des jeunes entrepreneurs libanais

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Transcript des jeunes entrepreneurs libanais

samedi 22 juin 2013
La perspective
www.lorientlejour.com
d’Emilie Sueur
Un concentré d’énergie positive
C’était il y a un peu plus d’un an, un jour
d’avril 2012. L’actualité était-elle particulièrement sombre ce jour-là ? Probablement pas
plus que les jours précédents ou suivants. Kof i
Annan pataugeait dans le sang et les larmes en
Syrie, un journaliste libanais mourait à la frontière libanaise, touché par des tirs syriens, le nord
du Mali flirtait avec le désastre humanitaire,
la crise économique sévissait, l’environnement
morflait... Rien que de l’habituel, en quelque
sorte, en matière d’actualité.
Pourtant, ce matin-là, la rédaction Web de
L’Orient-Le Jour, imbibée de cette actualité qui
casserait le moral d’un optimiste invétéré, en a
eu ras-le-bol. Ras-le-bol de voir la page d’accueil du site n’être qu’une suite d’informations
toutes plus affligeantes les unes que les autres. Il
fallait rompre la série glauque, la « Bonne nouvelle du lundi » était née.
Une vraie bonne nouvelle, une information
qui ferait sens, une info positive, porteuse d’espoir, une bonne nouvelle comme un contrefeu.
Puisque nous sommes probablement un peu
maso sur les bords, nous avons décidé que nous
allions trouver une bonne nouvelle chaque semaine, et qu’elle concernerait le Liban.
Quatorze mois plus tard, nous publions toujours, chaque lundi, une bonne nouvelle concernant le Liban. À en juger par le nombre de clics
que génèrent ces articles, nos lecteurs apprécient.
L’édito
Oh, nous n’allons pas prétendre que nos bonnes nouvelles sont, chaque semaine, du plus gros
calibre. Certains lundis, en désespoir de cause,
nous faisons dans l’anecdotique. Pas grave, cette bonne nouvelle du lundi, plus qu’une simple
information, est devenue une profession de foi,
comme une forme de résistance face à la morosité
ambiante.
Alors quand Christian de Boisredon, fondateur de l’agence Sparknews et de l’Impact
Journalism Day, a contacté L’Orient-Le Jour
pour l’inviter à participer à un projet un peu
fou, une édition spéciale bonnes nouvelles, en
partenariat avec 22 journaux à travers le monde, nous avons, sans hésiter, dit oui.
Dans ce supplément, vous trouverez des articles sur des histoires, des initiatives, des expériences porteuses d’espoir. Ces histoires, produites
par Sparknews et les autres journaux partenaires, dont L’Orient-Le Jour, concernent l’environnement, la santé, l’économie, l’entreprenariat, l’humanitaire, le social... Elles viennent
du Liban, mais aussi de France, du Canada, du
Kenya, de Chine, de Singapour, de partout. Ces
histoires nous donnent envie d’y croire encore ou
de nouveau, nous disent qu’il n’y a pas de fatalité
pour peu qu’on veuille bien se bouger, s’engager
un peu.
Les huit pages de ce supplément sont un
concentré d’énergie positive. Enivrez-vous en !
de Christian de Boisredon
fondateur de Sparknews
Pourquoi l’Impact Journalism Day ?
Aujourd’hui, les lecteurs partout dans le
monde ont soif d’histoires différentes. Des histoires porteuses d’espoirs, de solutions concrètes,
tant au niveau local que global. Ils recherchent
les signes d’un changement auquel ils peuvent
s’identif ier. Un changement qui les fasse réfléchir... et agir.
Ici les médias ont un rôle clé - alerter ET partager ces idées : c’est ce que nous appelons l’Impact
Journalism ou journalisme de solutions.
Ces sujets sont souvent diff iciles à trouver.
Comme dit le proverbe « Un arbre qui tombe
fait beaucoup de bruit, mais la forêt qui germe,
on ne l’entend pas. »
C’est pour cela que Sparknews vient en appui des médias en dénichant pour eux des histoires qui peuvent changer notre monde.
Nous avons donc proposé aux grands médias
le déf i de relayer davantage de solutions inspirantes. 22 journaux leaders (dont L’Orient-Le
Jour) ont répondu à notre appel. Et aujourd’hui,
dans 20 pays, cinquante millions de lecteurs peuvent découvrir des suppléments consacrés aux
solutions. D’autres souhaitent nous rejoindre et
nous prévoyons 100 medias (journaux, TV, radio) pour l’édition prochaine.
L’opération est collaborative : l’équipe de
Sparknews a préparé une base d’articles originaux, et les journaux à leur tour ont trouvé et
partagé des projets innovants dans leur pays.
Chaque rédacteur a fait une sélection pour ses
lecteurs.
Sparknews souhaite que les pages que vous
découvrez aujourd’hui soient le début d’une
longue aventure ensemble. A l’issue de cette
opération, nous réunirons les rédacteurs en chef
partenaires pour partager les bonnes pratiques
et développer de nouvelles collaborations régulières. Les médias ont joué le jeu. Et nous ? Nous,
citoyens, sommes-nous relais des solutions ? Un
père de famille se plaignait de voir son f ils décrocher et ne plus avoir conf iance dans notre monde... jusqu’au jour où il réalisa qu’il lui parlait
toujours de ses problèmes de travail, de la crise
ou des scandales politiques. A défaut d’être journalistes, nous sommes des médias. Nous avons
la capacité de transmettre des informations qui
élèvent et donnent espoir.
Et si, tout à l’heure, vous montriez donc ces
pages à un collègue ? A vos enfants ? Et si vous
partagiez sur les réseaux une vidéo d’un projet
inspirant découvert sur sparknews ? Et si vous
deveniez vous aussi acteur du changement en
partageant les solutions ?
Rejoignez-nous sur www.sparknews.com ou,
si vous voulez contribuer: [email protected]
Merci, et bonne lecture !
Bader, engagé contre la « fuite »
des jeunes entrepreneurs libanais
Pour lutter contre le chômage et l’émigration des jeunes, Bader soutient des start-up
libanaises depuis huit ans. Une initiative citoyenne qui porte déjà ses fruits.
Anne-Marie EL-HAGE, L’Orient-Le Jour, Liban
« N’émigre pas, prends l’initiative » (bader, en arabe).
C’est par ce slogan que Robert
Fadel présente Bader, l’ONG
qu’il préside. Une organisation qui a pour objectif principal d’inciter les jeunes à ne
pas émigrer, mais plutôt à investir au Liban dans des startup appelées à se développer
et à se régionaliser. Dans un
pays miné par l’émigration
et la fuite des cerveaux, l’enracinement des jeunes est
un véritable défi pour Bader
Young Entrepreneurs, créée
il y a huit ans à l’initiative de
ce chef d’entreprise avec une
quarantaine de jeunes entrepreneurs, chefs d’entreprise et
leaders d’opinion.
« Bader est à l’écoute des besoins des jeunes entrepreneurs
et intervient en fonction de
ces besoins », explique Robert
Fadel, PDG du groupe commercial ABC mais également
député de la ville de Tripoli.
L’intervention peut être financière par le biais du fonds d’investissement de l’ONG, Building Block Equity Fund, sous
forme de prêts et d’investissements dans les start-up. Via ce
fonds, Bader vient d’investir
1,1 million de dollars dans
trois start-up libanaises en
pleine expansion régionale, la
chaîne de restauration rapide
Shawarmanji, le portail électronique de recettes Shahiya
et la société de distribution de
livres Cedar Books.
Bader fournit également
des formations, des conseils et
expertises techniques ou encore des aides à l’élaboration
de stratégies.
« Les jeunes entrepreneurs
libanais ne doivent pas être
freinés par la situation actuelle. Lancer une entreprise
prend plusieurs années », souligne Robert Fadel, invitant
les jeunes à persévérer malgré
la précarité économique et sécuritaire qui règne au Liban.
Il les invite également à voir
au-delà du Liban, soulignant
que la régionalisation est « le
point-clé » de ce projet. « Nous
encourageons nos bénéficiaires
à ne pas se contenter d’investir
au Liban, vu l’étroitesse du
marché local, mais à exploiter
les marchés arabes. »
Outre le soutien stratégique
et financier, Bader propose à
ses membres l’accès à un réseau, baptisé « Networking
961 », qui met en relation les
jeunes entrepreneurs libanais
avec un ensemble d’organismes professionnels.
Krock’s, produit
de l’année 2012
Parmi les bénéficiaires de
Bader, la start-up d’un jeune
entrepreneur libanais de 31
ans, Ramzi Jalbout, qui a revisité en le modernisant un casse-croûte ou snack local. Baptisé « Krock’s », car « il croque
sous la dent », ce snack est
composé de labné (fromage
blanc) et de kaak ershali (bâtonnets de pain croustillants)
présentés dans un même
emballage. Lancé en novembre 2012, « Krock’s » marche
bien, puisqu’il s’en vend plus
de 12 000 pièces par mois.
Décliné en quatre versions,
menthe, olive, nature ou allégé, « Krock’s » a même été
élu produit de l’année 2012
par les consommateurs libanais, et Ramzi Jalbout en a
aujourd’hui l’exclusivité des
droits dans 121 pays.
Aujourd’hui, le jeune entrepreneur est confiant, « Krock’s
est un bon produit qui a de
l’avenir ». À tel point que le
jeune Libanais est prêt à perdre sa carte de résident au Canada, dont il montre la date
d’échéance, toute proche, pour
la réussite de son projet au Liban. Une carte qui ferait rêver
nombre de ses concitoyens.
Pourtant, le parcours n’est
pas dénué d’obstacles, notamment au niveau de la distribution. « Les supermarchés n’encouragent pas les nouveaux
venus », regrette-t-il, dénonçant certaines grandes surfaces qui monnayent la place
des produits sur les étalages.
« J’espère parvenir prochainement à convaincre un grand
distributeur de se charger de
la distribution de Krock’s »,
indique-t-il toutefois.
Pour le huitième anniversaire de Bader, Robert Fadel et son épouse ont réuni huit jeunes
entrepreneurs bénéficiaires du programme, Rana Chmaitelly, Raja Mouawad, Ramzi Jalbout, Hind
Hobeika, représentée par Marielle Khayat, Soraya Umewaka, représentée par Maya Fidawi, Majd
Akar, Eli Chaaya, et Souad Merhebi.
Autre défi de taille, le jeune
chef d’entreprise ne peut toujours pas se verser de salaire.
Il travaille donc parallèlement
à plein temps dans une entreprise pour subvenir à ses besoins. Il doit, de plus, se plier
aux longs délais de paiement
imposés par certaines grandes
surfaces.
« Mais pas de place pour le
découragement », assure-til, car son entreprise baptisée
« Fresh Natural Product »
grandit et emploie désormais
11 personnes, dont sa propre
mère, Micheline, qui veille
au respect des normes d’hygiène et à la gestion des stocks
« comme à la prunelle de ses
yeux ».
Une success story dans laquelle Bader, en sus de la détermination du jeune Libanais,
a joué un rôle important. « Le
réseau de Bader m’a introduit à
des personnes et des entreprises qui m’ont aidé sur le plan
technique, ont fait connaître
mon produit, m’ont assisté au
niveau du marketing, m’ont
accordé des prêts et ont même
investi dans mon entreprise à
49 % », indique Ramzi Jalbout.
Et l’entrepreneur ne compte
pas en rester là. De nouvelles
saveurs sont en préparation,
halloum (un autre fromage),
thym, huile d’olive ou version
salée, et seront bientôt commercialisées. Il est en outre
prêt à vendre sa franchise à
l’étranger, s’il parvient à trouver le financement nécessaire.
Pour un programme
national
Une initiative louable et
citoyenne. C’est en ces termes que l’expert économique
et financier, Louis Hobeika,
salue le programme Bader. Il
est d’ailleurs lui-même l’heureux père d’une jeune entrepreneuse bénéficiaire du programme, Hind Hobeika, qui
a développé un appareil à fixer
sur des lunettes de natation
pour enregistrer le rythme
cardiaque.
Reconnaissant néanmoins
que « les possibilités de ce
fonds sont limitées et n’encouragent qu’un nombre restreint d’entrepreneurs », M.
Hobeika invite les autorités
libanaises à mettre en place
un programme national pour
aider à financer les initiatives
privées. « Ce qui permettrait
à un plus grand nombre de
jeunes entrepreneurs de réus-
sir leurs projets et de ne pas
émigrer. »
Professeur
universitaire
d’économie et de finances, il
n’a lui-même de cesse d’inciter ses étudiants à avoir l’esprit
d’entreprise, à créer, « sans
copier », insiste-t-il. « Mais
aucune institution publique
n’est à même de les orienter,
encore moins de les financer »,
déplore-t-il, ajoutant que si
certains tentent leur chance,
ils plient rapidement bagage
après avoir échoué, faute d’assistance et de financement.
« Leur invention est tuée, ce
qui est dommage, car l’entreprenariat est la clé pour permettre aux jeunes de vivre décemment. C’est aussi la clé du
développement économique
et de la croissance », assure
Louis Hobeika, qui estime
que la croissance au Liban
pourrait doubler pour atteindre 5 %, si les jeunes créaient
leurs propres entreprises.
Bader, de son côté, entend
bien développer son champ
d’action et accompagner davantage de jeunes. Pour ce
faire, le capital de son fonds
d’investissement va doubler,
pour atteindre 15 millions de
dollars.
II
En quoi la déraison permet
de faire avancer les choses
samedi 22 juin 2013
Un chrétien, un musulman,
un juif, un athée et un agnostique
font un tour du monde…
Situé à Boulder, dans le Colorado, le Unreasonable Institute
(traduisez l’Institut déraisonnable) est un projet qui met en avant
un programme d’accélération permettant de changer le monde.
Cinq jeunes aventuriers réunis autour d’un mot d’ordre commun : «
Pour la quatrième année consécutive, l’équipe Unreasonable propose Il ne s’agit pas de parvenir à un accord sur ce en quoi nous croyons,
un programme intensif de six semaines aux entrepreneurs sociaux
mais plutôt de partager la même foi en la paix. »
ayant de grandes idées, des idées destinées à la fois à faire le bien et
Claire DE ROUX, Sparknews
à réaliser des profits. En travaillant nuit et jour au côté de mentors
Cela pourrait ressembler à
une blague célèbre. Mais non.
C’est bien l’histoire d’un chréet d’investisseurs, les 25 innovateurs venus des quatre coins du
tien, d’un musulman, d’un
d’un athée et d’un agnosmonde plancheront sur leurs projets jusqu’à ce le « déraisonnable », juif,
tique qui entrent vraiment
un bar… et se lanceront
l’irréaliste et l’utopique évoquent des idées pour lesquelles l’heure est dans
tous ensemble dans quelques
jours dans un tour du monde
venue de voir le jour.
inédit.
Ashley Murray est la fondatrice et PDG de Waste Enterprises Ltd., qui s’attaque de manière innovante aux problèmes de déchets et
d’hygiène publique en Afrique.
Esha CHHABRA, Sparknews
En 1903, l’écrivain britannique
George Bernard Shaw avait
prédit que tout progrès reposerait sur l’homme déraisonnable. « L’homme raisonnable
s’adapte au monde », écrivaitil. « L’homme déraisonnable
s’obstine à essayer d’adapter le
monde à lui-même. »
Plus d’un siècle plus tard,
sa prophétie s’applique à un
nouveau genre de révolution,
celle visant à éradiquer la pauvreté.
Les paroles de George Bernard Shaw constituent le principe fondateur de l’Unreasonable Institute, programme
basé dans le Colorado destiné
à des entrepreneurs désireux
de changer le monde. Il s’agit
d’un atelier d’été d’une durée
de six semaines qui réunit plus
d’une dizaine d’entrepreneurs
dont les plans d’entreprise
sont susceptibles d’exercer un
impact social.
En quatre ans seulement,
82 entrepreneurs ont été
choisis pour participer à cet
atelier, parmi 1 100 candidats originaires de 70 pays.
Unreasonable s’appuie sur
un réseau de 100 mentors
provenant de domaines tous
plus éclectiques les uns que
les autres, le monde de l’art,
des affaires, mais aussi de la
technologie. Parmi ces derniers, Neal Baer, production
d’émissions télévisées telles
que New York, police judiciaire et Urgences ; Mary
Russell, dirigeante de FedEx
ou encore Lisa Waits, dirigeante au sein de Nokia.
Pendant ces quatre années,
l’institut a réussi à donner vie
à plusieurs success-stories.
Myshkin Ingawale, originaire de Mumbai en Inde,
participant en 2011, a conçu
un appareil de la taille d’un
téléphone portable capable
de détecter dans le sang des
concentrations d’hémoglobine. Ce dispositif permet au
personnel de santé en milieu
rural de réaliser des analyses
de sang sans laboratoire et
sans aiguille. Son entreprise,
BioSense, (www.biosense.in)
a été reconnue par l’Organisation mondiale de la Santé
comme l’une des technologies
médicales les plus innovantes
du marché à l’heure actuelle.
Unreasonable a pour mission de réunir des aspirants
entrepreneurs et des mentors,
en les mettant en contact avec
de potentielles sources de financement, mais aussi en les
aidant à adapter leurs modèles commerciaux. Bénéficiant
du statut d’une association
à but non lucratif, l’institut
récupère 30 % de ses coûts
d’exploitation grâce aux droits
d’inscription, qui s’élèvent de
10 000 à 12 000 dollars par
entreprise, sommes pouvant
être collectées sur Unreasonable Marketplace, plate-forme
de financement participatif. Le reste du financement
provient de sponsors tels que
Halloran
Philanthropies,
Hewlett Packard, Vodafone
Americas Foundation, ou encore Rockdale Foundation.
L’institut
a été créé en
janvier 2009
par
Daniel
Epstein, Tyler Hartung et
Teju Ravilochan, comme
un lieu où des
entrepreneurs
sociaux peuvent profiter
d’« outils »
afin de lancer
leurs idées. Aujourd’hui, l’institut s’ouvre à l’international,
en quittant son lieu d’origine
de Boulder et en adoptant
une approche plus locale,
en se lançant au Kenya et au
Mexique.
L’objectif de l’institut,
que Teju Ravilochan qualifie d’« audacieux », consiste
à créer 100 instituts répartis
dans 100 villes. Lorsque des
entrepreneurs sociaux en herbe se rendent dans le Colorado, ils sont bien loin de leur
environnement et de leurs
marchés locaux. « Nous voulons savoir si nous pouvons
créer une expérience similaire
dans un environnement plus
localisé, avec des investisseurs,
des mentors et des entrepreneurs locaux qui connaissent
parfaitement les tenants et les
aboutissants du marché », explique Teju Ravilochan.
Les mentors américains
ne peuvent imaginer les défis
auxquels sont confrontés les
pays en développement, par
exemple les routes délabrées,
la corruption, le cauchemar de
la distribution, l’effondrement
de l’infrastructure, mais aussi
les autochtones.
« Ici, l’entrepreneur aura
l’occasion d’éprouver ou de
valider ses idées au sein même
des communautés, et ce en
toute simplicité, car elles sont
extrêmement accessibles », a
déclaré Jose Medina dans un
courriel, depuis Aguascalientes, au centre du Mexique où
il fait figure de fer de lance
pour l’Unreasonable Institute
mexicain.
Pour le moment, ces programmes locaux ne sont que
des pilotes, affirme Teju Ravilochan. « Cette phase de test
nous permet de voir si nous
disposons d’un nombre suffisant de bons mentors et de
bons investisseurs au niveau
local au Kenya et au Mexique », poursuit-il.
Enfin, les fondateurs d’Unreasonable souhaitent créer
ce qu’ils appellent un « pipeline mondial », où ils pourraient concevoir un prototype pour l’incuber au Kenya
par exemple ;
puis ils transformeraient
cette idée en
institut régional, disons en
Afrique
de
l’est, où elle
serait adaptée
avant d’être
rapatriée
à
Boulder.
« Tout ceci
est un savant
mélange d’expertise locale
approfondie et de ressources
mondiales », explique Teju
Ravilochan.
L’Unreasonable Institute
est l’une des nombreuses
organisations
américaines
contribuant à soutenir et à
guider des entrepreneurs sociaux. D’autres incluent StartingBloc, Ashoka, Draper
Richards ou encore Echoing
Green. Chaque organisation possède une approche
différente. Echoing Green
propose principalement des
financements, tandis que
l’Unreasonable se concentre
sur le mentorat.
Une facette de ce mentorat est toutefois associée à la
collecte de fonds. Par exemple, Ashley Murray, PDG et
fondatrice de Waste Enterprisers, (www.waste-enterprisers.com), participante en
2012, pensait avoir besoin de
2 millions de dollars pour son
entreprise basée au Ghana.
Les conseils qu’elle a obtenus
à Boulder cet été-là l’ont aidée
à adopter une tout autre stratégie.
Il s’est avéré que la jeune
femme n’avait en réalité besoin que de 310 000 dollars
pour financer son projet de
recyclage de déchets en carburant et en biodiesel. Ce qui
lui a permis de garder plus
de capitaux. Parmi les neuf
investisseurs ayant conclu un
accord avec la jeune femme,
huit étaient issus du réseau
Unreasonable.
Shivani Siroya, participant Unreasonable en 2012
« Tout ceci est un
savant mélange
d’expertise locale
approfondie et
de ressources
mondiales »
et fondateur de InVenture,
nous explique que le réseau
de l’institut continue à lui être
d’une grande utilité. InVenture (www.inventure.org) a créé
un outil de gestion financière
mobile capable d’identifier un
« pointage de crédit » pour les
communautés à faibles revenus, leur donnant ainsi accès
à des prêts proposés par des
banques
communautaires.
L’équipe Unreasonable a accès
à une « multitude d’opportunités », mais les entrepreneurs
doivent afficher une attitude
proactive. « Vous devez être
très motivés pour atteindre
ces individus et leur demander de l’aide », affirme Shivani
Siroya, 30 ans.
L’Unreasonable Institute
ne cesse d’évoluer. Il prévoit de réduire le nombre de
nouvelles entreprises admises
chaque année, afin de pouvoir
se concentrer sur la qualité et
sur un engagement plus solide
avec chacune d’entre elles.
Ceci signifie qu’il devra trouver d’autres sources de financement, compte tenu de la
baisse des frais d’inscription.
Une solution possible, affirme
Teju Ravilochon, serait de
prélever une petite somme de
capitaux aux entreprises que
nous aidons à lancer.
L’Unreasonable Institute
n’est qu’un maillon de la marque Unreasonable. Ses fondateurs comparent Unreasonable
au groupe Virgin, le célèbre
conglomérat
multinational
britannique. « Nous souhaitons créer une organisation
“parapluie” capable d’insuffler
la puissance de la marque au
sein de plus petites entreprises appartenant au groupe »,
décrit Teju Ravilochan.
Unreasonable organise actuellement « UnreasonableAt-Sea », un voyage autour
du monde mettant en scène
un groupe d’entrepreneurs
ambitieux. D’autres projets
comprennent « Unreasonable
Media », le bras artistique et
narratif de l’association et
« Unreasonable Capital », la
composante financière ; « Unreasonable
Adventures » ;
« Unreasonable Travel » et enfin « Unreasonable Galactic »,
tous en cours de réalisation.
« Il s’agit d’une véritable expérience », résume Teju Ravilochan. « Et nous voyons les
choses en grand ».
Voir aussi, la vidéo associée à
cet article :
http://www.sparknews.com/fr/
video/unreasonables-givinghigh-impact-entrepreneurswings
Ils
sont
parfaitement
conscients qu’à leur retour,
prévu dans un an, ils auront
radicalement changé. Mais
parviendront-ils à faire la différence dans les pays qui les
accueilleront tout au long de
cette aventure ?
Alors qu’ils se préparent à
décoller le 1er juillet prochain
et mettre le cap sur Israël et
les territoires palestiniens, Samuel Grzybowski, Soufiane
Torkmani, Rafaella Scheer,
Victor Grezes et Josselin Rieth
sont réunis autour d’un mot
d’ordre commun. « Il ne s’agit
pas de parvenir à un accord
sur ce en quoi nous croyons,
explique Samuel, mais plutôt
de partager la même foi en la
paix. »
Ces cinq aventuriers font
tous partie de l’association
française « Coexister », créée
en janvier 2009 par Samuel
alors qu’il avait tout juste 16
ans. Comptant quelques 300
jeunes membres dans toute la
France, le slogan de « Coexister » est le suivant : « Diversité
dans la foi, Unité dans l’action », et sa première campagne a mobilisé 150 personnes
de toutes les religions afin
d’organiser des dons du sang
(événement qu’ils ont baptisé
« Ensemble à Sang% »).
Depuis, le groupe a sillonné
des dizaines d’écoles et de collèges pour évoquer les avantages d’une société multiculturelle et a dispensé des formations
sur le thème de la gestion des
initiatives interreligieuses. Ses
membres ont en outre élargi
leurs propres horizons grâce
à des voyages internationaux
dans différents hauts lieux de
l’interculturalité.
Un passage au Liban
Ce tour du monde interreligieux est le projet le plus ambitieux à ce jour. Visitant 48
pays au total, dont le Liban,
ces cinq jeunes feront étape
pendant plusieurs mois dans
cinq lieux des plus symboliques.
Tout d’abord Jérusalem, où
chrétiens, juifs et musulmans
partagent tous un même
foyer spirituel. Puis cap sur la
Turquie, point de ralliement
géographique de plusieurs
cultures ; l’Inde, grand centre historique, symbole de la
cohabitation entre hindous
et musulmans ; Singapour
et la Malaisie, illustrant la
coexistence au sein d’un environnement qui fait face à
une modernisation rapide ;
enfin, le tour s’achèvera aux
États-Unis, nation pionnière
Les cinq jeunes qui vont partir pour un tour du monde pas comme les autres. en matière de dialogue interreligieux.
Puis viendra le retour en
France, où, dans la foulée, ces
pèlerins globe-trotters organiseront leur « Tour de France »
interreligieux en mai et juin
2014. Ils prévoient d’organiser une exposition sur leur
voyage à bord de l’« Interfaith
bus », et ainsi de poursuivre
l’aventure à travers des débats,
évoquant ainsi leurs découvertes au cours du voyage, mais
aussi dans les écoles et centres
communautaires visités.
« Comme des frères
et sœurs »
Voici pour l’itinéraire, évoquons désormais le groupe,
tout à fait admirable dans sa
« diversité ». Une fille, quatre
garçons, trois religions et cinq
personnalités très différentes.
Tout ceci pourrait créer une
« mission impossible », mais
Rafaella, 18 ans, est convaincue que les voyageurs seront
tous « comme des frères et
sœurs » à leur retour en juin
2014.
Rafaella, le bébé de cette
« famille », sait tout à fait de
quoi elle parle. Les quatre garçons ont déjà uni leurs forces
pour l’aider à convaincre ses
parents sceptiques de la laisser participer à cette aventure.
Pour elle, juive pratiquante,
« un tour du monde était un
véritable rêve d’enfant, auquel
nous avons ajouté cette dimension interreligieuse tout à
fait unique. »
Soufiane, âgé de 27 ans, est
quant à lui le « grand frère ».
Calme et discret, il est très
engagé au sein de l’Organisation des musulmans de France, mais reconnaît également
aimer écouter la station de radio catholique « Radio Notre
Dame » dans les embouteilla-
ges. Militant expérimenté en
faveur de la communication
interreligieuse, il travaille actuellement à plein temps pour
l’association « Coexister » au
poste de secrétaire général et
est également le seul à ne pas
devoir mettre un terme à ses
études universitaires pour se
lancer dans cette aventure.
Lorsqu’on lui demande ce
qu’il souhaite le plus pour
l’année à venir, Soufiane rétorque qu’il veut observer,
dans les différents pays visités
au cours du voyage, de quelle
manière chacun des membres
du groupe « réagira en étant
en minorité » en termes de
croyances et concernant la
manière dont cette expérience
fera évoluer leur « vision du
monde ».
Le jeune Samuel, chrétien
engagé, est encore également
très attaché à l’idée que « le
seul moyen d’apprendre à vivre ensemble est de respecter
nos différences. » À seulement
21 ans, il a convaincu tous les
autres participants de se lancer dans cette aventure unique
dont il a dirigé l’organisation
depuis septembre 2012.
Victor, lui aussi âgé de
21 ans, parle à toute vitesse
et partage avec Samuel la
conviction profonde que le
dialogue interreligieux est essentiel pour créer un monde
meilleur. Mais, à la grande
surprise de Samuel, après des
mois de débat sur la religion,
Victor est plus convaincu que
jamais d’être athée. D’après
lui, comprendre la foi permet
de comprendre (et donc de résoudre) les conflits.
Reste Josselin, qui s’autoproclame agnostique et pense
que Voltaire avait vu juste sur
le fait qu’il existe un Dieu, un
Dieu de raisonnement plutôt
qu’un Dieu de foi. Du haut de
Le tour du monde. Photo Corinne Simon/Ciric
ses 21 ans, Josselin est le diplomate du groupe, l’homme
de consensus, ce qui ne l’empêche pas de pratiquer également le karaté.
Voyage vers l’inconnu
Ce tour du monde, dont le
budget est estimé à 100 000
euros, a vu le jour grâce à
la subvention initiale de
Sparknews (également à l’origine de l’initiative « Impact
Journalism Day »), et a depuis
été soutenu par l’association
des Scouts et Guides de France, le Rotary Club, mais également le magazine français
« Le Nouvel Observateur »
parmi d’autres sponsors, Europe Assistance couvrant les
frais d’assurance voyage du
groupe.
Ces cinq aventuriers sont
bien conscients de partir pour
un voyage vers l’inconnu.
Mais même s’il est agréable
d’être premier, ce qui compte
c’est de ne pas être dernier,
et ils sont tous impatients de
découvrir qui relèvera le défi
l’an prochain, et où ce défi les
conduira.
Martin Luther King n’a-til pas dit : « Nous devons tous
apprendre à vivre ensemble
comme des frères, sinon nous
allons mourir tous ensemble
comme des idiots. »
(Pour suivre l’aventure de
l’Interfaith Tour, pour aller
à la rencontre de l’équipe ou
encore apporter votre contribution en tant que sponsor, rendez-vous sur le site
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Crédit carte : Interfaith Tour
III
samedi 22 juin 2013
Cultivateurs de cannabis,
ils ont osé parier sur la vigne
Liban Dans la Békaa, la coopérative des Coteaux d’Héliopolis offre
de nouvelles perspectives d’avenir aux agriculteurs.
Marisol RIFAI, L’Orient-Le Jour, Liban
En ce début de printemps, un
vent sec balaie la région de
Deir el-Ahmar dans le nord
de la Békaa (est du Liban), le
thermomètre affiche déjà plus
de 30°.
Au milieu d’un vaste champ
d’une terre d’un rouge profond, un homme dispose en
ligne quelques dizaines de
pieds de vigne « d’appoint ».
« Ils serviront à remplacer les
ceps qui ne survivront pas
au cours des prochains mois
», explique Walid Habchi.
Depuis plus de dix ans, cet
agriculteur libanais de 37 ans
se consacre à la culture de la
vigne au sein de la coopérative
des Coteaux d’Héliopolis.
Lancé en 2000 par Sami
Rahmé, un médecin originaire de la région, avec l’aide
financière du département
français de l’Oise, le projet
vise à remplacer la culture illicite de cannabis par une production viticole et à repeupler
la région qui subit un exode
rural important faute de perspectives d’emplois.
Si l’origine des cultures illicites, cannabis et pavot essentiellement, dans cette région
du Liban n’est pas déterminée
avec exactitude, « dans les années 1920, la culture de cannabis est généralisée dans la partie nord de la Békaa », indique
la chercheure Karine Bennafla dans une étude publiée en
2006. Elle va foisonner pendant la guerre civile jusqu’au
milieu des années 90, quand
une politique d’éradication
est lancée par l’État libanais
sous pression internationale.
Un programme de cultures de
substitution est mis en place,
mais c’est un échec (plus de
détails dans l’encadré).
Selon M. Rahmé, qui cite
une étude réalisée par un
chercheur français en 1998,
la région de Deir el-Ahmar,
soit une dizaine de villages,
possède les conditions idéales
pour la culture de la vigne, du
climat à la nature du sol. Cependant, mis à part quelques
hectares consacrés à la culture
du raisin de table au cours de
la première moitié du XXe
siècle, la région n’avait jamais
vraiment exploité ce potentiel,
sauf à l’époque romaine.
Face à un État absent, le
concept de la coopérative a
rapidement séduit les agriculteurs. « Je terminais ma maîtrise en informatique à l’Université libanaise quand j’ai été
arrêté et emprisonné à cause
de mes champs de cannabis »,
se souvient Walid Habchi,
qui n’aime plus revenir sur
cette époque. « La coopérative
a été une révélation pour moi.
Me lancer dans la vigne allait
me permettre de rester au village et de cultiver un produit
noble et tout aussi rentable
que le cannabis », poursuit
le jeune homme, qui traite la
vigne comme « on doit traiter
une femme, avec tendresse,
affection et attention ».
La patience, clé de la
réussite du projet
Mais la rentabilité reste
un facteur essentiel pour
convaincre les agriculteurs
d’abandonner le cannabis.
Sur ce point, Sami Rahmé
est catégorique : la vigne est
rentable. Pour chaque donom
(1 000 m²) de vigne cultivé,
l’agriculteur perçoit environ
600 dollars de la part de la
coopérative, qui lui assure
l’achat de toute sa production
à un prix supérieur à celui du
marché. « Les acheteurs reconnaissent la qualité exceptionnelle de nos vignobles et
apprécient à sa juste valeur le
label “raisins de culture biologique” délivré à notre production par l’Institut méditerranéen de certification (IMC) »,
explique le responsable de la
coopérative. Ainsi, le kilo de
raisin « Coteaux d’Héliopolis » peut être vendu à un peu
plus d’un dollar à certaines
caves de la région, contre environ 60 cents pour d’autres
vignobles libanais. « La rentabilité d’un champ de cannabis
tourne, elle, aux alentours de
400 dollars par donom pour
l’agriculteur.
Pour Chawki Fakhry, un
ingénieur à la retraite originaire de Deir el-Ahmar, « si
nombreux sont ceux qui hésitent encore à se convertir à
la vigne, c’est parce qu’il faut
investir beaucoup au début
pour apprêter le champ, rembourser les plants avancés par
la coopérative, et compter au
moins cinq ans avant de pouvoir tirer bénéfice de sa production ».
Certains agriculteurs voient
toutefois au-delà de l’aspect
purement financier de la chose.
C’est pour avoir la conscience tranquille que Walid Habchi s’est engagé dans la
vigne en sortant de prison.
« Contrairement à ce que
pourraient penser certains, ici
les gens n’aspirent pas forcément à devenir millionnaires.
Les agriculteurs cultivent du
cannabis car ils n’ont pas vraiment le choix pour survivre »,
explique l’agriculteur. Selon
lui, pour un revenu moyen
de 2 000 dollars par mois,
tous les villageois sont prêts
à abandonner les cultures illicites afin de ne plus avoir à
vivre avec la peur quotidienne
d’être arrêtés ou de voir leurs
champs détruits par l’État. Et
au prix de vente que lui assure
la coopérative pour son raisin,
un agriculteur qui possède un
« petit » vignoble de 40 donoms peut facilement s’assurer ce revenu moyen.
La coopérative permet aussi
aux agriculteurs d’éviter l’obstacle de la superficie. « Avec la
coopérative, il n’est pas nécessaire de posséder d’énormes
surfaces de terrain pour être
rentable, comme c’est le cas
pour la culture de la pomme
de terre ou du tabac, également très répandus dans la
région », explique M. Fakhry.
Du projet viticole
au rêve vinicole
Depuis le début du projet,
la surface dédiée dans cette région à la culture de la vigne a
augmenté de quelque 200 donoms tous les ans pour atteindre aujourd’hui 2 400 donoms
répartis entre environ 275
agriculteurs. Parmi eux, des
agriculteurs musulmans qui
ne rechignent pas à cultiver la
vigne dont le produit finira en
vin. Aujourd’hui, des dizaines
d’autres agriculteurs veulent
se lancer dans l’aventure des
Coteaux d’Héliopolis.
Un engouement que les
responsables, « victimes » de
leur succès, tentent de freiner
temporairement. « Notre rêve
est de mettre complètement
fin à la culture de cannabis et
de cultiver de la vigne sur les
12 000 donoms exploitables »
déterminés dans l’étude menée par le chercheur français
en 1998, souligne Michel
Imad, l’un des responsables de
la coopérative. Jusqu’à l’année
dernière, la majorité de la récolte était vendue à des caves
de la région, « mais le marché
est restreint et si on augmente
de beaucoup la production,
le problème de l’écoulement
se posera tôt ou tard », poursuit-il.
Prête-moi un senior !
En France, la loi Cherpion permet à un grand groupe de prêter un
expert senior à une PME pour l’aider à grandir.
Benjamin LECLERCQ, Monde Académie, France
François Barre n’a pas vu le
temps passer. Sept mois déjà,
qu’il a rejoint Celeste, cette
PME spécialisée dans la fibre
optique et le data center et
basée à Champs-sur-Marne
en Seine-et-Marne (région
parisienne). Il ne lui en reste
donc plus que cinq, et il faudra repartir. François Barre,
55 ans, est ici de passage : un
salarié en « prêt ».
Si la carte de visite que cet
ingénieur présente fièrement
porte le logo de Celeste, sa
feuille de paie, elle, est en
effet estampillée Alcatel-Lucent. Pour un an, d’octobre
2012 à octobre 2013, le grand
groupe a détaché son salarié
dans cette PME de 50 salariés, à la faveur du « Pass’
compétences ».
Ce programme, imaginé en
2011 par Géris, une filiale du
groupe Thales, et l’Agence Régionale de Développement de
Paris Ile-de-France (ARD),
repose sur une idée simple : un
grand groupe prête un expert
senior à une PME pour l’aider
à grandir. Un « prêt » de main
d’œuvre rendu possible par loi
Cherpion de 2011 sur la sécurisation des parcours professionnels, qui encadre la mise à
disposition de personnel.
Le dispositif, dont la gestion
opérationnelle a été confiée
au Pôle Systematic ParisRégion, en est à sa phase de
test. Comme François Barre,
cinq autres cadres seniors de
grands groupes sont actuellement en goguette dans une
PME de la région parisienne.
« Dans notre écosystème
très technique, les PME rencontrent de gros problèmes
d’accès aux compétences »,
explique Armelle Jamault,
chef de projet Compétences
au Pôle Systematic, qui a interrogé 430 PME pour cerner
leurs besoins. « Cette année,
environ 900 postes ne sont pas
pourvus ». Parmi les profils les
plus recherchés : « ingénieurs ;
développeurs ; ou encore “business developer” ».
Manque de compétences
commerciales et de
gestion
La carence n’est pas simplement technique. « Ces startups, souvent créées par des
ingénieurs, manquent de com-
pétences commerciales et de
gestion », souligne Anne Fahy,
directrice accompagnement
des entreprises à l’ARD. Mais
dans les deux cas, « les PME
franciliennes souffrent de la
concurrence des grands groupes au moment de recruter ».
« Dans notre secteur réseautélécom, les jeunes sont soit
mal formés, soit captés par
les grands acteurs, confirme
Frédérique Dofing, directrice
générale de Celeste. L’intérêt
d’un détachement limité dans
le temps ? « Avec François, j’ai
un œil extérieur et expérimenté pendant 1 an ». Une « ressource ponctuelle » qu’elle a
choisi de mettre en appui sur
la commercialisation de son
activité datacenter. « François fait office de ‘super coach’
pour mes commerciaux, et
fait monter l’équipe en compétence ».
Pass’ compétences
Pour autant, la PME
n’aurait pas pu s’offrir les services de François Barre. Dans
le cadre du Pass’ compétences,
la PME s’acquitte de 60 % de
son salaire (part plafonnée à
56 000 euros annuels), et le
Pôle Systematic lui rembourse 20 000 euros. Résultat ? « A
raison de 3 000 euros net par
mois, j’ai quelqu’un d’expérimenté pour le prix d’un junior en License pro », résume
Frédérique Dofing. Les 40 %
restants sont financés par le
grand groupe.
« Oui, le salaire est un véritable obstacle », concède
Ludovic Deblois, PDG de
Sunpartner, PME innovante
dans le secteur de l’énergie
d’origine lumineuse, qui accueille depuis octobre Robert
Monteillier, 57 ans, cadre
de Schneider Electric. Mais
pour cet ingénieur de 35 ans,
la plus-value est bien là. « Il a
pour mission de constituer la
stratégie de la branche ‘Building’ Asie ». Or « il arrive
avec son réseau et des outils
de gestion stratégie marketing : ça nous permet d’aller
plus vite ». Et pour cause :
chez Schneider, Robert Monteillier est directeur marketing d’un service « Building »,
et il a travaillé 20 ans avec la
Chine. Et puis, ajoute Ludovic Deblois, en termes de
management, « les 55/60 ans
sont plus faciles à gérer que les
jeunes, qui visent un poste, un
titre et pensent carrière ».
Changer d’air
Les PME, ce n’est pas une
surprise, y trouvent donc leur
compte. Et les salariés ? Le
détachement se décide sur
la base du volontariat. C’est
d’abord un moyen de changer d’air, comme un retour
aux sources en changeant
d’échelle. « Redonner du peps
à mon parcours », confie Robert Monteillier, 57 ans, dont
une trentaine chez Schneider. « J’occupais un poste très
“corporate”, assez loin... très
loin de l’opérationnel ». Il est
tombé par hasard sur une annonce postée dans l’Intranet
de Schneider. Il postule en
juin, et rejoint Sunpartner en
octobre dernier. Son premier
jour ? « Comme un gamin qui
entre au collège et découvre
tout : je n’avais jamais été dans
une start-up ni une petite entreprise auparavant ».
François Barre, 55 ans,
« directeur partenariat » chez
Alcatel-Lucent, ne se sentait
« pas très “challengé” ». C’est
l’effet « grand groupe » : « avec
les restructurations, vous vous
retrouvez en stand-by, plus
personne ne bouge ». En filant chez Celeste, il trouvait
« intéressant de fréquenter
d’aussi près des créateurs de
valeur ».
Effet grand groupe... et le
blues du senior ? « Dans ces
entreprises, on devient vieux
à 45 ans, à 55 on n’est plus
expatriable, on quitte la liste
des hommes clés », témoigne
Robert Monteillier. Alors
« la motivation s’étiole ».
« Une PME raisonne différemment », affirme François
Barre. « Ici, que je sois senior,
ils s’en fichent ! ». D’ailleurs,
la DG de Celeste s’est rendue
compte que le Pass’ compétences était destiné aux seniors bien après l’arrivée de
François Barre.
Dépaysement
De fait, le dépaysement est
assuré. Il tient en deux mots :
rapidité et prise de risque.
« Ici on monte une stratégie
à 4 ou 5, sur une info fragile,
explique Robert Monteillier :
c’est à la fois insécurisant et
très stimulant ». A l’inverse,
chez Schneider, « il faut un an
de cuisine pour proposer une
vision ». François Barre retient « la rapidité dans la gestion d’un produit innovant » :
« les “process” sont simplifiés
pour pouvoir très vite tester le produit sur le terrain ».
« Chez Alcatel-Lucent, il y a
5 phases pour la sortie d’un
produit… ».
Il y a aussi les petits défis,
aussi : « pas d’assistante », les
mêmes rendez-vous « trois
fois plus difficiles à décrocher » parce qu’on est une
PME, ou apprendre à « transmettre ses compétences » et
pas seulement les exercer.
Quid enfin des grands
groupes ? Air France, Thales
ou Sanofi sont notamment
engagés dans le programme.
Ce n’est pas un moyen de placardiser ses seniors, dément
d’emblée Armelle Jamault
chez Systematic. « Ce n’est
pas non plus de l’intérim ou
de la substitution ». Le détachement peut néanmoins
s’avérer utile dans « des périodes d’activité plus calmes », ou
permettre de « temporiser un
retour d’expatriation, le temps
de trouver un point d’atterrissage au cadre ». La « formation » aussi : pour diriger une
filiale ou un service de taille
modeste, il est intéressant
pour le cadre d’aller piocher
dans la « culture PME ».
La subvention du détachement par Systematic n’est valable qu’un an. A priori le cadre retourne donc au bercail.
« S’il y a histoire d’amour entre le détaché et la PME, on
n’empêchera pas le mariage,
mais ce n’est pas l’objectif ! »,
souligne Armelle Jamault.
A l’issue du détachement, le
salarié bénéficie d’un poste
équivalent, le retour est « hyper sécurisé ».
Prolonger
l’immersion ?
François Barre fera le point
le 10 juin avec Alcatel et Celeste. Robert Monteillier, lui,
retournera chez Schneider
avec plaisir, mais demanderait
bien une rallonge car dit-il,
ces prochains mois, « Sunpartner aura plus besoin de moi »
et qu’il n’aura pas « bouclé
[ses] grands contrats ». Pour
Ludovic Deblois, son patron
chez Sunpartner, une chose
est sûre : avec l’aide des seniors, « plus de start-ups deviendraient des PME ».
Dans la Bekaa (Liban-Est), un agriculteur s’occupant de ses pieds de vigne. Grâce à la coopérative des Coteaux d’Héliopolis, des
planteurs de cannabis se sont convertis à la vigne. Photo Marisol Rifaï
« C’est pourquoi la deuxième phase du projet consiste
en la création d’une cave
pour produire notre propre
vin avec les raisins de nos
vignobles », explique Sami
Rahmé. Ce projet tarde cependant à se concrétiser
faute de moyens, l’arrêt du
financement par le département de l’Oise l’année dernière ayant été un coup dur
pour la coopérative. « C’est à
l’État libanais de se soucier
du secteur agricole, de soutenir des projets innovants
comme le nôtre, mais surtout
de développer l’industrie
agroalimentaire pour transformer les produits agricoles
qui sont par définition périssables et qui ont du mal à
être écoulés sur des marchés
trop instables », martèle M.
Rahmé.
Ne se laissant pas décourager, la coopérative a loué
des caves dans la région pour
produire son propre vin, un
rouge baptisé « Domaine des
Cèdres », qui est ensuite revendu à l’étranger grâce à un
accord avec l’association de
commerce équitable FairTrade. « Nous avons déjà exporté
25 000 bouteilles au Japon et
nous avons une commande
de 15 000 bouteilles pour la
Suède et de 300 000 bouteilles pour l’Angleterre »,
rapporte M. Rahmé.
Walid Habchi, lui, n’a pas
voulu attendre la cave de la
coopérative. L’agriculteur et
un associé, Charbel Fakhry,
également originaire de
Deir el-Ahmar, ont lancé
la construction de leur propre cave, « Couvent rouge »,
qu’ils espèrent inaugurer dès
l’année prochaine.
Voir aussi la vidéo associée à
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Échec du programme de substitution des cultures illicites
La Békaa, grande plaine de l’est du Liban,
est souvent associée à la culture du cannabis. C’est durant la guerre civile libanaise
(1975-1990), que la culture du cannabis,
mais aussi du pavot, explose dans cette
région. En 1991, les cultures illicites couvrent près de 80 000 hectares, elles font
travailler 54 000 personnes sans compter
les saisonniers et rapportent environ 100
millions de dollars par an.
Sous la pression internationale, des opérations d’éradication sont lancées en 1995
par l’armée libanaise et les forces syriennes qui occupent le pays. Un programme
de cultures de substitution (safran, coton,
câpres) et un bureau de l’ONU sont mis
en place, mais l’échec est cuisant. Selon
plusieurs rapports, les problèmes sont
de divers ordres : les cultures de substitution sont proposées sans véritables
études préalables ; sur les 55 millions de
dollars promis par les bailleurs de fonds,
seuls 12 millions sont versés ; une partie
substantielle de l’aide s’est évaporée en
frais de mission et d’expertise. Avec ce
programme, la situation des agriculteurs
s’est souvent aggravée : non seulement ils
n’ont pas reçu d’aides financières, mais
ils ont souvent dû s’endetter pour suivre à
marche forcée la diversification agricole.
D’où un retour de certains à la culture du
cannabis.
Source : Le développent au péril de la
géopolitique : l’exemple de la plaine de la
Békaa (Liban), Karine Bennafla, Géocarrefour, vol. 81/1 – 2006)
Quand le téléphone mobile
fait circuler l’argent
En Inde, une start-up a créé des « banques virtuelles » pour faciliter
le transfert d’argent par les travailleurs migrants.
Natacha BUTLER, Sparknews, Inde
Il est encore tôt dans cette petite rue agitée et poussiéreuse,
mais la boutique de téléphonie
mobile de Jitender Goyal est
déjà remplie de clients. Serrant dans sa main une liasse
de roupies froissées, Mohammed Sami Alam, conducteur
de rickshaw, se faufile à travers
la masse compacte jusqu’au
comptoir. Mohammed n’est
pas là pour faire des achats.
Comme tous ceux qui attendent leur tour, c’est un travailleur migrant venu envoyer
de l’argent à sa famille depuis
cette boutique de quartier qui,
ces quatre dernières années, a
déployé en parallèle la fonction
de banque virtuelle.
Mohamed tend sa carte
d’identité, les 2 100 roupies (37
dollars) qu’il souhaite déposer,
et le numéro d’un compte en
banque enregistré dans son téléphone portable. Le commerçant vérifie la pièce d’identité,
encaisse la somme et tape d’une
main expérimentée les coordonnées du compte bancaire
sur un mobile spécial, relié à la
banque partenaire du magasin,
State Bank of India. Quelques
minutes plus tard, Mohammed
reçoit un sms l’informant que
le dépôt a bien été effectué.
Cela fait trois mois que Mohammed fréquente le magasin de Goyal pour envoyer de
l’argent à sa mère, agricultrice
dans l’Etat du Bihar, au Nord
du pays. « Je travaille à Delhi
depuis 16 ans, et auparavant, je
confiais toujours l’argent à un
coursier », explique-t-il. « Mais
c’est cher, ils prennent 5 % [de
commission, ndlt] et la transaction peut prendre jusqu’à
dix jours. »
Dans le magasin de Goyal,
le virement est instantané. « Et
ils ne prélèvent qu’1 %, ajoute
Mohammed. Ma mère récupère l’argent à la banque, à un
kilomètre de chez elle. »
D’ici 2014, 97 % de la
population possèdera un
téléphone mobile
La boutique de Goyal est
l’une de ces 1200 banques virtuelles – ou points de service
clientèle – en Inde, gérées par
la start-up EKO India Financial Services.
EKO est née en 2007 de
l’initiative de deux frères, Abhishek et Abhinav Sharma.
Les deux entrepreneurs ont
saisi le potentiel que recelait ce
public représentant près de la
moitié d’une population d’1,2
milliards d’individus au total,
qui ne possède pas de compte
en banque mais qui, pour la
plupart, est dotée d’un téléphone mobile.
Une grande partie de la
population indienne vit dans
des régions rurales, loin d’une
agence bancaire ou d’un distributeur automatique. D’autres
encore, du fait de la pauvreté et
de l’illettrisme, rencontrent des
difficultés à gérer les formalités
nécessaires à l’ouverture d’un
compte en banque.
Malgré cela, chaque mois,
des millions d’Indiens souscrivent à des abonnements téléphoniques. Les statistiques
sont stupéfiantes : selon la société d’étude de marché iSupply, d’ici à 2014, 97 % de la population du pays sera détentrice
d’un téléphone mobile.
Les frères Sharma se sont
inspirés de projets semblables
déjà en place dans des pays
comme le Kenya ou les Philippines. Ils ont donc adapté
la technologie utilisée dans le
rechargement de comptes de
téléphonie mobile par cartes
prépayées pour mettre au point
leur propre logiciel bancaire.
« Lorsqu’il souhaite recharger son crédit téléphonique,
le client se rend au point de
vente le plus proche, paie 500
roupies, et reçoit un sms lui
indiquant que le compte a été
crédité de la somme, explique
Abhinav Sharma lors d’une interview au siège d’EKO, près
de Delhi. D’une certaine façon, il s’agit d’un dépôt sur un
compte prépayé ».
L’économie indienne a
connu un véritable essor ces
vingt dernières années, mais
les banques ne se sont pas intéressées aux marchés ruraux
modestes, négligeant des centaines de millions de citoyens
« non bancarisés » et préférant
se concentrer sur les citadins,
plus solvables et constitutifs
d’un marché plus lucratif.
Selon Mudita Tiwari, chercheuse au Centre de microfinance de Chennai, qui a
étudié le modèle d’EKO, « les
pauvres ont une forte volonté
d’épargner et ont inventé des
moyens innovants pour le faire
chez eux. Il suffit donc de leur
présenter les services et produits adéquats pour pouvoir les
intégrer. »
Partenariat avec les trois
principaux créanciers
indiens
Les frères Sharma ont commencé par une offre de services financiers à la population,
extrêmement nombreuse, des
travailleurs migrants de New
Delhi, à savoir 4 millions d’individus sur une population totale de 18 millions. La plupart
occupe des emplois faiblement
rémunérés et envoie son épargne à sa famille via des amis ou
des proches, ou par de coûteux
coursiers.
Le grand défi suivant a
consisté à convaincre les banques traditionnelles de conclure un partenariat avec eux. « Ce
fut difficile, confie Sharma.
Nous tentions de mettre en
œuvre quelque chose de nouveau en Inde, à savoir des services financiers accessibles à
partir d’un téléphone portable
tout simple, et non un Blackberry sophistiqué. »
Aujourd’hui, les deux frères
ont signé un partenariat avec
les trois principaux créanciers
indiens, State Bank of India,
ICICI et Yes Bank.
L’étape suivante visait à entrer en contact avec les petits
commerçants des quartiers à
forte population de travailleurs
migrants. Les deux entrepreneurs ont pu constater qu’il
s’agissait souvent de membres
respectés de la communauté,
et qu’ils seraient en mesure
d’expliquer le fonctionnement
d’EKO à leurs clients.
Dans son magasin de Delhi
Sud, Goyal nous confie qu’il
jouit du prestige d’être associé à
la plus grande banque publique
du pays, State Bank of India.
C’est également avantageux car
il touche un petit pourcentage
sur chaque transaction, et il a
vu sa clientèle augmenter.
« Lorsque je ne vendais que
des téléphones, je recevais 60 à
70 clients par jour », estime-t-il.
« A présent, j’en vois passer plus
d’une centaine. » En moyenne,
il traite environ 500 000 roupies (8 862 dollars) par jour en
envois de fonds EKO.
Trois millions d’usagers
Cinq ans après son lancement, EKO compte trois millions d’usagers, principalement
à Delhi, Mumbai, et dans les
Etats du Bihar et de l’Uttar
Pradesh. La société gère environ 1,5 million de dollars par
jour. La plupart des clients
continue à recourir à ce service uniquement pour effectuer des envois de fonds, mais
près d’une personne sur cinq
est allée plus loin, ouvrant un
compte en banque et utilisant
son téléphone portable pour
effectuer des dépôts.
Les dirigeants d’EKO ont
maintenant le projet d’ouvrir
de telles banques virtuelles
dans l’ensemble des grandes
villes d’Inde. Ils envisagent
d’étendre leur réseau aux zones
rurales afin que les destinataires des sommes d’argent puissent aller les chercher dans leur
propre magasin de quartier. Ils
vont jusqu’à imaginer de créer
d’autres services, tels que des
produits d’assurance, qui pour
le moment ne sont pas aisément accessibles aux personnes
modestes.
Grâce à leur réussite, les
frères Sharma sont considérés
comme des modèles d’innovation sociale. Bill Gates leur
avait rendu visite dans leurs
bureaux il y a quelques années.
« Un tel projet est une fantastique opportunité, estime
Abhinav. Cela offre une plus
grande liberté aux gens, et nous
remplit de satisfaction chaque
fois qu’un client vient nous
voir au bureau pour nous dire
qu’il est content de ce service et
nous en remercie. »
Voir aussi la vidéo associée à
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watch?feature=player_
IV
Avec FERN, les restaurants se
mettent au tri et au recyclage
Trier les restes dans les restaurants de Beyrouth, il fallait y penser.
La jeune ONG FERN est la première à cibler ce secteur, par son
initiative de collecte et de compostage des déchets organiques.
samedi 22 juin 2013
Alimentation : une autre relation
producteur-consommateur est possible
Aller chercher sa nourriture directement à la ferme, rencontrer
des gens sympa ou même organiser soi-même la chaîne de
commercialisation régionale – trois exemples très différents de la
façon dont paysans et consommateurs se rapprochent à nouveau
suite à plusieurs scandales alimentaires en Allemagne
Annette JENSEN, Die Tagezeitung, Allemagne
Grâce à Fern, plusieurs restaurants de Beyrouth ont désormais deux poubelles, une pour les déchets organiques, l’autre pour les
déchets recyclables.
Suzanne BAAKLINI, L’Orient-Le Jour, Liban
Dans la cuisine du restaurant Tawlet à Mar Mikhaël
(Beyrouth), on voit désormais
deux poubelles plutôt qu’une :
l’une, avec un sac bleu, consacrée à tous les produits recyclables (verre, plastique...), et
l’autre, avec un sac noir pour
les déchets organiques (restes
d’aliments principalement).
Si le personnel de ce restaurant, qui propose une cuisine
du terroir, s’est habitué à trier
ainsi les déchets, c’est qu’il y
a été formé. « Il n’est pas plus
difficile ni plus long de jeter
les déchets dans deux poubelles différentes, il s’agit simplement de s’y habituer, souligne
Nabil Abbas, directeur du
restaurant. Il a fallu quelques
semaines à notre équipe pour
acquérir les bons réflexes. »
Le personnel de Tawlet,
ainsi que celui d’une dizaine
d’autres restaurants de la capitale ont été formés au tri
à l’initiative d’une nouvelle
ONG, « Food Establishment Recycling Nutrients »
(FERN), qui vient d’être lancée par ses deux co-fondateurs
Meredith Danberg-Ficarelli
et Naji Boustany, en novembre dernier. « Le Liban vit
dans une perpétuelle crise de
déchets, explique Meredith.
Le territoire est exigu, il ne
sera pas possible de multiplier
les décharges à l’infini. Il faut
trouver des solutions plus durables pour réduire les déchets
à la source. »
Voilà pourquoi, depuis
quelques mois, la jeune Américaine diplômée en gestion
durable à New York, débarquée au Liban pour un simple
stage qui se prolonge en séjour en bonne et due forme, et
le jeune Libanais, ancien manager de restaurant, s’attellent
à la tâche de convaincre les
directions de restaurant du
bien-fondé de leur démarche
de tri, compostage et recyclage. Avec un don de l’ambassade de Grande-Bretagne, ils
ont pu mettre leur projet sur
les rails, en attendant qu’il devienne rentable.
Le processus est le suivant :
dès qu’un restaurant accepte
de faire partie de la liste de
FERN, Meredith et Naji
effectuent une analyse de la
situation (combien
de déchets générés par jour, quelle
possibilité de réduction...). Ils se chargent ensuite d’une
première formation
rapide du personnel
au principe des deux
poubelles.
« Nos
meilleures réussites, c’est quand le
directeur et le chef
de cuisine sont tous
deux convaincus et
impliqués, affirme
Naji Boustany. En fait, ils se
rendent compte que le processus est simple. »
L’ONG assure ensuite le
suivi : visites impromptues
pour évaluer le degré de sérieux du tri (il est important
qu’il n’y ait pas d’erreur parce
que la qualité du futur compost en pâtirait) et collecte
des poubelles. FERN dispose
en effet d’un véhicule de collecte et d’un centre où l’ONG
opère un tri supplémentaire
des déchets recyclables, afin
de séparer le verre, du plastique, etc. Les déchets organiques sont ensuite acheminés
vers les centres de l’entreprise
« Cedar
Environmental »,
qui propose un compostage
rapide, suivant un accord
avec l’ONG. Pour alléger les
charges, FERN demande aux
restaurants une contribution à
leur convenance.
Enfin, FERN fait aussi parvenir les plats non consommés à la Banque alimentaire
libanaise.
Réduire les déchets
d’un million de tonnes
par an ?
Si les deux jeunes gens s’intéressent de près au secteur de
la restauration, c’est qu’il s’agit
de l’un des grands acquéreurs
« Le Liban vit dans une perpétuelle
crise de déchets. Le territoire est
exigu, il ne sera pas possible de
multiplier les décharges à l’infini.
Il faut trouver des solutions plus
durables pour réduire les déchets
à la source. »
de produits agricoles et, par
conséquent, de producteurs de
déchets organiques. Or les déchets organiques revêtent une
importance particulière, selon
Naji. « Le Liban produit 1,6
million de tonnes de déchets
par an, dont plus de 60 % sont
organiques, souligne-t-il. Si
on se met en tête de composter les déchets organiques, il y
a un potentiel de réduire cette
quantité d’environ un million
de tonnes ! »
« Il faut savoir que les produits recyclables ont une valeur, mais également les restes
d’aliments, explique pour sa
part Meredith Danberg-Ficarelli. L’agriculture moderne a
recours aux engrais chimiques
qui contiennent un taux très
Meredith Danberg-Ficarelli et Naji Boustany, les fondateurs de Fern, une ONG libanaise qui
sensibilise les restaurants au tri des déchets pour le recyclage.
Les déchets au Liban, une crise ingérable
Des dépotoirs côtiers qui s’effondrent en
mer, une décharge principale (à Naameh)
sursaturée et pourtant en pleine expansion
faute d’alternative, des débats à chaque
date de renouvellement des contrats de
l’État avec des sociétés privées (auxquelles on a accordé des monopoles dans les
différentes régions libanaises)... autant dire
que le Liban est confronté à une crise de
déchets qui ne date pas d’hier.
Pour un pays où 60 % au moins des déchets sont de nature organique (selon les
régions), le compostage (transformation
des restes organiques en compost, qui est
un enrichisseur de sol) semble une option
élevé d’azote. Quand il pleut,
tout cet excédent d’azote se
retrouve à la mer, charrié par
les eaux de pluie. Cela réduit
le taux d’oxygène dans l’eau,
favorisant l’apparition d’algues et l’extinction d’autres
espèces. On constate ainsi des
zones complètement mortes
comme aux États-Unis dans
le Mississippi ou ailleurs. Or
utiliser les déchets organiques
pour en faire du compost (un
enrichisseur de sol) et remplacer les engrais chimiques, au
moins en partie, permettront
de faire d’une pierre
deux coups : réduire
les déchets à la base
et promouvoir une
agriculture
plus
saine. »
Naji
Boustany
ajoute : « Ce qui
justifie d’autant plus
notre action, c’est
qu’au Liban, un lien
étroit existe entre
les
restaurateurs
et les agriculteurs,
puisque les premiers
s’approvisionnent
directement chez les seconds,
utilisant bien moins de produits industrialisés que dans
d’autres pays. »
inévitable. Pour autant que le tri soit effectué à la source.
Actuellement, les foyers et les entreprises
qui opèrent le tri et envoient leurs ordures au recyclage le font sur une initiative
personnelle. À part les bennes de recyclage
posées dans certaines rues par la société
chargée par l’État de collecter et traiter les
déchets du Grand Beyrouth (une action
qui n’a jamais été accompagnée de la
campagne de sensibilisation nécessaire),
toutes les initiatives allant dans ce sens sont
strictement privées et associatives, prises
par des ONG telles que FERN et TerreLiban (cette dernière collecte les déchets
Une fois par semaine, il règne une activité intense à la
ferme Buschberghof, à une
demi-heure de voiture à l’est
de Hambourg : des gens remplissent leurs coffres de fruits
et légumes variés, de pain, de
lait, de fromage et de viande.
Ils font la causette et repartent sans passer à la caisse.
« Le flux d’argent et le flux de
marchandises sont complètement séparés chez nous », dit
Karsten Hildebrandt, qui gère
avec cinq autres paysans l’exploitation Demeter (Le label
Demeter est un label de certification de produits issus de
l’agriculture biodynamique).
Ici, rien n’est pesé ou emballé : chacun reçoit ce dont
il a besoin et que la ferme a à
offrir à ce moment.
Une fois par an, les agriculteurs calculent de combien
d’argent ils ont besoin dans
les douze prochains mois
pour produire des aliments
pour 300 à 350 personnes et
pour entretenir le bâtiment
et les machines. Le dernier
dimanche de juillet a lieu une
grande rencontre dans la cour
: le président de séance distribue des bulletins ornés d’un
cheval et d’une charrue et celui qui veut être approvisionné
l’année suivante doit noter le
montant mensuel qu’il veut et
peut donner. « Pour ceux qui
n’ont pas d’imagination, il y a
une valeur indicative de 150
euros par mois par adulte et
de 70 euros par enfant », dit le
trésorier de longue date Wolfgang Stränz. Si l’on ne parvient pas à réunir la somme
lors du premier tour, les personnes présentes sont priées
de décider à nouveau ; en général les 350 000 à 400 000
euros nécessaires sont alors
réunis.
Annemaria et Wolfgang
Heitmann reçoivent de-
puis de longues années plus
de 80% des aliments qu’ils
consomment de la ferme Buschberghof ; il n’y a que les
pâtes, le riz, le café et le thé
qu’ils achètent en plus. « Les
légumes sont délicieux et on
remarque ce qu’il est normal
de manger chaque saison. Et
si les schnitzels sont petits,
ils sont on ne peut plus exquis », dit Annemaria, 66 ans.
Elle est heureuse de savoir
comment et où a poussé ce
qu’elle fait cuire dans son faittout. Quant à son mari, il n’a
plus l’appétit coupé comme
autrefois, quand il travaillait
comme programmeur dans
un abattoir et qu’il avait appris
comment on fumait la viande
congelée à plusieurs reprises
pour lui donner du peps.
Chez les Heitmann, la
station de distribution pour
quatre familles se trouve dans
la cabane à outils ; et chacun,
à tour de rôle, se rend à la
ferme. D’autres groupes organisent la livraison autrement.
« Avoir seulement à m’occuper de l’agriculture et ne pas
devoir me prendre la tête avec
la distribution, pour moi c’est
un grand luxe », dit Eva Otterbach, responsable au Buschberghof du petit troupeau
d’Angler Rotvieh, une race
bovine pratiquement disparue. Les animaux ne donnent
certes pas même la moitié de
la quantité de lait que produisent des vaches à haut rendement, mais sont en revanche
bien adaptés aux conditions
climatiques du nord de l’Allemagne, et leur lait se prête
remarquablement bien à la
fabrication du fromage.
Pendant des années, le
Buschberghof était unique
en son genre en Allemagne.
Aujourd’hui, plus de 30 exploitations fonctionnent de
cette façon, et une douzaine
« Nous sommes
tous responsables »
Au-delà des restaurateurs,
les deux militants visent le
grand public, « qui doit comprendre combien coûte à la
société le mauvais traitement
des déchets ». Malgré les embûches, ils ne perdent pas espoir car, selon eux, « la plupart
des gens sont conscients qu’il
y a un problème, mais ne savent pas qu’il existe des solutions durables ».
Et pour sensibiliser le public, quoi de mieux que de
s’adresser à la clientèle des
restaurants ? Une fois par
mois, les deux jeunes gens
organisent, à Tawlet où leur
aventure a commencé, une
soirée de collecte de fonds
qu’ils utilisent à bon escient
pour s’adresser directement au
public. Nous avons demandé
à Kamal Mouzawak, fondateur de Souk el-Tayeb (le célèbre marché fermier qui gère
Tawlet), s’il pensait que le tri
au restaurant est une bonne
idée. Sa réponse : « Ce n’est
pas une bonne idée, c’est une
action désormais nécessaire.
Nous devons devenir responsables de nos actes. Même en
tant que clients, il est impératif de savoir ce que notre repas
a coûté à l’environnement,
comment fonctionne l’équipe
qui nous sert, si des animaux
ont été maltraités dans le
processus... »
recyclables de certains foyers et entreprises
depuis plusieurs années déjà). Aucune initiative à l’échelle de l’État, et aucun moyen
de connaître exactement le taux national de
foyers et d’entreprises qui font du recyclage.
De son côté, le gouvernement a opté, contre
l’avis de nombreux militants écologistes, pour
la technologie de « Waste to Energy » dans
les grandes villes, qui consiste à produire de
l’énergie au moyen des gaz récupérés lors
de l’incinération. Le projet n’a pas encore été
adopté officiellement à ce jour.
Une campagne intitulée « Zéro déchet » a
été lancée par plusieurs associations pour
lui faire face.
Dans les exploitations labélisées Demeter, certification de
produits issus de l’agriculture biodynamique, les fruits sont bons
et de saison.
d’autres vont s’y ajouter cette
année.
Coopérative « Tagwerk »
Dans le sud du pays, un
projet-modèle suscite l’enthousiasme. Cela a commencé il y a quelques années dans
la ville bavaroise de Dorfen, à
l’est de Munich. Un paysan
et quelques habitants se sont
réunis car ils voulaient pouvoir « à nouveau voir plus loin
et assumer la responsabilité »
de leurs propres actes, comme
il est écrit dans les statuts de
la coopérative « Tagwerk ».
Aujourd’hui,la
coopérative
réunit plusieurs centaines de
consommateurs et cent producteurs, des paysans aux
fabricants de fromage, en
passant par le meunier. Sur
chaque emballage est indiqué avec précision d’où vient
le produit. Les marchandises
ont livrées dans des magasins
spéciaux « Tagwerk » dans les
villages alentours, ainsi que
sur des marchés hebdomadaires et dans des magasins
bio et de produits régionaux
à Munich. La coopérative
réalise un chiffre d’affaires de
près de cinq millions d’euros
par an, emploie 39 personnes
et est un facteur économique
important sur place.
Pour beaucoup de sociétaires de « Tagwerk », il ne s’agit
pas seulement de soutien à la
production alimentaire régionale mais aussi de plaisir et de
qualité de vie personnelle.
« Ce sont tous des gens
amusants et intéressants. »
C’est ainsi qu’Inge Asendorf,
directrice depuis de longues
années, justifie pourquoi elle a
abandonné une carrière scientifique pour travailler à « Tagwerk ». De nouveaux projets
voient le jour sans arrêt : un
sociétaire a écrit d’amusants
livres de cuisine de saison,
l’ancien directeur de banque
Rudolf Oberpriller organise
des randonnées à vélo pour
visiter les fermes et a inventé
une véloroute du bio à travers
l’Allemagne. « Mon ancien
travail était totalement stupide. Dans un réseau comme
le nôtre on n’a pas besoin de
beaucoup d’argent pour mettre sur pied quelque chose qui
a vraiment du sens », dit-il.
La Regionalwert AG
Des modes alternatifs de consommation sont possibles.
Une troisième, et l’une
des plus grandes formes de
communauté
consommateurs-producteurs, est la
Une alternative au « hard discount »
Œufs à la dioxine, viande avariée, maladies
graves causées par des bactéries – de plus
en plus de gens en ont assez des scandales alimentaires à répétition et veulent
savoir d’où vient ce qui se trouve dans leurs
assiettes. Plusieurs genres de communautés
producteurs-consommateurs ont vu le jour.
Elles veulent proposer une alternative à la
mode du « pas cher », ou « hard discount
» qui règne aujourd’hui. En Allemagne, les
gens dépensent très peu pour la nourriture
: 13% du budget d’un ménage y sont en
moyenne aujourd’hui consacrés. Beaucoup
de ceux qui gagnent bien leur vie achètent
aussi du lait, des légumes et de la charcuterie dans les enseignes de hard-discount
comme Aldi et Lidl, qui représentent désormais une part de marché de 42% et forcent
leurs fournisseurs à produire toujours moins
cher. C’est ainsi que la plupart des fermes
Regionalwert AG (Une Aktiengesellschaft (AG) est
une société par actions), que
Christian Hiss a fondée il y a
sept ans à Fribourg, ville traditionnellement verte sur le plan
politique. Jusqu’à l’an 2000, sa
ferme Demeter, qui comme
le Buschberghof fonctionne
en tant qu’organisme fermier
fermé, lui permettait de bien
vivre : il y avait des poules et
un petit troupeau de vaches, il
y poussait des radis et des navets, des salades et du céleri,
des haricots et des petits pois.
Hiss, en outre, a toujours produit lui-même une partie de
ses semences. Mais quand les
producteurs de masse se sont
mis à proposer des légumes
bio aux supermarchés, la situation des paysans bio traditionnels est devenue de plus
en plus difficile.
« Dans une ferme qui cultive
70 sortes de légumes, les coûts
de production pour un kilo de
carottes bio s’élèvent peutêtre à deux euros. Une exploitation bio qui cultive uniquement des carottes a seulement
des coûts de 80 cents », explique Hiss. C’est pourquoi il a
fondé la Regionalwert AG et
y a apporté la participation de
sa propre exploitation en premier. Depuis sa création, l’entreprise a non seulement des
parts dans plusieurs fermes,
exploitations horticoles et
domaines viticoles, mais aussi
dans une entreprise de traiteur bio et dans quelques lieux
de vente. Comme les marges
bénéficiaires pour les artisans
et les vendeurs sont plus grandes que pour les exploitations
agricoles, la chaîne de commercialisation est viable sur le
plan économique.
Près de 500 actionnaires
ont désormais des parts d’un
montant variant entre 500 et
150 000 euros dans la Regionalwert AG et un montage
spécial empêche que l’entreprise puisse passer sous
le contrôle d’un gros investisseur. Les dividendes que
reçoivent les participants ne
consistent pas seulement à
pouvoir savourer des aliments
sains cultivés dans les alentours, mais aussi à maintenir
un paysage culturel constitué de petites exploitations.
L’exemple fait désormais école : à Munich et à Francfort,
des sociétés par actions bio
sont en train de voir le jour.
(Traduction : Annabelle Georgen)
sont absorbées par les grandes exploitations
qui misent sur les monocultures et l’élevage
intensif, se conformant au marché mondial.
Vu que la nourriture est tellement bon marché, on ne la traite pas avec précaution.
C’est ce que révèle une étude du ministère
de l’Agriculture datant du début de l’année:
rien que dans les foyers allemands, 82 kilos
de nourriture par habitant atterrissent donc
à la poubelle chaque année.
V
samedi 22 juin 2013
Dans les prisons libanaises,
les détenus renouent avec la vie
Plus de 500 détenu(e)s ont bénéficié à ce jour des ateliers de dramathérapie, d’art et de
culture, organisés par l’ONG Catharsis.
Nada MERHI, L’Orient-Le Jour, Liban
Une frénésie règne en cette
matinée de mai à la prison
centrale de Roumieh, à l’est
de Beyrouth. Plusieurs dizai-
nes de détenus, dont certains
sont condamnés à perpétuité,
s’apprêtent à recevoir des invités de marque : les frères
Chéhadé, musiciens et chanteurs, Rabih Abou Serhal,
violoniste, et Michel Eléftériadès, fondateur et propriétaire d’Elefrecords.
Cette visite constitue un
événement en soi pour les
détenus de Roumieh, une institution carcérale surpeuplée,
initialement conçue pour recevoir 1 500 personnes, mais
qui en abrite plus de 3 500,
selon un rapport du Centre
libanais des droits humains. À
Roumieh, comme dans l’ensemble des prisons du Liban,
les journées se ressemblent et
s’étirent en longueur entre des
murs défraîchis et dans une
ambiance morose qui baigne
dans le gris. Le contact avec
le monde extérieur est quasi
inexistant, se réduisant aux
simples rencontres avec les
familles et les avocats.
Cette journée de mai
constitue toutefois une de ces
exceptions que les prisonniers
attendent impatiemment. Les
artistes ont en fait répondu
présent à l’invitation que leur
avait adressée l’ONG Catharsis, une association à but
non lucratif spécialisée dans la
dramathérapie au Liban et au
Moyen-Orient, pour inaugurer la nouvelle salle d’activités.
Il y a cinq ans, ce quotidien
sinistre a changé pour de
nombreux prisonniers grâce
à la dramathérapie (thérapie
par le biais du théâtre) introduite à la prison, en 2008,
par Zeina Daccache, actrice,
dramathérapeute et directrice
exécutive de Catharsis. Un
projet qui a permis à ses bénéficiaires de se réconcilier avec
eux-mêmes.
« Zeina nous a restitué notre humanité », affirme ainsi
Atef, qui déplore « la négligence, la marginalisation et
la routine dont nous souffrons ici. » « Pour les gens,
nous sommes des criminels et
avons reçu le châtiment que
nous méritons, poursuit-il. La
dramathérapie nous a permis
de prendre conscience de notre situation en tant qu’êtres
humains. Même les invités
de Zeina finissent par porter
sur nous un regard différent...
bienveillant. »
« La société est sévère à notre égard, renchérit Ali. Elle
met tous les prisonniers dans
un même sac et se presse de
porter des jugements, sans
même prendre la peine de se
demander si, parmi ces “criminels”, ne se trouvaient pas
des personnes arrêtées injustement ou même des criminels qui n’attendent qu’une
chance pour changer. »
Pour Khalil, condamné à
cinq ans de prison, le changement est venu par le biais de
ces ateliers. « La dramathérapie m’a permis de renouer
avec moi-même, puis avec ma
famille que je refusais de voir
depuis des années, confie-t-il.
Les toutes premières fois, les
activités me semblaient bizarres. J’y participais, parce que
je n’avais rien d’autre à faire.
C’était un passe-temps, mais
j’ai rapidement réalisé le sérieux de ces ateliers et au fil
des sessions, j’ai commencé à
me sentir mieux. J’ai appris à
dire “nous” et à penser en tant
que communauté, non en tant
qu’individu. »
De Roumieh à Baabda
La première année de dramathérapie à Roumieh a été
couronnée par la présenta-
Les « Schéhérazade » dans leur « Royaume » à Baabda. tion, dans l’enceinte même de
la prison, de la pièce 12 Libanais en colère (une adaptation
libre de Twelve Angry Men
de Reginald Rose), qui a mis
l’accent principalement sur les
problèmes et les revendications des prisonniers. Celle-ci
a été largement applaudie et
le documentaire du specta-
cle – réalisé à la demande de
nombreux auditeurs ayant
exprimé le souhait de découvrir les « coulisses » de la pièce
– récompensé dans de nombreux festivals internationaux
du film.
Cette expérience « positive »
a poussé la dramathérapeute à
la transposer à la prison des
femmes à Baabda, à l’est de
Beyrouth, à la demande des
prisonnières impressionnées
par le travail des détenus
hommes. Quarante femmes
ont ainsi pu profiter dès 2011
de ces ateliers qui ont été clôturés par la présentation, l’an
dernier, de Schéhérazade, un
spectacle inspiré des 1 001
nuits passées dans le « Royaume » des détenues à Baabda,
et qui reflète « l’ambiance des
1 001 détentions ».
A l’instar de leurs « confrères » de Roumieh, ces femmes
évoquent elles aussi une « renaissance », une « volonté de
changer » et
une « liberté ».
« Pour la première fois de
ma vie, je sens
l’humanité
dans les yeux
des
autres,
constate Fatma. Ils ont
peut-être réalisé que je ne
suis pas qu’une
“méchante criminelle”, mais
une
femme
victime d’injustice. »
Même son
de cloche chez
Mariam, accusée d’avoir
passé
sous
silence le parricide commis
par son fils. « La dramathérapie m’a appris l’importance
de faire entendre ma voix,
d’autant que j’avais l’habitude
de me taire n’osant même
pas dénoncer mon mari qui
me violentait et qui abusait
sexuellement de mon fils et de
ma fille, admet-t-elle. C’est
entre ces murs que j’ai appris
le sens de la liberté. »
Photo Dalia Khamissy / Catharsis-LCDT
sons. « La dramathérapie figure désormais au nombre des
activités mentionnées dans la
loi 463 pour la réduction des
peines, annonce-t-elle. C’est
l’un des nombreux critères que
les juges prennent en considération pour étudier le dossier
des prisonniers qui sollicitent
une réduction de leur peine. »
« Je suis convaincue qu’il ne
faut pas mettre de barrières à
l’art et à la culture, poursuitelle, après un moment de silence. Toutes les couches de
la société doivent y avoir accès,
même les plus marginalisées
d’entre elles. Qui a dit que le
théâtre ne peut être joué que
sur les scènes conventionnelles, et que les prisonniers doivent être privés de théâtre et
de thérapie, alors qu’ils en ont
le plus besoin ? Quoi de mieux
que d’allier ces deux disciplines
pour leur venir en aide ! »
L’implication de Zeina
Daccache dans les prisons ne
se limite pas
à la dramathérapie. La
jeune femme
a organisé une
session de maquillage artistique pour les
prisonnières
au terme de
laquelle
ces
dernières ont
reçu un diplôme certifié
de l’État. Son
ONG
tient
également un
club de lecture
à la prison de
Baabda.
À Roumieh,
certains détenus ont suivi
une session de
drumtherapy
(thérapie par l’apprentissage
du djembé). Plus de soixantedix autres bénéficient de l’atelier de bougies. « Catharsis
assure la vente des bougies et
les revenus sont entièrement
versés aux prisonniers », assure Zeina Daccache. Et de
conclure : « Mon plus grand
souhait, c’est d’assurer la durabilité du projet. J’aimerais
que la dramathérapie fasse
partie intégrante d’un projet
national pour la réhabilitation des prisonniers et que ces
ateliers soient organisés dans
l’ensemble des institutions
carcérales du pays. »
« La dramathérapie
nous a permis de
prendre conscience
de notre situation
en tant qu’êtres
humains. Même
les invités de
Zeina finissent par
porter sur nous un
regard différent...
bienveillant. »
Durabilité du projet
Répétitions, à la prison de Roumieh, du spectacle « 12 Libanais en colère » monté par Zeina Daccache (en haut). Photo Dalia Khamissy / Catharsis-LCDT
Engagée depuis son adolescence dans l’œuvre sociale,
Zeina Daccache ne cache pas
sa fierté de constater l’ampleur
de son action au sein des pri-
Justice réparatrice : Quand victimes
et criminels se parlent
Née au Canada, la justice restaurative s’est développée dans les communautés
protestantes dès les années soixante dix, car « pour les protestants, la souffrance n’est
pas rédemptrice, elle ne suffit donc pas à envisager l’après procès ».
Pascale ROBERT-DIARD, Le Monde, France
A quelques fauteuils d’écart,
dans le décor majestueux de la
1re chambre de la cour d’appel de Paris, un homme et
une femme se parlent. Sa voix
à elle est douce, sereine. Ses
mots à lui sont hésitants, pudiques, émus. Elle ne le quitte
pas des yeux, il puise dans son
regard la force de poursuivre.
Marie-José est la mère
d’une fillette de 10 ans qui, en
1988, a été kidnappée, violée
et tuée. Gaetan est un détenu
aujourd’hui en semi liberté
qui, lorsqu’il était âgé de 22
ans, a tué un homme et a été
condamné à 25 ans d’empri-
sonnement. L’un et l’autre
sont venus témoigner, ce
28 novembre
2012 au palais
de justice de
Paris, de leur
participation à
une expérience
de justice restaurative menée à la prison
centrale
de
Poissy.
Pendant plusieurs semaines, en présence
de deux médiateurs, MarieJosé et deux autres femmes
dont les enfants ont été vic-
times d’actes criminels ont
dialogué avec trois détenus,
dont Gaetan, tous condamnés à de longues peines pour
dur, où l’on ne peut avouer ses
faiblesses, alors que dans nos
rencontres, il y avait beaucoup
d’émotion, chacun se mettait
à nu. Les détenus avaient
besoin d’évacuer ce qu’ils
n’avaient
pu confier à
personne ».
« J’avais envie de parler,
de répondre
à toutes les
questions
qu’elles posaient. Je le leur devais », a dit Gaetan.
Née au Canada, la justice
restaurative – ou réparatrice -
« Nous ne sommes pas dans une
démarche de pardon, puisque nous ne
rencontrons pas les auteurs des crimes
dont nous avons souffert. Chacun brise sa
carapace indépendamment de l’autre »
meurtre. De ces six séances de
trois heures, elle a d’abord retenu la violence du milieu carcéral « où on joue un rôle de
s’est développée dans les communautés protestantes dès les
années soixante dix. « Pour les
protestants, la souffrance n’est
pas rédemptrice, elle ne suffit
donc pas à envisager l’après
procès », explique le pasteur
Brice Deymié, président des
aumôniers de prison européens, qui a lui aussi participé
à l’expérience de Poissy. C’est
dans ce « temps d’après », celui de la reconstruction pour
les victimes comme pour les
condamnés que s’inscrit la
justice restaurative.
« Nous ne sommes pas dans
une démarche de pardon,
puisque nous ne rencontrons
pas les auteurs des crimes
Image tirée de la vidéo accompagnant cet article. Vidéo disponible ici : http://www.youtube.com/
watch?feature=player_embedded&v=I_ZVb1aVKQI
dont nous avons souffert.
Chacun brise sa carapace indépendamment de l’autre »,
souligne en écho Marie-José.
Si elle a accepté de participer à cette expérience, c’est
d’abord, dit-elle, dans le but
de « lutter contre la récidive ».
« Si nous, victimes, nous
sommes capables de débattre avec des condamnés et
de croire qu’ils peuvent s’en
sortir, nous les aidons à ne
pas douter d’eux-mêmes et à
envisager autrement l’aveni »,
ajoute-t-elle.
Soutenue par la Fédération
nationale d’aide aux victimes
et de médiation (INAVEM)
et par plusieurs magistrats,
dont le premier avocat général à la cour de cassation, Yves
Charpenel, l’idée de justice
restaurative a également sus-
cité l’intérêt de la garde des
sceaux, Christiane Taubira,
qui a promis de poursuivre
l’expérience tentée en 2010 à
Poissy. Son directeur, François Goetz, compte d’ores et
déjà parmi les plus fervents
partisans de la justice restaurative. « Ces six réunions ont
produit beaucoup plus d’effets
que six ans de thérapie en prison », assure-t-il.
VI
Notre avenir se joue dans les villes
Alice LE ROY, Sparknews
En ce début de 21e siècle, les
villes ont supplanté les campagnes pour devenir le lieu
de vie de plus de la moitié de
la population mondiale. Au
Nord comme au Sud, le phénomène va s’amplifiant : alors
qu’en 1950 une seule ville –
New York – comptait plus de
dix millions d’habitants, il y a
aujourd’hui trente métropoles
dans ce cas, et dix d’entre elles
ont déjà franchi la barre des
vingt millions d’habitants.
Dans ces mégalopoles, les
problèmes de pollution et
d’inégalités sont d’une ampleur colossale : l’accès à l’eau
potable, à une nourriture
saine et à un logement décent
est souvent réservé à une minorité. Le mode de vie urbain,
qui continue pourtant d’attirer chaque année des millions
de ruraux, est extrêmement
gourmand en ressources et en
énergies fossiles. L’agence des
Nations unies pour les villes
ONU-Habitat estime que les
agglomérations sont responsables de 70 % des gaz à effet
de serre, alors qu’elles n’occupent que 2 % de la superficie terrestre. « Les effets de
l’urbanisation et du changement climatique convergent
aujourd’hui dangereusement
et menacent sérieusement
la stabilité environnementale, économique et sociale du
monde entier », peut-on lire à
la première ligne du rapport
mondial 2011.
L’impact économique, social et environnemental des
villes dépasse en effet leurs
frontières
administratives
pour toucher des territoires
qui en sont parfois éloignés :
en prélevant des quantités
importantes de ressources,
notamment fossiles et minières, en reconfigurant les espaces agricoles et naturels, enfin
en diffusant, via la télévision,
les images du mode de vie
citadin, c’est l’ensemble de la
planète qui est transformée en
profondeur par le phénomène
urbain.
Plus mobile, plus carnivore, plus sensible aux effets
de mode, donc davantage
prisonnier de l’obsolescence
des objets que l’habitant des
zones rurales, le citadin occidental a une empreinte qui
n’est pas soutenable. Selon le
Global Footprint Network, si
le mode de vie urbain avec ses
consommations en matière
de transports, de chauffage,
d’éclairage, de production industrielle, agricole et de traitement des déchets devait être
étendu à l’ensemble du globe,
il faudrait trois à cinq planètes
Terre supplémentaires …
Conscients de la position
stratégique des collectivités
locales pour inverser cette
tendance, les signataires de la
déclaration finale du sommet
de la Terre de Rio, préconisaient dès 1992 l’adoption de
stratégies de développement
durable, baptisées « Agendas
21 locaux ». Cette approche, qui se voulait incitative
et transversale, a permis une
première prise de conscience
des responsabilités des villes
en matière de changement
climatique. Mais l’outil n’a
jamais véritablement réussi
à s’imposer. Au mieux les
Agendas 21 ont permis à certaines municipalités – surtout
en Europe – de susciter des
débats parmi les habitants,
d’adopter des mesures de
réorganisation administrative
ou encore de lancer des projets d’aménagement urbain à
l’échelle d’un quartier. Mais
le plus souvent ces démarches
ont abouti à l’adoption d’ambitieux catalogues d’actions
dont un grand nombre est
resté lettre morte.
Le relatif échec des sommets internationaux sur le climat depuis le début des années
2000 a renforcé la désillusion
de la société civile vis-à-vis des
pouvoirs publics. Prenant acte
du désengagement des Etats
sur ces questions, des mouvements citoyens ont émergé
dans les villes, avec l’objectif à
l’échelle locale de faire baisser
leurs émissions de gaz à effet
La méthode Copenhague
fait le tour du monde
de serre, de sortir de la dépendance au pétrole et de manière plus générale de réduire
leur empreinte écologique.
Le mouvement des villes en
Transition dans le monde anglophone (Transition Town
Network, cf. encadré), le réseau
des villes lentes
(Cittàslow) né en
Italie, ou encore
le mouvement de
la Simplicité volontaire au Québec tablent sur
une transformation des villes par
l’action collective.
Ils adoptent un
mode de fonctionnement ouvert, sans exclusive,
et avancent des propositions
pragmatiques qui suscitent un
important engouement parmi
les citadins des pays industrialisés.
Des éléments de leur programme, qui fait de la relocalisation de l’économie le
principal instrument de la
« résilience » – à savoir la capacité à affronter le pic de
pétrole et le changement climatique – se retrouvent par
exemple dans le succès des
AMAP (associations pour le
maintien d’une agriculture
Au début des années 60, dans
le centre-ville de Copenhague, comme dans toutes les
autres capitales européennes,
l’automobile
individuelle
tient le haut du pavé. Au
nom d’une certaine idée du
progrès, les autorités encouragent la circulation motorisée et aménagent des places
de parking en grand nombre.
Les piétons sont cantonnés à
des trottoirs de plus en plus
étroits tandis que les cyclistes, autrefois nombreux,
renoncent à se déplacer à
vélo.
C’est alors que le jeune ar-
chitecte et urbaniste danois
Jan Gehl, insatisfait de voir
sa ville devenir de plus en plus
bruyante, polluée et dangereuse, suggère de fermer quelques artères à la circulation.
La mesure, présentée comme
expérimentale, suscite une
levée de boucliers, notamment parmi les commerçants
convaincus que leur chiffre
d’affaires va chuter. D’autres
s’y opposèrent, au motif que
ce type d’aménagement est
incompatible avec la mentalité danoise.
Le succès est pourtant immédiat. L’espace libéré des
paysanne qui proposent un
pacte paysan-consommateur),
dans les expériences d’agriculture urbaine, de jardins
communautaires ou partagés,
de clubs d’investissement solidaires (CIGALES), de systèmes de vélos en libre-service
et d’autopartage, d’ateliers
de réparation, de projets de
Dhabi (Emirats arabes unis),
la recherche d’excellence environnementale ne concerne
que le périmètre d’intervention. A l’exception notable du
quartier Vauban à Fribourg
(Allemagne), qui a été voulu
et porté par les habitants, et
qui a joué un rôle d’entraînement pour les industries locales d’énergies renouvelables,
les éco-quartiers apparaissent
comme des projets-vitrine qui
ne parviennent à transformer
les formes urbaines qu’à la
marge.
D’Istanbul à Pékin en passant par Lagos, seuls des engagements forts des pouvoirs
publics en faveur de normes d’efficacité énergétique
adaptées aux besoins locaux
couplés à des systèmes institutionnels favorisant l’engagement et la coopération
entre citadins permettront
d’éviter que les chantiers de
construction persistent dans
l’archaïsme du parpaing, de la
fenêtre PVC et de l’étalement
urbain incontrôlé.
A Totnes, des citoyens prennent
leur destin énergétique en mains
Photo Olga Itenberg sous licence Creative Commons
voitures est plébiscité par les
résidents, heureux de pouvoir circuler autour de chez
eux à pied, tout comme les
employés et les touristes, qui
chaque été prennent d’assaut
les terrasses de cafés. Elargi
par vagues successives en
1973, 1980 et 1992, le périmètre s’étend désormais sur
une superficie de 100 000 mètres carrés, soit cinq fois plus
que la zone initiale. De l’aveu
général, Strøget est devenu un
des quartiers les plus vivants
d’Europe.
Jan Gehl a donné un nom
à cette transformation : « Co-
consommation collaborative
et de systèmes d’échanges de
savoirs. Ces systèmes coopératifs semblent préfigurer
une nouvelle façon de vivre
en ville.
A une échelle plus vaste, les
éco-quartiers
et les éco-cités,
qui nécessitent
un important
investissement
des pouvoirs
publics, notamment en
terme
d’infrastructure
de transports
et
d’expertise technique,
semblent faire
les frais de la crise économique et du désinvestissement
des Etats. Le projet de Dongtan en Chine, qui devait accueillir entre 50 000 et 80 000
habitants pour l’Exposition
universelle de Shanghaï en
2010, a été gelé faute de financement. A Masdar City,
la ville modèle située à Abou
« Les effets de l’urbanisation et du
changement climatique convergent
aujourd’hui dangereusement et
menacent sérieusement la stabilité
environnementale, économique et
sociale du monde entier »
Monnaie locale de la ville de Totnes. Strøget, zone sans voitures dans le centre de Copenhague, au Danemark. samedi 22 juin 2013
penhagenize » – ou « Copenhaguiser » une ville. Ce néologisme est synonyme d’une
politique des petits pas qui
redonne la priorité aux piétons, aux cyclistes et à toutes
les autres formes de mobilité
douce pour améliorer la vie au
cœur des villes.
De la Ciclovia de Bogota
aux Ramblas de Barcelone,
en passant par Paris Plage,
de nombreuses métropoles
commencent à s’inspirer de
cet exemple qui prouve que
prospérité économique et engagement écologique peuvent
aller de pair.
L’image se lit comme un reflet
dans un miroir : à l’envers, en
gris, on distingue un alignement de maisons, un supermarché, des parkings de voitures, une station-service, des
embouteillages et un nuage de
pollution. A l’endroit, le dessin passe au vert : ce sont les
mêmes maisons, mais maintenant le ciel est clair et il y
a deux petites éoliennes et un
panneau solaire sur les toits.
Devant, dans les potagers, des
gens discutent. La pompe à
essence, qui ne sert plus, est
recouverte de végétation.
Cette vision de l’avenir qui
orne la couverture d’un épais
manuel pratique représente
Totnes, une petite ville de 7
500 habitants située au sudouest de l’Angleterre. Ses habitants sont à l’épicentre d’un
mouvement qui transforme
des centaines de villes à travers le monde : la Transition.
Né en 2005 d’une idée de
Rob Hopkins, un enseignant
en permaculture qui avait élaboré avec ses étudiants une
stratégie destinée à répondre
au double défi du change-
ment climatique et de la fin
du pétrole conventionnel bon
marché, le mouvement de la
Transition regroupe désormais quelque 500 initiatives
de citoyens décidés à amorcer
eux-mêmes des démarches
de « résilience locale » et de
« descente énergétique ».
Faute de mesures volontaristes au niveau national et
international, les réponses à la
crise écologique se cantonnent
généralement à la sphère personnelle et familiale avec des
« éco-gestes » comme le tri
des déchets, le choix de manger bio ou d’utiliser des ampoules basse consommation.
Les initiatives de Transition
explorent le niveau intermédiaire, celui de l’action collective à l’échelle du quartier et
de la ville.
Pour Rob Hopkins, qui
interviendra lors du sommet
mondial EcoCity à Nantes du
25 au 27 septembre, « c’est un
mouvement qui a une vision
positive, centrée sur l’élaboration et la mise en œuvre de
solutions ». La fin du pétrole
bon marché est ainsi perçue
comme une opportunité pour
repenser, avec un regard neuf,
le fonctionnement de la société.
Les actions concrètes nées
des initiatives de Transition
sont extrêmement variées.
Une série de débats, une fête
ou des projections de films
permettent d’échanger des
informations sur le renchérissement du pétrole et la
crise climatique. Ensuite,
c’est par étapes successives et
de manière pragmatique que
les groupes choisissent leurs
priorités. L’horizon de la
« descente énergétique » guide
les projets : des formations à
l’éco-construction et à la permaculture, la plantation d’arbres fruitiers dans des vergers
collectifs, la création d’ateliers
de réparation ou de systèmes
de partage d’outils figurent
parmi les nombreuses actions
concrètes issues d’une démarche de transition.
A Totnes, la volonté de
relocaliser les échanges économiques a même abouti à
la création d’une monnaie locale, adossée à la livre sterling.
Image extraite du site web transitionculture.org
D’autres villes lui ont emboîté
le pas : à Bristol, Brixton,
Lewes, et dans des dizaines d’autres villes à travers
le monde, il est possible de
faire ses courses ou de payer
un petit entrepreneur avec
la monnaie complémentaire,
renforçant ainsi les liens de
solidarité à l’échelle locale.
Sans être d’un optimisme
béat, les « Transitionneurs »,
parient que des récits positifs de changement peuvent
changer la face du monde.
Rob Hopkins revendique
une posture d’« optimiste engagé » : « Si nous sommes capables de transformer le cours
des choses à la bonne échelle,
pour remplacer la vulnérabilité, l’intensité en carbone et
la fragilité par la résilience, ce
sera une grande réussite dont
nos enfants feront des contes
et des chansons. J’espère être
là pour les entendre ».
Voir aussi :
http://www.transitionnetwork.
org/
http://www.transitiontowntotnes.
org/
Le grand comeback de
l’agriculture urbaine
Maraîchage urbain, petit élevage, vergers collectifs : la
production agricole, qui avait
quasiment disparu du paysage
des villes « modernes » a fait
une réapparition remarquée
ces dernières années à la faveur du renchérissement du
prix des aliments et de nouvelles inquiétudes concernant
leur provenance.
Dans les interstices urbains, sur les trottoirs, dans
les friches et sur les toits, des
citadins font pousser fruits et
légumes, avec parfois une récolte suffisante pour fournir
un complément alimentaire
non négligeable. Quand l’air
est pollué et les sols contaminés par d’anciennes activités industrielles, il s’agit plus
d’une activité de loisirs que
d’une véritable production
agricole : on y cultive des fleurs
plutôt que des légumes, et les
jardins ainsi partagés deviennent des lieux de vie collective
à l’échelle d’un quartier.
Reste qu’après des années
de purgatoire – l’élevage et
le maraîchage en ville ont
longtemps été interdits par
les règlements sanitaires
municipaux – l’agriculture
urbaine retrouve ses lettres
de noblesse. Le potager créé
par l’épouse du président des
Etats-Unis Michelle Obama
sur la pelouse de la Maison
blanche est emblématique
d’un mouvement qui vise
à relocaliser la production
agricole et à substituer aux
espaces engazonnés des jardins fertiles.
L’exemple de Detroit, aux
Etats-Unis, est moins anecdotique: le millier de fermes
urbaines recensé dans cette
ville touchée de plein fouet
par la désindustrialisation
permet de remédier en partie
au « désert alimentaire » (food
desert), où produits frais et
de saison sont hors de portée
pour le tiers de la population
vivant sous le seuil de pauvre-
té. A une échelle plus grande
encore, Cuba, privée de denrées alimentaires d’importation pendant la période « especial », a réussi sa transition
– certes sous contrainte – vers
un modèle agricole de quasiautosuffisance.
Selon l’Organisation des
Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO),
à l’échelle planétaire ce sont
800 millions de personnes qui
dépendent de la production
agricole urbaine. Il est donc
vital de protéger les terres
arables à proximité des villes, faute de quoi la pauvreté
et l’insécurité alimentaire risquent de s’aggraver.
Voir aussi :
Programme Grown in Detroit
http://detroitagriculture.net/
farms-and-markets/
Centres de ressources sur
l’agriculture urbaine et la
sécurité alimentaire http://
www.ruaf.org/
Produits locaux dans un supermarché à New York. Photo Alice Le Roy
VII
samedi 22 juin 2013
L’espoir fou de
la cellule-souche
Des chercheurs d’une petite spin-off belge utilisent leur expérience
des maladies rares du foie et de la transplantation hépatique pour
mettre au point une nouvelle thérapie cellulaire. Cette nouvelle
cellule, actuellement en test dans cinq pays, pourrait sauver des
centaines de vies et soulager des milliers de patients autour du globe.
Des aveugles pour
dépister le cancer du sein
Le docteur Frank Hoffmann, gynécologue allemand, peut détecter
une tumeur d’environ 1,5 à 2 centimètres de diamètre dans les seins
de ses patientes. Mais les femmes aveugles peuvent repérer un éventuel problème beaucoup plus tôt, au stade où la tumeur potentiellement cancéreuse ne dépasse pas quelques millimètres. A ce jour, le
docteur Hoffmann a formé une douzaine de femmes non-voyantes à
la « mammographie humaine ».
Christopher F. SCHUETZE,
Sparknews, Allemagne
10 à 12 heures par jour, la peau de Pierre, 4 ans, doit être exposée aux rayons ultraviolets pour diminuer la quantité excessive de
birilubine qui lui donne une peau jaune, comme s’il avait une jaunisse, mais qui ne finit jamais.
Frédéric SOUMOIS, Le Soir, Belgique
Le petit garçon dort, recroquevillé dans une sorte de
grande couveuse adaptée à sa
taille. Pierre a quatre ans. 10
à 12 heures par jour, sa peau
doit être exposée aux rayons
ultraviolets pour diminuer la
quantité excessive de birilubine qui lui donne une peau
jaune, comme s’il avait une
jaunisse, mais qui ne finit
jamais.
Il souffre de la maladie de
Crigler-Najjar, une maladie
grave du foie, d’origine génétique et rare. Une mutation
empêche son foie de produire
une enzyme qui guérit de
la célèbre jaunisse du nourrisson. Celle-ci devient en
fait permanente. Mais avec
des conséquences bien plus
lourdes que la couleur de la
peau…
La birilubine, qui d’habitude
est dégradée par le foie et éjectée sous forme d’urine, risque
chez ces malades d’atteindre
le cerveau et de l’endommager de manière irrémédiable.
Si les crises se multiplient, le
décès est possible suite à une
brusque décompensation et
une hausse de l’ammoniaque
sanguine. Certains patients
peuvent contrôler la maladie
en contrôlant leur diète et
en utilisant des médicaments
qui diminuent le risque, mais
pour d’autres, il y a peu de solutions disponibles.
Guérir des dizaines de
patients à partir d’un
seul donneur
« Pour les jeunes patients,
le seul traitement est l’exposition aux rayons ultraviolets,
10 à 12 heures par jour, donc
généralement la nuit. Ils ne
peuvent pas porter de pyjama
ni être sous les couvertures.
Sans cela, il y a un risque
permanent de complications
neurologiques graves dues à
la neurotoxicité de la birilubine qui n’est pas détoxifiée
par l’enzyme manquante du
foie. Ce traitement est extrêmement lourd et handicape
profondément leur vie sociale.
La seule solution est la transplantation hépatique. Mais
c’est une opération lourde et
les donneurs d’organe restent
trop rares », explique le professeur Etienne Sokal, chef de
service de gastro-entérologie
et hépatologie pédiatrique aux
Cliniques universitaires SaintLuc (UCL) à Bruxelles.
Au degré aigu, la greffe restera le seul traitement recommandé. Le développement de
greffe de foie avec un donneur
vivant, généralement un proche, a permis de sauver de
nombreux patients. Les donneurs peuvent donner un lobe
de leur foie, qui se régénère
ensuite.
Mais d’autres solutions
pourraient être offertes aux
malades moins atteints grâce
à la greffe de cellules. L’équipe
du professeur Sokal a en effet
découvert en 2005 une cellule très particulière du foie, la
HHALPC. « C’est en fait une
cellule progénitrice. Ce ne
sont plus des cellules souches,
elles se sont déjà différenciées
pour devenir des cellules du
foie. Mais elles ne sont pas
encore matures et supportent
par conséquent beaucoup
mieux la cryopréservation à
basse température sans être
abîmée. Elles peuvent aussi
être cultivées en laboratoire,
ce qui permet potentiellement de guérir des dizaines
de patients à partir d’un seul
donneur. »
Cela, c’est l’actuel espoir
de l’équipe de St-Luc, qui
a lancé une société, appelée
Promethera Biosciences, pour
mener les essais cliniques nécessaires pour valider cette
nouvelle thérapeutique.
Les chercheurs ne se lancent
pas dans l’inconnu. Ainsi, ils
ont déjà traité avec succès 15
patients en leur greffant des
cellules de foie appelées hépatocytes : « Elles se fixent dans
majeur de ne pas se conserver
facilement, étant détruits par
le froid. Il faut donc un donneur par patient traité. L’utilisation de cellules progénitrices permet de contourner cet
inconvénient et d’utiliser une
seule lignée cellulaire, multipliée dans un « réacteur »
biologique, pour soigner des
dizaines de patients.
Cultivées à Mont-St-Guibert, où des installations
spécifiques ont été construites spécialement et validées
par les autorités européennes
du médicament, elles pourront aussi être utilisées dans
le monde entier. Un camion
spécial, chargé de transporter
les cellules dans de l’azote liquide afin de les délivrer « au
lit du patient », a même déjà
été mis au point.
Aujourd’hui, une étude de
validation de cette thérapie
est en cours. Sur base des
premiers résultats très prometteurs, cinq pays ont donné
leur accord pour que des patients soient « infusés » avec
cette nouvelle cellule : Belgique, Grande-Bretagne, France, Italie et Israël. Le premier
patient a été implanté début
2012 et, à la mi-2013, 18 patients auront reçu la thérapie.
«Notre espoir réside sur
un principe assez simple : on greffe
des cellules fonctionnelles dans
un foie qui ne l’est pas et celui-ci
le devient grâce à cette greffe.
Si cela fonctionne comme on l’espère,
cela pourrait servir pour toutes
les maladies métaboliques du foie
à origine génétique. Or, il y a
en a plus de 200 ! ».
le foie du receveur et permettent de lui donner une fonction
qu’il n’a pas à la naissance. De
même qu’un hémophile, qui
perd beaucoup de sang s’il n’a
aucun facteur antihémophilique, perdra “ordinairement”
son sang s’il acquiert ne fût-ce
qu’un pour cent de ce facteur,
nous avons constaté qu’il suffit
qu’un jeune patient acquière
4 % de cellules de foie produisant l’enzyme qui lui manque
pour que la jaunisse et la toxicité de la birilubine soient tellement atténuées qu’il puisse
mener quasi une vie normale,
avec des soins très réduits »,
s’enthousiasme le professeur
Etienne Sokal.
« Réacteur » biologique
Mais les hépatocytes « ordinaires » ont l’inconvénient
Les patients sont atteints soit
de Crigler-Najjar, soit de maladies du cycle de l’urée, une
autre maladie orpheline du
foie.
Les résultats seront jaugés à
la mi-2014, après un an minimum d’examen des résultats.
« L’espoir est évidemment de
pouvoir ensuite entamer des
essais de phase 3, les derniers
avant l’enregistrement définitif de la thérapie », explique
Eric Halouia, l’administrateur-délégué de Promethera
Biosciences. « Pour la maladie
du cycle de l’urée, on estime
qu’il y a sans doute 3 000 patients concernés en Europe
et quelques centaines pour le
syndrome de Crigler-Najjar.
Mais il y a évidemment des
patients dans toutes les parties
du globe. Nous ambitionnons
de mener deux études simultanées, au niveau européen et
nord-américain, afin de satisfaire les spécificités de chaque
autorité de vérification du
médicament. Le statut de médicament orphelin et même
ultra-orphelin nous permet
de bénéficier d’une protection étendue du brevet et de
réduction des coûts d’enregistrement des brevets. Mais
cela reste évidemment une
aventure pleine de défis ».
A ce stade, par exemple,
les chercheurs ne peuvent
pas dire si une seule infusion
de cellules suffira pour que le
foie se « convertisse » définitivement à un fonctionnement
normal ou au moins suffisamment amélioré pour pouvoir
mener une vie normalisée. Ou
s’il faudra multiplier ou répéter les infusions tout au long
de la vie du patient. Le plus
étonnant est que les cellules
cultivées dans le réacteur biologique, infusées par cathéter
via la veine porte, qui alimente directement le foie, ne
dépassent pas cet organe, qui
les capte intégralement, pour
se répandre dans le reste de la
circulation sanguine.
Un enregistrement
dès 2018 ?
Tous, aujourd’hui, croisent les doigts. Si les résultats sont aussi exceptionnels
qu’espéré, l’enregistrement
du médicament pourrait advenir dès 2018, les autorités
du médicament disposant de
procédures de « voie rapide »
(fast-tracks) quand une nouvelle thérapeutique se distingue particulièrement par rapport aux soins actuels ou pour
rencontrer le besoin d’une
maladie orpheline (particulièrement rare).
Mais les chercheurs ont
mis beaucoup de chances de
leur côté : « Nous avons précédemment testé le procédé
chez trois patients aigus, dans
un cadre académique, avec
des résultats très prometteurs
puisque les cellules ont été
parfaitement tolérées, sans
rejet et qu’elles étaient encore présentes après plusieurs
mois. Notre espoir réside sur
un principe assez simple : on
greffe des cellules fonctionnelles dans un foie qui ne l’est
pas et celui-ci le devient grâce
à cette greffe. Si cela fonctionne comme on l’espère, cela
pourrait servir pour toutes les
maladies métaboliques du foie
à origine génétique. Or, il y a
en a plus de 200 ! ».
Pierre, qui dort toujours
avec un bandeau pour protéger ses yeux de la lumière
ultra-violette, s’est retourné
dans son lit. Peut-être rêvet-il que dans quelques années
l’utilisation de ces cellules
progénitrices le libérera de ce
calvaire permanent…
Afin de présenter ses talents
particuliers, Katrin Kasten
utilise un assortiment de
perles de bois de différentes
tailles, allant de 5 centimètres de diamètre pour la plus
grande à moins d’un centimètre pour la plus petite. Après
avoir pratiquement perdu la
vue après à un accident il y
a huit ans, Katrin Kasten a
suivi une formation à l’examen tactile pour sentir de petites tumeurs sous la peau et
les tissus qui constituent un
sein féminin. « Nous en avons
trouvé d’encore plus petites »,
raconte-t-elle, en montrant la
perle la plus minuscule.
Dans le dépistage du cancer
du sein, la taille de la tumeur
revêt une importance capitale. Une détection précoce,
lorsque la tumeur est encore
petite, permet de sauver des
vies.
Depuis 2007, la fondation
allemande à but non lucratif
Discovering Hands a formé
21 femmes à forte déficience
visuelle pour qu’elles développent une sensibilité tactile
accrue et puissent ainsi aider
les gynécologues à dépister le
cancer du sein. Ces assistantes médicales tactiles suivent
un enseignement théorique
et pratique intensif de neuf
mois avant d’être autorisées à
travailler.
Pour la pratique de l’examen, cinq bandes codées en
braille sont placées de manière verticale sur la poitrine de
la patiente. Les examinatrices
utilisent alors quatre doigts –
l’index et le majeur de chaque
main – pour parcourir le buste
selon des lignes horizontales,
couvrant systématiquement
toute cette partie du corps
pendant une durée d’environ
30 minutes. Grâce à leur sens
plus développé du toucher, les
examinatrices aveugles peuvent identifier des tumeurs
qu’un médecin pressé ne détecterait pas. Selon une étude
conduite à l’université d’Essen en 2008, les examinatrices
aveugles ont détecté des anomalies des tissus mammaires
d’une taille de 30 à 50 pour
cent inférieure à celles détectées par les gynécologues.
« Notre handicap a été
transformé en atout », raconte
Anita Spickhofen, l’une des
premières femmes à avoir
suivi la formation.
La procédure s’est rapidement révélée populaire en
Allemagne, où 17 cabinets
médicaux et cliniques ont
maintenant recours aux services d’assistantes médicales
tactiles. Le coût de l’examen
est de 46 euros, la plupart
du temps à la charge des pa-
Grâce à leur sens développé du toucher, des femmes souffrant de forte cécité peuvent repérer un
éventuel problème au stade où la tumeur potentiellement cancéreuse ne dépasse pas quelques
millimètres. Photo Discovering hands
tientes, même si la pratique
commence à être reconnue
et remboursée par certaines
caisses d’assurance maladie (le
dépistage par mammographie
classique est couvert par tous
les régimes d’assurance maladie allemands, mais nécessite
une ordonnance du médecin).
L’examen tactile permet
aux femmes de profiter d’une
technique à la fois plus douce
et plus personnalisée de dépistage du cancer du
sein, qui les incite
à se faire contrôler
plus régulièrement.
« Si elles n’aiment
pas se faire dépister, le risque existe
qu’elles arrêtent de
venir », estime le
docteur Frank Hoffmann, gynécologue
et fondateur de Discovering Hands, qui prévoit
désormais de développer ce
programme en Autriche et en
Suisse.
sation régulières encouragent
par ailleurs les adolescentes
à apprendre à procéder à un
auto-examen par palpation
des seins.
Le contrôle annuel par une
assistante médicale tactile est
simple, efficace et non-invasif, mais il ne se substitue
ni à la mammographie, ni à
l’échographie, rappellent les
médecins.
Le docteur Dorit Indefrei,
sa cécité rassure les femmes
qui ont des problèmes d’image
corporelle ou qui pourraient
faire preuve de timidité pour
se déshabiller devant une personne inconnue. Une de ses
collègues, Anita Spickhofen,
souligne qu’une examinatrice
sert souvent d’intermédiaire
pour le médecin, prenant le
temps par exemple d’apprendre à une patiente comment
procéder à l’auto-examen par
palpation des seins.
« Le facteur temps est
essentiel »,
témoigne
le docteur Klaus Fechler, dont la clinique à
Kreuzau a recruté Anita
Spickhofen il y a près
de cinq ans. Selon lui,
le fait que les examinatrices puissent consacrer jusqu’à une heure
à une patiente rend la
procédure de dépistage plus
minutieux.
Le programme n’accepte
que des candidates souffrant
d’une déficience visuelle grave, qui sont sélectionnées pour
leurs capacités tactiles, leurs
talents en matière de communication et leurs aptitudes
intellectuelles générales, suite
à un processus de candidature
et d’évaluation qui se déroule
sur une semaine complète.
Comme la partie du cerveau dédiée à la vision n’est
pas mobilisée, les autres sens
sont plus développés, explique le docteur Hoffmann, qui
fait toutefois remarquer que
les personnes non-voyantes
ne sont pas forcément toutes de bonnes examinatrices,
d’où la nécessité de mettre
en place un processus de sélection bien précis pour le
recrutement dans le cadre du
programme.
L’examen tactile permet
aux femmes de profiter
d’une technique à la fois plus
douce et plus personnalisée de
dépistage du cancer du sein
Programmes
de dépistage
Le cancer du sein est un
problème majeur de santé
publique, qui touche environ
une femme sur huit à travers
le monde, dont près de 60 000
par an en Allemagne. Étant
donné l’importance de la
précocité du diagnostic dans
l’efficacité du traitement, les
systèmes de santé du monde
entier mettent en place de larges programmes de dépistage
pour les femmes à partir d’un
certain âge.
En Allemagne, par exemple, les femmes âgées de 50
à 69 ans doivent obligatoirement effectuer des mammographies tous les deux ans.
Des campagnes de sensibili-
dont la clinique a embauché
Katrin Kasten l’année dernière, déclare que le dépistage effectué par les personnes
aveugles vient en complément
des autres méthodes plus
techniques, parfois désagréables, voire douloureuses. En
premier lieu, elle préfère ne
pas prescrire trop de mammographies, à cause des inquiétudes liées à l’exposition
aux rayons X. Elle soutient
par ailleurs que l’échographie,
autre méthode utilisée pour
le dépistage, n’est pas encore
suffisamment fiable.
Pour le docteur Indefrei,
« les assistantes médicales tactiles pourraient devenir pour
les seins ce que les sages femmes sont pour la naissance.
Elles pourraient sauver de
nombreuses vies. »
Quand la cécité rassure
Katrin Kasten raconte que
Formation
La formation, financée à la
fois sur fonds publics et privés, commence par six mois
de cours au Berufsförderungswerk à Düren, un centre
spécialisé dans la formation
des non-voyants. Les trois
mois suivants se déroulent
aux côtés de médecins dans
des services hospitaliers ou
dans des cabinets privés. La
législation impose que chaque
examinatrice travaille avec
une gynécologue, qui prendra
en charge le traitement si une
tumeur est détectée.
Katrin Kasten, qui travaillait auparavant comme
comptable pour la compagnie
aérienne allemande Lufthansa, incite ses patientes à se
contrôler elles-mêmes de manière régulière et à consulter
pour un examen tactile annuel. Le docteur Indefrei, qui
fait confiance aux doigts sensibles de Katrin Kasten pour
garantir la santé de ses patients, partage son avis : « S’il
y a quelque chose là-dessous,
nous allons le détecter. »
Les perles de bois de différentes tailles, allant de 5 centimètres de diamètre pour la plus grande à
moins d’un centimètre pour la plus petite, utilisées par Katrin Kasten. Photo Christophe Schuetze
Voir aussi la vidéo associée à
cet article :
http://www.sparknews.com/
en/video/aveugles-pourpalper-les-seins-et-detecterles-tumeurs-cancereusesdiscovering-hands-frank
VIII
samedi 22 juin 2013
Dans le ventre de Montréal
Lieu unique au monde, le Complexe environnemental de Saint-Michel est devenu
un laboratoire visité depuis 2001 par plus de 8000 personnes provenant de 56
pays, notamment de la Chine et de l’Europe. Il a été la carte de visite de Montréal
à l’Exposition universelle de Shanghaï, en 2010. Fermé au public, le « ventre de
Montréal », où l’on transforme des déchets de toutes sortes en énergie, où un dépotoir
est en train de devenir un grand parc urbain, a été ouvert à une équipe de La Presse
pour une visite guidée.
Karim BENESSAIEH, La Presse, Canada
Comment cicatriser une plaie
béante au beau milieu d’une
ville comme Montréal, tout
en produisant de l’électricité
à partir des vieux déchets, du
compost avec les nouveaux et
en faisant du lieu un parc immense ? La réponse en quatre
lettres : CESM.
Le Complexe environnemental de Saint-Michel
(CESM), c’est d’abord une
ancienne carrière qui a creusé
un trou de plus de deux kilomètres carrés à un jet de
pierre de l’autoroute Métropolitaine, dans le quartier du
même nom. Devenue un dépotoir à la fin des années 60,
elle a reçu plus de 40 millions
de tonnes de déchets en tous
genres, qu’on aura complètement recouverts de terre d’ici
quelques mois.
Ce lieu pratiquement inconnu des Montréalais est,
depuis deux décennies, un
exemple réussi de conversion
en milieu urbain. « Le cas du
Complexe Saint-Michel, un
dépotoir en pleine ville avec
des milliers de résidences à
quelques centaines de mètres,
est en fait unique au monde »,
dit Éric Blain, chef de division, soutien technique et
infrastructures, à la Ville de
Montréal.
Chaque année, jusqu’à
16 000 tonnes de
résidus verts, principalement
des
feuilles d’automne,
y sont transformées
en compost. La
majorité est utilisée
pour le recouvrement de la montagne de déchets, qui
atteint 70 mètres à
certains endroits, et
pour les besoins horticoles de
la Ville.
Quelques centaines de tonnes sont redonnées aux Montréalais, qui viennent deux
fois par année remplir leur
remorque ou leurs bacs. « Les
gens sont toujours impressionnés quand ils viennent ici
: ils voient le compost mature,
ils sont capables de regarder à
côté, comment ce compost est
fait », rapporte M. Blain.
Des robots qui ont du pif
Pour contrôler les émanations, le Complexe environnemental de Saint-Michel
utilise depuis l’automne dernier quatre nez électroniques
d’une unité d’odeur.
« Quand vous coupez votre
gazon, c’est environ 300 unités d’odeur. Quand vous faites
du barbecue dans votre cour,
on peut penser que c’est plusieurs milliers d’unités. Nous,
ce n’est pas plus d’une », sougline M. Blain.
L’activité la plus potentiellement dérangeante pour
les voisins, c’est le
retournement des
petites buttes de
compost, appelées
andains, avec un
appareil spécialisé.
Elles sont situées
dans la partie ouest
du site. « On s’assure que les vents
dominants viennent
d’ouest, pour laisser
l’odeur se dissiper sur une plus
longue distance », explique le
responsable.
« Le cas du Complexe SaintMichel, un dépotoir en pleine ville
avec des milliers de résidences à
quelques centaines de mètres, est
en fait unique au monde »
reliés à une station météo.
Acquis au coût de 143 856 $,
« ils reconnaissent l’odeur
de compostage, et nous indiquent jusqu’où les odeurs
vont et comment elles sont
diluées », indique le chef de
division. Les normes acceptables sont très strictes, en deçà
« Usine » à controverse
D’ici deux ans, le compostage de 16 000 tonnes de
feuilles à ciel ouvert passera
à un stade supérieur, avec
l’ouverture d’un centre de
compostage en bâtiment fermé. Ce sont au total 29 000
tonnes de matières à composter qui seront traitées dans ce
centre, qualifié d’« usine » par
ses détracteurs.
L’essentiel, soit 25 000 tonnes, est ce qu’on appelle du
« digestat », soit la matière
putrescible dont on a extrait
le biogaz dans deux autres
usines de biométhanisation,
dans l’est et dans le sud de
l’île. Dans cette installation où la matière première est envoyée dans de grands
tuyaux, on injecte de
l’oxygène pour accélérer le compostage,
qui se fait trois plus
vite qu’à ciel ouvert.
Objectif ultime :
faire en sorte que
Montréal n’enfouisse
plus un seul déchet
en 2020.
« C’est une technologie
au point, où on s’assure qu’il
n’y aura pas d’odeurs incommodantes pour les voisins »,
L’activité la plus potentiellement dérangeante pour les voisins, c’est le retournement des petites
buttes de compost, appelées andains, avec un appareil spécialisé. Photo Olivier Jean
assure M. Blain. De toute
évidence, la Ville marche sur
des œufs dans ce dossier, qui
Des spectacles qui
carburent aux poubelles
En 2003, l’École nationale du cirque a
emménagé à la
TOHU (cité des
arts et du cirque),
devenant un symbole
environnemental puissant.
Premier bâtiment
vert certifié LEED
au Québec, il est
étroitement associé
à l’usine voisine de
Gazmont, qui produit environ 7 mégawatts, de quoi alimenter en
électricité 4000 résidences.
L’électricité est produite à
partir des biogaz extraits de
l’ancien dépotoir, grâce à un
réseau de 20 km de conduits.
Brûlé, le biogaz transforme
l’eau en vapeur qui alimente
des turbines. L’hiver, cette
vapeur chauffe également la
TOHU.
Même les forts vents qui
battent ce grand espace sont
exploités. Quatre éoliennes
permettent d’alimenter l’équipement de surveillance des
conduits, régulièrement malmenés par les mouvements
de sol.
« Ce projet est celui dont nos cols
bleus sont les plus fiers. C’est un
travail titanesque, mais il avance
de jour en jour, et les budgets et
les délais sont respectés. »
soulève une opposition quasi
unanime des organismes communautaires dans le quartier
Saint-Michel.
Vers un nouveau
parc urbain
À partir de 2017, les Montréalais auront accès à un tout
nouveau parc de 1,5 km2, « le
plus vaste projet de réhabilitation environnemental jamais
entrepris par la Ville de Montréal », selon les documents
officiels.
Les déchets sont recouverts
d’une couche de près de deux
mètres, composée essentiellement de sable, d’une membrane géotextile et finalement
de terre. On peut déjà avoir
un aperçu de ce futur parc en
empruntant la boucle de 5 km
qui en fait le tour, offrant une
vue impressionnante sur ce
mélange insolite de collines
herbeuses et de petits boisés,
à quelques centaines de mètres de l’autoroute Métropolitaine.
« Ce projet est celui dont
nos cols bleus sont les plus
fiers, note Éric Blain. C’est
un travail titanesque, mais il
avance de jour en jour, et les
budgets et les délais sont respectés. » On y retrouvera notamment un lac artificiel dans
la partie nord-ouest, le lac de
l’Escarpement, un des trois
bassins de rétention du site.
Les promeneurs pourront flâner dans le boisé des Découvertes ou la plaine des Vents,
assister à des spectacles dans
un amphithéâtre creusé de
plusieurs centaines de places.
Date prévue pour la fin des
travaux : 2020. « Ce sera magnifique, un des plus beaux
parcs de Montréal, promet
M. Blain. Toute la configuration, les volumes et le choix
des végétaux ont été pensés
dans ce but. »
(Avec la collaboration
d’Audrey Ruel-Manseau)
Voir aussi les vidéos associées à
cet article
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Quelques dates
1895 : Début de l’exploitation d’une carrière de calcaire, qui
durera 90 ans, creusant ce trou spectaculaire de plus de 2 km2.
1968 : Une partie de la carrière devient un dépotoir, dans lequel
on enfouira plus de 40 millions de tonnes de déchets jusqu’en
2009. La montagne de déchets atteint jusqu’à 70 M.
1989-2008 : On installe plus de 375 puits de captage des
biogaz afin de prévenir les émissions et les gaz à effet de serre
polluants.
1996 : La centrale Gazmont convertit les biogaz en électricité.
2000 : Le site d’enfouissement ne reçoit plus de déchets
putrescibles. Ceux-ci sont réorientés vers d’autres endroits.
2003 : Ouverture de la TOHU.
2009 : Fin des activités d’enfouissement.
On peut déjà avoir un aperçu du futur parc en empruntant la boucle de 5 km qui en fait le tour, offrant une vue impressionnante sur ce mélange insolite de collines herbeuses et de petits boisés, à
quelques centaines de mètres de l’autoroute Métropolitaine. Photo Olivier Jean
Que sont Sparknews et l’Impact
Journalism Day ?
Sparknews, fondée en 2011
par Christian de Boisredon, est une plateforme numérique
qui agrège des
reportages
audiovisuels et
écrits porteurs
de solutions
concrètes aux
problèmes de
la planète. Son
slogan : « Partager les solutions, donner envie
d’agir ».
L’un des grands
projets de Sparknews
est l’Impact Journalism Day, un projet
inédit impliquant 22
grands journaux, dont
L’Orient-Le
Jour,
dans 20 pays (un seul
journal par pays). Ces
journaux sont invités à pu-
blier, le même jour, un supplément ou une édition
spéciale riche en solutions innovantes
face aux enjeux
mondiaux ou
locaux actuels.
Chaque média partenaire
produit
son
supplément
comme il l’entend, à partir des
articles produits
par Sparknews et les
journaux partenaires.
« Nous savons tous
que les mauvaises
nouvelles doivent être
traitées, car le rôle des
journalistes est d’alerter le public sur les
dysfonctionnements
de nos sociétés.
Mais aujourd’hui, les
lecteurs ont soif d’histoires
différentes. Ils recherchent
des histoires porteuses d’espoir, de solutions concrètes,
tant au niveau local que mondial », explique Sparknews.
À l’origine de l’Impact
Journalism Day, se trouve
un défi lancé par Christian
de Boisredon au quotidien
français Libération. Après un
débat, en 2007, au cours duquel le directeur de l’époque,
Didier Pourquery, soutenait
que les « bonnes nouvelles »
ne font pas vendre, Christian de Boisredon le met au
défi de publier une édition
spéciale de Libération dédiée
aux solutions aux enjeux et
problèmes à travers le monde. Cette publication sort un
29 décembre, une date loin
d’être idéale en termes de
vente... Le « Libé des solutions » fut la meilleure vente
de l’année.
1999-2013 : Recouvrement de l’ancien dépotoir, qui deviendra
un parc de 1,5 km2.