalisation n’étaient pas
visibles. La taqiya, qui consiste à
dissimuler sa foi pour éviter de se
trouver en conflit avec l’autorité,
quelle qu’elle soit, constitue l’un
des nouveaux défis. La grille de
Déceler
la radicalisation
des détenus
est rendu difficile
par la « taqiya »,
la pratique
qui consiste à
dissimuler sa foi
détection de la radicalisation des
détenus à destination des personnels, élaborée pour la première fois en 2005, réactualisée
en 2009, jugée aujourd’hui obsolète, fait d’ailleurs l’objet d’une
totale refonte.
Enfin, la collaboration et
l’échange d’informations avec les
services antiterroristes doivent
être renforcés. Dès juin 2012, soit
deux mois et demi après l’affaire
Merah, l’administration pénitentiaire signait un « protocole
DGSI » (Direction générale de la
sécurité intérieure) qui encadrait
la transmission de renseignements aux services de la sécurité
intérieure. Ce protocole actait en
outre la volonté de faire former
certains personnels par la DGSI,
afin de les sensibiliser aux nouvelles questions relatives à l’islamisme radical.
Outre les personnes détenues,
le défi du renseignement pénitentiaire s’étend aux personnes
suivies en milieu ouvert à la suite
d’un aménagement de peine, qui
sont plus de 173 000. Il faudra
alors notamment compter sur
les services d’insertion et de probation. p
j. fo., s. pi. et m. su.
12 | france
AT T EN TATS
Audition par la police
d’un enfant
pour propos terroristes
Un enfant de 8 ans a été entendu avec son père mercredi
28 janvier dans un commissariat de Nice, à la suite d’un signalement du directeur de
l’école. Le garçon aurait refusé
d’observer la minute de silence et tenu des propos de
« solidarité » avec les terroristes, après la tuerie à Charlie
Hebdo. « Visiblement, l’enfant
ne comprend pas ce qu’il a
dit », a expliqué le directeur
départemental de la sécurité
publique. Le Collectif contre
l’islamophobie en France a dénoncé un tel traitement.
PR ÉVEN T I ON
Des mesures contre les
suicides dans la police
Bernard Cazeneuve, ministre
de l’intérieur, a annoncé le
28 janvier des mesures pour
enrayer les suicides dans la
police. 55 ont été dénombrés
en 2014 contre une quarantaine les années précédentes.
Les équipes de soutien vont
être renforcées avec le recrutement de 15 psychologues. Est
aussi prévue « la refonte des
cycles de travail pour améliorer la conciliation entre vie
professionnelle et vie privée ».
SOC I AL
La carte d’identification
des SDF de Marseille
abandonnée
Lancée fin 2014, la carte de secours des SDF mentionnant
leur identité et leurs pathologies avec comme logo un
triangle jaune, qui avait suscité la polémique, a été retirée
selon Metronews du 28 janvier. Les 3 500 cartes distribuées ont été récupérées.
0123
VENDREDI 30 JANVIER 2015
Dieudonné : « Je ne suis pas antisémite,
parce que ça n’est pas drôle »
Le polémiste était jugé mercredi pour ses propos contre le journaliste Patrick Cohen en 2013
E
n homme de spectacle
averti, Dieudonné M’bala
M'bala tapote le micro de
l’index avant de prendre
la parole. Mais, mercredi 28 janvier, devant la 17e chambre du tribunal correctionnel de Paris, le
polémiste a décidé de changer de
registre. Il n’est pas là pour provoquer, dit-il : il veut s’expliquer. Et
entend lever les ambiguïtés qui lui
ont coûté neuf condamnations
depuis 2006 et lui valent de se retrouver de nouveau à la barre.
On a longtemps reproché à Dieu­
donné son refus de se positionner
clairement sur l’antisémitisme,
une confusion savamment entre­
tenue derrière un droit revendiqué au sarcasme. Est-ce l’influence
de son nouveau conseiller, la lassitude d’une décennie de procès,
son redressement fiscal ou sa prochaine comparution pour apologie du terrorisme ? Toujours est-il
que jamais l’homme n’a été aussi
catégorique : « La Shoah est un
crime contre l’humanité (…). Je le
dis très clairement, je ne suis pas
antisémite, parce que ça n’est pas
drôle d’être antisémite. » Il l’a annoncé à la barre : son prochain
spectacle s’intitulera fort oppor­
tunément Dieudonné en paix.
Le polémiste, âgé de 47 ans, était
jugé mercredi pour divers propos
tenus dans son spectacle Le Mur,
enregistrés clandestinement et
diffusés en décembre 2013 par
France 2. L’attaque la plus specta­
« Il est temps que
M. M’bala M’bala
prenne la mesure
de la démesure
de certains
de ses propos »,
a conclu le
ministère public
culaire visait le journaliste de
France Inter Patrick Cohen : « Tu
vois, lui, si le vent tourne, je ne suis
pas sûr qu’il ait le temps de faire sa
valise. Moi, tu vois, quand je l’entends parler, Patrick Cohen, j’me
dis, tu vois, les chambres à gaz…
Dommage. »
Cette sortie avait déclenché une
série de procédures d’interdiction
de ses spectacles. Deux autres
passages du Mur lui valent d’être
poursuivi pour injure publique et
provocation à la haine raciale : la
chanson Shoah Nanas, et un
sketch dans lequel il disait ne pas
avoir « à choisir entre les juifs et les
nazis ». « Je suis neutre dans cette
affaire. Qui a provoqué qui ? Qui a
volé qui ? J’ai ma petite idée », lan­
çait-il sur scène.
A la barre, Dieudonné a expliqué
les axes qui, selon lui, structurent
son « humour ». Tout d’abord, un
principe : le droit à rire de tout, et
surtout des tabous. Sur le fond, il
assure qu’il ne se moque pas de la
Shoah, mais de son « instrumentalisation » par des associations
comme la Ligue internationale
contre le racisme et l’antisémitisme (Licra). « L’antisémitisme
n’est pas drôle, c’est le chantage à
l’antisémitisme qui fait rire. L’instrumentalisation outrancière de
ce drame qu’est la Shoah en a fait
une parole sacrée. Les gens ont besoin d’en rire, car ils sont sous pression », croit-il comprendre.
Dernier argument développé
par le polémiste pour justifier son
goût pour le sujet : le rire aux dépens des Noirs serait mieux toléré
que celui visant la communauté
juive. « Quand Michel Leeb comparait les narines des Noirs à des
lunettes de soleil, je constatais que
ça fonctionnait, les gens riaient. Le
rire avait gagné. Avec mon frère,
on le voyait à la télé puis on se regardait dans la glace.
– Et ça vous faisait rire ?, le coupe
la présidente.
– Je sais pas, mais je suis devenu
humoriste. »
300 jours-amende requis
La nouvelle stratégie de défense de
Dieudonné a déraillé sur un flagrant délit de mauvaise foi. Sa sortie sur Patrick Cohen – qui ne s’est
pas porté partie civile – expliquet-il, était une « réponse » au journaliste qui l’avait qualifié quelques
mois plus tôt de « cerveau malade ». Il dit s’être senti « insulté »
par cette attaque qui l’aurait renvoyé aux « vieux poncifs sur
l’homme noir ». Or l’expression visait une liste de personnes qui
comprenait, outre Dieudonné,
l’auteur d’extrême droite Alain Soral, l’islamologue Tariq Ramadan
et l’écrivain Marc-Edouard Nabe,
et n’avait donc pas la moindre connotation raciste, contrairement à
la « réponse » de Dieudonné.
L’avocate de la Licra, qui s’est
portée partie civile, a souligné
que le danger n’était pas tant le
rire qu’il déclenchait chez une
partie minoritaire de son public,
constituée « d’antisémites purs et
durs », que son aura dans certains
quartiers. « Ce qui m’inquiète, ce
sont ses nombreux spectateurs qui
vivent de véritables inégalités et
qui cherchent des réponses, a dé­
claré Me Sabrina Goldman. Quand
Dieudonné donne sa lecture du
deux poids deux mesures, il leur livre un bouc émissaire, son obsession, que sont les juifs. »
« La vraie question n’est pas de
savoir si on peut rire de tout, mais
si on peut admettre n’importe quel
rire, a développé la procureure. Il
suffit de penser à Muriel Robin,
Desproges ou même à d’anciens
sketchs de Dieudonné pour voir
qu’on peut rire de tout, même du
racisme, quand il y a une juste distanciation. Le rire est là pour nous
rendre plus intelligent. Mais quand
il se nourrit de rancœur, de haine,
quand la distanciation n’est pas là,
LE CONTEXTE
Déjà condamné neuf fois depuis
2006 pour diffamation, injures ou
provocation à la haine raciale,
Dieudonné a vu ces derniers mois
son horizon judiciaire et financier
s’assombrir un peu plus. Il doit
être jugé, le 4 février, pour « apologie du terrorisme », pour avoir
écrit sur Facebook qu'il se sentait
« Charlie Coulibaly », en référence
à l'un des auteurs des attentats
de Paris. Toujours sous la menace
d'une demande d’expulsion du
Théâtre de la Main-d’Or, à Paris,
où il joue ses spectacles, il est
également mis en examen depuis
le 10 juillet pour abus de biens
sociaux, fraude fiscale et blanchiment de fraude fiscale.
il n’est pas protégé par la loi de
1881 » sur la liberté de la presse.
« Il est temps que M. M’bala
M’bala prenne la mesure de la démesure de certains de ses propos »,
a conclu le ministère public en requérant 300 jours-amende à
100 euros. Si le tribunal suit ces ré­
quisitions, Dieudonné devra
payer 30 000 euros ou, à défaut,
aller en prison pour 300 jours.
Son défenseur, Me Sanjay Mira­
beau, a demandé la relaxe. Juge­
ment le 19 mars. p
soren seelow
La justice confirme le mariage
d’un couple gay franco-marocain
La Cour de cassation invalide une convention entre Paris et Rabat
L
e mariage de Dominique et
Mohamed (ils préfèrent
garder l’anonymat), l’un
Français, l’autre Marocain, célébré à la mairie de Jacob-Bellecombette (Savoie) en novembre 2013,
ne sera pas annulé, bien que le
Maroc n’autorise pas l’union entre personnes de même sexe.
La Cour de cassation a rejeté,
mercredi 28 janvier, le pourvoi du
procureur général près la cour
d’appel de Chambéry, qui suivait
les instructions du ministère de
la justice en tentant de faire respecter une convention bilatérale
signée entre la France et le Maroc
en 1981. Celle-ci prévoit que la loi
personnelle de chacun des époux
(en l’occurrence, la loi marocaine
pour Mohamed) s’applique en
cas de mariage. Or le mariage homosexuel n’existe pas au Maroc.
Les conventions internationales
s’imposant aux lois nationales, le
parquet s’était opposé à la célé­
bration.
Mais pour la Cour de cassation,
on ne peut priver une personne
de la liberté fondamentale de se
marier, mariage qui, depuis
mai 2013, est ouvert aux couples
de même sexe. D’autant plus, sou­
ligne le communiqué qui motive
la décision, qu’il existe un lien de
« rattachement » entre le futur
marié étranger et la France : Mo­
hamed y a son domicile.
« Cette décision règle le cas qui
lui est soumis, celui d’un couple
qu’il faut féliciter pour sa persévérance, mais pas seulement. Elle
statue également pour les ressortissants de dix autres nationalités
qui attendaient de savoir si elles allaient pouvoir se marier », com­
mente Frédéric Hay, président de
l’association d’Aide de défense ho­
mosexuelle pour l’égalité des
orientations sexuelles (Adheos),
Les opposants
au mariage pour
tous ont dénoncé
une volonté
« d’imposer »
une loi française
contestée
en France
qui soutenait le couple et avait
saisi le Défenseur des droits.
Les Marocains ne sont pas les
seuls concernés. L’affaire avait fait
grand bruit lorsqu’elle avait été ré­
vélée, quelques semaines après
l’adoption de la loi sur le mariage
pour tous en mai 2013 : onze nationalités en tout étaient exclues du
mariage pour tous, en raison de
conventions bilatérales de teneur
comparable signées avec la France.
En plus du Maroc, il s’agit de la Pologne, de la Bosnie, du Monténégro, de la Serbie, du Kosovo, de la
Slovénie, de la Tunisie, de l’Algérie,
du Cambodge et du Laos.
« Ordre public »
Pour les ressortissants de pays qui
n’ont pas signé de convention,
cette réserve ne s’applique pas,
puisque la loi de mai 2013 prévoit
que deux personnes de même
sexe peuvent se marier dès lors
que, pour l’une d’entre elles, soit sa
loi personnelle, soit la loi du pays
où elle demeure autorise l’union
entre personnes de même sexe. La
disposition avait été prise afin
qu’un maximum d’unions bina­
tionales puissent être contractées.
Le rapporteur PS de la loi,
Erwann Binet, s’était ému de la si­
tuation des ressortissants des
onze nationalités concernées,
même s’il est impossible d’esti­
mer le nombre de couples bina­
tionaux empêchés de se marier. Il
s’agit, avait­t­il affirmé à l’époque,
d’une question de « libertés publiques ». Une pétition en ligne avait
recueilli plusieurs dizaines de
milliers de signatures. Mais le
gouvernement avait exclu de re­
négocier ces conventions qui con­
cernent d’autres questions que le
mariage.
Une réticence rendue caduque
par l’arrêt de la Cour de cassation.
« Elle neutralise la convention franco-marocaine au motif que celle-ci
prévoit expressément une exception à son application en cas d’atteinte à l’ordre public. Or, pour la
Cour de cassation, le droit au mariage pour tous relève bien de l’ordre public français », commente
Me Patrice Spinosi, qui intervenait
dans la procédure au nom du Dé­
fenseur des droits. « Le raisonnement est parfaitement logique, ren­
chérit le professeur de droit privé
Hugues Fulchiron. Quoi qu’on
pense de la loi, elle reconnaît le mariage entre personnes de même
sexe comme une liberté fondamentale. La convention doit être écartée
puisqu’elle heurte un principe essentiel du droit français. »
Ce qui vaudra pour les autres
conventions, qui prévoient tou­
tes, explicitement ou implicite­
ment, la même exception en cas
d’atteinte à l’ordre public. Les op­
posants au mariage pour tous,
dont La Manif pour tous, ont im­
médiatement réagi, dénonçant
une volonté « d’imposer » une loi
française, contestée sur son territoire, à l’étranger. « Il ne s’agit pas
d’imposer nos vues à d’autres Etats
mais de permettre l’application de
notre droit en France », répond
M. Hay. p
gaëlle dupont
enquête | 13
0123
VENDREDI 30 JANVIER 2015
François-Marie Banier,
lundi 26 janvier, devant
le tribunal correctionnel
de Bordeaux.
NICOLAS TUCAT / AFP
franck johannès
bordeaux - envoyé spécial
I
l est délicieusement insupportable, et
le vit fort bien. Lorsque le président du
tribunal correctionnel de Bordeaux
lui demande s’il a été déçu par Lindsay
Owen-Jones, le distingué ex-patron de
L’Oréal, François-Marie Banier demande en toute simplicité : « Je peux faire un
mot d’esprit ? » Le président lui répond qu’il
peut dire ce qu’il a à dire. « Il a été Sir, mais c’est
un faux frère. » Sourire.
C’est que l’homme est vif, cabotin, culotté,
fantasque, parle d’un ton un peu affecté (et pas
seulement par l’accusation), est d’une fausse
modestie à l’épreuve des balles mais est resté
très simple avec ses gens − il est pourtant si difficile de trouver du personnel de maison convenable, de nos jours.
François-Marie Banier, photographe, écrivain et principal prévenu du procès Bettencourt, est accusé d’avoir touché un peu plus de
450 millions d’euros de sa bonne amie Liliane,
l’héritière de L’Oréal. Il en a remboursé l’essentiel, à une grosse centaine de millions près.
Mercredi 28 janvier, à Bordeaux, il a été cuisiné
pendant près de six heures et s’en est sorti
sans trop de dégâts apparents, sauf à avoir trop
montré dans quelle estime il tient le tribunal.
Quand le président lui met sous le nez un témoignage accablant, François-Marie Banier lui
répond sans gêne : « Mais c’est passionnant ! » ; et s’en tire avec une analyse psychiatrique de comptoir, mais joliment tournée.
Plus personne ne doute que la vieille milliardaire s’amusait davantage avec son coquin-copain qu’avec sa fille, Françoise Bettencourt
Meyers, qui débarque sans un mot au palais
dans deux limousines aux vitres teintées et
d’un noir de corbillard.
François-Marie Banier, 67 ans, lui, serait parfaitement heureux sans cette méchante mésaventure judiciaire. Il a résumé, mercredi, sa vie
avec un certain plaisir – parler de lui est un sujet qu’il ne déteste pas. Un père hongrois, sévère, « très conventionnel, très courageux, gaulliste », violent – « mais je lui ai pardonné », assure le photographe. Une mère du Midi, qui
s’occupe d’œuvres sociales, et une éducation
classique, dans les « trente glorieuses » − « le
panache comptait énormément, dans une
France d’oriflammes ».
Il suit ses études au lycée Janson-de-Sailly à
Paris, où il s’émerveille de ces gens « de tous les
milieux » qui bachotent dans le 16e arrondissement, et de « ces professeurs qui m’ont donné
une culture malgré moi, de la vie des libellules
aux lettres de Cicéron ». A 17 ans, il plante cependant le lycée pour aller « dans le monde
réel ». Il veut « créer à travers les mondes, les
mots et les formes d’autres univers », -dit-il sobrement, et publie son premier livre, chez Gallimard s’il vous plaît, qui lui ouvre les colonnes
du Figaro et du Monde. « Sont venus à moi les
gens qui faisaient le même métier, assure-t-il,
des rencontres avec des pairs. » Comme Aragon, Queneau… Françoise Giroud − « une
femme extraordinaire devenue une amie » − le
recrute à L’Express et lui ouvre les yeux sur le
monde politique. Le petit Banier est coursier,
libraire, « c’est la vie d’un ouvrier », comme
papa qui a travaillé à la chaîne chez Citroën, paraît-il. « Je ne menais pas une vie de petit marquis », jure le monsieur.
COUVERTURE DU « SUNDAY TIMES »
Le président lui fait observer qu’ils habitaient
avenue Victor-Hugo. Certes, mais dans un petit appartement. Le jeune homme entre alors
chez Pierre Cardin comme attaché de presse,
travaille quatorze heures par jour, mais n’est
plus vraiment ouvrier : il rencontre Liliane
Bettencourt, elle a 45 ans, lui 23, chez les Lazareff, lui est patron de France-Soir, sa femme de
Elle. Et il fait des photos – il en a un peu plus de
850 000 dans ses armoires. « La photographie
est pour moi une écriture, explique FrançoisMarie Banier. Je n’ai jamais cessé d’écrire quatre
à cinq heures par jour, je n’ai jamais cessé la
photographie. »
Sept ans plus tard, il rencontre Yves Saint
Laurent, et quitte Cardin pour une autre merveilleuse vie. Il parvient à placer qu’il a fait la
couverture de Sunday Times, comme avant lui
les seules Colette et Françoise Sagan. Et il devient « à l’aise, financièrement » : il se targue
d’avoir inventé deux noms de parfum, Opium
et Poison, « les parfums les plus vendus au
monde ». Pierre Bergé [l’un des actionnaires du
Monde] lui en conteste vigoureusement la paternité, et ne se réjouissait sans doute pas
beaucoup de « l’amitié très profonde » que Banier assure avoir eue avec Saint Laurent. Le
L’étonnant
monsieur Banier
Jugé pour abus de faiblesse
dans l’affaire Bettencourt,
le photographe François-Marie
Banier a exposé au tribunal sa vie
d’artiste fantasque, entouré
de célèbres amis
photographe appelait cordialement son rival
en retour « le nain Bergé ». « On l’a bien dit de
M. Sarkozy, a rétorqué le prévenu, ça ne l’a pas
gêné. » « M. Sarkozy n’est plus dans le dossier »,
a dit sobrement le magistrat. Pierre Bergé a
produit une attestation où il se contente charitablement d’évoquer « le caractère impulsif »
de son collègue.
M. Banier est effectivement à l’aise, et déclare
un patrimoine de 11 millions d’euros : 1 100 m2
qui donnent sur le Luxembourg, quelques appartements rue de Vaugirard, un local rue Visconti, un autre à Charenton pour sa secrétaire,
une propriété dans le Gard et deux riads à Marrakech, pour les jours de pluie, d’une valeur de
deux gros millions d’euros. Et des tableaux et
œuvres d’art que Jean-Michel Gentil, juge
d’instruction qui a instruit l’affaire, est venu
voir. Pourquoi garder des tableaux dans les
coffres des banques ?, s’interroge ingénument
le président Denis Roucou. « C’est une question
très française, lui répond le prévenu. L’œil s’use
à regarder quelque chose. On les met dans des
coffres pour les redécouvrir : je ne vais pas les
accrocher les uns sur les autres. » Le président
se le tient pour dit.
Notre photographe expose 28 fois en treize
ans, à Stuttgart, Buenos Aires, Tokyo, Budapest, Milan… Liliane Bettencourt vient à tous
les vernissages et lui fait un contrat en or massif (400 000 euros par an) pour « des conseils » à L’Oréal. Un petit actionnaire porte
plainte en 2010 et le pactole se tarit.
« Vous n’avez pas parlé de Madeleine Castaing ? lance négligemment le président.
– Je n’ai pas parlé d’Isabelle Adjani non plus,
rétorque le photographe.
– Elles n’ont pas le même âge…
– Ah, maintenant, on trie par l’âge ? », s’agace
le prévenu. Il préfère glisser sur la femme du
peintre Chaïm Soutine, d’autant qu’un de ses
petits-fils a mis vigoureusement les pieds
dans le plat en 2009. Frédéric Castaing a assuré sur procès-verbal que sa grand-mère,
qu’on appelait « la diva de la rue Bonaparte », a
servi au photographe « de marchepied possible pour sa carrière ». Il serait venu chez elle
tous les jours dans les années 1990, « jusqu’à
se sentir comme chez lui ». Il aurait eu « un
comportement infâme », pour maintenir
« une certaine emprise jusqu’à la fin ». Il aurait
arraché la perruque de la vieille dame pour la
jeter dans une cheminée, serait monté sur une
table pour uriner dans des tasses et l’aurait
poussée dans l’escalier où elle se serait cassé le
col du fémur. De surcroît, les correspondances
de Soutine, Satie et Cocteau auraient disparu.
François-Marie Banier l’a, on le comprend,
fort mal pris.
« EMPRISE PSYCHOLOGIQUE »
FACE AUX
ACCUSATIONS
DE SON PERSONNEL,
IL RÉPOND :
« ÇA NE M’ÉTONNE
PAS, CE SONT
DES GENS QUI SE
VENGENT. IL SUFFIT
DE LIRE
“LES BONNES”,
DE GENET »
« Je trouve scandaleux que quelqu’un qui ne m’a
même jamais vu soit cité dans un tribunal contre moi, a crié le photographe. Que cette publicité soit faite montre à quel procès j’ai droit ! »
Ses avocats ont répondu que les propos de Frédéric Castaing avaient été condamnés définitivement pour diffamation, et que le tribunal
avait fait litière de la perruque. « Je ne suis absolument pas la personne peinturlurée à l’occasion de ces accusations fausses, a dit noblement
François-Marie Banier. Le plus grave, c’est
l’image déformée, stupide et ridicule donnée à
Liliane Bettencourt. » Il a encore été un peu
« peinturluré » par deux personnes. Ilda, sa
bonne pendant trente-quatre ans, qui dit avoir
été traitée de « conne » et à qui « il faisait peur ».
Il lui aurait dit : « Tu es vieille, tu es sale. » M. Banier serait « un menteur, un truand », qui
aimait l’humilier. « Il me parlait comme à un
chien et après il disait “ma chérie”. »
Il en faut plus pour démonter François-Marie Banier. « Ça ne m’étonne pas, ce sont des
gens qui se vengent d’une vie qu’ils n’ont pas
eue. Il suffit de lire Les Bonnes, de Jean Genet. »
La dame est accusée en retour d’avoir été plusieurs fois surprise de vols. « Qu’est-ce qu’elle
pouvait dire d’autre ? », a conclu philosophiquement le photographe. Un autre employé,
Thomas, le maître d’hôtel, en a autant contre
lui, et était tellement amoureux de son patron
qu’il a quitté femme et enfants deux ans plus
tard pour un garçon. Il décrit « l’emprise psychologique de cet homme », qu’il était
d’ailleurs prêt à trahir pour le camp d’en-face,
et il menaçait d’aller raconter à Françoise Bettencourt Meyers son amour déçu. « Ce sont
des dingues, a assuré François-Marie. Tous ces
témoignages de gens de maison qui semblent si
importants à vos yeux… »
Martin Le Barrois d’Orgeval, 41 ans, son compagnon depuis vingt-trois ans, est aussi dissemblable que possible de son aîné. Calme,
posé, construit, il se trouble quand il parle de
« maman », parle avec passion de Jean Arp,
son sujet de thèse, et avec tendresse et un immense respect de Liliane Bettencourt. Son oncle est l’acteur Pascal Greggory, qui a eu une
histoire avec François-Marie Banier, son voisin
de palier, et assiste, muet, au procès ; Martin
explique que tout cela « a pu déranger » sa famille, plutôt conventionnelle, « mais c’est ma
vie, elle est respectable et ma famille le sait ».
Lui aussi est photographe, commence à vendre ses images, mais n’en vit pas. Son compagnon lui a fait de régulières donations et Liliane, de beaux cadeaux : un tableau de Max
Ernst, un autre de Jean Arp ; « des cadeaux
choisis » tendrement par la vieille dame, qui
l’ont beaucoup touché – d’autant qu’ils sont
évalués à 1,1 million d’euros. L’homme est
sympathique, cultivé, mais ne vit pas tout à
fait dans le même monde que le commun des
mortels. Il n’accompagnait pas à chaque fois
les Bettencourt quand ils s’envolaient pour
leur île d’Arros, aux Seychelles – le vieux couple y allait quatre fois par an, François-Marie et
lui deux à trois fois seulement. Les petits-enfants de Liliane n’y ont jamais été invités.
Il n’est pas le seul à aimer François-Marie Banier, dont le charisme un peu venimeux dépasse le cadre de la photographie. Vanessa Paradis a laissé un petit mot gentil pour le parrain de sa fille Lili-Rose, et la mère de la chanteuse, Corinne, a dit grand bien de cet ami. Le
plus convaincant est sans doute Jean-Michel
Ribes, le directeur du Théâtre du Rond-Point,
lui-même assez rond, petit, avec un joli chapeau violet sur la tête. « François-Marie est vif,
drôle, intelligent, il apportait plutôt de l’oxygène et n’a rien d’un prédateur, a dit le metteur
en scène. Pierre Cardin, homme d’affaires et esprit de finesse mais aussi de géométrie, ne se serait pas entouré d’un homme dénué de sens
moral. » Lui aussi a parlé de l’intelligence de Liliane et de sa subtilité, et évoque avec chaleur
son copain François-Marie, qui entrait avec sa
mobylette dans le hall du théâtre, à la stupéfaction des spectateurs – « cette petite création
avec la mobylette n’est pas son œuvre majeure,
mais la fantaisie nous permet de respirer. Ça
permet de creuser des galeries vers le ciel, disait
Aragon ». En revanche, son copain l’inquiète.
« Il faut qu’il renouvelle son langage, il devient
ennuyeux. » Il est vrai qu’il risque cinq ans de
prison, l’étonnant monsieur Banier. p
14 | débats
0123
VENDREDI 30 JANVIER 2015
Après le vote en Grèce,
l’Europe doit entendre
la voix des peuples
L’embarras du choix | par fabio viscogliosi
La victoire démocratique de la gauche radicale
aux élections législatives en Grèce
mérite le respect de la direction
de l’Union européenne, pas le mépris
par elio di rupo
L
Le premier ministre grec, Alexis Tsipras,
reste le leader d’un parti démagogique
Sans compromis
avec Bruxelles, Syriza, le parti
de la gauche radicale grecque,
choisira l’épreuve de force
par gerassimos moschonas
L
a Grèce est le seul pays européen qui
ait plongé aussi violemment dans la
crise et qui ait vécu une situation analogue à celle des années 1930. Dans les périodes de grande crise, les mouvements des
électeurs sont motivés par la déception, par
l’angoisse, par la colère, mais aussi par la capacité d’un parti à offrir une perspective différente pour la résolution de la crise. Celle-ci
bouleverse les comportements traditionnels et atténue l’importance des clivages hérités, les transferts de voix obéissant moins
à une logique de glissements le long de l’axe
gauche-droite.
En effet, Syriza n’est pas devenu une force
politique puissante parce qu’il a adopté une
politique modérée tournée vers le centre.
Cette perception très répandue est erronée.
La politique de Syriza a été composite. Certes Syriza est devenu graduellement plus
modéré, mais il s’est appuyé – dans une
grande mesure – sur le principe « je ne suis
pas à la remorque du corps électoral, je l’attire au contraire de mon côté, je le pousse davantage vers la gauche ». Les erreurs tragiques de la « troïka » européenne,
aujourd’hui reconnues par tous les spécialistes, ont favorisé le succès de cette stratégie décisive – et risquée – de Syriza.
Le Syriza de 2009 était une force postcommuniste protestataire aux forts accents
« mouvementistes », en réalité une confédération très hétéroclite de petites organisations de gauche. Cette confédération était
peu cohérente sur le plan programmatique
et parfois sectaire sur le plan idéologique.
L’attitude protestataire et l’« ultra-antinéolibéralisme » rhétorique – Syriza critiquait comme néolibéral tout ce qui bougeait sur Terre – furent les deux fondements d’une radicalité politique anticapitaliste dépourvue de profondeur idéologique
et programmatique.
Ce parti sans éclat, mais non sans fraîcheur, à la fois paléo-communiste et très
moderne, n’avait pas, une fois que la crise de
la dette eut éclaté, de vision élaborée de ce
qu’il fallait faire quant à ce sujet central. Cependant, un débat très intéressant s’y est déroulé – qui n’a pas eu lieu dans le reste de la
société –, un débat centré sur la question
« avec l’euro ou sans l’euro », qui a mobilisé
un nombre important de cadres et d’économistes membres ou proches du parti. Ce dé-
bat a été, des deux côtés, d’une excellente
qualité et il a préparé – de manière indirecte
– le terrain pour la maturation de Syriza. Depuis ce débat, l’adoption par la majorité
d’une nette posture pro-européenne – certes
critique, mais plus cohérente, solide et offensive que par le passé – et la nette affirmation
d’un important courant minoritaire antiUnion européenne structurent la vie interne
de Syriza. Cette division fut la source d’une
tension permanente et d’un discours incohérent, systématiquement fustigés par ses
adversaires politiques. Cependant, et très paradoxalement, elle fut aussi un facteur d’approfondissement et d’affinement des élaborations programmatiques du parti, trop superficielles dans le passé.
ACCENTS POPULISTES
A cette curieuse maturation par la division
s’ajoutèrent les bons résultats de 2012. Le
mouvement des « indignés » (maijuin 2011), fonctionnant comme un puissant
catalyseur, a porté le coup décisif au gouvernement du Pasok (parti socialiste grec) et délégitimé définitivement les politiques du
mémorandum. L’élection de mai 2012 – Syriza est passé de 4,6 % en 2009 à 16,78 % en
mai 2012 et à 26,89 % en juin de la même année – fut le moment d’Alexis Tsipras. Ce fut
un véritable tour de force politique. Le mot
d’ordre central, « Nous ne demandons pas un
vote de protestation, mais un vote pour gouverner », s’est avéré un slogan d’une efficacité extraordinaire. Tsipras, qui est un leader
efficace mais non charismatique, a surpris
les élites des partis anciens mais, également,
son propre électorat et ses propres cadres.
Par l’audace de sa démarche, le leader de Syriza a secoué la médiocrité grise de son parti
et, surtout, déclenché un grand mouvement
d’adhésion, en transformant un bouillonnement informe et souterrain en une dynamique électorale solide. Le nouveau Syriza, le
Syriza à vocation majoritaire, est né à ce moment-là. Ce fut la deuxième étape dans le
processus de maturation du parti.
La proximité du pouvoir a sans doute accéléré le mouvement programmatique
dans le sens de la préconisation de « solutions réalistes » et affaibli les stratégies faciles de protestation. Cette troisième étape de
maturation, toujours en cours, a été testée
aux élections du 25 janvier. Par son score
(36,34 %) et par sa représentation parlementaire (149 sièges sur 300), Syriza dépasse de
loin les meilleures performances anciennes
du Parti communiste italien (PCI) et du Parti
communiste français (PCF), comme l’a souligné le politologue Pascal Delwit. Cependant, Syriza, très puissant au sein des couches populaires, ne possède ni la densité organisationnelle, ni l’enracinement local, ni
les gros bataillons syndicaux des grandes
« maisons rouges » du passé.
L’identité actuelle de Syriza est, sur le plan
de l’organisation et de la composition de ses
membres, caractéristique d’un parti de la
nouvelle gauche radicale, alors que ses propositions de politique économique et européenne intègrent des éléments forts de réformisme social-démocrate.
Certes, les analyses qui considèrent Syriza
comme « populiste » soulignent – à juste titre – que son discours revêt des aspects « populistes » ou, plus exactement, démagogiques. De fait, Syriza a cajolé de nombreux
groupes professionnels. Il n’a pas suffisamment pris ses distances, au nom de la bataille « des petits contre les gros » – et au
nom de l’efficacité électorale –, vis-à-vis du
microcapitalisme grec (petits entrepreneurs, professions indépendantes) qui avait
participé de manière effrénée, et autant que
le grand capital, à la « fête » – et l’évasion fiscale – de l’époque précédente.
Mais le rapport toujours vivant de Syriza
avec le marxisme, sa culture antinationaliste, sa politique en matière d’immigration,
la culture participative et pluraliste qui imprègne son modèle organisationnel ne favorisent pas sa transformation en parti populiste de gauche. Ils favorisent encore moins
sa transformation en parti « national-populiste ». Syriza représente une sorte de socialdémocratie de gauche aux accents populistes et « mouvementistes ». Cependant, sa politique « sociale-démocrate » est radicale,
parce qu’elle va bien au-delà de ce qui est admis à l’intérieur de l’Union. C’est en ce sens
que ce qui se produira en Grèce revêt une importance historique, car cela pourrait influencer la gauche en général, social-démocratie comprise.
Le gouvernement de Syriza aura de très
grandes difficultés à contourner le « conservatisme » institutionnel et politique de
l’Union. Syriza veut sincèrement un compromis avec les pays créanciers et son programme est construit de telle manière
qu’un compromis soit possible. Cependant,
la reddition sans bataille n’est pas le style
d’Alexis Tsipras. Tenaillé entre les exigences
de son aile gauche et l’inflexibilité du système polycentrique et arrogant de l’Union, il
essaiera d’obtenir un compromis « satisfaisant ». Si cela s’avère impossible, il est fort
probable qu’il choisira l’épreuve de force
plutôt que l’humiliation. C’est en ce sens
qu’Alexis Tsipras n’est pas un « modéré » ou
un « social-démocrate ». En s’opposant aux
politiques de l’Union européenne, Syriza
testera non seulement les limites de l’Union
mais aussi les limites de sa propre identité. p
¶
Gerassimos Moschonas est professeur en
analyse politique comparée au département
de science politique et d’histoire
de l’université Panteion, à Athènes
es citoyens grecs ont
voté en masse pour Syriza. C’est un cri d’espoir
pour une société plus juste et
un désaveu flagrant de la politique d’austérité conduite par
l’Union européenne et soutenue par l’ex-premier ministre
grec Antonis Samaras.
Que la droite européenne le
veuille ou non, et malgré tous
les efforts qu’elle a déployés
contre la gauche lors de la
campagne électorale grecque,
la victoire du parti d’Alexis Tsipras est un fait politique que
chacun doit respecter, y compris en Europe. C’est aussi un
signal fort envoyé aux institutions européennes : les politiques d’austérité sont un échec
social, économique, démocratique, mais surtout humain.
Alexis Tsipras est le nouveau
premier ministre grec. Ses collègues devront l’accueillir au
Conseil européen et travailler
avec lui. Dans l’intérêt des
Grecs et dans celui des Européens. Car, aujourd’hui, l’enjeu est de redresser la Grèce
en la gardant dans la zone
euro, de redonner confiance
au peuple grec mais aussi de
démontrer qu’une autre Europe est possible.
J’avais déclaré il y a quelques
mois au Parlement belge que,
si on aidait la Grèce, c’était
pour la voir vivre, pas pour la
voir mourir. Le remède à trouver, ça n’est pas celui qui ressemblerait à une saignée
comme on en faisait au
Moyen Age, pensant soulager
ainsi les malades. Au nom de
mon parti, je le dis depuis plusieurs années : la solidarité
européenne, cela n’est pas un
soutien financier conditionné
à l’imposition de réformes qui
génèrent plus de pauvres et de
demandeurs d’emploi et qui
privent toute une génération
d’un avenir meilleur.
MÉPRIS DE LA DÉMOCRATIE
Hier, alors que la victoire de
Syriza était acquise, des représentants de la droite jugeaient
indispensable de rappeler que
la Grèce devrait poursuivre
coûte que coûte ses réformes,
même avec le gouvernement
Tsipras. Cela dénote un mépris
profond de la démocratie et
du peuple grec, qui a posé un
choix en toute souveraineté.
C’est aussi un mépris de la réalité, car la situation sociale et
économique de la Grèce est
catastrophique. Le nombre de
Grecs menacés par la pauvreté
a plus que doublé en cinq ans,
passant de 20 % en 2008 à
plus de 44 % en 2013. Les responsabilités ont été partagées,
y compris par l’Europe.
Les partisans de l’austérité
se trompent dans leur entêtement idéologique. Ils risquent
d’ajouter une crise démocratique à une crise économique et
sociale. Que l’on songe à toutes les crises politiques qui se
sont accumulées ces dernières
années, outre la crise financière. On ne doit pas prendre
le risque de perdre toute adhésion au projet européen. L’Europe doit se construire avec
les peuples, et non contre eux.
Et le peuple européen a besoin d’une Europe plus solidaire, plus sociale, plus démocratique et plus écologique
pour pouvoir envisager un
avenir meilleur.
Les citoyens européens demandent que l’Union européenne les protège et les soutienne.
L’imposition
de
réformes qui sont parfois vécues comme une humiliation
est le meilleur moyen de mettre en péril la construction
européenne et de faire le terreau de la désolation sociale,
puis des populismes et des extrémismes. N’oublions pas
que, derrière la victoire de Syriza et l’échec de la Nouvelle
Démocratie, notamment, on
retrouve en troisième position un parti néonazi.
Les espoirs soulevés par la
victoire d’Alexis Tsipras sont
immenses. Toutefois, le nouveau premier ministre grec
n’arrivera pas seul à inverser
l’échec néolibéral de l’Europe.
Il faut que tous ceux qui saluent sa victoire l’aident. Chaque contribution à une autre
Europe, plus juste et solidaire,
est bienvenue.
MESSAGE D’ESPOIR
En tant que relais naturel des
classes populaires, le Parti socialiste européen et plus largement la gauche européenne
doivent porter davantage ce
message d’espoir et de relance, qui vaut pour l’ensemble des pays d’Europe. J’ai pu
mesurer au Conseil européen
l’enfermement idéologique
dont est victime l’Europe et
constater à quel point toute
tentative de renforcement du
modèle social européen est
contrecarrée.
Les mots choisis sont toujours les mêmes : « réformes »,
« libéralisation », etc. Parler de
conséquences sociales de la
crise, de partenaires sociaux,
de protection sociale… y est
vécu par certains comme une
provocation. Pourtant, la
question n’est pas de savoir
comment on réduit ou détruit
les droits des travailleurs et
des consommateurs, mais
bien comment on les protège
et les renforce. La question
n’est pas de savoir comment
on supprime des services publics pourtant essentiels, mais
comment on facilite l’investissement public pour garder des
écoles, des hôpitaux, des
transports accessibles. La
question ne se limite pas à la
confiance des marchés, la
question est aussi l’encadrement de la finance pour éviter
de nouvelles dérives… Il n’y a
pas de recette miracle et ça
vaut aussi pour l’austérité.
Jean-Claude Juncker a déclaré qu’il était à la tête de la
Commission de la dernière
chance. Beaucoup voient
aujourd’hui dans la victoire
d’Alexis Tsipras un vent de
changement. Il faut surtout
que tous s’unissent pour
montrer à quel point une
autre Europe est essentielle
pour tous les Européens. Le
Parti socialiste, avec d’autres
en Europe, poursuivra cette
mobilisation et continuera à
mener le combat pour une
Union plus juste, plus démocratique, plus écologique et
plus solidaire. p
¶
Elio Di Rupo est président
du Parti socialiste belge
et ancien premier ministre
éclairages | 15
0123
VENDREDI 30 JANVIER 2015
Les institutions à l’épreuve des attentats parisiens
ANALYSE
hier, d’aplomb aujourd’hui : se sont-elles révélées dans l’épreuve, comme on peut le dire
d’un individu ?
Plutôt qu’une révélation, c’est une confirmation : conçues par le général de Gaulle, il y a
plus d’un demi-siècle, pour permettre au pays
de surmonter des crises de toutes natures, nos
institutions ont une nouvelle fois démontré
leur capacité à traverser les orages. Les circonstances ont même donné une illusion d’utilité
à leur caractère monarchique : un peuple traumatisé a besoin de repères, M. Hollande a su
répondre à cette attente en se posant en père
de la nation. On notera, sur ce point, que si la
fonction présidentielle a été réhabilitée, c’est
dans une optique de rassemblement, ce à quoi
ne prédispose nullement la logique d’affrontement qui résulte du mode d’élection de son
titulaire. Une fois retombée la forte émotion
qui a traversé le pays, et dissipées les brumes
de l’union nationale, les batailles d’écurie resurgiront inévitablement pour polluer à nouveau notre débat public.
jean-baptiste de montvalon
Service France
R
LES
CIRCONSTANCES
ONT DONNÉ
UNE ILLUSION
D’UTILITÉ
AU CARACTÈRE
MONARCHIQUE
DE L’EXÉCUTIF
edonner force et cohésion à l’exécutif français ne faisait certes pas partie des objectifs poursuivis par les
terroristes. Mais c’est l’une des réponses, avec l’immense marche républicaine
du 11 janvier, que notre pays a su (au moins
provisoirement) leur apporter. Il fallait pour
cela des hommes à la hauteur de leur fonction.
François Hollande et Manuel Valls l’ont été,
qui plus est en évitant de se marcher sur les
pieds. Au président, homme de rassemblement, l’ultrarégalien et le compassionnel que
les circonstances exigeaient ; au premier ministre le pilotage ferme sur des thèmes qui lui
sont chers (sécurité, laïcité).
Derrière ces deux personnalités, qui ont enregistré des bonds spectaculaires de leur cote
de popularité, ce sont des fonctions qui se
sont trouvées revalorisées. On a donc, au sommet de l’Etat, des rôles forts et complémentaires en lieu et place d’un duo inaudible et encalminé dans les tréfonds des sondages. Un pouvoir organisé, respecté et entendu, était une
perspective aussi improbable, à la veille de la
tuerie à Charlie Hebdo, que d’imaginer cet
hebdomadaire satirique tirer à 7 millions
d’exemplaires.
Le contraste est si saisissant qu’il y a lieu de
se réinterroger sur nos institutions. Bancales
LA REPRÉSENTATION DE LA DIVERSITÉ
Tirant les leçons, pour un avenir qu’il sait incertain, du sans-faute réalisé par un exécutif
en « fusion » durant ces journées de crise intense, M. Hollande a confié au Monde (daté du
20 janvier) qu’il avait répété à son équipe la nécessité d’une « grande coordination ». « Il faut
que l’on sache quelle est la place de chacun », at-il ajouté. La question vaut au sommet de
l’Etat, où elle a trouvé temporairement une ré-
ponse. Mais aussi dans les étages « inférieurs » de notre démocratie, là où il conviendrait de savoir « quelle est la place de chacun ».
De ce point de vue, tout reste à revoir.
Quels seront la place et le rôle du Parlement
dans les débats essentiels (sécurité, laïcité,
éducation, intégration, etc.) qui ont commencé à se rouvrir à la suite de cette tragédie ?
Cherchera-t-il à sortir de la chambre d’enregistrement où l’ont, peu ou prou, confiné les institutions de la Ve République ? En aura-t-il les
moyens ? Réponse(s) dans les semaines et les
mois qui viennent. Une autre question, déjà,
se profile : celle de la représentation. Largement composée d’hommes blancs de plus de
50 ans, issus des classes sociales supérieures,
l’Assemblée nationale n’est guère à l’image de
notre société que chacun voudrait voir rassemblée. Certes, chaque député est censé représenter la nation, et l’instauration de quotas
n’aurait guère de sens. A charge pour les partis, lors des investitures, de refléter davantage
la diversité d’une société qui se défie d’eux. A
charge pour les électeurs de leur faire comprendre cette nécessité…
La représentation des courants de pensée est
un sujet d’une autre nature. Il n’est pas nouveau, mais se pose désormais avec acuité.
Ainsi a-t-il agité les esprits lors des préparatifs
de la marche républicaine. Fallait-il déclarer le
Front national persona non grata, au motif
que l’extrême droite ne partagerait pas les valeurs qui présidaient à ce rassemblement ? Ou
convenait-il de l’y convier, afin de montrer
que cette union nationale était sans exclusive ? Les mêmes questions se posent – et se
poseront de nouveau – s’agissant de la représentation nationale. Le scrutin majoritaire à
deux tours dégage des majorités, au détriment de la diversité des opinions. Il laisse ainsi
de côté des pans entiers du corps électoral…
quand il ne grossit pas les flots de l’abstention.
« Il faut que les pratiques changent, soulignait le président du MoDem, François Bayrou, au lendemain de la marche républicaine
du 11 janvier. Mélenchon, Le Pen et moi, nous
n’avons aucune représentation, ou presque. Ce
manque d’authenticité de la représentation politique est nuisible. Il faut que cela change, en
rendant à la France une règle électorale qui redonne à la vie politique une légitimité. » Le
maire de Pau prêchait là (une nouvelle fois)
dans le désert, tant les esprits étaient ailleurs.
Introduire une dose de proportionnelle aux
élections législatives – promesse non tenue de
M. Hollande – n’est sans doute pas la première
mesure à laquelle on songe au lendemain d’attentats terroristes. Réformer nos institutions
ne saurait être une urgence, pourra-t-on dire,
tant les urgences sont nombreuses et criantes.
Sauf à considérer nos institutions pour ce
qu’elles sont, ou ce qu’elles devraient être : un
préalable et un bien commun qui fixent les règles du jeu démocratique. Et permettent à la
société de se reconnaître dans les décisions
qui devront être prises. p
[email protected]
LETTRE DES PAYS-BAS | par j ean- p ier r e st ro obant s
Comment un islamiste radical repenti a vaincu sa colère
I
l s’appelle Yehya Kaddouri et il avait
17 ans lorsqu’il a atterri dans une structure fermée pour jeunes délinquants,
puis à la prison de Breda, dans le sud des
Pays-Bas. Il était l’un de ces nombreux djihadistes que, comme d’autres, le royaume a vu
grandir en son sein et le menacer des pires
tourments. Il se voyait, dit-il aujourd’hui, dix
ans plus tard, comme « le Che Guevara des
musulmans », un « combattant de la liberté »,
prêt à porter « la révolution » au cœur d’un
pays qui, jusqu’en 2002, n’avait pas connu
d’attentats politiques, mais vit le leader populiste Pim Fortuyn tomber sous les balles d’un
illuminé, défenseur des animaux à fourrure.
Avant qu’en 2004 l’artiste provocateur Theo
van Gogh soit poignardé par un fou d’Allah,
un geste qui bouleversa le pays et lui fit prendre conscience qu’il était entré dans une nouvelle phase de son histoire.
Le jeune Kaddouri, empli de colère et armé
de sa pauvre connaissance du Coran, s’exprimait à l’époque sur les sites Internet où,
comme beaucoup d’autres, se déversait la
haine du juif, de l’Américain, et des Occidentaux en général. En 2004, il écrivait sur Marokko. nl que tuer des personnes comme Pim
Fortuyn, Geert Wilders – le futur leader du
parti anti-islam PVV – ou Ayaan Hirsi Ali, une
LES INDÉGIVRABLES PAR GORCE
députée libérale d’origine somalienne qui dénonçait le sort des femmes dans la religion
musulmane, devait devenir « une habitude ».
Un jour, la police est venue le cueillir dans sa
classe et il a été condamné pour avoir tenté de
fomenter un attentat contre l’ambassade d’Israël à La Haye.
« UN MONDE MEILLEUR »
Mais, aujourd’hui, l’ex-islamiste radical écrit
sur Facebook qu’il se demande « pourquoi on
ne peut pas critiquer l’islam ». Et pourquoi
tout le monde trouvait, à l’époque, que Pim
Fortuyn était raciste alors que ce qu’il affirmait était « intéressant, malin et bien dit »…
Dans une double page que vient de lui consacrer le quotidien NRC Handelsblad, il explique
qu’il avait « des idéaux de liberté, la croyance
en un monde meilleur ». Mais qu’il a perdu sa
confiance en tout cela. Et s’il croit encore en
Dieu c’est « d’une certaine façon » : il aspire à
un Dieu qui comprendrait, dit-il, « pourquoi
[il] recherche une manière d’être heureux, sans
vouloir sauver le monde ».
Un revirement plutôt spectaculaire qui s’explique par le programme de « déradicalisation » auquel a été soumis pendant quatre ans
le détenu de la prison de Breda, où s’il s’est
trouvé être le seul « politique ». Entouré
d’autres jeunes issus du même lieu que lui,
mais plus préoccupés par l’argent que par les
attentats du 11 septembre 2001 qu’ils condamnaient, à la grande surprise de Yehya…
A l’instar de leurs voisins, les Pays-Bas ont
progressivement découvert l’inquiétant phénomène du « terrorisme d’origine intérieure » et ont tenté de lui appliquer un traitement de fond, à base de suivi intensif par des
éducateurs, des psychologues et des imams.
Celui affecté aux entretiens avec Yehya l’a, explique ce dernier, convaincu que des attentats
visant des civils étaient illégitimes et n’aboutiraient qu’à stigmatiser davantage les musulmans. Et que les juifs étaient « des hommes
comme les autres ».
Parallèlement, une psychologue lui expliquait qu’elle n’avait aucune intention de modifier ses croyances, mais qu’elle allait se
soucier de son « développement social et
émotionnel » et l’amener à parler de luimême, ce qu’il n’avait jamais pu faire. Il lui a
donc confié l’hostilité de sa prof de français,
ses disputes avec ses parents, son amour
pour les animaux.
Solitaire, oublié par ses anciens compagnons de route qui ne lui rendirent jamais visite, victime, comme il le dit, d’un « excès de
temps libre et de repos » dans sa cellule, il a ré-
fléchi. Longuement réfléchi. Et, finalement, a
« renvoyé l’islam politique au deuxième plan ».
« La haine que je portais en moi à cause de l’oppression des musulmans m’a lentement
quitté », a-t-il expliqué au journaliste Andreas
Kouwenhoven. Il s’est, poursuit-il, converti à
une « nouvelle idéologie, la recherche de [ses]
propres besoins ».
Une fois sorti de prison, il a « dérapé »
– une tentative de vol –, ce qui lui a valu une
nouvelle peine de prison. Une dernière prise
de conscience et une acceptation, enfin, de la
réalité du monde. Sur lequel il n’a plus, conclut-il, aucune illusion désormais, sauf celle
que l’on peut prêter de l’attention à ses proches.
Il explique travailler dur et gagner beaucoup
d’argent dans une activité commerciale. Est-il
devenu un homme meilleur grâce à la déradicalisation ? « Je ne le crois pas. On est seulement un homme meilleur lorsque l’on est délivré de ses désirs. A cet égard, la prison était parfaite : je n’y avais rien et j’étais heureux. »
Revenu de tout, Yehya Kaddouri dit être seulement heureux quand il voit sa mère rire et
son père être calme. « Che Guevara » n’est
plus une menace. p
[email protected]
EN PRISON, YEHYA
KADDOURI A ÉTÉ
SOUMIS A UN
PROGRAMME DE
« DÉRADICALISATION »
La révolte anonyme au service de la démocratie
LIVRE DU JOUR
pierre adeline
A
l’heure où nos démocraties multiplient les atteintes à la vie privée,
Geoffroy de Lagasnerie propose une
analyse élogieuse du combat mené
par Edward Snowden, Julian Assange et Chelsea
Manning (né Bradley Manning) contre ces dérives liberticides. Pour le philosophe, ces « lanceurs d’alerte » incarnent une nouvelle façon
de participer à la vie politique. Assange a levé le
voile sur de nombreux « secrets d’Etat » par la
diffusion de documents officiels sur la plateforme WikiLeaks qu’il a créée. Manning est
l’auteure de la plus retentissante fuite opérée
par ce site. Snowden a quant à lui préféré la
presse traditionnelle pour dénoncer les pratiques de surveillance de masse de l’Agence nationale de sécurité américaine (NSA).
Chacun d’entre eux, en agissant en marge de
la scène politique traditionnelle, a commis des
actes de désobéissance civile au nom des principes de liberté et de transparence transgressés
par nos démocraties, estime le philosophe.
Ces résistants du XXIe siècle tirent de leur
combat une légitimité certaine, qui semble
néanmoins ternie par un faux pas : en ayant eu
recours à l’exil, Assange et Snowden ont pu se
soustraire à la justice américaine, qui a prononcé des sanctions d’une extrême sévérité à
leur encontre. Alors que certains pourraient y
voir un signe de lâcheté, l’auteur nous interroge : pourquoi faudrait-il que la politique
nuise à celui qui s’y engage ? Le service qu’il
rend à la société en serait-il moins digne ?
RUPTURES
Selon la tradition héritée de la polis grecque, la
scène politique revêt la forme d’un théâtre tragique, au milieu duquel le sujet se cristallise en
tant qu’être politisé et s’enferme dans la confrontation et la conflictualité. Dès lors, les possibilités de prise de parole, d’expression et de
revendication sont limitées, car elles requièrent une prise de risque importante chez l’individu qui souhaiterait s’indigner.
Intervenant en dehors de cet espace politique
traditionnel, Snowden, Assange et Manning
ébauchent une nouvelle forme de révolte où,
grâce à l’anonymat, il n’y aurait de visible que
les actes et leurs effets. Mais pourquoi vouloir
éviter le débat, la confrontation des idées ? Ce
qui est en jeu avec cette pratique, c’est l’émergence d’une politique « affirmative », qui, en
dehors de toute sphère de réciprocité et logique
de négociation, permettrait de marquer de
vraies ruptures dans nos démocraties enlisées.
Après avoir défendu le recours à l’anonymat,
l’auteur s’attaque au sujet de l’exil. Il dénonce la
« violence intégratrice » de l’Etat, qui nous enracine arbitrairement, dès la naissance, à un
système juridique auquel nous sommes sommés d’adhérer. Ne devrions-nous pas être libres
de nous constituer comme sujet de droit de façon autonome ? Comment repenser l’appartenance à une communauté de valeurs, non pas
sous forme de contrainte, mais de choix ?
Geoffroy de Lagasnerie signe ici une réflexion
d’avant-garde qui brise les cadres de pensée traditionnels et esquisse ce qui pourrait être la démocratie et la citoyenneté de demain. p
L’Art de la révolte. Snowden, Assange,
Manning
de Geoffroy de Lagasnerie
Fayard, 210 p., 17 €.
16 | culture
0123
VENDREDI 30 JANVIER 2015
Le fanatisme religieux monte sur scène
A Strasbourg, la pièce « Martyr » capte le glissement d’un adolescent dans le radicalisme catholique
THÉÂTRE
strasbourg - envoyée spéciale
C
Johanna Silberstein, Clément Bertani, Philippe Canales et Romain Chailloux. JEAN-LOUIS FERNANDEZ
EN TOUTES CIRCONSTANCES ET DEPUIS-DEPUIS PRÉSENTENT
LE CHEF-D’ŒUVRE DE
JOHN STEINBECK
Révolte indispensable
Petit à petit, le jeune homme se
coupe de toutes les activités
« normales » d’un garçon de son
âge, même quand il s’agit d’aller
manger des glaces avec une potentielle petite amie très délurée.
Il prêche, ne parle plus que par citations de la Bible – des citations
qui, majoritairement extraites de
l’Ancien Testament et du Jugement dernier, sont d’une violence et d’une misogynie insoutenables. Benjamin refuse aussi,
bien sûr, le cours d’éducation
sexuelle proposé par la professeure de biologie. Il refuse encore,
bien entendu, la théorie de l’évolution darwinienne enseignée
par cette même prof, comme peuvent le faire les créationnistes
américains. Et de là, comme cette
enseignante s’appelle Erika Roth
ADAPTATION : MARCEL DUHAMEL
MISE EN SCÈNE
JEAN-PHILIPPE EVARISTE
& PHILIPPE IVANCIC
DIRECTION D’ACTEURS
. Un triomphe.
« Intelligence et émotion
Télérama
Le récit est poignant »
» France Inter
« Absolument formidable
ion des comédiens
« Un régal ! L’interprétat
pe
est fabuleuse » Parisco
À PARTIR DU 27 JANVIER À 19h00
SPECTACLE CRÉÉ EN COLLABORATION AVEC LE THÉÂTRE 13 - PARIS
En Toutes Circonstances : Licences n° 2 : 1046452 / 3 : 1060173 / Création WTB15
ANNE BOURGEOIS
et qu’elle est la seule parmi les
adultes de son entourage à lui tenir tête, il glisse vers un antisémitisme fou et meurtrier.
Le plus intéressant, dans la
pièce, c’est la manière dont
l’auteur lie la question de l’adolescence avec cette plongée dans le
fanatisme. Contre qui, contre
quoi se rebeller, délivrer cette révolte indispensable pour se construire à cet âge, dans un monde
où les adultes sont soit d’éternels
adolescents immatures, soit des
conservateurs cyniques utilisant
la religion à des fins politiques – à
l’image de l’aumônier et du proviseur du lycée de Benjamin ?
Matthieu Roy a totalement respecté le ton de farce grinçante
adopté par Marius von
Mayenburg. Chez ce metteur en
scène de 33 ans se lisent les influences de Stéphane Braunschweig et de Joël Pommerat, dont
il a été l’assistant. Pour le meilleur
et pour le moins bon. Le
meilleur : la clarté dramaturgique, la manière de faire entendre
avec force les enjeux. Le moins
bon : un jeu pas toujours aussi
maîtrisé, dans son formalisme,
chez certains acteurs, alors qu’il
l’est pour les trois rôles principaux, tenus par Clément Bertani
(Benjamin), Johanna Silberstein
(Erika Roth) et Claire Aveline (la
mère).
Martyr contre martyr : à la fin
de la pièce, Erika Roth, la professeure qui a voulu faire entendre
raison non seulement à Benjamin mais aussi à ses supérieurs,
se voit accusée et renvoyée. Elle se
cloue, littéralement, les pieds au
Trois pièces de Marius von Mayenburg
en région parisienne
Marius von Mayenburg et son écriture qui s’attache à des sujets
tabous n’en finissent plus de séduire les jeunes metteurs en
scène. Après Matthieu Roy, c’est une nouvelle venue, Maïa Sandoz, passée par l’Ecole du Théâtre national de Bretagne (TNB) et
d’abord comédienne, qui s’attaque à trois des pièces de l’auteur
allemand. Le Moche est d’abord jouée séparément, au Théâtre
Paris-Villette, du 27 janvier au 1er février. Puis sous forme de trilogie avec Voir Clair et Perplexe, au Théâtre des Quartiers d’Ivry, du
9 au 22 mars.
Trois pièces grinçantes sur l’illusion et l’identité (ou sa perte), avec
la jeune Adèle Haenel, aussi excellente au théâtre qu’au cinéma.
sol comme sur la croix, refusant
de partir. Cette manière de montrer que la laïcité a aussi ses martyrs claque avec la force d’un électrochoc. Les journalistes et les
dessinateurs de Charlie Hebdo
ont-ils fait autre chose, sacrifiés
sur l’autel de la cause laïque ? p
fabienne darge
Martyr, de Marius von
Mayenburg (traduit de l’allemand
par Laurent Muhleisen, l’Arche
Editeur).
Mise en scène : Matthieu Roy.
Théâtre national de Strasbourg, 1,
avenue de La Marseillaise,
Strasbourg. Tél. : 03-88-24-88-24.
Du mardi au samedi à 20 heures,
jusqu’au 7 février, et dimanche
8 février à 16 heures. De 6 € à
28 €. Durée : 1 h 30.
LES LECTURES DE
DU MARDI AU SAMEDI À 19H, DIMANCHE À 18H
Du 3 au 15 février 2015
Dominique Blanc
«LES ANNÉES»
@ Editions Gallimard
de Annie Ernaux
Du 17 février au 1er mars 2015
Jean-François Balmer
«UN CANDIDE À SA FENÊTRE»
@ Editions Gallimard
de Régis Debray
licence n° 1-1068246
actuelles permet au théâtre de
jouer son rôle, de dégager les
structures, les archétypes.
Tout commence avec une histoire de piscine, qui en évoque
bien d’autres, ayant fait l’objet de
nombre d’articles de presse ces
dernières années. Benjamin ne
veut plus aller au cours de natation. Sa mère, qui l’élève seule,
réagit avec les codes de sa génération : voyant son fils perturbé depuis quelque temps, elle craint
qu’il ne se drogue. Quand Benjamin lui dit qu’il veut être exempté
des leçons de natation « pour raisons religieuses », elle tombe des
nues. Mais son fils n’en démord
pas : il trouve inadmissible de devoir nager « derrière des filles en
bikini ».
Matthieu Roy
a totalement
respecté
le ton de farce
grinçante adopté
par Marius
von Mayenburg
Conception graphique : Kevin Boyer
omment un jeune
homme
ordinaire,
« normal », devient-il
un fanatique religieux,
prêt à tuer pour ses idées ? On n’a
pas fini de la ressasser encore et
encore, cette question-là. Dans ce
contexte, voilà un spectacle qui
envisage tous les aspects de la
question, et a le mérite de poser
de manière implacable le mécanisme de la radicalisation, et ses
ondes de choc dans la société :
c’est Martyr, une pièce de Marius
von Mayenburg, mise en scène
par Matthieu Roy, présentée au
Théâtre national de Strasbourg
jusqu’au 8 février.
Mayenburg, un des auteurs allemands les plus intéressants
d’aujourd’hui, né en 1972, a écrit
en 2012 cette pièce d’une intelligence redoutable. Il l’a ensuite
mise en scène lui-même, à la
Schaubühne de Berlin, que dirige
Thomas Ostermeier. Matthieu
Roy l’a lue au moment de l’affaire
Merah, à Toulouse, en mars 2012.
Il a eu immédiatement envie de la
monter en français, et a créé le
spectacle en janvier 2014, à Poitiers. Puis Martyr a tourné en
France, à Saint-Denis, notamment, où il a été présenté à
l’automne. Mais à Strasbourg,
trois semaines après les attentats
des 7, 8 et 9 janvier, il a pris une résonance particulière, qui a mis le
public de la grande salle du TNS,
lors de la première, mardi 27 janvier, dans un état d’attention et
d’écoute que l’on avait rarement
connu.
A sa manière, sèche, rapide, cinématographique, Martyr montre comment le jeune Benjamin
Südel s’enfonce dans une dérive
religieuse – catholique, en l’occurrence : Marius von Mayenburg
est bavarois, il balaie d’abord devant sa porte. Mais la mécanique
démontée ici pourrait être à
l’œuvre dans n’importe quel monothéisme. Et le décalage ainsi
opéré avec les dérives islamistes
culture | 17
0123
VENDREDI 30 JANVIER 2015
L’écrivain Erri De Luca devant le tribunal
PAT R I MOI N E
Opposé au projet de TGV Lyon-Turin, l’Italien avait soutenu le « sabotage »
La mairie de Puteaux (Hauts-deSeine) a déclaré dans un communiqué, mercredi 28 janvier, qu’elle
allait revoir la décoration intérieure de l’église Notre-Dame-dePitié, qui avait été repeinte avec
des couleurs vives lors d’un chantier de rénovation conduit sans
autorisation. Pendant les vacances de Noël, dans cette église classée Monument historique, les
murs du chœur avaient été
peints en rouge, le baptistère en
violet, et certaines statues en
beige. – (AFP.)
rome, correspondant
Q
ue valent les mots
d’un
intellectuel ?
Quelles sont les limites à sa liberté d’expression ? Ces questions ont été abordées bien avant
mercredi 28 janvier, date de
l’ouverture du procès, au tribunal
de Turin, de l’écrivain Erri De Luca,
poursuivi pour « incitation à la
délinquance ». Opposé au projet
de TGV Lyon-Turin, il avait déclaré
à la version italienne du site Huffington Post en 2013 que « les sabotages sont nécessaires pour
faire comprendre que le TGV est
une œuvre nuisible et inutile ».
A la suite d’une plainte de la société Lyon-Turin Ferroviaire (LTF),
qui gère les travaux du chantier,
évalué à 25 milliards d’euros et
dont la fin est prévue en 2030,
l’auteur a été mis en examen le
24 janvier 2014. « J’attends qu’on
me présente ceux que j’ai pu inciter
au sabotage, a-t-il déclaré à la
presse en arrivant au tribunal pour
la première audience, consacrée
aux questions préliminaires. En
l’occurrence, ce sont plutôt les opposants au TGV qui m’ont incité à
me ranger de leur côté. » Il risque
entre une et cinq années de prison.
Pour sa défense, l’écrivain en appelle à la liberté d’opinion garantie par l’article 21 de la Constitution. « Mes propos sont une opinion, déclarait-il au Monde dans
un entretien paru le 12 avril 2014.
Ce n’est que mon point de vue sur
ce projet, et sur ce qu’il serait bon
de faire. Il ne s’agit donc pas d’un
acte. Le sabotage est une forme de
résistance politique qui ne peut
s’entendre seulement au sens matériel. Ce mot a un sens plus large,
un sens politique. Quand des députés s’opposent à une loi au Parlement, ils la sabotent à leur manière. La grève aussi est un genre
de sabotage. »
Pour le sociologue piémontais
L’islam, succès de
librairie après « Charlie »
Le Coran et les essais liés à la religion
musulmane font de bons chiffres de vente
ÉDITION
A
la suite des attentats des 7,
8 et 9 janvier, les ventes
des livres signés des
auteurs de Charlie Hebdo se sont
envolées. Dans leur sillage, les
ouvrages consacrés à l’islam et au
terrorisme connaissent un succès
inattendu.
Selon Edistat, qui collecte des
données hebdomadaires sur les
ventes de livres dans plus de 200
magasins, l’ouvrage d’Edwy Plenel
Pour les musulmans (La Découverte, septembre 2014) a ainsi
connu un rebond dans les ventes.
Il s’en est écoulé 2 188 exemplaires
dans la semaine du 12 au 18 janvier.
Le journaliste devrait publier début février une édition augmentée
de cet ouvrage, préfacée d’une Lettre à la France écrite le 20 janvier.
A la 64e place du palmarès d’Edistat, avec 2 700 exemplaires vendus, figure l’ouvrage de Lydia Guirous, Allah est grand, la République
aussi (JC. Lattès), paru en octobre 2014. Cet essai d’une enfant de
l’immigration algérienne, qui raconte se faire traiter de « collabeur » par des intégristes, s’érige
contre toute forme de communautarisme.
C’est aussi du thème religion-laïcité que traite le livre de Nahida
Nakad, Derrière le voile : laïcité et
foulard islamique, deux valeurs incompatibles ? (éd. Don Quichotte),
paru en novembre 2013 : sur la plate-forme Google Play, il s’est hissé à
la 21e place des ventes de livres numériques dans la catégorie politique et actualité. Les deux premières places de ce classement étant
occupées par les deux ouvrages du
controversé consultant international Samuel Laurent, L’Etat islamique et Al-Qaïda en France : révélations sur ces réseaux prêts à frapper (Seuil).
Les penseurs plébiscités
Le thème du djihadisme attire les
lecteurs, comme le montre le succès du livre de la journaliste Anna
Erelle (nom d’emprunt) : Dans la
peau d’une djihadiste, enquête au
cœur des filières de recrutement de
l’Etat islamique (Robert Laffont) –
plus de 2 600 exemplaires vendus
selon Edistat du 19 au 25 janvier. Il
fait aussi partie des meilleures
ventes en ligne de la Fnac et d’Amazon.
Les lecteurs ont aussi été sensi-
Les ventes du
Coran traduit par
Jacques Berque
ont été
multipliées par 5
bles au thème d’une vision plus
apaisée, et plus profonde, de l’islam : Qu’Allah bénisse la France,
(2004), essai autobiographique du
rappeur Abd Al-Malik, qui réconcilie un islam lumineux avec le principe de citoyenneté, s’est vendu à
plus de 5 000 exemplaires depuis
le 7 janvier selon la maison d’édition Albin Michel.
Cette dernière confirme un intérêt croissant pour les penseurs de
l’islam : L’Islam sans soumission,
du philosophe Abdennour Bidar,
qui prône un islam humaniste, a
été vendu à 1 000 exemplaires depuis les attentats. Toujours chez
Albin Michel, Les Nouveaux Penseurs de l’islam, de Rachid Benzine
(2008), ainsi que le Coran, traduit
par Jacques Berque, ont vu leurs
ventes multipliées par cinq. L’Histoire des relations entre juifs et musulmans d’Abdelwahab Meddeb et
Benjamin Stora (2013), gros livre de
2 000 pages, a atteint 185 acheteurs en deux semaines, un record
selon Albin Michel.
Dans les meilleures ventes en ligne d’Amazon, Le Coran (éd. Le Livre de Poche, 2011) de Malek Chebel, anthropologue des religions à
qui l’on doit l’expression « l’islam
des Lumières », occupe le 32e rang.
Tariq Ramadan voit son livre De
l’islam et des musulmans, sorti en
décembre aux Presses du Châtelet,
prendre la 32e place des meilleures
ventes en ligne de la Fnac.
Mais c’est un roman polémique,
Soumission (Flammarion) de Michel Houellebecq, qui continue de
tenir le haut des classements : il est
premier des ventes en librairies selon Edistat (86 393 exemplaires
vendus) et occupe le deuxième
rang des ventes sur Amazon. Mais
pas si loin de Voltaire, dont le
Traité sur la tolérance (Flammarion) occupe la 24e place du classement. Le mois de janvier, habituellement assez morne pour la vente
des livres, montre que les Français,
plus de deux semaines après les
événements,
« pensent »
aujourd’hui leurs plaies. p
laurine personeni
dio (Prix Fémina étranger 2002,
Gallimard) et ses défenseurs évacuent la question de la violence
politique dans un pays profondément traumatisé par les années
de plomb, entre la fin des années
1960 et le début des années 1980,
marquées par des attentats attribués aussi bien à l’extrême gauche qu’à l’extrême droite, qui ont
tué plus de 300 personnes.
« C’est un
mauvais procès
qui fera de
De Luca un héros
ou un marty »,
écrit Cesare
Martinetti dans
« La Stampa »
Marco Revelli, interrogé par le
journal Il Fatto Quotidiano du
28 janvier, « Erri De Luca a invité les
gens à défendre leur territoire. Ce
chantier appartient à une autre
époque, il est contre les intérêts de
tous, de l’écologie et de l’environnement. Nous ne menons pas une bataille contre l’Etat, mais contre les
gouvernements qui ont voulu ce
projet. C’est un point fondamental ».
Ce faisant, l’auteur de Montedi-
« Je suis Erri »
A 64 ans, l’ancien maçon Erri de
Luca « a une idée différente de la
violence », souligne l’avocat de la
partie civile, Alberto Mittone. Dirigeant et responsable du service
d’ordre du mouvement maoïste
révolutionnaire Lotta Continua
de 1969 à 1977, il ne peut ignorer
l’impact d’un mot d’ordre, même
si ce groupuscule n’a jamais
prôné la violence. « Les paroles
ont un sens objectif et un sens suggestif qui varie, lui, en fonction de
la personnalité de celui qui les pro-
nonce », poursuit Alberto Mittone.
Ce procès, qui se déroule au lendemain des lourdes condamnations prononcées à l’encontre de
47 activistes anti-TGV, passionne
davantage hors de l’Italie. « Je suis
Erri », proclamaient les pancartes
brandies par le public présent dans
la salle d’audience, en écho aux attentats contre Charlie Hebdo.
« Une comparaison exagérée », a
tenu à rectifier l’écrivain. Dehors,
d’autres sympathisants lisaient
des extraits de La Parole contraire
(Gallimard), pamphlet dans lequel
il réaffirme ses positions.
« C’est un mauvais procès qui
fera de De Luca un héros ou un
martyr, écrit Cesare Martinetti,
responsable des pages culture du
quotidien La Stampa le 28 janvier.
A l’évidence, il n’est ni l’un ni
l’autre. » La prochaine audience a
été fixée au 16 mars, avec l’audition des premiers témoins. p
philippe ridet
Meilleur Acteur
L’église de Puteaux va
retrouver ses couleurs
d’origine
RECTIFICATIF
Cinéma Contrairement à ce que
nous avons écrit dans l’article
« Coppola : “Avoir des rêves, et les
faire vivre” », publié le 29 janvier,
Francis Ford Coppola n’est pas
l’initiateur de la restauration du
film Napoléon, d’Abel Gance.
C’est la Cinémathèque française
qui a pris en charge cette opération, soutenue par plusieurs partenaires dont Zoetrope, la société
de production du cinéaste.
GOLDEN
GLOBES
EDDIE REDMAYNE
Meilleur Acteur - EDDIE REDMAYNE
SCREEN ACTORS GUILD AWARDS
NOMINATIONS
AUX OSCARS
MEILLEUR FILM
MEILLEUR ACTEUR
MEILLEURE ACTRICE
“UNE ŒUVRE M AGISTR ALE”
NEW YORK OBSERVER
E D D I E R E D M AY N E
FELIC IT Y JONE S
L ’ H I S T O I R E EXT RAORDINA I R E D E JAN E E T ST E PH E N HAWKI NG
actuellement au cinéma
uneMerveilleuseHistoireduTemps-lefilm.com
/UniversalinLove
/UniversalFR
18 | télévisions
0123
VENDREDI 30 JANVIER 2015
Les derniers jours d’un séducteur
SÉLECTION
DU VENDREDI
Fantaisie aux dialogues ciselés, se situant quelque part entre cinéma,
théâtre et BD, l’ultime film d’Alain Resnais est une apothéose
CANAL+ CINÉMA
VENDREDI 30 - 20 H 50
FILM
V
oilà un Resnais « resnainissime ». La dernière pirouette d’un
magicien du cinéma
avant son adieu au grand écran,
en 2014. Quelque chose d’un Marivaux qui se serait égaré dans le
Yorkshire, une comédie de caractère qui aurait enchanté La
Bruyère.
Trois couples vivent dans la
campagne anglaise, du côté de la
ville de York. Colin, un médecin
(Hippolyte Girardot), apprend par
mégarde à sa femme Kathryn (Sabine Azéma) que les jours d’un de
ses patients, un certain George Riley, sont comptés. Kathryn ne
peut s’empêcher de faire part de
la nouvelle à Jack, le meilleur ami
de George (Michel Vuillermoz),
qui en avertit immédiatement sa
femme, Tamara (Caroline Silhol).
Ce satané George
Que faire pour venir en aide à ce
malheureux George ? Lui changer
les idées qu’on imagine très noires en lui proposant de se joindre
à leur petite troupe de théâtre
amateur ? Les répétitions devraient lui faire le plus grand bien.
C’est aussi l’avis de Monica, l’exfemme de George (Sandrine Ki-
berlain), qui vit avec le fermier Simeon (André Dussollier).
Rien ne se passe comme prévu.
Les femmes, sur lesquelles
George exerce une étrange séduction, vont toutes les trois vouloir
l’accompagner dans ses derniers
mois, en particulier pour ses vacances à Tenerife. Quant aux trois
hommes, plutôt du genre benêt,
ils vivront très mal l’engouement
de leur compagne pour ce séducteur à l’agonie.
Du théâtre, direz-vous, et vous
n’aurez pas tort. Sauf que c’est
aussi du cinéma. Et même de la
BD – des dessins de Blutch découpent joliment le film. « Je voulais
tenter de faire ce que Raymond
Queneau appelait dans Saint Glinglin la “brouchecoutaille”, expliquait Resnais. C’est-à-dire une
sorte de ratatouille. Abattre les
cloisons entre le cinéma et le théâtre et, ainsi, se retrouver en pleine
liberté. » La recette devait être formidable, c’est succulent !
Aux prises avec un événement
inattendu, nos trois couples ne
vont pas tarder à décompenser, les
trois femmes et leurs trois maris
sombrant dans une hystérie générale révélatrice de leurs caractères.
Kathryn, trop vivante pour la vie
qu’elle mène ; Colin, dont l’obsession pour les pendules rend sa vie
déprimante ; Tamara, la compassion faite femme ; Jack, un crétin
M AGAZ IN E
aussi amoureux de sa femme, de
sa maîtresse et de sa fille chérie
que de son fric ; Monica, sorte
d’ado qui n’a pas compris grandchose à la vie ; Simeon, plus à
l’aise dans la nature que dans
cette faune humaine à laquelle il
ne comprend goutte… Tous ont
leur idée sur ce satané George, qui
semble prendre un malin plaisir à
mettre leurs vies sens dessus dessous.
Faut pas rêver
Direction la verte Erin et plus
particulièrement le sud du pays
où nous entraîne ce soir Philippe
Gougler. Au programme : la « so
chic » course de montgolfières des
aristocrates de Waterford ; plus
équestre, celle de Dingle, réservée
aux jeunes jockeys ; ou carrément
canine à Cork, avec celle des lévriers.
Avant celle des amoureux au
Matchmaking Festival de
Lisdoonvarna où c’est un marieur
qui compose des couples…
Grandes et petites névroses
A mesure que passent les saisons,
les situations deviennent plus
inextricables, le piège tendu par
George se refermant sur les névroses de ce petit monde. Qui aura
l’honneur de l’accompagner à Tenerife pour son dernier voyage ?
D’abord feutrée, la bataille finit
par éclater au grand jour.
Pour sa troisième adaptation
d’une pièce d’Ayckbourn, Resnais
donne dans l’épure maximale. Et
fait mouche comme rarement,
sur des dialogues joliment ciselés
par Jean-Marie Besset.
Resnais voulait laisser le spectateur libre de tout imaginer. Mais
alors, direz-vous, ce George qu’on
ne voit jamais, qui est-il ? C’est ce
qu’il vous faudra deviner. p
franck nouchi
Aimer, boire et chanter, d’Alain
Resnais (Fr., 2014, 100 min).
FRANCE 3 – 20 H 50
Histoire des services secrets
de Jean Guisnel et David Korn-Brzoza
FRANCE, 2010, 4 × 52 MIN.
Sandrine Kiberlain (Monica), André Dussollier (Simeon),
Caroline Sihol (Tamara), Michel Vuillermoz (Jack), Hippolyte
Girardot (Colin) et Sabine Azéma (Kathryn). A. BORRE/F COMME FILM
Dans l’ultime volet de cette série
documentaire consacrée aux
services de renseignements,
les auteurs s’intéressent aux
bouleversements qui s’opèrent
après la chute du mur de Berlin
en 1989 et comment les agents
s’engagent dans l’espionnage
économique puis dans la lutte
contre le terrorisme.
LCP – 20 H 40
F IL M
Farid et Brian dans l’eldorado allemand
Ils sont venus d’Iran et du Cameroun en quête d’une vie meilleure, mais à Belzig le paradis n’est pas ce qu’ils croyaient
Les réalisatrices ont eu l’intelligence de filmer les regards, les
sourires, et de laisser s’installer des
silences qui en disent long. Obtenir l’asile s’apparente à la quête du
Graal. Mais en attendant le précieux sésame la solidarité existe,
comme le prouvent les conseils
donnés par une avocate et une assistante sociale allemandes.
« C’était le paradis »
Agé d’une trentaine d’années, Farid a fui précipitamment Téhéran
après avoir participé à des manifestations hostiles au régime. Sa
HORIZONTALEMENT
7
8
9
10
11
12
I
II
III
IV
V
VI
VII
VIII
IX
X
SOLUTION DE LA GRILLE N° 15 - 024
HORIZONTALEMENT I. Betteraviers. II. Adhère. Amuïe. III. Tiens. Aspect.
IV. Itou. Areu. Ho. V. For. Biture. VI. Origines. Pl. VII. Lierre. Epais. VIII. Aa.
Amer. Otai. IX. Guida. Enraie. X. Excentricité.
VERTICALEMENT 1. Batifolage. 2. Editoriaux. 3. Théorie. IC. 4. Tenu.
Grade. 5. Ers. Birman. 6. Rê. Aînée. 7. Arte. RER. 8. Vaseuse. Ni.
9. Impur. Porc. 10. Eue. Epatai. 11. Rich. Liait. 12. Seton. Siée.
alain constant
Allemagne eldorado, de Judith
Keil et Antje Kruska (Allemagne,
2013, 55 min).
1. N’a pas le droit de jouer avec le feu.
2. Voient l’avenir après l’ouverture.
3. Font mal. Gardien des ondes.
4. Cœur tendre. Poils de petit-gris.
5. Fulminas. Creusé par les vents.
6. Encadrent tous nos mots. A beaucoup trop consommé. 7. Ne la laissez
pas monter, elle pourrait s’installer
chez vous. 8. A donné un roi à la
France. 9. Du rouge dans les étangs.
Dégager les sommets. 10. Fait tâche
au soleil. Note. Amateur de chardons.
11. Rois de Suède et du Danemark.
Matisse a décoré sa chapelle. 12. Les
plus grandes peuvent aller à la plage.
Copie conforme
de Jean Dréville. Avec Louis Jouvet,
Suzy Delair
FRANCE – 1946 – 105 MIN.
Un escroc mondain utilise son sosie,
malchanceux représentant en
boutons, pour se procurer des alibis.
Une idée amusante, une
interprétation époustouflante avec
un double rôle pour Louis Jouvet,
le charme de Suzy Delair
et des dialogues brillantissimes
d’Henri Jeanson. Du pur bonheur.
CINÉ + CLASSIQUE – 20 H 45
0123 est édité par la Société éditrice
du « Monde » SA
Durée de la société : 99 ans
à compter du 15 décembre 2000.
Capital social : 94.610.348,70 ¤.
Actionnaire principal : Le Monde Libre (SCS).
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n° 0717 C 81975 ISSN 0395-2037
& CIVILISATIONS
6
NOUVEAU
N° 3 FÉVRIER 2015
S
& C I V I L I S AT I O N
ET VENISE
SORTIT
DE L’EAU
COMMENT
S
LA CITÉ DES DOGE
S’EST IMPOSÉE
; PORTUGAL 6,50 .
5
CHF ; TUNISIE 12 DTU
4
LE CODE
DE HAMMURABI
60 MAD ; SUISSE 9,50
3
AVANT MOÏSE,
LES PREMIÈRES TABLES
DE LA LOI
LIBAN 12 000 LBP ; MAROC
2
$CAN ;
5,95 ; CANADA 8,95
1
I. Coinces les bulles, mais pas n’importe où. II. Manifestiez comme un
tigre. Divinement aimé. III. Bases
pour de bonnes bières. De nombreux
charlatans prétendent le connaître.
IV. Pose question. Cours entre la
Finlande et la Norvège. Lettre pour
une embauche. V. Epuisera petit à petit. De la terre et du sable pour de
beaux services. VI. Des cours en dehors de la classe. A bien suivi les
cours qui précèdent. VII. Dans la
gamme. Très proche. Conjonction.
VIII. Ne laissez pas passer les bonnes.
Donne de l’intensité. IX. Revenir sur
le passé en battant sa coulpe. X. Elisabeth ou Catherine. Cries comme un
cerf.
dans une étrange compagnie financière, sort en boîte, tente de
s’offrir une nouvelle vie avant que
ne tombe la nouvelle : son droit
d’asile est refusé mais, pour des
raisons administratives, il ne peut
pas être expulsé. Farid, lui, a obtenu l’asile. Au téléphone avec
son épouse, il est au bord des larmes : « Si Dieu le veut, on va bientôt se revoir », lui lance-t-il. p
SUDOKU
N°15-025
; BELGIQUE LUXEMBOURG
GRILLE N° 15 - 025
PAR PHILIPPE DUPUIS
femme, dont il est fou amoureux,
lui manque terriblement, ainsi que
son fils de 6 ans. « J’ai quitté Téhéran, atterri à Istanbul, puis à Athènes. Avec mon frère, nous voulions
aller en Suisse et nous nous sommes retrouvés à Berlin ! », résumet-il en esquissant un sourire. Brian,
lui, n’a pas laissé d’épouse derrière
lui. « Chez moi, au Cameroun, rien
ne bouge. L’image que j’avais de l’Allemagne, c’était le paradis ! »
Très vite, les deux hommes vont
réaliser que Belzig n’est pas le paradis. Chacun va vivre son exil à sa
manière : Brian effectue un stage
ANTILLES-RÉUNION 6,50
F
uir son pays d’origine est
une épreuve, bien choisir
son pays d’accueil en est
une autre. Et prendre un nouveau
départ dans l’inconnu s’apparente
souvent à une mission périlleuse.
Daté de 2013, ce documentaire suit
deux jeunes hommes ayant chacun fui son pays, le Cameroun
pour Brian, l’Iran pour Farid. Les
turbulences de la vie les ont fait atterrir à Belzig, petite ville de l’est de
l’Allemagne. Dans un pays qui attire toujours plus de candidats à
une vie meilleure et dont le modèle « multi-kulti » est régulièrement mis en cause, notamment
chaque lundi à Dresde depuis octobre 2014 par les manifestants de
Pegida (Patriotes européens contre l’islamisation de l’Occident), ce
documentaire apporte une petite
lumière intéressante.
Comment, dans une ville de
taille modeste, située dans une région peu favorisée, sont perçus ces
étrangers bruns ou noirs de peau
qui parlent à peine l’allemand ?
AFRIQUE 4800 F CFA ;
ARTE
VENDREDI 30 - 23 H 15
DOCUMENTAIRE
SOLIMAN
ELANE
ET ROX
D’UN SULTAN
L’AMOUR
ET D’UNE ESCLAVE
NAPOLÉON
QUÊTE
LA FOLLE RECON
DES CENT-JOURS
Chaque mois,
un voyage à travers
le temps et les grandes
civilisations à l’origine
de notre monde
CHEZ VOTRE
MARCHAND DE JOURNAUX
Présidente :
Corinne Mrejen
PRINTED IN FRANCE
80, bd Auguste-Blanqui,
75707 PARIS CEDEX 13
Tél : 01-57-28-39-00
Fax : 01-57-28-39-26
Imprimerie du « Monde »
12, rue Maurice-Gunsbourg, 94852 Ivry cedex
Toulouse (Occitane Imprimerie)
Montpellier (« Midi Libre »)
styles | 19
0123
VENDREDI 30 JANVIER 2015
PARIS | HAUTE COUTURE PRINTEMPS-ÉTÉ 2015
La couture spectacle en question
Entre le flux des réseaux sociaux et la discrétion de sa clientèle, un art qui cherche comment se mettre en scène
E
n cherchant sur Instagram
le
hashtag
#jeanpaulgaultier, on
tombe sur 141 088 publications… autant d’occurrences répertoriées trois heures après le
dernier défilé du couturier. Ce
sont en grande majorité des images du show diffusées quasiment
en direct à travers la planète. On
est loin de l’âge d’or de la couture,
de l’après-guerre aux années
1980, quand chaque présentation
rassemblait une poignée d’élues
dans des salons où les photographes étaient rares. Comme toutes
les disciplines créatives et photogéniques, la haute couture a été
engloutie par l’ogre digital : les réseaux sociaux se délectent de ses
spectaculaires travaux d’aiguilles.
Mais une zone d’ombre persiste :
celle où évoluent les vraies clientes de la couture, des femmes discrètes attachées à leur relation
privée avec les créateurs et pour
lesquelles la mode spectacle est
davantage une distraction – sympathique – qu’une nécessité.
Dans ce contexte, le défilé de
haute couture est un outil promotionnel à manier avec précaution
mais non sans panache. Jean Paul
Gaultier n’a jamais lésiné sur la
mise en scène ; il a même mis au
point une méthode. Chaque show
décline un thème qui se retrouve
dans les noms des modèles et des
différents secteurs de la salle du
défilé.
Pour l’été 2015, ce sera le mariage, dans tous ses états. C’est
une fausse poupée de pièce montée qui ouvre le show, nimbée de
tulle immaculé et coiffée de bigoudis. Arrive ensuite un cortège
de futures épouses de tous les
styles : la mariée « street » (casquette, smoking blanc et long gilet en maille effet reptile), la mariée rock trash (en jupe montée
sur une taille de microshort en
jean), la mariée fatale en robe
rouge rebrodée de cristaux, la mariée apicultrice, la tête à l’abri dans
un chapeau boîte, sans oublier la
panthère Naomi Campbell en
femme bouquet. De la robe façon
Marylin Monroe en python chocolat au fourreau de rubans chair,
tout le vocabulaire esthétique de
Gaultier est là.
Le public se prend au jeu et jette
de mini-bouquets sur les anciens
top-modèles accueillis comme
des icônes. Le côté pop sympathique du show et l’envie de s’amuser un peu dans une époque sombre justifient cette ambiance
joyeuse. Les pièces « tailleur »
(dont le smoking Gaultier est une
perle trop rare) ont ce qu’il faut
pour séduire des clientes. Mais il
faut rappeler une autre réalité : le
show est aussi fait pour aiguiser
l’appétit d’un public étranger à
cette culture de l’exception, celui-là même qui a fait des parfums
Gaultier des best-sellers mondiaux.
Ce pragmatisme s’applique
aussi chez Viktor & Rolf, griffe
néerlandaise aussi célèbre pour
ses shows conceptuels que pour
son Flower Bomb, un jus au succès fracassant. L’une de leurs dernières performances couture
avait d’ailleurs été conçue entièrement autour du lancement
d’une fragrance, Bonbon. Le défilé d’été ne semble même pas
avoir la prétention de vendre une
seule robe. Les silhouettes parasol
à coiffes épis comme sculptées
après la moisson sont de purs dé-
En amour
comme
en couture,
il faut cultiver
le mystère
pour séduire
Valentino. LAURA STEVENS POUR « LE MONDE »
lires. Dommage qu’il manque ici
la vraie bizarrerie conceptuelle
qui fait de ces designers de précieux électrons libres.
Chez Valentino, le spectacle
tient aux vêtements, des créations raffinées devenues ces dernières années très populaires
chez les clientes couture. Sur le
thème de l’amour, les directeurs
artistiques Maria Grazia Chiuri et
Pierpaolo Picccioli imaginent un
vestiaire de personnage de tableau ou d’héroïne de roman. Ils
excellent dans l’épure (des silhouettes aux accents préraphaélites en velours, cachemire ou lin)
et dans cette mode de jour aux influences russes (un hommage au
peintre Marc Chagall). Pour une
soirée, un mariage, une vie, les
nombreuses robes longues ont
une fragilité gracieuse, les mousselines rebrodées d’or, de pourpre
et les soies de couleur sont magnifiées par des volumes fluides. Attention à l’amour, thème univer-
sel et périlleux : les robes habillées de slogans enflammés, les
broderies de nuages et d’arc-enciel filent la métaphore avec un
peu trop d’instance. En amour
comme en couture il faut cultiver
le mystère pour séduire.
Il faut aussi nouer des liens profonds avec les femmes et ceci fait
la force d’Elie Saab qui dédie sa
collection à sa mère, aux Beyrouthines et à l’élégance d’une époque révolue. Ses robes pastel brodées de paillettes et de dentelle,
ses silhouettes bordées de plumes d’autruches frémissantes,
ses imprimés fleuris aux contours d’aquarelle ont une vraie
poésie. Les filles sont jolies sur le
podium, lumineuses aussi. Ni
branché, ni révolutionnaire ou
prétentieux, le style Elie Saab repose sur une bienveillance sincère envers les femmes. Et cela
vaut tous les spectacles du
monde. p
carine bizet
Jean Paul Gaultier.
LAURA STEVENS POUR « LE MONDE »
Alexandre Vauthier, nouveau membre du club
Alexandre Vauthier. LAURA STEVENS POUR « LE MONDE »
inconnu du grand public, ce Français vient d’entrer
dans le club fermé (une quinzaine d’élus) des créateurs portant l’appellation officielle « haute couture ». Belle récompense pour un homme de vocation : Alexandre Vauthier, 43 ans, a passé une quinzaine d’années dans les ateliers couture de maîtres
du genre – Thierry Mugler et Jean Paul Gaultier –
avant de se lancer en solo en 2009 par goût de la
proximité avec les artisans.
Ceux-ci sont les partenaires indispensables de ses
créations ; il travaille notamment avec les ateliers
Paraffection, ces brodeurs, plumassiers ou orfèvres,
regroupés par Chanel, constituent un vivier précieux de compétences pour toutes les maisons du
luxe.
Dans leur sanctuaire moderne ouvert en 2013 à
Pantin, Alexandre Vauthier se sent comme chez lui.
« Si je pouvais, je passerais tout mon temps chez le
brodeur Lesage. Entre deux rendez-vous, je fouille
dans les archives. Pour la collection d’été, j’y suis allé
trois à quatre fois par semaine avec toutes mes robes.
Une fois que j’ai eu mon stock de pierres, je les ai placées sur les vêtements une à une pour obtenir la
bonne brillance, le bon dégradé. C’était vraiment un
travail en commun avec l’atelier. » Vertigineux
aussi : il a fallu 300 heures pour poser les
25 000 pierres d’un fourreau.
Griffe en pleine croissance
Ces prouesses ont-elle encore une place dans une industrie de la mode éprise d’efficacité ? « Depuis mes
débuts, j’entends dire que la couture est morte, soupire le styliste. En fait, les gens confondent l’opulence
qu’ils considèrent comme le “style couture” et la couture. La théâtralité qui dominait cette discipline dans
les années 1980 a encouragé cet amalgame, mais la
couture c’est aussi un tailleur impeccable à vos mesures, ou une épaulette faite main. Aujourd’hui, il faut
insister sur la “vestibilité” de la couture, son accessibilté. Face à elle, une femme ne doit pas être intimidée
mais se sentir à l’aise. »
Cette approche fait le succès de la griffe Vauthier,
en pleine croissance ; après une ligne de prêt-à-porter, il vient juste de lancer une première précollection, indice d’une gestion réaliste. La tradition n’a jamais autant de sens que lorsqu’elle nourrit une industrie en phase avec son temps. p
c. bi.
20 | carnet
en vente
actuellement
K En kiosque
0123
VENDREDI 30 JANVIER 2015
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AU CARNET DU «MONDE»
Hors-série
Naissance
Collections
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seulement
Marie-Camille PEPRATX-NÈGRE
et Eric NÈGRE
sont très heureux de laisser à
Axelle et Pierre
l’immense joie d’annoncer la naissance
de leur sœur,
Clara, Jeanne,
Louise, Constance,
805, avenue de l’Occitanie,
34090 Montpellier.
Décès
Bertha,
son épouse,
Sylvie et Elodie,
ses sœurs
Et ses très nombreux amis,
Patrice CADIOU,
sculpteur.
Une cérémonie funéraire aura lieu
au crématorium du cimetière du PèreLachaise, Paris 20e, le samedi 31 janvier
2015, à 9 heures.
LA GRANDE ÂME DE L’INDE
0123
L’abbaye d’Auberive et ses amis
célèbreront son œuvre tout l’été, à partir
du 6 juin.
ET L’ANALYSE MATHÉMATIQUE
-Nos
-----------------------services
---------------------------------------Lecteurs
décédé le 27 janvier 2015,
à Tours (Indre-et-Loire),
à l’âge de quatre-vingt-quatre ans.
Maud Espérou,
son épouse,
Hélène Espérou,
sa ille,
Cécile Espérou-Kenig
et David Kenig,
sa ille et son gendre,
François, Julia Bourdeau,
Judith, Ezra Kenig,
ses petits-enfants,
Jean-Claude Espérou,
son frère,
ont le chagrin d’annoncer la mort de
Robert ESPÉROU,
administrateur civil honoraire,
oficier de la Légion d’honneur,
commandeur
dans l’ordre national du Mérite,
survenue le 23 janvier 2015,
dans sa quatre-vingt-cinquième année.
On se réunira au cimetière de Sceaux,
170, rue Houdan, le jeudi 29 janvier,
à 15 h 30.
Ni leurs ni couronnes, des dons peuvent
être versés à la Fondation pour la recherche
médicale.
La famille remercie le personnel dévoué
de la résidence Hippocrate de ChâtenayMalabry.
54, rue du Docteur-Thore,
92330 Sceaux.
Chamalières.
Ses obsèques civiles auront lieu
le 30 janvier, à 11 heures, au crématorium
de Clermont-Ferrand.
Michelle GICQUEL-QUILICI
est décédée le 26 janvier 2015,
dans sa soixante-treizième année, à Paris.
Un hommage lui sera rendu
au crématorium du cimetière du PèreLachaise, Paris 20 e, le lundi 2 février,
à 11 h 30 , suivi de la dispersion de
ses cendres au jardin du souvenir
du cimetière du Père-Lachaise.
Merci d’associer le souvenir de son
mari,
M. Jean-François QUILICI,
décédé le 12 mars 2010.
Yvonne CHADEAU,
Robert Raoëly JAMES,
survenu le 27 janvier 2015,
à l’âge de quatre-vingt-trois ans.
La cérémonie d’hommage aura lieu
le mardi 3 février, à 16 heures, au
crématorium du cimetière du PèreLachaise, Paris 20e.
Ni leurs ni plaques.
95, rue des Morillons,
75015 Paris.
K Abonnements
Tél. : 32-89 (0,34 � TTC/min)
www.lemonde.fr/abojournal
K Boutique du Monde
80, boulevard Auguste-Blanqui,
75013 Paris
M° Glacière ou Corvisart
Tél. : 01-57-28-29-85
www.lemonde.fr/boutique
K Le Carnet du Monde
Tél. : 01-57-28-28-28
Professionnels
K Service des ventes
Tél. : 0-805-05-01-47
Mme Assunta Marie HASCHER,
née CECUTTI,
survenu à Paris, le 21 janvier 2015,
dans sa quatre-vingt-seizième année.
Cet avis tient lieu de faire-part.
83 rue Vaneau,
75007 Paris.
Étienne LALOU,
journaliste,
homme de Lettres,
producteur de télévision,
s’est éteint le 24 janvier 2015, à Paris,
dans sa quatre-vingt-dix-septième année.
Le vendredi 30 janvier, recueillement
à 14 heures, au funérarium des Batignolles,
1, boulevard du Général-Leclerc,
à Clichy, suivi de l’inhumation à 15 h 15,
au cimetière parisien de Bagneux,
45, avenue Marx-Dormoy, à Bagneux.
De la part de
Renaud, Christine, Stéphane,
ses enfants,
Ses petits-enfants,
Ses arrière-petits-enfants
Et toute sa famille.
10, rue du Delta,
75009 Paris.
Le Mans (Sarthe).
Quimper (Finistère).
Nancy (Meurthe-et-Moselle).
Anne, Renaud et Tristan Péri,
ses enfants,
Sa famille
Et ses proches,
ont la tristesse de faire part du décès de
M. Armand PÉRI,
survenu le 27 janvier 2015,
à l’âge de quatre-vingt-quatre ans.
Armand repose à la Maison funéraire,
70, rue Hoche, au Mans, où des visites
peuvent lui être rendues.
ont la douleur de faire part du décès de
9-11, rue Ernest-Renan,
92130 Issy-les-Moulineaux.
ont la tristesse d’annoncer le décès de
ont la douleur et le chagrin de faire part
du décès de
ont le chagrin de faire part du décès de
Les obsèques ont été célébrées
dans l’intimité familiale.
Jean-Baptiste de Foucauld
Et le conseil d’administration
des Amis de Pontigny-Cerisy,
Edith Heurgon, Philippe Kister
Et l’équipe de Cerisy,
Un hommage lui sera rendu le lundi
2 février, à 13 h 45, au crématorium
du Mans, 128, rue Etienne-Falconnet.
André-Louis Chadeau,
son époux,
Frédéric Chadeau,
son ils,
Claude Chadeau,
sa ille,
Ses petits-enfants
Et ses arrière-petits-enfants,
à l’âge de quatre-vingt-treize ans.
Dominique, Thierry
et Xavier Hascher,
ses enfants
et leurs épouses,
Louise, Sophie, Catherine,
Clara et Francis
ses petits-enfants,
Mireille Cébeillac-Gervasoni
et Carlo Gervasoni,
ses parents,
Anne-Marie James,
son épouse,
Hervé James,
Ando et Jean-Michel Poggi,
ses enfants,
Nicole, Jean, Christine, Élisa,
sa famille de cœur,
Les familles parentes
et alliées en France, à Madagascar
et à La Réunion,
née HUMERT,
résistante,
assistante sociale du COSOR,
Dès mercredi 28 janvier,
le volume n° 19 EULER
Yves CHAUVIN,
directeur de recherche honoraire
à l’Institut français du pétrole,
Prix Nobel de chimie (2005),
grand-croix de l’ordre national du Mérite,
survenu le 25 janvier 2015,
à Chamalières, à l’âge de trente-huit ans.
font part du décès de
Actuellement en kiosque
le volume n° 7 GANDHI
ont la tristesse de faire part de la disparition
de leur confrère,
M. David
GERVASONI-CÉBEILLAC,
le 19 janvier 2015.
Dès jeudi 29 janvier,
le CD n° 2 ABBEY ROAD
THE BEATLES
Le président,
Le vice-président,
Les secrétaires perpétuels
Et les membres
de l’Académie des sciences,
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Condoléances sur registre.
Ni leurs ni couronnes.
Cet avis tient lieu de faire-part et
de remerciements.
Paris 16e. Cerisy-la-Salle.
Jacques PEYROU
nous a quittés le 27 janvier 2015.
Anne et Olivier Bas,
Carole et Cédric,
Nicolas, Marine,
Christian et Fabienne Peyrou,
Isabelle, Emmanuelle,
Hélène, François Peyrou,
Dominique et Rosa Peyrou,
Clara, Martin et Thomas,
Edith Heurgon
Et toute l’équipe de Cerisy,
dans leur immense chagrin,
l’accompagneront lors de la cérémonie
religieuse qui sera célébrée le samedi
31 janvier, à 15 heures, en l’église
de Cerisy-la-Salle (Manche).
Condoléances sur registre.
Cet avis tient lieu de faire-part.
Anne Bas,
5, boulevard Clémenceau,
92400 Courbevoie.
ont la tristesse de faire du décès de
Jacques PEYROU,
survenu le 27 janvier 2015
Communications diverses
Clairefontaine
et son magniique mensuel littéraire
offrent cent places aux libraires
de France pour applaudir
Jean Morzadec et Tony Abdo,
le 17 mars 2015,
au théâtre de l’Alliance française. Ecrivez
à [email protected]
pour réserver vos places.
et saluent son apport incomparable
à l’Association des Amis de PontignyCerisy et au Centre culturel international
de Cerisy.
Une cérémonie religieuse sera célébrée
le samedi 31 janvier, à 15 heures,
en l’église de Cerisy-la-Salle (Manche).
Ses enfants
Et ses petits-enfants,
« La question de la représentation
du divin dans les religions »
ont la tristesse de faire part du décès de
Janine ROLLAND-LUKACS,
survenu le 27 janvier 2015, à l’île d’Yeu.
Henriette, Max et Gilles,
ses enfants,
Simon et Bouchra, Estelle et Arun,
Joël et Karine,
ses petits-enfants,
Aliya et Nora,
ses arrière-petites-illes,
Beata et Gisèle,
ses belles-illes,
Gérald Rozental,
son frère
et sa famille,
Monique Tibon,
sa belle-sœur
et sa famille,
ont la douleur de faire part du décès de
jeudi 5 février 2015, à 20 h 30,
Le Christianisme,
Isabelle Saint Martin,
jeudi 12 mars, à 20 h 30,
L’Islam,
Silvia Naef,
jeudi 19 mars, à 20 h 30,
Le Bouddhisme,
Amina Taha-Hussein Okada,
jeudi 26 mars, à 20 h 30,
Le Judaïsme,
Dominique Jarrassé.
Espace Landowski,
28, avenue André-Morizet,
92100 Boulogne-Billancourt
www.forumuniversitaire.com
L’École Pratique des hautes Études
en Psychopathologies (EPhEP)
et l’EPEP-Association
Lacanienne Internationale (ALI)
reçoivent
Patrick Landman
Hélène STEINBERG,
née ROZENTAL,
veuve de Lucien STEINBERG,
née le 27 janvier 1929,
à Boulogne-Billancourt,
survenu le 23 janvier 2015,
à son domicile, entourée des siens,
dans sa quatre-vingt-sixième année.
De parents juifs, elle se cache pendant
la guerre. Elle garde l’inoubliable souvenir
de ceux qui lui sauvent la vie, de ses
grands-parents maternels morts,en
déportation, de son oncle fusillé comme
otage. Elle adhère au Parti Communiste
en 1947, sans le quitter jamais. Elle épouse
Lucien Steinberg en 1950. Ils auront quatre
enfants. Militante toute sa vie,
anticolonialiste, elle vend l’Humanité
Dimanche pendant cinquante ans.
Documentaliste, traductrice, elle ouvre
la librairie La Balustrade, en 1996, son
grand œuvre consacré aux sciences
et sciences humaines et sociales.
Elle reste pour ses proches, l’exemple
d’une volonté.
Les obsèques auront lieu le vendredi
30 janvier, à 10 h 30, au cimetière
du Montparnasse, 3, boulevard Edgar
Quinet, Paris 14e.
On se réunira à la porte principale
du cimetière.
Les personnes qui voudraient se
recueillir peuvent se rendre jusqu’au jeudi
29 janvier, à la Maison funéraire, 5-7,
boulevard Ménilmontant, Paris 11e.
Henriette Steinberg,
46, rue Meslay,
75003 Paris.
pour la présentation de son ouvrage
« Tous Hyperactifs ?
L’incroyable épidémie
de troubles de l’attention »,
Albin Michel,
le jeudi 5 février 2015, à 21 heures.
Discutants
Louis Sciara et Jean-Jacques Tyszler.
35 bis, rue de Sèvres, Paris 6e,
au Centre Sèvres.
Entrée libre.
La Fédération française
de l’ordre maçonnique mixte international
« Le Droit Humain»,
organise une représentation publique :
« Jaurès, assassiné 2 fois ! »
Création de Pierrette Dupoyet,
le dimanche 1er février 2015,
à 15 heures,
9, rue Pinel, Paris 13e.
Inscription par courriel :
[email protected]
Informations :
www.droithumain-france.org
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0123
VENDREDI 30 JANVIER 2015
INTERNATIONAL | CHRONIQUE
p a r a l a in fr a cho n
Iran : « Bibi »
sur Potomac
L
Diplomatie parallèle
La Maison Blanche n’a pas été prévenue, le département d’Etat non
plus, les chefs démocrates au Congrès encore moins. C’est sans précédent : jamais un chef d’Etat ou
de gouvernement étranger n’a été
invité à s’adresser au Congrès sans
l’accord, au moins tacite, du président – qui, en principe, a l’initiative en politique étrangère.
« Bibi » Nétanyahou est encore
plus opposé que les républicains à
la négociation avec l’Iran. Le geste
de Boehner revient à mener une
diplomatie parallèle, et opposée, à
celle de l’administration Obama :
on compte sur « Bibi » pour contrer la Maison Blanche. On espère
que le premier ministre arrivera à
DEPUIS DES
SEMAINES, « BIBI »
ŒUVRE À
BLOQUER LES
NÉGOCIATIONS
SUR LE NUCLÉAIRE
IRANIEN
LE RÉPUBLICAIN
BOEHNER A INVITÉ
NÉTANYAHOU À
VENIR PARLER LE
3 MARS DEVANT
LE CONGRÈS
séduire quelques démocrates
– certains pensent comme les républicains sur l’Iran. Objectif : s’assurer la majorité des deux tiers requise pour passer outre le veto de
la Maison Blanche.
Boehner a des comptes politiques à régler avec Obama, sur tous
les fronts. Peu importe que les intérêts stratégiques de l’Amérique
soient en jeu. L’important, l’objectif numéro un, est de priver le président du succès que serait un bon
accord avec l’Iran. La Maison Blanche a réagi avec fureur, de même
que les élus démocrates. Pas plus
Obama, qui exècre Nétanyahou,
que le vice-président, Joe Biden,
ou le secrétaire d’Etat, John Kerry,
ne recevront le premier ministre
lors de son séjour à Washington.
Pareil boycottage aussi est sans
précédent.
Jeu dangereux
A Jérusalem, « Bibi » a dit oui, tout
de suite. Depuis des semaines,
dans le dos de la Maison Blanche,
il incite les élus républicains à bloquer la négociation iranienne. Il
estime qu’il a tout à gagner à
s’adresser au Congrès le 3 mars
(après s’être adressé le 2 à l’assemblée du lobby pro-israélien,
l’Aipac). Les républicains lui offrent une tribune inégalée et un
triomphe télévisé, en direct, à
deux semaines des élections générales israéliennes du 17 mars – un
coup de pouce confirmant l’alignement du parti de Lincoln sur la
droite israélienne. La Maison Blanche remarque que la tradition de la
diplomatie américaine est de ne
pas faire d’invitation qui puisse
manifester un choix partisan
avant des élections chez un allié.
Nétanyahou, lui, n’a pas ces pudeurs : il n’a jamais caché qu’il
« votait » républicain…
Jeu dangereux, inutilement insultant pour la Maison Blanche,
ont commenté la plupart des éditorialistes américains et israéliens.
« Nétanyahou se sert du Congrès
pour une photo préélectorale, et les
républicains se servent de “Bibi”
dans leur campagne contre
Obama », écrit, dans le New York
Times, Martin Indyk, ancien ambassadeur américain en Israël. Des
proches de Nétanyahou lui conseillent de reporter sa visite audelà du 17 mars. Son adversaire politique principal, le travailliste
Isaac Herzog, accuse : « Avec cette
façon de faire brutale, Nétanyahou
met en danger les intérêts de sécurité d’Israël. »
Non seulement « Bibi » est ingrat à l’adresse d’une administration Obama qui a développé des
liens stratégiques plus denses que
jamais avec son allié israélien.
Mais il ébranle ce qui, aux EtatsUnis, a fait la force de la relation
avec Israël – le soutien bipartite
dont elle bénéficie. Cédant à Boehner, « Bibi » agresse nombre de démocrates.
Probable candidate du parti de
l’âne à la présidentielle de novembre 2016, Hillary Clinton rappelle
son appui à la négociation nucléaire. A Téhéran, les « durs »
exultent. Eux aussi opposés à ces
pourparlers, ils ont trouvé un allié
de taille : l’étonnant tandem Boehner-Nétanyahou. p
[email protected]
Tirage du Monde daté jeudi 29 janvier : 283 002 exemplaires
D
epuis près de trente-cinq ans, la
France vit à l’heure du chômage de
masse. Les majorités changent, la
situation empire. Les quelques périodes de
conjoncture économique favorable ne produisent que des améliorations passagères
de l’emploi. Parmi les économies développées, le chômage devient une spécificité
française. Le gâchis humain – tragédies personnelles et familiales, coup dur porté à la
jeunesse, séniors au rebut – est phénoménal. Un « cancer », disait Mitterrand. Qui est
très largement à l’origine de la déprime collective qui mine la société française, laquelle
reste pourtant l’une des plus riches et des
plus productives de la planète.
Les chiffres publiés mardi 27 janvier par
Pôle emploi sont accablants : avec 3,5 mil-
lions de chômeurs, 2014 marque un triste
record. Le fléau du chômage de longue durée explose, franchissant le seuil des
700 000 demandeurs d’emploi depuis plus
de deux ans. Ces chiffres ont donné lieu au
traditionnel et pathétique renvoi de responsabilité entre la majorité et l’opposition.
La première incrimine la conjoncture – pas
de croissance. La seconde dénonce l’échec
du gouvernement – mauvaise politique.
C’est de bonne guerre. Mais cette manière
de poser la question du chômage comme
relevant exclusivement de l’action de l’Etat
masque la vraie nature du problème. Le
chômage est un échec français largement
partagé : gouvernants, entreprises, syndicats, partis politiques, éducation nationale,
sans oublier des médias sujets à la paresse
intellectuelle. Depuis trente-cinq ans, la
droite et la gauche n’ont pas trouvé de réponse durable au chômage, mais cet échec
ne fait que refléter les choix profonds d’une
société tout entière.
Nostalgie des « trente glorieuses »
C’est moins l’idéologie que la nostalgie
qu’il faut ici incriminer. La France court
après des temps qui ne reviendront pas, ces
« trente glorieuses » où les services et l’industrie offraient des emplois à vie. Nombre
de nos voisins européens ont affronté courageusement cette réalité. Ils en ont tiré les
conséquences. Ils se sont adaptés à une si-
tuation de l’emploi plus difficile, plus
fluide, plus volatile, plus concurrentielle. Ils
ont fait un choix – juste ou injuste, comme
on voudra – en faveur du travail : en clair,
plutôt des travailleurs mal payés que des
chômeurs, plutôt des « petits jobs » que
Pôle emploi.
Ils ont fait le pari que l’important était,
d’abord, d’entrer sur le marché du travail,
quitte à compter, ensuite, sur l’action de
l’Etat pour empêcher le blocage de l’ascenseur social. Ils n’ont pas créé le paradis,
mais n’ont pas trop mal réussi non plus. Ce
débat-là, la France ne l’a jamais eu, ce choix
n’a jamais été présenté aux Français. En
réalité, c’est une manière d’accorder une
préférence collective au chômage. En ce
sens, la France, ces dernières années, n’a
pas fait de l’emploi une priorité nationale.
Cela l’aurait amenée non seulement à revoir le code du travail, le niveau des charges
sociales, mais aussi une politique de formation professionnelle aussi coûteuse
qu’inefficace, ou une réelle revalorisation
de l’apprentissage.
La France peut s’enorgueillir d’être un des
pays les moins inégalitaires d’Europe. C’est
un atout. Il doit la conduire à relever un
défi particulier, qui n’est pas seulement celui du gouvernement : intégrer la priorité à
l’emploi à son modèle social. C’est affaire
de réformes de structures profondes, bien
sûr, mais aussi d’état d’esprit collectif. p
Crédit illustration : Satoshi Hashimoto
e spectacle n’a pas fait la
« une » des gazettes la semaine dernière, du moins
en Europe. Il relevait
pourtant d’une performance assez rare : le pire de la politique
américaine, doublé du pire de la
politique israélienne. Respect. Pareil festival n’est pas si fréquent.
Dans les premiers rôles, deux
hommes : à Washington, le républicain John Boehner, président de
la Chambre des représentants, et à
Jérusalem, Benyamin Nétanyahou, premier ministre israélien.
Leur prestation laissera des traces
dans les relations entre les EtatsUnis et Israël – dans le sens de leur
dégradation.
Commençons par les bords du
Potomac, ce mardi 20 janvier, jour
du discours sur l’état de l’Union
américaine. Devant le Congrès, le
président Barack Obama évoque
brièvement les négociations en
cours avec l’Iran. En échange d’une
levée des sanctions qui pèsent sur
ce pays, la communauté internationale veut des garanties sur le caractère civil du programme nucléaire de Téhéran. Les négociateurs doivent rendre public un accord-cadre d’ici à la fin mars et un
document définitif d’ici à la fin
juin.
Les républicains n’en veulent
pas. Ils préparent une nouvelle série de sanctions contre la République islamique. Votées avant l’été,
elles obligeraient les Iraniens à
quitter les pourparlers – et torpilleraient l’espoir d’un accord.
Obama le dit clairement aux élus :
« De nouvelles sanctions décidées
par le Congrès à ce moment précis,
ce serait la garantie d’un échec de
la diplomatie, (…) cela n’aurait
aucun sens. C’est pourquoi j’y mettrai mon veto. »
Coprésidant la séance, assis un
peu au-dessus de Barack Obama,
le patron de la Chambre, Boehner,
cravate à motifs mauves, teint hâlé
de golfeur acharné, esquisse un
petit sourire. Il va se venger le lendemain (Le Monde du 24 janvier).
Mercredi 21 janvier, il observe,
dans un communiqué : « En gros,
le président nous demande de ne
pas ouvrir le feu. Il attend de nous
que nous restions sans rien faire
pendant qu’il scelle un mauvais accord avec l’Iran. Il n’en est pas question ! » Il annonce alors qu’il invite
M. Nétanyahou à venir parler le
3 mars devant les deux chambres
du Congrès – aujourd’hui dominées par les républicains.
LE CHÔMAGE,
CET ÉCHEC
FRANÇAIS
© JohnLaunois/Gamma-Rapho.
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