FISCALITÉ Autoliquider la TVA, la bonne idée qui vire au casse-tête

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La semaine
ECLAIRAGE
FISCALITÉ
Autoliquider la TVA,
la bonne idée qui vire
au casse-tête
Pour lutter contre la fraude fiscale des entreprises indélicates et renflouer les caisses de l’Etat,
la TVA applicable aux travaux immobiliers sous-traités est désormais collectée
par le donneur d’ordre. Une mesure globalement bien accueillie, mais dont l’application soulève
de nombreuses difficultés pour les professionnels du BTP.
R
éclamé depuis longtemps
par les organisations
professionnelles du BTP, le
dispositif d’autoliquidation de la
TVA voit enfin le jour à la faveur
d’un contexte budgétaire serré,
propice à l’optimisation de la collecte fiscale. Son objectif : lutter
contre la concurrence déloyale
de sous-traitants pratiquant des
prix bas en facturant et recevant la TVA sans la reverser à
l’Etat. Désormais, ce n’est plus le
sous-traitant mais l’entreprise
principale qui liquide la taxe applicable aux travaux immobiliers
sous-traités. Si les professionnels du secteur s’accordent sur
les bienfaits de la mesure, son
application ne se fait cependant
pas sans heurts.
Instituée par la loi de finances
pour 2014 applicable au 1er janvier, l’autoliquidation n’a vu ses
modalités précisées que par une
instruction fiscale de fin janvier.
Les acteurs ont donc découvert
a posteriori les prestations effectivement incluses ou exclues
du dispositif. Ce qui a remis
en question certaines factures
émises en janvier. Tel est le cas
L’ADMINISTRATION FISCALE S’ORGANISE
Une foire aux questions
pour répondre aux difficultés
« Le principe de l’autoliquidation de la TVA était plébiscité par les
fédérations professionnelles elles-mêmes dès le début de l’année
2013 », rappelle la Direction générale des finances publiques (DGFIP).
« C’est pourquoi elles ont été reçues à plusieurs reprises et étroitement
associées tant à l’élaboration du texte de loi qu’à la rédaction des
commentaires administratifs », précise la DGFIP. « Comme pour toute
nouvelle mesure, poursuit-elle, des questions remontent et nous y
apportons des réponses circonstanciées. » Elle a d’ailleurs rencontré la
FFB et la FNTP le 20 mars pour améliorer le dispositif mal appréhendé
par les entreprises. La FFB, la FNTP et la Capeb vont ainsi créer une foire
aux questions que l’administration va alimenter et rendre publique.
« Des précisions pourront également, le cas échéant, être apportées
dans les commentaires administratifs », indique la DGFIP, qui souligne
aussi que « des solutions existent pour régulariser des situations,
notamment via une déclaration rectificative sans pénalités ».
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notamment des travaux publics,
que les entreprises du secteur
et les maîtres d’ouvrage publics
ne soupçonnaient pas entrer
dans le périmètre de l’autoliquidation au regard des termes
génériques employés dans la loi
(« travaux en lien avec un bien
immobilier »).
Insécurité juridique
Autre difficulté soulevée : « Les
travaux immobiliers pouvant
être sous-traités au sens de l’administration fiscale et soumis
à l’autoliquidation ne sont pas
strictement les mêmes que ceux
visés par la loi de 1975 relative
à la sous-traitance à laquelle
renvoie la loi de finances »,
expliquent Sophie Brenière et
Pauline Maumot, avocats au
cabinet Fidal. Thierry Taggiasco,
directeur adjoint fiscalité de
Bouygues Construction, raconte
que son entreprise « a dû notamment reclassifier ses partenaires comme sous-traitants ou
fournisseurs, et déterminer les
activités de ses filiales rentrant
ou pas dans le dispositif ». Pour
Luc Chansigaud, directeur fiscal
d’Eiffage, « l’instruction fiscale du
24 janvier est trop générique, elle
introduit de la complexité et de
l’incertitude. Par exemple, il est
délicat de déterminer le régime
fiscal à adopter pour les contrats
globaux d’entretien où certaines
prestations de nettoyage sont en
lien direct avec la construction
et d’autres non (nettoyage de
bungalows…) ». De plus, ajoutet-il, « le sous-traitant a désormais
la charge supplémentaire de
rechercher la destination de la
prestation confiée en ce qu’elle
concourt ou non à la réalisation
d’un bien immobilier. Cette
insécurité juridique est d’autant
plus inquiétante qu’il risque d’y
avoir des divergences d’interprétations entre les entreprises et
l’administration fiscale ».
Réorganisations internes
Face à ces incertitudes, chacun
a sa recette. Certains donneurs
d’ordre ont décidé de ne pas
conclure de contrat de soustraitance en janvier, ou autoliquident dans le doute au regard des
lourdes sanctions encourues (voir
page ci-contre). D’autres communiquent avec la direction de la
législation fiscale pour dissiper
les doutes sur l’application de la
mesure. Enfin, les entreprises
forment leur personnel administratif à déterminer le régime
applicable aux contrats, contrôler
les factures selon les nouvelles
règles et respecter les obligations
déclaratives en matière de TVA.
Il leur faut aussi adapter leurs outils comptables et informatiques.
Les maîtres d’ouvrage publics,
lorsqu’ils payent directement
les sous-traitants (voir exemple
p. 24), doivent faire de
�lll�
LE MONITEUR _ 28 mars 2014
Marché
public ou privé
de travaux
Contrat de
sous-traitance *
– Facture ses prestations TTC.
– Collecte la TVA applicable aux
prestations du sous-traitant de rang 1.
* Contrat de sous-traitance conclu ou reconduit à partir
du 1er janvier 2014 ou, à défaut, devis ou bon de commande
ou tout document prouvant l’accord de volonté.
Contrat de
sous-traitance *
– Facture ses prestations HT.
– Collecte la TVA applicable aux
prestations du sous-traitant de rang 2.
Travaux concernés :
– travaux de construction, de démolition
ou de rénovation d’immeubles.
– travaux publics ou ouvrages de génie civil.
Sous-traitants
de rangs
subséquents
– Facture ses prestations HT.
– Collecte la TVA applicable aux
prestations du sous-traitant de rang 3.
– pose de matériaux et fournitures
incorporés à l’immeuble.
– opération de nettoyage accessoire
ou en prolongement des travaux.
SOUS-TRAITANCE EN CHAÎNE
L’autoliquidation, comment ça marche ?
Champ d’application
• Les contrats de sous-traitance concernés par l’autoliquidation
sont ceux conclus à compter du 1er janvier 2014 ou tout autre document permettant d’établir, à cette date, l’accord de volonté entre l’entreprise principale et son sous-traitant pour la réalisation des travaux
sous-traités et leur prix.
Attention : les prestations fournies en exécution de bons de commande, d’avenants ou de levée d’option de tranches conditionnelles
postérieurs au 1er janvier relatifs à des contrats-cadres ou des contrats
de sous-traitance signés avant cette date, sont exclues du dispositif.
• Echappent au dispositif les contrats portant sur des prestations intellectuelles (bureaux d’études, économistes de la construction…), la
location d’engins et de matériaux de chantiers, la fabrication de matériaux ou d’ouvrages spécifiques sans pose, ainsi que les opérations
de nettoyage prévues par un contrat de sous-traitance spécifique.
Fonctionnement
• Le sous-traitant facture ses prestations HT à l’entrepreneur principal, lequel collecte et reverse la TVA applicable à ces prestations.
28 mars 2014 _ LE MONITEUR
• Le sous-traitant collecte par ailleurs la TVA applicable aux
prestations de son propre sous-traitant, et ainsi de suite dans la
chaîne de sous-traitance. Chaque sous-traitant est en effet
considéré comme donneur d’ordre à l’égard de ses propres soustraitants.
• Le donneur d’ordre qui n’autoliquiderait pas la taxe due au titre
des prestations sous-traitées est sanctionné par une amende de 5 %
du montant de la TVA. Inversement, si le donneur d’ordre autoliquidait à tort la taxe, le sous-traitant peut alors se voir réclamer la taxe
par l’administration fiscale.
Textes de référence
• article 283, 2 nonies du Code général des impôts institué par la loi
de finances pour 2014 du 29 décembre 2013 ;
• document fiscal du 24 janvier 2014 relatif à l’autoliquidation
(II-H § 531-538 du BOI-TVA-DECLA-10-10-20-20140124) ;
• document relatif au champ d’application de la TVA, qui définit les « travaux immobiliers » (II-A § 20 et suivants du BOI-TVACHAMP-10-10-40-30).
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3 Fiscalité Autoliquider la TVA Mobilisation
Face à ces divers problèmes,
les fédérations se mobilisent.
La FFB demande à la Direction
générale des finances publiques
(DGFIP) « de faire preuve de pédagogie et de souplesse lors des
contrôles fiscaux ». Pour la FNTP,
« il est essentiel de maintenir un
accompagnement des entreprises, et de mieux informer
les maîtres d’ouvrage publics
et les services décentralisés de
l’administration fiscale dans les
mois à venir ».
Le SNSO propose, lui, de revoir
le dispositif afin que la TVA soit
autoliquidée par le maître d’ouvrage afin de rétablir l’égalité
entre donneur d’ordre et soustraitant. n Nohmana Khalid
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FACTURATION
Le paiement direct du sous-traitant
par le maître d’ouvrage, un exercice délicat
RODOLPHE ESCHER/LE MONITEUR
� l l l � même. « Le dispositif
implique des points de contrôle
supplémentaires sur les factures,
détaille Laurent Rose-Hano, secrétaire général de l’Association
des comptables publics. Nous
attendons les adaptations techniques de Helios, l’application
informatique des collectivités,
pour comptabiliser les nouvelles
modalités d’enregistrement de
la TVA. » Mais tout cela prend du
temps, et les professionnels du
secteur redoutent des effets négatifs sur les délais de paiement.
Autre effet pervers de la mesure :
elle crée une perte de trésorerie
pour les entreprises n’intervenant qu’en sous-traitance, car
elles sont rémunérées HT alors
qu’elles payent leurs fournitures TTC. « L’autoliquidation par
le preneur risque de l’inciter à
sous-traiter, voire d’encourager
la sous-traitance en chaîne, pour
récupérer de la trésorerie par
le biais du décalage de la TVA »,
pointe Renaud Marquié, délégué
général du Syndicat national du
second œuvre (SNSO). Le malheur des uns faisant le bonheur
des autres, l’autoliquidation procure en effet au donneur d’ordre
un apport en trésorerie temporaire, « d’autant plus que les
frais financiers liés à la caution
bancaire du paiement du soustraitant baissent (celle-ci étant
désormais assise sur un montant
HT) », explique Luc Houlbracq, directeur administratif et financier
chez Les Maçons Parisiens.
En marché public ou privé, le sous-traitant qui bénéficie d’un paiement
direct de ses travaux par le maître d’ouvrage, se voit désormais payer
le montant HT de sa facture adressée au nom de l’entreprise principale.
A charge pour l’entreprise principale, dans sa déclaration mensuelle
de TVA, de distinguer deux opérations : l’opération liée à son rapport
contractuel avec le sous-traitant et l’opération liée à son rapport
contractuel avec le maître d’ouvrage. La difficulté réside dans le fait
que le paiement du sous-traitant par le maître d’ouvrage doit être
considéré comme effectué : HT dans les rapports de l’entreprise
principale avec son sous-traitant du fait du nouveau dispositif
d’autoliquidation, mais TTC dans les rapports de l’entreprise principale
avec le maître d’ouvrage, puisque dans cette relation contractuelle
la TVA continue d’être facturée par l’entreprise principale.
Pauline Maumot (à g.) et Sophie Brenière, avocats,
département droit fiscal/droit public chez Fidal
Exemple à l’appui
Une entreprise et un maître d’ouvrage
concluent un marché public d’un montant
de 100 000 euros HT (+ 20 000 euros de TVA
au taux normal de 20 %).
L’entreprise confie l’exécution d’une partie
du marché à un sous-traitant (accepté
par le maître d’ouvrage), pour un montant
de 50 000 euros HT (+ 10 000 euros de TVA
au taux normal de 20 % qui seront collectés
par l’entreprise principale).
QUE DOIT FAIRE LE SOUS-TRAITANT ?
• Il adresse au maître d’ouvrage sa demande
de paiement avec l’original de la facture
libellée au nom de l’entreprise principale
en montant HT du marché (50 000 euros),
sans faire apparaître de TVA mais
avec la mention « Autoliquidation ».
Le maître d’ouvrage paiera 50 000 euros
au sous-traitant.
• Sur sa déclaration de TVA du mois
au cours duquel il a été payé par le maître
d’ouvrage, le sous-traitant mentionne
sur la ligne 05 « Autres opérations non
imposables » : le montant HT des travaux
réalisés (50 000 euros).
QUE DOIT FAIRE L’ENTREPRISE PRINCIPALE ?
• Sur sa déclaration de TVA du mois
au cours duquel le sous-traitant a été payé
par le maître d’ouvrage, elle doit :
> autoliquider la TVA sur les travaux qui
lui sont facturés par le sous-traitant, de la
manière suivante :
– ligne 02 « Autres opérations imposables » :
le montant HT des travaux facturés par le
sous-traitant (50 000 euros) ;
– ligne 08 « Taux normal 20 % » :
le montant de la TVA à autoliquider
(10 000 euros) ;
– ligne 20 « Autres biens et services » :
le montant de la TVA déductible
(10 000 euros).
> collecter la TVA sur les travaux réalisés
au profit du maître d’ouvrage, à concurrence
du paiement direct effectué, qui s’entend
comme un montant TTC (41 667 euros HT
+ 8 333 euros de TVA), de la manière
suivante :
– ligne 01 « Ventes, prestations de services » :
le montant HT des travaux facturés au
maître d’ouvrage (41 667 euros) ;
– ligne 08 « Taux normal de 20 % » :
le montant de la TVA collectée (8 333 euros).
• Pour solder le marché, l’entreprise devra
envoyer au maître d’ouvrage une facture
de 100 000 euros HT + 20 000 euros de TVA,
soit un montant de 120 000 euros TTC
desquels elle retranchera les paiements TTC
déjà effectués (soit 41 667 euros HT
+ 8 333 euros de TVA).
Le maître d’ouvrage devra donc
effectivement payer lors de la réception
de la facture un montant de 70 000 euros TTC
(58 333 euros HT + 11 667 euros de TVA).
LE MONITEUR _ 28 mars 2014