DNA Haguenau du 28.2.14 - Les malgré-nous

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HAGUENAU
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Q VENDREDI28FÉVRIER2014
MORSCHWILLER La tragédie des Malgré-Nous
Sur les traces du frère
disparu en Roumanie
Fils de Malgré-Nous installé à Bischwiller, Patrick Kautzmann parcourt bénévolement des milliers de kilomètres
sur les traces des incorporés de force alsaciens disparus en Moldavie, Roumanie et en Hongrie.
Il a enquêté sur l’histoire d’un homme originaire de Morschwiller, à la demande du frère du défunt.
P
atrick Kautzmann, fils
de Malgré-Nous, fait
partie de ces personnes
qui enquêtent et font
des recherches sur les Alsaciens incorporés de force disparus au lendemain de la Seconde
Guerre mondiale. « Je parcours
tous les ans des milliers de kilomètres sur leurs traces en Moldavie, Roumanie et en Hongrie,
raconte le sapeur-pompier
d’entreprise. Je travaille avec
Nicolas Mengus et Claude Herold, du site www.malgrenous.eu, qui a établi une liste
de 1 500 noms de morts et de
disparus. »
Les DNA ont réalisé en 2012, à
l’occasion du 70e anniversaire
du décret de l’incorporation de
force du 25 août 1942, une série
d’interviews de chercheurs sur
la tragédie des Malgré-Nous.
Parmi eux, Patrick Kautzmann.
« À la suite de cet article, poursuit l’homme, j’avais reçu plusieurs dizaines d’appels dont
celui de Xavier Koeger, de Morschwiller, qui souhaitait savoir
où était enterré son frère… ».
Marié à une Roumaine et connaissant parfaitement le pays,
le bénévole est parti sur les
traces à Focsani en Roumanie.
Il a découvert sa tombe et a fait
parvenir des photos et remis un
peu de terre de l’endroit où
repose Alphonse, le frère de Xavier…
Infirmier en Pologne
« Mais la tragédie de sa mort
est encore plus incroyable, raconte Patrick Kautzmann. Alphonse Koeger était infirmier
dans une équipe médicale en
Pologne lorsqu’il a été fait prisonnier en septembre 1944.
Parqué dans un camp à ciel
ouvert pendant quatre semaines il sera embarqué dans un
train de wagons à bestiaux,
vers l’Oural, à Krasnokamsk,
au camp n° 207. »
Et d’ajouter : « Ces trains de
RWI 01
Patrick Kautzmann, à Focsani en Roumanie, où il a découvert
la tombe d’Alphonse Koeger.
Patrick Kautzmann (à gauche) en compagnie de Xavier Koeger de Morschwiller qui tient dans sa
main une photo de son frère disparu. Au deuxième rang, Nicolas Mengus qui a également
participé aux recherches. DOCUMENT REMIS
prisonniers s’arrêtaient souvent en pleine nature, dans des
conditions d’hygiène et de froid
indescriptibles. Alphonse
Koeger, assoupi, fut considéré
comme mort par un autre prisonnier qui lui retira ses bottes.
À son réveil, le malheureux
avait les pieds gelés. Un médecin allemand prisonnier l’amputera sans anesthésie dans le
wagon roulant. Arrivé au camp,
Alphonse sera sauvé par l’équipe sanitaire soviétique. Amputé des deux pieds, mais rétabli,
il retrouvera aussi l’amitié de
quatre Alsaciens qui l’auront
réconforté durant sa convalescence et aidé dans son infirmité. »
En septembre 1945, un train
sanitaire dépêché par les autorités françaises arrive en gare.
En dépit des protestations des
quatre Alsaciens, leur ami est
embarqué de force. « Ce convoi
qui devait rentrer via Frankfurt
an der Oder fut dévié par la
Roumanie, observe Patrick
Kautzmann. Et le corps sans vie
d’Alphonse fut débarqué et enterré à Focsani, dans l’un des
nombreux cimetières. »
De retour à Morschwiller un
mois après, les quatre Alsaciens ont été surpris de ne pas
retrouver leur compagnon d’infortune.
Victime d’une septicémie ?
« Les années passèrent et le
pauvre père des frères Koeger
s’adressait à toutes les administrations… en vain, indique
le bénévole. Ce n’est qu’en
1949 que les autorités françaises informèrent la famille
Koeger du décès de leur fils,
mais sans précision sur les circonstances de sa mort. »
Selon Patrick Kautzmann, « les
camps de Focsani regroupaient
plus de 50 000 prisonniers
dont les premiers arrivèrent
lors de la catastrophe de la bataille Iasi-Kischinev du 20 août
1944 et son cortège de 100 000
morts et 150 000 prisonniers
dont 80 000 restent introuvables. Puis suivirent ceux de
Hongrie. Il y eut plus d’une
dizaine de milliers de morts.
Aujourd’hui, seuls 2 997 dépouilles sont recensées. La plupart étaient décédés de malnutrition et de maladies. Le fait
qu’Alphonse Koeger y ait été
enterré par les autorités roumaines laisse à penser qu’il
était décédé dans le train.
Aurait-il été victime d’une septicémie ? »
Concernant Focsani, Patrick
Alphonse Koeger, assoupi, fut considéré
«
comme mort par un autre prisonnier qui lui
retira ses bottes. À son réveil, le malheureux
avait les pieds gelés. »
PATRICK KAUTZMANN
Kautzmann ne néglige aucune
piste : « La plupart des trains
de prisonniers, notamment
ceux au départ de Tambov, passaient par Frankfurt an der
Oder alors que les convois maritimes antérieurs appareillaient d’Odessa. C’étaient
des convois ferroviaires de
1 500 prisonniers. Le va-etvient des trains sanitaires ne
put rapatrier que 500 ou 600
malades à chaque trajet.
C’étaient des trains SIPEG (Service interministériel de protection contre les événements de
guerre). Lors de leur arrivée en
France, il apparut que, souvent,
une dizaine voire plus, de rapatriés attendus par leur famille
manquaient à l’appel. Comment sont-ils morts, alors
qu’ils étaient gérés par les autorités sanitaires françaises ? Le
cas d’Alphonse Koeger n’est
donc pas unique… » Et de conclure : « Aujourd’hui Xavier, le
frère inconsolable, malgré les
photos et une boîte de terre
ramenée de Roumanie par Patrick Kautzmann, cherche toujours à briser le silence sur les
circonstances de la mort de son
frère. »
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