L’orchidée est une fleur qui se cache dans la profondeur des arbres ou à l’abri des hautes fougères. Il faut de la.

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Transcript L’orchidée est une fleur qui se cache dans la profondeur des arbres ou à l’abri des hautes fougères. Il faut de la.

L’orchidée est une fleur qui se cache dans la profondeur des arbres ou à l’abri des hautes fougères. Il faut de la patience pour la découvrir…elle pousse dans le secret.

C’est une des plus belles fleurs.

Si belle, si humble!

Et pas profiteuse du tout. Elle croît sur les autres arbres mais sans en tirer sa nourriture. Elle ne demande qu’un appui.

Telle est

JEANNE LE BER,

blanche orchidée épanouie sur le sol de Ville-Marie, femme héroïque, exquise, cachée, première recluse du Nouveau Monde.

Cette jeune femme, la plus richement dotée de la Nouvelle-France, deviendra volontairement la plus pauvre.

Cloîtrée pendant 34 ans, inlassablement elle ne fera que prier et broder, le visage tourné vers le tabernacle.

Mais commençons par le commencement!

Montréal est encore un village entouré de nations iroquoises. Ville Marie, comme on l’appelait à l’époque, naît en 1642 d’un rêve mystique.

Jérôme Le Royer de la Dauversière et Jean-Jacques Olier voulaient y créer une communauté exemplaire de parfaits chrétiens, une communauté autonome composée de Français vertueux et d’Indiens convertis.

…mais au juste, qui sont ses parents?

Jacques Le Ber,

natif de la Normandie, arriva au pays en 1649, suivi 15 ans plus tard de sa sœur

Marie

qui entrera chez les Ursulines de Québec.

« Il acquit de grands biens, dira Monsieur de Belmont. Par sa piété, il en fit un très saint usage en assistant libéralement les pauvres. Par sa probité et son équité, il s’acquit l’estime générale et une très grande considération dans le pays »

Jeanne LeMoyne,

également de la Normandie, arrivera en 1654, avec sa sœur Anne et son frère Jacques, leur aîné

Charles

les ayant devancés de 13 ans.

Monsieur de Belmont dira d’elle: « Cette dame fut en son temps un modèle de toutes sortes de vertus, et d’une piété exemplaire. »

Les épousailles auront lieu en janvier 1658

Cinq enfants naîtront de cette union dont notre héroïne

Charles LeMoyne,

frère de Madame Le Ber, oncle de Jeanne, était arrivé au pays en 1641.

Il avait accompagné les missionnaires Jésuites dans leurs explorations, appris la langue des indigènes, et servi d’interprète.

Il connaissait le pays pour l’avoir sillonné en tous sens avec les Indiens.

Après avoir passé un an à Trois-Rivières, il s’installera définitivement à Montréal en 1646.

En 1654, il épousera Catherine Thierry dit Primot

qui donnera naissance à quatorze rejetons.

Deuxième enfant des Le Ber,

Jeanne

naît le 4 janvier 1662 et sera baptisée le même jour.

Ses parrain et marraine seront

Maisonneuve

et

Jeanne Mance,

tous deux fondateurs de Montréal.

Jusqu’à l’âge de douze ans, Jeanne sera seule fille au milieu de onze garçons: ses quatre frères et sept cousins, les deux familles, Le Ber et LeMoyne, vivant côte à côte dans une maison à deux logements.

Seule fillette au milieu de tant de garçons?

Eh oui! et pas boudeuse du tout la « d’une humeur enjouée », écrivait

Jeanne

! Elle était « gaye » , d’un engouement naturel », d’un tempérament « plain de vivacité » et

de Belmont

avec l’orthographe de son temps. Il empruntait ses dires à de sa communauté, les Hospitalières.

Sœur Marie Morin

, première religieuse canadienne de l’Hôtel-Dieu et archiviste Sœur Morin lui apprit aussi que « lorsque Jeanne n’avait que cinq ou six ans, il se passait peu de jours qu’elle ne vint chez

les Hospitalières

où elle se plaisait beaucoup, surtout dans la récréation où elle était fort gaye, y faisant des questions sur les mystères de Notre-Seigneur, particulièrement de sa petite enfance qu’elle paraissait aimer et estimer plus que son âge ne le permettait. »

Jeanne Mance

,sa marraine, première infirmière de Ville-Marie et fondatrice de l’hôpital où elle logeait, a dit plusieurs fois, souligne Monsieur de Belmont, « qu’elle était surprise du raisonnement et des réflexions que Jeanne lui faisait sur les mystères de Notre-Seigneur, surtout ce qu’on voit dans le ciel et sur la terre. Elle demandait pourquoi Dieu avait fait cela de telle manière. »

Dans un premier temps, Jeanne a certainement fréquenté l’étable-école de

sainte Marguerite Bourgeoys

de l’État civil .

que onze ans.

, ouverte en avril 1658, seule école de Ville-Marie.

En 1671, à 9 ans elle sait très bien signer son nom comme en font foi les registres Grande amie de Jeanne Mance, Mère Bourgeoys était à son chevet lorsqu’elle expira en 1673. On peut facilement l’imaginer consolant la filleule qui n’avait L’année suivante, Jeanne sera pensionnaire à Québec chez

les Ursulines

, question de l’introduire dans la « bonne société » de la Nouvelle-France. Elle y passe trois années coupées par les vacances dans sa famille. Sa tante Marie y était religieuse depuis 1668.

Deux ans à peine que

Marie de L’Incarnation

y était décédée. Son souvenir était encore bien vivant dans la maison. Qu’apprenait-elle au juste ? Eh bien!

le catéchisme, la grammaire, l’arithmétique, l’histoire, la littérature, la diction et l’art oratoire. On dit de Jeanne qu’elle avait une grande facilité pour s’exprimer en public.

Devinez quels rôles elle préférait jouer?

« Elle demandait toujours, nous dit Monsieur Faillon, de préférence les rôles où il y avait peu de choses à dire, ceux dont les personnages avaient le moins d’action dans la pièce, ou même qui supposaient l’acteur au-dessous des autres, ou dans le mépris. » Voici un fait que l’on retrouve dans en toute candeur et naïveté:

le « Mémoire » des Ursulines

et qui illustre à merveille ce trait caractéristique de Jeanne. A l’occasion de la représentation des pasteurs à la crèche, on lui demande quel rôle elle voulait jouer. « C’est l’Enfant-Jésus », répondit-elle sans hésiter. « Vous ne choisissez pas mal, mademoiselle,» lui dirent les religieuses, « mais pourrait-on savoir la raison de votre choix ? » Spontanément, Jeanne répondit

« C’est que le Saint Enfant ne dit mot et ne remue point, et je voudrais l’imiter en toutes choses. »

C’est au pensionnat, nous disent ses maîtresses, que Jeanne a développé ses trois grandes dévotions:

au Saint-Sacrement, à la Vierge Marie et aux saints Anges.

Il y avait aussi des matières pratiques à l’étude, et Jeanne y excellera : le tricot, la dentelle et surtout le dessin, la calligraphie et

la broderie.

Ses études terminées, elle quittera le pensionnat en 1677, pour revenir au foyer à Montréal. Jeanne a quinze ans. Les Ursulines, sa tante Marie en tête, auraient bien espéré la voir entrer dans leur noviciat pour se faire religieuse. Tout dans sa conduite et son tempérament le laissait croire….Mais telle n’était pas sa voie.

Riche, jeune, jolie, cultivée, elle ne manquait pas d’amies! Ses préférences toutefois iront aux religieuses, particulièrement à la

Mère Macé,

vénérée de ses compagnes Hospitalières, comme une relique vivante. De retour à la maison,Jeanne reprit auprès d’elle ses visites interrompues par ses années de pensionnat.

témoignait à

Marie

seul de la Congrégation de Mais celle qu’elle fréquentait le plus assidûment, c’était

Soeur Marguerite Bourgeoys,

fondatrice de la Congrégation de Notre-Dame.

Faillon écrit : « Les impressions de grâce que la vue et les entretiens de cette sainte fondatrice faisaient toujours éprouver à Mlle Le Ber; l’air de sainteté qu’elle respirait dans la maison de la Congrégation; la piété singulière qu’on honorée comme la Supérieure, la Reine et la Mère de cet Institut; le nom

Notre-Dame

: tous ces motifs avaient inspiré à Mlle Le Ber…une vénération profonde et une affection inaltérable pour cette sainte maison qu’elle aimait à fréquenter et dont elle devient même l’une de ses plus signalées bienfaitrices. » Jeanne avait d’autant plus raison de se rendre souvent à la Congrégation que ses deux cousines, Françoise et Marguerite LeMoyne, filles de l’oncle Jacques, ainsi que son amie d’enfance, Marie Charly, fille du boulanger, venaient d’y entrer comme religieuses. Avec elles, elle rivalisait de piété, d’amour de Dieu et du prochain.

La mort rapide de cette jeune amie lui fit prendre conscience de la vertigineuse brume de la vie.

Os 2,16

Depuis son retour, Jeanne continue dans sa famille les habitudes de prière prises au pensionnat:

messe

tous les jours et

un quart d’heure de méditation

toujours à la même heure afin de s’habituer à ne penser qu’à Dieu.

« Finalement, affirme Monsieur de Belmont, de ce premier quart d’heure qu’elle donnait à Dieu sans relâche d’un jour à l’autre, on vit qu’elle ne se donnait plus rien et donnait toutes ses heures à son divin Maître. » A seize, dix-sept, dix-huit ans à cette époque, les filles étaient mûres pour le mariage. Jeanne avait reçu la meilleure éducation qu’une fille du temps pouvait recevoir. La plus riche fille du pays, elle pouvait compter sur une dot de 50,000 écus, somme énorme pour le temps. Ses parents, songeant à son avenir, lui avaient trouvé un beau parti, trié sur le volet. Sa réponse fut un NON catégorique.

Nous sommes en 1680, Jeanne a dix huit ans.

Elle révéla à ses parents qu’elle s’était donnée à Dieu dans son cœur.

« Ayant trouvé une perle de grande valeur, il va vendre tout ce qu’il possède… » Mt 13,46

I H S

Jeanne

parle de Catherine de Sienne…Elle voudrait vivre enfermée comme elle dans la maison paternelle. Peut-être serait-elle entrée au Carmel ou dans un ordre contemplatif, s’il y en avait eu au pays en ce temps-là… Ses parents sont « estomaqués » ! Non seulement elle veut couper toute communication avec le monde mais aussi avec eux. Ils ne comprennent tout simplement pas. Jeanne consulte Monsieur François de Séguenot et de l’oraison. Son père s’informe de son côté. , sulpicien, homme d’une grande rigueur, sage, averti dans les voies de la spiritualité Finalement, Jeanne accepte de paraître devant les sommités théologiques du temps: Dollier de Casson, Monsieur de Belmont et Monsieur de Séguenot. Il s’agit d’un examen canonique en bonne et due forme.

Le jugement est unanime: cette femme est mue par l’Esprit de Dieu.

…son horaire ?

Dans un premier temps, Jeanne fait vœu de chasteté, de pauvreté de cœur, d’obéissance à son directeur spirituel et de Désormais elle se voue à la réparation de tous les péchés du monde, à commencer par ceux de ses compatriotes et les siens propres.

réclusion pour cinq ans.

La pauvreté de cœur concerne le « détachement » des biens plutôt que sa « dépossession ». Mesure de prudence de la part de Monsieur de Séguenot, directeur spirituel de Jeanne, sûrement secondé en cela par Monsieur Le Ber. Se départir de ses biens aurait sans doute été imprudent…on ne sait jamais, il s’agit peut-être d’une période d’illumination temporaire? Elle reviendra sans doute sur la terre!

Etonné des merveilles de Dieu en elle, Monsieur de Séguenot lui donne un règlement très sévère : levée tôt, à 4h du matin, sa journée sera partagée entre l’oraison, la messe en paroisse beau temps mauvais temps, sans regarder qui ou quoi que ce soit à l’aller-retour; la récitation de l’office de la sainte Vierge et celle du chapelet, la lecture spirituelle et les travaux manuels.

Pendant la nuit, comme sa fenêtre donne sur la chapelle de l’Hôtel-Dieu d’où elle aperçoit le feu de la lampe du sanctuaire, Jeanne fait une heure d’oraison.

Comme vêtement , elle choisit de porter une rugueuse chemise de toile, et comme nourriture, elle demande ce que les serviteurs ne veulent pas manger.

…premier deuil

Jeanne vivra donc ses quinze premières années de réclusion dans une chambre au premier étage de la maison paternelle. Cette chambre avait son entrée rue Saint-Paul, tout près de l’Hôtel-Dieu dont la chapelle servait d’église paroissiale.

Le 8 novembre 1682, deux ans à peine après le début de sa réclusion, sa mère décède. Tout au long de la maladie, Jeanne n’est pas sortie de sa chambre, demandant à Dieu, si tel est son bon vouloir, la guérison de sa mère. Celle-ci bien sûr ne manquait pas de soins. Quand Jeanne apprend sa mort, elle sort de sa cellule, s’approche du corps étendu, fait une courte prière, baise les mains de la défunte et se retire sans avoir dit une seule parole.

Aux frontières de l’autre rive, sa mère mieux que quiconque pouvait comprendre le sens des sacrifices de son unique fille.

Dans notre siècle qui ne jure que par l‘efficacité et le rendement, que peut bien signifier

« l’utilité des inutiles »?

A la fin des cinq ans de probation, elle demande de faire vœu de

réclusion perpétuelle

. Monsieur de Séguenot et Dollier de Casson, convaincus du surnaturel de sa vocation, acceptèrent …et son père se résigna. Jeanne sera la première en Amérique du Nord à affronter cette vie rude et austère.

Le 24 juin 1685, en la fête de saint Jean-Baptiste, patron des solitaires, elle faisait vœu de chasteté perpétuelle, de réclusion perpétuelle, de pauvreté de cœur et d’obéissance aux supérieurs ecclésiastiques.

Elle leur laissait le soin de modifier son règlement pour l’ajuster à l’ancienne règle des Reclus, s’ils le jugeaient opportun. Jeanne aurait préféré renoncer à tous ses biens, mais Jacques Le Ber, autant que ses directeurs, se montra ferme sur cette question. Monsieur Séguenot resserra sa réclusion de façon à la soustraire davantage au monde.

Le 13 août 1691, nouveau deuil dans la famille : les Iroquois tuent son jeune frère Jean-Vincent, âgé de 23 ans Faillon raconte que Marguerite Bourgeoys accompagnée de Marie Barbier vinrent compatir avec la famille. Jeanne sortit de sa cellule, donna à Marguerite Bourgeoys les draps nécessaires à l’ensevelissement, et toujours dans un grand silence, pria quelques instants auprès du défunt, puis se retira immédiatement dans sa cellule.

Bien d’autres événements tragiques et des deuils viendront assombrir cette période: en 1689, massacre de Lachine; en 1690, mort de sa tante Catherine, veuve de l’oncle Charles Lemoyne lui-même décédé en 1685; en 1691, mort de François, sieur de Bienville, fils de son oncle Charles; en 1692, mort de Louis Le Ber son frère aîné; en 1694, au fort York, mort de son autre cousin Louis LeMoyne de Châteauguay. Toutes ces nouvelles parviennent à ses oreilles car chacun se recommande à ses prières.

Jeanne portait devant Dieu le souci de la paix et des besoins du monde..

Comme une vigie, elle est là, flamme droite et pure dans les temps troublés .

…dans le jardin de la Congrégation

Après quinze ans de réclusion dans sa famille, Jeanne pensait que le temps était venu de s’enfoncer davantage dans le silence et le recueillement. Sa réclusion jusqu’ici n’était pas totale puisqu’elle devait sortir chaque jour pour assister à la messe de la paroisse.

Au printemps de 1694, les Soeurs de la Congrégation se mettent en frais de construire une chapelle dans le jardin attenant au couvent, pour garder le Saint Sacrement, et ce malgré l’absence d’argent pour le faire.

Apprenant la nouvelle, Jeanne voit dans ce projet le signe du ciel tant attendu : avec l’accord de la communauté, ne pourrait-on pas ajouter un appentis qui abriterait son « réclusoir » ? N’a-t-on pas vu autrefois des « logettes » adossées aux monastères et abbayes avec une petite fenêtre, fenestrelle donnant sur l’autel même et par laquelle les reclus et recluses pouvaient recevoir la communion? Elle pourrait ainsi assister à la messe quotidienne et vivre derrière le tabernacle, en adoration perpétuelle.

Elle en parle aussitôt à Monsieur de Séguenot et à son père avec une telle conviction et tant d’élan que le père bouleversé et le directeur spirituel convaincu cèdent.

Les religieuses acceptent avec bonheur la proposition de Jeanne.

Un autre motif poussait Jeanne à se rapprocher de la Congrégation. C’était la confiance et le respect qu’elle avait toujours eus pour Marguerite Bourgeoys. Elle dira plus tard à sa cousine Anne Barroy, affectée à son service, que c’était l’odeur des vertus de cette admirable fondatrice qui l’avait poussée dans cette solitude.

Plan du réclusoir…

Maison de la Congrégation

E A B

Le dernier étage

C D

Avec le consentement de son père, Jeanne défraie en bonne partie la construction de la chapelle et, bien sûr, de son réclusoir attenant. Pierre, son frère cadet, propose de payer la pierre de taille.

Elle dresse elle-même les plans de son réclusoir qu’elle veut à trois étages. Au rez-de-chaussée, une pièce où elle pourra descendre pour recevoir la communion et se confesser par une ouverture mobile dans la porte qui donne sur le sanctuaire, du côté de l’Évangile. Du côté du jardin des sœurs, une autre porte qui permet de lui porter sa nourriture sans avoir à traverser l’église. Par un petit escalier, elle accède à sa cellule d’environ 12 pieds carrés avec une fenêtre qui ouvre sur l’extérieur. Selon son désir, le plancher de sa cellule et celui du sanctuaire sont presque au même niveau, si bien que le chevet de sa couchette ne sera séparé du Saint-Sacrement que par l’épaisseur de la cloison, distant à peine de quatre pouces, précise Monsieur de Belmont.

Le dernier étage, c’était son « laboratoire » qui lui servait de lieu de travail et renfermait son rouet, son métier et tout le nécessaire pour ses tâches journalières.

Dollier de Casson jugea opportun de donner à l’entrée dans sa nouvelle cellule toute la solennité possible. Après avoir passé de nouveau un examen canonique, question de vérifier une dernière fois l’authenticité d’une vocation qui exige un équilibre peu commun, la cérémonie fut fixée au 5 août 1695. C’était un vendredi après-midi, en la fête de Notre-Dame des Neiges. Après les vêpres solennelles, les fidèles quittent l’église Notre-Dame, en procession à la suite du clergé, en chantant des psaumes et récitant des prières. On se rend à la maison de Monsieur Le Ber où Jeanne, en prière, attendait qu’on vienne la chercher. Sur le seuil, elle apparaît, belle dans sa modestie et son recueillement, vêtue d’une robe gris blanc, une ceinture noire et une coiffe blanche qui lui retombe sur les épaules. Elle quitte ainsi la maison paternelle, accompagnée de son père. Le cortège se met en marche vers la chapelle de la Congrégation.

A la porte du sanctuaire, le père terrassé par l’émotion est contraint de se retirer. Le lendemain,fête de la Transfiguration, il sera présent à la messe, ratifiant ainsi le don qu’il avait fait à Dieu de son unique fille.

Monsieur Dollier de Casson qui préside la cérémonie bénit la petite chambre , puis en présence du clergé, des Sœurs de la Congrégation et des fidèles que l’église avait pu contenir, il exhorte la recluse agenouillée à y persévérer « comme jadis sainte Marie-Madeleine dans sa grotte ». Au chant des litanies de la Sainte Vierge, il la conduit à son ermitage.. Elle s’y enferme elle-même à jamais pour y continuer son même style de vie, sous le simple nom de Sœur Le Ber.

Dans le petit jardin de la Congrégation, comme dans le secret et le silence des plus hautes forêts tropicales, venait d’éclore aux regards de tous une des plus blanches et des plus belles

orchidées

jamais épanouies sur le sol de la Nouvelle-France.

Présente à la

PRÉSENCE

, à proximité de son Seigneur, Jeanne portera dans sa prière ce monde qu’elle semblait fuir. Elle a souci tant de Dieu que des autres.

De nombreuses

églises

bénéficieront de ses largesses : elle les dotait de vases sacrés, de linges, vêtements et ornements liturgiques cousus et brodés de ses mains d’artiste.

Les

pauvres

seront toujours présents à sa pensée. Elle les assistera dans leurs besoins, en leur confectionnant des vêtements et en pourvoyant à l’instruction de leurs filles.

Quant à la

Congrégation de Notre-Dame

de pensions pour les étudiantes pauvres.

, la sainte recluse la secondera dans la construction du pensionnat et le versement

Pale brodée par Jeanne conservée à la Maison Saint-Gabriel

…c’est dans la nuit qu’il est beau de croire à la lumière

Is 45,15

En 1698, Mgr de Saint-Vallier, évêque de Québec, décide de visiter la recluse. Deux Anglais « de considération », nous dit Faillon, expriment au prélat le désir de la visiter dans sa cellule. L’évêque acquiesce à leur demande. Les visiteurs furent frappés par la pauvreté et l’exiguïté des lieux. L’un d’eux, ministre protestant, ose s’informer du motif qui la poussait à vivre d’une si étrange manière, elle qui pouvait se payer tout ce qu’elle voulait dans le monde.

Jeanne ouvrit la petite fenêtre par laquelle elle recevait la communion et dit: « C’est une

pierre d’aimant

Voilà ma pierre d’aimant! qui m’a attirée dans cette cellule et qui m’y tient ainsi séparée de toutes les jouissances et des aises de la vie…

Notre-Seigneur,véritablement présent dans la Sainte Eucharistie,

qui m’engage à renoncer à toutes choses, pour avoir le bonheur de vivre auprès de lui: sa personne a pour moi un attrait irrésistible ».

Une telle affirmation nous laisse croire que sa prière la transportait au septième ciel! Monsieur de Belmont nous renseigne à ce sujet : « Son oraison mentale était très douce et tranquille dans les commencements, mais plus de vingt ans avant sa mort, elle a passé dans une continuelle

sécheresse, aridité et obscurité

n’ayant pour guide que la pure foi et le soutien de l’accomplissement de la volonté de Dieu. »

« Crois-tu cela » disait Jésus à maintes reprises et non « Sens-tu cela »!

Jeanne s’était enfoncée dans la solitude, répondant à un appel pressant, irrésistible.

Elle a brûlé comme une lampe ardente devant le Ps 23 tabernacle près de vingt ans et vécu en réclusion durant 34 ans. Elle franchit à 52 ans la frontière de l’invisible, le 3 octobre 1714, après à peine trois semaines de maladie. Pour qui possède Dieu, que peut-il lui manquer?

Tout comme Jeanne, chacun porte en soi son « Sahara intérieur » où, dans le silence de son cœur, il peut toujours rejoindre l’HÔTE DIVIN.

Et voici que je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde.

Mt 28,20

Tant de souffrances, tant de silence, tant de prières, tant de nuits blanches, gardent leur poids dans le cœur de Dieu.

La découverte récente des ossements de Jeanne Le Ber n’est peut-être pas le fruit du hasard. Dieu voudrait–il faire surgir de l’ombre sa servante? Que celui qui en doute demande l’impossible : le marbre criera, les boiteux danseront, les muets chanteront, le silence éclatera. On verra des merveilles!

Loin de fuir les problèmes et les souffrances de ses proches et de ses concitoyens, elle les porte dans sa prière et l’offrande de sa vie mortifiée. Ainsi prie-t-elle pour la paix du pays engagé dans une lutte à finir entre la France et l’Angleterre.

On était en 1711. Une armée ennemie de trois mille hommes s’avançait vers Montréal sous les ordres de Nicholson et la nombreuse flotte de Walker montait le Saint-Laurent vers Québec. Lorsqu’on recourut à sa prière, elle eut comme simple réponse: « La très sainte Vierge aura soin de ce pays. Elle est la gardienne de Ville-Marie. Nous ne devons rien craindre.

sa composition.

» À la demande du baron de Longueuil, son cousin commandant des troupes canadiennes, elle lui fait remettre un étendard de la Vierge sur lequel elle avait écrit une prière de La bannière de Marie en tête, la troupe se met en marche contre l’armée de terre… qui ne vient pas. Nicholson, ayant appris le naufrage de sept navires de Walker sur les récifs de l’Île-aux-Œufs, avait rebroussé chemin vers Boston. Le pays fut sauvé de l’invasion anglaise.

Monsieur de Belmont, supérieur de Saint-Sulpice, n’hésita pas à dire que cette grâce fut obtenue par l’intercession de la Mère de Dieu qu’avait sollicitée la sainte Recluse.

En ce 21 e siècle où les troubles de toutes sortes se multiplient, Jeanne ne pourrait-elle pas être notre ambassadrice céleste pour nos familles, nos pays… ?

Dieu éternel et tout-puissant, nous te louons pour ta servante Jeanne Le Ber. Fidèle à la grâce de ton appel, elle a tout quitté pour vivre en silence dans une solitude absolue, afin de s’unir toujours plus à ton Fils Jésus présent dans l’Eucharistie.

À sa prière, ravive notre foi en l’Eucharistie, rends-nous attentifs aux appels de ta grâce et accorde-nous la faveur que nous te demandons en ce moment . . . Nous t’en prions par Jésus-Christ, ton Fils Notre-Seigneur. AMEN Gloire au Père, au Fils et au Saint-Esprit, au Dieu qui est, qui était et qui vient, pour les siècles des siècles. AMEN.

TEXTE : Inspiré en grande partie du volume BLANCHE ORCHIDÉE de Yvon Langlois MUSIQUE : Sentinelle de l’invisible CD Jeanne Le Ber Francine Lavigne CND Thérèse Nadeau CND MONTAGE : Yolande CND

Verrières à l’Eglise Notre-Dame