Transcript J2150

Émulsification
Élaboration et étude des émulsions
par
Pascal BROCHETTE
Docteur de l’université Pierre-et-Marie-Curie, Paris VI
Ancien responsable du laboratoire Tensioactifs et Formulation
du Groupement de recherches de Lacq, Elf Atochem
Consultant scientifique et technique dans l’industrie cosmétique, pharmaceutique
et chimique
Formateur pour adulte (Ic&F)
1.
1.1
1.2
1.3
Importance industrielle et principe de formation des émulsions
Définition ......................................................................................................
Domaines d’application ..............................................................................
Préparation...................................................................................................
2.
2.1
2.2
2.3
2.4
2.5
2.6
Physico-chimie ..........................................................................................
Formation .....................................................................................................
Stabilité.........................................................................................................
Physico-chimie des émulsifiants ................................................................
Critères physico-chimiques de choix des émulsifiants.............................
Nature de la phase grasse et de la phase polaire .....................................
Inversion de phase. Importance de la fraction volumique
de phase dispersée......................................................................................
—
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4
4
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6
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7
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8
3.
3.1
3.2
3.3
3.4
3.5
3.6
Stratégies pour la formulation.............................................................
Importance du mode opératoire ................................................................
Rationalisation du choix des constituants .................................................
Méthode HLB ...............................................................................................
Méthode par température d’inversion.......................................................
Émulsification par cisaillement laminaire .................................................
Techniques de stabilisation.........................................................................
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10
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4.
4.1
4.2
4.3
4.4
4.5
Caractérisation des émulsions.............................................................
Sens de l’émulsion ......................................................................................
Qualité de l’émulsification ..........................................................................
Stabilité.........................................................................................................
Propriétés rhéologiques..............................................................................
Propriétés organoleptiques et protection microbiologique .....................
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5.
5.1
5.2
5.3
5.4
5.5
Émulsions complexes..............................................................................
Émulsions transparentes ............................................................................
Émulsions concentrées ...............................................................................
Émulsions multiples ....................................................................................
Miniémulsions .............................................................................................
Autoémulsification ......................................................................................
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18
18
Pour en savoir plus ...........................................................................................
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2
Doc. J 2 150
L
e terme émulsion vient probablement du latin « emulgere », qui signifie
traire. Ce terme désigne aujourd’hui un système comprenant au moins deux
liquides non miscibles, dont l’un est dispersé dans l’autre, sous une forme plus
ou moins stable. Rigoureusement parlant, une émulsion est instable du point de
vue de la thermodynamique. En pratique, on constate cependant des stabilités
qui peuvent atteindre plusieurs années. La stabilisation du système dépend à la
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ÉMULSIFICATION
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fois de l’énergie dépensée pour disperser un liquide dans l’autre et du savoirfaire du formulateur à qui revient le choix des stabilisants.
La fabrication des émulsions est connue depuis l’Antiquité, mais leur étude
scientifique ne date que du début du 20e siècle. En quelque 90 ans, la connaissance et l’utilisation des émulsions dans différentes applications a pris une
ampleur extraordinaire.
Cet article tente de décrire de manière concise d’une part la physique qui soustend le phénomène d’émulsification et d’autre part un aspect pratique de l’élaboration et de l’étude d’une émulsion.
1. Importance industrielle
et principe de formation
des émulsions
1.1 Définition
Il existe de nombreuses situations où deux liquides non miscibles
doivent être compatibilisés de manière que leur mélange puisse
être manipulé, administré, utilisé sans démixtion. L’une des techniques les plus répandues consiste à émulsifier une phase dans
l’autre en utilisant une agitation mécanique, d’une part, et un composé émulsifiant, d’autre part. La formulation obtenue, qui est une
émulsion, peut le plus souvent être décrite comme une dispersion
de gouttelettes de l’une des phases dans l’autre. On distingue donc
une phase dispersée et une phase continue. On parlera d’émulsion
eau dans huile E/H si la phase continue est une phase grasse, et
d’émulsion huile dans eau H/E si la phase continue est constituée
d’un liquide polaire associé (d’ordinaire, il s’agit d’eau ou d’une
solution aqueuse).
En règle générale, la fraction volumique de la phase continue est
plus importante. Lorsque la phase continue est minoritaire en
volume (moins de 30 %), on parle d’émulsions concentrées.
La taille des gouttelettes formant la phase dispersée d’une émulsion est typiquement de l’ordre du micromètre (0,1 à 100 µm) et
impose l’aspect blanc opaque commun à la plupart des émulsions.
Une émulsion peut être fluide, crémeuse ou même gélifiée, donnant
toute une gamme de textures qui expliquent l’intérêt que portent à
ces systèmes des domaines industriels tels que l’hygiène-beauté ou
l’agroalimentaire.
Il convient de bien distinguer les émulsions de ces systèmes particuliers que l’on appelle microémulsions qui feront l’objet d’un article séparé dans ce traité. L’une des principales caractéristiques qui
différencie les émulsions des microémulsions est que ces dernières
sont des systèmes dispersés thermodynamiquement stables (formation spontanée, sans apport d’énergie comme pour une émulsion).
1.2 Domaines d’application
Les domaines où interviennent les émulsions sont extrêmement
nombreux. Ils peuvent cependant être répartis en trois grandes classes.
■ L’apparition d’une émulsion peut être le résultat non désiré d’un
procédé. C’est, par exemple, le cas des émulsions d’huile brute
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(émulsions eau dans huile, E/H) produites lors de l’exploitation de
gisements pétroliers. Mais l’on retrouve aussi ce phénomène dans
la plupart des procédés de laminage, d’usinage, de dégraissage, et
tous ceux où les eaux de rejet doivent être déshuilées avant évacuation. Au lieu de chercher à conserver l’état émulsionné, on aura ici
comme souci principal de casser l’émulsion formée de manière
inopportune en utilisant des additifs ou des procédés désémulsionnants.
■ Dans l’industrie chimique, les émulsions interviennent souvent
comme étape d’un procédé, par exemple lors de la fabrication de
certains thermoplastiques (polymérisation en émulsion).
■ Enfin, les émulsions constituent, dans de nombreux cas, les produits finaux issus du procédé industriel. Le résultat recherché est
alors d’abord le maintien d’un mélange homogène.
Exemple : émulsion eau dans gazole Aquazole développée en tant
que carburant Diesel propre.
Dans certains secteurs, la texture de l’émulsion est un paramètre
essentiel (cas général de l’industrie cosmétique).
1.3 Préparation
1.3.1 Ingrédients, matériel et méthodes
1.3.1.1 Phases liquides non miscibles
Pour réaliser une émulsion, deux liquides non miscibles sont
nécessaires : une phase non polaire (liquide non associé, où ne sont
échangées que des interactions de type Lifshitz − Van der Waals
notées LW) et une phase polaire associée (liquide associé, où sont
échangées à la fois des interactions de type Lifshitz − Van der Waals
et des interactions de type acide-base de Lewis [par exemple, liaison
hydrogène] notées AB). C’est l’absence d’interactions acide-base à
l’interface entre les deux liquides qui est précisément responsable
de la non-miscibilité [1] [2]. Dans la plupart des cas, la phase polaire
est une solution aqueuse. Comme exemples de phase grasse
citons :
— les
huiles
minérales
(huiles
paraffiniques,
huiles
naphténiques...) ;
— les alcools et acides gras longs ;
— les composés estérifiés (esters d’acides gras, esters de glycol,
triglycérides...) ;
— les huiles siliconées (pentadiméthylsiloxane, hexadiméthylsiloxane...) ;
— les huiles fluorées ;
— les cires (que l’on émulsifie fondues) (cire de carnauba, cire
d’abeille...) ;
— différentes phases grasses complexes (brut pétrolier, bitume).
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De manière paradoxale à première vue, deux composés partiellement miscibles sont plus délicats à émulsionner. En fait, s’il n’existe
pas d’interface franche entre les deux phases liquides, l’émulsification n’est pas la bonne méthodologie.
On aura plutôt recours, dans ce cas, à des techniques de cosolubilisation (cf. référence [3], article [J 2 125] de ce traité).
1.3.1.2 Moyen mécanique de dispersion
Bien qu’une agitation manuelle suffise parfois, un moyen d’agitation mécanique est le plus souvent indispensable à l’obtention
d’émulsions ayant une durée de vie importante. Différents moyens
mécaniques de dispersion sont utilisables : ancre, hélice, mobile
multipale, mélangeur statique, moulin colloïdal, disperseur à ultrasons, homogénéisateurs haute pression (cf. référence [4], article
[J 2 165] de ce traité). Le type de système de dispersion est à choisir
en fonction de la finesse désirée pour l’émulsion. Outre le cisaillement responsable de la dispersion, le système mécanique doit aussi
assurer une circulation et un transport suffisants du liquide, afin que
l’ensemble du volume puisse traverser la zone de dispersion en un
temps donné. De nombreux appareils disposent d’une turbine pour
l’émulsification et de pales ou d’ancres pour favoriser la circulation
au sein de la cuve de préparation.
[c’est-à-dire l’eau] ne peut pas établir de liaisons hydrogènes avec la
phase huile, alors que les interactions de Van der Waals sont quasiment satisfaites. Étendre l’interface huile/eau correspond ainsi à la
perte de liaisons hydrogènes, c’est-à-dire qu’il faut fournir de l’énergie au système pour réaliser cette extension. Les surfaces (interfaces) possèdent ainsi une énergie que l’on nomme énergie
superficielle (énergie interfaciale), qui correspond au travail qu’il
faut effectuer pour les étendre d’une unité d’aire. Ces énergies par
unité de surface s’expriment en millijoules par mètre carré (mJ/m2).
Le tableau 1 donne quelques ordres de grandeur pour l’énergie de
surface et l’énergie interfaciale.
Tableau 1 – Ordre de grandeur des énergies de surface
et des énergies interfaciales
Domaine
Sufaces
1.3.1.3 Agent émulsionnant
Pour que l’émulsion soit durable (c’est-à-dire que l’état dispersé
demeure lorsque l’agitation mécanique cesse), il est nécessaire
d’utiliser un agent émulsionnant ou émulsifiant. Bien qu’il puisse
aussi faciliter le phénomène de dispersion en abaissant la tension
interfaciale, le rôle de l’agent émulsifiant est surtout de stabiliser le
système dispersé en inhibant les phénomènes de dégradation
(cf. § 2.2).
Parmi les agents émulsionnants, citons les tensioactifs [5], les
polymères, les cristaux liquides, les solides divisés. Les émulsionnants les plus largement utilisés sont les tensioactifs. Il est judicieux
alors d’utiliser un mélange de tensioactifs, dont la composition peut
être ajustée de manière à optimiser la formulation (cf. § 3.3).
Interfaces
D’ordinaire, la phase à disperser est introduite progressivement
dans la phase continue où l’on impose l’agitation mécanique. Par
exemple, l’huile sera versée dans la phase aqueuse pour préparer
une émulsion huile dans eau (H/E).
Si des constituants sont introduits à chaud ou s’il est nécessaire
de passer par une étape où la température est élevée (80 °C par
exemple), le mode opératoire doit prendre en compte l’existence
d’autres constituants qui peuvent être volatils (huile de silicone, parfums et arômes) ou de stabilité insuffisante (parfums, vitamines,
actifs) : ces constituants fragiles ou occasionnant un risque du fait
d’un point d’éclair bas, seront ajoutés à la fin de la fabrication.
1.3.2 Aspect énergétique.
Ordres de grandeur
1.3.2.1 Non-miscibilité et énergie interfaciale.
Pression de Laplace
La non-miscibilité des phases liquides a pour origine les interactions moléculaires [1]. À l’interface, la phase liquide polaire associée
Interactions
non satisfaites
Eau/air
73
AB et LW
Glycérol/air
50
AB et LW
Huile/air
20 à 40
LW
Eau +
tensioactifs/air
10 à 30
LW
Eau/huile
50
AB
Eau +
tensioactifs/
huile
0,1 à 10
L’existence d’une énergie interfaciale a une conséquence importante sur l’état du liquide dispersé sous forme de gouttelettes. Il
existe une surpression ∆p à l’intérieur des gouttelettes, directement
proportionnelle à l’énergie interfaciale et inversement proportionnelle au rayon. Cette surpression est décrite par la loi de Laplace :
1.3.1.4 Mode opératoire
Le mode opératoire fixe l’ordre d’introduction des constituants,
les températures à respecter à différentes étapes de la préparation,
les types d’agitation (pale, ancre, turbine), les vitesses et les temps
d’agitation, le temps de refroidissement. Le mode opératoire est un
élément essentiel : avec les mêmes ingrédients, la même machine,
deux modes opératoires différant, par exemple, par l’ordre d’introduction des constituants peuvent aboutir à deux émulsions radicalement différentes.
Énergie
(mJ/m2)
Type
2γ
∆p = -----r
avec
∆p
surpression de Laplace (Pa),
γ
énergie interfaciale (mJ/m2),
r
rayon de la gouttelette (m).
(1)
Plus le rayon r est faible, plus cette surpression augmente : les
petites gouttelettes sont moins déformables que les grosses, et
donc plus difficiles à fragmenter pour obtenir de plus petites tailles.
1.3.2.2 Énergie réellement nécessaire pour étendre
l’interface
Créer de l’interface demande de l’énergie. Comment cette énergie
se compare-t-elle à l’énergie habituellement dépensée pour réaliser
une émulsion ?
Exemple : étudions le système constitué de 30 mL d’huile et de
70 mL d’eau.
Sous l’effet d’un procédé de dispersion donné, nous supposerons
que la phase huile est dispersée sous forme de gouttelettes de 1 µm
de diamètre. L’interface eau-huile créée pour constituer ces gouttelettes est de 90 m2, ce qui est assurément une surface importante pour
un volume total de 100 mL. Pourtant l’énergie associée à cette création
de surface n’est que de 90 x 50 mJ = 4,5 J. Pour fixer les idées, rappelons qu’une valeur de 4,5 J correspond environ à l’énergie nécessaire
au fonctionnement d’une ampoule électrique de 40 W durant 0,5
seconde.
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ÉMULSIFICATION
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Cette énergie est donc extrêmement faible à l’échelle humaine, et
sans commune mesure avec l’énergie réellement dépensée par les
machines utilisées pour fabriquer les émulsions.
1.3.2.3 Énergie mécanique et dissipation visqueuse
La raison pour laquelle une énergie importante doit être dépensée
pour fabriquer une émulsion alors même que le coût d’extension de
l’interface est faible s’explique par la dissipation visqueuse dans la
phase continue. Nous ne sommes en effet pas en mesure de fragmenter individuellement les gouttelettes pour diminuer leur taille :
cette tâche est accomplie par le liquide constituant la phase continue, mis en mouvement par le système mécanique de dispersion.
La fragmentation des gouttelettes se produira si un cisaillement
local suffisant existe (figure 1), mais ce cisaillement local s’accompagne du frottement de veines liquides qui dissipe une partie importante de l’énergie fournie par la turbine ou la pale. Cette énergie
mécanique est dégradée sous forme de chaleur, et il est pour cela
souvent nécessaire de refroidir la formulation en cours d’émulsification si l’on veut contrôler la température (et, par voie de conséquence, certaines caractéristiques des tensioactifs utilisés, cf. § 3.4).
L’énergie mécanique transmise par le système de dispersion est
donc répartie en dissipation visqueuse au sein du liquide et en
énergie utilisée pour la fragmentation. Cette dernière est minoritaire, et comprend l’énergie de déformation (viscosité de la phase
dispersée, viscosité interfaciale, surpression de Laplace), et l’énergie interfaciale. Dans ce processus, la viscosité des phases continue
et dispersée est un paramètre d’importance. La meilleure efficacité
du système d’agitation sera obtenue lorsque ces viscosités seront
du même ordre (rendement de transmission des contraintes). Si la
viscosité des deux phases est voisine, un cisaillement doux est suffisant.
1.3.2.4 Importance du procédé : concentration
de l’énergie et transport
Ainsi que nous venons de le voir, l’émulsification ne devrait pas
être considérée indépendamment d’un procédé de fabrication. Deux
métiers interviennent en effet pour atteindre le résultat escompté :
de manière schématique, nous pourrions dire que le formulateur
doit particulièrement optimiser la stabilisation de l’interface (éviter
les phénomènes de dégradation pouvant intervenir une fois la dispersion effectuée), alors que le responsable du procédé s’attachera
à optimiser le rendement de l’énergie utilisée pour réaliser la dispersion [optimisation du transport dans la cuve, optimisation du
cisaillement (densité d’énergie par unité de volume)]. Dans de nombreux cas, formulation et procédé sont toutefois étroitement imbriqués.
2. Physico-chimie
2.1 Formation
La physique donne de l’émulsification une image assez précise,
bien que des zones d’ombre subsistent encore. La formation des
émulsions sous l’effet de l’agitation mécanique est décrite soit par
un modèle cinétique bien adapté à une prise en compte des paramètres de formulations, soit par une approche hydrodynamique
mieux adaptée à la description du procédé d’émulsification
employé. La prise en compte dans un modèle global de la formation
et de la coalescence des gouttelettes permet d’obtenir une description globale de l’émulsification intégrant des paramètres de procédé
et de formulation.
Une fois l’émulsion formée, il est nécessaire d’empêcher la
démixtion, en bloquant les mécanismes de dégradation.
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Temps
Ce mouvement s'accompagne d'une forte dissipation visqueuse
(frottement des veines liquides).
Figure 1 – Cisaillement d’une gouttelette par deux veines liquides
en mouvement l’une par rapport à l’autre
2.2 Stabilité
Une émulsion est un système qui n’est pas à l’équilibre thermodynamique (équilibre thermodynamique = égalité des potentiels
chimiques de chaque espèce chimique dans toutes les phases). La
stabilité des émulsions n’existe que parce que le formulateur est
capable de ralentir ou d’inhiber les mécanismes physiques qui
conduisent normalement à la démixtion des phases non miscibles.
On recense quatre mécanismes de déstabilisation, classés ici par
ordre de gravité croissante.
2.2.1 Mûrissement d’Ostwald
Le mûrissement d’Ostwald dépend d’une part de la granulométrie
et d’autre part de la surpression de Laplace. À l’issue de l’étape
d’émulsification, la population de gouttelettes n’est pas homogène
en taille : on observe généralement une granulométrie se rapprochant d’une distribution log-normale. Dans chaque classe de taille
existe donc une surpression de Laplace différente, plus grande pour
les faibles tailles. L’existence de cette surpression implique que le
potentiel chimique dans les petites gouttes est plus élevé que dans
les grosses gouttes. Le retour vers l’équilibre thermodynamique
s’accompagne donc d’un flux de matière des petites vers les grosses gouttes, au travers de la phase continue. Les petites gouttes se
vident au profit des plus grosses, et la granulométrie se modifie
puisque les classes de faible taille disparaissent. Ce phénomène
constitue le mûrissement d’Ostwald.
Le mûrissement d’Ostwald est en pratique peu gênant dans la
plupart des émulsions fabriquées. Lorsque cette modification de
granulométrie est un handicap, il est nécessaire de minimiser la
solubilité dans la phase continue des molécules qui constituent la
phase dispersée (inhibition du transport de matière) ou de diminuer
l’énergie interfaciale (diminution de la surpression de Laplace).
Il faut noter que des phénomènes identiques peuvent se produire
lorsque des gouttes de composition différente sont en présence, par
exemple suite au mélange de deux émulsions : on parle alors de
mûrissement compositionnel [6], le résultat étant une identité de
composition de toutes les gouttes de l’émulsion finale.
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g12
--2g12
Cette énergie est directement proportionnelle à l'énergie interfaciale
particule/phase continue, et opposée à la variation d'énergie libre
associée à la transformation dispersées
floculées représentée ici.
Figure 2 – Énergie d’adhésion (par unité de surface de contact)
entre deux particules immergées dans une phase continue
2.2.2 Floculation
Quelquefois les gouttelettes formées ne restent pas indépendantes les unes des autres, mais tendent à se regrouper pour former
des grappes. Ce phénomène, appelé floculation est souvent précurseur de la sédimentation des grappes ainsi formées. La floculation a
pour origine une adhésivité des gouttelettes, dont l’origine est une
compétition entre agitation thermique et forces de Van der Waals.
Les gouttelettes d’une émulsion sont en effet animées d’un mouvement brownien, qui induit des chocs entre gouttelettes. Si une interaction attractive suffisante existe entre les gouttes ainsi mises en
contact, elles restent associées. Cette interaction attractive peut
avoir plusieurs causes. On distinguera les cas suivants.
■ Floculation par interaction de Lifshitz − Van der Waals, dont la
portée est largement augmentée pour des objets microscopiques
(par rapport aux interactions moléculaires variant en 1/d 6, où d
représente la distance entre molécules ou objets, les interactions LW
ont une portée variant en 1/d 3 ou même 1/d 2). Cette interaction est
toujours attractive pour les phases liquides pures, sa valeur par
unité de surface accolée (figure 2) étant fixée à deux fois l’énergie
interfaciale (une interaction LW répulsive signifierait ici que les liquides sont miscibles).
■ Floculation par déplétion, induite par la présence de micelles ou
de polymères dans la phase continue. Lorsque deux gouttes se rapprochent, il arrive un moment où les objets (micelles, pelotes polymériques), initialement répartis dans tout le volume disponible de
phase continue, n’accèdent plus à l’espace séparant les deux gouttes (figure 3). Cette zone de phase continue séparant encore les
deux gouttes est trop étroite pour accommoder les micelles ou les
pelotes de polymère : il y a déplétion, c’est-à-dire appauvrissement
de ce film liquide en objets solvatés. Une différence de pression
osmotique existe donc qui favorise un flux de liquide de la zone
liquide séparant les gouttes vers le reste de la phase continue.
L’accolement des gouttes est donc favorisé. La floculation par déplétion augmente en efficience avec le rayon des gouttes. Ce mécanisme peut sembler subtil. Son efficacité est cependant telle que
l’on peut y recourir pour réaliser une sorte de purification granulométrique [7] des émulsions : il est ainsi possible d’induire des floculations successives à l’aide de polymères ou de micelles,
aboutissant à une fragmentation de l’émulsion initiale en une série
d’émulsions monodisperses.
■ Floculation par pontage, provoquée par l’adsorption de polymères de haute masse moléculaire. Dans certains cas que nous aborderons plus loin, l’usage de polymères partiellement adsorbés à la
surface des gouttes permet de lutter efficacement contre la floculation. Mais si une telle stratégie est retenue, il convient d’être attentif
à ne pas choisir des polymères de trop haute masse moléculaire
Lorsque deux gouttes sont proches, les petites entités n'ont plus accès à
l'espace interstitiel. Se développe alors une pression osmotique qui
accroît le drainage du film mince et provoque l'adhésion des gouttes.
Figure 3 – Floculation par déplétion, induite par la présence
de petites entités (micelles de tensioactifs, pelotes polymériques)
dans la phase continue
(c’est-à-dire trop longs), au risque de voir ces polymères s’adsorber
sur plusieurs gouttes simultanément en réalisant un pontage entre
gouttes, favorisant du même coup la floculation que l’on cherchait
précisément à empêcher.
2.2.3 Sédimentation et crémage
Sédimentation et crémage sont le résultat du même phénomène,
dont le moteur est la pesanteur. Parce que le système est nécessairement en équilibre cinétique, une goutte de phase dispersée est
animée d’un mouvement brownien induit par les molécules de solvant, la quantité de mouvement étant conservée lors des chocs solvant/particule. La même goutte est soumise au champ de pesanteur
terrestre, qui tend à imposer un mouvement vers le bas si la goutte
est plus dense que la phase continue ou vers le haut dans le cas
contraire. Cette compétition entre agitation brownienne et pesanteur aboutit à une inhomogénéité de l’émulsion laissée sans
agitation : si l’on se place à une hauteur h par rapport au bas de la
cuve, le nombre de gouttes par unité de volume C(h) est donné par
la traditionnelle distribution de Boltzmann :
∆ρ V g h
C ( h ) = C ( 0 ) exp  Ð ---------------------- 
kT
avec
(2)
C (h )
nombre de particules par unité de volume à la hauteur
h (cm−3),
C(0)
nombre de particules par unité de volume à la hauteur
h = 0 (fond de cuve) (cm3),
∆ρ
différence de masse volumique entre phase dispersée
et phase continue (mg/cm3),
V
volume des particules (m3),
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ÉMULSIFICATION
g
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accélération due à la
(g = 9,807 m/s2),
pesanteur terrestre (m/s2)
h
hauteur dans la cuve de stockage (m),
k
constante de Boltzmann (J/K) (k = 1,38066 x 10−23 J/K),
T
température absolue (K).
Considérons le cas d’une émulsion eau dans huile E/H laissée au
repos ; la concentration en gouttes risque de diminuer avec la hauteur à la manière d’une exponentielle décroissante. Si le volume V
des gouttes est important, la majorité des gouttelettes sera rassemblée au bas de la cuve de stockage, et l’on pourra alors observer un
culot de sédimentation. Si l’on avait considéré une émulsion huile
dans eau H/E, la loi de distribution serait identique, mais l’on observerait une accumulation de gouttelettes dans la partie supérieure de
la cuve de stockage : on parle alors de crémage. C’est exactement ce
phénomène qui intervient avec le lait frais et qui laisse apparaître
une épaisse couche de crème. L’homogénéisation du lait consiste à
réduire le volume des gouttes de lipides stabilisées par des protéines, de manière à favoriser l’agitation brownienne au détriment de
la pesanteur.
Dans de nombreux cas, le culot de sédimentation ou la collerette
de crémage sont redispersibles à l’aide d’une agitation douce : il y a
réversibilité.
Même si aucun culot de sédimentation (ou collerette de crémage)
n’est perceptible sur une émulsion conservée hors agitation, les
gouttes de phase dispersée ne sont pas toujours réparties de
manière homogène dans toute la hauteur des cuves de stockage :
avant toute prise d’échantillon, il convient d’agiter le système.
Nous venons de voir la répartition des gouttelettes à l’équilibre
thermique. Considérons maintenant la vitesse de sédimentation v
d’une particule de rayon r, de masse m, plongée dans une phase
continue de viscosité η. Cette particule étant soumise à une force
due au champ de pesanteur :
F = mg
R = 6 π η r v (loi de Stockes)
Lorsque ces deux forces se compensent, la particule atteint sa
vitesse limite, qui est la vitesse de sédimentation :
avec
v
m
η
r
∆ρ
(3)
(séparant deux gouttes en contact) est un domaine actif de la recherche contemporaine. Nous reviendrons sur ce point ultérieurement.
2.3 Physico-chimie des émulsifiants
Les agents émulsifiants jouent un rôle essentiel dans la formation
et la conservation des émulsions. Nous présentons ici quelques
notions de physico-chimie des émulsifiants qu’il est utile de connaître pour bien aborder l’émulsification.
Un tensioactif ou surfactif est une molécule dotée [5] :
— d’un pôle hydrophobe capable uniquement d’interactions de
Van der Waals (LW) (par exemple, chaîne grasse) ;
— d’un pôle hydrophile capable de développer des interactions
de Van der Waals (LW), des interactions acide-base de Lewis (AB)
telles que la liaison hydrogène (par exemple, oxydes d’éthylène) et,
éventuellement des interactions électrostatiques lorsqu’une fonction ionisable est présente [par exemple, (CH3)3N+…].
rayon des particules (m),
De par sa structure, le tensioactif tend à s’accumuler dans les
zones interfaciales séparant un liquide polaire associé (interactions
LW +AB) d’un liquide ou d’un solide non-polaire, ou d’une phase gaz
(interactions LW uniquement). En s’adsorbant, il confère de nouvelles propriétés à l’interface, dont le rôle est très important dans la stabilisation des émulsions ou des mousses.
différence de masse volumique entre particule et
phase continue (mg/cm3).
2.3.1.1 Élasticité
vitesse de sédimentation (m/s),
masse apparente des particules (kg),
viscosité de la phase continue (poise),
2.2.4 Coalescence
Floculation, sédimentation et crémage sont des phénomènes
réversibles (une agitation faible permet la redispersion). Ce n’est
pas le cas de la coalescence, qui est le phénomène de dégradation
ultime des émulsions. La coalescence est l’inverse de l’étape de
dispersion : deux ou plusieurs gouttes vont fusionner pour former
une goutte plus grosse. Le processus se répétant, la phase dispersée démixte, et l’on revient au système diphasique de départ
(figure 4). Tous les phénomènes qui favorisent un rapprochement
durable des gouttes placent le système dans une situation a priori
favorable à la coalescence. Les mécanismes intimes de la coalescence sont encore mal connus, mais la physique des films minces
J 2150 − 6
Figure 4 – Coalescence d’une émulsion (ici huile dans eau H/E)
2.3.1 Tensioactifs
sa vitesse de déplacement va augmenter. Du fait des frottements de
la particule sur le fluide constituant la phase continue, une résistance visqueuse se développe, proportionnelle à la vitesse de la
particule :
2 ∆ρ g r 2
mg
v = ------------- = --- -------------------η
9
6π ηr
Ce phénomène provoque, à plus ou moins long terme, le retour aux
phases liquides telles qu'avant émulsification. C'est le mécanisme de
dégradation ultime d'une émulsion.
La première des propriétés conférées par le film de tensioactifs
est l’élasticité, c’est-à-dire la capacité à retrouver son étendue initiale à l’issue d’un étirement. Si l’on considère, par exemple, un film
d’eau savonneuse, l’élasticité interfaciale permet au film de supporter les sollicitations mécaniques sans s’amincir, l’amincissement
étant l’une des causes qui peut conduire à la rupture du film.
En général, un tensioactif dont la cinétique d’adsorption est
rapide ne permet pas une bonne élasticité. Dans tous les cas,
lorsqu’un mécanisme d’adsorption/désorption peut intervenir,
l’élasticité est pénalisée par une concentration excessive de tensioactif, en particulier dans la phase dispersée.
L’élasticité est une grandeur accessible à la mesure, par tensiométrie [tensiomètre statique (plaque de Whilemy, anneau de Du Nouÿ,
trapèze) ou dynamique (pression de goutte, analyse de profil)].
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______________________________________________________________________________________________________________________ ÉMULSIFICATION
2.3.1.2 Courbure spontanée et rigidité [8]
La deuxième propriété essentielle est liée non plus à un étirement
longitudinal, mais à une déformation par torsion du film interfacial.
En raison des interactions moléculaires existantes − et qui ne sont
en général pas strictement égales − de chaque côté du film avec chacune des deux phases liquides en présence, l’interface peut adopter
une courbure spontanée Co. Un tensioactif lipophile aura, par exemple, tendance à imposer une courbure spontanée négative (par
convention la courbure est donnée en référence à la phase polaire :
une courbure négative correspond à un enfermement de la phase
polaire). S’écarter de cette courbure spontanée, par exemple en
augmentant la taille de gouttelettes d’eau, coûte de l’énergie. Ce
coût énergétique − au sens de la thermodynamique − est directement proportionnel à la constante de rigidité du film.
Exemple : imaginons une feuille d’acier et une feuille de papier.
Pour une même déformation, il faut dépenser plus d’énergie dans le
cas de l’acier que dans le cas du papier. L’acier est plus rigide.
Dans le cas des émulsions, la taille des gouttes (ordre de
grandeur : 10−6 m) est très largement supérieure à la taille des molécules de tensioactifs (ordre de grandeur : 10−9 m) : à l’échelle moléculaire, la courbure d’une goutte d’émulsion est nulle quel que soit
le sens, eau/huile ou huile/eau, observé. Il serait donc erroné de prétendre que la courbure spontanée permet d’expliquer directement
le sens d’une émulsion. La courbure semble cependant jouer un rôle
essentiel dans la stabilité vis-à-vis de la coalescence [9] [10]. Selon
le modèle de Kabalnov [11], la constante de rigidité et la courbure
spontanée sont deux paramètres importants lorsque l’on décrit la
création d’un pore dans le film mince séparant encore deux gouttelettes qui vont coalescer.
2.3.1.3 Double couche ionique
La dernière propriété que confère le tensioactif adsorbé à l’interface est la création d’une double couche ionique, s’il est doté de
fonctions ionisables. L’existence de cette double couche ionique
aura pour double conséquence d’éviter la floculation d’une part
(théorie DLVO [12] [13]) et, d’autre part, de renforcer la résistance
mécanique du film mince, par exemple dans le cas d’émulsions
concentrées. La densité des tensioactifs ioniques à l’interface est en
outre très influencée par la charge électrique portée par le pôle
hydrophile.
2.3.2 Polymères
Les polymères représentent une classe particulièrement importante des adjuvants utilisés pour la fabrication des émulsions. Leurs
capacités à s’absorber et à stabiliser l’interface envers les mécanismes de floculation et de coalescence sont mises à profit par les formulateurs. Il convient en général de choisir un polymère possédant
des portions hydrophiles et des portions lipophiles. On attend principalement ici un effet d’encombrement stérique qui empêche le
rapprochement des gouttelettes. En ce qui concerne la floculation, il
convient de ne pas utiliser un polymère trop long, risquant de ponter plusieurs gouttes, qui ne ferait qu’aggraver le phénomène indésirable.
Les polymères hydrosolubles peuvent cependant permettre de
stabiliser une émulsion H/E concentrée, lorsque les gouttes sont en
contact et se déforment : les pelotes de polymère − prisonnières des
films minces aqueux séparant les gouttes − inhibent le phénomène
de coalescence [14].
2.3.3 Cristaux liquides
Il peut être intéressant de recourir à des cristaux liquides [15]
pour stabiliser les émulsions. Cette stabilisation est aussi une stabilisation d’origine entropique (stérique), des cristaux liquides se for-
mant à l’interface et créant une barrière qui inhibe de manière
importante le phénomène de coalescence.
2.3.4 Solides divisés
Depuis Pickering [16], on connaît les émulsions dont la stabilisation provient de fines particules solides adsorbées à l’interface eau/
huile. Le mécanisme par lequel ces particules empêchent la coalescence est simple. Les particules solides exigent une extension donnée de l’interface. Créée à la suite d’une agitation, la dispersion sous
forme de gouttelettes induit une interface plus importante que
nécessaire. La coalescence va donc réduire progressivement l’aire
interfaciale, rendant de plus en plus dense la couverture des particules solides. Lorsque le minimum possible est atteint, une réduction
supplémentaire de l’interface exigerait d’en retirer des particules
solides, ce qui est une opération énergétiquement défavorable : la
coalescence s’arrête alors.
Le résultat obtenu avec ce type de stabilisant (talc, nacre micronisée, chitine) est souvent esthétique. On peut trouver de beaux
exemples d’émulsions de Pickering en cosmétique.
2.4 Critères physico-chimiques
de choix des émulsifiants
Si l’on s’en tient aux critères physiques exposés précédemment,
il est évident qu’une meilleure stabilité des émulsions sera obtenue
avec des tensioactifs dont la cinétique d’adsorption n’est pas trop
rapide, utilisés sans excès et, enfin, capables d’imposer une pénalité de courbure (c’est-à-dire une barrière d’énergie due à l’énergie
de courbure) suffisante pour empêcher la coalescence. Malheureusement, ces paramètres physiques, dont on sait qu’ils contrôlent les
phénomènes de dégradation constatés dans les émulsions, ne sont
pas aisément mesurables expérimentalement en prenant en compte
toute la complexité de l’émulsion. Un travail important reste à réaliser pour rendre accessibles ces grandeurs physiques. Il existe heureusement des techniques indirectes pour se situer par rapport à la
courbure optimale du film interfacial. Ces techniques de formulation
font appel à des diagrammes de phase, aux connaissances acquises
dans la formulation des microémulsions [17], et encore souvent à la
méthode HLB développée par Griffin (cf. § 3.3).
2.5 Nature de la phase grasse
et de la phase polaire
Comme nous l’avons déjà dit au paragraphe 2.3.1.2, la courbure
est directement dépendante des interactions établies à l’interface.
Ces interactions existent entre les tensioactifs (répulsions électrostatiques, attraction de Van der Waals), mais aussi entre le tensioactif et la phase grasse ou entre le tensioactif et la phase polaire. Dans
ce contexte, un changement de phase liquide peut être à même de
modifier la courbure et, par conséquent, de modifier la stabilité de
l’émulsion.
Exemple : cas des alcanes [17] : lorsque l’on passe, par exemple,
du pentane à l’hexadécane, on peut inverser l’expression des tensioactifs qui vont se comporter comme s’ils étaient lipophiles avec le pentane et hydrophiles avec l’hexadécane.
Il convient donc d’être toujours attentif lors de l’adaptation d’une
formule déjà existante dans laquelle on veut changer la phase
grasse ou la phase polaire, soit complètement soit par adjonction
d’un nouveau composé. Il peut s’avérer nécessaire de réajuster la
composition du mélange tensioactif.
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J 2150 − 7
ÉMULSIFICATION
______________________________________________________________________________________________________________________
2.6 Inversion de phase. Importance
de la fraction volumique
de phase dispersée
exemple, le cas de l’acide stéarique dont il est possible de provoquer l’ionisation en augmentant le pH), il convient de compter ce
type de composé dans les tensioactifs et non dans la phase grasse.
Ajuster la nature des tensioactifs, de la phase polaire ou de la
phase grasse, permet de promouvoir une inversion de phase que
l’on dit transitionnelle. Ce contrôle de la nature de l’émulsion et de
sa stabilité devient plus difficile lorsque la fraction volumique de
phase dispersée excède 70 %. Il est ainsi possible de provoquer
l’inversion d’une émulsion initialement eau dans l’huile en augmentant la fraction volumique de phase dispersée, c’est-à-dire d’eau,
sans rien changer en ce qui concerne la nature chimique des constituants utilisés. On parle ici d’inversion catastrophique [18] [19] [20],
le changement étant provoqué non pas par un changement de
nature de l’un des composants, mais simplement par un changement de la fraction volumique de la phase dispersée. Il existe néanmoins des cas où le mélange tensioactif permet de faire reculer la
limite d’inversion de phase : on obtient alors des émulsions concentrées pour lesquelles la fraction volumique de phase dispersée peut
dépasser 95 %. Compte tenu de leur structure rappelant fortement
les mousses hexagonales, ces systèmes sont souvent appelés
mousses biliquides.
3.3 Méthode HLB
3. Stratégies
pour la formulation
Depuis cinquante ans, la méthode HLB (Hydrophilic/Lipophilic
Balance) [21] à [27], introduite par Griffin, s’est imposée comme une
manière particulièrement rationnelle de formuler des émulsions stables. Cette méthode permet d’éviter une grande partie des essais
requis dans une démarche qui serait purement empirique. La
méthode HLB est basée sur une classification des tensioactifs par
hydrophilie croissante et sur l’utilisation de règles simples de calcul
des propriétés de mélanges de tensioactifs. Restée longtemps mal
expliquée, la méthode HLB trouve aujourd’hui une justification
satisfaisante grâce aux progrès réalisés dans la compréhension de
la physique des émulsions.
3.3.1 Classification des émulsifiants
Nous avons précisé au paragraphe 2.3.1 que la zone interfaciale
est le lieu d’interactions moléculaires qui imposent les propriétés du
film interfacial [17] :
1) interaction pôle lipophile-phase grasse Eco ;
2) interaction pôle hydrophile-phase polaire Ecw ;
3) interaction tensioactif-tensioactif Ecc ;
3.1 Importance du mode opératoire
Une émulsion est un système hors d’équilibre. Ainsi que nous
l’avons déjà précisé (cf. § 1.3.1.4), le mode opératoire est très important pour obtenir le résultat désiré. Formuler une émulsion au laboratoire ne doit pas se faire sans penser déjà à l’industrialisation :
toutes les opérations ne sont pas toujours possibles sur site industriel. Le développement d’un mode opératoire adapté fait donc partie intégrante de la stratégie de formulation. La procédure habituelle
pour transférer une émulsion du laboratoire de recherche au site
industriel passe par une étape de pilotage, sur de petites machines
dont les résultats sont extrapolables aux machines industrielles. Le
pilotage permet, entre autres, de mettre au point les procédures de
rattrapage applicables lorsque le produit fabriqué ne correspond
pas aux spécifications (viscosité trop faible, coloration incorrecte,
granulométrie trop forte). Si la formulation développée au laboratoire est trop pointue, la fabrication industrielle est rendue plus difficile.
4) cohésion de la phase grasse Eoo ;
5) cohésion de la phase polaire Eww.
Ces interactions interviennent d’une manière complexe pour
déterminer, en particulier, la courbure spontanée adoptée par
l’interface : schématiquement, cette courbure est le résultat de la
compétition des interactions (Eco − Eoo) et (Ecw − Eww).
Une manière simple d’aborder la description de ce système complexe consiste à ne prendre en compte que les deux premières interactions, Eco et Ecw. Pour simplifier encore, on peut ne s’intéresser
qu’à la contribution du tensioactif, c’est-à-dire ne prendre en
compte que l’importance relative du pôle hydrophile et du pôle lipophile le constituant. C’est cette compensation entre hydrophilie et
lipophilie que Griffin a cherché à indexer grâce à son échelle HLB, en
proposant simplement d’associer à chaque tensioactif le rapport
numérique [masse du pôle hydrophile] / [masse totale]. Plusieurs
techniques permettent d’évaluer les valeurs HLB [21]. De nombreux
ouvrages proposent des tables très complètes de ces valeurs [28]
[29] [30].
Les émulsifiants sont avantageusement utilisés en mélange : la
valeur HLB d’un mélange binaire se calcule en première approximation par la relation linéaire suivante :
3.2 Rationalisation du choix
des constituants
Il est conseillé d’adopter une approche rationnelle du choix des
constituants. Le formulateur doit commencer par choisir le type
d’émulsion qu’il veut réaliser : eau dans huile ou huile dans eau. Il
devrait ensuite s’efforcer de justifier la présence de chacun des
constituants : telle phase grasse pour améliorer le toucher, tel polymère pour augmenter la viscosité finale, etc.
Il est utile de bien séparer les composants émulsifiants (tensioactifs, polymères, particules solides) des autres composants pouvant
agir sur la stabilité (viscosifiants, par exemple). Si une réaction chimique dans la formulation peut permettre de générer des tensioactifs in situ à partir de composés peu amphiphiles (c’est, par
J 2150 − 8
m1
m2
HLB mélange = ----------------------- HLB 1 + ----------------------- HLB 2
m1 + m2
m1 + m2
avec
(4)
m1
masse du tensioactif 1 dans la formulation (kg),
m2
masse du tensioactif 2 dans la formulation (kg),
HLB1
valeur HLB du tensioactif 1,
HLB2
valeur HLB du tensioactif 2.
3.3.2 Principe
La méthode de Griffin repose sur deux principes forts : la notion
de valeur HLB optimale et la notion de type chimique.
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3.3.3 HLB requis (ou HLB critique)
Stabilité de
l'émulsion (h)
HLBR
HLB2
HLB1
Valeur HLB du mélange émulsifiant
a couple n° 1
Une notion supplémentaire permet de faire l’économie même de
la première série d’émulsions (détermination de la valeur HLB
optimale) : la valeur HLB requise (HLBR). Dans l’exemple précédent,
nous imposions au mélange d’émulsifiants de posséder une valeur
HLB égale à la valeur HLB optimale. Cette valeur optimale est ainsi
caractéristique du mélange phase grasse-phase polaire en présence. Si l’on fixe la nature de la phase polaire, cette HLB optimale
peut donc être affectée à la phase grasse à émulsifier : pour réaliser
une émulsion stable avec cette phase grasse, il convient d’utiliser un
mélange d’émulsifiant dont la composition permet d’atteindre la
valeur HLB optimale. Nous connaissons donc la valeur HLB requise
pour réaliser cette émulsion. Des tables de valeurs de HLB requises
sont disponibles dans la littérature.
De la même manière que pour les émulsifiants, il existe une règle
linéaire de mélange pour calculer la valeur HLBR d’une phase
grasse complexe. L’encadré 1 donne un exemple de calcul HLBRHLB complet.
3.3.4 Limitations de la méthode HLB
Stabilité de
l'émulsion (h)
HLBR
HLB1
HLB2
Valeur HLB du mélange émulsifiant
b couple n° 2
Pour réaliser une émulsion huile/eau, avec une phase huile dont la
valeur HLB requise est HLBR, quel que soit le couple d'émulsifiant
utilisé, l'émulsion la plus stable est obtenue lorsque la valeur HLB du
mélange d'émulsifiant égale la valeur HLBR.
Figure 5 – Principe de la valeur HLB optimale
Admettons que, pour une formule donnée (phase grasse + phase
huile + nature des émulsifiants), la variation de composition du
mélange d’émulsifiant permette de passer par un optimum de stabilité après émulsification. Cet optimum est donc caractérisé par la
valeur HLB du mélange le plus efficace. Le principe de la valeur HLB
optimale impose alors qu’un maximum de stabilité existe encore,
même si la nature des émulsifiants est changée : la composition
optimale du nouveau mélange est fixée par la valeur HLB déterminée lors de la première expérience (figure 5).
Il devient donc inutile de réaliser une série complète d’émulsions
pour obtenir la meilleure composition d’un mélange d’émulsifiants.
Seuls sont à comparer les optimums obtenus pour différents couples d’émulsifiants pour déterminer lequel donne la meilleure stabilité pour l’émulsion recherchée. Cette seconde étape consiste à
identifier le meilleur type chimique, selon le terme même de Griffin
qui reconnaissait par ce terme peu explicite que la seule structure
chimique du tensioactif n’est pas suffisante pour interpréter la capacité à émulsionner un système donné.
Bien que très utile, la méthode HLB souffre de lacunes importantes. En attribuant une valeur unique à chaque émulsifiant, on
néglige l’effet des autres constituants de la formulation sur les interactions dans la zone interfaciale, et l’on ne prend absolument pas
en compte l’effet de la température :
— un même tensioactif peut apparaître lipophile en présence
d’hexane et hydrophile si l’on substitue de l’hexadécane à l’hexane
dans la formulation ;
— un tensioactif non ionique éthoxylé paraîtra hydrophile à 20 ˚C
et lipophile à 40 ˚C.
La méthode HLB est clairement destinée à optimiser la stabilité de
l’émulsion, et ne travaille a priori pas sur l’efficacité de la phase
d’émulsification (excepté peut-être par le choix du type chimique) :
la valeur HLB optimale ne correspond pas à la tension interfaciale la
plus basse. Partant de la méthode HLB, des méthodes complémentaires relatives au procédé d’émulsification peuvent être utilisées
avec avantage pour améliorer encore la stabilité des émulsions formulées.
Pour pallier les faiblesses de la méthode de Griffin, certains
auteurs ont proposé des approches moins empiriques que la
méthode HLB. Ces approches sont à rapprocher du concept de rapport R utilisé avec succès pour la formulation des microémulsions.
Citons le concept « Cohesive Energy Ratio » de Beerbower [31]
[32], le concept de différence d’affinité du tensioactif (SAD : Surfactant Affinity Difference) de Salager [33] et la température d’inversion
de phase (PIT : Phase Inversion Temperature ou HLB température)
de Shinoda [34] [35] [36] [37]. Ces différentes approches ne semblent malheureusement pas encore arrivées à maturité.
3.4 Méthode par température
d’inversion
3.4.1 Effet de la température
Les tensioactifs non ioniques éthoxylés sont particulièrement sensibles à la température [17] et [34] à [37]. Cette sensibilité se traduit
en solution aqueuse par l’existence d’une température au-dessus
de laquelle il y a précipitation du tensioactif, devenu insoluble (température de trouble (cloud point)). Les interactions pôle hydrophile phase aqueuse, qui déterminent l’hydrophilie du tensioactif, varient
en sens inverse de la température : elles diminuent lorsque la température augmente. Une émulsion de ce type initialement H/E peut
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J 2150 − 9
ÉMULSIFICATION
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Encadré 1 − Mise en œuvre de la méthode HLB
Nous donnons ici un exemple tiré de l’article initial de Griffin
publié en 1949. On désire réaliser une émulsion dont la phase
grasse a la composition suivante :
Masse (%)
Nature
Cire d'abeille
12
Paraffine liquide
52
Huile végétale
36
ainsi être inversée à haute température et devenir de type E/H.
L’inversion de courbure se produit pour une température appelée
température d’inversion de phase. La température d’inversion de
phase peut être aisément déterminée en suivant l’évolution de la
conductivité avec la température. La phase polaire devra cependant
être dopée par un électrolyte : habituellement 10 à 20 g/L NaCl donnent un très bon signal en conductivité électrique sans affecter de
manière importante la température d’inversion de phase. En cas de
doute, il convient de faire plusieurs mesures avec des concentrations décroissantes en électrolyte, et d’extrapoler à salinité nulle.
Cet effet de la température sur l’hydrophilie des tensioactifs
éthoxylés peut être mis à profit pour améliorer l’état de dispersion
des émulsions où ils interviennent.
3.4.2 Émulsification dans la zone d’inversion
Comment sélectionner les bons mélanges émulsifiants ?
(Comment trouver pour chaque couple d’émulsifiant − dont
un liophile et l’autre hydrophile − la composition optimale ?)
Il peut être très avantageux de réaliser l’émulsification au voisinage de la température d’inversion de phase.
Méthode HLB. Étape 1
On commence par calculer la valeur HLB requise de la phase
huile (les valeurs HLBR des composés purs sont extraites de
tables (Handbook of cosmetic science & technologie (cf. « Pour
en savoir plus » [Doc. J 2150]), ou site internet des éditions
Cotswold Pub. Cie [(www.cotpubco.demon.co.uk)]) :
La stabilité d’une émulsion est améliorée lorsque la granulométrie est plus fine (l’agitation brownienne prévient mieux la floculation et la sédimentation). Pour une quantité donnée d’énergie
dissipée au moment de l’émulsification, le rendement de dispersion
sera d’autant plus élevé que la tension interfaciale eau-huile sera
plus faible. Cette tension interfaciale peut être réduite dans des proportions énormes (jusqu’à 10−3 ou 10−4 mJ/m2) lorsque le tensioactif est équilibré, c’est-à-dire quand Eco = Ecw (égalité des interactions
coté huile et coté eau (cf. § 3.3.1)). Cette situation est bien connue
dans le domaine des microémulsions, puisque c’est là que l’on
trouve les systèmes les plus solubilisants. En revanche, pour les
émulsions, cette zone est à éviter : l’absence de courbure spontanée
ne permet pas la stabilité (les Anglo-Saxons parlent de zone of emulsion failure). D’où l’idée initialement proposée par Shinoda [34] à
[37] d’utiliser la température pour atteindre sous cisaillement la
zone de tension interfaciale basse, qui est repérée par la température d’inversion de phase (courbure spontanée nulle), pour revenir
ensuite rapidement à température ambiante et stabiliser la structure
fine formée. De nombreux auteurs ont montré l’avantage procuré
par cette procédure [38] à [42].
Masse (%)
Nature
HLBR
Cire d'abeille
12
15
Paraffine liquide
52
10
Huile végétale
36
9
HLBR mélange
10,2
Méthode HLB. Étape 2
Pour chaque couple de tensioactif {T1 ;T2}, il suffit ensuite de
calculer la composition donnant un mélange dont la valeur HLB
est égale à la valeur HLBR précédente.
HLBm = x HLB1 + (1 − x) HLB2
= HLBR
avec
x
fraction massique du tensioactif T1 dans le
mélange,
HLBm
HLB1
HLB2
HLBR
HLB du mélange de tensioactifs,
HLB du tensioactif T1,
HLB du tensioactif T2,
HLB requise de la phase huile.
D’où l’on tire :
3.5 Émulsification par cisaillement
laminaire
Une méthode intéressante [43] [44] [45] a été décrite assez récemment, en particulier par une équipe de physiciens français. Cette
méthode est applicable lorsque la phase continue et la phase dispersée sont visqueuses, et pour une fraction volumique en phase dispersée élevée. Il suffit alors d’un cisaillement doux (régime
laminaire) pour obtenir une dispersion extrêmement régulière de
gouttelettes. Si l’énergie nécessaire reste faible, le temps d’émulsification est généralement long.
HLBR Ð HLB
x = -------------------------------------2HLB 1 Ð HLB 2
Méthode HLB. Étape 3
La relation donnant x pour chaque couple d’émulsifiants permet d’utiliser la composition optimale. Il ne reste alors plus qu’à
rechercher le meilleur type chimique, c’est-à-dire identifier par
essai-erreur le couple qui donne la meilleure stabilité à l’émulsion recherchée.
J 2150 − 10
3.6 Techniques de stabilisation
Le tableau 2 peut être utilisé comme guide schématique des techniques d’amélioration de la stabilité d’une émulsion. On y établit
une progression dans la complexité directement liée aux phénomènes physiques mis en jeu.
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Tableau 2 – Guide schématique des techniques de stabilisation des émulsions
Recours technique
Applicable à
Phase continue
Stabilisation
rhéologique
Problème
de floculation et/ou
de sédimentation
Huile ou eau
Augmenter la viscosité de la phase continue (polymères viscosifiants,
tensioactifs)
Huile ou eau
Doter les gouttelettes d’une couronne :
— de polymères amphiphiles partiellement adsorbés. Il y a un avantage
certain à recourir à un hétéropolymère statistique dont l’un des motifs
se trouve en bon solvant dans la phase continue. Cet état solvaté est
le meilleur garant d’une protection efficace contre la floculation
(répulsion de solvatation) ;
— de cristaux liquides ;
— de particules solides : talc, nacre micronisée.
À noter : attention à l’effet de déplétion qui peut aggraver la floculation,
alors même que l’on cherche à l’éviter. Ne pas utiliser de polymères
ne s’adsorbant pas et restant sous forme de pelote statistique dans
la phase continue. La même remarque vaut pour la concentration
en tensioactifs dans la phase continue, qui ne doit pas aboutir
à la formation d’agrégats micellaires (les micelles peuvent induire
une floculation par déplétion).
Stabilisation par
répulsion stérique
Stabilisation
par répulsion
électrostatique
Problème
de floculation
Problème
de floculation
Stabilisation
par contrôle
de l’élasticité
Problème
de coalescence
Stabilisation
par contrôle
de la courbure
et de la rigidité
Problème
de coalescence
Eau ou solvant
de constante
diélectrique élevée
uniquement
Méthode
Doter les gouttelettes d’une double couche ionique (théorie DLVO [12]) :
— en utilisant des tensioactifs ioniques ou ionisables (charge
dépendant du pH) ;
— en adsorbant des polymères comportant des sites ionisables.
Dans chacun de ces cas, il est utile de réaliser des mesures du potentiel
dzêta (charge des gouttelettes mesurée au plan de cisaillement
hydrodynamique) par électrophorèse pour optimiser la charge
de surface. On considère qu’une valeur du potentiel dzêta de l’ordre
de 60 mV (en valeur absolue) garantit totalement contre la floculation.
Attention cependant à la salinité de la phase continue, la répulsion
de double couche étant très rapidement réduite si la force ionique
est augmentée.
Huile ou eau
Ne pas pénaliser l’élasticité des films minces séparant les gouttelettes
en cas de floculation ou de crémage/sédimentation, ou lors des chocs
induits par l’agitation brownienne :
— éviter l’utilisation de tensioactifs montrant une cinétique d’échange
rapide entre zone interfaciale et phase polaire ou phase grasse. L’idéal
est de pouvoir compter sur des tensioactifs s’adsorbant et se désorbant
très lentement, tels que des protéines ou certains tensioactifs glycérolés.
La cinétique d’échange peut être évaluée en réalisant des mesures
par tensiométrie dynamique avec un appareil à profil de goutte ;
— minimiser la concentration des tensioactifs dans la phase dispersée.
Huile ou eau
Rechercher la valeur HLB optimale pour différents types chimiques
par la technique classique qui consiste à réaliser plusieurs émulsions
et à mesurer leur cinétique de démixtion (cf. § 4.3.2). Il n’existe
malheureusement pas de règles claires (publiées) pour s’orienter
dans le choix des types chimiques. C’est affaire d’expérience.
4. Caractérisation
des émulsions
Une émulsion se caractérise par des grandeurs mesurables. Cette
caractérisation peut être utile dans la phase de développement
d’une nouvelle formule, mais est tout à fait indispensable pour
l’étape de contrôle postfabrication et l’assurance qualité. Nous
avons réparti ici cette caractérisation en cinq thèmes : sens, qualité
de la dispersion, stabilité, rhéologie et propriétés organoleptiques.
À ces cinq aspects peuvent s’ajouter des évaluations d’efficacité liée
à la présence d’actifs particuliers.
4.1 Sens de l’émulsion
Une émulsion peut être à eau externe (H/E) ou à huile externe (E/
H). L’aspect qu’offre le système dans l’un et l’autre cas n’est cependant pas toujours très différent, bien que des techniques sensorielles (aspect brillant, toucher gras, dilution dans l’eau, dissolution du
bleu de méthylène) renseignent rapidement le formulateur expérimenté. Pour lever toute ambiguïté sur le sens d’une émulsion, il
convient de réaliser une mesure de conductivité dans un petit dispositif spécifique. Il s’agit d’un petit appareil équipé en surface de deux
électrodes. Une goutte d’émulsion étant déposée de manière à
recouvrir ces deux électrodes, le système indique alors si la phase
externe est conductrice en émettant un signal sonore ou lumineux.
(La conductivité d’une phase huile est inférieure à 10−6 ohm−1, alors
qu’elle dépasse 10−3 ohm−1 pour une phase externe aqueuse.)
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J 2150 − 11
ÉMULSIFICATION
______________________________________________________________________________________________________________________
4.2 Qualité de l’émulsification
4.2.1.2 Diffraction laser (diffusion statique de la lumière)
La qualité de l’émulsification, en relation avec le procédé utilisé,
concerne principalement la taille des gouttelettes formées, leur interaction, et éventuellement l’état de dispersion de polymères viscosifiants ou la recristallisation de principes actifs ou d’adjuvants.
Cette technique s’intéresse surtout à la dépendance angulaire de
l’intensité diffusée. Une particule sphérique diffusante n’émet en
effet pas de manière homogène dans l’espace, et l’étude de la variation d’intensité diffusée lorsque l’on se déplace autour de la particule renseigne sur sa taille. Pour une population de gouttelettes, le
principe reste le même, la contribution de chaque particule étant
additive à l’ensemble.
4.2.1 Granulométries
Il existe de nombreuses techniques pour déterminer la ganulométrie d’une émulsion (c’est-à-dire déterminer la distribution en taille
des gouttelettes formées). Un exposé détaillé de chacune de ces
techniques est bien au-delà de l’objectif de cet article. Nous ne donnerons ici que les principes fondamentaux et un aperçu rapide des
avantages et inconvénients des différentes techniques.
4.2.1.1 Turbidité
L’émulsion est éclairée par un faisceau lumineux monochrome, et
l’on mesure l’intensité transmise. La turbidité τ est définie à partir de
la loi de Beer-Lambert :
IT = I0 − ID = I0 exp (− τ X )
avec
(5)
(cm−1),
τ
turbidité
X
longueur du trajet optique (épaisseur d’émulsion) (cm),
I0
intensité lumineuse incidente,
IT
intensité lumineuse transmise,
ID
intensité lumineuse diffusée dans tout l’espace ;
∞
∫
π D2
D n
---------- Q  ---- , -----d-  F ( D ) d D
 λ nc 
4
Cette technique exige :
— une dilution de l’émulsion suffisante pour éviter la diffusion
multiple (cf. encadré 2) ;
— la connaissance des indices optiques complexes de la phase
dispersée et continue, et leur évolution avec la longueur d’onde. La
partie imaginaire de l’indice optique complexe est le coefficient
d’absorption, et la partie réelle est l’indice de réfraction. Il n’est pas
toujours aisé de déterminer avec précision ces grandeurs.
De très bons appareils sont disponibles sur le marché (cf. Pour en
savoir plus [Doc. J 2150]), proposant un traitement des mesures très
abouti qui rend la granulométrie par diffraction laser accessible.
4.2.1.3 Sédimentométrie
et a pour expression dans le cas d’une émulsion polydisperse :
τ (λ) = N
L’émulsion préalablement diluée est éclairée par un faisceau laser,
et des détecteurs enregistrent la figure de diffraction résultante.
Cette figure de diffraction est ensuite analysée en prenant en
compte la théorie exacte de la diffusion (théorie de Mie), et le résultat de cette analyse est une courbe granulométrique.
(6)
La sédimentométrie est une méthode assez répandue, qui permet
d’effectuer un découplage entre nombre et taille des particules
(figure 6). Le principe de cette technique repose sur la loi de sédimentation (cf. équation (3)), qui permet de déterminer quelles tailles
de particules ont sédimenté au bout du temps t. Une mesure de turbidité de la population non sédimentée renseigne alors sur le nombre de gouttes perdues par sédimentation (on injecte le rayon
hydrodynamique de la loi de Stockes-Einstein dans l’équation (3), en
lieu et place du rayon de l’objet diffusant, ce qui permet de déterminer le nombre N). Des appareils utilisent un système de centrifugation pour accélérer la sédimentation.
0
avec
λ
longueur d’onde de la lumière (nm),
N
nombre de gouttelettes par unité de volume
(cm−3),
D
diamètre moyen des gouttelettes (cm),
Q
efficacité de diffusion, qui dépend des rapports
D/λ et nd /nc,
nd
indice de réfraction de la phase dispersée,
nc
indice de réfraction de la phase continue,
F (D )
loi de distribution granulométrique.
La turbidité augmente comme le produit NV, où V est le volume
moyen des gouttelettes. Évaluer le diamètre moyen par cette technique exige :
— une dilution de l’émulsion suffisante pour éviter la diffusion
multiple (cf. encadré 2) ;
— la connaissance des indices de réfraction de la phase dispersée
et continue, et leur évolution avec la longueur d’onde ;
— une hypothèse concernant la forme de la distribution granulométrique F (D). Un choix raisonnable est de supposer une distribution log-normale ;
— la réalisation de mesures à trois longueurs d’onde, λ1, λ2 et λ3,
et le calcul des rapports de turbidité τλ1/τλ2 et τλ2/ τλ3 .
On cherche ensuite numériquement les paramètres de la distribution (diamètre moyen D et déviation standard σ) qui permettent de
retrouver les valeurs des deux rapports de turbidité déterminés
expérimentalement.
J 2150 − 12
4.2.1.4 Atténuation ultrasonore
L’utilisation des ondes acoustiques pour déterminer la granulométrie et le potentiel dzêta des émulsions et des dispersions est une
technique émergente. Elle présente l’avantage de ne pas rendre
obligatoire la dilution de l’émulsion (d’où une utilisation possible
pour du contrôle en ligne). Le principe général de cette technique
consiste à enregistrer l’atténuation acoustique pour différentes fréquences (1 à 100 Hz). L’atténuation acoustique est calculée à partir
de la connaissance des intensités sonores imposée en entrée, et
mesurée après traversée d’une épaisseur donnée d’émulsion. Ce
spectre expérimental est utilisé pour ajuster les paramètres d’un
modèle théorique décrivant la propagation des ondes acoustiques
au sein de la dispersion liquide-liquide, c’est-à-dire principalement
la granulométrie et les interactions entre particules (les propriétés
acoustiques des phases continue et dispersée doivent être connues). La modélisation de la propagation acoustique dans les émulsions diluées est satisfaisante. En ce qui concerne les émulsions
concentrées, pour lesquelles les interactions particule-particule donnent une contribution non négligeable à l’atténuation acoustique,
un modèle récent semble enfin permettre des déterminations fiables [46] [47].
4.2.1.5 Comptage individuel (Coulter®, Lazentec®)
Cette méthode revient à examiner individuellement les particules,
à leur passage devant un capteur spécifique qui doit générer un
signal proportionnel à la taille de la particule. On utilise une mesure
de constante diélectrique , les électrodes étant situées dans un
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Diluer une émulsion est souvent obligatoire lorsqu’il s’agit de
faire une mesure granulométrique, pour éviter les phénomènes
de diffusion multiple (lumière ou onde sonore), et pour ne pas
avoir à prendre en compte les interactions goutte-goutte. Or le
film interfacial − composé d’émulsifiants adsorbés − est en équilibre avec la phase continue de l’émulsion.
Si le volume disponible de phase continue augmente par dilution, la concentration des émulsifiants dans cette phase diminue. L’équilibre est donc déplacé, et l’on attend une désorption
des émulsifiants. Les gouttes risquent donc de perdre les émulsifiants qui stabilisaient l’émulsion, et une évolution de structure devient probable, en particulier par coalescence. Ce risque
est d’autant plus grand que les émulsifiants ont une cinétique
d’adsorption/désorption rapide.
Diluer une émulsion n’est donc pas anodin. Si aucune précaution n’est prise, la caractérisation granulométrique peut faire
apparaître une population de gouttes très différente de celle qui
existait avant dilution.
Une manière astucieuse de réaliser la dilution consiste à utiliser la phase continue récupérée après centrifugation d’un
échantillon d’émulsion. Il convient cependant de s’assurer que
la phase continue ainsi extraite ne contient plus de gouttes
(aspect transparent).
Accélération
Encadré 2 − Problèmes liés à la dilution
des émulsions
Accélération
______________________________________________________________________________________________________________________ ÉMULSIFICATION
Zone
d'observation
(turbidité)
t1
t2
Dt
Dt
t3
Temps
t1 : population complète
t2 : population -- grosses gouttes
t3 : population -- grosses -- moyennes
La différence de turbidité mesurée pour chaque incrément de temps
permet de calculer le nombre de gouttes disparues de la zone
d'observation du fait de la sédimentation. La sédimentation peut être
accrue par centrifugation.
Figure 6 – Principe de la granulométrie par sédimentation
4.2.1.6 Fractionnement capillaire
Les émulsifiants adsorbés à l’interface eau/huile des gouttes d’émulsion sont en équilibre avec les émulsifiants présents dans la phase continue. La dilution déplace cet équilibre. Si la concentration dans la phase
continue devient inférieure à la concentration micellaire critique, il y a
désorption, et donc déstabilisation de l’émulsion.
capillaire dans lequel les gouttes passent une à une (principe du
compteur Coulter®), ou un balayage laser qui effectue une mesure
de corde sur les particules qui circulent au voisinage immédiat de la
fenêtre d’inspection (sonde Lasentec®).
Une variante de ce type de méthode est l’utilisation d’un système
d’analyse d’images travaillant en ligne avec un microscope optique.
Les images acquises par un périphérique spécialisé sont traitées
puis analysées : chaque particule est mesurée individuellement
(mesure de surface projetée le plus souvent, de laquelle on tire un
diamètre équivalent). L’analyse d’images demande un bon compromis entre nombre de particules mesurées et nombre total d’images
analysées. Cette technique peut devenir lourde si les images initiales ne sont pas de très bonne qualité (contraste, luminosité, focalisation), car de nombreuses opérations de traitement peuvent alors
être nécessaires.
Le fractionnement capillaire utilise l’écoulement laminaire de Poiseuille pour séparer les particules en fonction de leur taille
(figure 7). Les plus grosses particules, qui n’ont pas accès aux veines de liquide proches des parois du capillaire (ces couches liquides
se déplacent lentement, la vitesse d’écoulement augmentant au fur
et à mesure que l’on s’éloigne de la paroi du capillaire), se déplacent plus vite et sortent en premier du capillaire. Les plus petites
particules, ayant un temps de résidence plus important, sont les dernières à sortir du capillaire. Le temps de résidence permet d’évaluer
la taille des particules, et une mesure de turbidité en ligne donne le
nombre de gouttelettes dans chaque classe de taille. Ce type de
technique donne de bons résultats avec les émulsions obtenues par
polymérisation (latex).
4.2.2 Examen au microscope optique
La microscopie optique est une technique très utile pour l’étude
des émulsions. Un microscope assez puissant (un objectif x100 à
immersion permet de visualiser des particules inférieures au micromètre), doté de plusieurs systèmes optiques, est préférable. Le
contraste entre phase dispersée et phase polaire n’est en effet pas
très élevé (indice de réfraction n = 1,33 pour la phase polaire et de
l’ordre de n = 1,40 pour la phase grasse). En complément du système classique « à contraste de phase », différents systèmes optiques permettent d’obtenir des images très précises et riches
d’information.
Le montage Nomarsky (contraste interférentiel différentiel) permet d’obtenir une image donnant une impression de relief, qui met
très bien en valeur les particules et la structure de la phase continue.
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J 2150 − 13
ÉMULSIFICATION
______________________________________________________________________________________________________________________
Avec les objectifs secs, le microscope peut être équipé d’une platine chauffante : l’avantage est alors de pouvoir tester le comportement de la formulation en fonction de la température.
V
v
4.3 Stabilité
Tube capillaire
Détecteur
(turbidité)
4.3.1 Stabilité chimique, stabilité physique
La stabilité d’une formulation revêt plusieurs aspects.
■ Stabilité physique
Flux liquide
Les grosses gouttes ont en moyenne une vitesse de progression plus
importante.
Figure 7 – Principe de la granulométrie par fractionnement
capillaire
Le montage à polariseurs croisés permet de visualiser la présence
de mésophases (phases lamellaires, phase hexagonale) et d’en
identifier la nature.
Aujourd’hui, de nombreux microscopes sont équipés de systèmes d’acquisition et d’amélioration d’images.
Plusieurs écueils expérimentaux doivent être évités.
■ Épaisseur de la préparation
En pratique, il convient de réaliser une préparation microscopique
en déposant une goutte d’émulsion sur une lame de verre. Cette
goutte est ensuite recouverte d’une lamelle : par capillarité, l’émulsion constitue une couche mince. Le volume déposé doit être faible
pour obtenir une préparation fine. Si la préparation est trop épaisse,
l’image microscopique sera de mauvaise qualité, les particules
situées au-dessous et au-dessus du plan focal projetant des figures
de diffraction sur les particules visualisées dans le plan focal (c’està-dire celles qui apparaissent nettes).
■ Position du plan focal
Si l’émulsion est très hétérogène, montrant une large gamme de
taille, il faut être attentif à la sédimentation. Les grosses gouttelettes
vont se situer plutôt en bas de la préparation, et les plus fines en
haut. On doit toujours déplacer le plan focal du microscope (mise au
point effectuée, on agit sur le mécanisme de montée /descente du
porte-objet) de manière à observer toute l’épaisseur de la préparation.
■ Étalement des gouttes sur le verre
Lorsque l’on observe une émulsion E/H, il arrive que les gouttes
d’eau s’adsorbent puis s’étalent sur le verre pour adopter une forme
de calotte sphérique. Ce phénomène est provoqué par l’affinité
verre-eau, et a pour conséquence de modifier l’émulsion étudiée et
de perturber l’image obtenue. Pour empêcher ce mouillage préférentiel, il est nécessaire de rendre les lames de verre hydrophobes.
Une méthode efficace consiste à réaliser un traitement avec un trichloroalkylsilane comportant au moins douze carbones : la lame de
verre est laissée une heure dans une solution à 0,2 % de silane dans
un alcane (décane, par exemple), égouttée, rincée puis séchée à
l’étuve à 50 °C ( fixation les silanes adsorbés).
La microscopie permet en outre de bien vérifier l’absence de phénomènes de floculation (les gouttes se collent pour former de petites grappes) et la structure de la phase continue (présence de
cristaux, de phases lamellaires, observation de l’écoulement).
J 2150 − 14
L’émulsion ne doit pas montrer de démixtion. Une démixtion peut
être provoquée par de la coalescence (on recueille de la phase dispersée) ou par un phénomène de crémage/sédimentation (la phase
continue apparaît). La stabilité physique stricto sensu inclut aussi
une invariance du comportement rhéologique et de la granulométrie.
■ Stabilité chimique
Aucun des composants de l’émulsion ne doit participer à une
réaction chimique pouvant soit modifier de manière grave la stabilité physique, soit perturber les propriétés applicatives (aspect, couleur, odeur, efficacité).
■ Stabilité microbiologique
La formulation ne doit pas être un milieu de culture pour levures,
moisissures et germes bactériens, au risque de se dégrader (modification de viscosité, de couleur, d’odeur, démixtion), mais surtout
pour éviter tout problème applicatif. Chaque fois que la santé publique est concernée (domaines alimentaire, cosmétique, pharmaceutique), la réglementation impose des normes microbiologiques
strictes. La stabilité microbiologique est obtenue par une sélection
rigoureuse de conservateurs.
Nous n’évoquerons ici que la stabilité physique.
4.3.2 Bottle test
Le test de l’ampoule (bottle test) consiste à observer le comportement d’une émulsion au cours du temps, à une température donnée. Environ 100 mL d’émulsion fraîchement fabriquée sont
introduits dans une ampoule spécialement confectionnée [48]
(figure 8), que l’on bouche. Cette ampoule est observée à intervalle
de temps régulier ∆t (∆t dépendra de la rapidité des phénomènes de
dégradation : 10 min, 1 h, 24 h) pour observer les éventuelles
démixtions et noter la hauteur des limites entre zones d’aspect différent (par exemple, dans le cas d’une émulsion E/H : culot de sédimentation, pied d’eau, phase huile en excès en haut de l’ampoule).
Il est habituel de réaliser des séries d’ampoules pour optimiser la
formulation : chaque ampoule correspond à une valeur particulière
d’un paramètre de formulation, par exemple la valeur HLB du
mélange de tensioactifs utilisés.
L’observation est réalisée sur une échelle de temps qui peut varier
de 48 h à un mois ou plus. En général, il est judicieux de conduire
plusieurs expériences simultanément, par exemple en préparant
trois séries identiques d’échantillons, chacune étant placée à une
température différente : 5 °C, 20 °C et 60 °C (ces températures
dépendent des contraintes imposées par le cahier des charges). Certaines variantes sont utilisées de manière courante, où l’on ne
regarde les formulations placées à différentes températures
qu’après un jour (contrôle j + 1) , huit jours (contrôle j + 8), etc. L’effet
de la lumière peut aussi être pris en compte.
Le test de l’ampoule est certainement le moins contestable,
puisqu’il reproduit le vieillissement naturel de la formulation. Sa
mise en œuvre est simple, mais le temps nécessaire à l’obtention
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______________________________________________________________________________________________________________________ ÉMULSIFICATION
ment va s’effectuer au cours de la sédimentation (des gouttelettes
adhésives risquent de donner un volume de sédimentation plus
important). La nature des tubes à centrifuger peut en outre avoir une
influence sur le résultat, du fait des phénomènes de mouillage préférentiels (eau sur verre, huile sur matériaux polymériques) qui peuvent augmenter la coalescence.
Il faut cependant attirer l’attention du lecteur sur la prudence avec
laquelle des conclusions générales doivent être tirées de ces techniques de vieillissement accéléré, dont on doit bien être conscient
qu’elles ne simulent pas rigoureusement un vieillissement naturel.
4.3.4 Échantillothèque
Une précaution très utile est de conserver l’ensemble des formulations amenées au stade final du développement ou fabriquées. Ce
stock d’échantillons constitue une échantillothèque, qui permet de
reprendre toute analyse postérieurement, en particulier si un problème intervient au niveau d’un client, telle qu’une réclamation pour
non-conformité.
4.4 Propriétés rhéologiques
Figure 8 – Étude quantitative de la stabilité des émulsions −
Test de l’ampoule (bottle test). Fiole de forme spécifique et graduée
d’un résultat peut être long. C’est donc une technique mieux adaptée à un travail de développement qu’à une procédure de contrôle
post-fabrication. La variante « j + n » est en revanche utilisable en
contrôle.
4.3.3 Vieillissement accéléré
Le vieillissement accéléré est souhaitable lorsque l’évaluation de
la stabilité de l’émulsion conditionne d’autres opérations que l’on
ne peut pas mettre en attente : réalisation de pilotes, rattrapage de
formules, contrôle qualité, délais de développement courts. Deux
méthodes sont utilisées.
■ Vieillissement en enceinte climatique
Les formulations sont placées dans une enceinte climatique et
soumises à des cycles chaud-froid répétés (− 5 °C à +60 °C, par
exemple). À l’issue du test, ces formulations sont observées et quelques mesures peuvent être effectuées (viscosité, granulométrie,
couleur). Ce test vise à reproduire ce que pourraient subir des formulations soumises aux aléas du transport et du stockage.
■ Sédimentation forcée
Cette procédure de vieillissement accéléré reprend le principe du
test de l’ampoule, mais en utilisant une centrifugeuse pour accélérer
la sédimentation, qui peut induire une coalescence (l’accélération
centrifuge se substitue à l’accélération de la pesanteur). Le mode
opératoire expérimental peut imposer une vitesse de rotation constante, et réaliser ainsi un suivi dans le temps de la sédimentation, ou
encore fixer un temps de centrifugation et suivre l’influence de la
vitesse de centrifugation sur la sédimentation. Avec certaines centrifugeuses, la température du compartiment de centrifugation peut
être contrôlée et permettre ainsi l’étude complémentaire des effets
de température. Sur chaque tube, on mesure la hauteur du pied
d’eau, s’il existe (signe de coalescence), et la hauteur du culot de
sédimentation. Cette procédure est rapide (10 min en moyenne),
physiquement bien justifiée, mais peut souffrir d’une certaine
imprécision due à l’évaluation du volume du culot de
sédimentation : ce volume peut en effet être influencé par les interactions entre gouttelettes, qui contrôlent la manière dont l’empile-
Le comportement viscoélastique est toujours un aspect très
important des propriétés des émulsions.
On peut vouloir conserver une fluidité nécessaire aux procédures
de transports, de distribution, d’application :
— transfert entre réacteur et cuves de stockage, fonctionnement
des machines de conditionnement, utilisation finale (industrie alimentaire, cosmétique, pharmaceutique, émulsions pour enduction
routière) ;
— transfert entre réservoir et système d’injection, formation
d’aérosols corrects (émulsions phytosanitaires, carburant Diesel
émulsionné) ;
ou, au contraire, vouloir doter l’émulsion d’un comportement à seuil
permettant de profiter d’une absence d’écoulement sous faible contrainte (cas typique d’émulsions appliquées sur des surfaces en
dégraissage, décapage, peinture).
Quel que soit le choix effectué, le comportement rhéologique [49]
[50] [51] ne doit pas évoluer au cours du vieillissement.
4.4.1 Origine du comportement rhéologique
La sollicitation mécanique d’une émulsion induit le mouvement
des gouttelettes les unes par rapport aux autres. La rhéologie des
émulsions a pour origine :
— la rhéologie de la phase continue ;
— la granulométrie et les interactions entre gouttelettes ;
— la déformabilité des gouttelettes (viscosité de la phase dispersée, rhéologie et tension interfaciale).
Le comportement le plus généralement constaté est un comportement rhéofluidisant (figure 9), c’est-à-dire que la viscosité apparente tend à décroître lorsque la vitesse de cisaillement augmente.
Pour des vitesses de cisaillement élevées, ce comportement rhéofluidisant peut céder la place à un comportement rhéoépaississant
(dilatance). Si une structuration de la formulation laissée au repos
est possible (par exemple, une floculation partielle), on peut observer un seuil d’écoulement : il faut atteindre une certaine contrainte pour provoquer l’écoulement de l’émulsion. Au-dessous de
cette contrainte, la viscosité est infinie, et le comportement rhéologique est purement élastique. La reconstitution lente d’une structure préalablement perturbée par agitation est à l’origine du
comportement thixotrope : le comportement élastique initial est
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ÉMULSIFICATION
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l’émulsion. D’une manière générale, la loi de variation prend la
forme suivante :
Contrainte
(Pa)
Φ max + Φ eff
η = η 0 -------------------------------Φ max
avec
(8)
Φmax
faction volumique maximale (volume maximal
de phase dispersée possible sans déformation
des particules). Par exemple, pour des sphères
de tailles identiques arrangées selon un réseau
hexagonal compact Φmax = 0,74.
Φmax dépend du gradient de cisaillement : c’est
par cette dépendance que l’effet du gradient de
cisaillement est γú (décrit ci-dessous dans le
modèle de Quémada),
Φeff
fraction volumique effective (il peut y avoir une
couche adsorbée en surface des gouttes, ou de la
phase continue piégée dans des agrégats
produits
par
floculation).
Le
volume
effectivement responsable du comportement
rhéologique peut être plus important que le
volume de phase dispersée introduite pour
réaliser l’émulsion,
r
est un exposant dont la valeur est 2 ou 2,5 selon
les auteurs.
ηappar
Vitesse de cisaillement (s--1)
Ðr
Rhéogramme
Ce comportement est très souvent observé pour les émulsions. La
viscosité apparente (rapport contrainte/vitesse de cisaillement) diminue
lorsque la vitesse de cisaillement augmente.
Figure 9 – Comportement rhéofluidisant
Citons par exemple le modèle de Quémada [52], pour lequel :
r=2
remplacé par un comportement visqueux après agitation, parce que
la cinétique de reconstitution de la structure est lente.
À ce comportement spécifique de l’existence d’une phase dispersée se rajoutent les propriétés rhéologiques induites par la phase
continue que l’on peut « doper » en utilisant des polymères viscosifiants ou des phases lamellaires de type Lα. La littérature scientifique propose de nombreuses lois qui permettent de reproduire avec
plus ou moins d’exactitude l’évolution de la viscosité des émulsions
en fonction de la fraction volumique de phase dispersée, de la distribution granulométrique, des propriétés de la phase continue et dispersée.
Les lois les plus simples se contentent de donner une expression
de la viscosité de l’émulsion en fonction de la fraction volumique,
comme la relation historique d’Einstein, valable pour une dispersion
diluée (fraction volumique de la phase dispersée inférieure à 2 %) de
particules indéformables :
η = η0 [1 + α Φ]
(7)
1
-------------- = Φ ∞Ð1 +
Φ max
(9)
Φ 0Ð1
Ð Φ ∞Ð1
-------------------------1 + ( τγú ) m
(10)
2δ 3
Φ eff =  1 + ------  Φ
d
avec
(11)
Φmax
fraction volumique maximale,
Φ0
fraction volumique maximale à faible gradient de
cisaillement,
Φ∞
fraction volumique maximale à gradient de
cisaillement élevé,
m
exposant considéré
ajustable,
γú
gradient de cisaillement (s−1),
δ
épaisseur de la couche liée à la particule de
diamètre d (m),
d
diamètre de la particule (m),
τ
comme
un
paramètre
η
viscosité de l’émulsion (Pa · s),
η0
viscosité de la phase continue (Pa · s),
α
paramètre dépendant de la forme des particules,
dont la valeur minimale est 5/2. Cette valeur
minimale correspond au cas des sphères dures,
Φ
fraction de volume occupée par de la phase
dispersée (rapport du volume de phase
dispersée au volume total de l’émulsion).
temps (s) caractéristique du système rendant
compte du rapport entre forces visqueuses et
énergie thermique :
η0 d 3
τ = -------------8 kT
Des lois beaucoup plus complexes prennent en compte les propriétés viscoélastiques des phases continue et dispersée, l’effet de
la tension interfaciale et les différentes interactions pouvant exister
entre particules. La littérature compte ainsi plusieurs centaines de
relations.
En apparence assez compliquée, ce type de loi est très utile en
pratique : la connaissance d’une courbe d’écoulement (mesure de la
viscosité η en fonction du gradient de cisaillement γú ) permet de
déterminer la fonction Φmax et de calculer la courbe d’écoulement
pour toute autre fraction de volume de phase dispersée Φ.
Les émulsions montrent souvent un comportement non
newtonnien : la viscosité dépend de l’intensité de la sollicitation
mécanique (le gradient de cisaillement). Des expressions dérivées
de celles développées pour l’étude des thermoplastiques − en particulier l’équation de Krieger-Dougherty − permettent de décrire de
manière assez satisfaisante l’évolution de la viscosité avec le gradient de cisaillement, en fonction des paramètres caractérisant
Notons pour terminer que la fraction volumique maximale Φmax
permet de rendre compte de l’effet de la granulométrie (une émulsion polydisperse est en général moins visqueuse à même fraction
volumique de phase dispersée qu’une émulsion composée de gouttes de taille identique), cette valeur augmentant lorsque de petites
particules peuvent occuper les interstices disponibles entre les plus
grosses particules.
avec
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4.4.2 Techniques de mesure
Les techniques de mesure des caractéristiques rhéologiques des
émulsions sont nombreuses. Sur site industriel, lors des contrôles
postfabrication et dans de nombreux laboratoires de développement, on se contente le plus souvent de réaliser une mesure de viscosité apparente en utilisant des viscosimètres simples
(viscosimètre de type Brookfield®, viscosimètre à chute de bille).
Compte tenu de la diversité possible des comportements rhéologiques, cette mesure de viscosité n’a pas un caractère absolu. En
reportant, le résultat d’une mesure de ce type, il faut toujours spécifier le modèle de mobile utilisé.
Une étude plus complète du comportement rhéologique passe
par la réalisation d’une courbe d’écoulement ou rhéogramme : une
contrainte mécanique est imposée et l’on mesure la vitesse de
déplacement du mobile du rhéomètre (méthode de la contrainte
imposée), ou, au contraire, la vitesse de déplacement est imposée et
l’on mesure la contrainte nécessaire pour y parvenir (méthode du
déplacement imposé). Le résultat de ce type de mesure est une
courbe représentant la contrainte τ ou la viscosité τ ⁄ γú en fonction
de la vitesse de cisaillement γú . Alors que les viscosimètres de type
Brookfield® peuvent fonctionner dans des situations très diverses
(mesure directe dans les fûts, par exemple), les rhéomètres utilisent
des équipages très sophistiqués, dont la géométrie est très précise
(cellule de Couette, double Couette, cône-plan, plan-plan). Le choix
de telle ou telle géométrie est fonction de la viscosité de la formulation.
4.5 Propriétés organoleptiques
et protection microbiologique
Les propriétés organoleptiques regroupent tout ce qui est perceptible par les sens : aspect et couleur, odeur, goût et toucher. Le
poids de ces propriétés est évidemment beaucoup plus fort dans
l’industrie alimentaire ou en hygiène-beauté-santé. Elles sont
contrôlées de manière sévère et font l’objet de procédures de rattrapage au même titre que les propriétés physiques. Le contrôle des
propriétés organoleptiques fait toujours appel à des échantillons
témoins, qui permettent de « calibrer » les impressions subjectives
suggérées par les sens. L’exactitude de la couleur peut cependant
être évaluée par une mesure de teinte-luminosité-saturation avec un
appareil spécialisé. En cosmétique, le toucher, qui définit en partie la
texture du produit, revêt une importance extrême : l’application
d’une émulsion sur le dos de la main, entre la base du pouce et de
l’index, ou sur l’avant-bras, permet de juger de la qualité de l’étalement, de la pénétration, de l’aspect et du toucher final de l’épiderme, de la modification des notes du parfum.
Une évaluation sensorielle rigoureuse fait appel à un panel de
personnes entraînées, partageant un vocabulaire convenu pour
désigner leurs impressions, et les résultats des estimations sont
soumis à une étude statistique.
La protection microbiologique (effet antifongique, antibactérienne, bactériostatique) est obtenue en utilisant des conservateurs
adaptés :
— à la formulation : la composition peut fournir un milieu particulièrement favorable au développement de colonies de levures, de
moisissures ou de germes bactériens ;
— au risque de contamination : souches particulières au site de
production, type de conditionnement.
Le contrôle de la protection microbiologique d’une émulsion fait
intervenir deux types de tests.
■ Challenge test
Un échantillon de la formulation étudiée est ensemencé avec un
cocktail de différentes souches, la nature des souches étant adaptée
au domaine concerné (cosmétique, alimentaire). L’élimination de
ces souches par les conservateurs de la formulation est suivie
au cours du temps. Un échantillon prélevé régulièrement
(t +2 h, t + 48 h, etc.) permet, après dilution, d’ensemencer des
milieux de culture sur lesquels la vérification est effectuée. La formulation ne doit plus contenir de germes vivants N jours après contamination, N pouvant être de l’ordre de 1 à 15.
■ Analyse microbiologique
L’émulsion prélevée puis diluée est utilisée sans contamination
volontaire pour ensemencer des milieux de cultures spécifiques
(culture des levures, des moisissures ou des germes bactériens en
boîte de Pétri). Ces milieux ensemencés sont placés dans un incubateur, et un comptage des colonies est effectué au bout d’un temps
d’incubation donné (un germe apporté par la formulation = une
colonie après incubation).
Exemple : en cosmétique, certaines souches doivent être complètement absentes (Staphylococcus aureus, Pseudomonas aeruginosa,
Escherichia coli, levures/moisissures en général) et le nombre total
d’unités formant colonie [ufc] doit être inférieur à 200 par gramme
d’émulsion.
5. Émulsions complexes
Jusqu’à maintenant, nous n’avons évoqué que les émulsions simples, comprenant une phase grasse et une phase polaire, d’aspect
blanc, et dont la fraction volumique de phase dispersée n’excède
pas 60 %. Il existe cependant des systèmes plus complexes, dont les
propriétés spécifiques peuvent être recherchées de manière active
par les formulateurs.
5.1 Émulsions transparentes
Il est assez aisé de réaliser une émulsion transparente, qui prendra l’aspect d’une solution visqueuse ou d’un gel transparent.
L’aspect blanc des émulsions est le résultat de la diffusion de la
lumière incidente. Cette diffusion est sous l’influence conjointe du
nombre et de la taille des gouttelettes, et du rapport des indices de
réfraction de la phase dispersée et continue. Si l’on envisage de travailler sur la taille des particules pour annuler l’intensité de la
lumière diffusée (c’est-à-dire rendre la formulation transparente), il
faut changer de technologie et formuler une miniémulsion
(cf. § 5.4), ou même passer à la formulation de microémulsions, qui
sont des systèmes d’équilibres. Il est certainement plus raisonnable
de chercher à annuler le contraste entre phase continue et phase dispersée, en ajustant les indices de réfraction. Cet ajustement est aisément réalisable en ajoutant, par exemple, du glycérol ou du sucrose
(saccharose) à la phase polaire pour remonter son indice de réfraction de 1,33 à 1,40 environ. L’indice de la phase grasse pourrait,
quant à lui, être diminué par adjonction d’huiles perfluorées, mais
leur coût prohibitif rend cette solution industriellement peu attractive.
5.2 Émulsions concentrées
On parle d’émulsion concentrée lorsque la phase continue est en
quantité bien inférieure à celle de la phase dispersée. Au-delà de
74 % en volume de phase dispersée, les gouttes se déforment et
adoptent une structure facettée. La phase continue est donc réduite
à n’être qu’un réseau de films minces similaire à ceux d’une
mousse. Ces émulsions concentrées présentent souvent des propriétés rhéologiques intéressantes, allant jusqu’à un comportement
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ÉMULSIFICATION
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purement élastique sous faible contrainte. Au sens strict, ces émulsions sont des anomalies, puisqu’une inversion de phase devrait se
produire lorsque la fraction volumique atteint 50 à 60 % . Bien que la
physique qui sous-tend cette inhibition de l’inversion de phase soit
de mieux en mieux comprise, les règles de formulation ne sont pas
clairement identifiées. Le procédé de préparation lui-même est particulier puisque, au contraire des émulsions ordinaires, une émulsion concentrée est obtenue par incorporation lente de la phase
dispersée, sous agitation douce. Une autre manière d’obtenir une
émulsion concentrée consiste à éliminer la phase continue d’une
émulsion ordinaire par osmose, ou même par centrifugation.
5.3 Émulsions multiples
Une émulsion multiple est une émulsion d’émulsion, c’est-à-dire
que la phase dispersée est en fait le produit d’une première émulsification. Les plus étudiées sont les émulsions {E1/H}/E2, la phase dispersée {E1/H} étant issue de l’émulsification d’une phase polaire E1
dans une phase grasse H. L’intérêt principal de ces systèmes est la
possibilité d’encapsuler des principes actifs dans la phase polaire
E1, et d’obtenir ensuite un relargage lent de ces actifs. Les nombreux travaux menés sur ces systèmes, en particulier à l’université
pharmaceutique de Chatenay-Malabry [53] ont toutefois montré que
cette encapsulation n’est pas toujours facile à conserver dans le
temps (il existe des mécanismes de dégradation spécifiques aux
émulsions multiples). La préparation des émulsions multiples fait
appel à un mode opératoire en deux étapes :
5.4 Miniémulsions
Il est possible d’obtenir des dispersions d’une très grande finesse,
avec des tailles de gouttes de l’ordre de 0,05 micromètre, grâce à
des tensioactifs capables de former des phases lamellaires, à une
concentration de l’ordre de 10 % en masse, et en utilisant un mode
opératoire particulier. La technique de fabrication des miniémulsions s’inspire directement de l’émulsification par inversion de
phase (cf. § 3.4). La dispersion est obtenue de manière spontanée en
parcourant une rampe de température permettant de se rapprocher
de la zone du diagramme de phase où coexistent phase lamellaire et
microémulsion. Après un temps de séjour déterminé dans cette partie du diagramme de phase, la formulation est rapidement refroidie,
la coalescence des gouttelettes étant en partie inhibée par la phase
lamellaire qui stabilise l’interface. Bien entendu, la mise au point de
ce mode opératoire demande de tracer d’abord les diagrammes de
phase d’équilibre pour différentes températures, ce qui peut représenter une charge de travail dissuasive.
L’avantage des miniémulsions est leur extraordinaire stabilité au
vieillissement et à la dilution.
5.5 Autoémulsification
1 − préparation d’une émulsion E1/H avec des tensioactifs lipophiles (HLB basse). La fraction volumique de phase polaire E1 est
limitée à 20 ou 30 %.
2 − cette émulsion primaire E1/H devient la phase dispersée
{E1/H} d’une nouvelle émulsion {E1/H}/E2, la fraction volumique de
{E1/H} étant de l’ordre de 60 % à 80 %, et l’agitation étant douce (pale
à faible vitesse).
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