La transplantation d*organes: un indicateur du niveau

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La transplantation d’organes:
un indicateur du niveau culturel et du
développement d’une société ?
Mahmoud BOUDARENE
Psychiatre
Tizi Ouzou
E-mail: [email protected]
Web: docteurboudarene.unblog.fr
Introduction
Au delà de son caractère individuel et du problème de santé
publique qu’elle suppose,
la greffe d’organe interpelle la collectivité et pose un réel et crucial
problème éthique.
Introduction
La greffe d’organe interroge la communauté non pas seulement
sur les règles et la morale qui doivent prévaloir durant les différentes étapes de
la greffe - du prélèvement à la transplantation -,
mais également - et surtout (?) - sur ce qui fait l’essence même de la société;
ce, sur quoi reposent les fondements de la société humaine :
la solidarité,
l’empathie,
la compassion,
l’altruisme,
en somme, l’éthique sociale.
Ce qui fait la singularité de cet acte de soin
Introduction
L’éthique sociale va de paire avec la Loi
La Loi organise et ordonne la communauté,
elle régule le fonctionnement du groupe social et fait jurisprudence,
chaque fois que cela est nécessaire, pour satisfaire les besoins nouveaux
et assurer l’harmonie de ce fonctionnement.
Introduction
Ethique sociale
(ordre/fonctionnement social)
jurisprudence
Société évoluée
Lien dialectique
(niveau d’évolution)
Erection de la Loi
(ordre/fonctionnement institutionnel)
Introduction
Question
Est-ce le niveau d’évolution de la société algérienne qui empêche
la greffe d’organes de se développer ?
Qu’en est-il de la transplantation d’organes en Algérie ?
Première greffe en 1986
1986 - 2006
10 greffes rénales par an
moins de 250 greffes rénales en 20 années
A partir de 2007
100 greffes rénales /an
Actuellement
100 à 130 greffes rénales/an
Essentiellement greffes rénales à partir de donneurs vivants
(Source F. Haddoum, El Watan du 24 aout 2013)
Qu’en est-il de la transplantation d’organes en Algérie?
Greffes rénales à partir de donneurs en état de mort encéphalique (EME)
deux expériences : succès
- 2002 à Constantine
- 2011 puis 2012 à Blida.
cinq donneurs «cadavériques» : 10 reins
greffe rénale à partir de donneurs en EME marginale
(Source F. Haddoum, El Watan du 24 aout 2013)
Qu’en est-il de la transplantation d’organes en Algérie ?
En 2012
95 greffes rénales (donneurs vivants)
2 greffes avec un rein de cadavre
22 greffes (rénales) à l’ étranger (Jordanie et Turquie)
Total
119 greffes
moins de 1% de l’ensemble des dialysés (16000 dialysés)
(Source F. Haddoum, El Watan du 24 aout 2013)
Qu’en est-il de la transplantation d’organes en Algérie ?
Greffes rénales en 2012
Algérie 119 (Algérie + étranger)
Tunisie 127
Egypte 985
Arabie Saoudite 706
Turquie 2416
Iran 2279
France 3000
Qu’en est-il des autres greffes: foie, cœur, poumon?...
34 greffes hépatiques depuis 2003 à ce jour
(source El Watan du 26 octobre 2013)
Pourquoi la transplantation d’organes ne « décolle » pas
dans notre pays ?
Pour autant, le cadre juridique existe,
quand bien même celui-ci reste restrictif et a besoin d’être amendé
1 - Cadre juridique
Ce que dit la loi sanitaire a propos de la transplantation d’organes
1 - 85-05 du 16 février 1985
relative à la protection et à la promotion de la santé
Titre IV
(dispositions relatives à certaines activités préventives et curatives)
Chapitre III
(prélèvement et transplantation d’organes humains),
7 articles : 161 à 168
articles 161 à 165 relatifs au donneur
articles 166 et 167 relatifs au receveur
article 168 relatif aux conditions de la pratique de l’autopsie
Article 161
Le prélèvement d'organes humains et la transplantation de tissus
ou d'organes humains ne peuvent être effectués qu'à des fins
thérapeutiques ou diagnostic, dans les conditions prévues par la
présente loi.
Le prélèvement et la transplantation d'organes et de tissus humains
ne peuvent faire l'objet d'aucune transaction financière.
Article 162
Le prélèvement des tissus ou d'organes ne peut être pratiqué sur des
personnes vivantes que s'il ne met pas en danger la vie du donneur.
Le consentement écrit du donneur d'organe est exigé, après avoir été établi
en présence de deux témoins et déposé auprès du directeur d'établissement
et du médecin chef de service.
Le donneur ne peut exprimer son consentement qu'après avoir été informé,
par le médecin, des risques médicaux éventuels qu'entraîne le prélèvement.
Le donneur peut, en tout temps, retirer le consentement qu'il a déjà donné.
Article 163
Il est interdit de procéder au prélèvement d'organes chez des mineurs ou des
personnes privées de discernement.
Il est également interdit de procéder au prélèvement d'organes ou de tissus
chez des personnes atteintes de maladies de nature à affecter la santé du
donneur ou du receveur.
Les modalités d'application du présent article sont fixées par voie
réglementaire.
Article 164
Le prélèvement de tissus et d'organes sur des personnes décédées ne peut se
faire qu'après constatation médicale et légale du décès, selon des critères
scientifiques définis par le ministre chargé de la santé.
Dans ce cas, le prélèvement peut se faire avec le consentement écrit de la
personne de son vivant, ou de l'un des membres adultes de la famille, dans
l'ordre de priorité suivant: père, mère, conjoint, enfant, frère ou sœur.
Dans le cas où le défunt est sans famille, l'autorisation est demandée au
tuteur légal.
Article 165
Il est interdit de procéder au prélèvement de tissus ou d'organes en vue
d'une transplantation, si la personne, de son vivant, a exprimé par écrit une
volonté contraire ou si le prélèvement entrave l'autopsie médico-légal.
Loi 90-17 du 31 juillet 1990
modifiant et complétant la loi 85-05 du 16 février 1985 relative à la
protection et à la promotion de la santé
Dans son article premier, la loi 90-17 modifie les articles 164 et 165.
Dans son article deux, elle modifie l’intitulé du chapitre trois qui devient:
« Ethique médicale »
et ajoute l’article 168 (1).
Des progrès mais encore insuffisants ?
Article 164
Le prélèvement de tissus et d’organes sur les personnes décédées aux fins
de transplantation ne peut se faire qu’après constatation médicale et légale
du décès par la commission médicale visée à l’article 167 de la présente loi
et selon les critères scientifiques définis par le ministre chargé de la santé
publique.
Article 164
Dans ce cas, le prélèvement peut être effectué si, de son vivant, le défunt a
exprimé son consentement.
Si de son vivant, le défunt n’a pas exprimé sa volonté, le prélèvement ne
peut être effectué qu’après accord de l’un des membres de sa famille, dans
l’ordre de priorité suivant: père, mère, conjoint, enfant, frère ou sœur, ou le
tuteur légal, si le défunt est sans famille.
Toutefois, le prélèvement de cornées, de reins peut être effectué sans
l’accord visé à l’alinéa précédent, s’il n’est pas possible de prendre contact,
à temps, avec la famille ou le représentant légal du défunt et que tout délai
entrainerait la détérioration de l’organe à prélever, ou si l’urgence de l’état
de santé du receveur de l’organe l’exige; cette urgence étant constatée par
la commission médicale prévue à l’article 167 de la présente loi.
Article 165
Il est interdit de procéder au prélèvement de tissus ou d'organes en vue
d'une transplantation, si la personne, de son vivant, a exprimé par écrit une
volonté contraire ou si le prélèvement entrave l'autopsie médico-légal.
Il est interdit de relever l’identité du donneur au receveur et celle du
receveur au donneur.
Le médecin ayant constaté et certifié la mort du donneur ne doit pas faire
partie de l’équipe qui effectue la transplantation.
Article 168/1
Il est crée un conseil national de l’éthique des sciences de la santé, chargé
d’orienter et d’émettre des avis et des recommandations sur le prélèvement
de tissus ou d’organes et leur transplantation, leur expérimentation, ainsi
que sur toutes les méthodes thérapeutiques requises par le développement
technique médical et la recherche scientifique, tout en veillant au respect de
la personne humaine et à la protection de son intégrité corporelle et de sa
dignité, et en tenant compte de l’opportunité de l’acte médical à pratiquer ou
de la valeur scientifique du projet d’essai ou d’expérimentation.
La composition, l’organisation et le fonctionnement de ce conseil sont fixés
par décret.
Il a fallu attendre 22 ans pour que le décret exécutif 12-167 vienne compléter
Les dispositions de la loi 85-05 (amendée par la loi 90-17)
Décret exécutif 12-167 du 05 avril 2012
Portant création de l’agence nationale de la greffe d’organe
28 articles
3 chapitres (dispositions générales, organisation et
fonctionnement, dispositions financières)
- article premier porte création de l’ANG
- article 5 fixe ses attributions (17 alinéas)
- articles 6 et 7 organisent les relations entre l’agence et les établissements
hospitaliers autorisés à prélever et transplanter organes et tissus
Article premier :
Le présent décret a pour objet la création, l’organisation et le fonctionnement
de l’agence nationale des greffes, ci-après désignée « l’agence »
par abréviation « ANG »
Article cinq :
L’agence est chargée en matière de transplantation et de greffes d’organes,
de tissus et de cellule de corps humain, notamment:
1 - d’enregistrer les patients en attente…….. sur une liste nationale arrêtée
à cet effet…..
2 - d’assurer les registres nationaux du consentement et du refus………….
Établis conformément à la législation…….
3 - de gérer et de conserver les fichiers des donneurs et receveurs…….. à des
fins de traçabilité
Article cinq :
L’agence est chargée en matière de transplantation et de greffes d’organes,
de tissus et de cellule de corps humain, notamment:
4 - d’assurer la gestion du registre national d’attribution des greffons…….
5 - d’élaborer et de proposer les règles de bonnes pratiques des prélèvements,
de conservation, de transformation, de transport et d’utilisation ……..
6 - d’élaborer et de proposer les règles de répartition et d’attribution des greffons
Selon les principes d’équité et de prescription médicale et éthique……..
Article cinq :
L’agence est chargée en matière de transplantation et de greffes d’organes,
de tissus et de cellule de corps humain, notamment:
7 - d’établir et de soumettre à homologation, ……….., les conditions nécessaires à
la création des banques de tissus et de cellules, leurs règles de fonctionnement
et le contrôle de leurs activités
8 - de coordonner et de développer les activités de prélèvement et de greffes……..
et d’en assurer la régularité et la sécurité
9 - de donner son avis……. Sur les établissements hospitaliers autorisés à effectuer
le prélèvement et la greffe……
10 - de contrôler la conformité des établissements hospitaliers autorisés à effectuer
les prélèvements et les greffes ainsi que des banques de tissus et de cellules……
Article cinq :
L’agence est chargée en matière de transplantation et de greffes d’organes,
de tissus et de cellule de corps humain, notamment :
11 - de veiller à la conformité des décisions, avis et recommandations de l’agence
avec les données de la science, de la médecine et de l’éthique en matière de santé
12 - d’évaluer avec les équipes médico-chirurgicales les résultats des différentes
Greffes et de suivre l’évolution de l’état de santé des receveurs……..
13 - de promouvoir le don et le prélèvements d’organes……..
14 - de promouvoir et d’encourager la recherche scientifique et la formation en
matière de transplantation…….
………
17 - d’établir le rapport annuel d’activités de l’agence et le bilan annuel des
activités de prélèvement et de transplantation……
Est-ce que ce décret cerne et prend en charge tous les aspects pratiques liés
à la transplantation d’organes ?
L’avenir, l’épreuve du terrain et les spécialistes nous le diront.
Le cadre juridique, pour insuffisant et restrictif qu’il soit, existe.
1- pas d’empêchement légal pour le don à partir de cadavres,
problème crucial,
même si le consentement explicite du donneur (de son vivant) ou de sa
famille constitue une obligation légale dans la loi
Une disposition qui doit être amendée
Considérer comme un accord du don l’absence de refus exprimé du
vivant du sujet (?)
Un consentement « présumé » auquel la loi devrait conférer un caractère
légal
En occident,
certains pays autorisent le prélèvement systématique (sans
autorisation de la famille) sur personnes décédées dès lors qu’il n’y a
pas de testament contraire du défunt.
L’absence de refus testamentaire signifiant un accord pour le don.
La volonté du défunt prime sur toutes les autres
2 - Concernant le donneur vivant
Elargir le don d’organes aux grands-parents, oncles et tantes, cousins,
famille par alliance.
Disposition à inscrire dans la loi ?
Suffit-il de faire voter une loi pour qu’elle trouve un
prolongement sur le terrain ?
De toute évidence ce n’est pas le cas, notamment concernant les
dispositions relatives à la transplantation d’organes
Le système de santé
Une société développée, évoluée, garantit le droit à la santé à tous
ses citoyens,
c’est l’esprit de la Loi 85-05 (protection et promotion de la santé)
Objectif atteint ?
Le système de santé
1 - Système de santé obsolète, soins ordinaires non satisfaits
- Médecine gratuite essoufflée/inadaptée
- Structures de santé débordées
- CHU aux missions imprécises
* enseignement
* recherche
* excellence
?
improbables
transplantation
Le système de santé
2 - Coût de la santé irréaliste
déconnecté de l’environnement économique national
Budgets alloués pour la santé
- en deçà de la réalité des coûts des prestations
- inadaptés aux besoins
La transplantation d’organe a un coût
à ne pas occulter/ à assumer
Le système de santé
La transplantation d’organes doit participer de la volonté politique
Elle doit être inscrite comme un des
objectifs prioritaires – en tout cas une préoccupation,
un des volets importants – de la politique de santé publique
caractère prioritaire non évoqué ni dans la Loi 85-05 ou 90-17
ni dans le décret 12-167
Le système de santé
Tous les centres universitaires ne peuvent pas faire la
transplantation
Nécessité d’avoir des structures dédiées - pôles d’excellence - pour
chaque type de greffe.
Le décret 12-167 parle seulement d’établissements autorisés à….
Le système de santé
Garantir l’amont de la greffe
- Les conditions du don
- Les conditions du prélèvement
- La conservation et le transport du greffon
- La transformation du greffon et les conditions d’asepsie
- La greffe elle-même
Un système de santé performant/développé au regard des risques importants
et multiformes liés à la greffe d’organes +++
Ethique sociale et niveau d’évolution de la société
solidarité,
empathie,
compassion,
altruisme,
Valeurs - socle - éléments fondateurs de la société humaine
Attributs d’une société cultivée/évoluée
Importance et respect de la vie humaine
Mutualité de la relation
Harmonie dans la communauté
Climat favorable au don (de soi)
Elévation au statut de citoyen
(droits et devoirs)
Maslow
Une société évoluée garantit au citoyen non seulement ses droits mais aussi
la possibilité d’exercer ses devoirs.
Rôle des acteurs politiques
(des pouvoirs publics) dans la conscientisation et la
sensibilisation du citoyen au don d’organe
- Susciter le débat dans la société
- Contre – pour – pourquoi?
- Lever les obstacles (tabous et préjugés) moraux et religieux
- Rôle de l’information
Amener les personnes à être volontaire au don
(Donneur et carte de donneur)
Société évoluée/cultivée
Société organisée
Société civile active (mouvement associatif)
Rôle important du mouvement associatif
- Associations pour la promotion du don d’organes et de tissus
En France: fédération des associations pour le don d’organes et de tissus humains
(site internet, magazine, etc.)
- Fondations
fondation nationale suisse pour le don et la transplantation d’organes
Aide à la création d’un climat psychologique et social favorable
au don d’organes
Rôle des élites, des médecins +++
En Résumé
Une loi restrictive est un obstacle indéniable.
Même amendée, les obstacles à la transplantation resteront entiers si
1 - La volonté politique n’est pas clairement exprimée par les pouvoirs publics
(greffe = priorité de la politique de santé publique)
2 - Le système de santé n’est pas développé, performant et adapté aux besoins
de santé des populations
3 - Le niveau d’évolution et de développement socioculturel du citoyen
n’est pas élevé
Conclusion
La politique de la transplantation d’organes dans notre pays
souffre d’un manque flagrant de conviction.
Manque de détermination des pouvoirs publics à mettre en place
l’environnement indispensable au succès de cette entreprise.
Une entreprise qui nécessite sans doute des moyens techniques,
de la compétence, de l’excellence,
mais aussi – et surtout – une disposition du citoyen, de la société
au don d’organe, au don de soi, d’une partie de soi.
Le consentement au don d’organe est un état d’esprit, une culture.
Sans ces données, la transplantation restera un vœu pieux.
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