Transcript Le renvoie
INTRODUCTION Les règles de droit international privé sont appelées à résoudre les problèmes juridiques qui résultent de l’existence d’un l’élément d’extranéité dans les rapports internationaux entre personnes privées. Mieux qu’une définition, un exemple emprunté à la jurisprudence française1 donnera l’idée des problèmes que doit résoudre le droit international privé. Un bolivien épouse à Madrid une espagnole. Celle-ci devient bolivienne par mariage ; le couple vit tantôt aux Etats-Unis tantôt en France. Après plusieurs années de mariage ; le mari demande et obtient le divorce au Mexique. Enfin la femme demande la séparation de corps en France. Comme dans le cas d’espèce, l’activité des personnes privées dépasse les frontières d’un Etat, elle peut être la source d’un contentieux. Les parties devront s’interroger en premier lieu, sur la juridiction compétente, ensuite, va se poser le problème de la loi qui régira leur contentieux, et celui de l’effet des jugements qui pourront être rendus, nonobstant l’absence de contestation de la part du défendeur. Toutes ces question ont pour origine la saisine d’un tribunal par l’une ou les parties, saisine qui passe par l’introduction d’une action en justice. En fait, l'action en justice peut être définie comme le droit pour le demandeur d'être entendu sur le fond de sa demande, et pour le défendeur, le droit de discuter le bien fondé de cette prétention. (art 30 NCPC français). Elle présente un lien étroit avec le droit subjectif et sa recevabilité est subordonnée à la présence d’un intérêt (pas d'intérêt pas d'action dit l'adage), de la capacité et de la qualité à agir. C’est une liberté fondamentale pour chaque individu. Elle a pour effet de créer un lien d'instance entre les deux parties au litige. Si en droit judiciaire privé interne pour exercer une action en justice, la principale difficulté à résoudre est celle de la compétence2 de la juridiction à 1 Il s’agit de l’affaire Patino, qui a donné lieu à de très nombreuses décisions à l’étranger et en France : en particulier, Civ. 15 Mai 1963, deux arrêts, J.D.I. 1963.1016, note Malaurie, J.C.P.1963.II.13365, note Motulsky, Rev. Crit. 1964.532, note P. Lagarde ; Grands arrêts – n° 38-39. 2 Compétence d’attribution ou ratione materiae et compétence territoriale ou retine loci. 1 saisir, en droit international privé l’exercice d’une action en justice se complique d’avantage en raison de l’existence d’un élément d’extranéité. L’enjeu, de toute évidence, n’est pas le même ;car, dire qu’un tribunal est compétent pour connaître d’un litige est autre chose que déterminer la loi qui sera appliquée à ce litige. C’est ce qui fait toute la particularité de l’action en justice dans les rapports internationaux de droit privé. La particularité du contentieux international conduit schématiquement, à aborder deux questions différentes et tout aussi importantes : La première résulte du constat qu’il n’existe pas de juridiction internationale qui ait été instituée pour statuer spécialement sur les litiges de droit privé transfrontaliers. Il appartient, par conséquent, aux tribunaux des Etats de connaître des litiges internationaux de droit privé. Il se pose à ce niveau, le problème de la juridiction étatique qui pourra être saisie pour connaître desdits litiges. On s’interrogera d’abord sur la compétence territoriale des juridictions camerounaises3; ensuite sur les règles de compétence fondées sur la nationalité et enfin, sur les règles de compétence liées à la volonté des parties. En supposant qu’une juridiction camerounaise soit compétente, la deuxième question soulevée est relative à la loi applicable. En d’autres termes, il se pose le problème de la loi applicable à la procédure suivant laquelle cette juridiction va juger le litige international. La réponse ne paraît évidente : s’il est vrai que la juridiction camerounaise procède par une application des règles camerounaises d’introduction de la demande en justice, le raisonnement doit être nuancé lorsque la loi personnelle du demandeur ou du défendeur peut enter en jeu même si un service public ne peut fonctionner que selon la loi qui l’a institué. Il existe aussi quelque problèmes qui peuvent relever de l’instance proprement dite car il arrive souvent qu’on soit embarrassé sur le fait de savoir ce qui relève du fond et ce qui relève de la procédure au sens strict comme en matière de preuve. La dernière difficulté apparaît si les parties à une relation privée internationale ont obtenu un jugement d’une juridiction étrangère, quelle sera au Cameroun l’effet de cette décision? 3 autrement dit, on se demandera si une juridiction camerounaise est compétente et peut être saisie d’un procès donné 2 Aussi la démarche est délicate car il s’agit d’aune question de haute technicité. Ce qui nous amène, avant de parler de la détermination de la loi applicable à la procédure contentieuse dans les rapports internationaux de droit privé, ( deuxième partie), de déterminer d’abord la juridiction à saisir (première partie) 3 I – DETERMINATION DE LA JURIDICTION A SAISIR Lorsque les droits subjectifs ne sont pas exécutés à l’amiable, il y a lieu de saisir les juridictions pour leur exécution. Cette sanction judiciaire est mise en œuvre par la voie de l’action en justice. Or lorsqu’un litige comporte un élément d’extranéité, on peut hésiter sur la loi compétente, mais aussi sur le tribunal à saisir. Au cours d’un litige, la solution du conflit de juridictions est toujours et nécessairement préalable à celle du conflit de lois. Ainsi, on peut déterminer la juridiction à saisir en prenant appui sur le territoire (B), la nationalité (A) et la volonté des parties (C). A – La compétence fondée sur les articles 14 et 15 du code civil D’après l’article 14 du code civil, « l’étranger, même non résident au Cameroun pourra être cité devant les tribunaux camerounais pour l’exécution des obligations par lui contractées au Cameroun avec un camerounais pour les obligations par lui contractées en pays étranger envers des camerounais ». quant à l’article 15 du code civil, il pose une règle complémentaire : « un camerounais pourra être traduit devant un tribunal du Cameroun pour des obligations par lui contractées en pays étranger, même avec un étranger ». L’interprétation de ces règles pose un certain nombre de difficultés : en premier lieu, le domaine d’application de ces règles (1), en second lieu, leur caractère impératif ou non (2) et en troisième lieu la détermination du tribunal national compétent (3). 1. Domaine d’application La jurisprudence a interprété de façon extensible les deux règles aussi bien en ce qui concerne les actions (a) qu’en ce qui concerne les personnes (b). a) Les actions Les articles 14 et 15 ont une portée générale s’étendant à toutes les matières. La première chambre civile de la Cour de cassation l’a rappelé dans 4 l’arrêt du 27 Mai 1970, Weiss C. Soc. Atlantic Electric et autres4 en ces termes : « Vu l’article 14 du code civil. Attendu que ce texte, qui permet au plaideur français d’attraire une personne devant les juridictions françaises, a une portée générale s’étendant à toutes matières, à l’exclusion des actions réelles immobilières et demandes en partage, portant sur des immeubles situés à l’étranger, ainsi que des demandes relatives à des voies d’exécution … ».Dans les mêmes limites, l’article 15 permet à tout demandeur étranger de citer en France (Cameroun) tout défendeur français (camerounais). De nombreuses applications de ces articles ont été faites. En matière de divorce5, de responsabilité délictuelle6, de contribution aux charges du ménage7 , de contrat de travail8 … Dans cette dernière matière, Paul Lagarde souligne que : « si le travail est exécuté dans un établissement situé à l’étranger ou si, le travail étant exécuté hors de tout établissement, le contrat a été conclu à l’étranger, la compétence des tribunaux français ne peut se fonder que sur la nationalité française du salarié, c’est-à-dire sur les articles 14 et 15 du code civil auxquels il est possible de renoncer »9 b) Les personnes Les articles 14 et 15 s’appliquent en considération de la seule qualité de camerounais du demandeur ou du défendeur, c’est-à-dire sans qu’il soit besoin d’autre rattachement avec le Cameroun ; en particulier le domicile ou la résidence de l’intéressé10. Ils peuvent être invoqués d’après la jurisprudence, par les personnes morales comme par les personnes physiques11. Mais, les réfugiés peuvent invoquer ce privilège de juridiction. Dans un arrêt du 12 Décembre 1967, rendu par la 22e chambre civile de la Cour d’Appel de Paris, confirmant une position déjà adoptée par elle, dans une décision du 27 juin 1957, les juges ont admis que : « l’article 26 de la convention de Genève du 28 Juillet 1951 sur les réfugiés prévoyant l’assimilation aux nationaux en ce qui concerne « l’accès 4 Civ. 1ère , 27 Mai 1970 ; RC. D.I.P. 1971, note Batiffol Civ. 1ère , 23 Avril 1959. D. 1959, note G. Holleaux . Cour d’Appel de Bafoussam arret n°21/civ du 20 qvril 1972 affaire Kingue Baznga François et autres c. Dame Russo inédit. 6 Civ. 1ère , 5 Décembre 1972, RCDIP 1973, 356. 7 Civ. 1ère , 11 Mai 1976, RCDIP 1977, 352, note D. Mayer 8 Soc. 23 Mai 1973 Affaire Cie Royal Air Maroc C. Bacquias RCDIP 1974, 354, note Lagarde. 9 Note sous, Soc, 23 Mai 1973 précité. 10 Paris 29 Juin 1972 – RCDIP 1973-550, note Marthe Simon Depitre 11 V. pour la société. Paris 21 Mai 1957 ; RCDIP 1958, 128 note Franceskakis. 5 5 aux tribunaux », il échet de dire que cette expression doit être interprétée de façon large, comprenant l’application des règles de compétence réservées aux Français »12 L’hypothèse d’un changement de nationalité soulève la question de savoir, à quel moment se placer pour tenir compte de la nationalité camerounaise. A cette question, la jurisprudence répond que la qualité de camerounais de l’une des parties au litige doit s’apprécier au jour de l’introduction de l’instance.13 2. Le caractère non impératif des règles posées par les articles 14 et 15 du code civil Il convient de relever à ce niveau que le juge ne peut les appliquer d’office (a) et leurs bénéficiaires ont toujours la faculté d’y renoncer. (b). a) L’inapplicabilité d’office Dans un important arrêt14, la Cour de Cassation a eu à préciser cet aspect du problème : « Vu l’article 14 du code civil ; - Attendu que ce texte, qui autorise les Français à citer devant les tribunaux français les étranger pour l’exécution des obligations que ces derniers ont contractées envers eux n’est pas d’ordre public ; qu’au cas ou ceux qui bénéficient du privilège de juridiction qu’il institue ne l’auraient pas invoqué, il n’appartient pas aux juges de le faire jouer d’office ». De la note que fait Yvon Loussouarn de cet arrêt, il ressort que : « l’arrêt rapporté est d’une importance certaine, car il tranche un problème sur lequel la Cour de Cassation n’avait pas été jusqu’à ce jour appelée à se prononcer : celui de savoir si nos tribunaux peuvent fonder d’office leur compétence sur l’article 14 du code civil alors même que le demandeur ne l’a pas invoqué. Ce faisant la Cour Suprême pose, sinon l’ultime, du moins l’une des dernières pierres de l’édifice élaboré sur la base des articles 14 et 15 du code civil ». 12 Paris, 12 Décembre 1967, RCDIP 1969, 502 note Yvon Loussouarn. Civ, 9 Mars 1863, DP. 63, 1, 176 14 Cour de Cassation, Ch. Civ, 1ère sect, 21 Mai 1963, Cie Marocaine de Boissons C. Société vinicole du Languedoc. 13 6 Sur le terrain de la compétence indirecte, cette inapplicabilité d’office doit normalement conduire le juge camerounais de l’exequatur, à ne pas refuser ce dernier aux décisions étrangères, rendues au mépris de l’article 15, dès lors que le défendeur camerounais a omis de soulever devant lui, l’incompétence du tribunal étranger. b) La faculté de renoncer au bénéfice des articles 14 et 15 Les deux formes de renonciation sont d’une part la renonciation par convention et d’autre part la renonciation par action en justice à l’étranger. La première résulte généralement de l’insertion dans le contrat d’une clause attributive de juridiction à un tribunal étranger15 ou d’une clause compromissoire attribuant compétence à un arbitre.16 La renonciation peut aussi résulter de l’exercice d’une action en justice, devant un tribunal étranger17. En ce qui concerne l’article 14, le fait pour le demandeur camerounais doit prendre acte de cette renonciation et constater que celle-ci est régulière en la forme. Quant à l’article 15, le fait pour le défendeur camerounais d’opposer l’incompétence du juge étranger est généralement considéré comme manifestant sa volonté de ne pas renoncer au bénéfice de ce texte. Mais doit-on déduire à contrario que le fait de n’avoir pas opposé l’incompétence emporte renonciation ? La jurisprudence ici est moins catégorique que dans le cas de l’article 14 18. A ce moment là, pour la jurisprudence, il n’y a renonciation au bénéfice de l’article 15 que si les deux parties ont accepté. Dans une affaire du 7 Décembre 1971, la Cour de Cassation a précisé que « le seul fait de la nationalité française de la compagnie d’assurance justifie la compétence des tribunaux français à l’égard de l’assureur et de l’assuré, même si l’accident est survenu en Algérie où sont domiciliés l’assuré et le demandeur victime de l’accident »19. 15 Civ. 1ère , 25 Nov 1986. Rev trim. Drt.civ 1987, 548, obs. Mestre. Com.21 Juin 1967 ; RCDIP 1966, 477, note Mezger 17 Paris, 20 Janvier 1965 : Gaz-Pal 1965, 2, 141, TGI de Seine, 28 Février 1961, RCDIP 1961, 572, note Loussouarn 18 Civ. 1ère , 25 Mai 1987 ; Bull. I, 167, p. 127 19 Civ. 1ère , 7 Décembre 1971 : Clunet 1972, 84v, note Bigot. Paris 18 Octobre 1972 :Clunet 1973, 371, note Beby-Gérard ; Civ. 1ère , 25 Octobre 1966 : RCDIP 1967, 557, note Franceskakis. V. aussi civ. 1ère, 4 octobre 1967 : JCP 68, II. 15 634, note Sialelli. 16 7 3. La détermination du tribunal camerounais territorialement compétent Les articles 14 et 15 du code civil se bornent à attribuer compétence, à l’ordre juridictionnel camerounais. Il ne précise pas quel est le tribunal camerounais compétent. Or il faut en découvrir un, puisque la compétence appartient à la justice camerounaise de l’un des plaideurs. Dès lors qu’il existe une compétence générale du juge camerounais, la compétence d’une juridiction particulière est déterminée par le code de procédure civile et commerciale sur la base des règles internes de compétence territoriale et matérielle .Seulement, il existe des cas où la compétence territoriale repose sur le domicile du défendeur. Or dans les litiges à caractère international, le défendeur peut n’avoir ni domicile, ni résidence au Cameroun. Dans ce cas, le tribunal compétent est celui du domicile ou de la résidence du demandeur au Cameroun. Si aucune des parties n’a de résidence au Cameroun, le demandeur choisi le tribunal qui présente pour lui la plus grande commodité. Il peut par exemple choisir le tribunal dans le ressort duquel une exécution forcée est réalisable. Hormis les limites aux articles 14 et 15 relatives aux immunités de juridictions et d’exécution, ils ont fait l’objet en France de quelques critiques. Georges Droz disait : « En effet, l’argument que les articles 14 et 15 permettent d’assurer l’application de la loi française aux français ne se justifie plus puisque le contrôle de l’application de la règle de conflit par le juge français requis suffit déjà à sanctionner l’irrégularité de tout jugement étranger qui n’aurait pas appliqué celle-ci. Cette dernière remarque révèle combien nous restons attachés en droit commun au procédé du contrôle de la règle de conflit, mais ceci est une autre histoire … »20. Toutefois, on ne saurait perdre de vue la compétence territoriale. B- LA COMPETENCE FONDEE SUR LE TERRITOIRE Les règles de la compétence territoriale suffisent quelquefois à déterminer la compétence internationale d’une juridiction donnée. Elles impliquent l’aptitude d’une juridiction à connaître du litige du fait de sa localisation dans le 20 Droz (G), réflexions pour une réforme des articles 14 et 15 du code civil français. RCDIP 1975.1. 8 territoire de compétence de ladite juridiction. Dans les pays où ces règles existent, il suffit que l’élément de rattachement auquel se réfère la règle de compétence soit situé dans le territoire dudit pays, pour fonder la compétence de ses juridictions. Dès le XXè siècle en France, la question du sort des litiges civils entre étrangers se posait avec une acuité : fallait-il déclarer compétentes les juridictions françaises ? les lectures combinées des articles 14 et 15 du Code Civil ne permettaient une telle extension de compétence, et le principe en la matière était celui de l’incompétence des juridictions françaises. Il revint donc à la jurisprudence d’opérer une extension de compétence des juridictions françaises lorsque les deux parties au litige étaient étrangères21. Le point de départ d’une telle extension fut la décision rendue par la Cour de Cassation dans l’une des affaires Patino, où fut admise « la recevabilité des demandes formées par des étrangers contre des étrangers »22, avec la formule consacrée dans l’arrêt Pelassa23 « l’extension à l’ordre international des règles françaises internes de compétence ». Un principe plus édifiant a depuis été énoncé par un arrêt Scheffel24 : « L’extranéité des parties n’est pas une cause d’incompétence des juridictions françaises ». Il faut tout de même remarquer qu’en droit français, les règles de la compétence territoriale s’appliquent en toutes matières, exception faite des successions immobilières et de façon plus accrue en matière de lois de police. En droit camerounais, la règle de la compétence territoriale a eu un écho favorable, puisqu’elle est consacrée par la jurisprudence25. Mais ici, le juge lui donne une interprétation assez malheureuse car pour le juge, la saisine fonde la compétence législative26, alors même que compétence juridictionnelle et compétence législative ne peuvent être confondues dans les rapports internationaux en droit privé. Cela pourrait provenir comme le relève Mme Brigitte DJUIDJE27 du fait de la confusion entre le problème en droit interne 21 on y ajoute lorsque, une des parties étant française, les art.14 et 15 du Code Civil ne jouent pas. Mayer (P.) et Heuzé (V.) : Droit international privé , Paris 7è Ed. Montchrestien 2001 23 Civ. 19 oct. 1959, Rev.Crit. 1960.215, note Y.L., D.1960.37, note Holleaux 24 Civ. 30 Oct.1962, Rev.Crit. 1963.387,note Franceskakis, D.1963.109, note Holleaux, G.A. n°37 25 TGI de Yaoundé, jugement civil n°391 du 6 juillet 1983, Aff. Mme MONDELE née GUERASSMIENKO C/ MONDELE Abraham, inédit. 26 « attendu que les époux MONDELE qui sont de nationalité centrafricaine et soviétique ont accepté l’application de la loi camerounaise par la saine du juge camerounais… » inédit, cité par Mme Djuidje ( B.), Pluralisme législatif camerounais et droit international privé, Paris, Ed. l’Harmattan, 1999 27 Mme Djuidje ( B.), , op.cit 22 9 camerounais du conflit de compétences entre juridiction de droit commun et juridiction de droit coutumier, et celui du conflit de compétences sur le plan international. Il n’en demeure pas moins que le juge camerounais fonde sa compétence internationale en empruntant aux critères de détermination de la compétence territoriale interne. Cette compétence pourrait être facilement déterminée lorsque les parties l’ont indiquée volontairement. C- LA COMPETENCE FONDEE SUR LA VOLONTE DES PARTIES Un rapport international de droit privé peut faire l’objet d’un certain nombre d’aménagements, notamment en ce qui concerne sa structuration mais aussi, en ce qui concerne tout litige qui pourrait naître. Ces aménagements, généralement sous la forme de clauses, désignent l’ordre juridictionnel étatique compétent, et sont très fréquents dans les contrats internationaux. Tant sous la forme de clauses attributives de juridiction que sous la forme de clauses compromissoires, elles permettent aux parties de conférer ou d’étendre la compétence d’une juridiction donnée. Une clause attributive de compétence est « une disposition contractuelle confiant le règlement du litige à une juridiction sans qualité pour en connaître, qu’il s’agisse de compétence d’attribution ou de compétence territoriale »28. Ainsi définie, la clause attributive de compétence est une expression de la volonté des parties à l’occasion du contrat qui les lient. Il est tout de même nécessaire de souligner que pour emporter des effets juridiques, elles doivent être reconnues valables selon la loi du tribunal saisi et obéir à certaines conditions de fond (absence de vice du consentement…) et de forme. La clause compromissoire est une clause insérée dans un contrat, par laquelle les parties s’engagent à recourir à l’arbitrage pour les différends qui surgiraient entre elles. Elle doit être appréhendée dans l’ensemble plus grand de la convention d’arbitrage, incluant la clause d’arbitrage et le compromis d’arbitrage. L’aspect volontaire y est très prépondérant, mais la validité d’une 28 Guillien (R.), Vincent (J.), Lexique des termes juridiques, Paris 14è Ed. Dalloz 2003 p.107 10 telle convention est conditionnée par l’arbitralité ou non du litige. En droit camerounais, deux conditions essentielles sont requises : la libre disponibilité de leurs droits par les parties29 et l’absence d’une contestation communicable au ministère public30. II – DETERMINATION DE LA LOI APPLICABLE A LA PROCEDURE La loi de procédure est la lex fori c’est à dire la loi du juge saisi. C’est donc en soi une règle substantielle et un juge ne peut jamais renvoyer à une procédure étrangère. On analysera le domaine de la lex fori comme loi applicable à l’introduction de l’action (A) ,à l’instance proprement dite (B) et aux effets des jugements(C) A - DOMAINE DE LA LEX FORI COMME LOI APPLICABLE A L’INTRODUCTION DE L’ACTION Les règles relatives à la saisine d’une juridiction en vue d’introduire une action en justice sont normalement celles prescrites par le législateur qui organise les institutions judiciaires du for. Cela découle de ce que les formes de la procédure civile sont liées à l’organisation de la justice, elles dépendent par là de la loi de l’Etat au nom duquel procèdent les magistrats et les auxiliaires de justices31. Le principe en ce domaine est donc celui de la compétence de la lex fori. Mais ce principe connaît quelques limites à la mesure de la spécificité du rapport qui donne lieu au contentieux ; en l’occurrence un rapport de droit privé ayant un élément d’extranéité. Au demeurant, le principe d’applicabilité de la lex fori a pour domaine non seulement les conditions de recevabilité de l’action (1) mais encore les formalités requises pour l’introduction d’une demande en justice (2). 29 Art.2 al.1er de l’Acte Uniforme OHADA relatif au Droit de l’Arbitrage. Art.577 du Code de Procédure Civile Camerounais 31 Civ. 22 fev. 1978. Rev. crit.78.593.note COUCHEZ 30 11 1. La lex fori applicable aux conditions de recevabilité de l’action En tant que réalisation contentieuse des droits, l’action en justice est en droit d’être entendu sur une prétention pour celui qui l’introduit, et pour son adversaire c’est le droit de contester la dote prétention32. Elle se distingue donc de l’Instance proprement dite qui renvoie seulement au déroulement procédural découlant de la saisine du juge. L’exercice de l’action en justice ainsi définie est soumis à un certain nombre de conditions qui, étant donné leur caractère plus ou moins procédural relèvent, selon les cas, de la lex fori ou non. a) L’intérêt pour agir C’est une condition de recevabilité de l’action consistant dans l’avantage que procurerait au demandeur la renaissance par le juge de la légitimité de sa prétention. Son défaut correspond, suivant l’adage « pas d’intérêt, pas d’action » à l’absence du droit d’agir. Etant ainsi entendu, le défaut d’intérêt constitue une fin de non-recevoir qui peut même être relevé d’office par le juge. Cet aspect procédural très marqué soumet la détermination du respect de cette condition à la loi du for. Il convient toutefois de distinguer cet intérêt pour agir de l’intérêt dont la lésion peut constituer un préjudice, notamment dans le cadre d’une action en responsabilité intentée par la concubine de la victime d’un dommage. Aussi l’exigence d’un « intérêt juridiquement protégé »33 pour recevoir l’action de la concubine est une question de fond et sera déterminée non plus selon la lex fori mais plutôt selon la loi applicable au fond du litige. La même distinction du fond et de la procédure est valable pour la recherche de la qualité pour agir. b) 32 33 La qualité pour agir V. B. AUDIT, Droit International privé, Economica, 3e éd 200 p. 377 n°431 Ch. Mixten Cr de Cass., 27 fevr. 1970, JCP 1970, II, 16305 concl. LINDON et note PARLANGE. 12 La question de la qualité pour agir ne se pose en procédure que lorsque la loi a attribué le monopole de l’action à certaines personnes ; seules ces personnes dans ce cas ont la qualité pour agir à l’exclusion de toutes autres y auraient-elle intérêt. Ainsi l’action en divorce n’appartient qu’aux époux euxmêmes bien que l’avantage que constituerait la rupture du lieu conjugal ( !) puisse bénéficier à d’autres notamment à l’amant de la femme. Il apparaît dès lors que la détermination de la qualité à agir est notamment liée au fond du droit, elle est essentiellement substantielle. Elle répond à la préoccupation de savoir qui est titulaire du droit d’agir ? et qui pourra l’exercer ou ne le voudra peut être t-il pas ? (4).La qualité pour agir relève de la loi personnelle du justiciable. Si le caractère substantiel de la condition de recevabilité de l’action en justice tenant à la qualité est indéniable, il n’en est pas de même de l’exigence relative à la capacité. c)La capacité pour agir La capacité d’ester en justice relève des deux degrés de la capacité juridique : la capacité de jouissance (aptitude à avoir des droits et obligations) et la capacité d’exercice (pouvoir de mettre en œuvre soi-même ces droits et obligations). Le premier degré ne pose pas de problèmes spécifiques dans les rapports internationaux de droit privé car la faculté d’agir est ouverte à toute personne physique ou morale, national ou étrangère devant les juridictions civiles et commerciales camerounaises. En revanche, la capacité de mettre en œuvre soi-même le droit d’action est méconnue à certaines catégories de personnes aussi bien en droit interne qu’en droit international privé (mineurs, majeurs incapables). Il convient dès lors de savoir qu’elle sera la loi en vertu de laquelle cette capacité d’exercice sera appréciée. Si l’on admet sans discussion le principe du rattachement de la capacité des personnes au statut personnel 34, il en résulte que c’est une règle de fond et non une règle de procédure qui règle la question de la capacité pour agir. Ainsi, dans un litige de droit insternational privé, le juge du for compétent devra interroger la loi nationale d’une partie pour vérifier sa capacité. La lex fori 34 B. AUDIT, op.cit p … 13 redeviendra cependant applicable pour constater le respect des délais d’exercice de l’action. d) Le respect des délais Les délais ordinaires qui jalonnent la procédure ont pour objet d’assigner un laps de temps aux parties pour accomplir leurs actes35 (Exemple : délai pour notifier une assignation à peine de caducité). Ces délais sont liés à l’organisation de l’instance et de ce fait relèvent de la loi du for. Cependant, il existe une catégorie de délais à l’expropriation desquels l’action un justice sera déclarée prescrite et son titulaire forclos, c’est-à-dire qu’ils sont soumis à la loi qui régit le droit en cause. Dans cette optique, la jurisprudence française par exemple soumet les prescriptions des actions d’état, depuis l’arrêt IMBACH36, à la loi personnelle, tandis que les actions contractuelles et extra contractuelles sont soumises à la loi de l’obligation37,les actions en nullité sont soumises à la loi de l’acte attaqué, la prescription extinctive des actions réelles sera soumise à la lex rei sitae. Il s’ensuit que relativement aux conditions d’exercer de l’action en justice, il s’opère un partage de compétence entre la lex fori (au titre de la loi procédurale) et les règles de fond pour les questions relatives au fond même du litige. Cette distinction38 ne s’étend pas aux formalités requises pour l’introduction de l’action car celles-ci sont propres à chaque système judiciaire et par conséquent sont sous l’empire de la loi applicable à la procédure. 2. La lex fori applicable aux formalités requises pour l’introduction de l’action Les différentes formalités qui doivent être suivies pour soumettre une prétention à un juge sont également liées à l’organisation du service public de la justice et donc sont propres à chaque Etat. Les règles qui régissent les formalités d’accès aux prétoires camerounais sont pour l’essentiel les mêmes aussi bien pour les 35 B. AUDIT.op.cit n°434 Civ. 10 mai 1960 . 548 note MALAURIE 37 Civ. 21 avril 1971, Rev. Crit. 72 – 74 note LAGARDE. 38 La distinction du fond (règles de fond ou decisoria litis) et la procédure (règle de procédure ou ordinatoria litis) a été découverte par les post glossateurs qui soumettaient les règles de procédure à la lex fori (V. Y. LOUSSOUARN et P. BOUREL, op.cit. n°86 p. 100) 36 14 nationaux que pour les étrangers39. Il en résulte une transposition des règles internes de procédure civile dans les rapports internationaux de droit privé. Cependant les relations internationales peuvent nécessiter parfois une adaptation des règles internes. Ainsi, on est-il du prolongement des délais d’ajournement de l’assignation d’un défendeur résidant hors du territoire national. L’article 15 du code de procédure civile et commerciale dispose en effet que : « Si celui qui est assigné demeure hors du territoire, le délai sera : - de deux mois pour ceux qui demeurent en France métropolitaine en Europe, en Afrique, à Madagascar ou à la Réunion ; de trois mois pour ceux demeurent en Amérique ; de quatre mois pour ceux qui demeurant dans tous les autres pays … » Dans ce cas l’élément d’extranéité qui rend spécifique le rapport de droit est la localisation à l’étranger du domicile du destinataire de l’assignation. Il existe donc des « règles de procédure internationales » c’est-à-dire des règles de procédure spécifiques prenant en compte le fait que certains éléments du litige sont localisés à l’étranger. Il s’agit de « règles matérielles nationales applicables au procès international »40. Par ailleurs, la forme des actes de procédure (assignation, requise introductive d’instance) nécessaires pour la réalisation contentieuse des droits est soumise en principe à la loi de procédure appliquée par le juge saisi. Aussi, les mentions d’un acte introductif d’instance seront vérifiées à travers la loi de procédure du juge du for. La lex fori joue donc un rôle déterminant au moment des l’introduction de l’action en justice mais son application, loin de se limiter à ce niveau va au-delà car celle-ci est appelée à régler certains aspects de l’instance proprement dite. 39 Il faut cependant relever la nécessité pour l’étranger de fournir la caution s’il ne dispose pas au Cameroun d’immeubles suffisants pour assurer le paiement éventuel des frais et dommages-intérêts résultant du procès (art. 16 C. CIV et 73 et 74 du code de procédure civile et commerciale .En France la caution judicatum solvi n’existe plus 40 B. AUDIT, op.cit. n°408) 15 B – APPLICATION DE LA LEX FORI COMME LOI DE PROCEDURE A L’INSTANCE PROPREMENT DITE Analyser la lex fori comme loi de procédure applicable à l’instance proprement dite c’est montrer que celle-ci gouverne l’ensemble de l’instance. Autrement dit, la lex fori va ici gouverner la forme des actes, les règles de représentation du plaideur par un avocat ou encore la preuve. Dans une instance, ce qui est au premier plan c’est la preuve. Or, la matière de preuve est très délicate car elle touche aussi bien au fond de droit qu’à la procédure. Dès lors, en ce qui concerne l’objet et la charge de la preuve, la loi applicable n’est pas la lex fori mais la loi de fond applicable au litige. Ainsi donc, en matière de charge et d’objet de la preuve, la lex fori se trouve ici évincée au profit de la loi qui régit le fond du litige. Cette dernière sera déterminée par la règle des conflits de loi. Par conséquent, si la règle de conflit désigne la loi du for comme loi applicable au fond, c’est celle-ci qui sera applicable à la détermination de l’objet et de la charge de la preuve. On assiste donc ici à une sorte de résurgence des règles de conflits en matière de preuve qui concerne ici tant l’objet et charge de la preuve que l’admission des modes de preuve. En matière d’admission de la preuve, il s’agira ici de déterminer la façon dont on va devoir prouver devant le tribunal ; il pourrait donc s’agir de l’écrit, du serment, l’aveu ou encore du témoignage. En principe, c’est la lex fori qui s’applique aux modes d’admission de la preuve ; néanmoins, il peut arriver que l’on apporte au tribunal des preuves pré-constituées, c’est-à-dire rédigées par écrit à l’avance dans un acte juridique. Dès lors, la recevabilité de la preuve préconstituée va s’apprécier en fonction de la loi du lieu où l’acte a été dressé. Bref, s’agissant de la question de force probante d’une preuve, la lex fori est compétente pour les preuves non pré-constituées et les lex loci actus pour les preuves pré-constituées. En matière d’admissibilité des modes de preuve ; il s’agit d’une compétence alternative de la loi qui régit la forme et la loi du for. C’est le même système qui prévaut dans les litiges concernant les contrats internationaux ; la preuve de ceux-ci peut s’établir par tout mode admis par la loi du for ou l’une des lois régissant la forme du contrat international. 16 En tout état de cause, en cas de saisine d’un tribunal, la procédure à suivre sera celle prescrite par la loi de cet Etat. Cette loi du for pallie à une règle de conflit qui serait applicable en principe, mais ne peut l’être en pratique. Dès lors, cette règle que l’on sait de portée universelle s’applique t-elle aussi aux effets du jugement ? En d’autres termes, quelle est la loi de procédure applicable aux effets du jugement ? C) LA LEX FORI ET LES EFFETS DU JUGEMENT La lex fori détermine les délais et formes de voies de recours, le moment où le jugement acquiert autorité de la chose jugée et éventuellement la publicité qu’il faut faire. On comprend ainsi qu’il s’agit d’un jugement rendu dans le système juridique du for et qui doit y produire effet. Lorsque le jugement a acquis l’autorité de la chose jugée, des problèmes d’exécution peuvent se poser. La loi applicable aux voies d’exécution est la loi du lieu où l’exécution est demandée. Toutefois, si le jugement est rendu à l’étranger et qu’il doive produire des effets au Cameroun, la partie qui a obtenu le jugement doit solliciter l’exequatur, afin de rendre efficace cette décision rendue à l’étranger. Seulement, la demande d’exequatur n’est pas une condition sine qua non d’efficacité des jugements étrangers. Une jurisprudence traditionnelle accorde une efficacité immédiate aux jugements étrangers, en matière d’état et de capacité des personnes. On peut citer à cet égard, la formule de l’arrêt de la chambre des requêtes du 03 Mars 1930, (Clunet 1930, page 981), selon laquelle « les jugements rendus par un tribunal étranger, relativement à l’état et à la capacité des personnes produisent leurs effets en France, indépendamment de toute déclaration d’exequatur, sauf les cas où ces jugements doivent ordonner lieu à des actes d’exécution matérielle sur les biens ou de coercition sur les personnes ». 17 CONCLUSION Rendus au terme de notre travail, il apparaît clairement que l’action en justice est teintée d’une certaine particularité lorsqu’il s’agit de rapports internationaux de droit privé. En effet, comme nous avons eu à le démonter, ce qui fait la particularité de l’action en justice dans les rapports internationaux de droit privé par rapport au contentieux interne est l’existence d’un élément d’extranéité, à l’origine des deux principales préoccupations à savoir : la résolution du problème de la détermination de la juridiction à saisir et la résolution du problème de la détermination de la loi applicable à la procédure. Une relation privée internationale a, par définition des liens avec plus d’un système juridique. Or, nous le savons, la question de droit privé posée ne peut recevoir qu’une réponse émanant d’une et seule juridiction. C’est ce qui justifie le jeu des différentes règles de compétence. Et il reviendra à la juridiction la mieux compétente de veiller au respect de la loi la plus adéquate à la procédure. Nous ne saurons clore les débats sans faire allusion à un constat qui mérite d’être relevé : en fait, le droit international privé ayant une source principalement nationale, chaque Etat définit suivant ses propres critères la compétence de ses tribunaux à connaître des litiges internationaux de droit privé. Il en résulte une absence de répartition des compétences juridictionnelles, qui engendre des cumuls de compétences, avec deux conséquences essentielles : d’une part c’est une source de forum shopping, d’autre part, c’est un obstacle à l’efficacité internationale des décisions. D’où l’intérêt pour le Cameroun d’adhérer à des conventions internationales dont l’objet est d’établir des critères de compétence uniformes. 18 19