40 à 50 % - Leader Assurances

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ENQUÊTE
40 à 50 %
Aviva
10 à 12 %
c’est le taux de la commission
précomptée aux courtiers
en santé comme en prévoyance
la première année
l’assureur ne pratique
le précompte en prévoyance
et en retraite que depuis
l’an dernier
c’est le taux moyen
de transformation
d’un prospect santé
qualifié sur internet
© iStockphoto.com
de page
8
La Tribune de l’assurance // avril 2014 // n°190 // une publication
Santiane
25 à 30 %
Le courtier web
indique produire
quotidiennnement
300 contrats santé
c’est les taux de chute des affaires santé
individuelles apportées par les grossistes
à une mutuelle de la place, contre 7 à 9%
sur son portefeuille propriétaire
DISTRIBUTION
© iStockphoto.com
Les jours
du précompte
sont-ils comptés ?
Largement pratiqué
en santé-prévoyance
individuelle, le précompte
n’en est pas moins vilipendé.
A l’origine de la disgrâce
de ce mode de rémunération
des intermédiaires,
la déferlante réglementaire
et les incessants mouvements
de portefeuilles organisés
par quelques distributeurs
indélicats. La généralisation
de la complémentaire
santé à tous les salariés
sera-t-elle l’occasion
de mettre un terme
au précompte ?
Par Stéphane Tufféry
L
e précompte, tout le petit
monde de la santé-prévoyance le pratique,
mais personne n’en
parle. « C’est un sujet tabou qui
suscite pas mal de contrevérités,
remarque Yoann Chery, président du groupe de courtage
Leader assurances. Le principal
raccourci qui est fait consiste à
dire qu’avec ce système, le courtier
perçoit 40 ou 50 % de la prime
annuelle. En réalité, le précompte
(ou majoration de la commission de première année) sert en
règle générale à financer le déve-
La Tribune de l’assurance // avril 2014 // n°190 // une publication
loppement de l’intermédiaire ou
la mise en place d’un réseau de
mandataires. En outre, le précompte implique que le linéaire
perçu les années suivantes soit
plus faible. Et au total, le coût de la
distribution pour l’assureur et la
rémunération de l’intermédiaire
sont équivalents, que l’on soit en
précompte ou en linéaire. »
Certes, les mécanismes de rémunération en précompte ou
en linéaire s’équilibrent dans
le temps : avec le précompte,
l’intermédiaire perçoit une commission de première année majorée (en santé individuelle, elle
représente 40 à 50 % du niveau
de prime) et des commissions
minorées les années suivantes
(5 ou 10 % chaque année, en
lieu et place d’un commissionnement linéaire de 15 % versé
tout au long de la vie du contrat).
Toutefois, les mouvements incessants de portefeuille opérés par
quelques distributeurs indélicats ces dernières années, pour
percevoir les commissions précomptées sur affaires nouvelles à
chaque changement, ont suscité
pas mal d’émoi chez les porteurs
de risque.
« Le précompte, c’est un sujet qui
concerne tous les acteurs de la
santé-prévoyance, les assureurs,
9
>>
ENQUÊTE
de page
>> les grossistes, les distributeurs
finaux…, estime Roger Mainguy, directeur général d’April
santé prévoyance. Une solution
tout à fait légitime dans certains
cas. Même si personne n’est dupe
quant à l’utilisation pernicieuse
qu’en font certains. Le précompte,
c’est un outil utile qui, lorsqu’il est
dévoyé, s’apparente à une grande
lessiveuse. »
COUPABLE DE TOUS LES MAUX
A la base, il s’agit d’un outil
de financement des intermédiaires par les assureurs. « C’est
le métier de la banque de financer
les acteurs économiques et leur
besoin de trésorerie ! », regrette
Roger Mainguy. D’autant que
le financement d’intermédiaires
indépendants par leur fournisseur pose de multiples questions
quant à d’éventuels conflits
d’intérêts ou aux obligations
d’information et de conseil des
courtiers.
« Le précompte, c’est
un outil utile qui,
lorsqu’il est dévoyé,
s’apparente à une
grande lessiveuse. »
« Le coût d’acquisition d’une affaire nouvelle constitue un investissement pour un assureur, que
sa distribution soit intermédiée ou
pas. Il y a en plus un paradoxe avec
le commissionnement précompté
aux courtiers : l’assureur fait le
choix d’externaliser sa distribution et doit, en parallèle, la préfinancer. Le tout pour, in fine, ne pas
être propriétaire du portefeuille.
Le risque de voir des portefeuilles
entiers partir sous d’autres cieux
est réel, et notre mutuelle en a fait
l’amère expérience », témoigne
Stéphane Varda, directrice générale de Mutuelle Mieux-être.
Détourné de son objectif initial
par quelques-uns, le précompte
se voit du coup rendu coupable
de tous les maux actuels de l’assurance santé. Et beaucoup le
désignent comme le facteur qui a
précipité la faillite retentissante
d’Assor l’an dernier. Un trou de
caisse chez un intermédiaire ?
C’est la faute du précompte. La
volatilité exacerbée des complémentaires santé souscrites sur
internet ? Le précompte en est
à l’origine…
FINANCER LA CONQUÊTE
Qu’en est-il réellement ? « Après
l’avoir plus ou moins délaissé pour
leurs réseaux debout, les assureurs ont eu à nouveau recours
au précompte ces dernières années pour se constituer des portefeuilles santé, rappelle Henri
Debruyne, président du Medi,
cabinet de conseil spécialisé
dans la distribution des produits financiers. Mais c’est un
outil qui ne fonctionne bien qu’en
conquête ; dès que l’atterrissage
commercial est annoncé, les difficultés commencent. » Et la phase
d’atterrissage du précompte,
au moins pour la santé individuelle, semble bel et bien enclenchée avec l’ANI, d’une part, et
la récente obligation faite aux
entreprises d’assurance santé
d’afficher leurs coûts de gestion
(parmi lesquels le coût de la distribution), d’autre part.
La commission métier du Syndicat 10 (syndicat de courtiers)
doit s’emparer du sujet : « Tout
est sur la table. Faut-il bannir les
pratiques de précompte, réserver l’escompte à certains marchés
d’assurance et mieux l’encadrer
sans toucher aux engagements
contractuels ? », demande Laurent Ouazana, directeur général
du grossiste Ciprés vie et secrétaire général du Syndicat 10.
Pour les distributeurs finaux,
tout est fonction du business
model mis en place. Chez les
FACE À FACE
Etes-vous favorable au
PIERRE-ALAIN DE MALLERAY,
directeur général de Santiane
DR
« Nous commissionnons
à la fois sous forme
de précompte et en linéaire »
« Dans son rôle d’apporteur courtier direct comme dans
celui de fournisseur courtier grossiste, Santiane pratique à
la fois des commissionnements sous forme de précompte
et sous forme de linéaire. Au total, plus du tiers de notre
production est commissionné en linéaire. Le précompte
répond à une réalité du marché : c’est la première année
du contrat que les coûts d’acquisition, par essence non
récurrents, sont supportés. Il est donc logique de mieux
rémunérer l’intermédiaire l’année de la souscription de
la police et un peu moins les exercices suivants. C’est
mécanique, cela repose sur une réalité économique simple,
si bien que les actuaires trouvent cela parfaitement légitime
et le marché le fait depuis des décennies ! Cette mécanique
10
de rémunération n’a de sens que si le portefeuille est stable
dans le temps ; les affaires doivent tenir suffisamment
longtemps pour rattraper progressivement le déséquilibre
né de la surcommission de l’année 1. Depuis l’ANI, l’équilibre
s’est rompu, et pour les cohortes d’assurés individuels
qui passeront en collective à l'horizon 2016, Santiane ne
précompte plus ses apporteurs. A l’instar de la majorité du
marché qui, à l’occasion des renégociations annuelles des
protocoles courtage, a préféré le linéaire au précompte.
Toutefois, et contrairement à la plupart des acteurs, nous
pratiquons encore le précompte sur une part significative
des salariés qui ne seront pas touchés par l’ANI, de façon à
rémunérer au mieux nos apporteurs. »
La Tribune de l’assurance // avril 2014 // n°190 // une publication
courtiers full web, comme Santiane, les frais d’acquisition sont
élevés en raison à la fois du référencement, via l’achat de mots
clés sur Google, mais surtout de
l’achat de fiches prospects, ou
leads. Sachant que le prix d’un
lead est compris entre 10 et 20 €
et que le taux de transformation
peine à dépasser les 10 %, on
arrive tout de suite à un coût
d’acquisition de 100 €. Auquel
il faut encore ajouter celui de la
transformation, soit, pour un
courtier en ligne, le salaire de ses
collaborateurs en plate-forme
et les charges informatiques ou
d’infrastructures destinées à les
accueillir…
OUI, MAIS AVEC PARCIMONIE
Ces coûts exorbitants pour réaliser une affaire nouvelle peuvent
justifier le recours à un commissionnement précompté. « Swiss
Life accompagne ses distributeurs
dans leur développement en fonc-
tion d’un équilibre entre développement de l’activité et rentabilité.
Pour cela, nous faisons évoluer
nos modes de rémunération des
intermédiaires. Et dans l’arsenal
à notre disposition, le précompte
est parfois totalement légitime »,
explique ainsi Pierre François, directeur de Swiss Life prévoyance
et santé. Dès 2012, l’assureur
a toutefois levé le pied sur le
précompte et durci les règles
relatives aux reprises de commissions précomptées : « Swiss
Life figure sans doute parmi les
assureurs les plus exigeants en
la matière, avec des reprises qui
peuvent s’étaler sur trois ans. Le
précompte n’a de sens que dans
le temps et dès lors que nos lois
de chute sont respectées. Cet
objectif de recherche des grands
équilibres techniques exigeait de
resserrer les vannes du précompte
dès 2012. Même si cela nous a été
préjudiciable d’un point de vue
commercial. »
« Arrêtons de vouloir
légiférer sur tout !
Dès lors qu’il
n’y a pas d’incidence
pour l’assuré final,
je ne vois pas
en quoi le financement
de l’intermédiaire
par l’assureur serait
problématique. »
Même son de cloche, chez SPvie,
le grossiste qui monte : « Il est
clair que notre réseau d’apporteurs, constitué de 150 courtiers indépendants, serait au
moins deux fois plus important
si nous faisions du précompte »,
remarque Jérémy Sebag, associé gérant.
Au bord du gouffre, Mutuelle
Mieux-être a mis un terme, fin
2012, à sa stratégie de développement en santé individuelle
avec les courtiers grossistes :
« Pendant plusieurs années, Mu-
ble au précompte ?
LAURENT OUAZANA,
directeur général de Ciprés vie
DR
« Notre réseau d’apporteurs est
uniquement, et depuis toujours,
commissionné en linéaire »
« Depuis sa création voilà près de 15 ans, Ciprés vie
a toujours travaillé son segment de marché de la
protection sociale des TNS/TPE dans une logique
propre aux assurances collectives. Cela vaut également
pour la rémunération de notre réseau d’apporteurs qui,
comme c’est la règle en collectives, est commissionné
en linéaire. Ceci étant dit, la reconfiguration du marché
attendue avec l’ANI nous interroge. Face à l’assèchement
programmé de leur marché, il est probable que des
courtiers spécialisés en individuelle, donc habitués du
précompte, se repositionnent sur notre cœur de cible des
TNS, et cherchent à le faire en dupliquant leur mode de
commissionnement précompté. En outre, les assureurs
dépourvus d’un réseau de proximité capable de faire
des affaires collectives auprès des TPE vont chercher
à intéresser les courtiers de proximité. Il est, là encore,
possible qu’ils cherchent à le faire en ayant recours au
précompte. Enfin, même notre réseau va devoir s’adapter
à la nouvelle donne réglementaire et prospecter les petits
collèges en collectives avec des garanties a minima
(panier de soins ANI), donc avec une rentabilité incertaine
si la démarche est monoproduit… Et pour réaliser ces
développements, il y aura des besoins de financement.
Pour les y aider, Ciprés vie ne fera pas de précompte,
trop dangereux, mais sera attentif avec ses partenaires
assureurs aux besoins d'escompte du réseau. »
La Tribune de l’assurance // avril 2014 // n°190 // une publication
Lexique
>>
 Précompte : le niveau de
commissionnement est majoré
(entre deux et trois fois la
commission linéaire) l’année
de réalisation de l’affaire. Avec
ce système, les commissions
perçues pour les années de
reconduction du contrat sont
moindres qu’en linéaire.
 Précompte différé : les
commissions précomptées sont
versées à la signature du contrat
et indépendamment de la date de
prise d’effet des garanties.
 Commissionnement linéaire :
le taux d’intéressement du
distributeur est identique chaque
année ; les commissions linéaires
sont payées mensuellement par
l’assureur.
 Escompte : sans différencier
l’année de réalisation de l’affaire
de celles de reconduction du
contrat, l’escompte consiste
à verser l’intégralité de la
commission linéaire de l’exercice
au 1er janvier.
 Reprise de commission : si le
contrat vient à chuter dans les
premiers mois, voire les deux
ou trois premières années de
vie du contrat, les protocoles
courtage stipulent des règles de
remboursement de la commission
précomptée ou escomptée.
 Frais précomptés aux clients :
pratique très mal perçue,
exclusivement utilisée en épargne
et, semble-t-il, en passe de
disparaître. Elle consiste à faire
porter à l’assuré l’intégralité
des frais dès la souscription du
contrat. Ainsi le commercial peutil être correctement intéressé dès
l’affaire faite.
 Incentive, challenge, budget
commercial, surcommission :
autant de termes, aux définitions
plus ou moins floues, pour
justifier un complément de
rémunération pour l’intermédiaire,
sur la base des volumes réalisés
sur tel ou tel produit. Pas
nécessairement en phase avec
l’intérêt de l’assuré final.
11
ENQUÊTE
de page
© Arnaud Tchia
massif au commissionnement
précompté et le chiffre d’affaires
s’est envolé, raconte Stéphane
Varda. A ma prise de fonction, je
n’ai pu que constater la fragilité et
le déplacement de certains portefeuilles, avant même de permettre
un retour sur investissement. Je
ne m’interdis pas de recourir à
cette pratique à l’avenir, mais ce
qui est sûr en revanche, c’est que
l’assureur doit piloter très précisément le volume d’activité obtenu
de cette façon, compte tenu des
importantes sorties de trésorerie
que nécessite le précompte. »
Les courtiers ayant gouté aux
joies des rémunérations précomptées ont, semble-t-il, du
mal à s’en défaire. « Il est évident
que les courtiers ont fait monter les
enchères ces dernières années. Et
sur un marché de la santé individuelle hyperconcurrentiel, où tout
le monde veut prendre des parts
de marché, les intermédiaires sont
« Contrairement
à la santé
individuelle,
la prévoyance
et la retraite par
capitalisation sont
très peu volatils.
Sur ces branches,
le précompte n’est
pas une ineptie. »
JULIEN VIVIER
Sofraco
12
www.franckdunouau.com
>> tuelle Mieux-être a fait un recours
allés, parfois, au plus offrant »,
confirme Henri Debruyne. Pour
autant, les assureurs sont-ils à
la merci des intermédiaires ?
Les dindons de la farce ? « Les
assureurs disposent de plusieurs
moyens pour se prémunir contre
les dérives du précompte sans pour
autant arrêter les avances de commission. Ils peuvent notamment
limiter le nombre de contrats éligibles à ce mode de rémunération », suggère Yoann Chery.
RÉSILIATION EN PAGAILLE
C’est depuis plusieurs années,
le credo retenu par Aviva France
pour son réseau de courtiers
actifs en santé (Amis). Plutôt
que de renoncer au précompte,
l’assureur préfère limiter le volume éligible chaque année pour
chacun de ses intermédiaires.
Claude Zaouati, à la tête des
activités dommages et santé de
l’assureur d’origine britannique,
détaille : « Aviva France pratique
le précompte avec ses courtiers.
Même si la redistribution des
cartes par l’ANI nous a obligés
à réduire la voilure sur la partie
des assurés qui vont se retrouver
en collectives, nous continuons
à avancer les commissions pour
les seniors et les indépendants.
Comme ces cibles représentent
70 % du business de nos courtiers
santé-prévoyance, le bouleversement n’est pas majeur. »
Bien plus que les trous de caisse,
gérés ici ou là en toute discrétion
et auxquels les assureurs sont en
réalité exposés régulièrement,
c’est la révolution suscitée par
« Le risque de voir
des portefeuilles
entiers partir
sous d’autres
cieux est réel,
et notre mutuelle
en a fait l’amère
expérience. »
STÉPHANE VARDA
Mutuelle Mieux-être
l’accord national interprofessionnel de janvier 2013 qui explique le revirement soudain
des porteurs de risque quant au
commissionnement précompté.
Comme une bonne part du marché de la santé individuelle va
s’assécher d’ici deux ans, les assureurs n’ont d’autre choix que
de rompre avec le précompte ;
lequel a besoin d’au moins trois
ans pour s’équilibrer. D’où l’envoi
fin 2013 par quasiment toute
l’industrie de lettres de résiliation des protocoles de précompte
négociés avec les intermédiaires.
Au-delà de ce changement réglementaire et de la nécessaire
adaptation de la rémunération
des intermédiaires, la pratique
généralisée du précompte interroge également sur le fond.
Car si, à l’instar d’Aviva France,
tous les assureurs de la santéprévoyance (Generali, MetLife, Swiss Life, Mutuelle UMC,
etc.) pratiquent le précompte,
le mécanisme est régulièrement
dénoncé pour les risques inhérents qu’il comporte. « C’est la vie
des affaires, lâche Yoann Chery.
Arrêtons de vouloir légiférer sur
tout et n’importe quoi ! Dès lors
qu’il n’y a pas d’incidence pour
l’assuré final, je ne vois pas en quoi
le financement de l’intermédiaire
par l’assureur serait problématique. En l’occurrence, si l’assuré
acquitte une prime de 1 000 €
tous les ans, précompte ou linéaire
n’ont aucune incidence sur ses
garanties ou son tarif. »
Toutefois, et même si l’argument
semble imparable, beaucoup
considèrent le précompte comme
un pousse-au-crime. « Dès lors
que les flux deviennent négatifs, les
assureurs réclament le remboursement des commissions anticipées
(le trop-perçu). Si les courtiers
se sont servis du précompte pour
financer leur propre réseau de
mandataires ou leurs investissements, la situation peut vite
devenir critique, pointe Henri
Debruyne. De plus, les assureurs
devront bien se rattraper sur les
clients si des difficultés de trésorerie apparaissent chez leurs apporteurs. Il y a, selon moi, un effet
inflationniste du précompte sur
les niveaux de primes. »
L’OMBRE DU CONFLIT D’INTÉRÊTS
Au moment où l’Europe met la
dernière touche à la deuxième
mouture de la directive intermédiation et porte l’accent depuis
plus de cinq ans sur les risques
de conflits d’intérêts chez les
intermédiaires financiers, le précompte fait tache dans le paysage. « Sachant qu’il sera mieux
rémunéré chez tel ou tel assureur,
le risque est grand que l’intermédiaire ne place pas le risque en
fonction des besoins de son client,
mais plutôt en fonction de ses objectifs financiers », assène Henri
Debruyne.
Pour autant et comme les autres
assureurs, Generali France précompte les commissions. Sauf
sur "PGM" (plan gérant majoritaire), son contrat phare pour
les chefs d’entreprise. Bien qu’en
proie à la vive concurrence des
grossistes et désormais de la
quasi-totalité des assureurs sur
ce segment haut de gamme de
la protection sociale complémentaire des indépendants,
Generali a fait le choix d’un
commissionnement linéaire de
8 %. Et malgré ce choix assez
peu conciliable avec un fort développement commercial, les
résultats sont au rendez-vous :
Generali parvient même à tailler
des croupières à la concurrence
et s’arroge une belle part de marché avec près d’un quart du segment en portefeuille. « Comme
La Tribune de l’assurance // avril 2014 // n°190 // une publication
quoi, il est possible de développer
un portefeuille sans précompte des
commissions », analyse Jérémy
Sebag. A noter toutefois que
PGM, contrat de prévoyance
santé des gérants majoritaires,
est souscrit en complément du
contrat "Generali La Retraite",
lequel voit sa distribution facilitée par le biais de commissions
précomptées…
UNE PORTE OUVERTE EN RETRAITE
« Contrairement à la santé individuelle, les marchés de la prévoyance et plus encore de la retraite par capitalisation sont très
peu volatils. Sur ces branches, le
précompte n’est pas une ineptie,
relève Julien Vivier, membre
fondateur du groupe Sofraco,
expert de la protection sociale.
Grâce à son savoir-faire et au volume d’affaires généré par son
réseau de plus de 200 courtiers,
notre groupe bénéficie d’une forte
rémunération de la part des assureurs. Alors, on parle là de budget
commercial et pas de commission
précomptée, mais, au total, nous
percevons une rémunération très
nettement supérieure à celle d’un
intermédiaire se présentant seul
au guichet de la même compagnie. » Derrière une terminologie
volontairement absconse, les
mêmes pratiques d’intéressement, assises sur le volume et les
affaires nouvelles, sont à l’œuvre.
« C’est le volume d’affaires apporté
par notre groupement et le fait que
le marché reconnaisse son savoir-
faire sur la protection sociale complémentaire des indépendants, qui
génèrent, in fine, un intéressement
supérieur de Sofraco. Mais si les
termes utilisés sont les mêmes,
les pratiques divergent radicalement de celles qui ont cours en
santé individuelle. Sur ce dernier
segment, tous les assureurs ont,
à un moment où à un autre, accepté de verser des rémunérations
précomptées très élevées à tous
les courtiers qui en faisaient la
demande. Inévitablement, des
difficultés sont apparues. »
Le constat est évident, de plus en
plus, les assureurs lèvent le pied
sur le précompte. « La position
de SPvie est claire vis-à-vis des
apporteurs : notre commissionnement est linéaire, martèle Cédric Pironneau, associé gérant.
Nous escomptons la commission,
c’est-à-dire que le paiement de la
totalité du commissionnement
de l’année est effectué à la signature de l’affaire, et elle est récurrente d’une année sur l’autre. Les
dangers du précompte sont trop
élevés. »
Quels risques ? Ceux liés à la
montée en puissance de la transparence des rémunérations et de
la lutte contre les conflits d’intérêts dans l’arsenal réglementaire,
celui relatif à la trésorerie de
l’intermédiaire et des éventuels
trous de caisse qui pourraient
l’accompagner, celui de la remise
en cause de l’indépendance de
l’intermédiaire, et même celui
de ne pas pouvoir valoriser son
portefeuille en cas de cession…
« La seule exception concerne la
retraite : notre produit en cours
de développement passera par le
biais du précompte, avoue Jérémy
Sebag. La volatilité des affaires
retraite est beaucoup moins forte
qu’en santé-prévoyance. Le souscripteur d’un contrat retraite en
capitalisation n’est par essence
pas un zappeur. Par rapport à
un assuré santé, la probabilité
qu’il aille voir si l’herbe est plus
verte ailleurs au bout d’un an est
infinitésimale. »
Si l’hyper-concurrence de la
santé individuelle ces dernières
La Tribune de l’assurance // avril 2014 // n°190 // une publication
3 QUESTIONS À
ISABELLE MONIN LAFIN,
avocate, cabinet Astrée
« Compte tenu
des risques,
le régulateur
va sans doute
se saisir du sujet »
Quelle est votre vision
de la rémunération précomptée ?
Quand on parle de rémunération
précomptée, on évoque une
rémunération versée à un
intermédiaire. Ce mode de rémunération n’a cours véritablement qu’en
santé-prévoyance individuelle. De fait, il concerne essentiellement le
courtage et les réseaux salariés. Du côté des porteurs de risque, beaucoup
y ont recours, des réassureurs aux compagnies en passant par les
mutuelles 45 ou les courtiers grossistes…
DR
« Les assureurs
devront bien
se rattraper
sur les clients
si des difficultés
de trésorerie
apparaissent chez
leurs apporteurs.
Il y a un effet
inflationniste
du précompte sur
les niveaux
de primes. »
Le précompte est-il réglementé ?
Pour l’heure, et à ma connaissance, l’ACPR n’a pas émis d’avis sur le sujet.
De fait, l’absence de réglementation renvoie les intéressés (courtiers et
assureurs) aux protocoles qu’ils signent pour encadrer leurs relations.
Des risques sont pris par l’assureur avec ce type de rémunération, mais
les intermédiaires s’exposent aussi largement en y recourant. Ainsi,
les modalités de restitution des commissions précomptées en cas
de résiliation de l’affaire la première année du contrat exigent parfois
le remboursement de la totalité de la commission précomptée. Il y a
pourtant eu un travail de l’intermédiaire et même parfois des sinistres
gérés… Compte tenu des risques de dépendance de l’intermédiaire et de
conflit d’intérêts que crée le précompte, nul besoin d’être grand clerc pour
comprendre que le régulateur va sans doute se saisir du sujet un jour.
La généralisation de la santé collective changera-t-elle la donne
en matière de rémunération des distributeurs ?
Il est impossible de répondre à cette question. Il n’y a aucune
incompatibilité entre ce mode de rémunération et la nature du produit
vendu. Les réseaux qui pratiquent les commissions précomptées pourront
donc continuer à le faire sur les nouveaux produits collectifs qu’ils mettront
à disposition de leurs distributeurs.
Propos recueillis par S.T.
années a permis le recours massif au précompte, l’assèchement
du marché acté par l’ANI siffle
la fin de partie. Qu’en sera-t-il
en collectives ? « La réglementation en général et la loi Sapin en
particulier nous obligent à former les réseaux, indique Olivier
Farouz, directeur général d’Arca
patrimoine. Et la formation, c’est
une charge qu’il faut financer.
Pour Arca patrimoine, qui a
mis un terme définitif aux frais
précomptés en épargne depuis
2007, l’avance de commissions
de la part des assureurs fait partie des outils de financement à
notre disposition. » En dépit des
grandes manœuvres actuelles
orchestrées par les assureurs, le
précompte pourrait encore vivre
de belles années. 
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