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Fascisme, nazisme
et stalinisme
Premier cours :
Questions de définitions. Les
origines intellectuelles et
contextuelles des
« totalitarismes ».
Premier cours :
1 – Qu’est-ce que le totalitarisme ?
2 – Fascisme, nazisme et stalinisme
3 – Le triomphe de la raison : le
positivisme
4 – Nationalisme et internationalisme
5 – La guerre comme accoucheuse
1 – Qu’est-ce que le
totalitarisme ?
1.1 – Définition et origine
• Historiquement, la notion de totalitarisme a été associée
au régime fasciste de Mussolini, au nazisme d’Hitler et à
l’URSS stalinienne. Dans ce dernier cas, après Staline,
le recours à cette catégorisation procède davantage du
discours propagandiste que d’une analyse rigoureuse.
• Aujourd’hui, l’usage est devenu plus comparatiste et
désigne une forme de pouvoir ayant pour principale
caractéristique la dissolution de la frontière entre l'État et
la société, à l’opposé du système libéral.
• Le sens, les usages et les fonctions du terme sont
multiples et son statut épistémologique, équivoque, entre
catégorie analytique et outil de combat politique.
• Il recouvre les caractéristiques de ce que Morin qualifie
de maître mot : terme lourdement chargé dont le sens
est si « évident » que la plupart des gens qui l’utilisent
croient pouvoir se dispenser de le définir.
• Dans le discours publiciste, le mot de totalitarisme est
une insulte et celui de démocratie une éloge, comme si
le contenu de ces termes était figé.
• Mais ces expressions relevant de la philosophie politique
sont loin d’être univoques. Qu’il suffise de dire que dans
la France de Vichy, par exemple, l’accusation de
démocratisme était extrêmement négative.
• C’est à la Première Guerre mondiale qu’il faut remonter
pour retrouver l’origine du concept, lequel est issu du
contexte de rupture imposé par cette guerre de masse.
• C'est au fascisme qu'est d'abord attribué le qualificatif de
« totalitaire » par ses opposants, mais le terme est
immédiatement capté par Mussolini, puis par Gentile.
• Chez ces derniers, il défini le rapport entre l’État, la
société et les individus que cherche à imposer le régime.
Mais en Allemagne, les nazis réfutent le terme, qui fait
abstraction du peuple et de la race.
• Dans les années 1930, le concept prend forme, grâce à
la contribution de Marcuse ou de Viktor Serge.
• Les penseurs d’origine juive s’intéressent à la question,
mais avant 1939, il n'y a pas de théorie clairement
structurée de cette notion. Aron limite son étude à
l'Allemagne et à l'Italie, alors que diverses interprétations
du fascisme, du nazisme et du stalinisme coexistent.
• Le concept ne fait pas l’unanimité et nombreux sont ceux
qui explorent d'autres voies, comme le trotskiste Bruno
Rizzi qui lui préfére le « collectivisme bureaucratique ».
• Le pacte germano-soviétique accroît la force de
l’approche comparative, mais les éléments déterminants
et les origines de ces États sont loin de faire l'unanimité.
• Le terme commence alors à se diffuser dans le
vocabulaire politique, mais son usage reste tributaire de
la conjoncture politique.
• Avec la Guerre froide, des tentatives de définition sont
menées par Hannah Arendt ou Raymond Aron. Mais ce
n’est plus que le système soviétique qui sert d’objet
d’analyse et de définition.
• Au plus fort de la Guerre froide, Friedrich et Brzezinski
élaborent une théorie du totalitarisme basée sur six
caractéristiques :
• 1 – une idéologie officielle;
• 2 – la terreur policière;
• 3 – un parti unique;
• 4 – le monopole des médias;
• 5 – celui des armes;
• 6 – une économie planifiée.
• Mais cette théorie trop descriptive est très contestée. On
lui reproche de mettre de l’avant une vision figée de
l’URSS et de simplifier à outrance le phénomène.
• Cette approche sera mise de côté jusqu’à la fin de
l’URSS, alors que la filiation des régimes fasciste, nazi et
soviétique sera de nouveau à la mode, avant d’être à
nouveau critiqué par les historiens révisionnistes, qui lui
reprochent son manque d’efficacité analytique : les
définitions par critère définissent-elles le régime
totalitaire idéal ou bien les régimes réels ?
• Ainsi, l’analyse factuelle sera préférée à un angle
d’analyse trop idéal, et trop idéalisée, pour caractériser
des régimes politiques qui, bien qu’ils partagent de
nombreuses caractéristiques, se distinguent néanmoins
les uns des autres par toute une autre série de critères.
• En même temps, nous y aurons recours de temps à
autre, afin de faciliter les comparaisons, tout en gardant
à l’esprit qu’il s’agit d’un modèle d’analyse, sans plus.
• Néanmoins, nous retiendrons, sans les rendre absolus,
certains critères qui rapprochent les trois régimes
étudiés et permettent aussi à l’inverse de souligner leur
singularité :
• 1 - le primat idéologique,
• 2 - la militarisation sociale
• 3 - la violence comme mode de gouvernement.
• Ces critères ne sont pas absolus et surtout, pas exclusifs
aux régimes à prétention totalitaire. Néanmoins, leur
juxtaposition et leur caractère radical dans les régimes
de ce type permettent de distinguer les « totalitarismes »
du simple autoritarisme.
1.2 — Totalitarisme et autoritarisme
• Depuis Hobbes, la théorie politique rend indissociable la
politique et la violence car gouverner, c’est contraindre.
• Homo homini lupus. L’homme est un loup pour l’homme,
et pour sa sécurité personnelle, l’individu doit concéder
un arbitraire absolu au prince, en espérant que celui-ci
pourra le protéger des menaces extérieures sans
recourir excessivement à la violence intérieure.
• Les premières théories modernes de l’État font la part
belle au droit à la violence du souverain, comme le
formulera par la suite Weber : l’État est cette forme
d’organisation sociale qui, sur un territoire donné,
dispose d’un monopole de la violence légitime.
• Même si Montesquieu, par exemple, s’emploie à codifier
ce droit à la violence de l’État, cela ne change rien au
fait que la violence constitue le socle du pouvoir
politique.
• Si même les théories les plus libérales d’organisation
politique comprennent une dimension violente, il va de
soi que, moins le régime est pluraliste, moins il est limité
dans l’emploi de la force, et plus il est violent.
• Depuis 1688, les systèmes politiques occidentaux se
sont libéralisés. Mais avant ce moment, l’utilisation de la
violence comme mode de gouvernement était la norme.
• Plus encore, l’encadrement par des lois de ce droit à la
violence n’empêche pas l’État d’en abuser.
• Ainsi, l’apparition des régimes modernes n’a pas
systématiquement limité le recours à la violence. On n’a
qu’à penser à la Terreur de 1793-1794. Plus près de
nous, nombreuses sont les dictatures qui fonctionnent
sur ce primat.
• Mais si la violence est indissociable de l’État, pourquoi
utiliser ce critère dans la définition des régimes
« totalitaires »?
• Si gouverner, c’est contraindre, violenter, la violence ne
permet pas de distinguer les différents régimes
politiques, étant tous par essence violent. Mais l’ampleur
du recours à la violence distingue les régimes libéraux
des régimes autoritaires, où elle peut être totale.
• Pour ces derniers régimes, l’autoritarisme se distingue
du « totalitarisme » par la fonction qu’occupe le recours
à la violence dans le fonctionnement de l’État.
• Les régimes autoritaires sont par essence violents, mais
le recours à celle-ci n’à qu’une fonction pratique et sert
avant tout à maintenir au pouvoir celui qui y recours.
• L’ajout du primat idéologique permet ici de distinguer les
régimes simplement autoritaires de ceux qui furent
historiquement qualifiés de totalitaires. Peu de dictatures
accordent une importance à l’idéologie. Dans la plupart
des dictatures, soit l’idéologie est absente, soit elle se
limite à des choses à la fois vagues et universelles.
• Il existe des régimes libéraux pour lesquels l’idéologie
joue un rôle fondamental. Ainsi des régimes dits
démocratiques, qui font de l’idéologie un primat. Ce
terme de démocratie est dans les systèmes libéraux un
référent incontournable. De même, aux États-Unis, par
exemple, le recours rituel à la divinité donne une
profondeur idéologique au système politique.
• Mais il existe des systèmes autoritaires pour qui
l’idéologie est très importante et qui ne sont pas pour
autant des régimes à tendances totalitaires. C’est le cas
du régime théocratique iranien par exemple.
• Avec le troisième critère, la militarisation sociale, nous
touchons à quelque chose de fondamental, mais qui
n’est pas non plus exclusif, aux régimes dits totalitaires.
Car les organisations sociales plus ou moins patronnées
par l’État existent partout.
• Les plus intéressantes sont les organisations de
jeunesses, car, s’intéressant au matériel encore meuble
de la société, elles comptent pouvoir le former dans un
sens précis, afin de rendre les citoyens de demain
conformes à une idéologie et/ou à certains modes
comportementaux.
• De telles organisations existent même dans les États
libéraux de l’Occident contemporain, et le mouvement
scout, par exemple, appartient à cette catégorie,
• Mais même pris ensemble, ces critères ne permettent
pas de distinguer parfaitement l’autoritarisme traditionnel
des régimes qualifiés de totalitaires. Car les régimes
totalitaires ne cherchent pas à contrôle la totalité de la
vie sociale simplement pour maintenir leur pouvoir.
• Ils le font dans un objectif, variable selon les régimes en
question, mais auquel tout le reste est subordonné :
reconstruction nationale, espace vital ou avenir radieux,
impliquent la création d’un homme nouveau.
• C’est cet aspect téléologique qui différencie ces trois
régimes des autres régimes autoritaires de l’histoire :
cette violence, passant par l’enrégimentement social et
appuyée par une idéologie, sert un objectif qui dépasse
le maintien au pouvoir du groupe qui l’organise : elle vise
à mettre au monde un nouveau monde et
conséquemment, un nouvel homme.
• Cela ne peut se faire sans une contrainte très forte
imposée à l’ensemble de la société par des moyens
radicaux, qui excluent par définition l’hétérodoxie : le
troupeau doit être conduit d’une main ferme vers la
destination choisie par le berger…
• Terminons en mentionnant que la dimension
téléologique de ces régimes correspond à un temps
historique très précis, autant du point de vue politique et
économique que culturel et idéologique. La probabilité
de revoir ce type de régime un jour est très faible.
2 – Fascisme, nazisme et
stalinisme
2.1 - Fascisme
• Des trois régimes, le fascisme est le plus difficile à
définir, parce qu’il s'agit du terme le plus galvaudé.
• Si on reprend l’approche de Milza, il faut distinguer deux
fascismes : le fascisme-programme et le fascismerégime. Même là, le tout demeure confus, car ces deux
fascismes sont eux-mêmes très fluctuants.
• Deux causes expliquent l’ambigüité de ce concept. La
première, c’est le régime fasciste lui-même. Comme tout
pouvoir personnalisé, le fascisme italien a grandement
dépendu de son initiateur, dont l’idéologie est très
fluctuante, dépendante qu’elle est de la conjoncture.
• Par exemple, la composante raciste du fascisme, qui
était à peu près absente, devient prédominante dans le
cadre de la guerre menée au côté du nazisme.
• L’autre grand écueil sur la route d’une définition du
fascisme est que le terme a été capté par un certain
discours publiciste et, devenant un maître mot, a été
utilisé à toutes les sauces depuis les années 1920,
souvent sous la forme d’invectives ou d’insultes.
• D’un point de vue historique, le terme de fascisme
désigne le mouvement politique populiste dirigé par
Mussolini et mis en place autour de l’organisation des
« Faisceaux de combat », d’où il tient son nom.
• De même, le mouvement se voit donner une base
organisationnelle par la création du Parti national
fasciste. Après la marche sur Rome et l’arrivée au
pouvoir de Mussolini, le terme de fascisme renvoie au
système politique mis en place par ce dernier.
• Par sa structure, le régime fasciste est qualifié de
corporatiste. La création de corporation n’est bien sûr
pas limitée à ce type de régime et on trouve dans les
États libéraux une foule d’organisations de ce type.
• Dans le cadre d’un régime politique libéral, ces
organisations ont pour fonction de défendre les intérêts
de leurs membres auprès du gouvernement : leur action
s’exerce du bas vers le haut.
• Dans le cadre d’un régime politique dit corporatiste, ces
organisations sont mises en place par le pouvoir
politique, afin de servir de courroie de transmission entre
celui-ci et les masses. C’est-à-dire du haut vers le bas.
• C’est là l’une des caractéristiques fondamentales des
régimes de types totalitaires, qui correspond au désir
d’enrégimenter l’ensemble de la population.
• Autre caractéristique, plus spécifique des totalitarismes
de droite, le culte de la force. Le stalinisme est violent,
mais il ne glorifie pas la violence et la force, alors que le
fascisme en fait l’une de ses bases idéologiques. De
même, les régimes fascistes sont antiintellectuels.
• À l’intérieur du pays, cela se manifeste par la glorification
des organisations sociales dont le fascisme est issu, à
qui on permet tout.
• À l’extérieur, cela se manifeste par le désir d’expansion
territoriale et pas seulement pour l’acquisition de
territoire, mais pour « tremper » le corps social dans
l’expérience militaire. L’homme nouveau que prétend
créer le fascisme sortira forcément de cette lutte violente
pour la survie. Ce qui fait que la guerre est intrinsèque
au fascisme, ce qui est encore plus vrai du nazisme et
distingue radicalement ces deux régimes du stalinisme.
• Autre trait fondamental découlant partiellement du
précédent, le culte de la nation et sa glorification. Le
régime mussolinien met de l’avant l’héritage romain et
s’appuie sur celui-ci pour exalter la puissance de l’Italie
moderne. Cela touche également l’esthétique, alors que
l’architecture classique est remise au goût du jour.
• Dernière caractéristique, le culte du chef. Les trois
régimes étudiés mettent en place un véritable culte de la
personnalité du chef. Dans ce cadre , le Duce n’est pas
simplement le chef d’un mouvement politique, ni même
de l’État, mais revêt une dimension paternelle. Ceci est
une conséquence de la structure très hiérarchisée des
systèmes dits totalitaires, qui mettent par ailleurs de
l’avant un grand respect de l’autorité.
2.2 - Nazisme
• Le terme « nazisme » renvoie à l’appellation du parti
dont Hitler s’empare au début des années 20, le parti
national-socialiste des travailleurs allemands. Des trois
composantes de ce nom, deux réfèrent à la gauche,
l’autre à la droite. Le NSDAP n’est pas à proprement
parler un parti de droite : il est certes populiste, mais la
dimension socialiste du programme domine alors.
• La prise de contrôle du NSDAP par Hitler va faire
triompher la composante droitière. Mais ce n’est pas la
nation qui le préoccupe, mais plutôt une autre notion, qui
cohabite avec les autres concepts préalablement définis
en ce qui concerne le fascisme : la race.
• C’est à l’objectif de la création d’une race parfaite que se
dédie le NSDAP. Les autres concepts perdent de leur
pertinence au profit de cet objectif ultime.
• Sans nier d’autres nuances qui peuvent exister entre le
fascisme mussolinien et le nazisme d’Hitler, cette notion
de race permet le plus sûrement de les distinguer.
• En simplifiant, on peut donc dire que le nazisme est un
fascisme qui fait de la race (entendu au sens génétique)
le socle sur lequel doit se construire l’Homme nouveau.
• Pour le reste, les caractéristiques précédemment
mentionnées concernant le fascisme s’appliquent pour
l’essentiel à sa version allemande : la violence y est
également conçue comme un idéal, le culte du chef, du
Führer, figure paternelle, fait écho à celui du Duce, etc.
Cela étant, pour nombres de caractéristiques, la forme
allemande se distingue souvent par son radicalisme de
sa matrice italienne.
2.3 - Stalinisme
• Même si le stalinisme est très « personnalisé », comme
en fait foi le nom même que l’histoire lui a donné, c’est le
seul des trois régimes à avoir survécu un temps, et au
moins en ce qui concerne certaines caractéristiques, à
son fondateur.
• De même, le stalinisme s’inscrit dans un cadre temporel
qui dépasse celui de l’individu qui l’a fondé. Tout comme
le nazisme hitlérien, le fascisme mussolinien est l’œuvre
d’un homme et ces deux régimes naissent et s’éteignent
suivant l’existence de leurs fondateurs.
• De même, fascisme et nazisme sont créés ex nihilo, Ils
s’inscrivent en rupture avec le cadre historico-politique
dans lesquels ils se déploient, alors que le stalinisme est
lui une prolongation d’un régime politique existant.
• Qu’il s’agisse d’une forme très différenciée, ou à
l’inverse d’une continuité, le stalinisme s’inscrit dans le
cadre léniniste, donc dans une théorie plus large, soit le
marxisme, même si pour bien des aspects cette dernière
théorie occupe davantage la fonction de contenant que
de contenu.
• Du point de vue chronologique, le stalinisme est cette
variante du marxisme-léninisme qui se déploie à partir
de la fin des années 20 en URSS et prend officiellement
fin avec le début de la déstalinisation en 1956.
• Le culte du chef se retrouve bien sûr ici, Staline se
présentant lui aussi comme le bon, mais sévère père de
l’État. Mais de l’État : compte tenu de l’enveloppe
marxiste du régime stalinien, il va de soi que la nation
est pour l’essentiel exclue de l’idéologie et remplacée
par la classe, celle des travailleurs, qui constitue le
matériel sur lequel s’exerce l’État.
• Ici, l’homme nouveau ne se distingue pas par des
caractéristiques génétiques, mais sociales et le rejet
manifesté par le nazisme à l’endroit des « sous-races »
se transforme ici en rejet des « sous-classes ».
• Cela étant, après la guerre, l’idée de nation revient en
force. De même, s’opère tout au long des années 30 une
sorte de fusion entre les concepts de nation et de classe,
qui permet peu à peu l’identification des deux concepts :
apparaît alors un « nationalisme » soviétique étroitement
lié à la classe ouvrière.
• Un élément distingue radicalement le stalinisme des
deux autres régimes : la place de la violence, car ici, elle
est conçue comme un moyen d’atteindre un objectif
(« décapiter l’hydre contre-révolutionnaire »), plutôt que
comme une fin en soi. La Terreur est ici « épisodique »
et correspond à une étape du développement de l’État.
• Le corps et la force physique sont valorisés, comme en
fait foi l’esthétique stalinienne, mais cette valorisation ne
conduit pas nécessairement à un antiintellectualisme : si
on se méfie des « intellectuels bourgeois », c’est parce
qu’ils sont « bourgeois », et non parce qu’ils sont
intellectuels.
• Les artistes, ingénieurs des âmes, sont choyés par le
régime tant et aussi longtemps qu’ils promeuvent les
valeurs définies par ce dernier. Mais il va de soi que tout
ce qui s’écarte de cette ligne idéologique et artistique est
impitoyablement détruit.
3 – Le triomphe de la raison :
le positivisme
• L’une des questions que soulèvent les analystes de ces
régimes autoritaires très particuliers qui fleurirent dans la
première moitié du XXe siècle est de savoir si de tels
phénomènes seraient encore possibles de nos jours.
• Techniquement la mise en place d’un régime totalitaire
est aujourd’hui plus vraisemblable qu’il y a 100 ans, mais
le contexte épistémologique est radicalement différent et
rend peu probable l’apparition d’un tel système.
• Ces systèmes sont nés à une époque où l’on croyait que
la science et la raison étaient en mesure de régler tous
les problèmes. D’un point de vue politique, l’application
du positiviste impliquait que, par le biais des méthodes
scientifiques, les sociétés pouvaient être modelées et
perfectionnées comme n’importe quel matériel.
• Le positivisme est une doctrine épistémologique du XIXe
siècle. Son « père », Auguste Comte, considérait
qu’après l’ère du raisonnement religieux et du
raisonnement métaphysique, l’homme moderne était
entré dans l’ère du raisonnement positif : grâce à
l’observation et à la systématisation des connaissances,
ce raisonnement rendait possible la résolution des
problèmes physiques, mais aussi humains.
• Au cours de la seconde période de sa vie, Comte va
aller plus loin et se convaincre de la possibilité
d’organiser, et non plus seulement de comprendre, la
société humaine par et pour la science.
• Pour des contemporains de l’ère nucléaire, l’idée que la
science puisse résoudre tous les problèmes apparaît
aberrante. Mais il y cent ans, la science n’était pas
neutre : elle était positive et permettait tout.
• C’est dans ce contexte épistémologique que sont
apparus ces systèmes politiques totalitaires et ils en
portent la marque. Dans les trois cas étudiés, le parti se
donnait pour mission de transformer la société, en
s’appuyant sur une doctrine scientifique (en fait,
pseudoscientifique, soit la hiérarchie raciale des nazis,
soit le socialisme scientifique de l’URSS, déformation de
la théorie marxiste).
• Encore une fois, l’impossibilité (apparente, à tout le
moins) de revenir à cette époque d’optimiste rationaliste
semble interdire la réapparition de régimes politiques de
ce type.
4 – Nationalisme et
internationalisme
4.1 - « Nous contre eux »
• Le nationalisme est l’un des fruits de la Révolution
française. Même si 1789 est un mouvement
d’émancipation sociale, la réaction des puissances
européennes aura tôt fait de convertir la lutte pour plus
de justice sociale en lutte pour l’indépendance nationale.
• Au cours du XIXe siècle, le nationalisme prend son
essor. D’abord courant marginal, il devient de plus en
plus important dans l’esprit des masses et des élites.
• Si les troubles de 1848 en France revêtent surtout une
composante sociale, ailleurs, celle-ci se double de
revendications nationales.
• C’est particulièrement le cas en Europe de l’Est, où les
rébellions contre le pouvoir central se confondent avec
des réclamations concernant l’indépendance nationale.
• Le développement de la puissance de l’idée nationale
devient manifeste dans la seconde moitié du siècle, avec
les projets d’unification des nations allemandes et
italiennes, ou encore avec la transformation de l’empire
des Habsbourg en double monarchie austro-hongroise.
• Mais c’est la Première Guerre mondiale qui consacre le
triomphe de l’idée nationale. Malgré tous les efforts
déployés par les chefs socialistes européens, les nations
d’Europe seront happées par le nationalisme en 1914.
• La Première Guerre mondiale n’ayant rien résolu, il n’est
pas étonnant que les sentiments nationalistes se soient
exacerbés. Pas pour tout le monde, mais en 1918, les
tendances nationalistes ont le vent en poupe et il s’agira
d’une tendance déterminante de l’entre-deux-guerres.
• D’autant que la naissance, en Russie, d’un
gouvernement « internationaliste » qui, entre autres,
abolit la propriété privée, va permettre aux nationalistes
de sceller une alliance avec les courants capitalistes.
S’opérera alors la fusion de ces deux tendances,
élément fondamental du triomphe, en Italie et en
Allemagne, de courants nationalistes anticommunistes.
4.2 - « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! »
• L’internationalisme nait un peu plus tard que le
nationalisme, dans la foulée du « Printemps des
peuples » de 1848. En effet, les luttes nationales des
petits peuples permettent à ceux-ci de constater une
proximité entre eux.
• Même si les bourgeoisies nationales participent aux
côtés des éléments prolétariens à ces troubles, ceux-ci
permettent le développement d’un « esprit de classe »
qui trouvera bientôt son expression dans la mise en
place des institutions de l’Internationale.
• C’est également en 1847, donc au moment où se
déroulent les luttes nationales contre les empires, que
Marx et Engels publient leur « Manifeste du parti
communiste », qui consacre la naissance de
l’internationalisme en tant que courant idéologique.
• Ce courant est multiforme et va, au cours des décennies
qui vont suivre, connaître une série de crise.
• Ainsi, créée en 1864 à Londres, la Première
internationale sera dissoute douze ans plus tard, après
l’exclusion en 1872 des courants liés à l’anarchosyndicalisme. Les querelles personnelles entre
Bakounine et Marx témoignent de la difficulté de la mise
en application de certains des principes du marxisme,
dont l’effacement des personnalités devant ce qui doit
être le moteur de l’histoire, les masses.
• Une autre tentative sera faite en 1889 pour fédérer les
organisations ouvrières du monde occidental, mais cette
seconde Internationale socialiste ne comprend pas les
organisations ouvrières du monde anglo-saxon, qui
préfèrent une approche basée sur le dialogue plutôt que
la stratégie de rupture préconisée par les plus radicaux
de l’organisation.
• S’ensuit à nouveau en 1896 l’exclusion des anarchistes,
qui consacrent la rupture de ceux-ci avec le marxisme.
Jusqu’en 1914, les congrès vont se succéder, avec pour
objectif déclaré de faire échec à la guerre. Mais dès les
premiers échanges de coups de feu en 1914, la seconde
internationale s’effondre, la classe ouvrière préférant la
solidarité nationale à la solidarité de classe.
• Le mouvement renaîtra sous une forme complètement
différente au lendemain de la guerre, parce que
patronnée cette fois par un gouvernement : Lénine, qui
demeurera toujours un internationaliste férocement
antinationaliste, met en place une 3e Internationale, qui
sera cette fois communiste.
• Mais celle-ci, sous Staline, se transformera
d’organisation internationale en quasi-organisation
soviétique, avec pour mandat prioritaire d’assurer la
défense de la « patrie du socialisme », l’URSS.
• De sorte que, malgré la haine que lui vouent les
nationalistes, cette Internationale est passablement
« nationale ».
• Cela n’empêche pas l’organisation d’être le principal
ennemi des régimes fascistes, considérée comme le
cheval de Troie des intérêts soviétiques et du socialisme
athée et juif.
• La lutte entre les deux courants est l’une des
caractéristiques de l’entre-deux-guerres et de la lutte
entre les régimes à tendances totalitaires de droite
contre ceux de gauche.
5 – La guerre comme
accoucheuse
• Il est généralement admis que sans la Première Guerre
mondiale, les régimes ici étudiés n’auraient
probablement jamais existé.
• En effet, dans la mesure où l’effondrement du régime
tsariste est en bonne partie tributaire de l’incapacité de
celui-ci à mener la guerre et que le fascisme, puis le
nazisme, sont en grande partie nés d’une réaction à la
révolution bolchévique, ce point de vue apparaît
solidement fondé.
• Mais au-delà des causes ponctuelles, la Première
Guerre mondiale, avec ses 10 millions de morts, a
modifié le regard que les peuples d’Europe posaient sur
eux-mêmes et sur leurs systèmes politiques.
• En 1914, deux blocs politiques se font face : d’une part
les régimes libéraux de France et du Royaume-Uni,
associés à l’empire des Romanov. En face d’eux, un
bloc constitué principalement du monde germanique,
mais aussi de l’Empire ottoman : deux visions du monde
s’opposent : autoritarisme contre pluralisme politique.
• La guerre va entraîner la débâcle des uns et des autres.
Pour les empires centraux, la chose relève de
l’évidence, avec la signature des traités qui mettent fin à
la guerre. En ce qui concerne les Romanov, cela sera
encore plus rapide, avec l’effondrement de la monarchie
en février 1917.
• De prime abord, on pourrait penser que la victoire des
forces occidentales aurait entraîné conséquemment la
victoire du principe pluraliste. Dans un premier temps,
c’est d’ailleurs le cas, avec la mise en place de système
de type républicain sur le territoire des États vaincus.
• Mais dès la fin des années 1910, les choses se gâtent
pour les États victorieux, car les conséquences,
financières de la guerre vont aussi entraîner pour eux de
graves problèmes économique.
• On ne peut que comprendre le « Plus jamais ! » que
répétaient les populations européennes en 1918. Mais
dans cette optique, il convenait pour ces peuples de
chercher les causes du carnage.
• Car les systèmes politiques libéraux de l’Ouest européen
sont également pointés du doigt par les populations,
lorsque vient le temps d’analyser les causes de la
guerre. On leur reprochera de n’avoir pas su empêcher,
et même d’avoir provoqué le bain de sang. De sorte que
devant l’échec, des régimes libéraux, tous les peuples
d’Europe se mettent à la recherche d’une alternative.
• L’autre élément fondamental qui change avec la guerre,
c’est l’omniprésence de la violence.
• Le carnage a désacralisé la vie humaine, la mort violente
étant devenue un fait banal et quotidien, autant pour les
soldats du front que pour les peuples à l’arrière.
• Dans le même ordre d’idée, la fin de la guerre va laisser
désœuvrée une multitude de jeunes hommes n’ayant
connu comme « expérience professionnelle » que le
combat à mort et la fraternité des tranchées.
• L’impossibilité pour l’écrasante majorité d’entre eux de
se « réformer » et l’incapacité des systèmes libéraux,
issus ou non de la guerre, de les intégrer et de leur faire
une place, va faire de ces rescapés de véritables
bombes sociales.
• Habitués au sang et à la violence, animés d’une haine
féroce et irrationnelle contre une société jugée ingrate,
ils trouveront un réconfort dans les formations
paramilitaires d’anciens combattants, qui en plus de leur
permettre de retrouver la fraternité du combat, leur offre
certains moyens de subsistance.
• Au cours des années qui vont suivre 1918, ils vont
intégrer les organisations proto-fascistes en Allemagne
et en Italie (mais aussi ailleurs, en France, par exemple)
et constituer le fer de lance des organisations terroristes
qui vont permette aux fascistes de s’emparer du pouvoir.
• Une fois à la tête des États italien et allemand, ils vont
continuer à faire preuve de la même mentalité de
tranchée, ce qui va bien sûr conduire à la Deuxième
Guerre, mais aussi à l’abomination que fut la Shoah.
• Pour les bolchéviques, la situation est un peu différente,
mais le fond demeure le même. En Russie, la sortie de
la guerre internationale se confond avec la plongée dans
la guerre civile et conséquemment, les jeunes hommes
du front continueront à vivre dans la guerre jusqu’en
1921.
• Ainsi, il est peu étonnant de constater que ceux qui ont
rejoint les forces rouges au cours de la période aient
développé un mépris de la vie humaine aussi important
que celui que l’on trouve en Europe.
• Ceux qui vont diriger le parti bolchévique dans les
années 30 sont aussi pour la plupart d’anciens
« pouilleux », pour qui la violence est banale et la vie
humaine sans grande importance. Ce sont eux qui vont
piloter les purges de ces années et mener ce que l’on
nomme la « Grande terreur ».