La recherche sur des personnes inaptes à consentir

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Transcript La recherche sur des personnes inaptes à consentir

Colloque provincial sur la maladie d’Alzheimer 2010
Jean-Noël Ringuet
29 septembre 2010
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Des pressions sont faites par différents groupes
pour assouplir la recherche sur des personnes
inaptes à consentir au Québec. Les personnes
atteintes d’Alzheimer et leur famille constituent
un des groupes les plus importants concernés par
cette question.
Devrait-on permettre l’inclusion dans une
recherche de personnes inaptes à donner leur
consentement ?
Avant le 20ème siècle, la décision
d’expérimenter (ou non) sur une personne
relevait du seul médecin, généralement sans le
consentement du patient *
 La Prusse (1900) promulgue la première
directive d’État interdisant les interventions
médicales à des fins autres que le diagnostic, le
soin et l’immunisation **
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 si le sujet est mineur ou partiellement inapte
 et qu’un consentement éclairé et sans équivoque n’a
pas été obtenu de sa part
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En Allemagne (1931) : adoption d’une loi
prévoyant que l’expérimentation sur des
humains n’est permise qu’en cas d’absolue
nécessité et seulement avec leur
consentement
Paradoxe : cette directive reste
(formellement) en vigueur (mais sans être
appliquée) sous le régime nazi
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Au Canada, programmes en Alberta (1928) et
en C.-B. (1933) de stérilisation de femmes et
d’enfants autochtones… exigeant cependant
un consentement du tuteur légal. L’Alberta
étend ce programme aux handicapés
mentaux en 1931, sans exigence de
consentement *
1933 en Allemagne : Élection d’Adolf Hitler et
début du 3ème Reich
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1933-1945 : Adoption par l’État allemand de
mesures d’ « hygiène raciale » : stérilisation ou
euthanasie des « tarés », handicapés mentaux et
malades incurables au nom de l’intérêt national
& la pureté raciale
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Avec la complicité active de l’élite universitaire
et scientifique allemande *, les camps de
concentration deviennent des laboratoires
d’expérimentations mutilantes et meurtrières
sur les prisonniers
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1947 : Les révélations lors du procès des
médecins nazis, à Nuremberg, révèlent la
trahison* de toutes les institutions sociales et
politiques allemandes vis-à-vis des sujets de
recherche
Les juges du tribunal décrètent le Code de
Nuremberg afin de prévenir la répétition des
horreurs du régime nazi
L’article 1 de ce code établit le caractère
essentiel du consentement volontaire des
participants à toute recherche
Article 1 :
« Le consentement volontaire du sujet humain est
absolument essentiel. Cela veut dire que la personne
intéressée doit jouir de capacité légale totale pour
consentir : qu’elle doit être laissée libre de décider,
sans intervention de quelque élément de force, de
fraude, de contrainte, de supercherie, de duperie ou
d’autres formes de contrainte ou de coercition. Il faut
aussi qu’elle soit suffisamment renseignée, et connaisse
toute la portée de l’expérience pratiquée sur elle, afin
d’être capable de mesurer l’effet de sa décision (…) »
(nos soulignés)
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Mais le Code est plutôt mal accepté à l’échelle
internationale par le milieu médical
L’Association médicale mondiale proclame,
en 1964, la Déclaration de Helsinki, dont la
première version ne mentionne même pas
l’exigence d’un consentement des
participants
En 1966, scandale aux Etats-Unis suite à la
révélation d’expérimentations abusives sur
des personnes inaptes à consentir *
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À la suite de ces révélations, de nouvelles
règles sont précisées aux Etats-Unis :
1966 : Tout projet de recherche sur des
personnes doit obtenir l’aval d’un comité
d’éthique de la recherche (IRB)
1973 : Le Rapport Belmont * établit
formellement des principes éthiques de base
pour la recherche sur des humains dont le
respect des personnes (consentement), la
bienfaisance et la justice
Conclusion provisoire…
 Tous les abus en recherche sur des sujets
humains ont historiquement un
dénominateur commun : le non-recours
au consentement des sujets de recherche.
 C’est suite à la divulgation d’abus que la
règle du consentement a été imposée – le
plus souvent par des instances externes
au milieu médical (tribunaux ou
législations)
Mais l’érosion du consentement se poursuit…
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Déclaration(s) de Helsinki (dernières versions)
 Acceptation du consentement substitué pour les mineurs et les
personnes inaptes et…
 Utilisation de matériel biologique d’une personne sans
consentement
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Aux États-Unis :
 1983 : autorisation de l’expérimentation sur des enfants
 1998 : tout traitement susceptible de toucher des enfants et qui
est l’objet d’une recherche financée par des fonds publics non
seulement peut, mais aussi doit avoir été expérimenté auprès
d’enfants
Mais l’érosion du consentement se poursuit……
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1998 : Au Canada, l’Énoncé de politique des trois
conseils de la recherche * autorise l’expérimentation
sur des enfants et sur des personnes inaptes en
situation d’urgence (avec consentement substitué)
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1998 : Au Québec, l’expérimentation sur des inaptes
exigeait jusque là l’autorisation du Tribunal ou du
Ministre (ancien art. 21 du C.c.). L’article révisé
délègue cette responsabilité à des comités d’éthique
de la recherche « désignés » par le Ministre *.
Autorisation du consentement substitué
Art. 21 modifié (1998):
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« Un mineur ou un majeur inapte ne peut être soumis à une expérimentation qui comporte un risque
sérieux pour sa santé ou à laquelle il s'oppose alors qu'il en comprend la nature et les conséquences.
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Il ne peut, en outre, être soumis à une expérimentation qu'à la condition que celle-ci laisse espérer, si elle
ne vise que lui, un bienfait pour sa santé ou, si elle vise un groupe, des résultats qui seraient bénéfiques
aux personnes possédant les mêmes caractéristiques d'âge, de maladie ou de handicap que les
membres du groupe (notre souligné). Une telle expérimentation doit s'inscrire dans un projet de
recherche approuvé et suivi par un comité d'éthique*. Les comités d'éthique compétents sont institués
par le ministre de la Santé et des Services sociaux ou désignés par lui parmi les comités d'éthique de la
recherche existants; le ministre en définit la composition et les conditions de fonctionnement qui sont
publiées à la Gazette officielle du Québec.
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Le consentement à l'expérimentation est donné, pour le mineur, par le titulaire de l'autorité parentale
ou le tuteur, et, pour le majeur inapte, par le mandataire, le tuteur ou le curateur (notre souligné).
Lorsque l'inaptitude du majeur est subite et que l'expérimentation, dans la mesure où elle doit être
effectuée rapidement après l'apparition de l'état qui y donne lieu, ne permet pas d'attribuer au majeur un
représentant légal en temps utile, le consentement est donné par la personne habilitée à consentir aux
soins requis par le majeur; il appartient au comité d'éthique compétent de déterminer, lors de l'examen
d'un projet de recherche, si l'expérimentation remplit une telle condition.
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Ne constituent pas des expérimentations les soins qui, selon le comité d'éthique, sont des soins
innovateurs requis par l'état de santé de la personne qui y est soumise. »
Depuis, au Québec…
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Représentations du FRSQ, de juristes et chercheurs visant à
« assouplir » l’article 21 pour la recherche en génomique et
celle sur les personnes inaptes (dont le Rapport Voyer de 2006
appuyé par le Conseil des Aînés et la Société Alzheimer
(Québec))
(2009) Recommandations d’assouplissement de l’article 21 par
un comité d’experts du MSSS (Rapport Bergman)* sur un plan
d’action concernant la maladie d’Alzheimer
(2009) Recommandations d’un comité interministériel
critiquant sévèrement l’actuel article 21 qui « freine la
recherche » et propose un nombre important de nouvelles
exceptions à l’obligation d’obtenir un consentement à la
recherche des participants**
Définition : Dilemme d’ordre moral dont la
résolution implique une hiérarchisation de
valeurs
Les valeurs se révèlent dans les arguments qui
soutiennent les diverses positions face à un
dilemme
Exemple : la décriminalisation du suicide assisté

Les opposants : le caractère sacré de la vie, les
risques de dérive à l’égard de la sécurité des
personnes vulnérables

Les partisans : l’autonomie et la dignité des
personnes concernées
Notre dilemme :
Peut-on inclure dans une
recherche des personnes inaptes à
donner un consentement libre et
éclairé ?
Pour :
 L’avancement des connaissances
(valeur : le progrès scientifique)
 Les bénéfices de la recherche pour les autres
personnes partageant la même condition
(valeur : le bien-être général)
 L’aval d’un proche et d’un comité d’éthique de la
recherche serait nécessaire
(valeurs : sécurité et responsabilité)
 La compétitivité du Québec [Comité interminist.]
(valeur : l’économie)
Contre :
 Il n’y aurait pas de consentement de la personne
elle-même ou de son tuteur légal
(valeur : le respect de l’autonomie)
 Les risques et inconvénients de la recherche pour
les participants – généralement pas de bénéfice
personnel espéré
(valeur : le bien-être de la personne)
 Les risques de conflits d’intérêts au sein des
comités d’éthique et leur non-transparence
(valeurs : sécurité, intégrité et imputabilité)
Pour :
 L’avancement des connaissances
(valeur : le progrès scientifique)
 Les bénéfices de la recherche pour
les autres personnes partageant la
même condition
(valeur : le bien-être général)
 L’aval d’un proche et d’un comité
d’éthique de la recherche serait
nécessaire
(valeurs : sécurité et responsabilité)
 La compétitivité du Québec [pour
le Comité interminist.]
(valeur : l’économie)
Contre :
 Il n’y aurait pas de consentement
de la personne elle-même ou de
son tuteur légal
(valeur : l’autonomie)
 Les risques et inconvénients de la
recherche pour les personnes
concernées – généralement pas
de bénéfice personnel espéré
(valeur : sécurité et bien-être du
participant)
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Les risques de conflits d’intérêts
au sein des comités d’éthique et
leur non-transparence
(valeurs : sécurité, intégrité et
responsabilité)
Valeur-norme ?
Pour :
 le progrès
scientifique
 le bien-être général
 sécurité et
responsabilité
 l’économie
Contre :
 l’autonomie
 sécurité et bien-être
du participant

sécurité, intégrité et
responsabilité
L’humanisme
Principe : « Agis de telle sorte que tu
traites l'humanité aussi bien dans ta
personne que dans la personne de
tout autre toujours en même temps
comme une fin, et jamais simplement
comme un moyen » (Kant)
L’utilitarisme
Principe :
Une action est moralement bonne si elle
contribue à l’accroissement du bonheur
général (John Stuart Mill)
Nécessité d’un débat public ?