La religion - Département d`histoire

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1) L’idéologie, la ritualisation;
2) le symbolisme de l’imaginaire;
3) l’État et ses jetons symboliques
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Guy Lanoue, Université de Montréal, 2011-2013
Comment un phénomène peut-il être universel, et pourtant avoir tellement de
manifestations particulières qu’on risque de ne plus être capable de faire de
comparaisons? Est-ce un problème de notre épistémologie héritée du romantisme
allemand, qui a tendance à fusionner de phénomènes autrement indépendants?
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Guy Lanoue, Université de Montréal, 2011
http://www.1st-art-gallery.com/thumbnail/107387
/1/An-Execution-In-Rome-For-Murder,-1820.jpg
À gauche, les États
pontificaux au 19e
siècle prétendent
que les condamnés
fassent une
déclaration
«spontanée» de
culpabilité avant
l’exécution. Même
la base théologique
d’une grande
religion n’est pas
imperméable à la
politique et à
l’idéologie.
Les quatre dimensions standards du geste religieux:
• Mysticisme – tentative de s'unir à
Dieu
• chamanisme – des pratiques de
transe et de divination qui cherchent
à voir ce qui n'est pas normalement
visible dans le monde existentiel
(p.e., la source et la cause de
maladies)
• sorcellerie – tentative d'utiliser les
forces surnaturelles pour influencer
les évènements et les personnes,
généralement à distance
• possession – condition d'être
possédé par un ou plusieurs esprits
ou dieux.
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L’emplacement de l’humain vis-à-vis
Où est le pouvoir?
l’imaginaire établit de diverses
+ Imaginaire
distances et diverses directions de
- Individu
déplacement:
1: on se dirige vers le monde des
esprits (mysticisme)
2: immobile, mais le monde des
esprits vient vers nous
(possession)
3: immobile, mais on voit audelà de notre portée habituelle
(chamanisme)
4: immobile, mais on projet notre
capacité d’agir à distance
(sorcellerie)
L’activité et la pensée religieuse,
quoique soit sa manifestation a donc
comme but identifier et de franchir
les frontières de l’imaginaire.
+ Individu
- Imaginaire
Parenthèse: pourquoi le ciel est-il homme et la terre est-elle femme?
Selon leur vocabulaire reconstruit, les Indo-européens de l’Asie centrale qui ont peuplé l’Europe 2-3,000 ans
a.J.-C. étaient de grands éleveurs de bétail et de chevaux (voir J.P. Mallory, In Search of the Indo-Europeans,
1989). Un régime économique pastoral a généralement besoin de beaucoup de territoire pour les cheptels. Il
est donc fort probable que les proto-Indoeuropéens avaient de problèmes à établir ou à contrôler leurs
frontières, ce qui souvent mène à la militarisation de la société. Il n’est pas impossible que ceci ait encouragé,
selon Georges Dumézil (Mythe et épopée, 3 vols., 1968-1973), l’émergence d’une conception tripartite de
l’univers et de la mythologie: a) le sacré, lié au désir de l’ordre dans un univers potentiellement instable,
symbolisé par d’archidieux masculins tels que Zeus, Jupiter ou Yahweh, dont le point de vue surélevé dans les
cieux les permet de voir des tentatives de pénétrer les frontières lointaines et indéfendables; b) le guerrier, qui
défend le peuple sur la dimension terrestre; c) les travailleurs (fermiers, éleveurs), qui incarnent la fertilité et
la reproduction. À souligner qu’un problème essentiellement «horizontal» et sans solution parfaite, la défense
du territoire et des frontières, est projeté, dans l’imaginaire, sur une dimension «verticale»: le ciel du sacré, le
monde terrestre des hommes, et la terre symbole de la fertilité et donc féminine. Conceptualiser le problème
ainsi permet de préciser de solutions idéalisées: p.e., un dieu omnipuissant et surtout omniprésent (voir, p.e.,
les aventures multiples de Zeus) qui protège la communauté.
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L’Arbre Monde (arbor
mundi) est une conception
ancienne de l’univers sous
forme d’arbre (un chêne ou
un frêne; voir le PPT La
civilisation romaine) qui
survit dans quelques
mythologies indoeuropéennes. Voir E.
Meletinsky, The Poetics of
Myth, 1998.
Dans ces mythologies, les
aigles (qui volent très haut et
voient très loin), des abeilles
(qui ruchent dans le creux des
arbres), et même les écureuils
(qui courent sur les troncs)
sont considérés comme
sacrés, car ils font le lien
entre le haut souvent
masculin et sacré, et le bas
féminin et profane.
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Les Thriae (ou Melissae)
sont des prêtressesprophétesses liées à Apollon
et aux abeilles (dont le
nom); meli, le miel, est aussi
la manne du frêne.
Représentation visuelle de l’Arbre
cosmique scandinave : notez la
structure, où la plus grande
couverture est en-haut (dieux,
déesses, qui voient tout).
Les panthéons grecs et romains
étaient peuplés de déesses très
puissantes, capables d’agir seule, de
façon indépendante; le monde
terrestre est masculin (le tronc =
symbole du lignage patrilinéaire),
mais les racines « féminines » (et la
base biologique) sont cachées.
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La parenté tsimshian
Résidence patrilocal (avec le frère de la mère)
Mariage matrilatéral (avec la cousine croisée)
Filiation matrilinéaire (avec politique patriarcale)
1) L’équation hauteur = masculin = puissance n’est pas universel, même si elle est répandue parmi les peuples indoeuropéens. La masculinisation de la hauteur n’est pas directement liée à un «complexe» patriarcal.
2) Un régime patriarcal/patrilinéaire est une tentative de créer un modèle de l’univers rangé, avec un Eux et Nous
clairement délimité sur le plan topographique, c.-à-d., «horizontale». La référence à ce modèle est une frontière, la
séparation. Le degré de masculinisation du complexe indique le degré de «pénétrabilité» souhaitée.
3) Par contre, le ciel puissant et masculin projette symboliquement la volonté de l’ordre et de la protection du statuquo
quand les frontières ne sont pas surveillées ou sont continuellement menacées. Un dieu masculin «en-haut» met
l’accent sur le Nous qui tente de «voir», symboliquement, au cœur des intentions ennemies. Les cieux et leurs dieux
masculins deviennent de métaphores «verticales» pour l’hiérarchie politico-sociale puissante.
4) Quand il existe de solutions intermédiaires (p.e., occupation intermittente; potlatch ou rituel équivalent) pour aviser
les voisins que le groupe est néanmoins vigilant même si les frontières ne sont pas totalement sécurisées (p.e., les
Sekani, les peuples de la Côte Ouest du Canada, les anciens peuples scandinaves, les Yanomami), les personnes
peuvent adopter le chamanisme comme compromis, où le chaman humain a la capacité de voir loin, mais uniquement
en brisant avec la quotidienneté (ingérer de psychotropes, s’hypnotiser au son de tambours, fixer des miroirs où se
«voit» une autre dimension, comme Alice au pays des Merveilles; voir E. Meletinsky, The Poetics of Myth, New York,
http://farm1.static.
1998).
flickr.com/31/6582382
5) Au 19e siècle, plusieurs théories proposent que la fertilité
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féminine dominât la pensée de tribus agricoles. Par contre, les
nomades étaient censés avoir de dieux célestes masculins
voués à combattre leurs ennemis; ceci est une projection de la
gouvernance militarisée des victoriens et ignore que toutes les
civilisations dépendent de la fertilité de la terre, mais que
seulement une petite minorité de ces régimes placent la terre
féminine au premier rang dans le panthéon (voir J.G. Frazer,
The Golden Bough, 1890, qui propose que sacrifier le roi soit Le Rameau d’or se réfère à une cérémonie qui se tenait près
une forme d’union avec la terre, qui, au printemps, renouvèle de Ariccia, une petite communauté 30km au sud de Rome, où
la nature). Bref, ce n’est pas la présence ou l’absence d’une un vieux roi-prêtre romain incarnait les faiblesses et les
malheurs de la communauté, pour être tué par son
hiérarchie politique, mais son efficacité à régler les problèmes successeur; ceci est la base de la théorie de Fraser sur la mort
d’accès aux ressources qui pousse les personnes à développer et la résurrection des rois-dieux qui renouvèlent la fertilité de
de mythologies qui implicitement favorisent la hauteur.
la Terre.
Pas toutes les sociétés possèdent
l'ensemble de ces 4 dimensions. P.e.,
le chamanisme et le mysticisme
semblent inconnus parmi les
Aborigènes d'Australie. Parmi les
centaines de groupes du continent, la
majorité semble croire en la
sorcellerie et dans une mythologie
complexe de la création (Dreamtime,
le «Temps de rêve», une dimension
parallèle et primordiale où existent
les matrices éternelles qui forment les
objets de notre dimension) qui établit
des liens très précis entre les groupes
en les catégorisant selon une logique
projetée sur cette dimension. Les
liens sont donc «éternels», comme
l’est cette dimension. Il n’est pas
surprenant que tous ces groupes
s’organisent et se représentent selon
une logique linéaire et clanique.
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D’autres peuples s’adaptent très bien à
l’activité missionnaire des grandes
églises «occidentales», pour créer une
vision syncrétique, soit en modifiant
leurs croyances autochtones, soit
cachant (mais pratiquant toujours) leur
propre tradition. D’autres encore, p.e.,
le catholicisme, ne tolèrent pas
(officiellement) de manifestations
religieuses concurrentielles ou
alternatives, telles que le chamanisme.
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http://www.religiouslyremapped.info/map17/images/small-image.jpg
Plusieurs de ces religions syncrétiques se trouvent en
Afrique, naturellement, étant donné la présence
intense de missionnaires (incluant les musulmans).
Ces religions ont ajouté une autre couche de
symboles et pratiques quand divers peuples africains
furent asservis et transportés au Brésil – le santeria,
le candomblé, la macumba, p.e., ont des éléments
africains et indiens, comme le vaudou haïtien
fusionne des croyances catholiques, africaines et
caraïbéennes.
Peut-être l’exemple mieux connu et étudié d’un
mouvement religieux est représenté par les cultes
de cargaison de la Papouasie Nouvelle-Guinée. Les
peuples du littoral de l’ile étaient souvent asservis
pour travailler dans les plantations fondées par les
Européens. Cette différence en statut et surtout de
pouvoir les a poussés à rechercher le «secret» du
pouvoir des blancs, qu’ils ont interprété dans la clé
de richesse mercantile (n’oublions pas que
plusieurs groupes possédaient déjà le complexe du
Big Man, où le statut dépend de la richesse
matérielle de l’homme). Souvent, ils se sont
inspirés des missionnaires et ont développé des
narrations «bibliques», et ils ont également tenté
d’imiter la culture visible des blancs – le port
d’uniformes et marcher au pas (les soldats), le
discours solennel (les missionnaires), la
construction de simulacres de biens et de
marchandises européennes (la cargaison des
marchands, justement).
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Un avion de paille; marcher au pas
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_42583925_marchers_300.jpg
Voir Kenelm Burridge, Mambu, Londres, 1960, et
New Heaven, New Earth: A Study of Millenarian Activities, Oxford, 1969; Peter Worsley, The
Trumpet Shall Sound, Londres, 1957
Les Sekani vivent dans un rapport
avec l’invisible qui est dominé par
une forme de possession, où
l'esprit de l'animal s'approche,
mais ne saisit pas le contrôle
complet de l'individu (mais il
peut, menant à des conséquences
néfastes). Il n’est pas surprenant
qu’ils affichent et valorisent
l’individualisme dans leur
organisation sociale.
Wechuge, le Windigo athapascan, un monstre
cannibale qui représente un excès
d’individualité: «manger» les personnes
d’autrui est une métaphore puissante pour nier
l’existence des autres; le Moi devient un hyperMoi. Cette «maladie» se déclenche quand les
personnes sont trop isolées l’une de l’autre.
L’isolation extrême mène à l’individualisme,
qui menace la solidarité du groupe; voir D.H.
Turner, Dialectics in Tradition: Myth and
Social Structure in Two Hunter-Gatherer
Societies, Londres, 1978.
http://www.welcomebc.ca/local/wbc/images/content/map_nechako.gif
http://www.codoh.com/graphics/parabwgor.gif
La scapulomancie pratiquée par les Innu de la Rive-Nord du St-Laurent, où les
personnes tentent d'interpréter la craquelure lors qu'un os de l'épaule est brulé.
L'interprétation n'est jamais individuelle, mais se fait en groupe, et donc on
partage la responsabilité pour diriger le groupe de chasse vers le troupeau de
caribou dont ils dépendent (à différence de la chasse à l'orignal, le caribou se
déplace en troupeau, et il est plus difficile à trouver dans les grandes forêts du
nord). L’individualité est donc protégée par le partage de responsabilité.
http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/4/43/Haruspex.png
Omoplate (gauche) et dessin étrusque d’un foie de mouton,
indiquant les parties et leur signification. Il était utilisé pour
éduquer les apprentis.
http://wpcontent.answers.com/wikipedia/
commons/thumb/c/c9/Orakelknochen.JPG/200px-Orakelknochen.JPG
Cette pratique est certainement liée à la divination effectuée par la lecture des autres parties du corps (p.e., le foie,
organe privilégié par les haruspex romains). Lire le corps (animal et humain) et ses composants (fluides, restes,
organes) pour connaitre le futur est une pratique tellement répandue qu’on peut dire qu’elle est un trait primordial
de la pensée mythique. La partie de l’organe est signe de l’organe, qui est signe du corps, qui est métaphore de la
communauté: des chaines syntagmatiques (métonymiques) qui agissent de synecdoque.
Le Hamatsa est un rituel kwakiutl (kwakwaka’wakw)
dont les composants dramatiques font surtout
référence au cannibalisme, qui est parfois mis en
scène par les danseurs (avec le corps dépilé d’un ours
comme «victime»). Il est surtout pratiqué l’hiver, lors
que les Kwakiutl sont ensemble dans le village – le
moment de maximum faiblesse politique. Il n’est
donc pas surprenant que le cannibalisme
(l’incorporation symbolique des autres pour former
un super-Moi) devienne le leitmotiv dominant du
rituel.
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okedBeakHamatsaMaskKevinCranmerMay08.jpg
http://www.old-picture.com/indians/pictures/Hamatsa-Dancer.jpg
Le rêve
Gilgamesh et Enkidu tuent le
monstre Humbaba; Gilgamesh a
rêvé qu’il affrontera le gardien de
la Forêt de Cèdres, qui était quasi
imbattable; Enkidu a interprété
ses rêves en clef positive pour
l’encourager. Palais du Roi
Kapara, à ell Halaf, Syrie. 10e 9e siècles a.J.-C.
Il est possible à induire des rêves pour voir ailleurs, au-delà des
limites physiologiques normales, ou pour voir le futur: c’est le rêve
chamanique (prémonitoire). Les Dènè (Athapaskans
septentrionaux), par exemple, rêvent la direction où se trouvera le
gibier (ils dorment en orientant la tête dans la direction où ils
espèrent trouver les animaux). L’incertitude et le menace à la
survie sont des choses courantes, étant donné la superficie de 2030k km2 des territoires de chasse typiques pour un groupe de 200300. Des rêves chamaniques sont également répandus parmi les
sociétés agricoles (ou celles qui dépendent de ressources
concentrées dans l’espace; p.e., la Côte Ouest). L’agriculture
agglomère les personnes et laisse vide les zones périphériques,
augmentant ainsi la crainte de l’Autre. Les marges deviennent une
zone inconnue « sauvage » où, souvent, vivent les monstres de
l’imaginaire. Voir
http://www.mapageweb.umontreal.ca/lanoueg/LANOUE/website/l
econs/Le%20rêve%20de%20Gilgamesh.pdf pour un exemple
renommé, l’Épopée de Gilgamesh (de Sumer; peut-être le premier
texte littéraire de l’histoire).
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Les Klamath de la Californie septentrionale et
de l’Oregon méridional (mais qui
appartiennent au regroupement culturel du
Plateau) croient dans le voyage chamanique
vers le Pays des Morts, où tout (incluant la
dimension temporelle) est renversé, et donc
ils peuvent prendre des nouvelles du futur. Il
s’agit de croyances «orphiques».
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Orphée, un argonaute et compagnon de Jason, dévasté
par la mort de son épouse Eurydice, est accordé la
permission de Hadès gardien de l’Enfer d’aller trouver
sa femme. Il ne réussit pas, et à la fin est tué par des
femmes qui seraient, selon la légende, envieuses de ses
talents musicaux et du fait qu’il reste fidèle à la
mémoire d’Eurydice.
Le mort d’Orphée, 1494; eau-forte; Kunsthalle,
Hambourg
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Normalement, les singeries d'un chaman ne sont pas considérées un rituel parce qu'elles ne sont
pas collectives, mais individuels. Cependant, le chaman répète ses gestes et crée son petit univers.
Ces contorsions définissent un espace rituel parce qu'on sait que c'est le chaman, et uniquement
lui, qui peut agir selon ce modèle. Le chaman doit se divorcer des conditions normales pour voir
loin, quand il n’y a pas de moyen (arbre cosmique, dieux célestes) de grimper plus haut pour
étendre la vision au-delà des frontières. Si certains éléments de la vie politique normale risquent
de devenir trop chaotiques (car la normalité est menacée par l’ennemi-étranger dont on ignore les
intentions), le chaman en contraste adopte temporairement un régime hyperrigide: écouter les
battements de tambour; fixer un miroir qui dédouble la réalité (un tamtam visuel); parfois ingérer
de psychotropes. En général, c’est un renversement: le chaman passe de l’hypernormal au chaos
comportemental, et la vie (ou parfois, le patient) passe du chaos à l’ordre.
http://www.shamanism.ws/files/masked_healing_shaman.jpg
http://www.northernshamanism.org/images/shaman4.gif
Chaman saami (Finlande)
Chaman sitka (Alaska)
Claude Lévi-Strauss a suggéré
(«L’efficacité symbolique»,
Anthropologie structurale, 1958) que
les gestes et les «singeries» du
chaman peuvent être analysés
comme des tentatives d’établir un
pont entre un malade et la
communauté. Pourquoi le chaman?
Parce que, dans une communauté
surtout homogène, caractérisée par
une culture qui favorise la solidarité
mécanique où les traits publics du
Soi se ressemblent (à différence de la
solidarité organique, où ils se
chevauchent), la maladie extrême
aliène le patient au point qu’il ne
partage plus de points de repère pour
exprimer ses conditions
existentielles. Le chaman montre au
patient qu’il n’est pas seul. Parfois,
cela suffit pour guérir.
http://4.bp.blogspot.com/_4skqFpB4HMM/SvFUoP6o_LI/AAAAAAA
AMVg/tCoeU7ct8N8/s400/Claude+L%C3%A9vi-Strauss+ou+l%27%C
3%A9claireur+de+nos+mythes.jpg
Claude Lévi-Strauss en Amazonie, 1938
http://www.mysticfamiliar.com/library/empathy/images/emp.jpg
Détail, La création de l’homme, Chapelle Sixtine, Rome
Possession en Inde – typique de
peuples tribaux; il ne fait pas partie
de l'Hindouisme comme tel. Le
possédé n'est pas conscient ni
responsable de ses actions pendant
qu'il est en transe.
Peut être la dimension la plus
intéressante de ces pratiques et
croyances et que les Occidentaux les
classent comme faisant partie de la
religion «tribale», car on ne peut
facilement comprendre cet
empressement de renoncer à la
rationalité qui définit, pour les
Occidentaux, la dynamique
fondamentale du Moi.
http://www.ghoststudy.com/images/zzz0040.jpg
Les grandes religions – Catholicisme,
Bouddhisme, etc. – renoncent à la sorcellerie
ou au chamanisme, mais proposent une vision
mystique, et, dans certains cas, la possession
semble possible pour les catholiques (les
saints). Elles sont «grandes» parce qu’elles
sont liées à la présence des formations
étatiques.
http://www.firstscience.com/home/images/
stories/articles/physics-and-mysticism-vF.jpg
L’individualité et la dimension religieuse
Toutes les religions, donc, permettent à l’individu d’agir seul et d’agir comme membre d’une
communauté. La religion peut être vue comme une instance spéciale d'un phénomène plus répandu et
non spécifiquement religieux dans le sens traditionnel, c.-à-d., la religion ne serait pas uniquement
une tentative de formuler des réponses abstraites et métaphysiques (donc, non falsifiables, dans le
sens du philosophe Karl Popper) aux mystères sans solutions (p.e., la mort, les forces naturelles qui
apparaissent surnaturelles quand il n'y a pas de connaissance scientifique, etc.). La religion serait
plutôt une tentative d'augmenter le pouvoir individuel vis-à-vis de la communauté, une tentative de
renforcer l’individualité sans nier l’identité sociale de la personne, d’affirmer que l’individu est tout
de même un membre d'une communauté. Adhérer à une religion est comme adhérer à une
communauté imaginée – la qualité abstraite des croyances (qui doivent être affirmées uniquement en
public lors de certaines occasions) permet à l’individu de conserver intact le noyau intime de son
individualité, mais d’agir en respectant les conventions formelles de la socialité.
Bal de finissants, Montréal (Laval)
http://journal.cureantoinelabelle.com/images/bal/bal2007.jpg
Bal de finissants, Grande-Bretagne
http://www.derby.ac.uk/images/img3d979ae3cc4c94b93dbff84bb0033603.jpg
Rendre les gestes conformes à un
modèle crée et définit le temps
spécial; les gestes conformes peuvent
donc avoir des significations
« anormales » assez différentes des
significations qui entourent et
encadrent la vie quotidienne. En dépit
des interprétations formelles fournies
par l’idéologie, le bris entre le vécu et
l’imaginaire permet aux individus
d’interpréter les symboles comme ils
veulent. C’est cet aspect intensément
intime et même solitaire de
l’expérience religieuse qui agit sur
l’individualité.
Le rituel de St-Jean, cathédrale de Lyon
http://www.france-secret.com/lyon02_rituel.jpg
Ritualiser l’agir dans un espace imaginaire
Le rituel est donc fondamental pour comprendre la religion, parce
que toute religion suggère l'existence de l'espace rituel comme un
espace social où existe un temps spécial et hors-norme. Cet espace
rituel est spécial, car les signes ne sont plus attachés aux éléments
du quotidien, mais à d’autres composants de l’espace rituel. Le
rituel est donc une zone de créativité, mais les résultats ne
menacent pas les lignes de force déjà en équilibre, car ils peuvent
rester attachés à l’imaginaire – ils font partie de la dimension
métaphysique de la religion.
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Bain rituel au Népal
http://avenuedstereo.com/renaissance/bru_lent.jpg
P. Bruegel, La Lutte entre
Carnaval et Carême, 1559
http://www.chicagonow.com/blogs/garrard-mccl
endon-live/carnival444%20jose%20miguel%20gomez%20reuater.jpg
Carnaval à Rio
http://cache2.asset-cache.net/xc/56945026.jpg?v=1&
c=IWSAsset&k=2&d=17A4AD9FDB9CF19390335F
8FA9CA92A6105D0343143CD09D0B6AE4F903F69820
Carnaval à Ivrea (Italie)
http://www.flightsafrica.co.uk/blog_images/London_carnival.jpg
Carnaval à Londres
Les parades publiques liées au Carnaval sont des
expressions du degré de solidarité de la
communauté; les composants du défilé sont parfois
arrangés pour créer une représentation renversée du
vécu quotidien.
Défile à Viareggio
http://cache1.asset-cache.net/xc/52151974.jpg?
v=1&c=IWSAsset&k=2&d=17A4AD9FDB9CF
19390335F8FA9CA92A64E6DAD43607F129B
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Le tarentisme aux Pouilles, selon Ernesto De Martino (La terra del rimorso, 1961; La terre du
remords, 1999), est une métaphore puissante pour la misère économique et surtout psychique des
pauvres du sud de l’Italie et, notamment, des femmes dans cette société plutôt patriarcale. Censée être
mordues par une araignée tarentule, les femmes se donnent à de gestes forts et déchainés qui
semblent inconsciemment incarner la sexualité qu’elles ne peuvent assumer ouvertement. Taranto est
une ville portuaire fondée par les Grecs, qui l’avaient baptisé Taras, nom d’un fils de Poséidon,
maitre de la mer. Le nom de la ville est à l’origine du nom de la maladie, car la condition est
émergée dans la zone limitrophe au 16e siècle, mais il y a de suggestions que des manifestations
semblables existaient ailleurs en Europe dès le 11e siècle. Le phénomène est certainement lié au
contrôle de la sexualité des femmes (la grande majorité des victimes sont de jeunes femmes nubiles,
et il se manifeste surtout en été, avant la récolte), pour conserver intacts les réseaux d’entre-aide.
http://www.big-italy-map.co.uk/maps/map-of-puglia-map.gif
http://agoras.typepad.fr/.a/6a00d8341ce44553ef0105361cdf3f970c-pi
http://www.youtube.com/watch?v=f3RaIpFxw8I&feature=related
Ce n’est pas surprenant que les
gestes frénétiques des femmes
soient «domptés» par les rythmes
réguliers et ritualisés de la musique.
Il existe des musiciens spécialistes
du genre (des hommes,
naturellement).
Les rapports de plaisanterie
Les rapports de plaisanterie sont basés sur l’obligation formelle de limiter l’interaction avec
un autre à des (surprise!) plaisanteries. Ceci peut inclure l’obligation d’insulter l’autre.
Parfois, ceci n’est pas réciproque et équilibré, et la personne cible de blagues ou d’insultes
doit se taire (on dit un rapport asymétrique). Ils sont la contrepartie des rapports d’évasion
(avoidance relationships, en anglais), où les personnes ne peuvent se parler ou interagir (les
deux peuvent se manifester dans la même société).
Originalement identifié par A.R.
Radcliffe-Brown, qui avait suggéré que la
structure sociale consiste de pratiques
dont le but est d’appuyer d’autres
dimensions de la structure. Le rapport de
plaisanterie, donc, est une tentative de
conserver intacte les rapports en les
entourant de formalisme et de silence,
surtout dans le cas où tels rapports sont
retenus primordiaux pour conserver et
appuyer la structure.
Les rapports de plaisanterie sont une forme de soupape
de sécurité qui canalise le vécu vers la formalité et le
rituel.
http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/
c/c6/Ignorance_is_bliss_-_shortbread_cookie_with_a_smile.jpg
Typiquement, ces rapports se développent
entre un homme et son oncle paternel dans un
système matrilinéaire, ou entre un homme et
son oncle maternel dans un système
patrilinéaire (pour limiter la contamination du
pouvoir clanique quand deux clans sont liés
par le mariage); entre un petit-fils et son
grand-père parmi les Aborigènes australiens
(pour réduire au silence le grand-père, dont
l’expérience de vie contredit la fiction
politique que les matrices éternelles du
Dreamtime soient plus importantes des
contingences du vécu); entre un homme et une
femme dans une entreprise occidentale; à un
carnaval ou saturnale (une forme de débauche
ritualisée) où les rapports normaux sont
renversés.
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RatI/AAAAAAAAAX8/se64xClvFtU/s1600/19156505.thb.jpg
Répondre à l’inconnu: science ou religion
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.com/2009/11/world-religion.jpg
Un chasseur ne sait pas où se trouve le gibier; s’il ne le trouve
pas, il meurt. Un cultivateur prie pour la pluie; s’il y a une
sècheresse, il meurt. Un ouvrier ne sait pas d’une année à
l’autre si les patrons décident qu’il est plus économique
d’utiliser des usines en Corée du Sud. Toutes ces instances de
l’inconnu représentent le chaos, de l’inconnu et de tensions
insurmontables pour la communauté. Pour dompter le chaos, les
personnes
proposent de systèmes cohérents
de signification.
Il y a deux possibilités:
la science réduit
l’inconnu à ses plus
petits composants et
analyse les rapports
systématiques entre
eux pour reconstruire
un modèle de
l’ensemble.
Autrement dit, la science répond au désordre avec une structure basée sur
la logique. La religion, par contre, offre une solution inverse: face au chaos,
elle propose une version du désordre créée par l’homme, où il est donc
possible à intervenir. Des forces primordiales, des esprits malins, des
monstres cannibales, des dieux capricieux; un Dieu (chrétien) vengeur et
hautain: l’imaginaire religieux est loin d’être idyllique. Mais à différence
du chaos terrestre, il est possible d’y intervenir, par de cadeaux et de
sacrifices, par l’offre de la loyauté, par de rituels qui rendent hommage à
ses résidents et qui reconnaissent leur puissance. Le chaos terrestre est
http://www.conservapedia.com/images/
substitué par des menaces qui peuvent être contrôlées, domptées ou évitées.
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Le chaos transformé en cosmos
Cet espace religieux, un champ miné de pièges et de
menaces, est néanmoins logique. À sa façon, donc, il
incarne la perfection, la mytho-logique lévi-straussienne.
Du chaos humanisé émerge une manifestation de la
perfection représentée par les enchainements parfaitement
logiques du système (qui en principe le permet
d’expliquer tous les phénomènes de l’univers) ou par les
pouvoirs surhumains extraordinaires des esprits et des
dieux. La religion insère le chaos dans une structure.
httpwww.apodimos.comarthra06DecGREEK_MYTHOLOGY_
THE_PRINCIPAL_GODSindex_filesimage002.gif
La généalogie du Chaos, source de la terre et de
l’imaginaire. La première génération des dieux est
simultanément des entités, des lieux, et de forces
primordiales qui animent l’univers
Un cosmos « parfait »
http://www.aip.org/history/cosmology
/ideas/images-ideas/greek-evanscover.jpg
En fait, c’est cette combinaison paradoxale de contenu «dangereux» dompté par une structure «cosmique»
(«ordonnée», dans le sens grec) qui explique pourquoi la religion est quasi universellement jumelée à l’art,
soit par le sujet artistique, soit par une esthétique particulière. Comme domaine, l’art incarne l’harmonie,
car ses composants (formes, couleurs, sujets) sont liés l’un à l’autre selon un ensemble de règles dont il est
possible à préciser la logique. Par contre, en traçant les lignes de la perfection, cette logique lance une
invitation tacite à l’imagination de dépasser la structure du possible, en explorant des possibilités de
l’imaginaire qui ne sont pas normalement réalisées. L’art et la religion donc forme une couple
complémentaire: la religion propose fusionner un contenu «menaçant» à un sous-texte «parfait», et l’art
marie la «perfection» de sa composition à la possibilité d’aller au-delà les limites du possible: d’abandonner
la perfection et d’explorer le transgressif.
À gauche, un mandala
contemporain
(«cercle» en sanskrit):
la forme parfaite
http://www.brooklynmuseum.org/openco
llection/images/objects/size3/44.195.24_SL1.jpg
http://www.spiritandflesh.com/JannahBro
wn-mandala-religious-art-pinklotus.jpg
À droite, l’art religieux
populaire mexicain, 19e siècle:
le sujet «dangereux»
(la crucifixion, le «cannibalisme») mais
«structuré».