les visages - Département d`histoire

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Transcript les visages - Département d`histoire

Le sourire et les émotions dans la culture pop
http://www.dailypictures.info/free-pictures/8147/cheshire-cat-1-jpg
Guy Lanoue, Université de Montréal,
2012-2014
Le chat de Chesire, Alice au pays des merveilles
La culture pop fonctionne sur la base du recyclage; pour recycler, les composants sont simplifiés pour
être recombinés. (La simplification est une instance de ritualisation – définir une frontière autour
d’un espace, dans ce cas, sémiotique; les composants sont vidés d’une partie de leur signification
« normale » pour former de chaines métonymiques). Il semble donc fort probable que ceci puisse
expliquer, en partie, le réseautage frénétique de jeunes adeptes de cette culture, dont le contenu de
blogues, de twits, de friending sur Facebook, font appel à une gamme d’émotions simplifiées pour
alimenter cette dynamique. De plus, le déracinement historique et géographique qui accompagne
l’émergence de cette culture a tendance à isoler les personnes, les obligeant d’augmenter les
manifestations de l’individualité, surtout le niveau émotif. Elles aboutissent en privilégiant les
émotions primordiales comme véhicule où se (re)constitue le social fragilisé par le néolibéralisme
(voir Tim Jensen, « On the Emotional Terrain of Neoliberalism », The Journal of Aesthetics and
Protest, http://www.joaap.org/issue8/jensen.htm, 10-02-12).
Ironiquement, cette photo de la
Mordine & Company Dance Theatre,
Chicago (http://www.mordine.org/) de
leur production Lifespeak (avril 2011)
est censée incarner la narrativité, et
donc la communication intime.
Pourtant, aucune danseuse n’est
positionnée pour communiquer avec les
autres.
http://gapersblock.com/ac/Mordine%20%26%20Co%20ft.%2
0Atalee%20Judy,%20Adriana%20Marical,%20Mindy%20M
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William%20Frederking.jpg
Le problème de la manifestation des émotions n’est pas simple. Jadis, certains chercheurs avaient
tendance à se référer à deux dimensions de l’individu, un « vrai » Moi inviolable orienté aux
conditions psychiques et émotives, et un Soi « façade », où les institutions et pratiques laissent leurs
traces sur la présentation du Soi: bref un individu « psychologue » et un individu « sociologue ». Par
contre, s’inspirant d’Elias et de Michel Foucault (la normalisation/somatisation du pouvoir se
transforme en autogouvernance), plusieurs sont désormais convaincus qu’on ne peut scinder
l’individualité (p.e., la position du philosophe américain George Herbert Mead [Mind, Self and
Society, Chicago, 1947], pour qui le Moi se développe en fonction de ses interactions avec l’Autre;
le psychologue Alfred Adler s’opposait à l’orthodoxie freudienne et était prêt à accepter que le Soi
social domine le Moi intime). La vraie question n’est pas le degré d’adaptation du Moi à l’Autre,
mais la façon dont l’interpénétration du Moi et du Soi définit l’individualité. L’intime est peut-être
« l’armure » du Moi, mais plus résiste l’individu, plus est-il sensible à l’importance de l’Autre.
Autrement dit, plus la ritualisation du rapport à l’Autre (la politesse, censée isoler et protéger le
Moi) est-elle rigide, plus grand est le contrôle du Soi. La politesse devient le véhicule par lequel le
social laisse ses traces sur le Moi.
Un Moi en otage à l’Autre; selon la vision dualiste,
derrière la soumission, les instincts restent intacts et
ne sont pas modifiés par cette situation temporaire.
Mais si on répète l’expérience plusieurs fois,
qu’arrive-t-il aux instincts (ou « l’être ») censés êtres
« primordiaux » ou à la base du Soi? Pour
« instincts » on peut substituer l’être.
Le sociologue allemand Norbert Elias a suggéré (Sur le processus de civilisation, 1939)
que la socialisation et l’individualisation ne sont pas de processus opposés, comme le
prétend l’idéologie un peu partout en Occident. Nous ne sommes ni robots hyperconformes
aux règles de la vie sociale, ni des iconoclastes. Il a tenté de démontrer l’interdépendance
de l’individu et des réseaux en examinant la persistance centenaire d’un ensemble culturel
fortement impliqué dans la présentation du Soi. Partant de règles de courtoisie (les rituels
de politesse) de la cour européenne médiévale, à fur et à mesure que les réseaux du pouvoir
sont devenus plus complexes et plus étendus avec la centralisation croissante du pouvoir,
les courtiers ont développé une notion de réserve corporelle, de contrôler l’expression des
émotions, surtout celles liées à la honte. Ceci a été repris par les bourgeois désireux
d’établir un gradin dans la hiérarchie sociale.
http://www.voloshinenterprises
.com/wp-content/uploads/etiquette.jpg
http://www.jaunted.com/files/admin/polite.jpg
Puisque, pour quelques siècles dans la plupart des régions de l’Occident, la cour
était au centre de la vie politique et incarnait l’oscillation entre le pouvoir
central et l’agir individuel. Cet «habitus du Soi» (pour adapté un concept de
Pierre Bourdieu) que Freud avait identifié avec le surmoi ou superégo (une
forme de conscience sociale) s’est concrétisé pour toujours comme la forme
dominante de la présentation du Soi: les formes de violence, du comportement
sexuel, des fonctions corporelles, de bonnes manières à la table, et des formes
«correctes» de parler. Ceci devient la base de la politesse, du bon déportement,
et de la somatisation du pouvoir.
Oui
Non
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1pjEAhbI/AAAAAAAAB40/BPyrWMg2G8g/s400/tparty2.jpg
http://farm4.static.flickr.com/3261/3149423949_f0b744d8f8.jpg?v=0
Parenthèse: Pourquoi soulever le petit doigt en buvant, ou parfois,
quand on signale un geste «huppé»? Il indique la délicatesse, la
nuance, les bonnes manières. Notez les mains de la paysanne (en
bas). Ce n’est pas un hasard si l’artiste les a placées au centre de la
composition. Les paysans travaillent avec leurs mains. En
vieillissant, leurs doigts deviennent courbés, signes corporels de leur
vie dure et de leur statut inférieur. Le petit doigt soulevé est donc
signe que la personne ne travaille pas les champs, qu’elle n’est pas
soumise. C’est un symbole de classe supérieure, urbaine, civilisée,
reconnaissable même pour un
personne moralement corrompue.
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http://www.myreadablefeast.com/wp
-content/uploads/2008/10/j0178744.jpg
Head of a Peasant Woman,
Sir George Clausen, c.1882
Notez qu’on n’est pas obligé de
connaitre l’origine et l’histoire de
ce signe pour l’utiliser. Le geste
est tellement somatisé dans la
culture de l’Occident qu’il peut
être utilisé comme métonymie
ironique du haut statut, même par
des enfants qui jouent en
«imitant» la vie adulte.
http://x7c.xanga.com/665f2722
45332237115906/z187396298.jpg
La puissance de ce symbole est due à la polysémie de la main (typique des
parties du corps). Dans un monde où le pouvoir se base sur la richesse
agricole, c.-à-d., sur la richesse créée avec les mains (surtout celles des
esclaves!), la main devient signe de puissance politique et surtout de la
communauté imaginaire, dont la vie civilisée dépend entièrement de la
capacité de produire un surplus qui sera transféré à la ville. Ce n’est pas un
hasard qu’on se donne la main quand on se rencontre. Cela est signe de
collaboration dans le travail de l’imaginaire, de la volonté de participer
dans la communauté. Dans le mariage morganatique (quand le rang social
de l’époux dépasse tellement le statut de l’épouse que ni elle ni les enfants
ne peuvent transmettre le rang dynastique), le marié tient la main droite de
son épouse avec sa main gauche, pour symboliser l’asymétrie
de leur union. Voir Robert Hertz,
Prééminence de la main droite, 1909
(plus facilement disponible en anglais,
avec la traduction de R. Needham,
Death and the Right Hand, 1960.
Des standards romains,
signes des légions, source
de leur pouvoir impérial.
http://theroadlesstaken.net/
wp-content/uploads/2010/10/handshake.jpg
http://www.vroma.org/images/mcmanus_images/standardrelief2.jpg
Bref, la politesse établit un gradin social assez précis. Plus sont détaillées les
règles, plus fins sont les découpages possibles. Mais, il faut souligner que la
politesse n’est pas seulement une façon d’établir un gradin. Du point de vu d’une
personne défavorisée, les règles, qui à première vu ne semble pas l’avantager car
elles sont déterminées par une élite, sont aussi une forme de protection du Soi.
Tant qu’elle les accepte et tante de les mettre en scène, même imparfaitement, elle
est à l’abri de critique ou d’insulte, car elle a signalé qu’elle accepte le statut quo.
La politesse protège le Soi dans cet espace de l’imaginaire. Elle est également un
préalable à la culture pop: pas dans le sens que cette dernière est en « rébellion »
contre la prétendue hypocrisie de la politesse, mais comme champ rituel partagé et
imposé sur tout le monde: On apprend la simplification et surtout comment lire en
envoyer de messages sous-textuels.
Signe traditionnel de déférence : toucher la touffe , dans ce cas,
symboliquement, en touchant le front. Ceci est lié à un salut
traditionnel, enlever ou lever son chapeau.
La recherche sur la communication non
verbale s’est souvent concentrée sur le
rapport entre certaines expressions
standardisées et de dynamiques
psychoémotives « cachées ». Les émotions
sont considérées primordiales parce que
les anthropologues et sociologues (surtout
nord-américains), avec quelques
exceptions (comme Margaret Mead, avec
Coming of Age in Samoa, 1928), ont
ignoré la somatisation du pouvoir, laissant
le champ libre aux psychologues et aux
linguistes. Les chercheurs américains ont
disputé les modèles anthropologiques qui
proposaient que l’expression des émotions
soit culturellement déterminée en
d’identifiant les racines universelles de la
communication non verbale. Forcément,
ils se sont concentrés sur des expressions
«fortes» et sans équivoques, comme la
haine, le dégout, l’excitation sexuelle.
http://www.drawfurry.com/images/how-expressions01.jpg
La cécité des chercheurs est en partie liée au
rejet du racisme «scientifique» de la fin du 19e
siècle, où idéologues et chercheurs avaient
tenté d’identifier les physionomies
«inférieures» sur le plan racial et de classe. Au
20e siècle, ce projet malheureux continue avec
les Nazis.
http://images.productserve.com/preview/2465/44857214.jpg
Quelques «types» criminels, selon Cesare
Lombroso (le père de la criminologie
«scientifique», actif dans la 2e moitié du 19e
siècle). En fait, il avait renversé la logique
dominante de l’époque, en proposant que
l’activité criminelle émerge d’une physionomie
«criminelle» et pas par leur génétique. Les
personnes étiquetées comme telles, signalées par
leur physionomie, finissent par assumer leur
destin. Cependant, cette apparence n’était pas un
hasard de la génétique, mais censée être la
manifestation d’un caractère primitif et atavique.
Ils étaient de sauvages contemporains, selon cette
vision.
Notez que les expressions ici (et dans la
diapo précédente) sont «fortes» et donc
limitées à des conditions temporaires et
agressives, c.-à-d., que les personnes
représentées sont activement engagées
dans un geste de communication, dont la
manifestation est peut-être involontaire,
mais avec un message conscient. Une
fois le message est-il communiqué, le
visage retourne au repos. Ces émotions
sont peut-être liées à des conditions
primordiales de la psyché, mais ignorent
totalement le symbolisme attaché à la
structure sociale. Les chercheurs ont-ils
ignoré cet aspect parce que les
idéologies occidentales « cachent » cette
dimension de la gouvernance?
Autrement dit, le visage au repos ne l’est
pas: il communique des conditions
sociales somatisées. Deux, il faut
s’interroger à propos des exemples
choisis.
http://www.topnews.in/files/facial-expressions.jpg
Il y a donc de la communication inconsciente, somatisée. Ces expressions « composées » sont
« permanentes », à longue durée, possiblement parce qu’elles ne sont pas liées aux émotions
« primordiales » mais à l’imaginaire du social. Elles peuvent incarner le privilège qui signale un statut
supérieur, au moins dans l’imaginaire. Par contre, ce sont les conditions « culturelles » (et non
génétiques) qui signalent le statut social et qui laisse de traces permanentes sur le visage et sur le
déportement. Autrement dit, les émotions « fortes » ne laissent pas de traces autant que les signes de
l’imaginaire, censé représenter la continuité de la société. Ces traces sont donc plus facilement
somatisées de façon permanente. Ceci les transforme en signes « atemporels » et donc « permanents ».
Ils sont donc tellement bien connus qu’ils émergent, comme le petit doigt soulevé, dans des parodies
sans que les personnes connaissent le signifié du signe. Ici, le nez en l’air, les yeux semi-fermés, les
sourcils élevés signalent le pouvoir et le privilège: non seulement le roi est-il sur son trône (et donc
plus haut de ses sujets), il ne doit pas les accorder le privilège de reconnaitre leur existence: en tant que
roi défenseur du royaume, il est censé voir tout sur le plan horizontal-géographique (p.e., les intentions
des ennemis-voisins), mais est aveugle aux menaces potentielles attachées à l’oppression des gradins
inférieurs de l’échelle sociale « en bas ». La cécité symbolique est une forme de reproduction sociale.
http://images.4chan.org/b/sr
c/1326195508879.jpg
http://1.bp.blogspot.com/_FqFDV-L66EI/Sczcy4a
X0yI/AAAAAAAATos/0VGedaCf3fY/s400/haughty1.jpg
La question de l’«Américain souriant» est complexe: les Américains ont-ils vraiment le
sourire plus facile? Est-ce simplement un stéréotype, parfois invoqué par des Européens
qui veulent se moquer de «l’innocence» américaine? Est-ce possible à mesurer la
fréquence du sourire?
« Spaniards often think that Americans are ignorant fools because they are outgoing and smiling all the time.”
That’s what I was told by an American who has lived in Spain for the last 20+ years. It may seem like a strange
statement but it’s entirely true. It just needs to be explained to be understood. Americans smile all the time when
approaching and talking to strangers or when being introduced to someone for the first time. Smiling and using
body language that appears welcoming with strangers is the normal American default behavior. »
http://thrownpeas.blogspot.com/2010/01/american-optimism-vs-spanish-pessimism.html; 20-09-2010
L’auteur explique que les Espagnols ne sourient peu comparés aux Américains parce qu’ils ont eu un passé
difficile; ils seraient censés cacher leurs émotions.
Oui, c’est vrai
C’est relativement facile de
trouver des images conformes
quand, inconsciemment, on veut
appuyer et confirmer nos
opinions préconçues.
Mais, en revanche ….
http://themoderatevoice.com/wordpress-engine
/files/caglecartoons02/bush_smiling_2004_11_04.jpg
http://scrapetv.com/News/News%20Pages
/Business/images/joseph-stalin-smiling.JPG
http://1.bp.blogspot.com/_MsjPh-5Pr3s/THdQGZrIl existe deux types de sourires sur le plan physiologique: le vII/AAAAAAAADZQ/DwrEc4r2Sx4/s640/smile.jpg
sourire «simple» et le sourire Duchenne (dont le nom dérive
du chercheur français qui l’a identifié au 19e siècle). Ce
dernier est considéré le «vrai» sourire, car les muscles autour
des yeux sont impliqués, et, semble-t-il, il est impossible de
contrôler ces muscles volontairement. On peut sourire
volontairement qu’avec les muscles de la bouche, ce qui nous
permet de distinguer un sourire forcé ou faux d’un «vrai»
sourire (involontaire). Attention! Le «vrai» sourire crée des
rides. Seulement les humains peuvent sourire; les chats, non.
Il s’agit d’un hasard dû à l’angle de la caméra.
Oui
Non
http://images.spoof-media.com/
thespoof/pdi/7807-5526Hillary.jpg
http://www.noelkingsley.com/blog/smile.jpg
En fait, il y a plusieurs hypothèses populaires à propos du «sourire américain», mais
aucune recherche sérieuse sur le sujet, que je le sache. L’opinion majoritaire semble être
que les manifestations des émotions sont universellement reconnues par toutes les
sociétés, mais que l’interprétation culturelle d’une telle manifestation varie d’un peuple à
l’autre.
La question d’interpréter les émotions et leurs
manifestations (dont le sourire, évidemment) a
été réduite à une seule dimension. Ce n’est pas
important de décider ce que signifie le sourire
ontologiquement, comme s’il était un objet
abstrait dont les paramètres peuvent être
précisés comme la définition dictionnaire d’un
mot. Du point de vue ethnologique, le
http://www.collider.com/uploads/imageGallery/Waitress/waitress
_movie_image_cheryl_hines__keri_russell_and_adrienne_shelly.jpg
problème est d’identifier les occasions dans
lesquelles se manifestent le sourire; les
Par exemple, il existe certaines catégories de
travailleurs qui sont obligés de faire un «travail
conditions dans lesquelles il est obligatoire,
émotif», de gérer une technologie des émotions selon
ou, en contraste, facultatif; sa fréquence; et sa
un code professionnel, qui n’est pas nécessairement
signification selon les circonstances. Ces
conforme aux attentes culturelles. Les infirmières, les
dimensions font partie du «travail émotif» du
institutrices, les vendeuses, et surtout les serveuses
sont souvent obligées de sourire au public. Notez que
Soi (expression utilisée par Arlie Hochschild
les femmes sont davantage victimes de cette pratique
dans les années 1980s; The Managed Heart,
que les hommes; on dit, du maternage, mais
1983).
l’équivalent masculin n’existe pas.
Bien entendu, le problème n’est pas une simple opposition entre les émotions «vraies» et les
«fausses». Aujourd’hui, les émotions, selon Hochschild, doivent être gérées selon des critères
totalement nouveaux. Les émotions ont évolué dans un contexte où elles servaient à faire le pont
entre les institutions du pouvoir (le cours) et l’intime, mais ce rapport a été bouleversé par
l’industrialisation et la dépersonnalisation des rapports due à l’aliénation capitaliste. Cependant,
avec la croissance du secteur tertiaire (restauration, ventes, etc.), la dimension intime des rapports
interpersonnels semble de nouveau dominer l’interaction sociale, sauf que l’intimité a été
redéfinie, car a) à la base de cette «intimité» est un rapport commercial, sans lequel «l’intimité»
émotive ne se manifeste.
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http://www.nscblog.com/wp-content/uploads/2010/03/smile.png
b) la mondialisation a déplacé l’«intime» du contexte local à un contexte lointain, où les personnes
doivent apprendre à gérer de nouvelles manifestations d’«intimité» dans un contexte dominé par la
distance sociale qui traditionnellement émerge sous forme de tensions ethniques (p.e., les femmes
philippines qui travaillent au Canada et en Arabie saoudite, les Portugaises en France, les aux-paires
suédoises en Grande-Bretagne, les nanny anglaises aux États-Unis, etc.); c) les individus sont
psychiquement confus, car c’est uniquement dans l’environnement du travail (selon la Hochschild,
pas selon moi; voir les présentations sur le «sémiopouvoir»: mode, maison, design, etc.) où ils
trouvent de l’appui psychique pour les compétences du Soi. Les époux/ses indifférentes, la parenté
lointaine, le manque de temps pour s’engager dans les tâches domestiques traditionnelles sur
lesquelles reposait l’intimité d’antan (p.e., la cuisine) contribuent à aliéner les personnes de l’intimité
familiale. C’est l’inverse du social «industrialisé» typique de l’époque avant la 2 e Guerre mondiale, où
les problèmes psychiques émergeaient du contact avec le monde du travail. Les personnes ressentent
le caractère éphémère et fugace de cette nouvelle intimité et affirment davantage que la famille est
importante: ironiquement, elles créent un champ rhétorique dont les paramètres bien définis ne font
que souligner la stérilité de l’intimité familiale: on dit «famille», on fait «travail».
1930: les tensions
se situent à l’usine
2010: les tensions
émergent autour
de la famille
http://hitchcock.itc.virginia.edu/ViewingAmerica/
roundtables/roundtable7/section2_files/1930sfactory.jpg
http://www.cartoonstock.com/lowres/jmo0425l.jpg
http://2.bp.blogspot.com/_M55axAOjwnw/R1
GaVz13nAI/AAAAAAAAAN8/0mzIA—HHKg
/s1600-R/John-Krasinski-01.jpg
la nouvelle économie
politique du sourire
renforce l’agir limité et la
condition subalterne du
féminin et des femmes.
À cette confusion psychique, on peut ajouter, d) les problèmes qui
émergent autour les hiérarchies sociales normalisés. Le système
mondial souvent oblige les personnes à ignorer les hiérarchies
traditionnelles. Les idéologies et les rhétoriques de classe qui
jadis entouraient le statut sont de moins en moins appuyées : nous
sommes tous «libres», affirmant nos « droits » humains
(déterritorialisés, et donc « garantis » par aucun organisme). Une
des dimensions les plus importantes de cette reconfiguration de
l’appareil culturel qui encadre le statut est celle des rapports
hommes-femmes (voir la présentation Le féminin). Si les
nouvelles technologies du Soi nous poussent vers de formes
inédites du sourire et de l’émotif, et si le sourire, dans le contexte
plus ouvert favorise le maternage dans un contexte où le
«paternage» était censé dominer les espaces publics,
Un homme souriant ne devient ni beau ni
séduisant; en fait, il neutralise son
pouvoir masculin. Cependant, une femme
augmente son pouvoir féminin et sa
beauté en souriant, selon les valeurs
implicites du discours populaire. Le
sourire féminin serait-il une façon de
dépersonnaliser le féminin et donc de
réduire son individualité?
http://www.brooksidedental.com
/blog/wp-content/uploads/2009/02
/jennifer-img_1156-copy1.jpg
Les nouvelles tensions qui entourent la manifestation d’émotions ont
possiblement encouragé les personnes, surtout les jeunes qui doivent
affronter cette situation sans les armes psychiques d’un encadrement
émotif classique, de participer au réseautage social.
Les réseaux sont une
façon non seulement
de partager les
émotions, mais
surtout de normaliser
les conditions censées
les produire.
«Réseauter» est le
nouveau verbe de
l’agir individuel.
C’est le sémiopouvoir
sans référence aux
objets.
http://geekandpoke.typepad.com
/geekandpoke/images/2007/09/26/wgtc1.jpg
http://www.gauravonomics.com/blog/wp
-content/uploads/2007/11/social-networking.jpg
Ce n’est pas uniquement le nouveau social qui décuple le besoin de
présenter un Soi émotif pour se lier facilement à d’autres. Apparemment,
on n’est conditionné de le faire dès un très jeune âge, ce qui suggère que
la nouvelle émotivité est normalisée, car c’est désormais une pratique du
corps incarnée dès la socialisation de l’enfant. Par exemple, les fillettes
de l’émission américaine Toddlers and Tiaras
(http://tlc.howstuffworks.com/tv/toddlers-tiaras) ont le destin signalé dès
la naissance, car elles sont entrainées (par leurs mères) à sourire
continuellement. Elles ont également des noms du monde du spectacle
(Eden, Brittany, Makenzie), qui signalent la dimension médiatique de
leur communauté de référence.
Ce ne sont pas uniquement des émotions « positives » et « maternelles » traditionnellement associées
au féminin qui assument un nouveau rôle pour tracer les paramètres du social où les lignes de force ne
sont souvent pas évidentes. Le simulacre de l’intimité chaleureuse est aussi accompagné par de
nouvelles manifestations de l’agression dans la culture pop, surtout par le timbre de voix, par le registre
communicatif, par le vocabulaire et par le cible. Cette agression est véhiculée par l’ironie obligatoire
qui de la culture pop, dans le sens que le sous-texte ambigu, mais « amusant » qui domine le discours
des espaces publics cache l’agression (et, dans un sens, l’encourage, quand les personnes tentent de
rendre plus intelligible la communication brouillée par l’ironie).
http://www.crazyabouttv.com/I
mages/allinthefamily.jpg
À gauche, la famille Bundy; à
droit, les Bunker.
http://idiotflashback.files.wordpress.com/2
010/02/married-with-children-marriedwith-children-80048_607_768.jpg
Par exemple, les insultes dans la famille Bundy étaient monnaie courante (Married With Children, 1987-97); Al (dont
le nom est devenu symbole iconique d’un père incapable) est vendeur de souliers (mais gagne peu) et ne fait que
revivre ses années de gloire comme joueur de football à l’école secondaire; sa femme Peg est une mère inattentive et
épouse grincheuse; autant que la fille Kelly soit une adolescente aux mœurs légères, le fils Bud vit l’intimité
entièrement dans sa tête. Cette situation est évoluée de All in the Family (1971-79), la première émission où les
insultes étaient permis. Mais la mère Edith était toujours souriante et maternelle. Jadis, les familles étaient présentées
sous forme de stéréotype idéalisé; p.e., My Three Sons (1960-72), structuralement dysfonctionnelle, car le père était
veuf, mais émotionnellement solidaire, ou même Lost in Space, 1965-68, où la famille Robinson erre d’une planète à
l’autre, mais leur vrai ennemi n’est pas le monstre du jour, mais le Professeur Smith, passager clandestin qui cherche à
empoisonner les rapports familiaux.
Les Bundy et les Bunker s’insultent allégrement, mais ils adoptent la politesse typiquement petitebourgeoise avec les personnes d’autrui (Archie Bunker est un raciste borné, avec des mots âpres pour
les Noirs et pour les homosexuelles, mais il est super respectueux des institutions sociales et
gouvernementales). Par contre, Modern Family situe la menace à l’extérieur de la famille. Ici, ils tentent
désespérément de s’appuyer, de s’aimer, mais ne savent comment le faire, alors la communication
s’effectue par la métaphore ou par l’indicible (surtout incarné par le caractère Phil Dunphy, père d’une
des trois familles protagonistes et apparentées); il n’est pas surprenant que l’émission soit présentée
comme un mockumentary (faux documentaire), avec les protagonistes qui occasionnellement
« rompent » avec leur rôle pour parler directement à la caméra: ce sont les seuls moments où ils sont
capables de parler ouvertement de leurs émotions. En contraste avec les émissions précédentes (et un
contraste avec leur comportement dans l’intimité familiale), les protagonistes sont agressifs uniquement
avec des inconnus ou avec des « amis »: les frontières
ont été résémiotisées. Claire n’aime pas Dylan, le
copain de sa fille Haley; son mari Phil et sa 2e fille
Alex n’ont pas d’amis; Cam et Mitchell (le couple
homosexuel) ont des amis, mais uniquement pour vivre
leur « gayness » (comme ils disent); pour eux, les amis
et les rencontres sont une corvée; leur malaise avec
leur fillette adoptée vietnamienne est une métaphore
pour le mépris généralisé envers les étrangers; Jay est
incapable d’exprimer ses sentiments envers son frère
sans l’insulter; son petit-fils Manny est considéré trop
bizarre pour avoir des amis. La seule qui est présentée
http://images2.fanpop.com/image/photos/8900000/Modern-Family-Wallpapercomme sociable et ouverte à la possibilité d’amitiés est
modern-family-8938506-1280-1024.jpg
la mère de Manny et épouse de Jay, Gloria, dont la
beauté suscite de la jalousie, au point de l’isoler.
Selon François Furet (Le passé d'une illusion. Essai sur l'idée communiste au XXe siècle, 1995),
les États-Unis n’ont pas de classe bourgeoise parce que le pays est né sur une base idéologique
d’individualité, de négociation, de mercantilisme, de rejet de la tradition, de déplacement social
et géographique – bref, c’est un pays où tout le monde partage ces mêmes valeurs bourgeoises, et
donc la bourgeoisie, catégorie européenne née dans une dimension parallèle et opposée à l’ancien
régime, n’a plus de point de repère, car elle n’est plus en opposition au système établi de statut et
de pouvoir. Sans l’appui idéologique de la confrontation pour justifier l’individualité rehaussée
typique de l’orientation bourgeoise, il n’y a pas de frontière rigide de classe, et donc ses
paramètres sont à découvrir, à venir, à émerger. Le social est un lieu où non seulement se
présente le Moi, mais est également une dimension où l’individu participe obligatoirement dans
la construction de la réalité qui encadre le Moi transformé en Soi (voir le classique d’Erving
Goffmann, The Presentation of Self in Everyday Life, 1959, où il présente l’idée du rôle social
utilisant la métaphore du rôle dramatique; voir également Victor Turner, The Ritual Process,
1969).
Goffman s’inspire des théories de George
Herbert Mead, mais on peut trouver des
parallèles dans l’œuvre du sémiologue Juri
Lotman et même dans les théories du
psychologue Alfred Adler: à l’époque où la
majorité cherchait de lois universelles sur
lesquelles était censées s’ériger, appuyer et
reproduire la société, ces personnes
cherchaient à comprendre comment
l’individu agit. Ils refusaient l’idée de
l’individu-robot qui miroite les « lois » du
social.
Member State
Number
Density (per 10 000
population)
United States
463 663
16
Canada
38 310
12
Israel
7 814
11
Argentina
35 592
9
Norway
4 108
9
Sweden
7 541
8
Germany
63 100
8
Japan
95 197
7
France
41 422
7
Italy
37 000
6
Spain
24 515
6
Switzerland
3 847
5
Costa Rica
1 905
5
Chile
6 750
4
United Kingdom
25 914
4
United Arab Emirates
1 368
4
Kuwait
810
3
Uzbekistan
4 748
2
Romania
4 360
2
Saudi Arabia
6 049
2
China
136 520
1
Personnel dentaire
Organisation Mondiale de la Santé
World Health Statistics 2010, WHO
Disponible dans le rapport PDF à:
http://www.who.int/whosis/whostat/2010/en/index.html
[cliquez], 10-10-2010
Notez le nombre de personnels par tranche de 10,000 de
population. Le rapport à l’apparence du sourire est
complexe, mais il n’est pas conditionné par l’argent, quand
on examine les données du Kuwait, par exemple, ou quand
on compare l’Allemagne avec la Grande-Bretagne, ou
quand on compare l’Espagne «sombre» avec l’Italie
«souriante» (ils ont le même rapport). Admettons qu’en
Allemagne et en Suède, les soins dentaires font partie du
système d’assurance maladie, comme en Norvège pour les
enfants, mais pas aux États-Unis ni au Canada, ni en Israël
(apparemment, en 2010 ils ont adopté un plan gratuit pour
les enfants).
http://www.falboart.com/Originals/The_dentist_is_in_root_canel.jpg
R
I
T
U
A
L
I
S
E
R
http://anidandesign.com/wp-content/uploads/2009/03/emoticons.gif
http://arcade.sanriotown.com/us/images/UFM/emoticon02.jpg
À gauche, des émoticônes; en haut, les équivalences
entre les émoticônes graphiques désormais standardisées
en code ASCII, et les émoticônes textuelles, ainsi que
leurs définitions.
Les émoticônes ne sont
pas universelles: il existe
le style manga, et le
style South Park.
http://static.guim.co.uk/sys-images/Guardian/About/Genera
l/2009/8/11/1249985757342/Emoticon-faces-on-compute-001.jpg
L
E
S
É
M
O
T
I
O
N
S
Cette idée durkheimienne (inspiré par sa notion du totem, que les individus
créent dans l’imaginaire pour définir un espace neutre, la «société», qui par
la suite se présente à l’homme sous forme sacrée; l’adoration du sacré et,
donc, l’ensemble de la religion, pour Durkheim, n’est qu’une tentative de
concrétiser la cohésion sociale tellement souhaitée) est une apte description
des États-Unis: les frontières de classe sont poreuses et en évolution
constante, le statut est négociable, et la société est «ouverte», dans le sens
que les valeurs idéologiquement appuyées soulignent la nouveauté,
l’émergent, la souplesse. Le sourire constant serait signe de cette ouverture,
de cette orientation vers le futur à construire et à définir, de désir (et, on
pourrait dire, la nécessité) de construire des rapports qui deviennent la
microcommunauté décrite par Goffman. Le sourire éternellement figé est
l’homologue du recyclage autoréférentiel de la culture populaire, une
dynamique rendue possible par la dénudation des dimensions complexes de
ses composants. La culture populaire et le sourire sont deux instances de
signes élémentaires et primordiaux - toujours à devenir, mais jamais réalisés.
http://www.daltontrail.com/images/eco/totem.jpg
Image standardisée d’un
soi-disant «totem» haida. En
effet, les totems comme
technologie symbolique qui
créent un système cohérent
(mais pas nécessairement
logique) pour représenter le
monde peuvent assumer
plusieurs formes,
indépendamment de leur
importance économique ou
généalogique.
Un totem des
Aborigènes
australiens d’Arnhem
Land, kangourou
femelle urinant.
À droit, un totem américain
http://www.arthurzards.com/wp
-content/uploads/2010/02/smile1.jpg