Nostro cinema - Département d`histoire

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Nostro cinema: une 3e voie
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Ombres sous la mer (Boy on a Dolphin), de Stanley Kramer, 1957, avec Alan Ladd et la
femme qui a nourri les fantasmes de plusieurs générations de mâles de tous les âges,
Mme Sofia Scicolone in Ponti. L’ironie: c’est n’est pas un film italien, mais américain
(son premier), et elle est amoureuse de son époux (Carlo Ponti), un réalisateur petit, vieux
et laid. Il atteint l’âge de 94, comblé.
Guy Lanoue, Université de Montréal, 2011-2015
http://www.weirdwildrealm.com/filmimages/cabiria-maciste.jpg
Le cinéma italien a un peu de retard comparé a
son cousin français. Du début de siècle jusqu’à
l’arrivée du régime fasciste dominait les films
historiques, surtout avec Rome antique comme
sujet. À gauche: Maciste, un genre d’Hercule
rebaptisé par l’écrivain romantique fasciste
Gabriele d’Annunzio, possiblement copiant une
erreur dans un dictionnaire de mythologie du 19e
siècle, qui avait interprété Maciste comme un
nom quand il était en réalité un adjectif dénotant
une ville grecque. Avec sa tendance pour
l’hypercorrection culturelle pour apparaitre plus
raffiné qu’il était, d’Annunzio préfère Maciste
comme épithète pour Hercule parce que le mot
relativement inconnu lui semble plus érudit.
Pour couvrir l’erreur, on invente une fausse
étymologie suggérant que le nom dérive d’un
mot grec pour « pierre ». Il apparait sous forme de héros, protagoniste d’une vingtaine de films, mais
disparait avec l’arrivée des fascistes, qui probablement ne supportent pas la compétition: ils ont leur
propre surhomme à proposer au public, le soldat-citoyen-robot. Maciste réémerge à la fin des années
1950 dans le genre péplum (petite tunique). Ce n’est pas surprenant, car c’est l’époque du « miracle
italien » construit sur l’exploitation des ex-paysans transformés en prolétariat, qui sans doute voyaient
dans les muscles gonflés du héros un symbole de résistance. Intéressant: après la guerre il est souvent
interprété par des acteurs américains et non italiens – Mark Forest, Kirk Morris, Gordon Scott, Alan
Steel, Reg Park. Le dernier Maciste sort en 1965; ironiquement, il est remplacé par son « homonyme »
Hercule.
Le genre péplum dans les années 1960
devient synonyme du cinéma italien.
Ici, Ursus (l’Ours), le Maciste du petit
peuple. En bas, Hercules en personne
(interprété par l’Américain Steve
Reeves). Un trait qu’ils partagent tous:
Ursus et Hercule peuvent apparaitre
plus ou moins n’importe où pour
redresser les injustices; ceci devient la
base d’un leitmotiv du cinéma italien
des années 1950s-60s, pour ne pas
mentionner les belles femmes en
petites tuniques qui ornent la scène.
C’est l’époque de lutte de classe et de
la migration des pauvres meridionaux
vers les villes industrielles du nord.
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Le protagoniste sur un radeau, un genre de voyage initiatique qui devient une formule du genre:
Ursus (ou Hercule) quitte son pays natal, subit des aventures (p.e., il est naufragé), et « renait »,
purifié (un peu comme Godzilla japonais) pour affronter les dangers qui menacent le peuple qui
l’héberge (un thème typique de l’Odyssée, qu’on retrouve p.e. en Conan the Barbarian, 1982). Il y a
un petit sous-texte homoérotique dans ces films, où l’eau (ou la sueur) symbolise la naissance et la
purification; les héros finissent par avoir les muscles huilés ou trempés, et il y a souvent une scène, à
la James Bond, où il est doit briser ses chaines pour s’échapper: beaucoup de flexions et de muscles
tendus. Ici, Hercules and the Captive Women (l’originale: Ercole alla conquista d’Atlantide), 1961,
avec Reg Park, ex Mr. Universe, ami et mentor d’un autre héros, Arnold Schwarzenegger.
Maria Wyke, Projecting
the Past: Ancient Rome,
Cinema and History,
Routledge, New
York,1997
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Ben Hur, version 2010; à droite, l’originale avec Charleston
Heston, 1959
Aux États-Unis, cette image de la renaissance par le baptême est incarnée par le
voyage initiatique, où le héros se déplace d’un lieu à un autre, dans l’esprit des
pionniers de l’Ouest américain (comme le héros orphelin de la mythologie, ou
Cendrillon). Le voyage (le fameux Road Movie. à la Thelma and Louise) devient
symbole de l’effacement du passé et de la renaissance ou de la réincarnation qui
prépare le (ou parfois la) protagoniste pour affronter de nouveaux défis. La
différence: l’Américain n’est pas toujours héroïque, et ses péchés ne sont pas
effacés par le « baptême » symbolique. Les Américains privilégient le
déplacement « horizontal », les Italiens l’immersion « verticale » dans l’eau, une
référence à un saut de classe, un geste transgressif par excellence, mais aussi une
évocation du lignage, de la continuité, de la survie de la patrie.
Vision homoérotique avec une femme
menaçante et dangereuse; le dernier
souffle de l’ancienne société
patriarcale; symbole de voyage
initiatique vers un futur incertain; et,
bien sûr, l’incarnation de d’une Italie
qui trouve ses muscles après une
guerre désastreuse: toutes ces
hypothèses sont valides. Mais il y a
une autre dimension: c’est l’époque de
l’ultranationalisme américain, la fin du
mccarthy-isme: la peur de l’Autre se
transforme en peur du futur (films scifi), car aucune critique ni voix
dissidente
n’est tolérés Maciste et compagnie sont des héros du peuple qui luttent pour la liberté, pour
la démocratie (nous allons le voir quelques années plus tard en Spartacus de Stanley
Kubrick avec Kirk Douglas), et avec leurs beaux muscles incarnent parfaitement le corps
social italien. Bien entendu, l’Italie n’est pas l’Amérique, mais dans les années 1950-60s la
CIA dicte la politique étrangère du pays, et les Italiens veulent aussi plaire au marché
américain, donc ils engagent des acteurs tels que Mark Forest, Kirk Morris, Gordon Scott,
Alan Steel, Reg Park, et ils créent de scénarios où Maciste peut incarner « le monde »
générique libre (et occidental; voir Said, Orientalism), selon une vision américaine, et
l’Italie forte; Maciste est obligatoirement capturé et torturé à torse nu, souvent en pose d’un
crucifié; le message est clair pour les Italiens. (en haut, Spartaco, 1953.
Entre l’introduction de Maciste en 1914, et sa renaissance 40 ans plus tard pour devenir symbole
d’une autre époque, émerge le régime fasciste et ses conventions rigides. Pour eux, le film est un
instrument de propagande, qui véhicule non seulement un message patriotique mais aussi l’image
de la bourgeoisie vue par les petits-bourgeois envieux (les Fascistes, punto). Il s’agit des soi-disant
films du telefono bianco (symbole du gout « raffiné » des protagonistes). Le décor est peut-être
inspiré par les films américains (art déco) et par une esthétique futuriste, mais le sujet est très
italien: les rapports « impossibles » qui émergent quand on mélange les classes sociales. Souvent,
ces films incorporent des références bucoliques, car les fascistes diabolisaient la ville pour mieux
incarner les valeurs « saines » et « naturelles » de la paysannerie devenue symbole de l’Italie forte
et « authentique » - les villes sont trop cosmopolites, et avec leurs industries, sont de lieux où
émerge l’insatisfaction prolétaire, qui se manifeste en activité syndicaliste et donc antifasciste.
L’industrie cinématographique de l’époque est fortement influencée par le fils de Mussolini,
Vittorio, qui se considère un critique du cinéma.
Les fascistes fondent des associations où se réunissent les
travailleurs à la recherche de loisirs et de la culture, mais il est
essentiel pour leur projet de réorienter la psyché individuelle, de
pénétrer l’espace privé, où le contrôle étatique est normalement
bloqué par l’intimité familiale. L’image de la famille idéalisée –
père seigneur, mère soumise, enfants sages – véhiculée par ces
films devient une métaphore pour l’État patriarcal.
À gauche, Shirley Temple, inspiration de modèle de l’enfant
parfait. Ses films sont populaires à l’époque fasciste.
Les films telefoni bianchi ont pris leur
nom de l’instrument (normalement, au
singulier) qui, pour la sensibilité petite
bourgeoise de l’époque fasciste, était
censé symboliser la décadence des
classes supérieures. Les salons où ils
se trouvent sont hyper-décorés,
rigoureusement dans un style ‘empire’
du fin-de-siècle. C’est seulement le
régime qui doit incarner la modernité
et le modernisme avec l’art-déco. Les
femmes portent souvent de coiffures
avec de boucles, à la Shirley Temple.
Elles sont frivoles, humérales,
adolescentes: préoccupées uniquement
par l’amour et le mariage. Pas
surprenant qu’émerge comme réaction
le néoréalisme après la chute du
régime.
La lutte de l’esprit et de la rationalité
Cinecitta, au sud-est de Rome, est un complexe cinématographique fondé en 1937 par Benito
Mussolini et par son chef de la branche cinématographique du bureau des arts, le journaliste et
futuriste Luigi Freddi. Les fascistes avaient des idées contradictoires à propos du cinéma
(d’ailleurs, comme pour la littérature et pour les arts en général), car leur projet de créer l’Uomo
Nuovo laisse intacte l’idée de l’individu comme composant incontournable du social. Ils doivent
réorienter l’individualité, pas l’anéantir. De plus, ils dépendent symboliquement du passé incarné
par le paysan porteur de l’esprit national traditionnel, mais ils acceptent le futurisme comme base
utopique pour réorganiser la société. N’oublions que le mouvement futuriste est une création
italienne, lancée par l’artiste Filippo Marinetti, 1909, avec son Manifesto: un rejet du passé, la
glorification de la vitesse et de la mobilité, du changement, de la machinerie comme modèle de la
société parfaite et stérilisée de ses faiblesses humaines.
L’art était « violent », transgressif, car, comme
Friederich Schiller (le romantique allemand de la fin 18e
siècle; je suis persuadé que Marinetti l’ait un peu copié),
l’esthétique est un composant primordial de l’esprit qui
nous permet de mettre à nu les limites et les conventions
qui autrement nous emprisonnent (une version esthétique
de la hyperrationalité du cogito cartésien). Ceci est aussi
une version contemporaine du Baroque du 17e siècle. Le
Futurisme était fortement misogyne, qui devient un
leitmotiv fasciste, où les femmes sont dans la cuisine ou
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dans le lit.
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À droite, Marinetti, "Montage + Vallate + Strade x
Joffre," 1915.
Un exemple de la pensée baroque
En réalité, cette histoire est une invention populaire (Maderno
était déjà décédé depuis 30 ans avant que commence les
travaux de Rainaldi) pour expliquer la présence d’un seul
ange, dont l’esthétique était incompréhensible au popolo
ignorant. Il s’agit d’une sensibilité baroque: il y qu’un seul
ange pour mieux ‘libérer’ l’imagination qui projette un 2 e
ange à droite, ou il est censé être: dans le cadre de règles
rigides de composition (nous sommes au 17 e siècle à Rome),
les artistes cherchent de moyen de laisser travailler l’esprit.
À gauche, la façade de San Andrea
della Valle, Rome. Deux
architectes, dont un, Carlo
Maderno, avaient travaillé sur StPierre. Ils sont censés se disputer,
car l’autre, Carlo Rainaldi, accuse
Maderno d’avoir construit une
façade trop étroite. Comme signe
de son ire, il place un ange, un
seul, à gauche, avec une aille
tendue qui « tien »la façade
prétendument sur le point de
tomber.
http://www.lifeinitaly.com/files/imagecache/medium/Boccioni_Noise.jpg
Paradoxalement, le programme futuriste, avec son
appui du régime, n’influence pas l’esthétique du
cinéma sauf pour l’adoption de l’esthétique de l’art
déco. Au niveau thématique, les films de l’époque
souvent véhiculent une sensibilité traditionnelle, du
genre l’amour impossible du Prince et d’une
serveuse (ou parfois, une danseuse, une autre
catégorie « impossible » car trop charnelle, trop
sexualisée.
À droite, une affiche de l’époque, style
futuriste/art-déco (Mussolini - Anno XI,
Gerardo Dottori)
http://4.bp.blogspot.com/-W62VSfGzLZc/Ty1a_g58DI/AAAAAAAAACI/TbqzdEHaZSA/s320/Mussolini%2B-%2Banno%2BXI%2B%2Bby%2BGerardo%2BDottori.jpg
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Le cœur du cinéma italien a une entrée très
modeste (à droite, Anna Magnani, en
Bellissima, de Lucchino Visconti, 1951), mais
incarne le style Déco inspiré par le Futurisme:
l’édifice impose une sensibilité mécanique qui
fonctionne comme le monumentalisme, dont le
but est d’écraser l’individualité.
Dans les années 1930, les fascistes permettaient rarement aux femmes d’être représentées
dans les usines ou dans les champs, sinon pour les films de propagande. Leur idéologie
utopique et fantastique ne permet pas un cinéma réaliste. Après la guerre, le néoréalisme
ne les limite pas à la cuisine ou au salon; cependant, elles agissent selon une dynamique
individuelle: ainsi, elles donnent une certaine légitimité au corps, à la sensualité, et à la
sexualité.
Toutes ces femmes partagent, dès les années 1950s, deux
choses: leur identité ne dépend pas uniquement des enfants, de
la cuisine, ou du mari bourgeois dans un salon, et elles ont une
vie sexuelle. Leur beauté n’est plus liée à un cadre social, mais
à un trait primordial: le sexe et donc à l’individualité. C’est une
ouverture: leur image passe de la métaphore syntagmatique (les
traits dérivent de la proximité: la femme est dans la cuisine,
donc la femme est la cuisine) à la métonymie paradigmatique
(un trait « féminin » est défini par un autre trait « féminin »: la
psychologie qui anime ses actions est liée à ses pulsions
« naturelles »).
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Doris (Dora) Duranti, actrice « du régime » renommée pour ses rôles
dans les films « telefoni bianchi » dans les années 1930s. L’image des
femmes évolue avec la guerre, car elles passent du salon ou de la
cuisine à la chambre à coucher (métaphoriquement, bien entendu), où
elles vivent de folies d’amour (de façon relativement asexuée), ce qui
oblige les hommes « rationnels » de les dompter. Doris va même réciter
à sein nu en 1942, comme sa rivale Clara Calamai en 1941.
Une guerre culturelle qui masque une lutte politique se déclenche vers la fin des
années 1940. L’Italie est fortement polarisée, avec les communistes sous Palmiro
Togliatti qui font de gains impressionnants à chaque élection, surtout dans le nord.
Même l’église s’en mêle, excommuniant les communistes (1949) et s’alliant avec
les chrétiens-démocrates, censés être au centre d’une alliance politique qui vise la
stabilité et la tradition. Les concours de beauté émergent, mais ils sont dénoncés par
l’Église pour les raisons habituelles. Par contre, leurs alliés les chrétiens-démocrates
n’y sont pas contraires, peut-être parce que, comme certains communistes notent, les
concours encouragent la compétition et donc brisent la solidarité de la classe
ouvrière, et surtout instrumentalisent la beauté des femmes. Le Ministre de la
culture Giulio Andreotti, 7 fois Premier ministre, dit: « Plus de jambes, moins de
rhétorique ». Par contre, les communistes n’ont pas de théorie de la beauté ni du
corps sauf comme entité utilitaire qui mange, dort et travaille. Mais, ils s’engagent à
développer leurs propres concours de beauté en parallèle avec ceux commandités
par des revues populaires et par des maisons de production de films, car ils
reconnaissent le pourvoir de l’espoir pour la classe ouvrière: tous ces concours
prétendent vouloir « découvrir » de nouveaux « visages » pour le cinéma. Or, les
concours communistes n’ouvrent aucunement les portes à des rôles, car le Parti
soutient le cinéréalisme comme l’art qui documente la lutte populaire, mais ils se
sentent obligés d’adopter le langage du cinéma populaire. Autrement dit, le cinéma
est un lieu contesté, car il va définir la nouvelle Italie, face à l’échec de l’idéologie
(voir le PPT Berlusconi).
http://i.dailymail.co.uk/i/pix/2011/01/11/article-1346220-0CB9481E000005DC-779_233x732.jpg
Sophia Loren, no. 2 dans le concours Miss Italia 1950. Ici, elle a 16 ans.
Voir: Stephen Gundle, Bellissima: Feminine Beauty and the Idea of Italy, New Haven, 2007
http://www.comune.milano.it/dseserver/webcity/comunicati.nsf/d68
aa3e55927f9f7c1256c4500573452/756d5d9e611db00dc1257122004c
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Durant la guerre, et surtout après, émerge un autre genre, le
néoréalisme, qui influencera l’école française Nouvelle Vague
une décennie plus tard. Plusieurs de ses protagonistes
(Michelangelo Antonioni, Luchino Visconti, Cesare Zavattini,
Roberto Rossellini, Giuseppe De Santis) sont surpris de
découvrir, une décennie plus tard, qu’ils avaient lancé une
révolution esthétique dans le monde du cinéma, quand ils ont
été « découverts » par La Nouvelle Vague française et surtout
par les Cahiers du Cinema (France) et Cinema 60 (Italie). Les
savants datent son émergence avec Ossessione de Visconti,
1943, un film qui présente une interprétation italienne du
roman américain The Postman Always Rings Twice, de James
Cain, 1934. Dans le contexte américain, l’histoire d’un
homme errant (déraciné par la Dépression, il tombe amoureux
d’une femme mariée – elle aussi un peu sans racines – et tue
son mari, lui, très « enraciné », car entouré de sa famille
grecque qui va poursuivre les meurtriers) n’est pas nouvelle,
mais c’est révolutionnaire pour l’Italie, qui est toujours
dominée par l’idée médiévale (et fasciste) d’être attaché à la
terre (que les fascistes voient comme étant à la base des
valeurs « saines » censées former leur Uomo nuovo).
Simplement dit, Visconti expérimente l’idée de l’homme sans
cadre et du couple ‘nucléaire’, symbolisé par la fuite; des
idées dangereuses pour les fascistes, surtout qu’elle est
présentée par l’aspect charnel et sensuel de la protagoniste,
Clara Calamai.
1) Généralement, peu d’acteurs connus ou même professionnels (les réalisateurs n’avaient pas
d’argent).
2) Les protagonistes sont souvent des sous prolétaires déracinés ou des prolétaires victimes du
« système »; c’est la victoire (ou la vengeance) du popolino, bien qu’ils sont souvent
écrasés par une aliénation existentielle.
3) Fortement influencé par le Film Noir américain
4) Influencé par l’image de la liberté représentée par l’Amérique, nourrie par les lettres
d’immigrants; la liberté devient une idéale qu’on ne peut vraiment atteindre en Italie.
5) La ville retourne comme protagoniste, après l’époque bucolique du fascisme, mais les
angles pointus des édifices illuminés par les techniques du Film Noir « tranchent » les
rapports humains
6) Cependant, la ville est souvent présentée comme oppressive, impersonnelle, froide, qui fait
accroitre l’aliénation des protagonistes
7) L’action est souvent située dehors, et la nuit (les réalisateurs n’avaient pas d’argent pour
fermer les rues pour le tournage, ni de louer ou de construire des plateaux).
http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/2/25/BigComboTrailer.jpg/300pxBigComboTrailer.jpg
À gauche, The Big Combo, américain, 1955, image du
Film Noir qui devient iconique, car les techniques du
Film Noir, qui émergent dans les années 1930, ont été
perfectionnées dans les années 1950. Le genre avait
souvent comme protagonistes des iconoclastes –
policiers, hors de loi, femmes « débauchées » - soit à la
dérive, soit en lutte avec les conventions sociales du
« système ».
8) Ils n’ont pas une distribution massive à l’époque, car le cinéma est toujours influencé par le
gouvernement, qui prône l’unité nationale (et pas une vision de l’homme détruit par la civilisation),
et par l’Église, qui offrait des films dans ses salles paroissiales à de prix abordables pour les
pauvres. Évidemment, elle favorise des films « légers » pour « la famille ».
9) Ils sont influencés par l’idéologie de gauche qui domine l’industrie de la culture après-guerre.
10) Lentement, émerge (surtout avec les films de Federico Fellini, p.e., I Vitelloni, 1953), l’image de
l’homme non aliéné par la civilisation représentée par la ville, mais de l’homme naturellement
vicié (mais pas vicieux): il est humain malgré, et peut-être grâce à, ses faiblesses.
11) Ils ont un impact énorme, sur les autres Européens autant que sur les Américains. Plusieurs
cinéastes de la génération suivante vont citer le néoréalisme comme influence pivot dans leur
œuvre.
12) Malgré leur importance dans l’évolution du langage cinématographique, pour la reconnaissance
populaire du cinéma italien, ces réalisateurs doivent attendre l’Oscar de Sofia Loren en 1962 pour
Two Women, Vittoria De Sica, 1960, basé sur le roman d’Alberto Moravia, La ciociara (1958).
http://www.supanet.com/entertainment/dvds-in-review/rome-open-city--roberto-rossellini-neorealist-neorealism-12299352.jpg
http://www.youtube.com/watch?v=S_owmDLNiHM (La ciociara)
http://www.youtube.com/watch?v=4__lDQMLa4E (Roma città aperta,
surtout à 1h29m)
À gauche, scène iconique de Roma città aperta, de Roberto
Rossellini, 1945, avec Anna Magnani; ici, une « révolte de pain »:
les Romaines protestaient la pénurie de pain quand la ville fut
occupée par les Allemands .
Riso Amaro (1949), de Giuseppe De Santis avec Silvana Mangano et Vittorio Gassman, est un autre
film iconique pour le mouvement néoréaliste. Ce n’est pas seulement l’histoire des travailleurs dans
les champs de riz an nord de l’Italie, et donc un film « prolétaire ».
Il est aussi une nouvelle façon de présenter la beauté et donc
le Soi. Anna Magnani en Roma Città Aperta incarnait l’un
des aspects élémentaires du corps: le faim. Par contre,
Silvana (le nom de la protagoniste, ainsi que le nom de
l’actrice) adopte de manières « américaines » pour imaginer
une façon de sortir de son destin: renommée la scène où elle
danse le boogie-woogie. Sa beauté est naturelle, sensuelle et
fortement sexuelle. D’une part, nous sommes toujours en
Italie catholique qui condamne la corporalité, mais les
communistes (dont De Santis) ont des attitudes ambiguës
envers le corps féminin. Le film est aussi condamné par les
Américains bornés, même s’il n’a pas de scènes osées. Mais
l’idée qu’une femme peut assumer sa sexualité et changer
http://upload.wikimedia.org/wikipedia/it/thumb/b/b8/
Riso_Amaro.jpg/300px-Riso_Amaro.jpg
son destin est trop pour l’époque. Ironiquement, le film
n’est pas bien reçu par les communistes, parce que la protagoniste rejette une position idéologique:
pour avancer, elle se lie à un criminel (Gassman), une position immorale qui délégitime la lutte de
classe. La petite criminalité, selon l’orthodoxie communiste, fait l’affaire des classes dominantes, car
les hors de loi n’ont plus de position morale ni légale pour attaquer « le système ». Ils ne voient pas que
les actions de Silvana sont une critique de l’ouverture sociale et de la souplesse morale « américaine ».
Les héros communistes doivent être purs, et c’est la sensualité innée de Silvana qui la condamne. Ainsi,
elle est « punie » pour son choix: elle tue son amant et se suicide. Histoire conventionnelle, donc, mais
images qui valorisent un imaginaire non cohérent avec l’idéologie: une 3 e voie, après l’idéologie et la
patrie.
Peut-être comme d’autres pays, le cinéma italien des années 1950s et 60s se définit plus par ses
femmes vedettes que par ses hommes. Oui, bien sur Aldo Fabrizi, Vittorio De Sica, Vittorio
Gassman, Alberto Sordi, Totò, Ugo Tognazzi, Marcello Mastroianni, Nino Manfredi parmi d’autres
sont renommés (avec raison), mais ce sont les vedettes féminins qui présentent l’Italie à
l’internationale. Chez eux, elles représentent l’imaginaire du pays: 1) elles établissent une façade
souriante, exotique et sexy au pays, signalant que les années de guerre et du fascisme sont vraiment
enterrées; 2) leur beauté permet d’explorer de nouvelles utopies et espaces de l’imaginaire que les
hommes et le domaine masculin ne peuvent pas soutenir. Leur beauté n’est plus encadrée par le
salon (les bourgeoises), ni par la cuisine (les autres): Pier Angeli (Golden Globe, 1951), Daniela
Bianchi (une des premières Bond Girls, From Russia With Love), Lucia Bosé (Miss Italy 1947),
Claudia Cardinale (une autre concurrente de Miss Italy), Valentina Cortese (Day for Night, 1973),
Gloria Guida (la bionda des années 1960s), Sylva Koscina (connue plus en Italie qu’en son pays
natal de la Croatie), Virna Lisi, Sophia Loren (qui a changé le spelling italiano de son nom Sofia;
pour Deux Femmes [La Ciocciara]), Gina Lollobrigida (La Lollo, 3e place
Oscar 1961
dans le concours Miss Italy 1947 gagné par la Bosé), Anna Magnani (Oscar
1955, The Rose Tattoo), Silvana Mangano (Miss Rome 1946, à 16 ans; Riso
amaro, 1949), Elsa Martinelli (The Rogues, Candy), Lea Massari, Mariangela
Melato (Swept Away), Sandra Milo (8½, Juliet of the Spirits, 1965), Giorgia
Moll (The Quiet American, 1958), Ornella Muti (mieux connue dans les
années 1970s), Silvana Pampanini (Miss Italy 1946), Daniela Rocca (Miss
Catania 1953; Divorzio all’Italiania, 1961), Rossana Podestà (Helen of Troy,
1956), Rosanna Schiaffino (épouse de l’industrialiste Giorgio Falck), Stefania
Sandrelli (Divorzio all’Italiania, Il conformista, 1900), Monica Vitti (l’actrice
préférée d’Antonioni).
Dominique Boschero, Italo-Française, Ulisse contro Ercole, 1962
http://www.pulpinternational.com/images/postimg/unique_dominique.jpg
Ce n’est pas « la femme » tout court qui est adoptée par le public national et international. Il y a un type. Pas tous
les vedettes féminins y sont conforme, mais les supervedettes, oui. Elles sont « méditerranéennes »: foncée, avec
un sein généreux, de courbes évidentes, autant séduisante que belle, et décidément « du peuple » et pas du salon
bourgeois. Elles représentent ce qui est « typiquement » italien dans une période d’américanisation et
d’internationalisation, présentée par l’image de la vedette « américaine »: blonde, cheveux très soignés, visage
super maquillé, seins et hanches petits, fusionnant ce look « élégant » et « raffiné » avec un comportement un peu
agressif et une psychologie adolescente (elle cherche l’homme). Les Italiennes sont « naturelles », avec un
comportement « spontané » et « vivace », mais qui peut utiliser la séduction comme une arme; bref,
« traditionnelles ». La super féminité version italienne projette également une réassurance maternelle dans cette
période de transition vers la consommation et la société de masse ouverte et « démocratique ». Cette image
fonctionne autant en Italie qu`à l’étranger, car l’Italienne incarne les valeurs « traditionnelles » et donc
« arriérées »: l’Autre, pour les Américains, aucunement menaçant. Enfin, un grand nombre de films de l’époque
sont situés au sud « arriéré » ou dans le passé.
La Loren version bomba sexy avant qu’elle adopte une image plus
maternelle; la Lollo (« la séductrice ») et Claudia Cardinale, « la rebelle ».
http://1.bp.blogspot.com/_RnlFOOpc8ls/Ssbq
VhquzpI/AAAAAAAACJw/JL2kj4RFGI/s400/Gina+Lollobrigida2.jpg
http://www.lifeinitaly.c
om/files/imagecache/m
edium/Claudia_Cardina
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La commedia dell’arte
Arlequin, 1671
Brighella, 1570
Colombine, 1683
Docteur, 1653
Pagliaccio, 1600
Pantalone, 1550
Scaramuccia
Scapino
Le Capitan
Isabella
Coviello
Pulcinella
•
Les personnages types de la farce d’Atella populaire durant la République romaine
ont peut-être inspiré la commedia dell’arte qui émerge dans sa forme actuelle au 16e
siècle. La commedia avait Arlequin bon vivant et son inverse, Scaramouche;
Mascarile (fripon), Brighella (aubergiste); Pagliaccio (éternelle victime); Pantalon
(vieux amoureux); Cassandre (docteur); Capitan, Matamore, Coviello, Spavento (des
soldats); Isabella, Lélio, Colombine (des amoureux ou objets de désire).
Lélio
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Comedia all’italiana: à différence du spaghetti western qui épate à l’étranger, les
comédies ont toujours constitué une partie importante de l’historie du cinéma italien,
certainement, la plus constante. L’explication est simple: comme disent les Italiens, face
au chaos, on doit rire. La réalité est un peu plus complexe, car le genre all’italiana
émerge seulement quand le « miracle italien » commence à se faire sentir parmi les
couches sociales populaires, à la fin des années 1950. Ce sont surtout des comédies de
mœurs, où encore une fois la différence de statut sociale joue un rôle (à différence du
genre néoréaliste, où les protagonistes sont souvent issus de la même classe). Ici, ce ne
sont pas de tragédies comme dans le genre telefono bianco, mais des malentendus, des
transgressions où la seule victime n’est pas le protagoniste, mais les mœurs « arriérées »
qui sont présentées comme un peu démodées et hypocrites. Ce genre brise avec la
tradition de bouffonneries qui dominait le music-hall pour faire le passage au cinéma
après la chute du fascisme (on pense Totò et, plus tard, Alberto Sordi).
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http://www.famouspeopleinf
o.com/wp-c
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À gauche, Totò;
Alberto Sordi;
à droite, Monica Vitti
http://upload.wikimedia.org/wikipedia/it/thumb/6/6c/Tot%C3%B2.jpg/220px-Tot%C3%B2.jpg
Lino Banfi et Edwige Fenech (?), circa 1979.
La commedia all’italiana des années 1970s, sous la
guise de « libérer » les femmes des normes
« hypocrites » censées inhiber leur sexualité, va les
transformer uniquement en objets sexuels. Avant, le
pouvoir féminin était tacitement reconnu dans le genre
comédie (qui dérive de la commedia dell’arte), car les
hommes étaient assez souvent de bouffons:maladroits
et incapables: Pippo Franco, Totò, Franco et Ciccio,
Alberto Sordi, Lino Banfi. Les femmes sont mieux
adaptées au milieu social. Mais, en fait, l’image
bouffonne de l’homme est aussi une critique sociale
entrée par la porte arrière: s’ils sont maladroits, ils sont
aussi très sympathiques, ce qui laisse entendre que ce
sont les normes qui font défaut. Être bouffon est une
critique des règles stupides, artificielles. Il y aurait donc
une certaine dynamique équilibrée entre la critique
« humaine » masculine et la normalisation
« féminine ». Mais avec la commedia sexy, l’équilibre
est fini et ces bouffons regagnent un certain pouvoir: en
dépit de leur caractère maladroit, ils réussissent à
séduire ces belles femmes.
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Le spaghetti western (terme américain; en Italie c’est western all’italiana) s’établit avec la
parution du film A Fistful of Dollars, Sergio Leone, 1964 (qui lance Clint Eastwood comme
vedette internationale). Ironiquement, ce moment de double recyclage (les Américains qui
influencent les Italiens, qui définissent un nouveau genre qui va inspirer les Américains à repenser
leur genre Western) est un produit italien, mais a son plus grand impacte à l’étranger. Pour les
Italiens, le spaghetti western est simplement un sous-genre qui s’encadre avec la notion de
l’orientalisme. La fascination italienne avec le genre Western est de longue date: le célèbre cowboy
et showman Buffalo Bill présente son spectacle Wild West Show à Rome en février 1890. Ce
moment exotique trace des sillages profonds dans la mémoire collective, car il enracine l’image de
l’Amérique comme pays de la liberté. Le symbole de la liberté, pour les Italiens, n’est pas la Statue
de M. Bartholdi mais le cowboy errant. Après Leone, d’autres films émergent ici et là pour un
public local. Les films de Leone sont populaires en Amérique en partie parce qu’ils revitalisent un
genre devenu moribond, depuis c.1955 arrivé à la fin de sa capacité de mythifier l’Ouest pour le
transformer en icône du déplacement, et donc en métonymie de l’impérialisme émergent des É-U.
http://cookbookcherie.files.word
press.com/2010/06/spaghettiwestern1.jpg
http://upload.wikimedia.org/
wikipedia/commons/5/53/
Buffalo_Bills_Wild_West_Show,_1890.jpg
Il y a un site intéressant dédié au genre:
http://www.spaghetti-western.net/index.php/Main_Page; ci-haut,
Buffalo Bill et le Wild West Show à Rome, 1890.