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Adaptations cinématographiques d’Alice au pays des
merveilles et de De l’autre côté du miroir de Lewis
Carroll
Analyse des transécritures de Walt Disney, Jan Švankmajer et Tim
Burton
Mémoire
Gabrielle Germain
Maîtrise en littérature et arts de la scène et de l’écran
Maître ès arts (M.A.)
Québec, Canada
© Gabrielle Germain, 2014
Résumé
Adaptations cinématographiques d’Alice au pays des merveilles et De lřautre côté du
miroir de Lewis Carroll: Analyse des transécritures de Walt Disney, Jan Švankmajer et Tim
Burton observe comment trois versions cinématographiques différentes, provenant dřun
même texte source, peuvent être singulières les unes par rapport aux autres. Le but de ce
mémoire est dřanalyser les transécritures de Walt Disney (1951), de Jan Švankmajer (1989)
et de Tim Burton (2010) autant dans les changements narratifs que dans les ajouts faits par
les réalisateurs qui personnalisent lřadaptation. Pour ce faire, nous nous appuierons sur la
notion dřidée de Deleuze. Chacune des analyses est divisée selon: les idées de roman et de
cinéma qui se « rencontrent », les ajouts et modifications des idées de roman, ainsi que les
idées ayant été rejetés par lřadaptateur-cinéaste.
III
Summary
Adaptations cinématographiques d’Alice au pays des merveilles et De lřautre côté du
miroir de Lewis Carroll: Analyse des transécritures de Walt Disney, Jan Švankmajer et Tim
Burton observes how three different cinematographical versions, of the same source text,
are singular from one another. The goal of this essay is to analyze the adaptations of Walt
Disney (1951), Jan Švankmajer (1989) and Tim Burton (2010) from the narrative choices
to what directors added in order to personalize the adaptation. To do so, we rely on
Deleuzeřs notion of ideas. Every analyze is being divided by: the meeting of the novelřs
ideas and the filmřs ideas, by ideas that have been added or modified, and by ideas that
were eliminated by the adaptor-filmmaker.
V
Table des matières
Résumé
Summary
Table des matières
Introduction
III
V
VII
1
Alice in Wonderland, Walt Disney, 1951
21
Alice, Jan Švankmajer, 1989
65
Alice in Wonderland, Tim Burton, 2010
101
Conclusion
153
Annexe 1
163
Annexe 2
189
Annexe 3
193
Médiagraphie
203
VII
Je tiens à remercier ma famille ainsi que Jonathan pour m’avoir soutenue tout au long de
mes recherches et de mon écriture. Je veux aussi remercier mon directeur de maîtrise,
Jean-Pierre Sirois-Trahan, qui a su m’aiguiller et m’encadrer quand j’en ai eu besoin.
IX
Introduction
En 1865, paraît pour la première fois Alice au pays des merveilles de Charles Lutwidge
Dodgson, alias Lewis Carroll. De l’autre côté du miroir, lui, est publié en 1872. Dès lors, il
ne sřagit plus seulement dřune version rédigée de lřhistoire racontée à la petite Alice
Liddell pendant lřété 1862; vient se joindre à lřœuvre, voire la dédoubler, une série
dřimages dessinées par John Tenniel. Les contes de Carroll sont un réservoir de
personnages excentriques littéraires et illustrés, de jeux de mots et dřaccumulation de
nonsenses1, dans lesquels chaque lecteur peut puiser, peu importe son âge.
Comme le dit Stephanie Lovett Stoffel, « [s]i nombre de lecteurs ont tendance à confondre
Alice et le Miroir, cřest peut-être à cause des nombreuses adaptations, notamment filmées,
dont ces contes ont fait lřobjet2. » Les deux histoires se mélangent, non seulement parce
que les écrits de Carroll forment un tout, mais aussi parce que les adaptations, dès 1903 3 au
cinéma, sont très nombreuses. Mais pourquoi adapter la même œuvre de départ plusieurs
fois? Et comment ces différentes versions peuvent-elles être uniques bien que provenant du
même texte-source?
Bien que ces diverses adaptations cinématographiques des aventures dřAlice soient
nombreuses, elles ne semblent pas retenir autant lřattention des critiques que la vie de
Charles Lutwidge Dodgson et sa littérature. Beaucoup de travaux ont été écrits autant sur
Carroll que sur ses contes. Certains ouvrages sur lřécrivain et son corpus abordent sa vie, la
contextualisation de lřécriture de ses œuvres, les rumeurs de pédophilie sur lřauteur, son
génie et son originalité. Tout cela crée un décalage entre ses contes (populaires auprès des
lecteurs) et sa vie. Pour certains auteurs, il est surtout question de lřhumour nonsensique et
de la psychologie qui se dégage dřAlice in Wonderland et de Through the Looking-Glass.
1
Selon le Dictionnaire de l’Académie française en ligne, neuvième édition : Non-sens (n. m.) […] Par
référence au nonsense anglais, manière de jouer sur les mots qui vise, à partir dřeffets tirés de leur sonorité, à
remettre en cause la signification ou la logique du langage. L’œuvre de Lewis Carroll joue sur le non-sens.
http://atilf.atilf.fr/dendien/scripts/generic/cherche.exe?15;s=3994109115;; [consulté en ligne le 28 avril 2014].
2
Stephanie Lovett Stoffel, Lewis Carroll au pays des merveilles, Paris, Gallimard, 1997, p. 96.
3
Version de Cecil M. Hepworth et Percy Stow, de 8 à 10 minutes.
Lřouvrage Alice au pays des merveilles structures logiques et représentations du désir 4
sřattarde plus particulièrement, comme son titre lřindique, à la structure logique, et donc
mathématique, du texte littéraire. Quant à la partie sur la représentation du désir, elle est
plus discrète et participe tout simplement à compléter et alléger lřouvrage. Les livres Lewis
Carroll dans l’imaginaire français : la nouvelle Alice5 et Lewis Carroll de l’autre côté de
la logique6 retracent, comme beaucoup dřautres, lřhistoire de la création des aventures
dřAlice et analysent dřinnombrables facettes des textes de Lewis Carroll de façon littéraire.
Lřouvrage Lewis Carroll et les mythologies de l’enfance7 est un recueil de textes portant
sur divers aspects de la vie de lřauteur. Y est discutée, en partie, la tendance pédophile de
lřécrivain. Ils parlent dřAlice au pays des merveilles comme dřun témoignage particulier de
lř« amour » de Carroll pour les petites filles. Plusieurs critiques littéraires de ces textes, dits
pour enfants, parsèment lřouvrage. Les travaux de monsieur Jean Gattégno, Lewis Carroll :
une vie d’Alice à Zénon D’Élée8, parlent de lřexistence personnelle de lřauteur, allant de sa
naissance à sa vie adulte dřécrivain. L’univers de Lewis Carroll9, lui, aborde le lien étroit
entre la vie de Carroll et de ses œuvres. Sa vie personnelle est, ici, beaucoup moins présente
que dans le premier livre cité du même auteur, lřaccent étant mis sur les textes de lřécrivain.
Lřouvrage Lewis Carroll au pays des merveilles10, de Stephanie Lovett Stoffel, présente un
panorama très rapide de la vie et des œuvres de lřécrivain anglais, joint à de multiples
photos et illustrations. Les ouvrages trouvés sur ce sujet sont surtout des analyses littéraires
ou des biographies portant sur Lewis Carroll/Charles Lutwidge Dodgson. Du point de vue
cinématographique, trouver autre chose que des comptes rendus appréciatifs, sur les
diverses versions parues sur les écrans, est chose ardue.
4
Henri Laporte, Alice au pays des merveilles : structures logiques et représentations du désir, Paris, Mame,
1973, 103 p.
5
Marie-Hélène Inglin-Routisseau, Lewis Carroll dans l’imaginaire français : la nouvelle Alice, Paris,
LřHarmattan, 2006, 359 p.
6
Sophie Marret, Lewis Carroll : de l’autre côté de la logique, Rennes, Presses universitaires de Rennes,
1995, 255 p.
7
Lawrence Gasquet, Sophie Marret et Pascale Renaud-Grosbras (dir.), Lewis Carroll et les mythologies de
l’enfance, Rennes, PUR (coll. « Interférences »), 2003, 220 p.
8
Jean Gattégno, Lewis Carroll : une vie d’Alice à Zénon D’Élée, Paris, Seuil, 1974, 311 p.
9
Jean Gattégno, L’Univers de Lewis Carroll, J. Corti, Paris, 1990, 394 p.
10
Stephanie Lovett Stoffel, Lewis Carroll au pays des merveilles, op. cit., 160 p.
2
Le
but
de
notre
mémoire
est
donc
dřanalyser
différentes
transécritures11
cinématographiques des célèbres contes Alice in Wonderland et Through the LookingGlass : Alice in Wonderland de Walt Disney (1951)12, Alice de Jan Švankmajer (1989)13 et
Alice in Wonderland de Tim Burton (2010)14. Ce choix nřest pas anodin puisque la dernière
adaptation puise dans les deux premières, Tim Burton ayant dřailleurs commencé sa
carrière chez Disney. Bien quřil ait été découvert par la compagnie, il sřy sentait étranger.
Ses films ne correspondaient en rien à lřesthétique Disney et ils étaient perçus comme trop
obscurs pour les enfants, par son esthétique, mais aussi par ses thématiques. En général, les
films de Burton se rapprochent davantage du conte traditionnel que les adaptations
disneyennes ne peuvent le faire. Malgré ces différences, il met souvent en scène des contes
et des films grand public comme Disney. Sa version dřAlice fût produite par Disney. Quant
à lřinfluence du travail de Švankmajer sur Burton, ce dernier est souvent décrit comme un
auteur contrebandier, cřest-à-dire quřil fait entrer en contrebande des références plus
obscures et expérimentales dans son cinéma grand public, jouant à la frontière entre
underground et mainstream. Le cinéma du Tchèque est le contraire dřun cinéma
hollywoodien, mais il influence le cinéma de Burton. Švankmajer a subi non seulement la
censure du parti communiste, mais aussi lřinterdiction de filmer pendant six ans. Ses
œuvres sont, en grande majorité, politiques, en plus de faire partie dřun courant
« marginal » au cinéma : le surréalisme. Il utilise, aussi, la technique dřanimation en stopmotion dans la plupart de ses films; Burton lřa aussi fait à quelques reprises. Ce dernier
évolue toujours entre la bizarrerie de Švankmajer et le film à portée grand public de Disney.
11
Le terme transécriture est beaucoup plus large que celui dřadaptation qui limite lřanalyse dans son rapport
dřun texte de départ à son texte (film) dřarrivée. Nous utilisons ici le terme transécriture afin de sortir de cette
connotation, plutôt péjorative, dřune redevance du texte dit « second » à son texte « dřorigine ». Le terme
transécriture peut sřappliquer autant au cinéma (du texte-source au film et, inversement, du film au texte dans
le cas dřun film qui subit une « novellisation ») quřaux autres arts (la bande dessinée, la musique, la peinture).
Le mot adaptation ne prend presque aucunement en compte les différents passages obligés dřun roman au
scénario, du scénario repris par un réalisateur avec une vision particulière et le montage qui lui aussi
transforme la transécriture.
12
Bien que le film ait été en fait réalisé par Clyde Geronimi, Wilfred Jackson et Hamilton Luske, nous nous
référerons à Walt Disney puisquřil a chapeauté le travail entier des dessinateurs. Lřesthétique disneyenne
étant inséparable des films produits par Disney, il sera moins lourd de référer à celui-ci dans le cadre de notre
analyse.
13
Il en va de même pour Jan Švankmajer qui réalise et scénarise le film, mais dont lřanimateur principal est
Bedrich Glasser.
14
Dans le cas de Burton, le scénario est de Linda Woolverton. Afin dřalléger le texte, nous nous référerons
toujours à Burton concernant les choix, peu importe leur nature.
3
Puisquřil sřinspire à la fois de ces deux univers, il est intéressant dřanalyser ces trois
versions dřAlice au pays des merveilles.
En ce qui a trait aux travaux existants sur les diverses adaptations cinématographiques,
deux thèses de doctorat15 de Florence Livolsi portent sur le sujet. Sa seconde thèse, Alice de
l’autre côté de l’écran16, elle, se concentre sur le désir et le parcours initiatique dřAlice.
Livolsi ne fait quřeffleurer la surface de toutes les versions jusquřà 2004. Elle y donne les
fiches techniques des films, les principales différences entre le littéraire et le filmique. Mais
elle ne va pas bien plus loin quřun simple recensement. Elle nřy rend compte presque
aucunement de lřapport des techniques et les différents choix venant modifier la structure
de lřadaptation, et donc de lřhistoire elle-même. On y discute dřopposition de désirs, mais
on y présente surtout une courte description et analyse de diverses versions. La seule
adaptation ayant une analyse plus profonde est celle de Jan Švankmajer, mais il reste que
lřétude est superficielle et ne nous apprend pas grand-chose. La dernière partie du travail se
trouve à analyser différentes reprises dřAlice et son double : Walt Disney qui a fait des
adaptations avec Mickey Mouse en tant quř« Alice » dans Thru The Mirror en 1936 ou
Betty [Boop] au pays des gaffes créé par la compagnie Fleischer Studios en 1934, par
exemple.
Les divers comptes rendus trouvés sur les trois versions choisies se limitent à une
appréciation des films ou de brèves entrevues avec les réalisateurs (dans plusieurs revues
telles Ciné-Bulles, 24 images, Séquences, Cahiers du Cinéma, etc.). Si analyse il y a, elle
est plutôt superficielle, se bornant à de simples éléments sans trop de recherches, ou alors
elle nřaborde quřun thème particulier (par exemple : la psychologie dřun personnage). Les
comptes rendus appréciatifs sont trop peu nombreux dans le cas de nos deux premiers
choix, soient les films de Disney (1951) et de Švankmajer (1989). Les livres sur la vie de
Walt Disney et sur ses diverses œuvres pullulent, mais il en est tout autrement concernant
15
Sa première thèse, « Les adaptations cinématographiques dřAlice au pays des merveilles et de De lřautre
côté du miroir et ce quřAlice y trouva : espaces filmiques et quête dřidentité », nous est restée inaccessible.
16
Florence Livolsi, « Alice de lřautre côté de lřécran », thèse de doctorat, Nanterre, Université de Paris Ouest
Nanterre La Défense, 2004, 219 f.
4
les articles. Un livre17 a attiré notre attention puisquřil regroupe des entrevues avec le
personnel de Disney. Classée par film, une section concerne donc le fameux Alice au pays
des merveilles de 1951. Cřest avec Kathryn Beaumont, voix originale dřAlice, que Jérémie
Noyer réalise cette entrevue. Lřactrice, devenue institutrice, révèle certains secrets, autant
sur Walt Disney que sur sa vie sur le plateau de tournage.
Michel Roudevitch, dans son article « La voix publique et le manteau dřAlice : Cavalcades
apocalyptiques en Haute-Savoie18 », présente une courte appréciation du film de
Švankmajer qui a remporté la palme du long métrage à Annecy en 1989. Le critique
Roudevitch concède cette victoire en mentionnant toute lřingéniosité du cinéaste à nous
amener dans cet univers fantastique. Le très bref compte-rendu de Jean-Philippe Gravel,
dans son article « Conte et cinéma : dans lřabîme du rêve »19, est tout aussi élogieux. Il
calcule, à juste titre, le film de Švankmajer comme astucieux dans sa créativité, malgré les
moyens très modestes à disposition pour la réalisation du long métrage. Beaucoup
dřentrevues avec le cinéaste tchèque ont été trouvées, mais elles ne portent jamais
seulement sur le film Alice.
Dans le cas de Burton, la littérature est plus foisonnante que pour les deux cinéastes
précédents. Lřarticle « O Frabjous day! »20 se limite plus à une appréciation du film de
Burton mis en lien avec le livre de Carroll. OřHara cherche, entre autres, à savoir si le film
est aussi burtonnesque quřà lřhabitude. Lřécrivaine parle de lřavertissement (PG, 8+, etc.)
émis et, selon elle, injustifié. Pour elle, le film nřest pas pour les enfants, mais bien pour un
public averti. Élaine Dallaire, elle, écrit un article fort peu élogieux à propos de
lřadaptation : « Tim Burton boit son thé froid »21. Elle clame que le cinéaste nřapporte rien
17
Jérémie Noyer, Entretiens avec un empire : rencontres avec les artistes Disney, volume 1, Paris,
LřHarmattan, 2010, 231 p.
18
Michel Roudevitch, « La Voix publique et le manteau dřAlice : Cavalcades apocalyptiques en HauteSavoie », Positif, no 345, novembre 1989, p. 42-44.
19
Jean-Philippe Gravel, « Conte et cinéma : dans lřabîme du rêve », Ciné-Bulles, vol. 28, no 1, 2010, p. 46-49.
http://id.erudit.org/iderudit/60977ac [consulté le 30 octobre 2013].
20
Marguerite OřHara, « O Frabjous Day! Tim Burtonřs Alice in Wonderland », Screen Education, vol. 58,
2010, p. 14-23.
21
Élène Dallaire, « Alice in Wonderland : Tim Burton boit son thé froid », Séquences, no 266, 2010, p. 42-43.
5
de nouveau à lřœuvre originale; il ne fait quřune simple visite du monde créé par Carroll, la
notoriété de lřAméricain nřayant en rien contribué à une réussite. Michael Goldman, dans
son article « Down the Rabbit Hole »22, discute principalement des techniques utilisées, lors
du tournage de lřadaptation de Burton, dans une optique méthodique et non analytique. Le
texte se contente dřexplorer les procédés, laissant de côté la critique appréciative. Antoine
de Baecque, lui, fait un compte-rendu pour les Cahiers du Cinéma dont le titre reflète une
combinaison de ce quřil pense du film et de la vision burtonnesque : « Un asile de fous »23.
Pour lui, Alice est une adolescente qui refuse le monde adulte victorien. Et bien que ce soit
le cas de lřadaptation, cřest aussi le cas du conte original, détail quřil ne semble pas
connaître ou quřil met de côté. Il semble donc que, malgré lřéloge des décors, des costumes
et des talents de créateur dřatmosphère de Burton, de Baecque soit comme la plupart des
critiques que nous avons pu lire au sujet de cette adaptation : un lecteur des aventures
dřAlice au premier degré. Il en revient donc à dire que chaque spectateur, et critique,
effectue une lecture particulière selon son bagage et sa connaissance, plus ou moins
profonde, du texte original.
Notre but, en choisissant ce corpus restreint de trois films, est donc dřaller en profondeur en
abordant ce qui a été laissé de côté (les techniques, les esthétiques, etc.). Lors de nos
analyses, nous consulterons des ouvrages portant sur les diverses techniques utilisées lors
des tournages, pour ensuite faire un examen poussé des adaptations de Disney, de Burton et
de Švankmajer. Afin dřaborder la technique et lřesthétique, nous nous appuierons sur
plusieurs études. Par exemple, Le corps en abîme : sur la figurine et le cinéma d’animation
par Dick Tomasovic24 et Le cinéma d’animation avant et après Walt Disney : un panorama
par Robert Vrielynck25. Mais ces textes parlent seulement des techniques et de divers films
les utilisant. Dans le cas de Burton, nous utiliserons des travaux portant sur
lřexpressionnisme et sur Burton lui-même : Le Cinéma expressionniste : de Caligari à Tim
22
Michael Goldman, « Down the Rabbit Hole », dans American Cinematographer, vol. 91, no 4, 2010, p. 3247.
23
Antoine de Baecque, « Un asile de fous », Cahiers du Cinéma, n0 655, avril 2010, p. 6-9.
24
Dick Tomasovic, Le Corps en abîme : sur la figurine et le cinéma d’animation, Pertuis, Rouge profond,
2006, 142 p.
25
Robert Vrielynck, Le Cinéma d’animation avant et après Walt Disney : un panorama, Bruxelles, Les
ateliers dřart graphique Meddens, 1981, 210 p.
6
Burton26, etc. Pour Švankmajer, nous nous appuierons, en partie, sur Sigmund Freud27.
Nous verrons aussi des notions liées au surréalisme dans divers ouvrages tel celui de
Coombs : Studying Surrealist and Fantasy Cinema28.
Pour nos analyses, nous avons choisi dřexpérimenter une théorie de Deleuze Ŕ qui a été, à
notre connaissance, rarement exploitée Ŕ, soit la notion dřidée, de rencontre. Dans lřarticle
« Qu’est-ce que l’acte de création? », le philosophe sřinterroge :
Quřest-ce qui fait quřun cinéaste a vraiment envie dřadapter, par exemple, un
roman? Il me semble évident que cřest parce quřil a des idées en cinéma qui
résonnent avec ce que le roman [recèle] comme idées [de] roman. Et là se
font souvent de très grandes rencontres29.
Tout comme le concept, dans Qu’est-ce que la philosophie?30, lřidée nřest pas toute faite.
Bien quřune idée de roman ou de cinéma ne soit pas un concept (idée philosophique), les
trois demandent le même effort de création à lřartiste et au philosophe :
« […] dřune part, les concepts ne sont pas donnés tout faits, ils ne préexistent
pas : il faut inventer, créer les concepts, et il y a là autant de création et
dřinvention quřen art ou en science. […] Cřest que, dřautre part, les concepts
ne sont pas des généralités dans lřair du temps.31 »
Il en va de même pour les arts.
Pour Deleuze, que ce soit en science, en philosophie ou en art, avoir une idée est un
événement rare. Par ailleurs, lřidée ne crée pas en général, puisque toujours vouée à un
26
Jacques Aumont et Bernard Benoliel (dir.), Le Cinéma expressionniste : de Caligari à Tim Burton, Rennes,
Presses universitaires de Rennes, 2008, 225 p.
27
Sigmund Freud, L’Inquiétante Étrangeté et autres essais, Paris, Gallimard (coll. Folio/essais), 1985 pour la
présente édition, 342 p.
28
Neil Coombs, Studying Surrealist and Fantasy Cinema, Leighton Buzzard, Auteur, 2008, 160 p.
29
Gilles Deleuze, « Quřest-ce que lřacte de création? », dans Deux Régimes de fous, Paris, Les Éditions de
minuit, 2003, p. 295.
30
Gilles Deleuze et Félix Guattari, Qu’est-ce que la philosophie?, Paris, Les Éditions de Minuit, 2005, 219 p.
31
Gilles Deleuze, et Claire Parnet, « Entretien sur Mille Plateaux », dans Pourparlers, Paris, Flammarion,
1996, p. 48.
7
domaine particulier, que ce soit les sciences, la philosophie ou les domaines artistiques.
Lřidée est donc précise. De plus, lřidée, puisquřelle ne peut être générale, demande aussi un
effort, un travail, car elle nřapparaît pas par elle-même dans le Ciel des idées. On doit la
créer. Or, par sa nature dřobsession, elle répond à une nécessité. Deleuze le dit : « Un
créateur ne fait que ce dont il a absolument besoin32. » Lřidée esthétique, tout comme le
concept en philosophie, répond alors à un besoin, à une nécessité quřa le créateur ou le
philosophe. Certaines idées, celles que nous nommons obsessions, sont un mouvement qui
sřapplique à lřensemble de lřœuvre du créateur et non seulement à un film en particulier.
Cřest pourquoi nous avons choisi dřintégrer cette notion, dřautant plus que Deleuze
mentionne lui-même quřune idée est obsédante33.
Ce que Deleuze entend par idées, ce « sont des images qui donnent à penser34. » Et dans
chaque art, lřimage, lřidée créée est inséparable de sa technique (rappelons que lřidée est
vouée à un domaine particulier). Le « fond » et la « forme » sont liés puisquřune pensée
concrète nřexiste que dans une image précise et le moyen pris pour la réaliser dans telle ou
telle matière de lřexpression : « couleurs et lignes pour la peinture, sons pour la musique,
descriptions verbales pour le roman, images-mouvement pour le cinéma35. » Pour Deleuze,
les pensées ne sont aucunement séparables des images. Chaque pensée abstraite ne saurait
être réalisée dans un autre art, puisquřelle nřexiste que par cette image et le moyen pris
pour la créer. Mais bien que le fond et la forme dřune image soient indissociables, des idées
exploitées dans différents arts peuvent se rencontrer, et cřest la raison présumée du désir
dřadaptation dřun roman par tel cinéaste selon Deleuze36. Pour lui, il y a des liens entre les
arts, la science et la philosophie, quřil place sur un pied dřégalité, car toutes ces disciplines
sont aussi créatrices les unes que les autres. « Le véritable objet de la science, cřest de créer
des fonctions, le véritable objet de lřart, cřest de créer des agrégats sensibles et lřobjet de la
philosophie, créer des concepts37. »
32
Ibid., p. 292.
Gilles Deleuze, « Quřest-ce quřun acte de création? », dans Deux Régimes de fous, op. cit., p. 291-304.
34
Gilles Deleuze, « Cinéma-1, Première », dans Deux régimes de fous, op. cit., p. 194.
35
Id.
36
Nous verrons, en page 11, que Bazin rejoint aussi cette idée de Deleuze.
37
Gilles Deleuze, et Claire Parnet, « Les Intercesseurs », dans Pourparlers, op. cit., p. 168.
33
8
À partir de ces catégories (fonctions, agrégats sensibles et concepts), Deleuze remarque
que, malgré des rythmes et mouvements différents, il peut se créer des échos, des
résonances, des rapprochements formels, structurels, thématiques; il est possible que les
disciplines se rencontrent. Ces rencontres peuvent être évidentes (volontairement créées par
lřartiste dans certains cas) ou elles peuvent être remarquées par lřanalyste, car la rencontre
sřest plus ou moins faite à lřinsu du créateur. Deux exemples sont donnés par Deleuze. Un
exemple dřune rencontre évidente serait celui de Kurosawa et de son adaptation de
Dostoïevski : tous les personnages de Kurosawa sont dans lřurgence, mais pour une raison
qui nřest pas celle que lřon croit. Il en va de même pour ceux de Dostoïevski. Si Kurosawa
peut lřadapter, cřest quřil a une idée commune, un problème commun, ou pour être plus
précis, des idées qui sřapparentent. Lřexemple dřune rencontre établie par lřanalyste
(Deleuze) est celle de Bresson et des espaces riemanniens en mathématiques :
[…] ce type[s] dřespace[s] implique[nt] la constitution de petits morceaux
voisins dont le raccordement peut se faire dřune infinité de manières et cela a
permis, entre autres, la théorie de la relativité. Maintenant, si je prends le
cinéma moderne, je constate quřaprès la guerre apparaît un type dřespace qui
procède par voisinages, les connexions dřun petit morceau avec un autre se
faisant dřune infinité de manières possibles nřétant pas prédéterminées, ce
sont des espaces déconnectés. Si je dis : cřest un espace riemannien, ça a lřair
facile et pourtant cřest exact dřune certaine manière. Il ne sřagit pas de dire :
le cinéma fait ce que Riemann a fait. Mais, si lřon prend uniquement cette
détermination de lřespace : voisinages raccordés dřune infinité de manières
possibles, voisinages visuels et sonores raccordés de manière tactile, alors,
cřest un espace de Bresson. Alors, bien sûr, Bresson nřest pas Riemann, mais
il fait dans le cinéma la même chose qui sřest produite en mathématiques et il
y a écho38.
Des idées de différents domaines, ici les mathématiques et le cinéma, peuvent donc se
rencontrer tout comme lřidée dřun roman peut entrer en écho avec une idée de cinéma.
Mais ces idées, prises individuellement, sont autonomes et complètes en raison de leur
médium particulier. Ces idées transmettent avec lřœuvre des percepts et des affects produits
38
Ibid., p. 169.
9
par lřartiste. Lřart, toujours selon Deleuze, est le langage des sensations et ce langage passe
selon le médium utilisé (couleurs, mots, etc.). « Lřart défait la triple organisation des
perceptions, affections et opinions, pour y substituer un monument composé de percepts,
dřaffects et de blocs de sensations qui tiennent lieu de langage39. » Et si les percepts se
substituent aux perceptions, cřest que les percepts ne sont pas des perceptions. En effet, les
percepts sont des ensembles de sensations « et de relations qui survivent à celui qui les
éprouve. Les affects ne sont pas des sentiments, ce sont des devenirs qui débordent celui
qui passe par eux (il devient autre)40. » Deleuze cite Malraux alors que ce dernier dit que
lřart est la seule chose qui résiste à la mort. Il prend alors comme exemple une statuette
vieille de trois mille ans avant notre ère que lřon peut toujours observer, car le matériau
supporte encore lřœuvre. Mais il va plus loin que Malraux en ajoutant que « ce qui se
conserve, la chose ou lřœuvre dřart, est un bloc de sensations, c’est-à-dire un composé de
percepts et d’affects41. » Prenons, par exemple, La Joconde créée par Leonard de Vinci. Ce
dernier, en peignant, a créé des percepts et des affects qui sont encore perceptibles
aujourdřhui alors que lřartiste et son modèle sont morts depuis longtemps. Pourquoi? Parce
que lřœuvre dřart transmet ces affects, ces percepts et ces blocs de sensation qui permettent
aux lecteurs, aux spectateurs, de ressentir des émotions et avoir des perceptions créées par
le peintre, lřécrivain, le cinéaste, etc. Donc si les idées de roman rejoignent les idées de
cinéma, cřest quřelles se composent dřaffects et de percepts semblables. Il y a écho, entre le
roman et le cinéma. Chaque adaptateur, qui sera lecteur de lřœuvre quřil veut adapter, sera
interpellé par telle ou telle idée de roman particulière, car celle-ci entrera en résonnance
avec ses propres idées de cinéma. De la même façon, lorsque nous lisons un livre, nous
interprétons les choses différemment puisque notre compréhension est individuelle. La
perception de ce quřest une rencontre sera donc particulière à chacun et chaque lecteur aura
une opinion différente quant à déterminer ce qui est, pour lui, une rencontre réussie ou non
entre le roman et le film.
39
Gilles Deleuze et Félix Guattari, Qu’est-ce que la philosophie?, op. cit., p. 166.
Gilles Deleuze et Claire Parnet, « Sur la philosophie », dans Pourparlers, Paris, Flammarion, 1996, p. 187.
41
Gilles Deleuze et Félix Guattari, Qu’est-ce que la philosophie?, op. cit., p. 154.
40
10
Les versions de Disney, Švankmajer et Burton découlent de ce que Deleuze appelle, dans
son texte « Quřest-ce quřun acte de création? », des « rencontres »42. Non pas que les autres
adaptations soient inintéressantes (par exemple, Alice in Wonderland de Nick Willing en
1999, celle de Cecile M. Hepworth et Percy Stow en 1903, etc.), mais elles nřinterviennent
pas autant en tant que réécritures personnelles. Elles résultent dřune simple mise en image
du texte de Lewis Carroll. Les œuvres choisies, au contraire, sont des « rencontres », ce que
Deleuze nomme des « idées ». Idées de roman, mais aussi idées de cinéma. Selon Deleuze,
lřidée […] traverse toute activité créatrice. Créer, cřest avoir une idée. Cřest très
difficile dřavoir une idée. Il y a des gens qui vivent toute leur vie sans [en] avoir une.
Avoir une idée cřest dans tous les domaines. Un peintre nřa pas moins dřidée quřun
philosophe, seulement, ce nřest pas le même genre dřidée. Lřidée, en philosophie, se
présente sous forme de concept et il y a création de concept. On ne [les] découvre
pas, on les crée […] Les idées, cřest très obsédant. Cřest comme des choses qui vont,
qui viennent, qui sřéloignent et puis qui prennent diverses formes. Mais à travers ces
diverses formes si variées soient-elles, elles sont connaissables43.
Avoir une idée, donc, serait un événement plutôt rare, car elle sort des lieux communs.
Lřidée se démarque puisquřelle est nouvelle. Elle ne se situe pas seulement au niveau de
lřesthétique ou du style; une idée, cřest tout ce quřun artiste peut créer et qui lui survit.
Nous pouvons dire que ce sont des formes qui sřarticulent avec des significations mises en
place par le cinéaste. Lřaccent peut être mis, soit sur la forme, soit sur le contenu, bien que
les deux niveaux soient toujours présents. Par exemple, le montage-attraction dřEisenstein
(une forme qui sřarticule avec un contenu de choc esthétique), le faux coupable
dřHitchcock (contenu qui sřarticule avec le suspense comme forme) ou encore la
profondeur de champ de Welles (forme qui dénote lřambiguïté du réel) démontrent ces
deux niveaux. Bazin, qui rejoint Deleuze sur ce point, a formulé sur le fait que le fond au
cinéma nřest jamais séparable de la forme :
Mais il faut, ici encore, se garder de croire que ce quřon appelle conventionnellement
le « fond » jouit, fut-ce même virtuellement, dřune existence indépendante des
moyens dřexpression qui nous le rendent sensible. Stroheim eût sans doute été
42
43
Gilles Deleuze, « Quřest-ce quřun acte de création? », op. cit., p. 291-304.
Pierre-André Boutang et Michel Pamart, L’Abécédaire de Gilles Deleuze, 1988, à 1 h, 10 min., 20 sec.
11
médiocre en littérature, mais son avènement à un certain moment du cinéma et le
choix même de cet art, le rend [sic] comparable aux plus grands. La portée dřun
thème, la puissance dřun sujet dépendent étroitement du temps de leur apparition
relativement à lřhistoire dřun art qui les supporte et à lřévolution des genres, cřest-àdire encore des styles. Sřil est permis de considérer Stroheim comme le marquis de
Sade du cinéma, alors que son roman Paprika nřapporte rien de bien neuf, cřest que
la grandeur et lřoriginalité dřune œuvre ne se mesure [sic] en définitive quřà
lřintérieur de lřart auquel elle appartient44.
Donc, même si Stroheim exploite des idées de roman (le naturalisme, en gros) qui existent
depuis des décennies, le fait que ce soit, par lřutilisation de la forme, des idées de cinéma
fait quřelles sont profondément originales. Et si le cinéaste a été marquant, cřest que ces
idées nřavaient jamais été explorées au cinéma et par la manière du cinéma, ce qui
transforme radicalement ces idées.
Deleuze dit que lřidée doit apporter quelque chose de nouveau. Et si nouveauté il nřy a pas,
personne ne peut en être affecté puisquřon nřen a aucune idée. De plus, le philosophe ajoute
quř« en fonction des techniques que je connais, je peux avoir une idée dans tel
domaine45. » Un écrivain aura une idée de roman, un cinéaste une idée de cinéma. Puisque
ces idées sont engagées dans un mode particulier, elles ne sauraient avoir le même aspect
dans un autre domaine. Ces idées qui se « rencontrent » ont un aspect distinct puisquřelles
passent dřun médium à un autre, cřest-à-dire du roman au cinéma. Et puisque ces médiums
sont différents, le lecteur/spectateur y verra, dans bien des cas, une rupture entre ce quřil a
lu et imaginé, et ce quřil voit représenté à lřécran. De plus, lřidée, au sens où Deleuze
lřentend, est somme toute vaste. Par exemple, lorsquřil parle de Kurosawa et de
Dostoïevski, Deleuze mentionne que les personnages de Dostoïevski ont toujours un
sentiment dřagitation, ils sont constamment pris dans des urgences. Ce sentiment de
Dostoïevski rejoint ce même sentiment dřurgence de Kurosawa. Il sřagit donc, ici,
dřobsession, de motif, de thème. Les idées proposées lors de notre analyse ne seront donc
pas seulement les résonances, les « rencontres », ce seront aussi les obsessions, les thèmes,
motifs récurrents présentés par les divers réalisateurs.
44
45
André Bazin, Le Cinéma de la cruauté, Paris, Flammarion, 1975, p. 24-25.
Gilles Deleuze, « Quřest-ce quřun acte de création? », op. cit., p. 291.
12
Quand la critique sřattaque à lřadaptation, il est surtout question de « fidélité » à lřœuvre
initiale. Le film est souvent analysé sous ce seul rapport au livre, sans que lřanalyste ne se
pose de questions profondes sur la transition dřun médium à lřautre. Cřest pourtant un point
très important, puisque la transposition impose un changement drastique dans lřesthétique,
la narration et lřambiance de lřœuvre adaptée. Le terme de « fidélité » connoterait lřidée
très morale que pour le spectateur, le film ne donne pas la même impression que le livre,
lřadaptation étant sommée de ne pas trahir notre lecture préalable46. Mais le simple exercice
dřadaptation est une reconstruction de la perception très personnelle dřun lecteur-créateur,
reconstruction émanant de ce quřil a lu et compris. Comme lřont dit Jeanne-Marie Clerc et
Monique Carcaud-Macaire dans L’adaptation cinématographique et littéraire,
lřéloquence de ce réquisitoire contre les « trahisons » du cinéaste est assez
significative dřune attitude couramment adoptée à lřégard de la transposition
cinématographique. On attend dřelle quřelle soit lřexacte illustration des mots, la
traduction littérale des descriptions, on veut y entendre lřécho sonore des paroles
attribuées par le romancier aux personnages. Enfin, on exige le même rythme
narratif, la même histoire, mais aussi le même discours que celui qui est véhiculé par
le langage romanesque. Sans se douter que chacun de ces éléments nřa dřexistence
que réfracté dans lřimaginaire du lecteur : travail sur des signes arbitraires, le roman
ne peut que reconstituer lřillusion dřun contenu référentiel à laquelle le lecteur
apporte ses propres capacités créatrices, son expérience et sa mémoire. Cela nřest
jamais « tout fait » pour le cinéaste, qui lui-même est dřabord un lecteur. Son film
obéira à lřappropriation personnelle quřil se sera faite dřun texte […]47.
Ainsi, le cinéaste est dřabord et avant tout un lecteur qui perçoit. Sa lecture est donc teintée
de ses expériences passées et de toutes ses lectures précédentes. Il a des idées de cinéma qui
entrent en résonance avec les idées de roman. La fidélité ou la trahison sont des termes
souvent évoquées, alors quřil devrait plutôt être question de personnalisation dřun texte
adapté, et donc modifié.
Une œuvre nřest jamais « fixe » puisque ce qui en ressort est lřexpérience du lecteur,
lecture effectuée à lřaide dřun bagage personnel se répercutant sur la diégèse. Chaque
46
Robert Stam aborde ce concept dans son article, « Novel and Film : The Theory and Practice of
Adaptation », dans Leonardo Quaresima et Laura Vichi (dir.), La Decima musa. The Tenth Muse. Il cinema e
le altre arti. Cinema and Other Arts, Udine, Forum, 2001, p. 441-457.
47
Jeanne-Marie Clerc et Monique Carcaud-Macaire, L’Adaptation cinématographique et littéraire, Paris,
Klincksieck, 2004, p. 25.
13
relecture dřune même œuvre modifiera aussi la perception à travers le temps, les émotions
et les perceptions du lecteur plus mûr ne seront pas les mêmes puisque prises dans un
devenir différent. Le réalisateur/adaptateur nřéchappe pas à cet exercice, il est « agent de
lřadaptation », comme le précise Esther Pelletier dans « Création et adaptation » :
Créer pour lřartiste, cřest adapter le langage de son propre inconscient sous une
forme matérielle et artistique, laquelle pourra à son tour être transformée sous une
autre forme et investie de lřinconscient dřun nouveau créateur, agent de lřadaptation.
De plus, lřinconscient du récepteur investira à son tour lřœuvre à déchiffrer et
produira ainsi une nouvelle adaptation dans sa psyché48.
Pelletier va donc dans le même sens que Clerc et Carcaud-Macaire, soutenant quřadapter,
ce nřest pas « trahir », mais plutôt révéler sa propre vision dřune histoire en investissant son
propre inconscient dans un texte préexistant. Ce glissement de lřinconscient nřest pas
éloigné de la théorie de Deleuze (bien quřil ne fût pas fervent du freudisme) : une « idée de
cinéma » faisant la « rencontre » dřune « idée de roman ». Cřest-à-dire que ces diverses
« rencontres » dřidées varient dřun lecteur à un autre, dřun réalisateur/adaptateur à un autre.
Nous verrons que plusieurs idées de Carroll ont trouvé écho avec les trois cinéastes ayant
fait une transécriture des aventures dřAlice. Leur lecture ayant été différente, influencée par
leur inconscient individuel mélangé à leur bagage personnel, leur adaptation ne peut être
quřindividuelle. Et le lecteur/spectateur, ayant déjà expérimenté lřœuvre de départ, peut se
voir confronté à une expérience qui est autre. Cřest-à-dire que ce quřil voit « appartient » à
quelquřun dřautre, dřoù certaines déceptions ou attentes non comblées.
Cette expérience autre est aussi influencée par plusieurs facteurs extérieurs au lecteur,
comme la transition du littéraire au cinématographique. Adapter un livre au cinéma
demande donc, suivant le cas, des ajustements plus ou moins grands, mais le changement
de médium est toujours drastique.
On doit donc sřattendre à ce quřen passant dřun canal à un autre, les messages
performés à partir dřun code donné perdent une partie de leurs
48
Esther Pelletier, « Création et adaptation », dans Andrée Mercier (dir.), L’Adaptation dans tous ses états,
CRELIQ, Université Laval, 1999, p. 148.
14
caractéristiques Ŕ par exemple ici un certain type de fonctionnement des
embrayeurs Ŕ, mais gagnent en échange dřautres caractéristiques49.
Si lřécrivain peut se permettre de décrire une feuille qui tombe par terre sur un nombre X
de pages, ou de dire quřun personnage Y se souvient de sa mère sans transition quelconque,
le cinéma doit se limiter à lřextériorité de lřimage rendant lřintrospection des sentiments et
de la psychologie du protagoniste impossible. Lorsquřil nous donne à voir un souvenir ou
une pensée, cřest à lřaide de la technique du montage que le cinéaste le fait.
Autre considération importante : la restriction du temps. Cřest ce qui oblige les cinéastes
qui adaptent à faire des choix, à couper des personnages principaux, mais surtout
secondaires, des dénouements et des histoires parallèles ayant plus ou moins dřimportance
sur le déroulement de la diégèse portée à lřécran, etc. Ces choix sont aussi très personnels.
Selon François Baby, il y a trois types dřadaptations narratives : lřadaptation stricte ayant
une grande fidélité à lřœuvre originale; lřadaptation libre qui modifie lřhistoire, en ajoutant
ou transformant des éléments, sans pour autant modifier le sens et la portée du texte de
départ; et lřadaptation que lřon appellera « dřaprès »50. Cette dernière, très critiquée,
sřinspire plus ou moins directement de lřœuvre, sřéloignant trop du texte de départ. Ces
types dřadaptation reviennent donc, pour lřadaptateur/réalisateur, à effectuer des choix
selon les idées de roman qui lřinterpelle, qui entrent en résonance avec ses idées de cinéma
et avec ses obsessions personnelles. Selon sa lecture, il modifiera ou ajoutera des idées.
Mais il en retirera aussi du texte, dřune part selon ce quřil juge pertinent ou non, dřune
autre part selon les restrictions imposées par le média quřest le cinéma. Mais toutes ces
restrictions, et elles sont nombreuses, apportent aussi des gains à lřœuvre de départ.
Selon Deleuze, si les cinéastes veulent adapter un roman, cřest parce quřils ont des idées de
cinéma qui entrent en résonance avec les idées de roman51. Ces idées deviennent donc des
49
Louis Hébert et Lucie Guillemette (dir.), Intertextualité, interdiscursivité et intermédialité, Québec, Presses
de lřUniversité Laval, 2009, p. 19-20.
50
François Baby, « Du littéraire au cinématographique : une problématique de lřadaptation », dans François
Baby et al., Cinéma et récit : textes, Québec, Presses de lřUniversité Laval, 1980, p. 11-41.
51
Gilles Deleuze, « Quřest-ce que lřacte de création? », dans Deux Régimes de fous, op. cit., p. 295.
15
potentiels. Mais comment est-il possible dřobtenir une version singulière à chaque
adaptation dřun même texte? Parce que chaque cinéaste va choisir, dans le texte dřorigine,
les idées de roman quřil veut adapter et qui entrent en résonance avec les idées de cinéma
qui lui sont propres. Chaque cinéaste va donc imposer sa propre vision du roman dans un
nouveau langage, celui du cinéma. Aussi, ces idées de cinéma sont des mélanges de formes
et de contenus, dřaffects et de percepts. Deleuze dit dřun artiste quřil crée des percepts (non
des perceptions) et des affects (sentiments qui survivent à lřauteur). Comme un philosophe
crée des concepts, cřest-à-dire des pensées qui vont lui survivre, un artiste veut arriver à
construire des ensembles de perceptions qui subsisteront en tant quřœuvre dřart. Mise en
percepts et affects, la création dřun monde distinct devient partageable et suffit à lřauteur52.
Bien que la plupart des critiques parlent toujours dřun processus hiérarchique qui va du
roman au film, on peut considérer le processus inverse (et peut-être nřest-ce que cela en
vérité) : ce sont les cinéastes qui vont chercher ce qui les intéresse dans les romans, lorsque
les idées de roman « rencontrent » leurs idées de cinéma. Jeanne-Marie Clerc, dans
Écrivains et cinéma53, signale quř« il semble donc que poser le problème de lřadaptation
sous lřangle de son seul rapport avec lřœuvre initiale aboutisse à le restreindre
considérablement54. » Analyser le passage du livre au film, mais aussi la transition du film
au livre, cřest considérer le film en un tout, ce qui a pour effet de délivrer lřadaptation et
non de réduire sa portée.
Lors de ces « transpositions » peuvent survenir des obsessions du cinéaste (idées en tant
que thèmes, figures, motifs, etc.). Cřest en partie ce qui fait de lřadaptation une œuvre
singulière puisque chaque réalisateur perçoit le texte de départ différemment. Par exemple,
Burton utilise couramment lřidée narrative de héros qui sont toujours à la limite du
monstrueux. Mis de côté par la société, ils sont vus comme des êtres étranges. Il sřagit donc
dřune narration duale puisque les personnages sont seuls contre la société. Ces personnages
sont aussi doubles : une part de leur être veut faire partie de la société, les obligeant à
cadrer dans un moule qui ne leur convient pas; lřautre part refuse de sřen tenir aux
52
Gilles Deleuze et Félix Guattari, « Percept, affect et concept », dans Qu’est-ce que la philosophie?, op. cit.,
p. 154 à 188.
53
Jeanne-Marie Clerc, Écrivains et cinéma, Paris, Université de Metz, 1985, 347 p.
54
Ibid., p. 30.
16
conventions préétablies. Quant à lui, Švankmajer soutient que les obsessions prennent une
grande place dans le cinéma, surtout dans le sien : « Il y a des lieux obsédants tout comme
il y a des thèmes obsédants. Et parmi ces thèmes, le plus important pour moi est celui de la
cave. Parce que cřétait vraiment une souffrance, lorsque petit, je devais y descendre. La
cave qui est dans Alice et qui sera bien sûr dans Otesanek, cřest la cave de ma jeunesse55. »
Cřest donc dire quřune obsession peut faire partie intégrante dřune œuvre tirée dřune
adaptation. Bien quřelle puisse être liée à un thème, lřobsession peut aussi être liée à la
forme. Parlant de lřanimation, Švankmajer dit quřil nřaime pas les nouvelles techniques par
ordinateur « parce que quelque chose y manque, cřest trop parfait. La technique est trop
voyante. Alors que dans lřanimation manuelle, cřest moins précis. Il y a beaucoup de
petites imperfections, de petites erreurs. Et pour moi, ces erreurs sont importantes parce
quřelles rendent le film subjectif56. » La technique de Švankmajer fait pleinement partie de
sa démarche artistique et il est parfaitement reconnaissable à travers ses divers films. Pour
Deleuze, rappelons-le : « Un créateur, ce nřest pas un être qui travaille pour le plaisir. Un
créateur ne fait que ce dont il a absolument besoin57. » Émerge alors un cinéma dřauteur
permettant de reconnaître le créateur, et non pas seulement sa création. Cřest ce qui permet,
en partie, lřadaptation de diverses versions singulières dřun seul et même roman. La visée
de cette étude est de voir comment, à travers ce concept dř« idées » chez Deleuze, les trois
adaptations choisies dřAlice in Wonderland sont fondamentalement différentes de lřœuvre
originale.
Une autre des dimensions de ces films est importante : la croyance au statut de réalité des
images. PuisquřAlice a comme propos la différence entre la réalité (sa vie en société) et
lřimaginaire (le pays des merveilles), il est intéressant de constater que chacun des films
analysés construit un rapport très différent, au niveau du médium, quant à la réalité de ces
images. On le sait, le médium du roman crée des effets de réel par les mots, signe arbitraire
dont la matière de lřexpression est non iconique. Le cinéma, lui, crée une impression de
réalité grâce à des images généralement prises dans le réel. Comme nous venons de le
55
Les Chimères des Švankmajer, Bertrand Schmitt, Michel Leclerc, 2001, à 20 min., 11 sec.
Ibid., à 17 min., 3 sec.
57
Gilles Deleuze, Deux régimes de fous, op. cit., p. 294.
56
17
mentionner, les différentes technologies ou techniques ont différentes relations avec le réel
et sa représentation. Mais lřimpression de réalité est avant tout une question de perception.
Nous retrouvons ici lřimpression de réalité, phénomène de grande conséquence
esthétique, mais dont les assises sont dřabord psychologiques. Ce sentiment si direct
de crédibilité joue aussi bien pour les films insolites ou merveilleux que pour les
films « réalistes ». Une œuvre fantastique nřest fantastique que si elle convainc
(sinon, elle est simplement ridicule), et lřefficacité de lřirréalisme au cinéma tient à
ce que lřirréel y apparaît comme réalisé58.
Or, les trois films analysés ont une relation au référent très différente. Ainsi, le dessin
animé (Disney) ne représente pas, à proprement parler, la réalité puisquřil sřagit de dessins
donnant lřillusion de la vie par la seule mise en mouvement de lignes. Même sřil représente
des dessins, et non des personnages de chair et dřos ayant été filmés, le dessin animé peut
paraître très réel. Cřest parce que le mouvement est une clé essentielle à lřimpression de
réalité quřil peut être réaliste à plusieurs occasions.
À lřinverse, chez Švankmajer, lřanimation en stop-motion est faite en prise de vues réelle
qui génère une indicialité59 : la caméra a réellement enregistré le profilmique, ce qui est
paradoxal puisquřil sřagit dřobjets ou dřanimaux morts, auxquels on redonne vie par
lřillusion de mouvement. Chez Burton, le mélange dřimages réelles, de motion capture et
dřimages de synthèse vient brouiller lřindicialité. Alain Boillat explique dřailleurs fort bien
lřimpression de réalité et la relation indicielle qui sřy joint :
Il est vrai que certaines composantes de lřimage cinématographique la prédisposent à
référer au réel, premier pas vers cette substitution illusoire qui consiste à se faire
passer pour la réalité en occultant son propre statut de représentation. Même si cette
image nřest quřun simulacre, une réalité tout écranique, nombre de ses qualités lui
permettent de se rapprocher de ce quřest lřexpérience perceptive « réelle » des
individus devenus spectateurs. […] De plus, comme la photographie, cette image a
un statut dřindice, cřest-à-dire quřelle constitue une trace du référent avec lequel elle
58
Christian Metz, Essais sur la signification au cinéma : tome 1, Paris, Éditions Klincksieck, 1971, p. 15.
Nous faisons référence à lřindicialité telle quřinterprétée par André Gardies et Jean Bessalel dans 200 motsclés de la théorie du cinéma, Paris, Les Éditions du Cerf, 1992, 221 p. Les auteurs sřinspirent de la définition
donnée par Pierce en disant que « les indices se caractérisent par la nature particulière du lien quřils ont avec
les objets quřils dénotent. […] le signe indiciel est ou a été à un moment donné du temps en contact physique
avec son référent et que celui-ci est à son origine directe : la fumée est le signe indiciel du feu, [etc.]. », p.
189.
59
18
a véritablement été en contact, de sorte que le spectateur ressent une proximité plus
grande entre représentation et représenté60.
Bien sûr, cette relation indicielle, telle quřexpliquée par Alain Boillat, sřapplique à la prise
de vues réelle, car en lien avec le profilmique. Cřest-à-dire que les éléments filmés y ont
été placés dans ce seul et unique but. Le dessin animé ne saurait donc avoir cette
composante dřimages prédisposées à référer au réel. Tout comme dans la motion capture
(Burton), on ne garde que ce qui nous intéresse de la totalité du réel profilmique. Cette
dernière technique prend le mouvement dřun être, ou dřun élément, en temps réel afin de
lřenvoyer dans un monde de synthèse. Ce dernier a été créé pour recevoir lřaction des
personnages filmés. La relation indicielle est, ici, encore présente, mais en partie
seulement. Quant à lřimage de synthèse, elle recrée un univers et/ou un personnage en
entier. Cette technique nřest en rien comme le dessin animé, puisquřelle tente de réaliser
lřimage la plus réaliste possible. Elle sřévertue à donner une illusion réaliste, bien que nous
sachions pertinemment, par exemple, quřun dragon nřexiste pas dans le réel.
Afin de répondre à notre question : « Comment est-il possible dřobtenir une version unique
à chaque adaptation dřun même texte? », nous nous questionnerons à savoir comment les
résonnances ajoutent, retranchent et participent à ces différentes adaptations dřune même
œuvre. Nous avons donc pris diverses versions cinématographiques dřun roman porté à
lřécran, celui de Lewis Carroll, et engendrant des visions différentes et personnelles. Nous
tenterons de prouver que la singularité des adaptations est possible grâce aux idées de
roman et de cinéma en allant des choix esthétiques (le surréalisme de Švankmajer,
lřexpressionnisme de Burton, etc.), aux procédés cinématographiques (animation
traditionnelle pour Disney, stop-motion pour Švankmajer, image de synthèse pour Burton)
en passant par les choix narratifs (joindre Alice in Wonderland et Through the LookingGlass par exemple). Il ne sřagira pas de comparer les différentes versions, mais bien de les
analyser individuellement afin de faire ressortir leur originalité propre. Le médium
lřimposant, nous ne pouvons séparer le statut des images du procédé. La forme et le
contenu seront donc analysés à différents niveaux pour chacune des versions. En plus de
voir comment certaines idées de cinéma, des divers réalisateurs, « rencontrent » les idées de
60
Alain Boillat, La Fiction au cinéma, LřHarmattan, Paris, 2000, p. 35.
19
roman de Carroll, nous verrons comment les idées de cinéma ajoutées ou modifiées
permettent aux cinéastes dřen faire une œuvre dřautant plus personnelle puisquřelle puise
dans leurs obsessions. En dernier, nous verrons que lřadaptation participe aussi à une
sélection en retirant certains éléments de lřœuvre de Carroll, ce qui démontre quřadapter
revient à faire une lecture partiale et partielle dřun texte.
20
Alice in Wonderland, Walt Disney, 1951
Alice, Alice et… Disney
Walter Elias Disney est né le 5 décembre 1901 à Chicago. Il lance, dès 1922, sa propre
maison dřanimation : la « Laugh-O-Grams ». Son équipe est constituée dřun des noms qui
lřaccompagnera pendant plusieurs années : Ub Iwerks. Disney montre un intérêt marqué
pour Alice au pays des merveilles et il est déterminé à adapter les contes de Carroll dès
1923. Avec lřaide de ses confrères, Disney tente donc lřexpérience avec un premier court
métrage. Iwerks travaillera sur les Alice Comedies, série de courts métrages, qui seront
produits de 1923 à 1927. Il mettra en scène une jeune actrice, de chair et dřos, dans un
monde animé.
Malgré tous leurs efforts, la compagnie de Kansas City éprouve des difficultés financières
rapidement. Le commanditaire du premier Alice Comedies nřayant pas payé sa part, la
« Laugh-O-Grams » déclare faillite en 1923. Décidé à réussir, Disney part pour Hollywood.
Cřest avec son frère Roy quřil monte sa seconde compagnie : le « Disney Brothers
Studio ». À Hollywood, il trouvera des commanditaires afin de produire la suite de ses
Alice Comedies. En 1926, la compagnie des deux frères change de nom pour les « Walt
Disney Studios », devenue aujourdřhui « The Walt Disney Company ». Comme nous
lřavons mentionné, la série des Alice Comedies durera de 1923 à 1927. Malheureusement,
ce nřest pas cette Alice qui deviendra populaire. Peut-être parce quřil ne sřagit pas vraiment
dřune adaptation des contes de Carroll, mais simplement dřune petite fille « réelle » qui
évolue dans un monde animé. De plus, les histoires mises en scène nřont presque aucun lien
avec les vraies aventures dřAlice. Disney se voit plutôt récompensé par la plus célèbre des
souris : Mickey Mouse. Ce qui est considéré comme le premier dessin animé avec du son
synchronisé, Steamboat Willie, en 1928, lance véritablement sa carrière de producteur. Son
personnage détrône même le chat animé le plus populaire de lřépoque : Félix61.
61
Les diverses informations sont prises dans les ouvrages de Giannalberto Bendazzi, Le Film d’animation :
du dessin animé à l’image de synthèse, Grenoble, La pensée sauvage, 1985, 190 p. et Bernard Génin, Cinéma
d’animation : dessin animé, marionnettes, images de synthèse, Paris, Cahiers du Cinéma, 2003, 95 p.
22
Alice in Wonderland est le dix-septième long métrage animé de la compagnie Disney. Dès
sa sortie, lřéchec est cuisant. Celui-ci est expliqué par le chef animateur de chez Disney,
Marc Davis : « Alice elle-même ne nous offrait aucune possibilité. Prenez une gentille
petite fille et mettez-la dans une maison de fous, il ne se passe rien. Si au moins elle avait
eu son chat avec elle, ou quelque chose du genre. Mais elle nřavait rien, elle rencontrait
toute une série de détraqués, cřest tout62. » Et pourtant, Disney avait fait ses preuves avec
multiples courts et longs métrages avant Alice, en 1951. Il nřy a quřà penser à BlancheNeige et les sept nains de 1937, Pinocchio de 1940, Dumbo en 1941, Bambi en 1942, sans
oublier la célèbre Cendrillon en 1950. Les films qui suivront seront de francs succès : Peter
Pan, 1953, La Belle et le Clochard, 1955, La Belle au bois dormant, 1959, etc. Et la liste
continue, même après la mort du cinéaste producteur.
La version de 1951 nřest pas réalisée, à proprement parler, par Walt Disney. Il est important
de comprendre que le rôle de Disney est celui dřun chef dřorchestre, de producteur. Il ne
dessine plus depuis bien des années déjà et confie ses projets à des hommes de confiance.
Afin de mener à terme Alice au pays des merveilles, il reforme lřéquipe responsable du
succès de Cendrillon qui avait marqué le retour de Disney dans la course aux longs
métrages. Se réunissent alors Clyde Geronimi, Wilfred Jackson et Hamilton Luske, sous la
direction de Disney. Le film est dřabord filmé avec les acteurs, afin de donner lřinspiration
nécessaire aux dessinateurs. Dans un souci dřhumanisation, Disney donne aux personnages
des traits similaires aux acteurs qui leur prêtent voix (Alice, le Chapelier, la Reine de Cœur
et les deux Tweedles) : Kathryn Beaumont63, Ed Wynn64, Verna Felton65 ainsi que J. Pat
OřMalley66. Plusieurs chansons sont aussi écrites pour le film. Certaines dřentre elles ne
seront pas intégrées au film, mais le décompte final sřélève au nombre impressionnant de
dix-huit. Un record chez Disney! Participent à lřécriture, et aux arrangements, Oliver
62
Florence Livolsi, « Alice de lřautre côté de lřécran : Les méthodes de lřadaptation », dans Contes et
légendes à l’écran, Condé-sur-Noireau, Corlet éditions Diffusion, 2005, p. 165.
63
Voir annexe 1, p. 184.
64
Id.
65
Voir annexe 1, p. 186.
66
Voir annexe 1, p. 185.
23
Wallace, Bob Hilliard, Sammy Fain, entre autres. Ces chansons sont activement présentes
dans le film et il sera intéressant de voir comment elles modifient lřœuvre de Carroll.
Disney, type d’adaptation du conte de Carroll, dessin animé et
impression de réalité
Disney, autant la compagnie que lřhomme, aime mettre en image des contes. Et cřest sans
surprise quřil tente une seconde fois dřadapter les écrits de Carroll, ceux-ci regorgeant
dřimagination. Carole Aurouet explique, dans son ouvrage Contes et légendes à l’écran67,
que le conte littéraire traditionnel remonte à lřoralité. Mais il subira des transformations
majeures quant à son accessibilité lorsquřil passera à lřécrit, il deviendra, alors, un objet
élitiste. Que lřon soit pro ou anti-disneyen, lřon doit se rendre à lřévidence : cřest ce géant
de lřindustrie cinématographique qui a redonné le conte au peuple. Mais à quel prix? Car
même sřil a participé à la popularisation du conte auprès de la masse populaire, il a aussi
simplifié et réduit la portée morale et intellectuelle du genre.
le cinéma de Disney, purement hollywoodien, est basé sur le star-system, voué à la
confection luxueuse de produits de masse, bâti sur de grands stéréotypes. Cinéma
d’entertainment qui pouvait être fait avec « art », mais détestait lřidée dřêtre « de
lřart ». Disney lui-même revendiqua toujours avec lucidité son choix, parlant des
films faits pour les enfants, sans ambitions culturelles ni intellectuelles […] et
nřayant pas leur place dans les cinémas dřessai68.
En bref, Walt Disney, avec son équipe, a fait ses films de façon homogène, réduisant ses
personnages à des stéréotypes créés à la chaîne. En effet, il a effectué un lissage en ce qui a
trait aux jeux de mots et de la violence psychologique. Pour y arriver, il normalise les
péripéties dřAlice et met en place une chronologie continue. Lřœuvre de Dodgson étant loin
dřêtre linéaire, le nonsense représente un défi de taille pour Disney qui retranche beaucoup
dřéléments du texte.
67
Carole Aurouet, Contes et légendes à l’écran, Condé-sur-Noireau, Corlet éditions Diffusion, 2005, 285 p.
Giannalberto Bendazzi, Le Film d’animation : du dessin animé à l’image de synthèse, Grenoble, La pensée
sauvage, p. 110.
68
24
Les changements que cette linéarité entraîne nous ramènent au type dřadaptation.
Rappelons brièvement, avant de commencer lřanalyse proprement dite, la réflexion de
François Baby sur lřadaptation. La transécriture faite par Disney est dite libre. Cette
adaptation est caractérisée par des ajouts, des conservations et des retraits, sans pour autant
transformer complètement lřœuvre de départ. Le film de Disney se situe entre lřadaptation
stricte, dite fidèle au texte originel, et celle dite « dřaprès », soit celle qui sřéloigne le plus
des éléments du texte afin de devenir autre. Lřœuvre de Disney se situe donc à mi-chemin.
Il a décidé dřamalgamer Alice au pays des merveilles et De l’autre côté du miroir.
Bien quřau départ Disney ait voulu faire une version mixant prise de vues réelles et dessin
animé, les embûches ont rapidement eu raison de lui. Il optera tout simplement pour ce
quřil connaît le mieux : le dessin animé. Du côté de lřimpression de réalité, cřest un
avantage incontestable puisquřil nřy a aucune relation indicielle avec le réel. Bien quřil y
ait tout de même un souci de réalisme : le conte de Carroll, conjoint à lřanimation
traditionnelle de Disney, nous projette très aisément dans lřunivers du merveilleux, grâce à
cette absence de relation indicielle.
Alors que le cinéma de vue réelle doit prendre dřinfinies précautions pour nous
embarquer dans lřimaginaire et nous emmener progressivement des rivages familiers
et rassurants du quotidien vers les terres inconnues du rêve ou des mondes virtuels,
le premier plan dřun film dřanimation nous installe aussitôt de lřautre côté du
miroir69.
Sřil est si simple pour lřenfant, comme pour beaucoup dřadultes, dřadhérer aux « terres
inconnues », cřest grâce à lřanimation. Imitation et illusion de la vie, la composition de
lřimage est une mise en mouvement de lignes. Et comme nous lřavons mentionné, Disney a
un certain souci du réalisme. Il filme dřabord de vrais acteurs, afin de donner aux
animateurs de lřinspiration, pour ensuite transformer la prise de vues réelles en dessin. Un
des seuls personnages ayant eu droit à un semblant de rotoscopie fut Alice; et ce afin de se
69
Jean-Pierre Pagliano, « Cinéma dřanimation : du conte de fées au conte défait », dans Contes et légendes à
l’écran, op. cit., 2005, p. 57.
25
rapprocher le plus possible des proportions de Kathryn Beaumont. Lřidentification du
spectateur à certains personnages est donc aisée. Dřune part, on a affaire à un modèle qui a
lřair assez humain pour nous identifier un tant soit peu à lui. De lřautre, malgré lřabsence de
référent au réel, le tout a lřair assez réaliste pour y croire. Contrairement à lřimage de
synthèse informatisée, les techniques manuelles des années cinquante exigent beaucoup de
patience.
Le conte de Carroll offrait énormément de pistes à explorer. La conjonction, entre son texte
et le dessin animé, semblait donc idéale. Intervint entre Disney et Dodgson, la notion de
« rencontre » dřidée de Deleuze. Parce que bien que ce soit une idée de studio, plus que
dřauteur, Alice nřavait jamais rencontré son double animé avant Disney, à notre
connaissance du moins. Avec sa technique sur cellulo Ŕ feuille de plastique transparente, où
le mouvement dřun personnage est dessiné, déposée sur un décor peint sur papier : « […]
Disney fut le seul paramètre existant [pendant plusieurs années]. Non seulement il vainquit
la concurrence, mais il lřeffaça. Dans la conscience des spectateurs, il fut accepté comme
lřunique modèle possible de lřanimation70. » Disney semblait être lřanimateur producteur
idéal afin de réaliser la « rencontre » entre lřanimation traditionnelle et le conte carrollien.
La coloration saturée des images, les décors magnifiquement dessinés et les mouvements
fluides nous transportent aisément dans le monde merveilleux de Carroll. Cřest avec le
public hippie des années soixante que le film est considéré comme un « classique » de
Disney. Et bien que le film soit aujourdřhui très prisé par toutes les couches de la société,
pour son esthétisme haut en couleur entre autres, la réception fut toute autre en 1951. Les
films de Disney étaient alors tellement populaires que le public avait des attentes très
élevées. Malgré tous les efforts, ce fut une critique et un public déçus qui ressortirent de la
salle de projection. Pourquoi? Ce nřest pas tant lřesthétique et la technique que les choix
narratifs faits par le studio qui déçoivent. Ceux-là mêmes qui avaient applaudi Blanche
Neige et les sept nains ont boudé le film dès sa sortie.
70
Giannalberto Bendazzi, Le Film d’animation : du dessin animé à l’image de synthèse, Grenoble, La pensée
sauvage, 1985, p. 114.
26
Les idées de cinéma des réalisateurs et les idées de conte de Carroll
qui se « rencontrent »
Comme nous lřavons brièvement expliqué, lřadaptation de Disney est narrativement libre
puisquřelle conjugue les deux volets dřAlice. Les personnages sřentremêlent, au même titre
que les péripéties. Rappelons, brièvement, la notion dřidée de Deleuze. Il dit quřune idée
est engagée dans un mode dřexpression particulier. Cřest-à-dire quřune idée de roman et
une idée de cinéma ne sauraient avoir le même aspect puisquřelles appartiennent à deux
médiums différents. Cependant, elles peuvent entrer en résonance; et cřest pour cette
raison, toujours selon Deleuze, que les cinéastes veulent adapter71. Beaucoup plus rares que
les idées quřil a su transformer et supprimer, certaines idées de Disney ont « rencontré »
celles de Carroll. Certaines ont dřailleurs attiré notre attention puisquřelles apportent la
même ambiance que celle créée par Carroll. Il ne faut pas se méprendre, malgré lřéchec
économique que représentent les aventures dřAlice, plusieurs éléments ont rendu justice à
Carroll. Vous remarquerez, à la lecture de nos analyses, que quelques idées modifiées par
Disney trouvent ici leur place, étant transformées dans une moindre mesure.
La chute dřAlice dans le terrier du Lapin est une des « rencontres ». Alice, suivit de sa
chatte Dinah, poursuit le Lapin Blanc. Tout comme dans lřœuvre de Carroll, ce dernier est
en retard. La bête effrayée sřengouffre dans le terrier, la fillette et son animal de compagnie
toujours à ses trousses. Lřhéroïne disneyenne, et carrollienne est trop curieuse. LřAlice
américaine, distraite, nřa pas le temps de sřagripper et tombe dans un trou noir. Dinah
regarde la fillette disparaître dans lřobscurité, ayant réussi à sřarrêter de justesse sur le
rebord du précipice. La chute créée par lřécrivain anglais est différente de celle mise en
scène par Disney, et elle lřest en deux points. Premièrement, dans le livre, Alice flotte
lentement tout au long de sa descente. Pour Disney, la chute commence brusquement,
jusquřau moment où la robe de lřenfant finit par former un « parachute ». Deuxièmement,
le personnage carrollien a le temps de se poser dřinnombrables questions. Bien
71
Gilles Deleuze, Deux régimes de fous, op. cit., p. 295.
27
évidemment, la fillette animée se pose des questions, mais très peu comparativement au
personnage emblématique.
Disney compte plutôt sur les effets visuels et sur la gestuelle de son héroïne afin de distraire
son public. En effet, Alice préfère regarder les détails du terrier, le tout donnant
lřimpression des murs dřune maison. Et cřest là une belle « rencontre » entre Carroll et
Disney. Car à la lecture du conte, lřaccent nřest pas mis sur les décors du terrier, il est mis
sur les questionnements de la petite Alice tout au long de sa descente. Disney répond à une
curiosité du lecteur : que pourrait-on trouver dans le terrier dřun lapin qui parle72? La
« rencontre » entre lřesthétique du dessin animé et du monde de Carroll permet de montrer
une chute dont le décor est mémorable. Alice allume une lumière alors quřelle « croise »
une lampe. Cela nous permet de voir (enfin!) les parois sombres du terrier. La fillette voit
défiler miroirs, cadres et objets divers dřun salon.
Mais ce qui attire le plus notre attention est ce miroir dans lequel la blondinette voit passer
son reflet. Notre personnage descend lentement dans le terrier, les pieds en premier. Le
miroir reflète une Alice passant en sens contraire, pieds vers le haut, tête en bas. Disney
réfère ainsi directement au second volet des Alice en faisant passer la réflexion de la fillette
dans son envers. Car le monde du miroir est le reflet « parfait » du monde réel. Nous
remémorant le mélange des deux tomes, Disney préfère le comique à la réflexion réelle
occasionnée par tout miroir. La chute se poursuit avec une jeune fille qui se pose seulement
deux questions, contrairement à celle de Dodgson qui ne cesse de réfléchir. Seulement deux
raisonnements sont présents, et ils sont identiques à ceux de Carroll. Le premier porte sur la
chute elle-même. « Après cette dégringolade, quand je tomberai dans lřescalier, ça me sera
tout à fait égal! » La petite fille, prise au passage par une chaise berçante, attend sagement
son arrivée. Alice croit même bon de sřy bercer, mais la chaise se débarrasse rapidement de
sa passagère. Puis, sa chute sřaccélère. Le second questionnement, lui, porte sur lřendroit
72
Nous nous sommes posé également la question.
28
où la chute la mènera. Traversera-t-elle le centre de la Terre? Sortira-t-elle là où les gens
marchent à lřenvers? Cřest alors quřAlice se retrouve elle-même à lřenvers, observant une
carte du monde, tête vers le sol. Alice sřarrêtera, suspendue par les pieds à une barre de fer,
tête en bas, contrairement à Carroll où elle atterrit sur un tas de feuilles.
La suite de lřatterrissage est la même : elle poursuit le Lapin en toute hâte. Mais
lřenvironnement est plutôt étrange, voire surréaliste. Disney prend dřintéressantes libertés
en distordant les lignes, autant celles du plancher que celles des murs. Le décor,
étonnamment, devient expressionniste. De plus, Carroll nřa jamais décrit ce corridor. Les
réalisateurs ont interprété le texte dřorigine en créant les ombres des chandeliers portées au
mur, les tuiles du plancher à angles aigus et le corridor sinueux. Puis, Alice se retrouve en
face de portes gigognes. Une fois les portes passées, la fillette entre dans une pièce carrée
aux murs dont les boiseries sont encastrées, le plancher ressemblant à un échiquier. Encore
une fois, nous pouvons admirer le mélange des deux tomes de Carroll. En effet, le monde
de lřautre côté du miroir est un échiquier sur lequel les personnages se déplacent dřune case
à lřautre. La poignée de porte qui parle est ajoutée par Disney et sera explorée plus tard.
Néanmoins, la « rencontre » de lřimaginaire des animateurs et de Carroll est, ici, fort
intéressante et apporte un élément déstabilisant pour le spectateur. Le passage du monde
victorien au monde des merveilles se fait par la chute dans le terrier, mais surtout par ce
corridor distordu, indiquant clairement quřAlice nřest plus dans le monde réel.
Encore une fois, cřest la technique choisie qui rend justice à lřimagination de Carroll lors
de lřadaptation du chapitre de Through the Looking-Glass : Le Jardin des Fleurs Vivantes.
Disney « rencontre », pour une deuxième fois, la créativité de Carroll en donnant vie aux
fleurs et à quelques créatures du chapitre trois du même tome : Insectes du miroir.
Mélangeant les deux chapitres, Disney porte à lřécran la « Mouche-à-chevaux-de-bois » (un
« hypocam-papillon » pour Disney), hybride dřun cheval berçant affublé dřailes de mouche
lui permettant de voler. Comme nous lřavons expliqué, le dessin animé nřa aucune relation
indicielle avec le réel, ce qui a permis de prendre diverses libertés sans pour autant entacher
29
la crédibilité des images. Il est agréable dřassister au spectacle des fleurs qui parlent et qui
chantent Un matin de mai fleuri73, des insectes de bois qui volent, et de pouvoir admirer le
« Tartinillon » (une « Tartine-beurrée » dans la version de Disney). Ce dernier est un
papillon dont les ailes sont des tranches de pain. Plusieurs de ces papillons, collés
ensemble, forment un pain complet.
La discussion entre les Fleurs et Alice reste somme toute la même. Si les Fleurs se donnent
la peine de parler, cřest quřelles trouvent quelquřun digne dřintérêt à qui sřadresser. Et tout
comme dans le conte de Carroll, les Fleurs pensent quřAlice est une des leurs. Mais la
résolution du chapitre est très différente du film. Dans la version carrollienne, cřest sa
rencontre avec la Reine Rouge (un des éléments absents de cette adaptation sur lequel nous
reviendrons plus loin) qui fait quitter le jardin à la fillette. Ici, ce sont plutôt les Fleurs qui
chassent Alice. En effet, elles sřaperçoivent que la fillette nřest pas une Fleur. Incapable
dřexpliquer correctement quřelle est humaine, la petite fille se fait traiter de mauvaise
herbe. Les Fleurs repoussent la jeune héroïne à lřextérieur de leur jardin, non sans violence.
Cřest pourtant très étonnant de la part de Disney qui fait disparaître la plupart des éléments
menaçants. Mais il faut bien une raison au départ de la petite Alice, ce qui semble avoir
occasionné bien des déboires aux animateurs.
Lřépisode Conseils d’une Chenille a aussi offert de multiples potentiels. Disney a ajouté la
chanson très peu élaborée A-E-I-O-U74. Bien que la chanson soit minimaliste, elle donne de
la nonchalance à la Chenille, personnage auquel Carroll avait pourtant donné bien du
caractère. La chanson se limitant aux voyelles de lřalphabet, à lřexception du Y, ce nřest
pas à son texte que nous nous intéresserons. Nous nous attarderons plutôt à lřesthétique qui
sřy attache. Cřest dans lřenvironnement entourant le champignon et la Chenille Bleue que
Disney crée un décor digne du merveilleux de Carroll. La « rencontre » devient fascinante
lorsque les couleurs de la Chenille changent au gré de ses émotions. « Rencontre », donc,
73
74
Voir annexe 1, p. 173.
Voir annexe 1, p. 174.
30
entre médium et ambiance. La Chenille, passe du bleu au rose, au rouge. Lřinsecte finit
même par affecter le reste du décor. Lorsque la Chenille devient rose, lřarrière-plan passe
de couleurs traditionnelles (dorées, kaki, beiges, bleu gris), à des couleurs beaucoup plus
saturées (violets, lilas, etc.). La couleur de la fumée se voit aussi modifiée lorsquřelle
lřexhale. Chaque bouffée qui sort de la bouche de la Chenille se transforme en lettre de
lřalphabet de différentes couleurs. La fumée se change même en crocodile et en oiseau
lorsque lřinsecte récite C’est l’heure où le long crocodile75. Cette comptine apparaissait
initialement dans le second chapitre intitulé La mare aux larmes, mais Disney remplaça Le
Père François76 par celle-ci. PuisquřAlice ne sait plus très bien qui elle est après tous ces
changements de taille, elle est incapable de réciter. Le changement de comptine nřamène,
en fait, aucun changement diégétique puisque le but est le même. Autre aspect intéressant
ajouté par Disney : lřinsecte ne subit pas seulement des changements de couleur ŕ il
devient un papillon. Changement intéressant, il symbolise le passage dřune forme à une
autre, de lřenfance à lřadolescence, il symbolise la métamorphose.
La scène du terrain de croquet de la Reine récupère les meilleurs éléments du conte. Cette
« rencontre » entre Disney et Carroll devient amusante. Depuis le début de cette section,
cřest par lřesthétique ou par lřhumour disneyen que se distingue clairement le film. Comme
nous le disions, Disney prend les éléments les plus drôles afin de les mettre à profit. Les
Cartes peignant les roses blanches en rouges sont lřassemblage dřune carte, dřune tête et de
membres humains. Bien que la technique de Disney permette bien des libertés, la
compagnie est surtout reconnue dans les traits humanoïdes donnés à ses personnages,
formés de lignes rondes et délicates. En créant ces êtres mi-humains, mi-cartes, Disney suit
le même humour que Carroll. Lřidentification spectatorielle est dřautant plus renforcée
quřils chantent allègrement et quřils sont mignons. Une simple carte se faisant couper la
« tête » nřaurait rien de bien traumatisant. Un humain qui se ferait guillotiner, lui, aurait un
impact majeur et négatif sur lřenfant. Lřhybride devient, en fait, plutôt amusant. Et faut-il
rappeler que personne ne perd réellement la tête dans le monde de Carroll, pas plus que
dans cette adaptation?
75
76
Voir annexe 1, p. id.
Voir annexe 1, p. 171.
31
Mais quel nřest pas lřétonnement de voir que la Reine de Cœur, et son époux, sont faits à
lřimage de lřhomme? La présentation de la Reine de Cœur est ici plutôt particulière, car
encore une fois, nous rencontrons un hybride. Mais cette fois, ce sont la Reine de Cœur et
la Reine Rouge qui ne font plus quřune. Malgré lřabsence de ce dernier personnage, une
petite partie de celui-ci subsiste tout de même. En effet, une phrase de la Reine Rouge,
apparaissant dans Le jardin des Fleurs vivantes, y est présente. Chez Disney, la méchante
Reine de Coeur pointe Alice et demande à son époux : « quřest-ce que cřest? » Après
quelques essais de la part de son mari (« Ce nřest certainement pas un cœur, pensez-vous
que ce soit un carreau? »), la Reine sřémerveille : cřest une petite fille! Les phrases de la
Reine Rouge sont prononcées par Reine de Cœur : « Ouvre la bouche un peu quand tu
parles, fais la révérence, car ça donne le temps de réfléchir et dit toujours : Oui! Votre
Majesté! » Ces paroles, combinées à la terreur quřinspire ce personnage, rendent Alice mal
à lřaise. Elle lřest dřautant plus lorsque la Reine explose de rage en entendant la fillette dire
quřelle cherche « son » chemin : « Ton chemin? Tous les chemins sont à moi ici! » Il faut
remarquer que cřest le seul moment qui peut réellement inspirer de la crainte dans la
version disneyenne. Pourtant, les mêmes mots, dits par la Reine Rouge, dans la version de
Carroll, nřont absolument rien dřinquiétant. Ils sont, en fait, rassurants. En effet, la Reine
Rouge prend en charge la fillette qui est perdue.
Les idées, de cinéma, ajoutées ou différentes de celles de Carroll
qui transforment le conte
Dans la transposition du médium de la littérature à celui du cinéma, le scénariste ou
réalisateur se doit de faire entrer un certain nombre de péripéties dans un temps limite. Il est
normal, en tant que lecteur, de souhaiter que lřadaptation soit la plus complète lors de son
passage à lřécran. Malheureusement, la contrainte du temps est si grande que cela est
impossible. Le fait de couper certains moments vient créer une ambiance différente. Et si
32
lřadaptation trahit notre lecture préalable, cřest parce que lřambiance et lřidée que nous
nous étions faites des personnages, à la lecture, sont différentes une fois matérialisées.
Mais comme chaque lecture est différente, selon lřindividualité du lecteur, les
représentations sont spécifiques à chacun. Disney, comme tout lecteur/adaptateur, a fait
divers choix. Certaines idées sont entrées en résonance avec lřœuvre de Carroll, dřautres
ont tout simplement été retranchées. À travers ces « rencontres » et ces retraits, plusieurs
ajouts au film feront de lřœuvre un « objet » disneyen. La modification entre aussi en ligne
de compte, Disney distordant divers éléments afin dřunifier les ajouts et retraits.
Regrettablement, il nřa pas compris toute la profondeur du nonsense et nřa retenu que la
curiosité dřAlice et le merveilleux. En se débarrassant de ce nonsensique, qui fait de
lřœuvre originale ce quřelle est, il ne reste quřune suite de moments que Disney a modifiés
afin de créer une linéarité chronologique absente du texte original. Disney a transformé et
mélangé les deux volets dřAlice tout en essayant de faire ressembler ce film à ses propres
classiques, adaptations de contes qui ont été populaires depuis les débuts de la compagnie.
Dans cette section, nous verrons donc les divers éléments ajoutés ou transformés par
lřéquipe disneyenne.
Dřemblée, le générique ne peut cacher les personnages qui feront partie de lřadaptation. En
effet, Disney nous fait voir les merveilles du Wonderland et précise que son adaptation est
celle des deux volets des aventures dřAlice. Pour ce faire, il affiche à lřécran la
combinaison des deux volumes à lřaide dřun titre : An adaptation of Lewis Carrollřs The
Adventures of Alice in Wonderland and Through the Looking-Glass. Ainsi, nous voyons
tous les personnages, du Chapelier Fou à la Chenille Bleue, en passant par Bill le lézard.
Nous pouvons donc observer les protagonistes avant même que le film ne soit commencé.
Friand des animaux, Disney en fait apparaître plusieurs, dont des papillons, des abeilles et
même deux cygnes sur un lac. Pourtant, le Lapin Blanc, objet de curiosité de la fillette, était
le premier animal faisant son apparition dans lřœuvre de Dodgson.
33
Disney, lui, place Dinah dans les premières minutes du film. La Dinah de Carroll nřapparaît
quřau début et à la fin du second tome des aventures dřAlice. Cřest en fait la progéniture de
Dinah qui se rapproche le plus du personnage de Disney : Kitty. Toutes deux, malgré leur
nom différent, ont le même rôle : celui dřécouter les fantaisies dřAlice. Dans Through the
Looking-Glass, Alice sermonne Kitty, qui fait des bêtises, pour ensuite lui demander de
faire semblant de jouer aux échecs. Le personnage de Disney, lui, raconte à Dinah que dans
« son monde », tout serait nonsense, que les livres sans images nřauraient aucun intérêt, que
si la chatte était dans « son monde » elle ne dirait pas Miaw, mais : Oui, mademoiselle
Alice! Mais devons-nous nécessairement être surpris de voir Alice interagir avec un animal
avant dřentrer au pays des merveilles? Non, puisque la complicité entre la fillette et son
animal est la même pour Carroll que pour Disney. Et contrairement au conte de Carroll,
dans le film de Disney, ce nřest pas Alice qui voit le Lapin en premier, mais bien la chatte.
Cette dernière tape frénétiquement le bras de sa maîtresse de ses deux pattes avant, la
fillette étant trop occupée à admirer son reflet dans le lac, tel Narcisse. Et si Dinah voit le
lapin de ses propres yeux, Alice, elle, en voit tout dřabord la réflexion dans le lac, tout
comme elle en verrait le reflet dans un miroir. Dans la course au récit linéaire de Disney,
Alice chantera In a world of my own77, ajoutant dynamisme et unifiant la diégèse.
Ici, Disney tente de faire entrer les aventures dřAlice dans le cadre pédagogique du conte.
Cela commence avec la femme faisant la lecture à la fillette. Contrairement à Carroll, qui
énonce clairement que sa sœur lit un livre sans image, Disney, lui, nřest pas explicite. Nous
sommes incapables de savoir sřil sřagit de sa sœur qui lui fait la leçon, sřil sřagit plutôt
dřune gouvernante, ou encore sřil sřagit de sa mère. Cette différence est notable puisquřune
gouvernante placerait Alice en position dřinfériorité beaucoup plus importante. Bien quřil
soit impossible de déterminer avec assurance le lien qui unit les deux personnages, il est
évident que Disney veut réinstaurer la notion de pédagogie dans ce conte. Les écrits de
Carroll sřéloignent pourtant des contes traditionnels. Dans la préface des deux œuvres de
77
Voir annexe 1, p. 165.
34
Lewis Carroll, Jean Gattégno met en perspective le conte « traditionnel » et le texte
carrollien :
le conte, quřil fasse ou non apparaître des fées, est essentiellement pédagogique et,
quand il sřadresse aux enfants, vise à leur permettre de trouver leur place dans une
société dřadultes dont ils devront un jour être membres à part entière. Carroll, dans
ses contes, ne rompt pas clairement avec la tradition qui fait des valeurs adultes
lřétalon et la clef à la fois des difficultés dřintégration de lřenfant ou de lřadolescent.
Il en instaure pourtant une autre, où les valeurs de lřenfance deviennent le nouvel
étalon. Le regard dřAlice, pour le dire brièvement, est la mesure du monde des
adultes quřil lui est donné de découvrir78.
Disney renverse bien malgré lui Ŕ ou est-ce intentionnel? Ŕ lř« étalon » de lřenfance mis en
place par Carroll. Il le fait afin de renouer avec le conte traditionnel, du moins pour cette
facette, tout en restaurant lř« étalon » du monde adulte. Et sřil renverse le monde de
lřenfance, cřest à lřaide de certains personnages, dont celui de cette sœur/gouvernante/mère.
Elle est le symptôme du monde adulte, enseignant à lřenfant comment agir et ce quřil doit
savoir. Elle représente la raison qui lřemporte sur lřimpulsivité. Ce petit rôle a, contre toute
attente, un impact majeur. Disney met en place une Alice qui se fait éduquer par une figure
dřadulte, et non une enfant qui passe un après-midi abandonnée à son imagination, se
prélassant par une journée chaude. LřAlice de Dodgson, elle, sřamuse dès les premiers
mots du conte; sa sœur lit un livre auquel lřenfant ne prête aucune attention, si ce nřest pour
voir sřil contient des images. La protagoniste de Disney, elle, se fait faire la leçon. Bien sûr,
elle critique cette lecture trop sérieuse de la même manière que lřAlice de Carroll Ŕ à quoi
peut bien servir un livre sans images? Disney amène donc, par ce simple personnage, une
bascule de lř« étalon » de lřenfance afin de redonner au conte une perspective pédagogique,
et donc de réinstaurer lř« étalon » du monde adulte.
Disney, lorsquřil adapte des contes, peu importe lesquels, tend toujours vers des histoires
qui, dřune part, ont fait leurs preuves, et dřautre part, ont une forme classique. Pourtant,
comme lřexplique Gattégno, le conte de Carroll sřéloigne de la tradition en faisant du
78
Lewis Carroll, Alice au pays des merveilles et De l’autre côté du miroir, op. cit., p. 26.
35
regard de lřenfant, non seulement celui qui domine, mais aussi celui qui perdure. De plus,
Disney a transformé lřenfant en lui retirant une grande partie de son agressivité. Et sřil le
fait, cřest parce que tout comme le conte, Alice sřéloigne des personnages traditionnels.
Disney veut faire entrer la fillette dans le moule de ses propres personnages féminins : un
personnage sans but, autre que de gagner lřamour du prince Ŕ prince qui est dřailleurs
absent Ŕ, mais aussi sans agressivité. Force est de constater que Disney nřa pas compris le
conte, pas plus que son héroïne. Gattégno, lui, a très bien saisi toute la subtilité du
personnage de Carroll :
Alice, cřest dřabord la détermination et lřagressivité; rien en elle de la féminité
douce et passive. Elle sait où elle veut aller, et si elle nřy va pas plus vite, ce nřest
pas de son fait. En face de personnages (masculins ou féminins) caractérisés comme
mous, elle prend immédiatement lřinitiative et vite le dessus : on le voit dans son
attitude à lřégard du Lapin Blanc […] elle « répond » constamment, fût-ce après
quelques concessions aux « bonnes manières ». Ces traits font dřelle une figure
féminine forte, proche de la Reine de Cœur, ou de la Reine Rouge, et, en face de
personnages masculins plus âgés quřelle, elle se rapproche déjà de la mante
religieuse et de la mère castratrice79.
Bien sûr, toutes ces caractéristiques du personnage de Carroll sont transformées; certaines
ont même disparu. Alice devient timide, elle manque dřagressivité. Et si elle sřemporte à
quelques reprises, ce nřest pas tant son agressivité qui ressort que sa spontanéité. Son
pouvoir de décision est réduit; elle devient douce et docile, facile à offusquer. Elle suit,
dřemblée, les autres personnages jusquřà ce quřon lřoffusque, ou lorsquřelle voit le Lapin
Blanc passer. Lřœuvre de Carroll est une initiation vers le monde adulte et donne un rôle
très surprenant à lřenfant/femme. Ce personnage était très nouveau au temps de Carroll,
moins traditionnel : un rôle féminin Ŕ une enfant de surcroit Ŕ qui partait seule à lřaventure.
La version de Disney, bien quřadaptée plus de cent ans après lřœuvre originale, perpétue le
stéréotype de la fillette impuissante docile, obéissant aux ordres qui lui sont donnés tantôt
par la poignée de porte, tantôt par les Tweedles, éléments sur lesquels nous reviendrons.
79
Jean Gattégno, Lewis Carroll : une vie d’Alice à Zénon d’Élée, op. cit., 250.
36
Tout comme dans lřœuvre de Carroll, le Lapin Blanc est lřélément déclencheur de la
descente dřAlice au pays des merveilles. Disney change même lřobjectif principal de la
fillette, qui était dřatteindre le joli jardin vu par le trou de la serrure : rattraper le Lapin. La
transformation de cet objectif nřest pas innocente. Comme nous lřavons dit plus haut,
Disney transforme la structure narrative afin de la rapprocher de celle dřun film linéaire.
Seule ombre au tableau : comment faire un film qui nřa pas de structure linéaire tout en
gardant lřintérêt de la masse populaire? Disney intègre alors une ossature de conte
traditionnel. De ce fait, la chronologie narrative est beaucoup plus facile que la structure
onirique relevant dřun certain surréalisme.
Les contes de Carroll, comme nous lřavons dit, étaient novateurs à leur époque. Ils
lřétaient, non seulement en raison du personnage principal, mais aussi par leur structure
calquée sur le rêve. Le rêve commence soudainement et finit abruptement. Puis, un autre
commence sans quřon sřy attende. Gattégno pointe dans la même direction que nous : « le
déroulement du récit, avec sa discontinuité […] fait se succéder les aventures de lřhéroïne
moins selon une logique narrative que par association dřimages ou dřidées80. » Alors
quřAlice se trouve dans une situation quelconque, elle se retrouve soudainement dans une
autre. Et cřest par les objets que lřécrivain les met en relation. Si Alice pleure trop, elle se
retrouve dans une mer de larmes, etc. Mais voilà, comment changer une structure qui fait
partie intégrante du texte? Lřun des moyens trouvés par lřéquipe Disney fut de changer,
comme nous lřavons dit, lřobjectif de la jeune Alice : attraper le Lapin. Ce dernier
apparaîtra donc à chaque moment propice, autant dans les dialogues quřà lřimage. Il sortira
Alice de ses déboires avec la course au Caucus, lřhéroïne mentionnera quřelle est pressée
de retrouver le Lapin lors de son interminable rencontre avec les Tweedles, le Cheshire Cat
lui révélera dans quelle direction il est parti, cřest lui qui la sortira du thé extravagant, etc.
Bref, le Lapin est de toutes les conversations et de toutes les péripéties. Bien sûr, ce
personnage est constamment présent dans le texte de Carroll, mais cřest au nonsensique
quřil obéit. Disney, lui, lřutilise comme fil conducteur. Encore aujourdřhui, les choix de
Disney ne semblent pas exactement les bons. Le lecteur connaissant déjà Alice au pays des
80
Lewis Carroll, Alice au pays des merveilles et De l’autre côté du miroir, op. cit., p. 23.
37
merveilles nřy retrouvera pas la même ambiance, si ce nřest à quelques moments précis.
Lřambiance créée est plus celle dřune comédie musicale que celle dřun conte onirique (et
donc décousu). La modification diégétique, au profit de la linéarité, est donc un choix
commercial.
Jusquřà maintenant, nous avons surtout vu des idées ayant été modifiées par lřéquipe
dřanimateurs, qui viennent changer notre lecture du film. Nous verrons, ici, un des premiers
ajouts : lřanimisme81. Animisme merveilleux, devrait-on ajouter, dans le cas de Disney.
Selon le Dictionnaire de l’Académie française, lřanimisme est un
dérivé savant du latin anima, âme. Croyance religieuse selon laquelle des principes
spirituels conçus sur le modèle de lřâme humaine sont répandus dans lřunivers et
imprègnent tous les êtres, réels ou mythiques, les phénomènes naturels et certains
objets matériels.
Cette définition sřapplique donc tant aux êtres quřaux choses. Il serait, en temps normal,
inquiétant de voir ce phénomène se produire dans notre monde dominé par la logique, tel
que le mentionne Freud dans ses travaux sur lřinquiétante étrangeté82. Le monde
merveilleux de Disney, lui, semble sřy prêter parfaitement sans soulever la moindre
inquiétude. Comme nous lřavons mentionné, le dessin animé nous projette dans le
merveilleux dès les premières images. Nous acceptons dřemblée que tout puisse sřy
produire, cřest pourquoi ces phénomènes ne nous inquiètent aucunement.
Il faut ici faire une légère distinction entre lřunivers de Carroll et celui de Disney. Bien sûr,
les animaux parlent dans le monde carrollien, mais pour nous, il sřagit de simple
anthropomorphisme83. Aucun objet nřest victime dřanimisme dans le monde de Carroll.
81
Dictionnaire de l’Académie française, neuvième édition [en ligne],
http://atilf.atilf.fr/dendien/scripts/generic/cherche.exe?15;s=3994109115;; [Consulté en ligne le 28 avril 2014]
82
Sigmund Freud, L’Inquiétante étrangeté et autres essais, op. cit., p. 245.
83
Toujours selon le Dictionnaire de l’Académie française : Anthropomorphisme, n. m. XVIIIe siècle.
Dérivé du grec anthrôpomorphos : Tendance à attribuer des formes ou des caractères humains à des divinités,
des forces de la nature, des animaux, des plantes, etc. Anthropomorphe, adj. XIXe siècle. Emprunté du grec
anthrôpomorphos, composé de anthrôpos, « homme », et morphê, « forme, apparence ». Dont la forme
rappelle celle de lřhomme. […] Objets anthropomorphes, objets dont la forme rappelle celle du visage ou du
38
Même les cartes sont un hybride mi-homme mi-objet, les pièces du jeu dřéchecs utilisées
sont les Rois et Reines. Disney va beaucoup plus loin : il donne une âme à certains objets
sans leur attribuer une apparence humaine. Ce nřest pas la première fois quřil se prête au
jeu puisque beaucoup de ses films mettent en scène divers objets « vivants ». Alice au pays
des merveilles ne fait pas exception. Une poignée de porte parlante fait son apparition dans
les dix premières minutes du film. Alice, après avoir passé les portes gigognes, se retrouve
dans une seconde pièce. Derrière le seul rideau se cache une autre porte. LřAlice de Carroll
arrive pourtant dans une pièce remplie de portes. Elle apprend donc comme tout enfant :
elle tente dřouvrir chaque porte afin de trouver la bonne. Elle découvre, par elle-même, que
cřest la porte derrière le rideau qui correspond à la clé.
Disney, lui, ne donne quřune seule option à la fillette : la porte derrière le rideau. Et cette
porte a quelque chose de différent : elle parle. Monde adulte transparaissant dans ce seul
objet, la poignée vient substituer la figure de la gouvernante, car cette poignée dit à Alice ce
quřelle doit faire. Et la fillette obéira à ses ordres, comme elle obéira à tout ordre reçu tout
au long du film. Malgré cela, elle aura le bon sens de se poser des questions et de se donner
des conseils. Mais les réponses sont données dřavance. Alice nřexpérimente pas. Alors que
la fillette croit quřil est impossible pour elle de rejoindre le Lapin par la petite porte, la
poignée lui révèle alors que rien nřest impossible. La porte est seulement « impassable ».
Pour devenir « passable », notre héroïne nřa quřà boire le contenu de la bouteille apparu sur
la table. Ayant quelques doutes Ŕ est-ce du poison? Ŕ Alice accordera toute sa confiance à
la poignée. Constamment rassurée par cette dernière, qui lui indique quoi faire comme tout
parent détenant la vérité, la fillette boit. Nous pouvons donc voir que cet ajout, dřune
serrure qui parle rejoint le rôle de la gouvernante. Alice est une enfant qui nřexpérimente
pas par elle-même : on lui dit quoi faire et quoi savoir.
corps humain. La différence entre animisme et anthropomorphisme réside donc entre lřâme (anima=âme) et le
corps (morphé=forme, apparence). Carroll dote les animaux, ainsi que certains objets, de corps. Ainsi, le
Lapin marche comme un homme et non à quatre pattes. Dans Disney, la théière qui sifflote nřa pas de visage,
mais elle semble dotée dřune âme particulièrement joyeuse.
39
Carroll ne nous dit pas clairement comment Alice traverse la porte. Rapetissant à lřaide de
lřéventail que le Lapin a perdu, la fillette tombe dans une mer agitée. Passant dřune
péripétie à une autre par la simple association des larmes devenues mer, la structure est
onirique, nonsensique. Disney, toujours dans cette même recherche dřune linéarité
diégétique, prend la serrure et la bouteille comme lien. Alice boit la bouteille et rapetisse.
Et cřest par une prouesse inexplicable quřelle se retrouve dans cette même bouteille. Alice
est suffisamment petite pour entrer dans le récipient, et celui-ci est assez petit pour se frayer
un chemin à travers la bouche de la poignée. Et cette dernière sřouvre volontairement assez
grande pour laisser passer notre héroïne. Tout cela dans un seul et unique but : créer une
linéarité basée sur un récit logique.
Et cřest ici que nous voyons poindre une scène remplie de nonsense. Malheureusement
cřest une des seules. Disney transforme deux épisodes afin de les contenir dans une seule et
même scène : La course au Caucus et La mare aux larmes. Alors quřAlice est en proie à
quelques difficultés Ŕ il semble que sa bouteille ne soit pas le meilleur moyen de transport Ŕ
nous avons droit à une référence au chapitre Le quadrille des homards. En effet, nous
pouvons admirer les crustacés nageant dans la mer agitée. Puis, arrivent les personnages de
La course au Caucus. Le Dodo vogue sur les pattes dřun oiseau, dont la tête fait office de
coque; plus loin, trois autres oiseaux jouent aux draveurs. Disney ajoute même la célèbre
chanson pour enfant Row, row, row your boat84 dont le rythme est accéléré. La course aux
Caucus est aussi saugrenue que celle de Carroll, à cette exception près que tout contenu
narratif carrollien lui a été enlevé (mais nous y reviendrons dans notre prochaine et dernière
section sur Disney). Les oiseaux, autant que les poissons, courent afin de se sécher. Le
Dodo est sec, perché sur un rocher. La chanson de ce dernier nřa pas plus de sens que la
course elle-même : « Il nřy a ni début ni fin, ils lřont commencé demain, mais elle finira
hier. » Sans cesse arrosée par les vagues, la fillette essaie dřinterrompre cette course
ridicule qui ne sèchera personne. La seule échappatoire de la petite Alice est de suivre le
Lapin Blanc qui a pour « embarcation » son parapluie. Force est de constater que Disney
84
Comptine pour enfant très célèbre dont le seul couplet est chanté en boucle : Row, row, row your boat,
gently down the stream. Merrily, merrily, merrily, merrily, life is but a dream.
40
garde, ici, le nonsense puisquřil correspond à la comédie de ses propres films. Il décharne le
reste du film de cette caractéristique carrollienne qui ne lui ressemble pas.
Le texte du Morse et du Charpentier est, dans lřadaptation de Disney, très particulier. En
effet, cette poésie de Carroll fut incorporée par lřéquipe dřanimateurs. Pourtant, cette scène
détonne puisquřelle est, contrairement au reste du film, cruelle. Dans le conte de Carroll, les
personnages du Morse et du Charpentier font leur apparition dans le chapitre Bonnet Blanc
et Blanc Bonnet. Blanc Bonnet propose à Alice de lui réciter la poésie la plus longue quřil
connaisse. Il commence donc à déclamer. Le Morse et le Charpentier se promènent sur la
plage :
[…]
« " Ô Huîtres, venez avec nous! "
Dit le Morse dřune voix claire.
" Marchons en parlant, - lřair est doux -,
Tout le long de la grève amère.
Nous nřen voulons que quatre, afin
De pouvoir leur donner la main. "
« La plus vieille le regarda,
Mais elle demeura muette;
La plus vieille de lřœil cligna
Et secoua sa lourde tête…
Comme pour dire : " Mon ami,
Je ne veux pas quitter mon lit. "
« Quatre autres Huîtres, sur-le-champ,
Sřapprêtèrent pour cette fête :
Veston bien brossé, faux-col blanc,
Chaussures cirées et bien nettes…
Et ceci est fort singulier,
Car elles nřavaient pas de pieds.
« Quatre autres Huîtres, aussitôt,
Les suivaient, et puis quatre autres;
Puis dřautres vinrent par troupeaux,
À la voix de ce bon apôtre…
Toutes, courant et sautillant,
Sortirent des flots scintillants85.
85
Le reste du poème de Carroll se trouve dans lřannexe 1, p. 180-181.
41
Les Huîtres de Carroll sont, en fait, bien naïves puisque le Morse et le Charpentier les
mangeront. Chapitre du second tome, De l’autre côté du miroir, il sřintègre parfaitement à
ce conte qui regorge de coins sombres et de personnages inquiétants. Mais la scène, ajoutée
par Disney, crée un contraste frappant avec le reste du film. Alors que le producteur et les
animateurs avaient enlevé la plupart des éléments qui auraient pu être angoissants,
lřépisode du Morse et du Charpentier a de quoi surprendre, car il va à lřencontre de
lřhistoire que Disney avait mise en place.
Blanc Bonnet et Bonnet Blanc critiquent la curiosité dřAlice en la comparant aux pauvres
Huîtres. La fillette, curieuse de savoir ce qui est arrivé à celles-ci, leur dit quřelle a bien une
minute ou deux et quřelle veut bien les écouter. Commençant leur histoire, cette version du
Morse et du Charpentier ressemble assez à celle de Carroll à lřexception de la Mère des
Huîtres. Celle-ci prévient ses filles que le monde au-dessus de la mer est fou, quřelles
devraient rester avec elle. Le Morse, se mettant à jouer de la flûte avec sa canne, les Huîtres
le suivent sans écouter leur mère. Cet élément, la flûte, pourrait faire penser au conte Le
joueur de flûte de Hamelin. Le magicien, nřayant pas eu son dû entier, après avoir
débarrassé la ville des rats, se vengera en attirant tous les enfants dřHamelin vers une
grotte. On ne verra plus jamais les enfants. Tout comme les enfants dřHamelin, les Huîtres
disparaîtront, mangées par le Morse, ce dernier ayant dupé le Charpentier. À la fin de
lřhistoire, Alice dira à Bonnet Blanc et Blanc Bonnet quřil y a une morale, mais seulement
si on est une Huître. La fillette sřen ira sans avoir porté attention à ce que ces deux
personnages tentaient de lui dire : la curiosité nřest pas toujours bonne et peut apporter des
ennuis graves. Cette histoire contraste donc avec le reste du film. Comme nous lřavons dit,
Disney a tenté de faire du conte de Carroll un conte pédagogique (pourtant, il nřy a pas de
morale autre que celle dřêtre obéissant). Étrange quřil ait intégré cette scène à son film, lui
qui avait éliminé le plus dřéléments inquiétants possible.
Nous avons parlé, au début de cette section, de la modification du personnage dřAlice
opérée par Disney. Dans cette modification, nous avons noté la perte dřagressivité de celleci. Le meilleur exemple de cette perte se trouve dans la scène équivalant au chapitre
42
quatre : Le Lapin envoie Pierre et pierres. Comme dans le conte de Dodgson, le Lapin
Blanc demande à Alice dřaller chercher ses gants. Jusquřà présent, le texte et lřadaptation
concordent. Cřest lors de lřapparition de Pierre/Bill le lézard Ŕ le prénom de Pierre fait
seulement partie de la version française du conte de Carroll traduit par Jacques Papy Ŕ que
Disney effectue des changements importants. Dans la version de Carroll, Pierre tente
dřentrer par la cheminée pour sř« occuper du monstre » Ŕ le monstre étant Alice puisquřelle
remplit toute la chambre du Lapin. La fillette donne un bon coup de pied au lézard, quřelle
entend descendre par la cheminée, afin de lřen expulser. Rappelons-le, Gattégno mentionne
que lřAlice créée par Carroll est agressive et déterminée. Elle domine presque toutes les
situations malgré son jeune âge et nřest en rien une figure douce et féminine. Pourtant,
Disney fait dřelle le simple déclencheur dřun événement beaucoup plus comique que brutal.
En effet, Bill se glisse dans la cheminée, inséré de force par le Dodo que Disney a inclus
dans la scène. Lřenfant éternue, le lézard ayant créé des nuages de poussière lors de sa
descente. Bill sera alors propulsé hors de la cheminée jusquřau ciel. Puis, le Dodo chante
quřil va brûler la maison, le Lapin Blanc à ses côtés le suppliant de ne pas le faire. Alice,
avec toute la candeur et la naïveté ajoutées par Disney, se dit que la situation est grave. Et
le Dodo chante, de plus belle : On va griller le monstre86. Cherchant un moyen de sortir de
la maison, notre héroïne carrollienne reçoit des pierres que le Lapin lui tire. Elles se
transforment en biscuit, que notre héroïne mange afin de rapetisser. Alice cherche par ellemême quelque chose à se mettre sous la dent afin de régler son problème. Le Lapin a une
peur intense lorsquřAlice mord dans la carotte quřil a dans les pattes. Encore une fois, la
protagoniste de Disney manque dřimpulsivité, de spontanéité. Disney la déresponsabilise. Il
fait dřelle un simple élément déclencheur.
Lřépisode du Cheshire Cat est un autre épisode ayant été transformé. Normalement, ce
personnage extravagant se trouve dans le chapitre six du premier livre de Carroll, soit
Poivre et Cochon. Cette péripétie enlevée, il nřen reste que le Cheshire Cat, personnage
plutôt farfelu. Disney sřest fait un plaisir de le garder puisque les possibilités étaient
grandes. Alice, donc, cherche toujours le Lapin Blanc lorsquřelle entend la chanson T’was
86
Voir annexe 1, p. 172.
43
Brillig (Les Rhododendroves)87. La chanson démarre tout simplement avec une voix, mais
aucun personnage nřest visible. Apparaît, seul, le sourire du chat. Puis ses yeux; ses dents
forment même un harmonica. Le Cheshire Cat est animé avec humour, la liberté du dessin
animé et ses couleurs saturées étant mises à profit. Et si lřon connaît bien le conte de
Carroll, nous remarquons que lřanimal chante la première strophe du Jabberwocky88 à
répétition (en anglais du moins, la version française nřa rien à voir avec le poème original) :
« Twas brillig, and the slithy toves
Did gyre and gimble in the wabe;
All mimsy were the borogoves,
And the mome raths outgrabe.
Fleurpageons
Les rhododendrons
Gyvirait et vromblait dans les vabes
Ou frimait vers les pétunias
et les momerates embradent.
Carroll, dans le poème du Jabberwocky, amène le nonsense en construisant des motsvalises, cřest-à-dire la fusion de deux mots. Par exemple, gyrer veut dire tourner en rond
comme un gyroscope. Et si Disney fait répéter la même strophe au Cheshire Cat, cřest
parce quřil ne veut pas attirer lřattention sur les jeux de mots, trop compliqués pour le jeune
public. Mais la version française du film est totalement décalée du texte de Carroll.
Plusieurs traductions françaises existaient pourtant bien avant la sortie du film, dont celle
dřHenri Parisot de 1946.
Et sřil y a plus dřune dizaine de traductions françaises, cřest parce que la complexité du
poème est grande. Plusieurs littéraires sřy étant appliqués sont arrivés à différentes
interprétations. Disney, en écourtant le poème, veut éviter les jeux de mots qui pourraient
être trop intellectuels. Dans la même scène, Disney transforme le discours du Cheshire cat.
Rappelons-le, lřAlice de lřécrivain anglais ne poursuit pas exactement le même but que
celle de lřAméricain. Lřhéroïne de Carroll veut atteindre le joli jardin, celle de Disney
87
88
Voir annexe 1, p. 174.
Voir annexe 1, p. 182-183.
44
poursuit le Lapin Blanc. La transformation de cette péripétie tient donc en deux éléments.
Le premier est une mention du Lapin, afin de soutenir la linéarité voulue par Disney. Le
second réside dans lřabsence dřun élément clé du texte carrollien : la folie de tous les
personnages du pays des merveilles, Alice comprise.
CARROLL
Alice : Quelle espèce de gens trouve-t-on dans ces parages?
Cheshire Cat : Dans cette direction-ci habite
un Chapelier; et dans cette direction-là un
Lièvre de Mars. Tu peux aller rendre visite à
lřun ou à lřautre : ils sont fous tous les deux.
Alice : Mais je ne veux pas aller parmi les fous!
Cheshire Cat : Impossible de faire autrement; nous sommes tous fous ici. Je suis fou. Tu es
folle.
Alice : Comment savez-vous que je suis folle?
Cheshire Cat : Si tu nřétais pas folle, tu ne serais pas venue ici.
DISNEY
Cheshire Cat : oh à propos, si vous tenez
vraiment à le savoir, cřest là quřil est passé.
Alice : Mais qui donc?
Cheshire Cat : Un certain lapin.
Alice : Vous en êtes sûr?
Cheshire Cat : Sûr de quoi?
Alice : Quřil est allé par là?
Cheshire Cat : Qui donc?
Alice : Eh bien le Lapin!
Cheshire Cat : Mais quel Lapin?
Alice : Oh cřest agaçant!
Cheshire Cat : Toutefois, si moi je cherchais un mignon
petit Lapin, jřinterrogerais le Chapelier Toqué.
Alice : Le Chapelier Toqué, oh non… vous savez, je ne crois pas…
Cheshire Cat : Ou alors, le Lièvre de Mars, en allant dans cette direction.
Alice : Oh, je vous remercie, je vais aller voir le Lièvre de Mars.
Cheshire Cat : Naturellement, il est fou lui aussi.
Alice : Mais je nřai aucune envie de voir des gens complètement fous!
Cheshire Cat : Oh, mais il nřy a rien à faire, parce
que tout le monde est fou ici. Haha! Vous
avez peut-être remarqué que je nřai pas toujours
toute ma tête!?
45
Les deux versions se ressemblent beaucoup… jusquřà ce que Disney omette la phrase la
plus importante de cette conversation. Le Cheshire Cat dit quřAlice est folle. Si elle ne
lřétait pas, elle ne pourrait être au pays des merveilles. Cřest en partie ce qui rend le conte si
intéressant. Parce quřaprès tout, quel genre de fillette saine dřesprit pourrait bien visiter un
monde si étrange?
Avec Disney, la question est autre. Comme nous lřavons mentionné plus haut, Alice a
perdu beaucoup de ses caractéristiques littéraires au profit du comique disneyen. Et cřest
peut-être aussi une des raisons de lřéchec du film. Pourquoi envoyer une jeune fille pleine
de bon sens, qui a visiblement une certaine maturité, dans un monde de fous? Bien sûr, elle
est curieuse, mais cřest une curiosité plutôt modérée, et très réductrice, qui motive cette
Alice. Si celle de Carroll sřintéresse à tout, ici, la seule chose qui lřintéresse est le Lapin
Blanc (qui est en retard, comme il le chante en début de film : « Jřai rendez-vous que'que
part, je nřai pas le temps de dire au revoir, quelquřun mřattend, vraiment cřest important
[…]. »); fil conducteur, rappelons-le, pour une linéarité narrative optimale.
Bien que Disney ait éliminé la plupart des traces du nonsensique, lřépisode dřUn Thé
extravagant en contient quelques parcelles. Il profite, selon nous, de tous les éléments
comiques et traditionnels qui se rapprochent de son cinéma. Cette scène se rapproche de
lřunivers carrollien. Disney maximise lřesprit nonsensique et coloré de Carroll dans une
seule et même scène. Ce nonsensique est amené par le non-anniversaire. Disney prend cette
idée dans le second tome des aventures dřAlice : le cadeau de non-anniversaire du Gros
Coco, personnage qui est absent de lřadaptation. Il aurait été impensable pour le réalisateur
de faire intervenir ce personnage aux pensées intellectuelles et hautaines. Après tout, cřest
un film pour enfant. Il ne reste donc du Gros Coco que cette notion de non-anniversaire.
Cette notion apportera plusieurs imbroglios. Alice, au loin, voit la maison du Lièvre de
Mars. Des oreilles de lièvre gigantesques ornent le toit de celle-ci. Alice arrive juste au
moment où le Chapelier Toqué et le Lièvre de Mars sont en train de chanter joyeusement
46
The Unbirthday Song89. Ils se souhaitent lřun et lřautre leurs meilleurs vœux. Comme nous
en avons déjà discuté, Disney ajoute de lřanimisme avec les théières et les tasses qui jouent
le rythme joyeux de la chanson. Alice sřassoit sans être invitée, tout comme dans le texte de
départ. Mais à force dřexcuses et de politesses (« Pardonnez-moi, mais jřai trouvé votre
chanson si jolie…! »), Alice finit par chanter en chœur avec eux. Tout va bien jusquřau
moment où le Loir est remplacé par la Souris. Cette dernière a été retirée des épisodes de
La mare aux larmes et dřUne course au caucus et une longue histoire Ŕ et nous reviendrons
sur cette disparition dans notre dernière section. Disney intervertit de scène la Souris
(comme pour le Cheshire Cat et le Dodo) afin de la mettre à profit. La Souris est donc
incorporée au Thé extravagant afin de créer un élément comique. En effet, Alice mentionne
sa chatte, Dinah. La Souris a la même réaction que dans le conte. En moins de deux, elle est
paniquée à lřidée dřun chat. Ajout humoristique disneyen, le Chapelier dit à Alice de mettre
de la confiture sur le bout du nez de la Souris. Cette action, contre toute attente, a un effet
calmant instantané sur la bête apeurée.
Dans le but de garder une linéarité narrative, le Lapin Blanc est ajouté à la scène. Lřanimal
arrive en panique, et en retard, comme dřhabitude. Il se fait arrêter dans sa course par le
Chapelier. Alors que dans le chapitre de Carroll, cřest la montre du Chapelier qui est
toujours en retard de deux jours, cřest celle du Lapin qui lřest ici. Vient alors le fameux
beurre censé réparer la montre, mais cela ne fonctionne jamais (ni dans le texte carrollien ni
dans lřadaptation disneyenne). Petit ajout farfelu de Disney : le Chapelier se donne comme
mandat de réparer la montre du Lapin; cřest en ajoutant du sel, du beurre, du thé, de la
confiture, deux cuillères de sucre Ŕ cuillères incluses Ŕ et du citron quřil le fera. La dernière
suggestion du Lièvre de Mars sort le Chapelier Toqué de sa transe : « Mustard? Donřt letřs
be silly! Lemon, thatřs different. », répond ce dernier, alors que la folie règne depuis le
commencement de la scène. Le Lapin, qui tente dřintervenir depuis le tout début, voit sa
montre se dérégler, puis être écrasée à grand coup de maillet géant par le Lièvre. Le Lapin,
contrarié, mentionne que cřétait un cadeau de non-anniversaire. Sur ces mots, le Lièvre de
Mars et le Chapelier se remettent à chanter Un joyeux non-anniversaire, prennent le Lapin
89
Voir annexe 1, p. 175.
47
et le jettent hors de la cour. Alice, décidée à suivre lřobjet de sa curiosité, quitte le Lièvre et
le Chapelier sans plus attendre. Cocasse et entraînante, la scène dřun Thé extravagant est la
plus près du nonsensique carrollien.
Notre prochaine scène a été créée par lřéquipe Disney. Il ne sřagit pas dřune modification
ou dřun transfert de personnages, mais dřun réel ajout complet de leur part. Dans la version
de lřécrivain, cřest en quittant la maison du Lièvre quřAlice découvre un arbre doté dřune
porte. Alors que la fillette lřouvre et entre, elle se retrouve à nouveau dans la grande salle
contenant la table de verre. Se décidant à faire les choses comme il le faut, elle prend la clé,
mange un morceau de champignon afin de rapetisser et de passer dans la seconde porte.
Elle traverse le corridor qui mène au jardin et sřy retrouve enfin. Lřadaptation de Disney
balaye ce chapitre afin de le remplacer par lřajout du « Tulgey Wood ». Ce nom se retrouve
seulement dans le poème du Jabberwocky. Cet épisode du film suit directement celui du
Thé extravagant, alors quřAlice quitte la table, exaspérée par lřattitude du Chapelier Toqué
et du Lièvre de Mars. Elle tente, comme toujours, de retrouver le Lapin Blanc. Et encore
une fois, elle a perdu sa trace. Exaspérée, Alice en a assez de tout ce nonsense; elle veut
rentrer à la maison. Seule, Alice est délaissée dans un bois rempli de créatures parfois
farfelues, parfois inquiétantes.
Prennent ici forme les Momeraths du poème du Jabberwocky. Mais ils nřavaient jamais été
dessinés par Tenniel ni même décrits par Carroll. Disney, lui, les représente comme des
crayons, pourvus de cheveux aux couleurs aquarelles. Ils ont une apparence plutôt
amusante. Ils forment même une flèche afin dřaider Alice à se sortir de ce mauvais pas.
Alors que lřhéroïne pense pouvoir retourner à la maison, un chien muni dřune queue-balais
efface le chemin rose. Celui-ci rappelle le chemin de briques jaunes du Magicien d’Oz,
supposé conduire lřhéroïne chez elle. Laissée à elle-même dans le noir, et sans chemin, la
fillette pense alors que sa situation est sans issue. Elle se met à chanter Je sais ce que je
48
dois faire90. Elle connaît dřailleurs la provenance de tous ses ennuis : sa curiosité. Elle se
met alors à pleurer et le Cheshire Cat apparaît comme son sauveur. Alors quřelle lui
demande encore une fois son chemin, le chat lui mentionne que tous les chemins
appartiennent à la Reine de Cœur. Alice dit quřelle nřa jamais rencontré la Reine. Le chat
est catégorique, la Reine va être « folle » de la fillette. Lřanimal lui offre,
malheureusement, un raccourci la menant directement au jardin de la Reine : la porte dans
lřarbre. Conte nonsensique se voulant récit initiatique, la fillette doit prouver quřelle a
compris ses erreurs et apprendre à ne pas les répéter. Elle doit prouver quřelle ne répétera
pas la même erreur deux fois. Elle apprend, par son passage dans le monde des merveilles,
à devenir une adulte. Celle de Disney a un passe-droit de la forêt au jardin… et elle semble
condamnée à rester une enfant, plutôt mature certes, mais tout de même une enfant. Se
voulant pédagogique dès les premières minutes, Disney diminue pourtant lřapprentissage
par expérience dřAlice. Il veut que la fillette obéisse purement, et simplement, aux ordres.
Le croquet de la Reine pose une problématique intéressante quant aux personnages
masculins. En effet, les personnages masculins des deux tomes dřAlice sont plutôt effacés,
presque émasculés, si ce nřétait de la présence du Roi de Cœur. Dans lřœuvre de lřécrivain,
ce dernier est lřun des seuls hommes qui aient une certaine masculinité agressive.
Lřagressivité du Roi, conjointe à la fureur de la Reine de Cœur, est redoutable. Mais
Disney modifie le Roi, autant dans sa physionomie que dans sa psychologie. Alors que
celui de Carroll est une carte, donc de la même taille que sa compagne, lřhumanisation de
ces deux cartes permet beaucoup de liberté. Le Roi et la Reine ne sont pas des hybrides, ils
ont un corps humain. Cřest un Roi de taille minuscule qui apparaît. Sa femme, au contraire,
est puissante et en surpoids. Le physique du souverain est lié directement à sa personnalité.
Lřhomme est timide, effrayé par les sautes dřhumeur régulières de sa femme. Il lui
demandera un procès pour Alice, non sans crainte de voir sa Reine éclater de colère.
90
Voir annexe 1, p. 176.
49
Et pourtant, Lutwidge Dodgson lui avait donné un rôle déterminant dans les décisions de
son épouse. En effet, cřest le Roi qui demande des procès, contrairement à sa femme qui ne
veut prononcer que des sentences. Le Cheshire Cat, lors du croquet de la Reine, est la
preuve que le Roi a une certaine influence sur son épouse. Ne voulant pas baiser la main du
Roi, le Cheshire Cat insulte le souverain. Vexé, le Roi demande à la Reine de lui faire des
suggestions. Pour son épouse, tout problème nřa quřune solution : « quřon lui coupe la
tête! » Le Roi ne demande donc pas de procès, il ordonne la décollation… Mais voilà,
comment couper la tête à un être qui apparaît et disparaît comme bon lui semble, parfois
sans son corps? Cette dispute cocasse entre le Roi, la Reine et le Bourreau nřest pourtant
pas présente dans la version de Disney. En fait, le Roi intervient timidement et tremble à
toute occasion. Même ses sujets lřoublient et ne le remarquent que très peu. La preuve : le
Lapin Blanc oublie de le présenter suite à lřarrivée triomphale de la Reine de Coeur.
Lřaméricain efface toute trace de personnages masculins forts. Et cela, au profit dřune
Reine de Cœur disjonctée et toute puissante. Le Roi, avec son air enfantin, fait paraître la
Reine dřautant plus excessive. Mais il faut se rassurer, personne ne perd réellement la tête.
Leur tête, ils lřont tous déjà perdue puisquřils sont tous fous.
Une des autres modifications a lieu lors de la partie de croquet et du procès dřAlice. Le
chapitre de La déposition d’Alice nřexiste pas dans la version disneyenne puisque notre
héroïne subit son propre procès, accusée dřavoir mis la Reine en danger. Dans le
Wonderland de Carroll, cřest le Valet de Cœur qui est accusé du vol des tartes de la Reine.
Cřest au procès du Valet de Cœur quřAlice fait sa déposition. Pour Disney, il est bien plus
drôle de transformer Alice en suspecte. Pourtant, cřest le Cheshire Cat qui renverse la
Reine, cřest donc lui le vrai coupable. Le Roi, inquiet pour sa femme, la protège à lřaide du
jeu de cartes. Alors quřelle veut faire couper la tête dřAlice, le Roi demande timidement
quřelle ait un procès. La Reine, dans un « élan de bonté », accepte afin de « plaire » à son
mari. Une fois au tribunal, cette dernière veut donner la sentence avant même que les
témoins ne passent à la barre. Encore une fois, cřest le minuscule homme qui réussit à ce
que la fillette ait un procès « convenable ». Comme dans lřœuvre dřorigine, les témoins
défilent sans quřaucun nřait rien à dire dřimportant, le témoignage le plus crédible étant
50
celui de la Souris chantant Twinkle Twinkle91. Lors de ce dernier témoignage, le Chat du
comté du Chester apparaît. La Souris est prise de panique et alors que tous essaient de
lřassommer, cřest la Reine qui écope. Dans ce joyeux branlement de combat, Alice mange
un morceau de champignon la faisant grandir à tel point que la Reine évoque lřarticle 42.
Celui-ci stipule quřune personne dépassant plus dřun kilomètre de haut doit absolument
sortir de la salle. Alors quřAlice est gigantesque, elle insulte les habitants du pays des
merveilles. Mais se mettant soudainement à rapetisser, la Reine et ses cartes la prennent en
chasse.
Sřenfuyant, elle revoit tous les personnages et revisite certains endroits du Wonderland. La
course devient même surréaliste. En effet, Alice passe dřun endroit à lřautre par
associations, par exemple de la tasse de thé à la mer agitée, de cette dernière à un nuage de
fumée (que la Chenille lui exhale au visage). Arrivée à la poignée de porte parlante, cette
dernière lui rappelle quřelle est toujours barrée. Prise de panique, lřenfant lui dit quřelle
doit sortir. Mais la poignée lui annonce quřelle est déjà dehors. Pourtant, Disney nřa
aucunement préparé le terrain à une telle éventualité. Contrairement à Carroll qui
commençait son conte avec une Alice somnolente, lřAlice de Disney est enjouée et chante
Dans le monde de mes rêves. En aucun cas, il nřest question dřune fillette qui sřendort.
Paniquée, Alice regarde alors dans la poignée, qui ouvre sa bouche grande, et se voit dormir
sous lřarbre sur lequel elle était perchée en début de film. Pour Carroll, le réveil de la
fillette est différent de celui de Disney. Bien que son Alice mange aussi un morceau de
champignon afin de grandir et quřelle rapetisse aussitôt, elle ne fuit pas les cartes. Elle les
affronte en les repoussant avec ses mains afin de les rejeter. Lřagressivité de notre héroïne,
encore une fois, lui fait défaut; la protagoniste disneyenne se sauve de tous au lieu de
devenir adulte en affrontant ses peurs.
91
Twinkle, twinkle, little bat! How I wonder what you're at! Up above the world you fly, Like a tea tray in the
sky!
51
Nous avons donc vu, au cours de cette section, comment ces changements, provenant de
lřimaginaire de Disney, ont su transformer le conte de Carroll. Ces idées nřétaient pas le
résultat dřune « rencontre » entre le cinéaste et lřécrivain, cřest plutôt ce qui personnalise
lřadaptation. Bien que le film de Disney soit le résultat dřune équipe, toutes les scènes
choisies ont un seul et même but concluant : celui de la linéarité diégétique.
Les idées de conte rejetées par l’animateur
Dans cette section, il sera question des idées de roman qui ont été rejetées. Quřelles aient
été de petits ou de grands retraits, ces idées participent à faire de lřadaptation ce quřelle est.
Nous lřavons expliqué dans notre introduction, le processus de transfert dřun médium à
lřautre nécessite toujours des choix, plus ou moins évidents, plus ou moins importants.
Dans le cas du cinéma, les paramètres sont nombreux : la durée du film, lřimage versus les
mots, lřesthétique, etc. Mais ici, la plus grande limitation est créée par Disney lui-même :
son public. Et les retraits, basés sur ce public quřil croit incapable de comprendre, nřen sont
que plus malheureux selon nous. Comme nous lřavons mentionné plus haut, ce nřest pas
lřesthétique qui fut la cause de cet échec. Les dessinateurs ont exploité toutes les avenues
que permettait la technique. Malheureusement, Disney nřa pas su profiter pleinement de
cette « rencontre » que permettaient le texte de Carroll et son cinéma. Plusieurs déceptions
sont causées par bon nombre de retraits narratifs carrolliens. Malgré cela, nous ne
remettons aucunement en cause les magnifiques créations des animateurs Clyde Geronimi,
Wilfred Jackson et Hamilton Luske, ayant tous participé à de grands succès. Nous lřavons
dit, Disney base ses choix sur des classiques de la littérature enfantine. Et bien quřAlice au
pays des merveilles soit un objet littéraire prisé, le conte laisse un goût amer auprès de
lřéquipe Disney. Contes écrits par un élitiste pour des enfants de lřélite, cřest auprès de la
bourgeoisie victorienne que les œuvres de Carroll deviennent populaires. Objets littéraires
estimés encore aujourdřhui, les deux tomes dřAlice donnent beaucoup de difficultés aux
lecteurs, même les plus aguerris, car il faut y voir une satire dřune société éloignée de nous,
puritaine, stricte. Disney présente à son public une œuvre, dépossédée de tout livresque et
52
de sa structure onirique, quřil nřa lui-même pas bien comprise. Disney a fait du conte un
objet populaire. Pourtant, Alice représente un de ses échecs les plus cuisants.
À regret, Disney a retiré la plupart des éléments livresques. Car en écrivant les deux tomes
dřAlice, Carroll créa un conte original, nonsensique, mais il fit aussi une critique satirique
et intellectuelle de lřépoque victorienne. Si Disney avait transposé la critique de la société
bourgeoise et puritaine aux années quarante et cinquante, il y a fort à parier que le public
aurait eu un intérêt plus grand pour le film. Disney présenta une œuvre réductrice afin de
convenir au plus grand nombre. Afin de pallier plusieurs manques, Disney incorpore dixhuit chansons rythmant le film. Pour Bendazzi, dans son livre Le Film d’animation : du
dessin animé à l’image de synthèse,
un de ces freins dans la consommation de masse est lřélimination des
caractéristiques les plus originales du produit, celles qui peuvent enthousiasmer
certains mais surtout dégoûter les autres. La conséquence en est la recherche dřun
dénominateur commun vers le bas, qui soit agréable au plus grand nombre et au plus
vaste éventail de consommateurs. En un mot, il est question de commercialisation,
cřest-à-dire dřun abaissement qualitatif. À ce principe sřajoute la nécessité de
ressembler à son propre public92.
À lřépoque de Dodgson, nous présumons que cette nécessité de ressembler à son propre
public devait se faire ressentir. Époque victorienne élitiste et pudique, Carroll voulait
amuser son jeune public. Ainsi, dans le cheminement du conte, passé de lřoral à lřécrit, le
premier public des aventures dřAlice est restreint. En effet, le conte est raconté (avant
dřêtre couché sur papier quelques années plus tard à la demande de la petite Alice Liddell)
sur une barque. Carroll est accompagné des sœurs Liddell et dřun ami de Christ Church
College, le révérend Duckworth. Les jeunes Liddell, Lorina, Edith et bien sûr Alice, sont
les filles dřHenry George Liddell, doyen du Christ Church College. Comment penser que
Carroll ne se soit pas adapté aux enfants nés de lřélite? Sans oublier ses situations
dřenseignant, de mathématicien et de révérend à Christ Church? Tout comme Disney, il a
probablement adapté son histoire à son auditoire. Carroll a fait du conte un objet littéraire
92
Giannalberto Bendazzi, op. cit., p. 113.
53
pour une minorité alors que Disney, lui, lřa mis à la portée de tous… en simplifiant. Disney
a du mérite, puisque le conte est redevenu populaire auprès de tous grâce à lui (rappelons
que le conte était une tradition orale, et donc accessible à tous, avant de devenir un objet
littéraire), mais à quel prix?
Les épisodes Dans la mare aux larmes et La course au Caucus représentent bien la perte du
livresque du tome dřAlice au pays des merveilles. Cřest le retrait de la Souris qui amène le
déclin non seulement du nonsensique, mais aussi des jeux de mots. En effet, bien que les
mots-valises soient plus présents dans le poème du Jabberwocky, ou encore dans le livre de
La Chasse au Snark93 (livre où Alice nřest pas mise en scène), dřautres jeux de mots sont
faits à lřaide dřhomophones, par exemple. À la toute fin de La mare aux larmes, la Souris
fait son apparition en nageant dans les larmes dřAlice. Dřabord, Alice sřadresse à elle en
anglais. Voyant que celle-ci ne cesse de nager, la fillette essaie de sřadresser à elle en
français. Malheureusement, la seule phrase dont elle se souvienne bien est : « Où est ma
chatte? » Maladresse de la part dřAlice, car la petite bête se sauve de plus belle. Lřenfant
lui demande pardon et la Souris lui dit quřelle lui racontera pourquoi elle a peur des chats.
Nous arrivons donc au chapitre trois : Une course au Caucus et une longue histoire. La
Souris et les oiseaux mouillés cherchent un moyen de sřassécher, ayant été trempés par la
mer de larmes. La Souris, disparue du film de Disney, ne voit quřun moyen :
Voici la chose la plus sèche que je connaisse. […] « Guillaume le Conquérant, à la
cause duquel le pape était favorable, reçut bientôt la soumission des Anglais qui
avaient besoin de chefs et qui étaient habitués depuis quelque temps à lřusurpation et
à la conquête. Edwin et Morcar, comtes de Mercie et de Northumbrie […] se
déclarèrent pour lui; et Stigand lui-même, archevêque de Canterbury, bien connu
pour son patriotisme, trouvant cela opportun… »94
Sřen suit alors un quiproquo concernant le mot « cela ». Le Canard cherche à savoir ce
quřest « cela ». « Cela », il sait ce que cřest lorsque cřest lui qui le trouve, mais quřest-il
alors dans cette phrase? Nřayant aucune réponse à donner, la Souris remarque quřils nřen
93
94
Lewis Carroll, La Chasse au Snark suivi de À travers le Jabberwocky, Paris, Gallimard, 2010, 132 p.
Lewis Carroll, Alice au pays des merveilles, op. cit., p. 62-63.
54
sont pas plus secs. Lřintellectualité et les jeux créés par Carroll sont basés sur les mots,
mais le sont aussi sur les images. Nous avons donc montré un des jeux fondés sur les mots;
le prochain est basé et sur les mots et sur les images. La Souris est encore responsable de
ces jeux; et cřest en anglais que le résultat est le plus évident. Racontant pourquoi la Souris
a peur des chats, Carroll nous offre deux jeux de mots fort intéressants au niveau des
homophones « Tale » (conte) et « Tail » (queue) ainsi que « not/knot » (négation/nœud).
95
En français, le jeu est plutôt axé sur la forme et la longueur de la queue de la Souris et non
sur lřhomophonie des mots. Puisque la bête dit que son histoire est longue en regardant sa
queue, Alice présume alors que cřest réellement de la queue de lřanimal dont il est
95
Wikipédia, [en ligne], http://en.wikipedia.org/wiki/File:TheMousesTale.svg [site consulté le 20 mai 2013].
55
question. « Et pendant que la Souris parlait, Alice continuait à se casser la tête à ce propos,
de sorte que lřidée quřelle se faisait de lřhistoire ressemblait un peu à ceci… »
« Je nřétais pas encore au nœud de mon histoire! »
ŕ « Il y a donc un nœud quelque part? » […]
« Oh je třen prie, laisse-moi třaider à le défaire! »
Fureur dit à
une Souris Quřil
avait trouvée au
logis : « Allons
devant le tri ŕ
bunal : Je te
poursuis de ŕ
vant la loi.
Je nřaccepte
pas de refus;
Je tiens que
ce procès
mřest dû :
Or il se
trouve
quřauŕ
jourd » hui
moi je
nřai rien
à faire; et
toi? » La
souris ré ŕ
pond au ro ŕ
quet : « Mon
cher mon ŕ
sieur, un tel
procès, Sans
juge et sans
aucun jury,
Ne se peut pas,
je le crains
fort. Ŕ Je se ŕ
rai juge et
puis juré »,
répondit
Fureur le
rusé. « Cřest
moi qui ren ŕ
drai le
verdict.
Je te
condam ŕ
nerai
à
m
o
r
t»
Nous voyons donc un jeu de mots, mais aussi un jeu basé sur lřimage (comme les
calligrammes dřApollinaire). Mais pourquoi avoir enlevé ces jeux de mots? Était-ce trop
56
compliqué pour le public de Disney ou sous-estimait-il la masse populaire? Pourtant, ces
boutades sont en elles-mêmes amusantes si lřon sřy attarde un tant soit peu. La remise des
prix, lors du chapitre de La course au Caucus, est aussi retirée par Disney. En effet, il est
étrange quřAlice donne des dragées provenant des propres poches; il est difficile
dřimaginer que la fillette soit forcée de donner quelque chose qui lui appartient de droit. De
plus, elle se donne à elle-même ce qui lui reste : un simple dé à coudre. Il est important de
comprendre que la course a pour simple but de sécher les personnages, mais puisque la
tradition veut quřil y ait un gagnant lors dřune course, la surprise dřAlice est de taille
lorsquřelle apprend que tous ont gagné. Décidément, aucune règle ne sřapplique dans le
monde des merveilles et la fillette lřapprendra à ses dépens. Du moins, dans la version de
Carroll, car celle de Disney ne sait que faire de toutes ces « morales » non traditionnelles.
Nous nous attarderons maintenant au second tome dřAlice : De l’autre côté du miroir. La
deuxième partie des aventures de la fillette regorge de coins sombres et inquiétants. Nous
verrons donc, ici, quelques-uns de ces éléments ayant disparu de lřadaptation disneyenne.
Le premier épisode ayant subi des pertes est celui de La maison du miroir. Dès les
premières pages, le dessin du Jabberwocky, de Tenniel, accompagne le court poème. Ce
dernier, en plus dřêtre sombre, est en fait très compliqué, et pour lřadulte, et pour lřenfant.
Et bien que lřadulte soit plus enclin à le comprendre, il nřest pas aisé de sřatteler à la tâche.
Lřimage du Jabberwocky représente bien le poème. Dès la seconde strophe, il est question
du Jabberwocky « à la gueule qui mord et à ses griffes qui happent. » Comme le dit
Aurouet dans Contes et légendes à l’écran, « [la plupart d]es aspects angoissants ou cruels
du texte [ont été] gommés au profit de la rondeur des personnages et du scénario 96. » Le
film ayant comme public principal les enfants, il était évident que le Jabberwocky et son
poème étaient appelés à disparaître, à part la première strophe chantée par le Cheshire Cat.
96
Florence Livolsi, « Alice de lřautre côté de lřécran : Les méthodes de lřadaptation », dans Contes et
légendes à l’écran, op. cit., p. 165.
57
JABBERWOCKY
« Il était grilheure; les slictueux toves
Gyraient sur lřalloinde et vriblaient :
Tout flivoreux allaient les borogoves;
Les verchons fourgus bourniflaient.
58
« Prends garde au Jabberwock, mon fils!
À sa gueule qui mord, à ses griffes qui happent!
Gare lřoiseau Jubjube, et laisse
En paix le frumieux Bandersnatch!
« Le jeune homme, ayant pris sa vorpaline épée,
Cherchait longtemps lřennemi manxiquais…
Puis, arrivé près de lřArbre Tépé,
Pour réfléchir un instant sřarrêtait.
« Or, comme il ruminait de suffêches pensées,
Le Jabberwock, lřœil flamboyant,
Ruginiflant par le bois touffeté,
Arrivait en barigoulant!
« Une, deux! Une, deux! Dřoutre en outre,
Le glaive vorpaline virevolte, flac-vlan!
Il terrasse le monstre, et, brandissant sa tête,
Il sřen retourne galomphant.
« ŘTu as donc tué le Jabberwock!
Dans mes bras, mon fils rayonnois!
Ô jour frabieux! Callouh! Callock! »
Le vieux glouffait de joie.
« Il était grilheure : les slictueux toves
Gyraient sur lřalloinde et vriblaient :
Tout flivoreux allaient les borogoves;
Les verchons fourgus bourniflaient. »
Image angoissante, le Jabberwocky est éliminé du film de Disney. Tout comme Disney, les
parents ont troqué les contes cruels, ceux-ci étant beaucoup trop sombres. Ils préfèrent les
versions rondes et romancées de Disney. Ils préfèrent la naïveté aux leçons apprises à lřaide
du conte traditionnel. Ils préfèrent que la petite Sirène épouse le prince Éric, au lieu de se
suicider parce quřil a épousé une autre femme qui, elle, pouvait parler. Il est évident que la
nécessité dřun happy ending, très fortement présent dans le cinéma américain, tend à
expliquer ces choix.
Pour nous, le film de Disney est une réussite au plan plastique, mais un échec total au plan
narratif. Bien que Disney ait rendu le conte accessible à tous en le remplissant dřhumour et
dřimages merveilleuses Ŕ comme lui seul pouvait le faire Ŕ, il amenuise aussi tout aspect
menaçant. Bien que le Jabberwocky soit lřélément le plus angoissant du poème au langage
complexe, plusieurs autres personnages, ou animaux ont subi le même sort. Il faut
59
mentionner rapidement le petit Chien du chapitre quatre : Le Lapin envoie Pierre et pierres.
Alors quřAlice est assez petite pour sortir de la maison du Lapin, elle sřenfuit dans la forêt.
Cřest là quřelle croise le petit Chien. En temps normal, il nřaurait pas effrayé Alice, mais la
menace est dřautant plus grande que la fillette est minuscule. Notre héroïne, sentant le
danger, se sauve le plus rapidement possible afin de ne pas être mangée. Un autre des
éléments angoissants absent du film est le bois où les choses et les êtres vivants nřont pas
de nom Ŕ élément se trouvant au chapitre trois du second volume : Insectes du miroir. La
fillette risque, en entrant dans ce bois, dřerrer éternellement à la recherche de son identité.
Ce bois aurait été beaucoup trop angoissant pour le spectateur/enfant, lui-même étant dans
un processus de savoir qui il est. Mais elle est obligée de le traverser si elle veut devenir
Reine à la fin de lřéchiquier, élément sur lequel nous reviendrons sous peu. Malgré ces
disparitions, aucun élément ne saurait être aussi dangereux que la curiosité insatiable de la
petite Alice, qui se place dans des situations plus que douteuses.
Un autre retrait est celui du jeu dřéchecs. Par le fait même, cette disparition entraîne celle
de deux personnages importants : la Reine Rouge et la Reine Blanche. Ces personnages
emblématiques du jeu dřéchecs se sont vus effacés par Disney. Tant la rencontre dřAlice et
de la Reine Rouge dans le chapitre Le jardin des Fleurs Vivantes que celle de la Reine
Blanche dans le chapitre Laine et eau ont été effacées. Dans le conte de Carroll, le jeu
dřéchecs fascine déjà la fillette. Elle demande même à Kitty (chatonne de Dinah) si elle sait
jouer aux échecs.
Kitty, sais-tu jouer aux échecs? […] Tout à lřheure, pendant que nous étions en train
de jouer, tu as suivi la partie comme si tu comprenais : et quand jřai dit Échec! tu třes
mise à ronronner! […] Je suis sûre que jřaurais pu gagner si ce méchant Cavalier
nřétait pas venu se faufiler au milieu de mes pièces. […] Faisons semblant que tu
sois la Reine Rouge, Kitty!
Alice, pleine dřimagination, veut même faire semblant dřêtre Reine. Tentant de voir ce
quřil y a de lřautre côté du miroir, ce dernier disparaît sous sa main, lui permettant de le
traverser. Dès quřAlice passe dans le monde du miroir, elle remarque que les tableaux
semblent vivants et que tout y est moins à lřordre. Mais les pièces de lřéchiquier attirent
60
encore plus son attention : elles sřen vont deux par deux, parlent et ont peur dřAlice, bref
elles sont « vivantes ». Mettant en place le jeu de réflexion par excellence, Carroll ajoute de
la complexité à lřœuvre.
Mais Disney, écarte dřemblée le jeu dřéchecs. Dřune part la diégèse se serait dřautant plus
complexifiée. De lřautre, cřest dans le monde du miroir que se trouvent les péripéties et les
personnages les plus sombres. Subsistent alors peu de choses du second volet dřAlice. Car
lřidée du roman de ce professeur dřUniversité, Dodgson/Carroll, allait de pair avec la
logique mathématique. Bien quřaucune partie dřéchecs ne soit réellement jouée, la Reine
Rouge et la Reine Blanche, sont un symptôme de cette logique. Et si Alice veut devenir
lřune des pièces les plus importantes du jeu, cřest la Reine Rouge elle-même qui lui en
confirme la possibilité. Comment? En franchissant les huit cases, la dernière étant non
seulement la fin du jeu, mais aussi la fin du monde de lřautre côté du miroir. Dans sa
grande détermination à devenir reine, elle nřhésitera aucunement, ou presque, à se mettre en
danger, mais sans trop en comprendre les conséquences.
Lřépisode de Bonnet Blanc, Blanc Bonnet, présent dans la version disneyenne, a
malheureusement été dépossédé dřun événement cocasse ainsi que dřun personnage.
Faisant encore référence au jeu dřéchecs, le Roi Rouge (et non le Roi de Cœur) est
lřélément qui a disparu. Dans lřœuvre de Carroll, Alice, Bonnet Blanc et Blanc Bonnet
entendent un halètement dans le bois. La fillette, surprise et anxieuse, demande sřil nřy
aurait pas de lion dans leur forêt. Mais les deux bonshommes lui révèlent que cřest en fait
le Roi Rouge qui ronfle. Non seulement rêve-t-il dřAlice, mais tous les personnages sont
des éléments de son rêve. Bonnet Blanc et Blanc Bonnet sont très précis sur ce sujet : « Tu
nřes quřun élément de son rêve! Tu sais très bien que tu nřes pas réelle! » Alice, offusquée,
demande ce quřils sont, si elle est un composant du rêve du Roi? Ils lui répondent quřils
sont la même chose quřelle : un fragment onirique. Depuis le tout début du second texte
carrollien, tout portait à croire que lřautre côté du miroir était une construction du rêve de la
fillette. Mais la source de tous ces événements est-elle réellement le fruit de lřimagination
61
dřAlice ou du Roi? Qui rêve de qui? Disney, afin de correspondre à son public, a évité le
personnage du Roi. Il aurait été trop compliqué dřavoir deux rêveurs, le premier étant la
fillette (elle est endormie contre lřarbre), le second aurait été le Roi. Disney a préféré sřen
tenir aux merveilles créées par Carroll en se limitant à un seul rêveur.
Une des surprises supplémentaires dans le chapitre Bonnet Blanc, Blanc Bonnet, réside
dans lřabsence de la querelle de la vieille crécelle. Cet événement cocasse aurait été parfait
dans le cadre, non seulement du film, mais aussi dans la lignée des adaptations disneyennes
au comique indémodable. Cette querelle consiste en ceci : Blanc Bonnet a brisé la crécelle
de Bonnet Blanc et ce dernier nřarrive pas à pardonner au premier. Alors quřAlice cherche
à quitter les lieux, les deux personnages la retiennent, Bonnet Blanc trouvant la crécelle
brisée au pied dřun arbre. Les bonshommes en viennent à demander à la fillette de les
habiller avec des couvertures, carpettes, nappes, plats, seaux de charbon, etc. Et sřil
demande à la fillette de les habiller, cřest afin de se battre et de « vider » cette querelle. Et
alors que le combat commence, Alice en profite pour sřen aller discrètement, ce quřelle
tentait de faire depuis le début de leur « rencontre ». Imaginer ce que Disney aurait pu faire
de cette péripétie laisse un goût amer, car elle aurait été en phase avec la recette
disneyenne. La scène du film nřen aurait été que plus drôle. Bien que lřhumour soit au
rendez-vous, troquer Le Père François97 contre la querelle de la vieille crécelle aurait été
beaucoup plus amusant et aisément réalisable! Dommage que ce chapitre ait été altéré à ce
point.
Nous parlerons, rapidement, de la disparition dřun personnage porteur dřélitisme. Le Gros
Coco (Humpty Dumpty en anglais) faisait son apparition dans le chapitre six. Bien que son
retrait soit malheureux, il nřest pas très étonnant. En effet, le Gros Coco explique le poème
du Jabberwocky à la petite Alice et comme nous le savons, le Jabberwocky et le texte
lřaccompagnant ont été retirés, pouvant être jugés trop compliqués et trop effrayants. La
97
Voir annexe 1, p. 171.
62
disparition du Gros Coco amène la même conclusion que celle reliée à lřabsence de la
Souris et à la répétition, par le Cheshire Cat, de la première strophe du poème du
Jabberwocky en boucle : le retrait des éléments qui auraient pu être trop complexes.
Comme nous lřavons mentionné plus haut dans cette section, lřéquipe Disney tend à juger
les enfants et son public cible de la « masse populaire ». Il les croit incapables de
comprendre le nonsensique, la logique semblant trop grande. Disney laisse la référence au
cadeau de non-anniversaire en la plaçant dans la scène du Thé extravagant. Mais cřest tout.
La perte du Gros Coco arrogant et bousculant la petite Alice (pas physiquement, mais
psychologiquement) est attristante. Cřest un Coco plutôt dominateur que Carroll construit.
En effet, lorsque le Gros Coco utilise un mot, il en change la signification quand bon lui
semble. Comme il les paie, les mots nřont quřà sřincliner, cřest lui le maître. Le Coco
participe aussi à lř« éducation » dřAlice en lui révélant des choses quřelle ne sait pas. En
effet, notre héroïne se tourne vers ce dernier afin de répondre à ses interrogations
concernant les mots-valises du poème du Jabberwocky. Le mot « Grilheure » signifierait
quřil est six heures du soir, lřheure où lřon fait griller la viande. « Slictueux » voudrait
dire : souple, actif et onctueux, etc. Alice aura aussi eu la chance dřapprendre que lřhabit ne
fait pas le moine.
Comme nous lřavons démontré, les idées de littérature retirées, soit par simple manque de
temps à lřécran, soit par simple manque dřintérêt, viennent modifier les caractéristiques de
lřœuvre de départ afin dřinstaurer de nouvelles significations. Les choix effectués par
Disney transforment à jamais lřinterprétation des deux tomes des aventures dřAlice.
63
64
Alice, Jan Švankmajer, 1989
Švankmajer, Surréalisme, Stop-motion et type d’adaptation
Jan Švankmajer est né le 4 septembre 1934 en Tchécoslovaquie. En 1950, il entre à lřÉcole
des arts appliqués de Prague afin dřétudier la création de décors. Par la suite, il se dirige
vers la faculté dřart dramatique de lřAcadémie des Beaux-Arts de Prague où il sřintéresse
de très près aux marionnettes. Cřest en 1970 quřil intégrera, avec son épouse, le groupe
surréaliste de Prague. Si, tout dřabord, il sřimplique dans le théâtre de marionnettes, il se
tourne rapidement vers le cinéma. Il réalise son premier court métrage en 1964 : Le Dernier
Truc de M. Schwarzwald et de M. Edgar. Pendant plusieurs années, lřartiste tchèque subit
la censure sous le joug du Parti communiste tchécoslovaque, alors que plusieurs de ses
films se voient retirés du marché avant ou dès leur sortie. Artiste multidisciplinaire, il est
reconnu pour sa sculpture inspirée des mouvements baroque et maniériste, ainsi que sa
poésie surréaliste. Il est fasciné par lřanimisme et affectionne plus particulièrement la
technique du stop-motion, mélangée à la prise de vues réelles. Toutes ces obsessions
transparaissent dans les œuvres de Švankmajer, peu importe le moyen choisi par celui-ci. Il
réalise son premier long métrage, Alice, en 1989, soit juste avant la tombée du Rideau de
fer. Mais ce nřest pas sa première adaptation du monde de lřillustre Carroll. En effet, il
réalise Jabberwocky Ŕ poème de mots-valises dans De l’autre côté du miroir Ŕ en 1971.
Tout comme dans Alice, le thème de lřenfance y est très présent et le poème y est récité par
une petite fille quřon ne verra jamais à lřécran. Les treize minutes du court métrage sont
ponctuées dřobjets divers et usuels; encore une fois, le cinéaste y mélange stop-motion et
prise de vues réelles. Švankmajer fait, tout au long de sa carrière, surtout des courts
métrages. Il anime de tout, de la pâte à modeler aux poupées de papier en passant par des
corps morts, de la viande, ou encore, des crânes.
Contrairement aux deux autres adaptations choisies, Švankmajer nřexploite que le premier
volet des aventures dřAlice, soit Alice au pays des merveilles. Dřun point de vue narratif,
cette adaptation est la plus exacte de nos trois œuvres choisies. Švankmajer suit les
chapitres du conte, et ce, dans lřordre exact donné par Dodgson. Malgré cette grande
fidélité narrative, il ajoute une scène, sur laquelle nous reviendrons. Carroll et Švankmajer
66
construisent leurs histoires respectives de la même façon. Pour se rapprocher de lřenfance
et du rêve, leurs arrangements se basent sur une structure onirique plutôt que sur une
narration évidente. Bien quřil ait fait deux contes hors normes pour lřépoque, Carroll reste
dans lřesprit de lřonirique et du merveilleux. Et quoi de plus représentatif dřun rêve que
lřabsence de structure apparente? Lorsque nous dormons, notre esprit ne suit pas une ligne
droite, mais bien une forme sinueuse et décousue. Le rêve commence on ne sait où, il finit
abruptement, et un autre commence sans que lřon sřen aperçoive. Malgré cette apparente
absence de structure, il y en a bel et bien une : celle dřobjet à objet. Rappelons lřexemple
donné dans notre analyse de Disney, les larmes dřAlice. Alors que lřAlice de Carroll pleure
dřavoir trop grandi, elle se retrouve soudainement dans une mer agitée. Cřest cette structure
onirique que Švankmajer utilise. Habitué de voir des films à la narrativité linéaire, le
spectateur est déstabilisé, plongé dans lřincertitude. En plus dřutiliser le lien dřun objet à un
autre, il le fait avec les plus quotidiens qui soient. Il pousse la note encore plus loin avec
des objets chargés dřémotions, allant même à la limite du morbide lorsquřil prend des corps
morts.
Tous les choix de Švankmajer, tant pour le film Alice que pour ses autres œuvres, reflètent
son amour pour le surréalisme et pour le stop-motion, technique fort utilisée par le cinéaste.
Comme nous lřavons déjà expliqué dans notre introduction, cette technique consiste à
placer les personnages et les décors, les prendre en photo, les déplacer, les reprendre en
photo, et ainsi de suite, jusquřà ce que lřaccumulation de ces prises de vue forme une image
continue, une impression de mouvement à la projection. Le contrat de « lecture » du
spectateur nřest pas bien différent, au départ, de celui de lřanimation traditionnelle, mais
change drastiquement en cours de route.
Le cinéma dřanimation est un univers manifestement merveilleux : lřinerte y est
animé. Le spectateur accepte, dans un film, la transgression des lois de la logique
comme un phénomène normal. Il ne sřétonne plus quřune chaise puisse bouger. On
retrouve pourtant dans les films de Švankmajer une dimension fantastique qui amène
le spectateur, aussi familier soit-il avec les trucages auxquels a recours lřanimation, à
67
se questionner sur les lois dřune réalité où le corps humain, tour à tour artifice, sujet,
accessoire, personnage, est soumis aux aléas de lřanimation98.
En effet, Švankmajer propose des films où lřintégration de lřanimation dřobjets particuliers
et la « désacralisation » des corps désorientent le spectateur, habitué à une animation
disneyenne, et donc beaucoup plus traditionnelle. Rendant lřidentification, à un quelconque
personnage, difficile pour le public, le cinéaste nous fait entrer dans une réalité des plus
étranges, fantastique et brute. Cette version fantastique dřAlice repose aussi sur les
hypothèses de Freud concernant lřinquiétante étrangeté, soit lřexact contraire de Disney.
Malgré une grande fidélité narrative, Švankmajer troque le merveilleux de Carroll pour le
fantastique. Lřécrivain nous amène dans le monde du rêve et du merveilleux par
lřanthropomorphisme, en plus de la transition dramatique de la chute dans le terrier du
lapin.
Jan Švankmajer, en ne présentant que des corps morts (à lřexception dřAlice), visite
lřinquiétante étrangeté de Freud99 en basculant vers le fantastique. Alors que le père de la
psychanalyse avance que le conte merveilleux nřest aucunement un endroit de prédilection
pour lřinquiétante étrangeté, tout le contraire se produit dans Alice. Lřhistoire reste
merveilleuse, mais cřest par la technique de Švankmajer quřelle devient fantastique.
Sřintroduisant dans une tradition surréaliste (une des obsessions du réalisateur; selon ses
dires, son art est foncièrement surréaliste), le film sřattaque à lřinconscient. Comme le
mentionne Neil Coombs dans Studying Surrealist and Fantasy Cinema, « the subconscious
was a key concern of the Surrealists and many of Švankmajerřs films concern madness and
are structured as a dream or nightmare100 ». Construit de façon onirique, lřinquiétante
étrangeté est possible grâce à ce glissement vers le fantastique, mais aussi grâce au niveau
de réalité des images et à la technique. En effet, Švankmajer sřévertue à prendre des objets
réels et qui ont déjà été utilisés, ils ont donc été chargés de certaines émotions. Il en parle
dřailleurs dans le documentaire Les Chimères des Švankmajer : « Comme les anciens
98
Charles Jodoin-Keaton, Le Cinéma de Jan Švankmajer : un surréalisme animé, Laval, Les 400 Coups,
2002, p. 94.
99
Sigmund Freud, L’Inquiétante étrangeté et autres essais, Paris, Gallimard (coll. Folio/essais), 1985, 342 p.
100
Neil Coombs, Studying Surrealist and Fantasy Cinema, Leighton Buzzard, Auteur, 2008, p. 87.
68
hermétistes, je crois que les objets ont une vie propre. Et parce quřils ont été témoins de
certains faits, ou bien parce quřils ont été manipulés par des personnes qui se trouvaient
dans un certain état dřesprit, dans une tension ou dans une anxiété particulière, ces objets
ont été chargés de tout cela. Et ils peuvent, dans certaines situations, retransmettre ce dont
ils ont été chargés101. » Ces objets, il les filme sans en modifier, en postproduction, la
nature et lřaspect (à lřinverse des nouvelles techniques numériques quřutilise Burton). La
relation indicielle des « images réelles » préserve donc les objets sans les transformer. Bien
sûr, lřartiste les a construits ou déconstruits pour le film mais, dans son essence, lřobjet
reste présent et filmé tel quřil est. Même si le procédé du stop-motion est une illusion, une
certaine croyance au réel opère paradoxalement.
Il faut mentionner que le cinéma de lřauteur en est un dřobsessions. Švankmajer en a
plusieurs et elles se retrouvent dans la majorité de ses films. Par exemple, le freudisme,
lřinconscient, le stop-motion ainsi que lřanimation dřobjets inanimés. Švankmajer
mentionne que « le fantastique de [s]es films prend sa source dans la réalité102 », cřest
pourquoi lřinquiétante étrangeté sřenracine à tel point dans sa version dřAlice. Du point de
vue figuratif, Švankmajer utilise la déconstruction spatiale de la maison pour rappeler
lřespace psychologique. Cette maison est, selon Freud, lřesprit et la psyché du rêveur.
Toujours selon Freud, lřinquiétante étrangeté est « ce qui nřappartient pas à la maison et
pourtant y demeure103. » Demeure donc, dans lřesprit de la fillette, une multitude de choses
plus inquiétantes les unes que les autres. Lřexemple le plus évident est celui du Lapin
empaillé prenant vie dans sa boîte de verre. Alors quřau départ celui-ci est heimlich,
familier (il se trouve dans ce qui semble être la chambre dřAlice), il devient, par son
animation, unheimlich, non familier. Il est un personnage « mort-vivant » de lřhistoire alors
quřil a été empaillé et mis dans un présentoir.
101
Les Chimères des Švankmajer, Bertrand Schmitt, Michel Leclerc, 2001, à 18 min., 25 sec.
Charles Jodoin-Keaton, Le Cinéma de Jan Švankmajer : un surréalisme animé, op. cit., p. 108.
103
Sigmund Freud, L’Inquiétante Étrangeté et autres essais, op. cit., p. 7.
102
69
Švankmajer, qui anime des corps inanimés ou morts, rejoint le sentiment dřinquiétante
étrangeté, qui serait en fait le familier qui peut devenir non familier, inquiétant, effrayant,
« tout ce qui devait rester un secret, dans lřombre, et qui en est sorti104. » On doute quřun
être vivant ait une âme; ou à lřinverse, quřun objet immobile en ait soudainement une; la
mort étant, chez Freud, lřun des plus importants générateurs dřinquiétante étrangeté. En
plus de cette déconstruction de la maison et du Lapin Blanc empaillé, la manipulation de
marionnettes (le Chapelier Fou, par exemple) conjointe à la technique du stop-motion
donne un effet saccadé et donc décalé de cette même réalité. Švankmajer nous fait glisser,
par sa technique et ses thématiques personnelles, dans le fantastique et le surréalisme.
Contrairement au fantastique, qui nous laisse perplexe quoique fasciné par ce film, le
merveilleux a comme propriété de nous faire adhérer sans questionnement à lřhistoire.
Alice est donc la preuve quřil est possible de retrouver de lřunheimlich dans une histoire
merveilleuse.
Les idées de cinéma de Švankmajer et les idées de conte de Carroll
qui se « rencontrent »
Comme nous lřavons mentionné, Alice est probablement le film le plus fidèle de nos trois
films choisis dans sa structure narrative. Cřest-à-dire que les chapitres sont presque tous
respectés et les personnages sont ceux, et seulement ceux, du premier volet des aventures
dřAlice au pays des merveilles créées par Lewis Carroll. Cřest ce sur quoi nous mettrons
lřaccent au cours de cette section dřanalyse.
Mais avant de parler définitivement de lřapproche narrative, une des « rencontres » entre
Švankmajer et Carroll est le surréalisme. Bien entendu, le surréalisme tel quřon le connaît
aujourdřhui nřexistait pas encore à lřépoque de Carroll. Pourtant, les surréalistes, dont
Švankmajer en est un fier représentant, sřinspirent énormément du travail de lřécrivain. En
effet, les thèmes du surréalisme et du conte de Carroll se rapprochent énormément.
104
70
Ibid., p. 222.
Thématique de lřenfance, mais aussi de lřinconscient, de lřévolution des valeurs sociales et
morales, etc. Comme nous lřavons expliqué dans la section de Disney, Carroll avait donné
priorité à lřesprit créatif de lřenfant, contrairement à la société victorienne exigeant dřun
enfant quřil respecte les règles adultes dès son plus jeune âge. De plus, nous y avons
démontré que la structure des contes de lřécrivain incitait le lecteur à se laisser porter par
lřonirique plutôt que par la logique. Švankmajer, fort de son surréalisme, tend vers les
mêmes buts que Carroll. Dans son livre Studying Surrealist and Fantasy Cinema105, Neil
Coombs explique :
Surrealism was a historical movement in art less concerned with painting than with the
goal of unleashing the unconscious and questioning moral and social conventions (p.
25). The power of cinema for the Surrealists was in its ability to access the
unconscious of spectators through the process of interpellation: using symbolic
imagery to unlock repressed ideas and thereby " liberate " the viewer from their social
conditioning. Their ideas were a relatively naïve combination of Freud, Marx and early
montage theories (p. 38)106.
Mettant tous deux à profit le royaume de lřenfance, Švankmajer et Carroll explorent
lřinconscient à travers lřunivers du rêve. Les objets mis en place dans la chambre de la
petite Alice illustrent bien la structure onirique puisquřils se trouvent, et dans son « rêve »,
et dans sa réalité, que ce soit dans le monte-charge menant notre héroïne au pays
« souterrain » ou dans nřimporte quelle pièce quřelle explore. Ce monde souterrain, nous
lřavons dit, représente son inconscient.
Nous verrons, dans notre section sur les ajouts modifiant lřadaptation, que cet inconscient
est physiquement dangereux pour notre Alice; tout ce quřy sřy trouve lřattaque
constamment. Rejetant les façons traditionnelles de raconter une histoire, le cinéaste brise
les conventions, autant morales que spatiales, en présentant un monde presque grotesque.
Marie-Hélène Inglin-Routisseau soutient que les surréalistes avaient une bonne raison de
sřintéresser au travail de Carroll :
105
106
Neil Coombs, Studying Surrealist and Fantasy Cinema, Leighton Buzzard, Auteur, 2008, 160 p.
Ibid., p. 25 et 38.
71
Ce que nous nommons « imaginaire carrollien » réside principalement dans ce que la
psychanalyse nomme, de son côté, fantasmes, des visions à mi-chemin entre rêverie
diurne et rêve nocturne. Ces fantasmes sont fortement imprégnés par la posture
psychotique de Charles Lutwidge Dodgson. Lřobsession de la fragmentation du
corps, un corps dissocié ayant perdu tous liens entre ses parties, en est généralement
la marque. Cette spécificité des aventures dřAlice peut expliquer que les surréalistes,
toujours prêts à représenter les « fatrasies » de la psyché ou du rêve, se soient
intéressés à Carroll107.
Švankmajer suit les idées de Carroll, non seulement de cette vision à mi-chemin entre
rêverie diurne et rêve nocturne, mais aussi dans la fragmentation du corps quřil explore à
travers la figure de la poupée. Tantôt fillette de chair et dřos, Alice devient lřobjet
ressemblant le plus à lřhumain lorsquřelle rapetisse : la poupée108. Freud en parle dřailleurs
dans L’inquiétante Étrangeté. Il mentionne que « lřenfant ne fait généralement pas de
distinction nette entre lřanimé et lřinanimé, et quřil éprouve une prédilection particulière à
traiter sa poupée comme un être vivant109. » Mais là où lřenfant trouve normal de percevoir
la poupée en tant quřhumain, lřadulte, lui, sait quřil est impossible que la poupée prenne
vie. Et si elle le fait, elle devient, alors, inquiétante. Cette représentation du corps humain,
dans son aspect plastique, a de quoi inquiéter le spectateur ainsi que la petite fille se
retrouvant sous forme de figurine. Mais cřest lorsquřelle sera humainement prisonnière
dřune poupée géante que surviendra le moment le plus menaçant. Nous reviendrons sur ce
moment particulier lors de notre prochaine section, puisquřil ne sřagit plus simplement de
fantasme ou de corps dissocié, il est plutôt question dřune angoisse beaucoup plus
profonde.
Revenons au type dřadaptation, qui est, ici, narrativement stricte. Lřadaptation stricte a une
grande fidélité diégétique à lřœuvre de départ. Elle engendre le même genre dřidées, de
sensation, mais aussi une narrativité diégétique homogène à lřœuvre originale. Car bien
quřil y ait bon nombre dřajouts, de retraits et de modifications, Švankmajer moule sa
lecture et sa compréhension du conte de Carroll avec une très grande exactitude. Il nous
laisse entrevoir, avec le plus de justesse possible, le monde des merveilles tel quřil le lit.
107
Marie-Hélène Inglin-Routisseau, Lewis Carroll dans l’imaginaire français : la nouvelle Alice, Paris,
LřHarmattan, 2006, p. 18-19.
108
Voir annexe 2, p. 190.
109
Sigmund Freud, L’Inquiétante étrangeté et autres essais, op. cit., p. 234.
72
Lřadaptation commence aux abords dřune rivière. Tout comme dans le conte, Alice est
avec une femme que lřon croit être sa sœur. Contrairement à Carroll, qui mentionne que la
fillette est avec sa sœur, Švankmajer ne nous montre quřun corps. Le cinéaste
dépersonnalise lřadulte en omettant de montrer son visage. Et sřil le fait, cřest afin de
mettre lřaccent sur la rigidité de la femme. La violence nřest pas dans les mots, elle est dans
le geste Ŕ et cřest le cas tout au long du film. Alors quřAlice tente de voir si le livre de la
femme/sœur a des images, elle se fait vivement frapper la main. Alice ne peut contenir sa
colère, son visage figé dans un rictus violent. Švankmajer nous montre alors la bouche
dřAlice en gros plan; et il le fera constamment, la fillette étant la narratrice : « Now you
will see a film made for children. Perhaps. But I nearly forgot! You must close your eyes.
Otherwise you wonřt see anything. » Lřadulte, Švankmajer le sait, a oublié comment rêver,
si ce nřest les yeux fermés :
Lřordre « fermez les yeux » dans Alice signifie (pas dans tous les cas) orientez votre
vue en vous-même. Et puisquřil ne sřagit pas dřobscurité et de tâtonnements
impuissants autour de soi-même aux fins de survivance utilitaire, mais au contraire,
de lřouverture dřun « nouveau » monde de souvenirs, dřassociations et de rêves, il
sřagit donc de lř« ordre » de percevoir le monde par lřimagination110.
Lřenfant débordant dřimagination ne sřétonne guère du monde quřil crée en prononçant les
simples mots : Il était une fois; ceux-ci lřextirpant de toute réalité. Ils permettent aux
enfants de mettre de côté la réalité lřespace dřun instant. Lřadulte, condamné au monde
tangible, rêve, mais seulement la nuit. Cřest pourquoi le cinéaste nous ordonne de fermer
les yeux, afin que les images puissent apparaître plus facilement. Il veut que nous
regardions son film avec imagination en mettant de côté notre monde « logique et
ordonné ».
Švankmajer garde deux caractéristiques créées pas Carroll. Dřune part, le caractère curieux
dřAlice; dřautre part, la peur du Lapin. Même empaillé, il garde cette spécificité particulière
à son espèce : la peur. Bien que lřhéroïne carrollienne ne fût pas si stupéfaite dřapercevoir
un Lapin Blanc en costume, notre protagoniste švankmajérienne, elle, est très étonnée de
110
Charles Jodoin-Keaton, Le Cinéma de Jan Švankmajer : un surréalisme animé, Laval, op. cit., p. 105.
73
voir sřanimer lřanimal (rempli de bran de scie) dans sa boîte vitrée. Elle décide de le suivre
alors quřil se dirige dans un décor désertique. Comme dans le conte, le Lapin a peur dřêtre
en retard, retirant constamment sa montre gousset de ses « entrailles » afin de vérifier
lřheure111. Mais quelle nřest pas sa surprise, et sa frayeur, lorsque la fillette lřinterpelle! Il
prend alors la fuite vers son « terrier ». Alice, curieuse, décide de le suivre; lřAlice
carrollienne et švankmajérienne se rejoignent, et ce, tout au long du film. Elles
correspondent aux caractéristiques de lřenfance mises en place par Carroll, contrairement à
Disney qui a fait dřAlice une petite fille sage. Les similitudes entre les deux personnages de
Švankmajer et de Carroll sont aussi présentes dans le chapitre Dans le terrier du Lapin,
joint au chapitre La mare aux larmes.
Malgré toutes les transformations, la trame narrative de départ est presque la même. Suite à
sa « chute » dans le terrier, la fillette tombe sur un tas de feuilles, tout comme lřAlice de
Carroll. Le même processus de la table, remplacée ici par un pupitre et une tartelette, suit
son cours. Comme nous lřavons mentionné plus haut, notre héroïne devient une poupée
lorsquřelle rapetisse. Ses caractéristiques restent celles de lřenfant malgré sa stature figée.
Ouvrant la porte sous sa forme humaine, Alice découvre un jardin de carton rappelant des
décors de théâtre. Elle y aperçoit aussi lřobjet de sa curiosité : le Lapin Blanc. Effrayé par
Alice, le Lapin piétine les mains de la fillette qui tente de lřattraper. Le Lapin repart
anxieux, Alice referme la porte, boit de lřencre et rapetisse, mais comme dans le conte, la
porte est à nouveau fermée à clé. Lřhéroïne, qui mange une tartelette, grandit tellement
quřelle se cogne la tête au plafond et devient trop grande pour passer la porte. Ce nřest plus
la vision dřun jardin qui sřoffre à Alice lorsquřelle ouvre la porte à nouveau, mais celle
dřun décor de mer agitée. Nous avons parlé de la « rencontre » entre la structure onirique et
imagière. Cřest ici un exemple flagrant. Image prophétique, Alice fond en larmes, les
larmes remplissant la pièce à vue dřœil. Le caractère curieux dřAlice ainsi que la peur du
Lapin sont donc conservés par Švankmajer.
111
74
Voir annexe 2, p. 192.
Mais la curiosité dřAlice nřest pas le seul trait de caractère du personnage que Švankmajer
garde. Une autre « rencontre » réside dans lřagressivité de lřAlice carrollienne et de lřAlice
švankmajérienne. En effet, la fillette nřest pas seulement curieuse, elle est aussi agressive.
La combinaison entre ce trait de caractère et le stop-motion fait de la scène Le Lapin envoie
Pierre et pierres un moment inquiétant. Alice vient tout juste de sortir de la pièce remplie
de larmes pour se retrouver en pleine nature. La fillette, devenue poupée, flotte dans la
rivière à travers plusieurs objets. Le Lapin accoste sa barque près de la poupée Alice.
Apercevant le Lapin, Alice marche vers lui et tire sur son manteau. Comme dans le conte
de Carroll, lřanimal se méprend sur lřidentité de la fillette. En effet, il ordonne à Mary
Anne/Alice dřaller lui chercher une paire de ciseaux, contrairement à Carroll qui lui
demande une paire de gants et un éventail. Sur la pelouse se trouve le décor de mer agitée
en carton, mais il est troué. En introduisant sa tête, ce nřest pas de la pelouse que lřhéroïne
trouve, mais bien une autre pièce. Alice y découvre une maison faite de blocs de
construction et montée sur un bureau. Comme sur la cage de verre du Lapin, au début du
film, se trouve lřinscription « Lepus Cuniculus no 23 ». Malgré bien des éléments
différents, la trame narrative du film est tout de même semblable à celle de Carroll, mais
nous y reviendrons. Lřagressivité dřAlice ressort alors que le Lapin Blanc tente de défoncer
la porte que la fillette, trop grande pour la pièce, a barricadée. Si les personnages de Carroll
sont fous, le monde des merveilles de Švankmajer en entier agresse la fillette de toute part.
Agressive, Alice tente avec ardeur de fermer la porte sur les doigts du Lapin (ses pattes
sřétant transformées en main lorsquřil mit ses gants) afin quřil nřentre pas dans la pièce.
Voulant passer par la fenêtre, le Lapin appose une échelle au mur. Alice, en colère, décide
de sortir son bras et de propulser lřéchelle et la bête dans la serre à laitue. Le Lapin remonte
dans lřéchelle, mais cette fois avec une scie, blessant de peu notre héroïne, qui le repousse
encore une fois.
Les personnages carrolliens, bien que fous, nřont jamais fait de mal à lřhéroïne. Bien au
contraire, la plupart dřentre eux lřaidaient dřune manière particulière, certes, mais la fillette
apprenait de ses erreurs en « douceur ». Ici, elle apprend à la dure : elle est bousculée,
rejetée, enfermée. Tout est physique, les mots ont disparu pour céder leur place à la
75
punition. Tout aussi agressive que les personnages, Alice tire même des blocs de
construction au Lapin. Comme dans le conte, Bill le crocodile monte dans lřéchelle jusquřà
la cheminée afin de pouvoir sřy glisser. LřAlice de Švankmajer, comme celle de Carroll,
bottera le crocodile à grand coup de pied hors de la maison. Le Lapin lui tirant des pierres,
ces dernières se transforment en tartelette que la fillette sřempresse de manger. Elle
sřéchappera de la maison sous forme de poupée. Le Lapin recoudra Bill ayant perdu de la
ripe lors de sa chute. Le fort caractère de lřhéroïne de Švankmajer, et de Carroll, est bien
loin du personnage de Disney qui nřest responsable de rien. Rappelons que dans cette
même scène adaptée par Disney, Alice propulse Bill dans les airs par un simple
éternuement. LřAlice švankmajérienne, elle, semble responsable de presque toutes ses
mésaventures. En effet, sa violence, combinée à un monde animé de corps morts, permet
une brutalité plus élevée que celle du conte original. Car la violence, créée par Carroll,
provenait des mots, et non des choses elles-mêmes. Constamment attaquée, cřest avec la
violence physique quřAlice répondra, tout comme lřAlice de Carroll répondait avec la
violence des mots. Bien que lřabsence de dialogue force le réalisateur à user de cruauté,
lřambiance créée par Carroll est respectée et dřautant plus intense.
Le chapitre six, Poivre et cochon, trouve bien sa place dans lřadaptation tchèque, à
quelques détails près. Malgré quelques différences, il y a « rencontre » entre la violence
verbale de Carroll et la violence « physique » de Švankmajer. Cřest pourquoi lřanalyse de
ce segment de film se retrouve ici. Alice vient de rencontrer la Chenille et ressort de la
pièce avec des bouts de champignon faits de bois. Elle effectue ses expériences sur les
arbres, qui grandissent et rapetissent chaque fois quřelle croque un des deux morceaux de
champignon. Cřest alors quřelle entend un bébé pleurer. Elle découvre, dans une pièce
adjacente, une petite maison (de la grosseur dřune tirelire), dřoù proviennent les pleurs. De
la vaisselle en sort, tout autant que les pleurs incessants. La fillette, curieuse, prend cette
maison miniature dans ses mains et elle est blessée de peu par des assiettes tirées dans sa
direction. Pourtant, lřépisode carrollien fait dřAlice une victime potentielle, mais jamais
réelle. Švankmajer remplace, aussi, la Duchesse par le Lapin dans la cuisine; lřanimal
tentant de donner le biberon au bébé qui pleure. Alice, lřinterpellant dans sa tâche, se voit
76
encore une fois devenir la cible des attaques du Lapin qui se remet à lui tirer de la vaisselle.
Mais, tout comme la Duchesse de Carroll, le Lapin finit par lui tirer le bébé (suivi de son
biberon). Cřest pourtant la fillette, dans le texte original, qui décide de sortir lřenfant de
lřenvironnement brutal, après que la Duchesse le lui ait lancé. Le conte de Carroll nřest pas
toujours rose, car ce personnage, disparu de lřadaptation, violente sa progéniture et lui
chante une comptine contenant des conseils assez douteux :
Parlez rudement à votre bébé;
Battez-le quand il éternue;
Ce quřil en fait, cřest pour vous embêter,
Cřest pour cela quřil sřévertue.
Ouah! Ouah! Ouah!
Je parle rudement à mon bébé;
Je le bats quand il éternue;
Quand il le veut, il peut apprécier
Le poivre quřici je remue.
Comme dans lřœuvre de Dodgson, le bébé, aussitôt sorti de la maison, se transforme en
cochon. Mais la violence est beaucoup plus présente dans la version cinématographique
tchèque. Car même si ce sont les mots qui sont violents dans le texte carrollien, les actions
sont dřautant plus menaçantes dans lřanimation du cinéaste. Dans les bras de lřhéroïne, les
pleurs cessent et le bébé se transforme en cochon. Aussitôt, il saute des mains de la petite
Alice qui tente de le retenir. Étrangement, rien ne semble troubler la fillette, même une
transformation de la sorte ne la surprend plus. Cette scène est fort intéressante puisque
Poivre et cochon est lřun des seuls moments où Carroll avait fait ressortir de la violence à
un niveau beaucoup plus tangible. Il est évident que lřadaptation rend justice à ce chapitre
en conjuguant corps morts, vaisselle et pleurs.
Le reste du film de Švankmajer se déroule selon le schéma carrollien, à part les chapitres
neuf et dix, soient Histoire de la Simili-Tortue et Le quadrille des Homards. Ces chapitres
disparaissent dřailleurs très souvent des adaptations112, les autres personnages et petites
histoires étant plus amusants et plus colorés à bien des égards. Comme nous avons pu le
112
cf. filmographie.
77
voir, Švankmajer respecte donc non seulement lřordre établi par Dodgson, mais il respecte
surtout deux des personnages les plus importants dans leur essence (alors que beaucoup de
cinéastes transforment la fillette afin de répondre aux attentes dřun film soi-disant plus pour
enfant) : Alice et le Lapin Blanc. Il est évident, pour nous, que cřest lřune des forces de
cette œuvre particulière.
Les idées, de cinéma, ajoutées ou différentes de celles de Carroll
qui transforment le conte
Dans cette section, nous allons voir les idées de cinéma ajoutées ou différentes du conte de
Carroll qui viennent, par le fait même, modifier lřœuvre originale. Nous verrons aussi que
certains ajouts sont, entre autres, des obsessions de Švankmajer. Car le cinéma du
réalisateur tchèque, et il le dit lui-même, en est un dřobsessions. Comme mentionné dans
lřintroduction de notre mémoire, le cinéaste mentionne quř« il y a des lieux obsédants tout
comme il y a des thèmes obsédants. » Et lřun de ces lieux est celui de la cave. Tout petit, il
devait sřy rendre afin dřaller chercher des pommes de terre sous les ordres de sa mère.
Pourquoi cette obsession particulière? Parce quřil croit que lřangoisse est source
dřimagination. Nous observerons donc comment cette crainte, non seulement de la cave,
mais de beaucoup dřautres éléments, influence la forme, mais aussi lřexpérience
spectatorielle.
Un des premiers ajouts, étrangement, est celui de la technique. Lors dřune entrevue pour le
documentaire Les Chimères des Švankmajer, en 2001, le cinéaste explique quřil est peu
fervent des nouvelles technologies. Cřest pourquoi il pratique le stop-motion. Comme nous
lřavons expliqué dans notre introduction, cette technique consiste en une série de la même
opération, soit de placer les objets dans certaines positions, de prendre le tout en photo, de
modifier légèrement la position, et de répéter jusquřà ce que lřaccumulation de ces photos
forme un mouvement. Mais il faut mentionner que Švankmajer y mélange aussi la prise de
78
vues réelles (en majeure partie lors de la présence de la jeune actrice Kristýna Kohoutová
qui interprète Alice). Lřœuvre est un mélange, donc, de ces deux techniques, bien que le
stop-motion y soit beaucoup plus présent. Comme le mentionne Jodoin-Keaton dans son
livre Le cinéma de Švankmajer : un surréalisme animé, le spectateur perçoit le cinéma
dřanimation comme quelque chose de merveilleux et accepte quřun miroir se déplace
comme un humain, etc.
Mais pour le cinéaste, comme pour le spectateur, la donne est bien différente puisquřil
mélange fantastique et réel. Beaucoup dřobjets du quotidien Ŕ une quantité impressionnante
Ŕ se retrouvent à travers le film, et ce autant dans la diégèse « réelle » du film que dans le
monde des « merveilles » mis en place par Švankmajer. Ces objets sont très prisés par
lřartiste, car il voit en eux un réceptacle dřémotions et de vécu, les objets ayant été
manipulés par diverses personnes dans des états différents. Ils ont un « historique », une
« aura ». De plus, ils ont presque tous ce point commun quřils sont utilisés au quotidien.
Lřinquiétante étrangeté fait surface sous lřhabile technique utilisée par le réalisateur, qui
anime les corps inanimés, créant un glissement du merveilleux au fantastique. Et bien que
ces objets soient « ordinaires », cřest en omettant de faire une démarcation franche, entre le
quotidien et le monde des merveilles que lřinquiétante étrangeté peut faire son apparition.
Ces objets, selon Freud, peuvent être interprétés comme des restes diurnes113. Cřest-à-dire
que le quotidien influence le rêveur. Certains objets, ou certaines situations seraient à même
dřinfluencer les rêves. Alice rêverait, sřil sřagit réellement dřun rêve, de ses jouets
puisquřelle sřendort parmi eux. Mais ils deviennent inquiétants, « autres », grâce à la
technique de Švankmajer. En les animant, les jouets dřAlice deviennent unheimlich, ils
deviennent étrangers.
Comme nous lřavons déjà mentionné, le concept freudien, lřunheimlich, serait ce qui était
au départ familier et qui, après avoir subi une transformation (par exemple, ce qui nřa pas
113
Sigmund Freud, L’Interprétation du rêve, Paris, Presses Universitaires de France PUF, 2012, p. 32 à 36.
79
dřâme se révélerait subitement en avoir une), devient inquiétant. Un exemple des plus
connus serait sûrement la poupée, par exemple Chucky114 (cette réplique de lřêtre humain
sous forme inanimée a brusquement une âme maléfique). Ce jouet ordinaire, commun, nřa
dřautre choix que de paraître étrangement inquiétant sřil sřanime réellement devant vos
yeux. Dans un cadre merveilleux, lřanimation dřun objet est naturelle, mais pas dans le cas
de Švankmajer. Comme nous lřavons dit, lřenfant éprouve des difficultés à différencier
animé et inanimé dans les premières années de sa vie. Lřadulte, lui, a une perception tout à
fait différente, puisquřil fait clairement cette différenciation. Švankmajer, en usant de la
marionnette, « répond [à son] désir de subversion […]. En confrontant lřhomme à sa
représentation sous forme dřobjet manipulé, [le cinéaste] arrive à le transfigurer grâce au
matériau même, qui lui renvoie son image mortifiée115. » Le spectateur, qui est sans repère
dans le monde de Švankmajer, sřégare encore plus loin. Il ne peut même plus sřidentifier au
personnage principal. Déjà, tout est étrange, et maintenant, le corps de la fillette se plastifie.
Modification de la part du cinéaste, car Carroll avait seulement créé une distorsion du
corps, vécue par tout enfant en croissance (tiraillé entre lřinéluctable poussée de croissance
et le désir de rester en enfance). Cřest pourquoi, au visionnement de ce film, le spectateur
adulte (qui a refoulé sa croyance en lřanimisme) ressent un constant malaise de voir des
corps inanimés, et morts, prendre vie.
Une autre des transformations est le glissement du merveilleux vers le fantastique. Comme
nous le savons, les écrits de Carroll sont classés parmi les contes, bien que lřauteur ait
également rédigé des ouvrages mathématiques et scolaires (nous nous en tiendrons, ici, aux
textes fictionnels). Le conte contient le merveilleux. Qui dit merveilleux dit adhésion du
spectateur au monde diégétique mis en place, sans se poser dřinterrogation à savoir si le
tout est réel ou non. Le contrat de lecture passé entre le lecteur/spectateur et
lřauteur/cinéaste est celui dřune non-remise en question de ce qui est présenté/écrit. Nous
assumons, lors de la lecture dřun conte, que les tables bougent, que les chats parlent, et il ne
saurait en être autrement. Dans lřœuvre carrollienne, le Lapin Blanc parle, le Dodo aussi,
114
Child’s Play, Tom Holland 1988. Suivrons une série de plusieurs films mettant en vedette la poupée tueuse
en série.
115
Charles Jodoin-Keaton, Le Cinéma de Jan Švankmajer : un surréalisme animé, op. cit., p. 28.
80
mais rien nřy est inquiétant, si ce nřest que cřest « curieux », comme le dit Alice. Même les
cartes ne nous dérangent aucunement. Pourtant, tout semble fait pour nous troubler.
Comme nous nous identifions à Alice, nous trouvons tout à fait normal quřun Lapin se
promène vêtu dřune veste. Cřest un monde que la fillette trouve étonnant, mais quřelle
explore sans pour autant sřalarmer. Freud mentionne, dans son livre L’inquiétante étrangeté
et autres essais, que
le monde du conte […] a quitté dřemblée le terrain de la réalité et a reconnu
ouvertement son adhésion à des convictions animistes. Les réalisations de désirs, les
forces occultes [geheim], la toute-puissance des pensées, lřanimation de lřinanimé, qui
sont courants dans le conte, ne peuvent y produire aucun effet dřinquiétante étrangeté,
car pour que naisse un tel sentiment il faut, comme nous lřavons déjà vu, un litige
quant à savoir si lřincroyable qui a été dépassé nřest tout de même pas réellement
possible, question qui est purement et simplement éliminée par les présupposés de
lřunivers du conte116.
Ce litige dont il est mention, Švankmajer sřen fait le promoteur et le met en place dans une
œuvre dite merveilleuse. Il le fait non seulement par le glissement vers le fantastique, mais
aussi par lřanimation de corps morts. Ce fantastique prend dřabord place dans la réalité
dřAlice, cřest-à-dire dans sa chambre, remplie dřobjets qui se retrouveront partout dans le
film, élément ajouté par le cinéaste. Référant directement au réel de la protagoniste, ils
rendront difficile la démarcation entre réel et irréel. Le fait dřêtre incapable de faire une
coupure franche entre ces deux degrés de réalités vient donc bouleverser le spectateur et
lřidée préconçue dřun monde pour enfant.
Malgré cette version, qui semble à lřopposé de Carroll, Švankmajer a fait une lecture bien
plus précise que bien dřautres cinéastes, Disney par exemple. Est-ce que lřœuvre de
lřécrivain anglais est réellement pour les enfants? Oui, certes. Pour les adultes? Cřest plus
que certain. Comme nous lřavons mentionné dans lřanalyse de Disney, le public cible de
Carroll fut dřabord lřenfant victorien. Mais le texte regorge dřéléments parodiques du
quotidien de lřépoque. Et alors que les fillettes et garçons vivaient une enfance victorienne
rigide, contrôlés par un monde de circonstances et de règles, les adultes, eux, étaient plus à
116
Sigmund Freud, L’Inquiétante Étrangeté et autres essais, op. cit., p. 259.
81
même de comprendre la satire dřun monde qui ne laissait pas le temps aux gamins dřêtre
naïfs très longtemps. Le cinéaste a donc suivi les pas de Carroll, mais en critiquant la
société communiste, élément sur lequel nous reviendrons plus tard. Alice au début du film
nous avertit sur ce que nous allons voir. « You will see a film, made for children, perhaps. »
Se rapprochant beaucoup plus du conte traditionnel à cet égard, la petite fille se fait
violenter dans les dix premières minutes, soit un peu avant sa « descente dans le terrier du
Lapin ».
En ce qui a trait à lřinquiétante étrangeté, sa première manifestation est la même que celle
du merveilleux (de lřœuvre de Dodgson) : le Lapin Blanc. Alice est donc dans sa chambre,
remplie de divers objets tels que mentionnés précédemment, allant des plus normaux aux
plus insolites. Et il y a, au coin de la pièce, sur le sol, une vitrine portant lřindication
« Lepus Cuniculus no 23 ». Sřy trouve un Lapin empaillé, et pourtant, il sřagite dans sa
« cage ». Lřinquiétante étrangeté vient dřapparaître avec le Lapin. Il ne sřagit plus
dřanthropomorphisme merveilleux, cřest un Lapin, dont le corps mort a été empaillé, qui
prend place dans cette adaptation. Cřest lřanimation de corps inanimés qui rend le film
plutôt étrange, voire inquiétant, sachant que le Lapin ne surgit pas du monde merveilleux
(comme dans les divers films prenant comme texte de départ lřœuvre carrollienne). Il
provient du réel dřAlice. Alice, couchée, voit la bête retirer ses pattes cloutées au « sol » et
sortir un tiroir, qui semble sans fond comme un chapeau de magicien, contenant des habits
rouges, une montre à gousset et une paire de ciseaux. Le Lapin sřhabille, prend les ciseaux,
casse la vitre et sort. Le Lapin se regarde dans un miroir et voit que de la ripe de bois
sřéchappe de son corps. Il regarde lřheure : il est en retard! Alice, qui voit la scène, est
stupéfaite; contrairement à lřAlice carrollienne qui ne sřétonne pas de voir le Lapin en
veste. Ce dernier décide donc de partir de la chambre vers un désert de roches, terreux, avec
comme seul paysage un pupitre au loin. Lřanthropomorphisme de Dodgson contraste avec
celui de Švankmajer. Celui de lřécrivain anglais est relié au merveilleux (les êtres vivants
sont instantanément dotés de la parole) alors que celui du cinéaste tchèque a de quoi
inquiéter nřimporte qui, car il réanime ce qui a déjà été vivant, mais qui ne lřest plus,
comme la créature de Frankenstein de Mary Shelley.
82
Le terrier du Lapin nous amène un peu plus profondément dans lřunivers singulier du
cinéaste. Le Lapin se rend à un pupitre, au milieu de la plaine terreuse, tape des mains : le
tiroir sřouvre. Alice, qui assiste à la scène au loin, lui demande de lřattendre : « Please,
Sir! ». Comme mentionné plus haut, Švankmajer a laissé à la petite bête empaillée sa
caractéristique la plus spécifique à cet animal : la peur. Effrayé par la fillette, il entrera dans
le tiroir du pupitre. Curieuse, Alice sřélance vers le bureau, tire sur la poignée de toutes ses
forces, tombe à la renverse, la poignée dans la main. Elle tente dřouvrir le tiroir avec son
petit doigt, ce qui, étrangement, fonctionne. À lřintérieur de celui-ci, divers instruments de
géométrie. Cřest ici quřentre en scène une autre modification apportée par Švankmajer.
Comme nous lřavons dit, ce sont seulement les paroles qui heurtent la protagoniste dans
lřœuvre de Carroll. Ici, Alice se fait violenter physiquement. Alors que Dodgson ne fait
jamais mention dřune blessure corporelle, lřhéroïne švankmajérienne se pique le doigt sur
un compas. Nous voyons poindre une goutte de sang. Sophie Marret explique bien la réalité
du conte original : « Le lecteur des aventures dřAlice est averti dès les premières pages. La
petite fille nřa pas pénétré dans un monde où les princesses vivent heureuses et ont
beaucoup dřenfants : au pays des merveilles les pots de marmelade dřorange sont
vides117. »
Dřailleurs, plus de chute comme celle de Carroll, lřAlice de Švankmajer descend au pays
des merveilles dans un monte-charge où la protagoniste trouvera un pot rempli de
marmelade, mais aussi de punaises de babillard. En se rendant compte dřune blessure
potentielle, et par manque dřenvie, Alice remettra le pot sur une des étagères du premier
étage à travers crânes, animaux empaillés et pots de formol. Malgré tout cela, le monde de
Carroll est merveilleux au plus haut point. Si au pays des merveilles de Carroll, les pots
sont vides, dans celui du cinéaste tchèque, ils sont à moitié remplis de marmelade; lřautre
moitié est pleine de punaises à babillards. Cette agressivité, ces heurts, seront présents tout
au long du film. Bien que « blessée », lřhéroïne entre dans le tiroir. Et ce tiroir/pupitre
devient le terrier du Lapin, jonché dřéquerres, de règles et dřinstruments de mesure. Puis
117
Sophie Marret, Lewis Carroll : de l’autre côté de la logique, Rennes, Presses universitaires de Rennes,
1995, p. 231.
83
survient la cave, celle qui faisait si peur à Švankmajer, celle qui lřangoissait tant lorsquřil
était enfant. Et pour cause, Alice y trouve le Lapin en train de manger du bran de scie,
refermant sa peau avec une épingle de nourrice, prise dans le tiroir du pupitre sur lequel il
mange. Cave obscure aux murs de pierres, cave silencieuse et désordonnée, la fillette sřy
aventure sans trop penser; elle veut simplement suivre le Lapin. Et pour le suivre, elle devra
se hâter puisquřaussitôt quřelle accoste la bête, lřanimal sřenfuit à toutes pattes. Alice, étant
plus curieuse que craintive, va goûter les copeaux de bois. Et si elle goûte presque tout ce
qui peut se manger, ou pas, cřest que la nourriture est une autre des obsessions de
Švankmajer. Il nřy a quřà regarder dřautres de ses œuvres telles Nourriture (1992), Viandes
amoureuses (1989), Les possibilités du dialogue (1982), etc. Dans Les chimères des
Švankmajer118, le cinéaste parle dřailleurs de sa relation ambiguë avec les aliments. Petit, il
avait beaucoup de difficulté à sřalimenter. Ses parents lřont même envoyé dans des camps
où on le forçait à manger, dřoù cette thématique obsessionnelle. La fillette, comme bien des
personnages du réalisateur, nřéchappe pas à ce thème. Elle avalera autant dřéléments
comestibles quřindigestes dans un seul but, poursuivre lřobjet de sa curiosité. Et ce, jusquřà
ce que cette manie la mette réellement en danger.
La mare aux larmes apporte un changement assez inusité. Le premier concerne la Souris.
En effet, ce personnage est présent. Mais ce nřest plus la Souris créée par Carroll, récitant
de longues phrases afin dřassécher les animaux trempés par les larmes dřAlice, qui est
présente, cřest une Souris violente qui la remplace. Dans la version de Švankmajer, la pièce
sřest remplie dřeau, tellement que la grande Alice peut y nager. Vient se joindre à elle la
Souris, vêtue dřun costume de marin bleu et traînant une malle attachée à elle par une
corde. Comme nous lřavons mentionné, le monde créé par Švankmajer attaque la fillette de
toute part. La scène de la Souris ne fait pas exception, bien au contraire. La Souris monte
donc sur la tête dřAlice avec ses bagages, les ouvre pour en sortir des pieux de bois quřelle
plante dans la tête de la fillette119. La Souris place des roches en rond, coupe une mèche des
cheveux de notre protagoniste avec sa faucille et suspend un chaudron afin de faire cuire
118
119
84
Les Chimères des Švankmajer, op. cit., à 58 minutes.
Voir annexe 2, p. 192.
son repas. Comme le personnage de lřadaptation tchèque a gardé toute sa vivacité et son
agressivité, Alice en vient à la conclusion que tout cela va beaucoup trop loin lorsque la
Souris allume le feu sur sa tête. Et cřest avec la même violence quřelle réplique à
lřagression quřelle vient de subir en se mettant la tête sous lřeau. La Souris nřa dřautre
choix que de quitter la tête de la fillette. Tout dans cette scène attaque Alice. Carroll avait
pourtant mis en place une Alice qui apprend de ses erreurs dans un univers qui ne lui en
voulait pas. Dans le monde švankmajérien, tout, absolument tout est prêt à infliger douleur
et déplaisir à la fillette.
La version de Švankmajer contient aussi une sexualité latente. Le chapitre Le Lapin envoie
Pierre et pierres en fait état. Comme nous lřavons dit, le Lapin de Švankmajer, tout comme
celui de Carroll, méprend Alice pour Mary Anne et lui demande dřaller chercher des
ciseaux, et non une paire de gants et un éventail : « Mary Anne, run and bring me some
new scissors. » En effet, le but de la créature de Dodgson est de parader à la partie de
croquet, et pour ce faire, il veut retrouver ses objets quřil a perdus un peu plus tôt. Étrange
que le Lapin de Švankmajer veuille une nouvelle paire de ciseaux? Pas tellement quand
nous verrons que lřanimal est en fait le bourreau de la Reine de Cœur. Alors que la menace
de couper la tête dans le pays des merveilles carrollien reste au stade dřune menace (ils ont
déjà perdu la tête, ils sont tous fous, à quoi bon réellement leur couper la tête?), elle est bien
réelle dans la version tchèque. Arrivée dans la chambre du Lapin, Alice cherche les
ciseaux. Explorant la pièce, elle y trouve pupitre, chaise, mais aussi armoire et lit. La
penderie nous apporte un sentiment de dégoût et dřinconfort. Effectivement, quand la petite
fille lřouvre, nous y découvrons des peaux de lapin vides et retournées. Lorsque la caméra
descend, il est impossible de manquer la référence phallique des pattes retournées. Mal à
lřaise, le spectateur lřest aussi à la suite de la découverte des excréments que le Lapin cache
sous son oreiller/matelas. Pouvant être des éléments drôles dans plusieurs comédies, cette
sexualité latente et la scatologie sont présentées de façon si particulière que cela en devient
rebutant, réactivant les tabous qui les entourent. Puis, la cavalerie sifflée par le Lapin arrive.
Alice est dřautant plus surprise lorsquřelle voit arriver le carrosse avec divers animaux
hybrides : leur corps est empaillé et leur tête est un crâne! En effet, tout ce qui est mort,
85
osseux et réanimé a de quoi surprendre et surtout en inquiéter plus dřun. Freud observe le
même phénomène. Lřhumain a peur des morts réanimés, la chose étant, rationnellement,
impossible. Après avoir botté Bill le crocodile, et alors que le Lapin soigne la bête, Alice
sřéchappe de la maison, mais se fait vite repérer par les animaux furieux contre elle.
Ajout fort impressionnant de la part du cinéaste, nous nommerons la prochaine scène Le
garde-manger. Encore une fois, lřanimation dřobjets inanimés120 vient ajouter, non
seulement de la violence physique, mais aussi une violence psychologique. Sřenfuyant des
animaux, Alice voit une porte encastrée (adaptée à sa taille de poupée) dans une autre de
taille normale. Le Lapin alerte les autres animaux : « There she is, after her! » Notre
héroïne entre rapidement dans la pièce adjacente à celle de la maison du Lapin. La fillette
se cache, mais les animaux, toujours aussi agressifs, enfoncent la porte. Attaquée de toute
part, Alice se fait encercler par les animaux qui la guident vers un seau rempli de lait.
Comme toute nourriture agit sur la grandeur de la fillette, Alice grandit, non pas pour
retrouver sa taille normale, mais bien sa forme humaine enfermée dans du plâtre. Élément
angoissant, cette poupée de plâtre nous laisse voir que la vraie fillette, de chair et dřos, se
trouve à lřintérieur, ses yeux sřagitant, paniquée à lřidée de savoir ce qui lui arrivera.
Traînée par deux oiseaux qui hennissent et confinée au garde-manger, Alice réussit à
fracasser le plâtre et en sort complètement, fort heureusement, intacte. Reflétant la victoire
de lřenfance sur un monde « adulte » rempli de nonsense pour la fillette, Švankmajer
démontre que lřenfant refuse le monde adulte. Jodoin-Keaton abonde dans notre sens en
disant que « lřœuvre de Švankmajer dépeint un univers où la magie libératrice de lřenfance
se confronte violemment au conformisme abrutissant du monde adulte et où la sauvegarde
de notre pouvoir de création sřappuie sur une révolte ludique contre les règles de la
logique121. »
120
121
86
Id.
Charles Jodoin-Keaton, Le Cinéma de Jan Švankmajer : un surréalisme animé, op. cit., p. 13.
Cette révolte, nous la retrouvons dans lřœuvre carrollienne (nous avions mentionné, dans
lřanalyse de Disney, que le monde adulte avait été remplacé par celui de lřenfance); il en va
de même dans lřadaptation švankmajérienne où tout est permis. Rien ne semble soumis à
lřemprise du réel et cřest pourquoi lřAlice en chair et en os brise la « cage » de plâtre et
sřen libère. Švankmajer encourage le spectateur à affronter ses peurs, ses angoisses qui
remontent, obligatoirement, à lřenfance. Alice, une fois libérée, observe le garde-manger.
Elle y voit des tartelettes sur une étagère. Se donnant le bon conseil de ne plus manger ni
boire, elle examine donc les éléments autour dřelle. Encore une fois, tous les objets de la
chambre du début sřy trouvent, mais ils sont « autres », ils sont inquiétants. Apeurée par
diverses créatures étranges, Alice ouvre une boîte de conserve qui était tombée. Et puisque
lřAlice švankmajérienne va au-delà de celle carrollienne, la fillette fait alors ce quřelle fait
depuis le début du film : elle expérimente. Grâce à ces expérimentations, Alice trouve la clé
du garde-manger dans une conserve de sardines. Enfant, cřest en faisant essais et erreurs et
cřest en apprenant une leçon (ne plus manger de tartelettes et ne plus boire dřencre) quřelle
se sortira de lřimpasse. Alors quřelle quitte la pièce, elle aperçoit la Souris (qui tentait de
faire un feu sur la tête dřAlice au début du film) morte dans un piège à souris. Cette
dernière nřa, assurément, pas appris de ses erreurs. Contrairement à Disney, qui donne les
réponses toutes faites à son héroïne, celle de Švankmajer va au-delà de celle de Carroll en
ouvrant toutes les portes sur son passage.
Le chapitre six, Conseils d’une Chenille, reste somme toute fidèle à celui de Carroll. Mais
comme il sřagit dřune adaptation surréaliste, beaucoup de nuances font leur apparition.
Étonnamment, rien dans cette scène nřest réellement violent. Par contre, tout y est animiste.
Le texte carrollien en fait une remise en question, limitant lřagressivité des personnages. Ce
chapitre était donc censé, dans lřœuvre originale, donner des réponses aux questions de
notre héroïne sur qui elle est. Dans lřadaptation švankmajérienne, très peu est dit (comme
cřest le cas pour lřentièreté du film), et bien que la question « Who are you? » soit posée,
aucune réponse nřest donnée, ni de la part de la Chenille ni de la part de la protagoniste.
Quoi quřil en soit, Alice découvre une pièce remplie de trous dans le plancher de bois où
87
des chaussettes entrent et sortent comme des vers122. Un bureau se trouve au centre de la
pièce. Dessus, une corbeille en osier avec des bobines de fil, une paire de ciseaux et un
champignon en bois. Bien que nous ayons mentionné que cette scène nřavait rien de
violent, Alice « tue » sans le vouloir, quelques chaussettes en se dirigeant vers le bureau.
Mais comme tout ce qui est mort ressuscite, elle les réanime en les gonflant.
Voyant que tout est redevenu « normal », elle ouvre le tiroir avec les ciseaux. Une
chaussette se trouve à lřintérieur et cette dernière prend des yeux et un dentier dans un pot
de verre, monte sur le bureau puis sur le champignon en bois. Švankmajer troque donc
lřanthropomorphisme pour lřanimisme puisque ce bas, au départ inanimé, se trouve à être la
Chenille123. La conversation est presque inexistante, mais lřessentiel est de savoir que, tout
comme dans le conte de Carroll, le champignon est la réponse à tous les changements de
taille de notre héroïne. Švankmajer transforme un élément du chapitre. Le conte fait
référence au champignon dont un côté fait grandir et dont lřautre fait rapetisser. Dans la
version švankmajérienne, ce nřest pas Alice qui grandit et rapetisse lorsquřelle mange un
morceau champignon, cřest ce qui est autour dřelle qui subit les transformations. Alice
tente ses premières expériences dans une pièce remplie de sapins. En mangeant les deux
côtés du champignon, ce sont les arbres qui se retrouvent soumis aux caprices des bouts de
bois. Comme nous avons pu le voir, la scène de Švankmajer est des plus animistes avec sa
Chenille/bas et son champignon/bois. De plus, aucun élément nřest violent avec Alice, de
quoi lui donner enfin un peu de répit.
Un thé extravagant « rencontre » bien la folie des personnages créés par Carroll. Encore
une fois, la scène va bien plus loin en terme dřanimisme. Alice, curieuse, suit le porcelet
qui vient dřentrer dans une pièce. Lřhéroïne ouvre la porte pour y découvrir deux
marionnettes qui se mettent à sřactiver : « No room, no room, no room! » Le texte de
Carroll et le film de Švankmajer ont à peu près le même déroulement narratif. Le lièvre de
122
123
88
Voir annexe 2, p. 191.
Voir annexe 2, id.
Mars tente de réparer la montre du Chapelier Fou, etc. La modification principale réside
dans lřanimisme du Chapelier Fou et du Lièvre de Mars. Comme nous lřavons dit,
Švankmajer déstabilise le spectateur en faisant usage de la marionnette. De plus, il met en
scène un Lièvre de Mars handicapé. En effet, non seulement le Chapelier doit-il remonter le
mécanisme du Lièvre et lui « recoudre » lřœil chaque fois quřil sřarrête, mais lřanimal est,
de plus, en fauteuil roulant.
Cette perte de mobilité peut mener à bien des hypothèses, dont deux en particulier. La
paralysie du bas du corps pourrait relever dřun des thèmes les plus chers de Švankmajer,
soit lřenfermement, symbolisé par la perte de liberté. Le Lièvre est prisonnier de sa chaise,
de lui-même, mais il doit en plus constamment se faire remonter par le Chapelier! Notre
autre hypothèse est en lien direct avec le texte carrollien. En effet, lorsque lřAlice de
Carroll se dirige vers la maison du Lièvre, elle se parle à elle-même : « Jřai déjà vu des
chapeliers, dit-elle. Le Lièvre de Mars sera beaucoup plus intéressant à voir; comme nous
sommes en mai, peut-être quřil ne sera pas fou furieux…; du moins peut-être quřil sera
moins fou quřil ne lřétait en mars. » La fillette fait référence au début de la période de
bouquinage (cřest-à-dire le moment de la reproduction), qui commence dans les environs
de février. Bien que cette période sřétende de février à novembre, nous croyons que la
référence est quand même à caractère sexuel puisque le maximum de lřactivité se produit
au printemps. Étant en fauteuil roulant, le Lièvre de Mars aurait-il alors perdu sa puissance
sexuelle? Sujet des plus délicats, Švankmajer nřa probablement pas voulu sřaventurer dans
la violence et lřagressivité du bouquinage, et avec raison. Le spectateur a déjà perdu bien
des repères : exploiter ce sujet aurait été plus que violent, passant de lřinquiétante étrangeté
et du fantastique à lřhorreur et à lřindécence. Les deux hypothèses sont, selon nous, viables.
Une autre différence entre le texte carrollien et son adaptation réside dans le personnage du
Chapelier. Comme nous lřavons dit, lřutilisation de marionnette nřaide en rien à
lřidentification, encore moins à une forme « humaine » faite en bois. Mais le problème
sřaggrave lorsque nous apercevons lřarrière du Chapelier. En effet, alors quřil boit son thé,
89
le cinéaste nous montre son dos : il est vide! Est-ce là dire que les adultes, puisque le
personnage est censé représenter une certaine forme adulte, sont vides de rêves et donc de
buts? Charles Jodoin-Keaton affirme que lřenfant est amené à surmonter peurs et angoisses
alors que lřhomme est passif. Il dit même que le cinéaste « insiste sur la place prédominante
que devraient prendre nos rêves dans notre vie quotidienne124. » Il nřest donc pas étonnant
que le Chapelier soit vide à lřintérieur puisquřil représente un adulte. Ce personnage est
contrôlé par quelquřun puisque ce sont ses fils tirés et relâchés qui permettent son action,
fils que le cinéaste nřa pas cru bon de cacher.
Švankmajer critique la société dans la plupart de ses films. Force est de constater que son
film Alice prend part à ce schéma. La fillette assiste à un rituel qui se répète sans cesse : la
montre du Chapelier est enduite de beurre, le thé sřécoulant du Chapelier vide,
lřaccumulation des montres sur le torse de la marionnette, le Lièvre dont le mécanisme a
besoin dřêtre remonté… et le tout se répète de plus en plus vite. Nous voyons, dans ces
gestes, la répétition des jours sans fin, les adultes étant destinés à revivre des journées qui
se succèdent et qui se ressemblent. Menacée de se faire couper les cheveux, Alice se dirige
vers la porte. En touchant la poignée, le Chapelier et le Lièvre crient de plus belle « No
room, no room, no room! » La protagoniste se hâte donc à sortir, mais se ravise. Elle ouvre
la porte à nouveau, alors que le Chapelier sort le Lapin de son chapeau. Ce dernier, toujours
pressé, se dirige vers la fillette, à qui il ne porte aucune attention, et sřen va. Notre héroïne
sřempresse de le suivre dans les escaliers, ce qui nous amène vers la scène Le terrain de
croquet de la Reine. Cette scène ressemble au chapitre carrollien, mais les changements
physiques des personnages sont suffisants pour donner une autre interprétation.
Cřest lorsquřAlice arrive au grenier que la scène sřapparentant au chapitre Le terrain de
croquet de la Reine est entamée. Plusieurs différences prennent place, dont lřaccumulation
de cordes à linge où sont suspendus plusieurs vêtements blancs. Comme nous lřavons
124
90
Charles Jodoin-Keaton, Le Cinéma de Jan Švankmajer : un surréalisme animé, op. cit., p. 49.
expliqué dans lřanalyse de Disney, lřAlice de Carroll trouve une porte dans un arbre. Celleci la mène à la pièce remplie de portes où se trouve la table, la clé, lřencre et la porte
menant au jardin. LřAlice de Švankmajer, elle, doit passer à travers tous ces vêtements. Au
bout des cordes à linge, un rideau blanc. Derrière lui, deux silhouettes masculines se
bagarrent. Regardant au-dessus du drap, elle se retrouve face à deux cartes (des valets) qui
se battent, et non des hommes de chair et dřos. La version de Carroll nřavait rien
dřinquiétant malgré lřanimisme de ces cartes. Il faut dire quřelles étaient des hybrides. Mais
pas ici, les cartes sont de simples cartes. Dans le film, la Reine ordonne la décapitation des
cartes, ce que le Lapin se hâte de faire, muni dřune paire de ciseaux. Dans le monde de
Švankmajer, le Lapin coupe bel et bien les têtes. Encore plus étrange, même après avoir été
décapités, les deux personnages continuent à se battre entre eux, suivis dřautres cartes.
Encore une fois, les morts ou les choses inanimées ne semblent pas vouloir rendre lřâme
définitivement. Refait surface cette violence physique presque absente du travail de
Dodgson. Alice, suite au départ de la Reine et de ses sujets, découvrira le Lièvre et le
Chapelier jouant aux cartes devant un décor de marionnettes. Ils subiront le châtiment
suprême lorsque la Reine les surprendra, le Lapin leur tranchant la tête. Alice, horrifiée,
regardera la scène à partir des coulisses du jardin. Fait surprenant, le Chapelier ramasse la
tête du Lièvre et la met sur ses épaules, et inversement. Ils se remettent à jouer aux cartes
comme si de rien nřétait.
Les idées de conte rejetées par le cinéaste
Après avoir vu les idées de cinéma et de roman qui se « rencontrent » ainsi que les idées
modifiées et ajoutées à lřœuvre originale, nous allons maintenant nous concentrer sur les
idées qui ont été rejetées par le cinéaste. Et ces rejets, comme pour la version de Disney,
sont assez significatifs et modifient la structure au point de voir une section leur être
attribuée. Et si nous ne procédons pas scène par scène, cřest parce que ces idées rejetées
englobent le film dans son entièreté. Nous procéderons donc par catégories, par grands
thèmes.
91
Švankmajer ne fait pas beaucoup de retraits, contrairement à Disney, mais ceux quřil fait le
sont au profit de la technique et des thèmes abordés. En effet, un des premiers aspects qui
disparaît est les dialogues, en plus dřun changement de narrateur. Bien que ce point soit une
modification, nous le mettons dans cette section puisquřil est conjoint à la disparition des
dialogues. Alice remplace le narrateur diégétique omniscient en étant lřénonciatrice de
toutes les phrases prononcées dans le film, même celles des autres personnages. Pour ce
faire, Švankmajer nous montre un plan rapproché de la bouche dřAlice qui dit : le Lapin
dit, la Reine cria, etc. Le type de narration devient donc intradiégétique, alors que la
narration de Carroll était extradiégétique. Disparition aussi du merveilleux, qui a
normalement une narration objective, clairvoyante, au profit de lřinstallation du fantastique
qui nous laisse bien des doutes quant à ce qui sřest vraiment passé.
Tout en étant une histoire rêvée, le film de Švankmajer fonctionne aussi comme un
rêve raconté, donnant ainsi à la protagoniste le rôle du narrateur (contrairement au
livre de Carroll, narré, lui, par lřauteur). La petite Alice est amenée à participer à
tous les niveaux de lřhistoire. Si menaçant que soit lřunivers qui entoure la petite
fille, Švankmajer fait dřelle un personnage tout à fait engagé dans le déroulement
étrange des événements. Cřest le véritable moteur du film. Alice prête dřailleurs sa
voix à tous les personnages dont les dialogues sont réduits au minimum125.
Comment être totalement certain que lřhistoire que nous venons de voir est un rêve ou non,
alors que nous nous identifions, par la force des choses, à la petite Alice? Ce glissement de
narrateur va beaucoup plus loin que de faire de la fillette un personnage tout à fait engagé.
Un narrateur omniscient ou un narrateur extradiégétique laisse sous-entendre que ce qui est
raconté est fiable puisque nous avons affaire à un narrateur omniscient, qui voit tout et qui
sait tout. Cřest ce que nous voyons dans la version de Walt Disney et cřest ce que nous
verrons aussi, sensiblement, dans la version de Tim Burton.
Mais lřadaptation de Švankmajer va dans une direction totalement opposée. Bien entendu,
lorsque nous voyons la bouche de la protagoniste en gros plan nous annoncer : « la Reine a
dit » ou « Alice pensa en elle-même », etc., il est difficile de savoir si les aventures dřAlice
au pays des merveilles sont « réelles » ou si elles sont « rêvées ». Bien quřil soit
125
92
Ibid., p. 54.
évidemment question de rêves (dans le conte de Carroll « [Alice] se sentait tout endormie
[…] à cause de la chaleur. »), la version švankmajérienne pose problème puisque son
référent au réel, combiné au changement de narrateur, nous amène beaucoup plus
profondément dans le fantastique que dans le merveilleux. Il fait cela, entre autres, par
certains plans de caméra subjective, qui nous fait voir ce quřAlice voit. Par exemple, dans
la scène où le Lapin court dans le désert, un plan où la caméra instable nous montre le sol,
tout en bougeant de haut en bas. La même chose se produit lorsque lřanimal vient dřentrer
dans le tiroir et que la fillette tente de le rejoindre le plus rapidement possible. Ces deux
plans nous font voir par les yeux des personnages. La narration passe dřobjective à
subjective. En tant que spectateur, doit-on croire le regard dřAlice, ses interventions sontelles fiables? Doit-on absolument croire ce quřelle nous dit? Tout au long du film, il est
facile de croire quřAlice raconte une simple histoire.
Pourtant, la fin du film nous plonge dans la perplexité la plus totale en omettant le retour du
Lapin dans sa cage de verre. Et « contrairement à Carroll, Švankmajer tient à faire durer
jusquřau bout la perméabilité entre le monde rationnel et sa réalité fantastique; il tient à
brouiller la démarcation entre lřanimé et lřinanimé, le rêve et la logique126. » Observant les
lieux à son réveil, Alice voit que tous les objets sont là, sauf… le Lapin. Dans le tiroir de
lřanimal, la paire de ciseaux du Lapin y est encore. « Heřs late as usual, I think Iřll cut his
head off! » Comme le dit Jodoin-Keaton, en signalant lřabsence du Lapin, nous sommes
incapables de déterminer si ce quřelle a vécu est vrai ou non. Toutes les hypothèses sont
alors possibles. La fillette veut-elle faire passer le temps plus vite alors quřelle est seule
dans sa chambre? Est-ce quřun Lapin a vraiment repris vie devant ses yeux et quřelle est
réellement allée au pays des « merveilles »? Le changement de narration nřaide pas non
plus. Film fantastique et surréaliste jusquřau bout, il nous laisse perplexes.
126
Ibid., p. 56-57.
93
La disparition de dialogues nřeffectue pas seulement un changement de narrateur, il
soutient le stop-motion et le fantastique dans la création dřune inquiétante étrangeté. Nous
avons parlé, tout au long de notre travail, de certaines théories de Freud. Le cas du
psychanalyste nous intéressera non seulement dans son inquiétante étrangeté, mais aussi
dans son animisme. Les dialogues absents sont seulement la pointe de lřiceberg. En effet,
sous la surface de lřeau se trouve le merveilleux troqué pour le fantastique en plus de
changer lřanthropomorphisme pour des corps dřanimaux empaillés, et donc morts. Il est
nécessaire de soulever un point très important des préceptes freudiens. Selon le
psychanalyste, lřinquiétante étrangeté ne peut naître dans le conte puisquřelle est éliminée
par les normes du conte. À moins quřil y ait un litige puissant. Lřunivers du conte
présuppose lřélimination de toute question concernant son intégrité merveilleuse. Bien que
la structure du texte carrollien soit celle du rêve, il est évident que si le conte de Dodgson
est très différent des contes traditionnels, il nřen demeure pas moins merveilleux. Et même
sřil inclut de lřanthropomorphisme, il nřy a rien dřinquiétant à cela. Si, selon Freud, le
conte ne peut contenir dřinquiétante étrangeté, par la simple élimination du doute ou de
lřadhésion à la diégèse, lřadaptation de Švankmajer crée un précédent au sein des
adaptations des textes carrolliens en y introduisant un doute assez puissant. La toute fin du
film (alors que le Lapin nřest plus dans son présentoir de verre au réveil dřAlice),
conjuguée au mélange de la technique du stop-motion, du réel et des corps morts, participe
activement à la création de ce doute.
Lřanimation dřobjets dans un environnement réel occupe une place importante dans
les films de Švankmajer. La réalité concrète, du moins son apparence telle que peut
la reconstituer à notre œil la caméra en mode de « prise de vues réelles », […] se
heurte aux effets « magiques » de lřanimation dans une atmosphère de tension que le
cinéaste maintient dans la plupart de ses films. [Son] but est de nous dépouiller des
balises psychologiques et des règles quřédicte la réalité concrète et quotidienne. Le
monde animé de Švankmajer ne nous transporte pas au-delà de la réalité; il nous
entraîne de force dans ses paliers cryptiques127.
Lřadaptation du cinéaste tchèque ne repose définitivement pas seulement sur ce doute final
du Lapin disparu. Comme le dit Charles Jodoin-Keaton, lřanimation dřobjets, dans un
environnement réel, est toujours présente dans les différentes œuvres de Švankmajer et
127
94
Ibid., p. 13-14.
Alice ne fait pas exception à la règle. Quand nous entendons parler dřanimation, la plupart
dřentre nous pensent au travail de Walt Disney. Pourtant, bien dřautres techniques
dřanimation ayant un référent indiciel existent. Et bien que Švankmajer aurait pu animer
des corps autres que ceux empaillés ou morts, cřest ce choix précis qui donne lřinquiétante
étrangeté, prétendument absente du conte selon Freud.
Ce nřest pas tant lřanimation des choses inertes qui donne ce résultat, mais bien la
« réanimation » de corps ayant déjà été vivants qui fait surgir cette anxiété. Mais comme
nous lřavons déjà dit lors de notre introduction sur Švankmajer, les objets revêtent une
importance capitale pour ce cinéaste surréaliste, car ils révèlent une partie de lřâme de ceux
auxquels ils ont appartenu. La mise en scène de ces objets fait ressortir les émotions
ressenties, sublimées par le stop-motion. Selon Freud, « ce qui paraît au plus haut point
étrangement inquiétant à beaucoup de personnes est ce qui se rattache à la mort, aux
cadavres et au retour des morts, aux esprits et aux fantômes128. » Lřadulte assume que le
corps mort a été départi de toute âme qui lřhabitait. En réanimant des corps morts, le
cinéaste crée un doute quant à savoir ce qui est réellement revenu dans ces corps. Est-ce
une âme étrangère qui a envahi un corps familier? Ajoutez à cela toute la violence des
personnages envers la fillette, le tableau est effroyable. À lřopposé du conte de fées, la
présente adaptation se rapproche beaucoup plus du conte traditionnel où la petite sirène
dřAndersen, par exemple, se suicide après que son Prince ait choisi dřépouser une autre
femme. Ou encore, le Chaperon Rouge de Perrault qui finit mangé par le loup sans
personne pour le sauver, la victoire de la bête étant irrévocable. Ces contes ont vécu
beaucoup de transformations, avant et après leurs versions écrites, mais lřessentiel est de
comprendre que ceux-ci, originellement, finissaient rarement bien. « Ils vécurent heureux
et eurent beaucoup dřenfants » est plutôt véhiculé par Disney. Un peu comme les tragédies
grecques, ces histoires sont porteuses de grandes leçons que lřenfant décode par analogie.
Il nřy avait donc pas absence de terreur et de tragique dans les contes. Ils étaient bien
différents de ceux que nous connaissons aujourdřhui. Et Švankmajer nous ramène, avec
128
Sigmund Freud, L’Inquiétante étrangeté et autres essais, op. cit., p. 246.
95
Alice, vers une version traditionnelle de ces histoires fantastiques en plus dřy ajouter
lřinquiétante étrangeté.
Marqué par lřabsence de dialogue, autant que par lřinsufflation de la violence,
lřintellectualisme verbomoteur a cédé sa place aux images évocatrices soutenues par une
structure onirique. Les dialogues sont absents, et, par le fait même, le livresque. En effet,
quelques personnages étaient synonymes de livresque. Par exemple, la Souris et sa longue
histoire ont disparu, non pas au profit dřune version puérile, comme Disney, mais plutôt
afin dřimmerger le spectateur dans lřimage, dans le stop-motion. Le tout afin que rien ne
puisse le distraire de la réalité brute de lřhistoire vécue par Alice. Pas de Loir, pas de
Chapelier Fou en conflit avec le Temps non plus. Ces deux personnages sont plutôt
remplacés par une Souris qui violente la fillette en lui plantant des bouts de bois sur la tête
(et en mettant feu à des mèches afin de se faire à manger), et par un Chapelier qui répète
sans cesse les mêmes gestes, buvant du thé qui se déverse par un trou béant à lřarrière de
son dos. Les images mises de lřavant, le spectateur est obligé de regarder le film, et non de
lřécouter puisquřil y a presque absence de dialogue. Lřauditoire doit donc comprendre
différemment lřhistoire présentée. Perplexe, muet, le public assiste à une diégèse contenue
dans une structure onirique, appuyée par lřabsence du verbomoteur.
Cette disparition est remplacée par diverses analogies, au niveau de lřimage et des idées
véhiculées, surtout lors du procès. Il faut le rappeler, le Rideau de fer est tombé en 1989,
soit lřannée de la sortie du film. Alice symbolise, en partie, le régime totalitaire et froid du
Parti communiste tchécoslovaque ayant été au pouvoir des années 1920 au milieu des
années 1990. Le parti était encore au pouvoir quelques années après la chute du symbole du
communisme par excellence : le Mur de Berlin, supprimé à partir du 9 novembre 1989.
Lors de ces années, bien des individus ont été accusés, sans fondement, dřêtre un ennemi de
lřintérieur ne voulant pas adhérer aux valeurs marxistes-léninistes. Et comme nous lřavons
mentionné, il fut une période où Švankmajer vécut la censure et où il devait se
« conformer » au pouvoir politique puisque les intellectuels et les artistes se faisaient
96
surveiller de près. Ils étaient considérés comme de potentiels dissidents, des électrons
beaucoup trop libres. Qui a volé les tartes? et La déposition d’Alice sont représentatifs de
cette politique de la censure.
Après avoir donné le cahier bleu à la fillette, le Lapin fuit et Alice le talonne dřune pièce à
lřautre. Arrivée à une porte, elle sřessuie les pieds, entre, trouve la Reine et le Roi à une
table, certains personnages à la fenêtre. Dřemblée, elle nřa dřautre choix que dřaller au box
des accusés, dřune part, puisque le Roi la déclare coupable, mais aussi parce que le box est
devant la porte. Alice se rend à son propre procès, accusée dřun crime dont elle ne connaît
pas la teneur. Mais ce quřon attend dřelle est précis : dis ce que nous voulons que tu dises et
non ce que tu penses. Le Roi demande à la protagoniste pourquoi elle a mangé les
tartelettes. Tentant de se justifier, elle ne réussit quřà marmonner un « je… je… mais… »
La Reine, impatiente, ordonne encore une fois quřon lui coupe la tête. Le Lapin, ciseaux
aux pattes, semble pressé de répondre à la demande de sa souveraine. Alice arrive,
finalement, à articuler quřelle nřa rien mangé. Mais dans cette cour, il nřy a pas de juré ni
dřavocat, que deux juges, un bourreau, et bien entendu, lřassistance. Assistance bien
bruyante dřanimaux et de marionnettes qui sřaniment avec passion. Comme à une élève du
primaire, le Roi demande à Alice de lui donner son cahier afin de le vérifier. Ce cahier
comporte tout ce que la protagoniste doit dire et auquel elle doit absolument se conformer,
même si cela veut dire quřelle doit avouer un crime quřelle nřa pas commis. Après quelques
vérifications, le Roi lui dit de lire le cahier à lřendroit approprié.
Pays de fous, certainement sans loi, on demande à la petite Alice de se déclarer coupable
afin de lui couper la tête sans se préoccuper de ses torts, réels ou non129. Aucun témoin,
aucune question, elle est coupable. Lřhéroïne est forcée de faire ses excuses et de demander
la punition la plus sévère. Consternée, la fillette crache : « Pour qui me prenez-vous? »
Montrant le plateau de tartelettes présentées comme pièces à conviction, la fillette dit :
129
Voir annexe 2, p. 190.
97
« Mais vous pouvez voir, elles sont toutes là… Presque toutes! » Alice provoque alors la
cour en mangeant des tartelettes. Lřhéroïne de Švankmajer va toujours beaucoup plus loin
que celle de Carroll (qui est spontanée, volontaire et qui a un petit caractère), elle est
provocante, arrogante. Cette scène reflète bien la vie quřont dû endosser des millions de
gens afin de ne pas « subir » le joug du parti politique en place : dis ce que nous voulons et
non ce qui est vrai. Perte de livresque, oui, mais les images présentées sont fortes, afin de
faire ressentir tout cet inconfort, ce mutisme forcé, ces voix et ces pensées muselées du
peuple. Ne pouvant faire passer de message que par des formes « autorisées », Švankmajer
sřest « plié aux règles du jeu » pendant plusieurs années. Et quel meilleur moyen de passer
ces messages que de les cacher dans des films pour « enfants »?
Une autre des idées de roman rejetées se trouve dans tous les personnages qui se
rapprochent dřun être humain adulte. En effet, tout ce qui lui ressemble est remplacé par
des jouets, par exemple, le Chapelier converti en marionnette. Et si lřadulte nřest pas
transformé, il lui manque la tête. Le réalisateur les modifie ou les supprime du film.
Certains autres personnages brillent aussi par leur absence. La Duchesse, méchante avec
son bébé dans le chapitre Poivre et cochon du texte carrollien, nřest aucunement présente.
Et pourtant, le chapitre se trouve bel et bien dans lřadaptation svankmajérienne. Mais elle
est remplacée par le Lapin qui tente, tant bien que mal, de donner le biberon au poupon qui
ne cesse de pleurer. Dans le chapitre Un thé extravagant, le personnage prétendument
adulte est celui du Chapelier. Le protagoniste, nous devrions parler dřantagoniste dans le
cas présent, est remplacé par une marionnette. Comme nous lřavons mentionné tout à
lřheure, lřidentification du spectateur à ce personnage est dřautant plus difficile quřil nřest
pas humain, pas plus quřadulte, et encore moins vivant. Et pourtant, la marionnette porte
une longue barbe de bois (tout son corps en est dřailleurs constitué), reflétant, par le fait
même, son statut « mature ».
Encore une fois, Švankmajer va dans la même direction que Carroll en faisant de son
adaptation le porte-étendard de lřenfance, allant même jusquřà ne présenter que des jouets,
98
à la seule « exception » dřAlice et de la sœur, et ce, tout au long du film. Contrairement à
Dodgson, qui nous présentait des hybrides mi-homme mi-carte dans Le terrain de croquet
de la Reine, lřadaptation de Švankmajer nous montre de simples cartes. Rien dřhumain, que
des figurines en deux dimensions, valets, reines, rois, ou pas. Bien évidemment, les têtes
coupées restent du domaine du cruel. Mais les objets sont déjà morts ou inanimés. Puisque
ce sont de simples objets, il est plus aisé de sřidentifier à Alice quřaux autres « choses »
présentes, leur perte ne nous atteint pas autant que si celles-ci étaient réellement vivantes.
Et si lřon ne peut sřidentifier émotionnellement à ces créatures, cřest bien parce quřelles
revêtent le manteau de lřétrangeté, joint à une violence affirmée envers la fillette. De plus,
si la présence adulte veut dire violence et rigidité, pourquoi serions-nous fâchés de cette
disparition? Les personnages matures de la version carrollienne étaient tous plus fous les
uns que les autres, mais dans aucune adaptation nřavaient-ils été aussi dangereux que dans
celle du Tchèque.
Nous avons donc pu voir comment ces idées rejetées apportent à lřadaptation du Tchèque.
Švankmajer a effectué des choix de façon méthodique et précise, tout en respectant, et
lřœuvre de départ et son intégrité. Švankmajer, encore une fois, donne lieu à un film
singulier, mais surtout reconnaissable. En effet, son film sřintègre parfaitement à ses autres
œuvres. Le spectateur reconnaît son travail, bien que ce soit une adaptation dřAlice au pays
des merveilles de Carroll.
99
100
Alice in Wonderland, Tim Burton, 2010
Tim Burton, Alice, type de narration et techniques
Né Timothy William Burton, le 25 août 1958, Tim Burton grandit dans la municipalité de
Burbank, en Californie, tout près dřHollywood. Enfant (et adolescent) qualifié dřétrange,
Burton trouve difficilement sa place et ne se sent jamais comme les autres. Plus jeune,
Burton est passionné par les films de monstres de la Hammer Film Productions quřil
considère comme ses amis les plus fidèles. Sa scolarité à la California Institute of Arts lui
permettra dřêtre embauché par les Studios Disney, chez qui il amorce sa carrière en 1979.
Travaillant sur divers projets de la célèbre firme, le jeune homme est triste; son art est
singulier et ne convient pas au style disneyen. Cřest tout de même la compagnie qui lui
donne son premier contrat, en 1982, afin de réaliser un court métrage quřil a lui-même
écrit : Vincent. Jugé trop sombre pour les enfants, le film de cinq minutes sera relayé aux
oubliettes pendant plusieurs années. Burton quittera les studios en 1984. Cřest Beetlejuice
(1988) qui lancera réellement sa carrière avec un succès, 73 millions au box-office
américain. Il enchaîne ensuite avec plusieurs succès dont Batman (1989), Edward aux
mains d’argent (1990), Batman : Le Défi (1992), etc.
Réalisé en 2010, Alice au pays des merveilles est le plus gros succès au box-office de
Burton : plus dřun milliard de recettes. Cette adaptation est, du point de vue narratif, la
moins fidèle que nous ayons choisie, cřest-à-dire quřelle convient au type dřadaptation dite
« dřaprès ». Et si le film de Disney conjuguait les deux volets des aventures dřAlice, alors
que celui de Švankmajer se basait simplement sur Alice au pays des merveilles, celui de
Burton est une adaptation libre130 des aventures créées par Lutwidge Dodgson. En effet, le
film combine certains éléments de Alice et de De l’autre côté du miroir, dont certains
personnages, le jeu dřéchecs, etc. Mais il est surtout basé sur le poème du Jabberwocky du
130
Nous faisons le choix d'analyser le film de Burton en tant quřadaptation et non en tant que film
transfictionnel ou « sequel » à proprement parler (bien que sa réception critique semble le définir comme tel
grâce à la structure narrative basée sur le cauchemar récurrent dřAlice). Toute la singularité du film tient dans
cette hésitation entre adaptation stricte et sequel. Le titre indique clairement quřil sřagit dřAlice au pays des
merveilles: lřadaptation de Burton entre dans la catégorie des adaptations libres, mais cette liberté provenant
du sequel ne se révèle quřà la fin du film. En effet, malgré le changement temporel et le cauchemar, les
péripéties exploitées sont assez (banalement) fidèles à lřœuvre de Charles Lutwidge Dodgson.
102
second tome écrit par Carroll. Lřhistoire évolue entre la contrainte de Disney, qui produit le
film, et la tendance anticonformiste inspirée par Švankmajer. Cette version étant très
personnelle, il nous a semblé intéressant de lřanalyser puisquřelle tire son inspiration de la
vision très particulière du monde de Tim Burton, mais aussi de deux de ses influences très
importantes : Walt Disney et Jan Švankmajer.
Il est impossible de ne pas déceler lřemprise des valeurs disneyennes sur lřélan créatif du
réalisateur, cette adaptation nřétant pas aussi sombre que la plupart de ses films précédents.
Mais il est indéniable que le film est signé Tim Burton, ses œuvres étant reconnaissables.
Créateur dřatmosphère par excellence, il contourne les obstacles de la maison de production
en insérant diverses obsessions et divers motifs récurrents à lřensemble de son œuvre. Nous
retrouvons, au cœur du film, deux acteurs fétiches de Burton, soit Johnny Depp (Edward
aux mains d’argent, Charlie et la chocolaterie, Sleepy Hollow, etc.) dans le rôle du Mad
Hatter ainsi quřHelena Bonham Carter (La planète des singes, Big Fish, Sweeney Todd,
etc.) qui interprète la Reine Rouge. Le rôle dřAlice, jeune adulte, est donné à lřactrice
australienne Mia Wasikowska (I Love Sarah Jane, Amelia, etc.), pour qui ce film est la
première expérience burtonienne. Le rôle de la Reine Blanche, quant à lui, a été attribué à
lřAméricaine Anne Hathaway (Becoming Jane, The Devil Wears Prada, etc.). La musique
est créée par le complice de Burton de toujours, Danny Elfman, qui a fait les trames
sonores, entre autres, de Beetlejuice, Batman, Sleepy Hollow, Big Fish et plus récemment,
Dark Shadows et Frankenweenie. La scénarisation, ici, nřest pas faite par Burton, qui a
scénarisé quelques-uns de ses films, mais bien par Linda Woolverton (The Lion King,
Mulan, etc.) de la franchise Disney. Lřadaptation a une distribution exceptionnelle, une
vision unique et un scénario bien différent du texte dřorigine. Mais elle rassemble tout de
même des qualités carrolliennes, faisant de cette adaptation un film tout à fait particulier,
malgré son fond disneyen.
Tim Burton a plusieurs obsessions, que nous explorerons en profondeur plus tard, mais
dont nous ferons ici mention. Lřune dřelles se retrouve dans ses personnages. Si lřAlice de
103
Carroll vit un parcours initiatique vers le monde adulte, lřAlice de Burton suit le même
mouvement que les autres personnages de ses films; « [ils] […] sont souvent des marginaux
incompris et mal perçus, des laissés-pour-compte rongés par une sorte de dualité et qui
opèrent à la frontière de la société quřils se sont eux-mêmes construite, certes tolérés, mais
le plus souvent abandonnés à leurs propres préoccupations131. » Ces individus singuliers,
plongés dans un univers normé, ne se rendent pas compte de leur étrangeté. Ce nřest
dřailleurs pas la première fois quřil intègre de jeunes adultes ayant des rôles de pivot dans
ses films. Cřest même une récurrence. Pensons à Beetlejuice, Edward Scissorhands, Mars
Attacks!, Sleepy Hollow, etc.
Une autre obsession du cinéaste relève de lřesthétique. Il est évident que Tim Burton reste
fidèle à lui-même avec son expressionnisme, déformant les corps et les décors afin de créer
une certaine désorientation, un déséquilibre, sans toutefois aller aussi loin que la version de
Švankmajer. Ses idées de cinéma sont, ici, différentes de celles des idées de roman de
Carroll. Il nřy a quřà sřintéresser au Jabberwocky. Bien que les illustrations de Tenniel
aient été approuvées par lřauteur, Stephanie Lovett Stoffel mentionne que Charles
Lutwidge Dodgson fait part de son inquiétude face à lřimage créée132. Le livre fût publié
avec cette même illustration, malgré lřappréhension de Carroll. Il la croyait inappropriée
pour les enfants, pensait quřelle leur ferait peur. Burton, lui, dans son obsession de
lřexpressionnisme et du gothique, nřhésite pas à représenter le Jabberwocky. Les idées de
cinéma de Burton se situent le plus souvent dans lřentre-deux : cinéma à la fois horrifique
et humoristique (lřhumour désamorçant lřhorreur), à la fois dřune ironie subversive et
consensuelle (comme le démontre son immense popularité).
131
132
Mark Salisbury, Tim Burton : entretiens avec Mark Salisbury, Paris, Sonatine, 2009, p. 22.
Stephanie Lovett Stoffel, Lewis Carroll au pays des merveilles, Paris, Gallimard, 1997, 160 p.
104
Les idées de cinéma de Burton et de conte de Carroll qui se
« rencontrent »
Bien que la présente adaptation en soit une « dřaprès », il est évident que certaines idées de
roman et de cinéma se « rencontrent » malgré tout, sinon nous ne parlerions pas
dřadaptation. Comme nous lřavons expliqué plus haut, ce type dřadaptation reprend
seulement certains éléments et est plus ou moins inspiré de lřœuvre originale. Il subsiste de
nombreuses traces du texte carrollien, malgré les multiples modifications opérées par la
scénariste Linda Woolverton. Cřest ce que nous nous proposons dřanalyser lors de cette
présente section. Mais avant de parler de la narration, nous parlerons des « rencontres » que
sont la technique, le féminisme, etc. Si nous procédons par personnages ou par catégories,
cřest quřil est plus difficile de faire des liens directs avec lřœuvre carrollienne,
contrairement aux autres films choisis qui représentaient les deux premiers types
dřadaptation beaucoup plus près du texte de départ. Étant du type « dřaprès lřœuvre de »,
les choix effectués relèvent directement ou indirectement des aventures dřAlice. Mais il est
évident que Burton rend à sa façon un très bel hommage à Dodgson.
Depuis le début de nos analyses, nous parlons de relations indicielles pour chaque version.
Dans le cas de Burton, la « rencontre » est intéressante puisque le réalisateur combine trois
techniques133. Burton met en scène non seulement de vrais acteurs, mais aussi des
personnages en image de synthèse. De plus, certaines des créatures vues à lřécran sont
hybrides, cřest-à-dire quřelles sont faites dřun mélange de capture de mouvements (motion
capture) et dřimages de synthèse. La motion capture consiste à filmer le mouvement en
temps réel, dřun être ou dřun élément, et à le transférer dans un univers virtuel afin de
pouvoir le transformer et lřanimer, par exemple Ilosovic Stayne (le Valet de Cœur). Joué
par Crispin Glover, lřacteur évolua dans un environnement de fond vert tout au long du
133
Bien que Burton ne soit pas le seul réalisateur à user de plus dřune technique pour un seul film, la rareté
dans son œuvre de films utilisant le numérique (et non lřanimation plus traditionnelle avec ses maquettes et
marionnettes) fait se démarquer Alice au pays des merveilles au sein de sa réalisation habituelle. De plus, ces
techniques sont différentes de celles des autres films choisis ; cřest pourquoi il est intéressant de sřattarder aux
techniques utilisées par Burton.
105
film (comme presque tous les acteurs faisant partie du Wonderland). Mais au lieu de porter
un costume préconçu, il était vêtu dřune combinaison verte recouverte de capteurs. Le
Valet de Cœur, étant beaucoup plus grand que la plupart des autres personnages, Glover a
dû jouer sur des échasses. Afin de ne pas les voir au montage, sa combinaison le recouvrait
du cou au sol. Les capteurs transmettaient les mouvements de Glover à lřordinateur. Puis,
en postproduction, lřéquipe dřeffets spéciaux a travaillé pendant un an et demi, afin de
réaliser divers effets, sous la direction de Ken Ralston, spécialiste des effets visuels ayant
travaillé sur divers projets très connus dont les célèbres trilogies de Back to the Future
(1985, 1989 et 1990) et de Star Wars (1979, 1980 et 1983), ainsi que Who Framed Roger
Rabbit (1988), etc. La tête de Glover fut conservée, telle quelle, et fut ajustée à lřarmure
créée par ordinateur. Le Valet de Cœur nřest quřun des exemples de lřutilisation de la
motion capture, car il y a aussi Tweedeldee et Tweedeldum, sur lesquels nous reviendrons.
Non seulement Burton joue-t-il avec la motion capture, mais aussi avec lřimage de
synthèse numérique, cette dernière permettant la création complète de décors de
lřUnderland134 ou de plusieurs personnages tels le Bandersnatch, le Lapin Blanc, le
Jabberwocky, etc. Mais le tout permet aussi la transformation de tout élément apparaissant
au montage. Par exemple, la tête dřHelena Bonham Carter, jouant la Reine Rouge, est
« gonflée » de 50 à 75 %. Pour cela, lřéquipe a dû prendre bien des précautions puisque la
caméra utilisée avait une définition beaucoup plus grande que les autres. Il a donc fallu
faire attention aux mouvements de lřactrice, qui ne devait pas passer de mains devant son
visage sous peine quřelles soient, elles aussi, plus grosses de 50 à 75 % au montage. Cřest
dire que lřimage est transformée, seul le jeu des acteurs de chair et dřos est en prises de
vues réelles. Lřimage nřest pas « réelle », mais fabriquée. Elle est, tout de même, réaliste.
Pourtant, pour un réalisateur qui a toujours préféré les décors réels, la multiplication des
techniques numériques est étonnante. Il y a quelques années, Burton confiait : « As
amazing as digital technology is, you can still feel it on the screen while youřre watching
134
Ici appelé Underland et non Wonderland, nous pensons que la scénariste Woolverton fait allusion au
premier titre donné par Carroll aux aventures dřAlice : Les Aventures d’Alice sous terre (Alice’s Adventures
Under Ground). Elle aurait donc créé un mot-valise de Underland et Wonderland.
106
the movie, thereřs a certain thinness135. » Edwin Page complète lřimage donnée par Burton
en ajoutant : « CG effects can remove you from the enjoyment and atmosphere of films
because youřre thinking Řwow, how great are those computer effectsř rather than thinking
about the narrative itself136. »
Mais la « rencontre » entre le monde de Carroll et lřimage très homogène, créée par Burton,
est des plus convaincantes. Et si lřimage ne distrait pas, cřest bien parce que le merveilleux
de Dodgson, exposé par le réalisateur, semble aussi vraisemblable que si ce monde existait.
Il faut aussi mentionner que lřesthétique expressionniste du réalisateur participe
grandement au sentiment de dépaysement et englobe la perception du spectateur. Cette
homogénéité de lřimage, autant la technique que le jeu des acteurs, nous fait adhérer au
monde diégétique plus aisément.
Comme dans la version carrollienne, cřest principalement la chute dans le terrier qui nous
fait basculer du « monde réel » (monde tourné sans numérique) au monde des merveilles,
presque cent pour cent de lřimage virtuelle montrée à lřécran. Bien que la chute soit un
renversement total dřunivers, le Lapin Blanc se trouve à être le premier symptôme de cette
virtualité dans le monde diégétique réel dřAlice. Alors quřAlice et sa future belle-mère font
une promenade, nous apercevons lřanimal pour la première fois. Il fait signe à
lřadolescente, tapotant sa montre gousset de sa patte; ils sont en retard. La jeune femme,
curieuse, sřélance vers la bête, ignorant les avertissements des problèmes de digestion de
son futur mari. Commence alors lřaventure, et pour Alice, et pour Burton, qui joint sa
technique à lřunivers imaginé par Carroll. Nous reviendrons, dans notre section sur les
ajouts et modifications, sur lřobsession expressionniste, donc de lřesthétique qui enrichit
lřœuvre originale. Cřest pourquoi nous nřirons pas plus loin sur ce sujet particulier quřest la
technique.
135
136
Edwin Page, Gothic Fantasy : the Films of Tim Burton, Londres, Marion Boyars, 2009, p. 185.
Id.
107
Burton met en avant les thèmes du féminisme et de la satire victorienne (et politique). Le
cinéaste fait dřAlice une suffragette incomprise du reste de la société victorienne, alors que
celle de Carroll effectue une simple transition entre lřenfance et lřadolescence dans un
monde adulte quřelle ne comprend pas totalement. Nous nous intéresserons donc à la
particularité que représente Alice en tant que jeune adulte (idée de cinéma), et non en tant
quřenfant (idée de roman). Dans le livre L’Univers de Lewis Carroll, Jean Gattégno dit que
« cřest le refus du monde réel qui forme lřossature du projet carrollien; ce refus est un repli
dans un monde de lřenfance sclérosé et fermé aux influences du monde extérieur137. »
Comme dans lřossature du projet carrollien, Alice refuse le monde réel et par ce refus, elle
entreprend donc, sans le savoir, un voyage au pays des merveilles afin dřaffirmer son
indépendance en traversant les embûches du Wonderland. Tim Burton, dans la plupart de
ses films, fait de ses personnages de jeunes adultes ayant un cœur dřenfant et qui sřadaptent
mal à la société. Ils refusent les règles préétablies du monde et tentent de conserver leur
intégrité. Alice, dans son adaptation, est une jeune adulte qui conteste les règles de la
bienséance victorienne. Elle ne porte ni corset ni bas, alors que lřétiquette, stricte, lřexige.
Malgré ces petites rébellions, la société victorienne la rattrape lorsque sa sœur lui dit
quřelle doit se marier avec Hamish, que son joli visage ne sera pas éternel. Alice doit se
trouver un mari avant de devenir vieille fille comme sa tante Imogene. Si elle attend, elle
deviendra un poids pour sa mère, en plus de devenir ridée et moins facile à marier. En
refusant la demande en mariage dřHamish, elle nous fait penser aux féministes prônant une
vie professionnelle et personnelle, et non une fonction domestique dépourvue
dřindépendance et de liberté.
Burton ne dévie pas du but de Carroll. Il fait de la petite Alice une enfant avec une
personnalité propre. Il complète la structure carrollienne en transformant notre héroïne en
femme indépendante. Il le fait dřune manière politique en incluant la structure du jeu
dřéchecs et de ses pions (nous y reviendrons). Dans Alice, comme dans la plupart de ses
films, « [Burtonřs] protagonists battle with society for the right to keep their personality
intact, to hold the pieces together. They demand the right to be different. They oppose the
137
Jean Gattégno, L’Univers de Lewis Carroll, op. cit., p. 86.
108
Řnormalisingř, unifying tendencies in society138. » Au début, la jeune femme ne se cache
aucunement dřavoir une imagination débordante : alors quřelle danse avec Hamish, elle
semble pensive, puis elle rit. Agacé, son prétendant lui demande si elle le trouve amusant.
En toute réponse, lřadolescente dit quřelle a soudainement eu lřimage des filles en
pantalons et des hommes en robes. Il lui réplique quřelle serait mieux de garder ses pensées
pour elle-même, que lorsquřelle a des doutes, elle devrait rester silencieuse. Quelques
secondes plus tard, alors quřelle accroche un autre danseur par inadvertance, son cavalier
lui demande où est sa tête? Alice était en train dřimaginer comment ce serait de voler. Être
sans imagination, il lui demande pourquoi elle perdrait son temps à imaginer quelque chose
dřimpossible. Les deux Alice, celle de Carroll et celle de Burton, ont toutes les deux une
grande faculté dřimagination. Celle de Burton a grandi avec un père qui pouvait croire
jusquřà six choses impossibles avant le petit déjeuner. Cette phrase est dřailleurs celle de la
Reine Blanche dans le second volet des aventures dřAlice, De l’autre côté du miroir. Alice,
qui avait pourtant beaucoup dřimagination du haut de ses sept ans, dit à la Reine quř« on ne
peut croire en des choses impossibles. » La souveraine réplique : « Je suppose que tu
manques dřentraînement. Quand jřavais ton âge, je mřexerçais à penser à cela une demiheure par jour. Il mřest arrivé quelquefois de croire jusquřà six choses impossibles avant le
petit déjeuner139. » Ce nřest pas que la petite fille nřait pas dřimagination, mais simplement
quřelle conçoit rationnellement que tout nřest pas possible dans le monde victorien de son
époque. Elle doit alors se soumettre aux lois du Wonderland, cřest-à-dire aux lois dřun
monde imaginaire où tout est possible.
LřAlice de Burton, elle, est plus imaginative. Poursuivant le Lapin, elle retombe dans un
Wonderland très différent de ce quřelle croyait être un rêve récurrent. Ce dernier est
dominé par la Reine Rouge (mélange de cette dernière et de la Reine de Cœur) et les
personnages que nous connaissons, des deux tomes de Carroll, sont dans une seule et même
version. Et si Alice ne croit pas que ce monde soit réel, elle apprendra quřil existe bel et
bien. Elle devra alors prouver sa valeur et surmonter toutes les épreuves qui se présentent à
138
139
Helena Bassil-Morosow, Tim Burton : The Monster and the Crowd, Londres, Routledge, 2010, p. 46.
Lewis Carroll, Alice au pays des merveilles et De l’autre côté du miroir, op. cit., p. 258.
109
elle. Elle apprendra à se faire confiance dans un monde quřelle pensait impossible et à
croire aux possibilités du réel. Elle nřest plus une jeune adulte qui refuse le monde
extérieur, elle valide plutôt son indépendance féminine en affrontant, dřabord le monde
« intérieur » du pays des merveilles, ensuite le vrai monde. Retournant dans la réalité
victorienne, il aurait été normal que la jeune femme épouse Hamish. Comme le mentionne
les auteures de Lewis Carroll et les mythologies de l’enfance : « [D]onner son orientation
conventionnelle au destin de la petite fille, appellerait nécessairement le miroir du garçon,
car dans lřespace ordonné de la société victorienne, toute trajectoire féminine ne saurait
mener quřà lřapothéose nuptiale140. » Burton met souvent en scène des garçons ou de
jeunes hommes comme personnages principaux. Alice dévie de ses autres films. Bien que
sa protagoniste ait des caractéristiques très féminines, au début du film elle décide de
prendre son destin en main, endossant alors un avenir plus masculin, du moins pour
lřépoque. Et elle endosse ses responsabilités suite à lřarrestation du Chapelier Fou. Parlant
avec le Chien Baylor, qui lui demande de lřaccompagner au château de la Reine Blanche, et
non dřaller à celui de la Reine Rouge (sinon elle dévierait du parcours prévu), elle lui dit
que cřest elle qui fait le parcours et non lui. Cřest elle qui décide où elle va et ce quřelle
fait. Elle en a assez de se faire dire quoi faire, mais aussi de se faire reprocher quřelle nřest
pas la bonne Alice.
Ce problème dřidentité est aussi dans lřœuvre de Carroll. Dans lřadaptation burtonienne, au
départ, elle se fait demander qui elle est par la Chenille Bleue. Confuse, elle se fait aussi
dire quřelle nřest pas la bonne Alice par presque tous les autres personnages. Mais le
Chapelier a une tout autre opinion : elle nřest pas lřAlice dřavant, mais elle est la bonne
Alice; idée nřétant pas dans le texte originel; Burton lřa mise en place. Sophie Marret, dans
son livre Lewis Carroll : de l’autre côté de la logique, mentionne que « dès lors, tout au
long de ses aventures au pays des merveilles, Alice sřaffronte à lřimpossibilité de répondre
à la question Ŗqui suis-je?ŗ. La question reste dřailleurs maintenue à lřissue de ses
140
Lawrence Gasquet, Sophie Marret et Pascale Renaud-Grosbras (dir.), Lewis Carroll et les mythologies de
l’enfance, op. cit., p. 117.
110
aventures141. » Burton, lui, décide de répondre à cette question et y parvient en faisant de
notre héroïne une jeune adulte qui a perdu « lřenfant en elle ». Le Chapelier Fou, joué par
Johnny Depp, le dit lui-même : « Youřve lost your muchness. » Le terme a deux sens et les
deux sřappliquent. Le premier a un lien avec la grandeur (Alice est miniature à ce moment
du film), le second, et cřest le plus précis selon nous, est la trahison de lřidéal enfantin.
Alice a oublié son cœur dřenfant, sa « splendeur ». La jeune femme doit alors prouver
quřelle nřest pas une usurpatrice, quřelle est bien lřAlice qui a visité leur monde lors de son
enfance. Elle personnifie lřespoir quřils ont de mettre, enfin, un terme au règne de la
terrible Reine Rouge. Lorsquřelle surmontera ces épreuves, elle se fera offrir de rester, mais
elle optera plutôt pour le sang du Jabberwocky, ce dernier lui permettant de retourner dans
son monde. Alice, de nouveau dans sa réalité, sřémancipera de la société victorienne afin
dřaller parcourir la terre, devenant apprentie dans une compagnie, et célibataire dans un
domaine masculin. Elle correspond, au final, à tous ces personnages masculins de Burton,
mais doublés dřun côté féministe.
Plusieurs personnages, malgré toutes les différences narratives provoquées par les choix
effectués, ressemblent beaucoup à ceux créés par Charles Lutwidge Dodgson à lřété 1862.
Nous en observerons six. Comme pour bien dřautres adaptations des textes de Carroll, le
Chapelier Fou est un des personnages les plus exploités, après Alice bien entendu. Lřattrait
de ce protagoniste particulier est plus que compréhensible : il expose la folie inhérente au
Wonderland, beaucoup plus que nřimporte quelle autre créature du monde des merveilles.
Et si Burton a décidé de le garder, cřest quřil est un personnage important, et dans le texte
de Carroll, et dans son film. Le choix le plus intéressant réside, par contre, dans
lřattribution du rôle à un des acteurs fétiches du réalisateur américain : Johnny Depp.
Presque méconnaissables, les traits de lřacteur disparaissent sous une couche épaisse de
maquillage, un costume arborant tous les accessoires nécessaires à la fabrication dřun
chapeau et sous une perruque rousse électrisante. Les expressions de Depp se moulent
parfaitement à la folie planant constamment sur le Underland. Il sřest dřailleurs inspiré des
141
Sophie Marret, Lewis Carroll : de l’autre côté de la logique, Rennes, Presses universitaires de Rennes,
1995, p. 84.
111
vrais chapeliers, qui, à lřépoque, sřintoxiquaient à force de respirer la solution de nitrate de
mercure, utilisée afin de traiter et de préserver les peaux. Certains symptômes incluent des
troubles du caractère et de la personnalité, de perte de contrôle, de sautes dřhumeur, etc142.
Le Chapelier Fou est doté de caractéristiques fréquemment mises en avant par Burton.
Helena Bassil-Morosow explique ces attributs : « the face of the modern man as Burton
usually depicts him Ŕ broken into pieces, the sewn together, and struggling to find a stable
center within himself Ŕ the center which would help him not to fall apart again143. » Nous
découvrons, en avançant dans lřhistoire, que le Chapelier Fou a souffert de la perte de
plusieurs êtres chers, en plus de la défaite de la Reine Blanche. De quoi perdre la tête. La
scène du massacre lors dřune fête de cette dernière est dřailleurs très représentative de ce
démantèlement, de cette brisure de lřhomme. Burton le fait en montrant un Chapelier plus
jeune, à lřopposé de celui que rencontrera Alice. Il a de beaux cheveux longs roux frisés, il
est élégant, plus coloré. Suite à cet événement tragique, il nřest plus le même. Oscillant
entre joie intense et mélancolie extrême, passant par des colères enflammées, ses vêtements
suivront ses émotions, tout comme ses yeux (qui passeront de verts lorsquřil est heureux à
oranges lorsquřil est fâché) et son maquillage se noircissant lors de ses rages. Ses vêtements
sont plus ternes lorsquřil est, tantôt mélancolique, tantôt fâché; ils deviennent plus colorés
lorsquřil est joyeux, puis fou. Homme défait, ce sont souvent les autres personnages
lřentourant qui le ramènent vers son propre centre lorsquřil sř« égare » en lui-même. Le
génie de Depp se manifeste une fois de plus, ses expressions passant de la folie à la joie, à
la colère, en une fraction de seconde. Il exploite les sautes dřhumeur du Chapelier créé par
Carroll avec aisance. Lřessence du personnage reste présente malgré toutes ces différences
insufflées par lřesthétique particulière de Burton et qui, paradoxalement, soutiennent les
fondations merveilleuses de Carroll.
142
CSST - Service du répertoire toxicologique, http://www.reptox.csst.qc.ca/Produit.asp?no_produit=4309
[site consulté le 23 septembre 2013].
143
Helena Bassil-Morosow, Tim Burton : The Monster and the Crowd, op. cit., p. 4.
112
Notre prochain personnage est celui de la Reine Rouge. Nous verrons aussi lřaspect de la
folie puisquřelle la crée indirectement… ou directement. Sœur de la Reine Blanche, elle
impose un règne de terreur. Elle est un mélange de la Reine Rouge et de celle de Cœur,
lřadaptation conjuguant les deux tomes. Contrairement au passage avec la Reine de Cœur
dřAlice au pays des merveilles, la menace de se faire couper la tête, ici, est bien présente.
Le personnage est interprété par Helena Bonham Carter. Les deux Reines créées par Carroll
sont toutes deux présentes, mais alors que la Reine Rouge aidait Alice à devenir Reine,
dans De l’autre côté du miroir, la Reine de Cœur, elle, nřa dřautre passe-temps que de
menacer tout un chacun. Le mélange de Burton donne une Reine au tempérament
adolescent (récurrent chez le réalisateur, car beaucoup de ses personnages le sont aussi), qui
règne par la terreur et qui jalouse sa propre sœur.
Comme pour le cas du Chapelier, un élément respecté est la folie. La menace de la Reine
Rouge est celle de lřintégrité physique, mais le plus grand danger est la folie. Burton
prend la même direction que Carroll, mais va beaucoup plus loin. Inglin-Routisseau donne
une explication claire à cette angoisse instaurée par Carroll : « Les blessures de lřesprit par
perte de conscience, de mémoire ou du sens de la réalité sont finalement plus redoutées que
celles du corps. La menace de décapitation fait de ce point de vue écho à une crainte plus
obscure et métaphorique, celle de Ŗperdre la têteŗ144. » La Reine, burtonienne et
carrollienne, scande haut et fort : « quřon lui coupe la tête » chaque fois quřun de ses sujets
contrecarre ses projets où bafoue son autorité. Et bien que la menace soit par rapport à
lřintégrité physique, il est évident que les personnages de Burton ont tous perdu la tête au
sens métaphorique. Les courtisans de la Reine sont tellement anxieux et effrayés quřils vont
même jusquřà arborer un déguisement hors norme, afin dřattirer la sympathie de leur
souveraine qui a une très grosse tête. Par exemple, une des courtisanes a un faux nez à la
Pinocchio, une autre a des oreilles à la Dumbo, etc. Et même lors de lřexécution du
Chapelier Fou et de la Souris, les personnages ont moins peur de perdre physiquement leur
tête que de perdre leur droiture, leur morale et leur personnalité.
144
Marie-Hélène Inglin-Routisseau, Lewis Carroll dans l’imaginaire français : la nouvelle Alice, Paris,
LřHarmattan, 2006, p. 77.
113
Deux éléments littéraires de la Reine de Cœur ont aussi été retenus. Le premier élément est
celui du vol des tartes. Dans le texte carrollien, le Valet de Cœur subissait un procès pour le
vol de tartes : celles faites par la Reine. Et alors que la dictatrice voulait passer à
lřexécution sans délibérations ni témoins, le Lapin la convainc de faire autrement, soutenu
par le Roi. Les témoins défilent les uns après les autres sans que personne nřait rien vu.
Même Alice ira au banc des témoins. Le procès nřa pas de fin puisque la fillette se réveille
de son rêve avant quřil nřy ait sentence. Il est donc impossible de savoir si cřest bel et bien
le Valet de Cœur qui a commis ce crime. Pour Burton, il nřy a aucun procès, quřune
sentence : « Quřon lui coupe la tête! » Le coupable nřest pas le Valet de Cœur, mais bien
une Grenouille-Serviteur qui a du coulis sur le côté de la bouche. Contrairement au pays
des merveilles de Carroll, la menace est menée à bien, autant pour cette grenouille que pour
les autres : les têtes se retrouvent toutes dans la douve du château. Même celle du Roi sřy
trouve, la Reine prétextant quřil lřaurait quitté.
Lřautre péripétie, mise en scène dans le film, est celle du terrain de croquet. Quelque peu
différente, la scène mérite dřêtre considérée comme une « rencontre », et non comme une
modification ou un ajout. Alors quřAlice veut sauver le Chapelier Fou, prisonnier de la
Reine, Bayard, le Chien, amène à contrecœur notre héroïne à Salazen Grum, le château de
lřinfâme souveraine. Le terrain de croquet de la Reine est en pleine évolution alors que
lřAlice burtonienne fait son entrée dans lřenceinte du château terrifiant de son antagoniste;
le tout après avoir traversé la douve remplie de têtes en décomposition. Comme dans la
version carrollienne, les boules sont des porcs-épics et les maillets des flamants roses, mais
il nřy a aucun arceau (le jeu ressemble plus au golf quřau croquet). La jeune femme grandit
après avoir mangé du gâteau que le Lapin Blanc lui a donné. La Reine aperçoit Alice
derrière les arbres. Alors que la Reine, dans le conte, voit la petite fille et lřinvite à jouer
avec elle, après lui avoir demandé qui elle est, seule la question persiste dans le film, et non
lřinvitation. Le Lapin Blanc, qui hyperventile et ne sait trop que dire, invente « Itřs a
Whom, this is um…? » Et Alice de compléter quřelle est « Um from Umbradge. »
Prétextant quřon se moque dřelle parce quřelle est trop grande, la Reine lřaccueille dans sa
114
cour comme étant sa nouvelle favorite, ne réalisant pas quřUm est Alice devenue adulte. La
menace dřune tête tranchée plane sur notre héroïne.
Nous parlerons, ici, des quatre autres personnages, dont le Lapin Blanc, le Cheshire Cat
ainsi que la paire Tweedledee/Tweedledum. Tout comme dans la version de Švankmajer, le
Lapin garde une de ses caractéristiques principales, soit celle de la peur. Animal de proie, le
personnage mentionne dès le début du film à quel point il fut difficile de trouver la bonne
Alice, quřil a failli se faire manger plusieurs fois, que les animaux se promènent nus et
quřils font leurs besoins devant tout le monde. Burton respecte lřidée de Carroll, puisque le
Lapin, dans le second chapitre (La mare aux larmes) a tellement peur de la fillette quřil en
échappe ses gants et son éventail, sřenfuyant à toute allure. Pourtant, la jeune fille voulait
tout simplement demander de lřaide. Tout au long du film, apeuré par la Reine Rouge/de
Cœur de qui il est esclave, le Lapin perdra connaissance à plusieurs reprises. Il perd
dřailleurs connaissance lorsquřil amène Alice au Bandersnatch afin quřelle trouve la
vorpaline épée. Il est tellement apeuré, de ce quřil perçoit comme un monstre, quřil roulera
de lřœil à la vue de la blessure de notre héroïne. Mais il a aussi un moment de courage
lorsquřil vole lřOraculum, alors que la Reine et Stayne discutent sur le balcon. Le Lapin
volera lřOraculum, déposé sur une table tenue par des singes, in extremis, la Reine ayant
regardé dans sa direction sans lřapercevoir. Aussi élégant que dans la représentation de
Tenniel, lřanimal porte lřhabit et la montre gousset. Mais alors quřil avait toujours peur
dřAlice, ici, il tentera plutôt de lřaider, la jeune femme étant censée être leur sauveur. Bien
quřil nřait pas peur de lřhéroïne, il semble craindre tout le reste, même son ombre.
Le Cheshire Cat est une réussite, tant au niveau esthétique que du point de vue de son
arrogance. Dans le conte, il refuse dřembrasser la main du Roi lors de la partie de croquet.
Le souverain le menace alors de se faire couper la tête. Mais comment réussir un tel exploit
quand lřaccusé peut faire disparaître son corps, sa tête et ne laisser que son sourire, et ce à
volonté? Burton répond à cette question par la scène de lřexécution du Chapelier Fou et de
la Souris : cřest impossible. Lorsque vient le moment de couper la tête du Chapelier, les
115
yeux de ce dernier ne sont pas les siens. Ce sont, en fait, ceux du Cheshire Cat. Lřexécution
effectuée, le corps du Chapelier sřévapore, ne laissant que son chapeau flotter. Un corps
apparaît alors doucement, il sřagit en fait du Chat du comté de Chester. Il est donc
impossible de séparer une tête dřun corps qui « nřexiste pas ». Tout comme dans le conte,
le Chat aide la jeune femme à trouver son chemin, bien que cette fois, elle nřait pas
demandé la direction. Beaucoup plus attentionné que le personnage carrollien, il veut la
soigner de la griffure du Bandersnatch, mais notre héroïne refuse. Alice se contente de le
suivre chez le Chapelier. Ces deux premiers personnages, le Lapin Blanc et le Cheshire Cat,
ont été créés en images de synthèse seules, cřest-à-dire quřils sont inventés de toutes pièces
par ordinateur. Le choix des voix fut crucial et il a été probant. Les voix de Michael Sheen
(Underworld 1, 2 et 3, Twilight 2, 4 et 5, Tron : Legacy, etc.) pour le Lapin, et celle de
Stephen Fry (Bones, Sherlock Holmes : Jeu d’ombres, etc.) pour le Cheshire Cat ont su
apporter une tonalité extraordinaire aux deux animaux, rendant le tout plus réel, moins
fabriqué.
Nos deux derniers personnages présentés, ici, sont sûrement les plus drôles de De l’autre
côté du miroir : Tweedledee et Tweedeldum (Bonnet Blanc et Blanc Bonnet dans la version
française du deuxième volet des aventures dřAlice de Carroll). Les deux protagonistes sont
interprétés par lřacteur anglais Matt Lucas. Pour ce faire, Lucas a dû enfiler une
combinaison rembourrée, verte, recouverte de puces électroniques noires, afin de
retransmettre à lřordinateur ses mouvements (comme pour Crispin Glover). Donnant la
réplique à un autre comédien, Lucas a dû interpréter les deux rôles, et ce en alternance. Le
défi fut de taille. Une fois les mouvements et les textes des deux personnages, joués par le
même acteur, enregistrés, le corps de Lucas fut transformé. Lřéquipe technique modifia
aussi le visage de Lucas afin de lřajuster aux corps créés pour les Tweedles. Comme dans le
conte, les deux personnages sont dřun comique déconcertant, laissant planer un doute sur
leur réelle intention de faire rire ou non. Il nřy a quřà se rappeler la querelle de la vieille
crécelle dans lřœuvre originale. Sortant gants, matelas, chaudrons afin de se protéger avant
leur combat, le tout est des plus comiques. Alice habillera les deux personnages, les laissant
régler leur conflit en filant à lřanglaise. Dans lřadaptation burtonienne, ils se querellent
116
toujours autant, non pour la vieille crécelle, mais pour savoir qui accompagnera Alice
jusquřau Caterpillar. Et tout au long du film, si lřun dit quelque chose, lřautre dit son exact
contraire. En bref, ils correspondent aux célèbres personnages créés par Carroll.
Côté narratif, la scène du terrier du Lapin rend un bel hommage au texte carrollien. Bien
que la descente de lřAlice burtonienne soit beaucoup plus rapide que celle de Dodgson, le
reste est presque identique. Suite à sa dégringolade, Alice tombe dans une pièce remplie de
portes. Comme lors de son premier séjour, la jeune femme tente dřouvrir toutes les portes.
Sřapercevant quřelles sont toutes barrées, Alice voit un autre élément carrollien apparaître :
la clé sur la petite table. Cřest derrière un rideau quřelle découvrira la bonne porte,
miniature, mais elle ne peut passer, étant trop grande. Apparaît alors sur la table une
bouteille au liquide transparent que lřhéroïne boit : « Itřs only a dream. » LřAlice de Burton
ne cesse de faire référence à son cauchemar récurrent. Elle est persuadée de rêver,
contrairement à lřAlice de Carroll qui vit lřaventure, convaincue quřil sřagit dřun simple
rêve lorsquřelle sřéveille. Après avoir bu la bouteille, lřAlice de Burton oublie de prendre la
clé. Elle grandit à lřaide du gâteau, prend la clé, boit à nouveau de la potion et réussit à
entrer dans le monde des merveilles. Reste que les décors ajoutent un petit quelque chose
de gothique, la forme tordue de lřarbre (dans le monde réel et dans le pays des
merveilles)145 et du terrier est expressionniste et déforme la réalité afin de faciliter la
transition entre le monde réel et le pays des merveilles. La musique dřElfman transforme ce
moment « merveilleux » en chute presque cauchemardesque. Malgré ces petits ajouts, cette
courte scène est lřune des plus fidèles à la lettre, bien que lřajout du doute des autres
personnages sur lřidentité dřAlice soit présent.
145
Voir annexe 3, p. 199.
117
Les idées de cinéma ajoutées ou différentes de celles de Carroll qui
transforment le conte
En suivant la notion dřidée chez Deleuze, il est important de consacrer, ici, une partie
importante à lřesthétique et aux obsessions de Burton puisque ce sont des éléments qui
reviennent dans la majeure partie de ses films (si ce nřest dans lřentièreté de son œuvre).
Nous verrons ensuite beaucoup dřajouts et de changement du point de vue narratif et nous
constituerons notre analyse par grands thèmes. Comme nous lřavons dit, le présent type
dřadaptation est dř« après » le conte de Carroll. Lorsquřil sřagit dřadaptation, et selon
Gaudreault et Groensteen,
il ne sřagit pas de concevoir le texte source comme un objet sémiotique plein et
unique ayant à passer dřun médium à lřautre grâce à une opération transsémiotique,
mais, de façon beaucoup plus pragmatique, comme un réservoir dřinstructions, une
sorte de banque de données, dans lequel puise librement le réalisateur-adaptateur146.
Et si cette notion peut sřappliquer aux trois types dřadaptation, elle est dřautant plus juste
dans le cas de celle de Burton. Réservoir dřinstructions, cřest le cas, car, bien que certains
éléments du texte original se retrouvent à lřécran, il est évident que beaucoup dřautres ont
disparu au profit dřune structure narrative « sequel », plutôt que dřune adaptation au sens
propre du terme. Réservoir dřinstructions, donc, dans lequel puise librement le réalisateuradaptateur. Et cette liberté, Burton a bien lřintention dřen profiter à chaque opportunité qui
se présente, ajoutant ses obsessions, accumulant les occasions de faire autrement, tout en
respectant lřesprit et les fondements de la création de Dodgson. Mais par-dessus tout, il va
faire du texte une adaptation qui lui appartienne, qui lui ressemble.
Plusieurs obsessions font partie intégrale des œuvres de Burton et elles font émergence
dans Alice au pays des merveilles. Lřesthétique, par exemple, est une de ses obsessions.
Préoccupé par lřimage, lřémotivité et le symbolisme quřelle dégage, le réalisateur explore
différents aspects de celle-ci. Porté vers lřanimation dans beaucoup de ses films (stop146
André Gaudreault et Thierry Groensteen (dir.), La Transécriture : pour une théorie de l’adaptation,
Québec, Colloque de Cerisy, Éditions Nota Bene, 1998, p. 68.
118
motion, maquettes, etc.), Burton fait de lřesthétique un élément important à ses yeux,
puisque ce médium repose sur les décors, les personnages et leur apparence. Combiné avec
quelques thématiques particulières, il fait de véritables chefs-dřœuvre. « Après une carrière
débutée chez Disney, en opposition à lřesthétique de Disney, Tim Burton met en place un
univers filmique original, comme un condensé décalé dřhistoires enfantines et de contes
gothiques147. » Condensé décalé dřhistoires enfantines, plus ou moins, puisque comme nous
lřavons dit, les images et les trames narratives, exploitées par le réalisateur, correspondent
beaucoup plus au conte traditionnel Ŕ contrairement à Disney qui fait de ses histoires de
vrais contes de fées où tout finit bien.
Nous en avons déjà discuté : le conte servait dřapprentissage aux enfants qui comprennent,
par analogie, la morale quřils doivent tirer de ces péripéties aux fins souvent tragiques.
Burton est décalé de la réalité, oui, mais en rien du conte traditionnel. Et cřest parce quřil
sřinspire de ce dernier, plutôt que de la « modernité disneyenne », que son esthétique reliée
à lřexpressionnisme allemand peut émerger. Frank Kessler, dans son article « Existe-t-il
une esthétique expressionniste? », explique que :
Lřimage « expressionniste » […] est tout dřabord une image stylisée, délibérément
non naturaliste; cřest, deuxièmement, une image composée de manière picturale; et,
finalement, cřest une image saturée de sens, mais aussi Ŕ à travers la stylisation, la
composition et la situation dramatique Ŕ dřatmosphère : la célèbre Stimmung, mot
qui, en allemand, renvoie aussi bien à un état émotionnel quřà une tonalité générale
et unifiante148.
Pour Burton, lřimage est plus quřimportante, et elle est, surtout, émotive. Selon les dires de
sa femme, Helena Bonham Carter, il travaille avec son cœur et son âme plutôt quřavec sa
tête149. Il reprend, avec aisance, cette Stimmung en composant une image stylisée, remplie
dřatmosphère, qui rejoint cette image expressionniste.
147
Olivier Dobremel, « Tim Burton : un marionnettiste du macabre », CinémAnimations, Corlet, Condé-surNoireau, 2007, p. 77.
148
Frank Kessler « Existe-t-il une esthétique du cinéma expressionniste? », dans Le Cinéma expressionniste :
de Caligari à Tim Burton, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2008, p. 68.
149
Mark Salisbury, Alice au pays des merveilles, le livre du film, New York, Disney Éditions, 2010, p. 198.
119
Les premières scènes dřAlice dépeignent un Londres sombre, plongé dans la brume. La
maison victorienne de la jeune Alice arbore des éclairages et des couleurs plutôt ternes.
Bien que ces teintes et éclairages soient fades, les lignes correspondent au naturalisme, au
monde victorien frigide et droit, le tout afin de marquer le contraste entre la réalité
victorienne et le Underland. Même le jardin, de Lady et Lord Ascot, est ordonné et bien
rangé (comme la banlieue dřEdward Scissorhands), ses structures étant toutes faites de
lignes droites, en forme de carré et de rectangle. Plusieurs obsessions burtoniennes vont de
pair avec lřesthétique expressionniste; et cřest en fuyant la demande de mariage de Hamish
que nous voyons apparaître lřune dřelles : lřarbre tordu surplombant le terrier dans lequel le
Lapin Blanc sřest précipité. Cet arbre, il revient dans la plupart des films du réalisateur. La
ressemblance entre lřarbre dřAlice et lřarbre du mort dans Sleepy Hollow150 est dřailleurs
frappante. Porte sur un autre monde, lřarbre du film lřest autant que celui de The Nightmare
Before Christmas, pour lequel Burton est producteur, directeur artistique, mais aussi
scénariste (ce sont ses personnages et son histoire). Ce type dřarbre, sans feuilles, est
partout dans Alice. Dès sa traversée de la porte du Underland, se tient un géant dénudé,
avec quelques branches seulement, le tronc tordu. Même chose pour celui qui donne la
direction de Snud et de Queast, les branches formant des mains tortueuses ressemblant à
celles du Nosferatu151 de Murnau. Tout au long du film, les arbres apparaîtront tour à tour
brûlés, sinueux, jamais entiers, mais ils semblent surtout seuls, presque tous isolés dřune
vie quelconque. La seule exception est le domaine de la Reine Blanche, Terre promise aux
arbres luxuriants, sur lequel nous reviendrons. Alors que le monde réel est prospère, que les
arbres et les arbustes y forment un monde longiligne, parallèle et structuré, le monde des
merveilles apparaît comme lřopposé total : une société en ruine où les personnages ne
demandent quřà retrouver leur monde dřantan grâce à leur héroïne, Alice152. Contrastant
avec le présent diégétique, la scène de la fête de la Reine Blanche nous montre le
Wonderland dřavant la victoire de la Reine Rouge. Underland verdoyant, personnages
heureux, constructions lumineuses, le royaume fût assombri par les flammes du
Jabberwocky.
150
Voir annexe 3, p. 199.
Voir annexe 3, p. 196.
152
Ce détail est dřailleurs très similaire au film The Matrix, qui sřinspire lui aussi des œuvres de Carroll, dont
les héros sont la solution à la décadence dřun monde.
151
120
Ces arbres magiques ne sont pas les seules récurrences sylvestres de Burton puisque les
arbustes sont aussi très présents. Dans Alice certes, mais aussi dans Edward Scissorhands
dont le personnage principal en fait de magnifiques sculptures, non seulement dans son
jardin, mais aussi aux demandes des habitants de la banlieue où toutes les maisons sont
identiques. Burton fait de même dans cette adaptation. Lorsque nous entrons dans le
Wonderland, les arbustes représentent divers animaux; même chose pour le château de la
Reine Rouge, dont les sculptures dřarbustes sont à lřeffigie de la dictatrice. Mais elles sont
beaucoup plus inquiétantes que celles dřEdward aux mains d’argent. En effet, la
représentation de la Reine Rouge, en elle-même, a de quoi inquiéter tous les habitants de
Underland, la femme étant tyrannique. De plus, comme il sřagit dřarbustes, les limites de
lřexpression artistique se situent dans les formes et non les détails. Lřeffigie nřa pas dřyeux,
ne laissant que la forme bombée du globe oculaire afin de les représenter. Concernant les
animaux sculptés à travers la forêt, ce nřest pas tant leur représentation que le décor, dans
lequel ils sont implantés, qui les rendent si ténébreux. Ils sont entourés dřarbres sinueux, de
plantes aux couleurs froides (même les roses, les jaunes et les oranges, qui sont
normalement des couleurs chaudes, semblent être froids, presque recouverts dřun filtre
bleu)153 et de vieux bâtiments en ruine, leur conférant un sentiment fort apparenté à
lřexpressionnisme. Lřétat émotionnel, la Stimmung, est donc représenté par la sinuosité des
décors ainsi que par les couleurs froides.
Toujours dans cette Stimmung, un brouillard est presque toujours présent lors des scènes
extérieures. Aussi les lumières semblent tamisées, les ciels sont gris, contribuant à une
atmosphère lourde. La luminosité et les lignes naturalistes du monde réel contrastent avec
le Underland, cet univers où tout exprime les émotions des personnages, des décors aux
costumes (nous avons dřailleurs parlé du maquillage du Chapelier Fou qui change selon
quřil est triste, heureux ou fâché). Ilse et Pierre Garnier abondent dans ce même sens en
affirmant que lřexpressionnisme « était un art de visions et de cauchemars, de mise en
scène et dřexcitation, de fantastique obtenu presque toujours par des moyens
153
Voir annexe 3, p. 197.
121
extérieurs154. » Ces moyens extérieurs sont tous ces éléments des décors et de lřimage.
Laurent Mannoni ajoute que le Weltanschauung est le second mot-clé de ce courant
signifiant : une vision du monde155. Loin de lřesthétique prônée par Disney, Burton est
plutôt anticonformiste. Et pourtant, cřest bien cette compagnie, aux images souvent
réalistes et aux personnages humanisés, qui produit et distribue cette version dřAlice au
pays des merveilles. Désorientant le spectateur disneyen traditionnel, Burton crée cet effet
en jouant avec les couleurs, les éclairages et les ombres.
Comme dans la plupart de ses films, Burton instaure une vision cauchemardesque avec tous
les éléments visuels dont il dispose, apportant, par le fait même, ses obsessions
personnelles. Dans ces obsessions figure, entre autres, le château de Disney que nous
retrouvons, ici, dédoublé et déformé. Burton explique son choix : « Je voulais que mes
châteaux ressemblent à celui de Disneyland, que jřai visité quand jřétais enfant […].
Jřattendais donc des versions un peu décalées de cet endroit156. » Versions décalées oui,
mais la version originale de Disney est en elle-même déjà gothique157. En effet, le château
est inspiré par le château de Neuschwanstein dont lřarchitecture est néogothique.
Le premier château modifié appartient à la Reine Rouge158 et le second à la Reine
Blanche159. Il ne saurait y avoir plus différent comme architecture, mais aussi comme
couleurs. Bien que tous deux représentent bien le gothique, celui de la Reine Rouge tend
beaucoup plus vers les lignes courbes et vers une atmosphère oppressante, cřest pourquoi
nous commencerons par lřanalyse de celui-ci. Le rouge, couleur violente, prend place un
peu partout dans les accessoires, allant des rideaux, aux tissus des chaises, jusquřaux
vêtements. Les « meubles » de la Reine sont des personnages accoutrés de rouge, ses
chandeliers et ses tabourets sont tenus par des singes, les cochons sont des repose-pieds. Le
154
Ilse Garnier et Pierre Garnier, L’Expressionnisme allemand : essai, Paris, A. Silvaire, 1979, p. 92.
Laurent Mannoni, « Kurtz et Eisner : deux regards sur lřexpressionnisme », dans Le Cinéma
expressionniste : de Caligari à Tim Burton, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2008, p. 36.
156
Mark Salisbury, Alice au pays des merveilles, le livre du film, op. cit., p. 143.
157
Voir annexe 3, p. 200.
158
Id.
159
Id.
155
122
Lapin Blanc fait exception : il porte une tenue aussi blanche que rouge; peut-être est-ce
parce quřil est de connivence avec la Reine Blanche, mais asservi par la Reine Rouge. Le
château est sombre et froid, dégageant la rigidité de la souveraine. Ses sujets, qui ont tous
de fausses difformités physiques, sont vêtus de noir. Comme nous lřavons déjà dit, lřune a
un faux nez, lřautre de fausses oreilles, lřun a une fausse mâchoire, etc. Ses chevaliers sont
des cartes munies dřune tête, de jambes et de bras, mais leur visage est recouvert dřune
visière dřarmure ce qui, avec leur corps entièrement rouge, les rend indifférenciables, si ce
nřest des numéros quřils portent. Le rouge prend place jusque dans lřarchitecture, les cœurs
étant affichés partout, du pont-levis aux arches, jusquřaux vitraux, en rouge et en noir.
Lignes sinueuses que représente ce motif du cœur, il tend vers le gothique en apparaissant
sous une forme déconstruite, leurs lignes étant brisées. La douve inspire particulièrement de
lřeffroi et du dégoût. Non seulement un brouillard en émane, mais elle est aussi remplie de
toutes les têtes coupées par la Reine. Car ici, contrairement à la version carrollienne et à la
version de 1951 de Disney, les têtes roulent vraiment, même celle du Roi.
Le château de la Reine Blanche, lui, dégage une atmosphère à lřopposé de celui de la Reine
Rouge. Sřapparentant au jeu dřéchecs, les chevaliers de la souveraine déchue ressemblent
aux pièces des cavaliers. Son domaine est beaucoup plus lumineux, des arbres roses,
ressemblant à des cerisiers japonais, ornent les côtés de lřentrée pavée de briques gris pâle.
Le château ressemble beaucoup plus à celui de Disney avec ses lignes droites et allongées.
Mais quelques différences sřappliquent, dont les pinacles aux bouts ronds et non pointus.
Les couleurs aussi diffèrent, le bleu étant beaucoup moins présent et le beige ayant été
remplacé par un marbre blanc pur, rendant le tout plus léger, plus féerique. Mais malgré
cette féerie, le gothique est grandement présent avec ses arcs brisés, ses colonnes travaillées
de motifs et les plafonds voûtés. Conjoint à lřesthétique gothique, le jeu dřéchecs est
présent un peu partout. Le haut des colonnes représente des fous et des tours, en passant par
les pions; le sol du château ressemble à un échiquier. Les gargouilles sont remplacées, elles
aussi, par les figurines du jeu. Le personnage de la Reine Blanche lui-même est un mélange
de vaporeux et de noirceur. Sa peau est dřune blancheur expressionniste, ses lèvres sont
recouvertes dřun rouge à lèvres noir, ses sourcils sont épais et foncés. Même les membres
123
de sa cour arborent ce même entre-deux, les costumes des femmes étant blancs, celui des
hommes allant vers les teintes de gris, leurs cheveux ressemblant aux perruques de MarieAntoinette. Les deux châteaux sont donc, malgré leur gothique, à lřopposé; tout comme les
personnages qui les habitent.
Mis à part les châteaux, lřeffet expressionniste est aussi dû aux personnages dont, nous
lřavons mentionné plus dřune fois, les costumes et les maquillages sřadaptent aux émotions
particulières. Antoine de Baecque mentionne, avec raison, que :
Les merveilles ont été remplacées par les créatures plutôt dubitatives, voire
effrayées, […] dřun sous-monde dont les couleurs changent en fonction des
sentiments de ceux qui le peuplent. Qui le hantent dřailleurs, car les êtres et les
choses, ici-bas, ressemblent aux traces fantomatiques des originaux signés Lewis
Carroll160.
Ces personnages mis en place par Burton semblent être à deux endroits à la fois, bien que
certains ressemblent réellement aux originaux. Traces « fantomatiques » des originaux de
Carroll, le Chapelier Fou a un certain automatisme, il est presque somnambule. Plongé dans
ses souvenirs, il est hanté par ses fantômes du passé. Il nřest pas le seul personnage dans ce
cas; Alice lřest aussi. Elle est hantée par la mémoire de son père, mais aussi par ce rêve du
Wonderland quřelle fait toutes les nuits. Par ailleurs, elle croit encore rêver. Pourtant, ce
monde est bien réel. Tiraillée entre ses rêves et ses responsabilités (elle doit répondre à la
demande en mariage de Hamish), cřest une Alice égarée dans ses pensées que nous voyons
à lřécran. Plusieurs personnages semblent aussi endormis. À moitié présents, ils
apparaissent dans un état dřabsence. Comme la Souris et le Lièvre de Mars lors du thé
extravagant. Le gramophone joue un morceau, alors que les protagonistes sont endormis à
la table devant leur tasse de thé. Cřest Alice qui les tire de leur sommeil, le Chapelier
bondissant sur la table, allant à la rencontre de celle quřil attendait depuis longtemps.
160
Antoine de Baecque, Tim Burton, Paris, Cahiers du Cinéma, 2010, p. 212.
124
Une des modifications réside aussi dans lřajout de prénoms, autant des personnages
humains que dans le cas des animaux161. De plus, certains changements ont été faits aux
protagonistes et antagonistes de façon un peu plus personnelle. Et puisque certains
personnages ont déjà fait lřobjet dřune analyse, nous rediscuterons peu de ceux-ci. Les
noms et prénoms donnés aux personnages ont presque tous une signification particulière.
La plupart ont un lien avec leur métier ou leur personnalité. Ainsi, le Chapelier Fou devient
Tarrant Hightopp. Bien que Hightopp renvoie à un type de chaussure qui monte au-dessus
des chevilles (dřailleurs, le personnage en porte), ce terme aurait, selon nous, un lien
beaucoup plus fort avec les chapeaux hauts de forme, que Tarrant arbore avec élégance. Et
puisque son métier est celui de chapelier, il y a fort à parier que les deux hypothèses Ŕ celle
des chapeaux et celle des chaussures Ŕ soient bonnes. La Reine Rouge devient Iracebeth of
Crims. Ce nřest pas sans rappeler le nom de la reine dřAngleterre, Elizabeth, mélangé au
mot « irascible », cřest-à-dire qui sřemporte facilement, qui est irritable. « Crims » pourrait,
selon nous, avoir deux significations. La première penche vers son côté tyrannique et
pourrait bien être le diminutif de criminels. Elle serait donc lřIracebeth des criminels. La
seconde penche plutôt vers le rouge, car son personnage est basé sur celui de la Reine
Rouge et de la Reine de Cœur. « Crims » pourrait donc être un raccourci de « crimson »,
cramoisie en français, soit un rouge foncé. De plus, le Cavalier Blanc de la Reine Blanche
affronte le Cavalier Cramoisie de la Reine Rouge dans Through the Looking-Glass. Tout
comme pour le Chapelier, les deux suppositions pourraient sřappliquer.
La Reine Blanche, elle, est devenue Mirana of « Marmoreal ». « Marmoreal », marmoréen
en français : adjectif dont « le dérivé savant tardif (1840) du latin marmoreus Ŗde marbre,
dur, blanc comme du marbreŗ, de marmor (marbre). Le mot est employé dans lřusage
littéraire au sens figuré de Ŗblanc, froid, dur comme du marbreŗ162. » Ici encore, le nom
réfère à la couleur et aux caractéristiques de la Reine Blanche. Pâle, figée dans son vœu de
ne faire de mal à aucune chose vivante, elle est statufiée, immobile. Elle ne peut
161
Contrairement à Carroll qui nřajoutait quřune lettre majuscule afin de différencier lřanimal du personnage
dans le texte, par exemple le Lapin Blanc.
162
Academic, Le Robert historique de la langue française, dans Dictionnaires et Encyclopédies sur
« Academic », [en ligne]. http://historique.fracademic.com/12312/marmor%C3%A9en [texte consulté le 5
septembre 2013].
125
entreprendre de croisade pour reprendre son royaume par elle-même. Il revient à ses fidèles
sujets et à Alice de se battre à sa place. Carroll avait fait, de ces deux pièces dřéchecs, des
« êtres humains ». Il était donc beaucoup plus aisé de sřy identifier quřaux animaux, bien
quřil leur ait attribué certains adjectifs. Par exemple, le Lapin, auquel Blanc a été ajouté.
Lřajout des noms et prénoms, de la part de Burton, personnalise donc les animaux et les
objets. Par exemple Ilosovic Stayne/Valet de Cœur, qui non seulement prend forme
humaine (et non celle dřune carte), mais qui, de plus, est un personnage beaucoup plus
présent que dans le conte. Il se transforme en bourreau plutôt quřen voleur de tartes. Se
disant amoureux de la Reine Rouge, il est surtout amoureux du pouvoir et de la grandeur.
Cřest dřailleurs pour cela que, lorsquřil voit Alice/Um, il détourne son attention vers elle.
Même chose lorsque la Reine Blanche remporte la victoire : Stayne demande pitié à
Mirana. Il tente même de tuer sa souveraine déchue. Le spectateur se sent plus interpellé
par la personnalité quřajoute le nom à un animal ou à un objet. Un lapin, même qualifié de
blanc, reste un lapin. Mais ici, tout a un prénom, et donc, une certaine personnalité.
Concernant le Lapin Blanc arborant la veste, il répond au nom de Nivens McTwisp. Son
nom nřa pas vraiment de signification particulière, mais sa présence est beaucoup plus
effacée. En effet, il est très présent dans le conte, mais lřadaptation de Burton se concentre
beaucoup plus sur les aventures dřAlice que sur les personnages quřelle croise. Ici, le Lapin
est beaucoup moins présent. Peut-être le changement de quête de notre héroïne y est-il pour
quelque chose? Dans lřœuvre originale, Alice voulait rejoindre le jardin et devenir reine.
Dans le film de Burton, il sřagit de sauver le Wonderland/Underland.
Quelques autres animaux font partie du conte autant que du film, dont la Souris qui répond,
ici, au nom de Mallymkun. Tout comme le Lapin Blanc, son nom nřa pas de signification;
elle est pourtant très différente du personnage que Carroll avait mis en place. Alors que
dans le texte original, elle était un être lettré, celle de Burton est extrêmement volontaire,
une petite soldate maniant lřépée dřune main de maître, une bête active et obstinée, vive. La
Chenille Bleue, elle, nřa à peu près pas changé, cřest-à-dire que ses fondements et ses
caractéristiques sont restés très similaires. Le personnage est toujours le plus sage de tous,
même son nom lřindique. Alors quřAlice demande qui est Absolem, les Tweedles
126
sřempressent de lui répondre : « heřs wise, heřs absolute, heřs Absolem! » Son rôle de
conseiller ne sřarrête pas à cette scène de lřOraculum, qui indique le passé, le présent et le
futur du monde du Wonderland. Cřest aussi auprès de lui quřAlice découvre, à la toute fin,
quřelle est bel et bien lřAlice qui a visité le Wonderland treize ans auparavant, quřelle doit
sauver leur monde. Il lui révèle que le rêve quřelle fait à répétition est un souvenir devenu
rêve. Et tout comme dans la version de Disney de 1951, la Chenille devient papillon, signe
de métamorphose, de maturation, métaphore du passage de lřadolescence à la vie adulte.
Le Cheshire Cat a pour nom le simple diminutif de Cheshire, soit Chessur. Le Cheshire est
un comté du nord-ouest de lřAngleterre où Carroll est, par ailleurs, né. Chat souriant avec
ou sans corps, avec ou sans tête, son sourire remplace même la lune lorsquřil va reconduire
Alice chez le Chapelier et le Lièvre de Mars (nommé ici Thackery Earwicket). Tout comme
le personnage carrollien, son but est peu changé : il ne sřimplique pas en politique. En effet,
le Cheshire Cat disparaît allègrement à chaque occasion délicate, et ce, autant dans le film
que dans le livre. Il sřévapore lorsque Ilosovic Stayne arrive chez le Lièvre de Mars ainsi
que sur lřéchiquier avant que la bataille ne commence. Ce nřest pas sans rappeler sa
présence sur le terrain de croquet de la Reine (dans le conte), alors que cette dernière, le
Roi et le bourreau ne sřentendent pas sur ce qui doit être fait afin de le décapiter. Il
disparaîtra sans laisser de trace, évitant par le fait même, tout conflit politique. Malgré son
manque dřimplication, il sauvera le Chapelier Fou dřune mort certaine.
Le personnage le plus changé est celui du Petit Chien qui nřétait présent quřà la fin du
chapitre Poivre et cochon. Dans ce passage, le Petit Chien Ŕ normalement inoffensif Ŕ
apparaît comme effrayant, car Alice a rapetissé ce qui transforme la bête en menace
potentielle. Du côté de Burton, le Chien se nomme Bayard. Il est beaucoup plus présent
dans le film que dans le conte. Effectivement, il participe dřailleurs à plusieurs éléments
déclencheurs et à de simples éléments qui font avancer lřhistoire. Assujetti à la Reine
Rouge, il est du côté de la rébellion et cřest ce qui rend ce personnage intéressant. Au lieu
de faire peur à lřAlice miniature, il la transporte à sa demande au château de la méchante
127
souveraine, cherchant à sauver le Chapelier. Il évolue, donc, en tant quřallié important dans
la quête de libération du Underland/Wonderland. Les deux Tweedles (Tweedledee et
Tweedledum) nřayant pas changé de nom, il nřest pas utile dřy revenir. Tous ces noms
amènent une identification beaucoup plus facile de la part du spectateur, même envers les
personnages les plus méchants. Le fait quřon ait attribué un nom aux animaux, et aux
objets, nous rend plus empathiques envers eux.
Trois autres personnages ont une présence beaucoup plus marquée, mais puisquřils ne sont
pas prénommés, ils restent à lřétat de créatures, de monstres. Obsession de Burton, le
monstre ne doit pas, selon lui, disparaître des contes. Pour lui, il est emblématique dřune
réalité quřon ne doit pas enlever aux enfants, comme la violence ou la noirceur :
Ce sont des expériences décisives dans une vie. Si on empêche les enfants de voir la
moindre image négative, à quoi les prépare-t-on dans la vie? Surtout si on les
empêche de voir des choses négatives dans des œuvres dřimagination! Après tout, ce
genre de choses existait bien avant le cinéma et la télévision, dans tous les contes de
fées et jusque sur les fresques des cavernes préhistoriques. Jřai toujours été
convaincu que tout cela prépare les enfants à affronter lřexistence dřune manière
plus douce163.
Les films de Burton, incluant Alice au pays des merveilles, partent de lřopposition du bien
et du mal, mais surtout de la réalité versus la fantaisie. Ces monstres que sont le
Jabberwocky, le Bandersnatch et le Jubjub sont le type de personnage que le réalisateur met
régulièrement en scène. Et sřil les met en scène, cřest quřils méritent autant notre attention
que tous ces gens, ordinaires ou extraordinaires, à qui nous nous intéressons. Ils
représentent la peur et lřinconnu qui, une fois surmontés, sont des incompréhensions ou des
appréhensions infondées.
163
Nicolas Saada, 15 ans de cinéma américain 1979-1994 : rencontres avec Francis Ford Coppola, Brian De
Palma, Martin Scorsese, Clint Eastwood, Michael Cimino, John Carpenter, Joe Dante, Joel et Ethan Coen,
Tim Burton, Paris, Cahiers du Cinéma, 1995, p. 226.
128
Le premier monstre est le Jabberwocky164, celui-là même que Carroll hésitait à faire
représenter par Tenniel. Cet ajout est donc un changement drastique à la narration de
lřœuvre originale, puisquřil modifie la structure entière du film. Burton anime le monstre
alors que Carroll lřavait laissé là où il était, cřest-à-dire à lřétat de poème. Contrairement à
Carroll, Burton fait de la créature lřenjeu du Frabjous Day : jour où Alice tue le monstre et
libère le monde du Underland de lřemprise de la Reine Rouge. En effet, cette effrayante
bête appartient à la Reine Rouge qui domine, avec agressivité, le Wonderland/Underland.
Pourtant, dans lřœuvre dřorigine, la menace était presque absente, mis à part la Reine de
Cœur. La fillette nřaffrontait pas de monstre, ni même nřen voyait. Elle était pourtant
entourée de fous qui auraient bien pu se révéler être des psychopathes. Et si lřAlice
burtonienne ne veut pas tuer le Jabberwocky, cřest quřelle pense que le monde du Chapelier
Fou nřexiste pas, quřelle ne peut tuer quelque chose qui est dans son rêve. Elle a peur et ne
réalise pas que la menace est bien réelle. Peut-être peut-on associer cette peur au destin qui
lui est réservé dřépouser un homme qui ne lui convient pas? Car le monstrueux de lřépoque
victorienne nřétait-il pas le mariage, cřest-à-dire la soumission de la femme? Burton a
également choisi de conserver le poème. En effet, Johnny Depp lui rend un bel hommage à
travers son personnage de Tarrant/Chapelier. Après lřépisode du thé, il cite une partie du
poème à Alice (lorsquřelle se trouve sur son épaule), qui tente de comprendre ce qui lui
arrive et pourquoi est-elle poursuivie par Ilosovic :
Twas brillig, and the slithy toves,
Did gyre and gimble in the wabe;
All mimsy were the borogoves,
And the mome raths outgrabe.
The Jabberwock, with eyes of flame,
The jaws that bite, the claws that catch !
Beware the Jabberwock, my son !
[And] The frumious Bandersnatch.
He took his vorpal sword in hand :
The vorpal blade went snicker-snack!
He left it dead, and with its head
He went galumphing back165.
164
165
Voir annexe 3, p. 201.
Wikipédia, http://en.wikipedia.org/wiki/Jabberwocky [site consulté le 24 janvier 2013].
129
Un peu plus de la moitié du poème carrollien a été supprimé afin dřen faire une version
plus courte, expliquant pourquoi Alice est dans le Underland. Destinée à tuer le monstre,
elle refuse dřaccepter ce destin qui est le sien, destin apparaissant sans cesse sur
lřOraculum. Alors quřil rapporte les monstruosités de la Reine Rouge, le Chapelier émeut
la jeune femme qui apprend comment la souveraine Ŕ et le Jabberwocky Ŕ a brûlé le village
au cours dřune fête.
Se rapprochant beaucoup plus du conte traditionnel en montrant lřhorreur des gestes,
Burton met aussi en scène le Bandersnatch166 et lřoiseau Jubjube167. Et bien quřil nřy ait pas
de représentation de la furieuse et fumante bête, et de lřoiseau dans le conte carrollien
(« Prends garde au Jabberwocky, mon fils! À sa gueule qui mord, à ses griffes qui happent!
Gare [à] lřoiseau Jubjube, Et laisse en paix le frumieux Bandersnatch! »), ils sont présents
dans cette adaptation. Les trois bêtes appartiennent et obéissent à la Reine Rouge. Pourtant,
le Bandersnatch est différent de ses comparses. En effet, le réalisateur fait de lui un animal
incompris que seule Alice réussira à approcher. Gardien de la vorpaline épée dont il a la clé
du boîtier au cou, ses morsures et griffures sont dangereuses et sřinfectent. La jeune femme
ne veut pas pénétrer dans sa tanière; elle devra pourtant sřy résoudre puisque la seule arme
pouvant tuer le Jabberwocky sřy trouve. Elle demandera donc à Mallymkun/Souris de lui
remettre lřœil du Bandersnatch quřelle avait arraché tout au début du film. La bête, dřabord
furieuse à la réception de son œil, la laisse pourtant entrer. Notre héroïne ne trouvant pas la
clé du coffre contenant lřépée, le monstre et elle sřendorment, chacun de leur côté de la
niche. Au petit matin, la bête devenue docile lèche la blessure quřil avait infligée à la
protagoniste, après sřêtre laissé prendre la clé du cou. Stayne tentera dřarrêter Alice,
découvrant quřelle est « Um », la nouvelle favorite de la Reine. Le Bandersnatch sauvera
Alice, heureux de la gentillesse quřon lui a pour une fois accordée. Comme beaucoup des
monstres de Burton, le Bandersnatch, bien que personnage secondaire, nřest pas si différent
dřun animal sans défense. Le Jubjub Bird, lui, ne prend pas une grande place dans le film
de Burton, pas plus quřil nřen prend dans la version carrollienne. Contrairement au
166
167
Voir annexe 3, p. 202.
Voir annexe 3, id.
130
Bandersnatch, lřoiseau de proie fait ce pour quoi il est fait : chasser. Cřest lui qui rapportera
les Tweedles à la Reine, terrorisera la foule lors de lř« exécution » du Chapelier, sera
aveuglé par lřépée de Mallymkun lors de la bataille et finira écrasé par une pierre catapultée
par les cartes de la Reine Rouge. Ce sont les trois seules apparitions quřil fera, restant
à lřétat de bête sauvage.
Le jeu dřéchecs est, ici, un élément très important. Mais nous nous devons de mentionner
que cette idée nřest pas celle de Burton, mais bien celle de la scénariste Linda Woolverton.
Pourtant, en mettant en place ce motif, Woolverton entre en résonnance avec un thème
récurrent de Burton : la dualité. Ce motif vient, ici, modifier les personnages et les
péripéties du film. La structure de ce jeu faisait partie intégrante du second volet des
aventures dřAlice. Si le but de la fillette était de devenir reine au bout de ses aventures, la
quête, ici, est tout autre. Nous reparlerons un peu plus tard de ce but, mais il est certain
quřici, la trame narrative et le motif du jeu dřéchecs forment un tout presque inséparable.
Cřest pourquoi nous aborderons cette idée dřune manière plus politique, puisquřelle soustend une critique de la bourgeoisie et de lřère victorienne, mais aussi des jeux de pouvoir
entre souverains. Président de la Twentieth Century Fox et lřun des producteurs du film, Joe
Roth explique, dans le livre du long métrage dřAlice au pays des merveilles, que selon lui,
« jusquřà présent, cette histoire nřa jamais été présentée de façon intéressante. Linda
[Woolverton], elle, a eu une idée formidable, une espèce dřallégorie politique qui fait des
créatures rencontrées par Alice bien plus que des cinglés : des révolutionnaires. Ça mřa
laissé sans voix168. » Il est évident que les personnages sont scindés en deux. Ils
appartiennent, soit à la cour de la Reine Rouge/de Cœur, soit à celle de la Reine Blanche.
Comme les pièces dřun échiquier, certains personnages se rebellent contre la tyrannie
imposée par Iracebeth/Reine Rouge. Quant aux autres protagonistes/antagonistes, ils sont
soumis à ses moindres caprices, puisquřelle fait alliance avec le Jabberwocky, monstre
encore plus craint que la Reine elle-même (sinon, la révolution aurait eu lieu depuis bien
longtemps).
168
Mark Salisbury, Alice au pays des merveilles, le livre du film, op. cit., p. 22.
131
LřOraculum, ce « calendrier » qui relate le passé, le présent et qui prédit le futur, est un des
éléments stratégiques de cette partie jouée par les deux opposants. Pris par Stayne après
lřattaque du Bandersnatch, alors quřAbsolem vient de se prononcer sur Alice, lřobjet prédit
lřavenir et raconte le passé depuis les touts débuts de leur monde. Lřavenir est clair, cřest
Alice qui tuera le Jabberwocky, sauvant tous les habitants du Wonderland. Le Lapin
Blanc/McTwisp a pourtant devancé Ilosovic en retrouvant Alice en premier, et en
lřamenant jusquřau Underland. Cřest ce mouvement qui amorce officiellement la partie.
Est mise en place la recherche de notre héroïne, par lřennemi, lorsque le Valet de Cœur et
la Reine voient le parchemin. Un des personnages centraux de cette poursuite se trouve à
être le chien Bayard qui est en fait un agent double, la méchante souveraine détenant sa
famille. Bien que lřanimal ait eu lřoccasion de dénoncer la présence de la jeune femme dans
la théière du Chapelier, il nřen fera rien puisque Tarrant lui mentionnera le slogan de la
résistance : « downal wyth Bluddy begh hid! » « Bloody big head » étant la Reine Rouge,
et Tarrant, le « chef » de la mutinerie.
Bien que cette insurrection soit entamée depuis probablement longtemps déjà, cřest lors de
son exécution ratée que le Chapelier ralliera les troupes pour de bon. Il demandera à tous
les sujets asservis de la Reine de se révolter, de se tenir debout contre la sanglante
Iracebeth. Révolution, certes, mais aussi affrontement des couleurs, basé sur le jeu
dřéchecs, soit le rouge contre le blanc. Paradoxalement, dans le texte de Carroll, les deux
reines ne se détestent pas, elles aident même Alice à devenir reine malgré leur adversité
symbolique. Ici, cřest tout le contraire. Alice ne désire pas devenir reine, elle veut
simplement se réveiller de ce quřelle croit être un cauchemar. Mirana promet de ne faire de
mal à personne et veut reprendre le trône; quant à Iracebeth, elle coupe réellement les têtes,
car même celle de son mari se retrouve dans la douve entourant son château. Cette
constante dualité, et ce contraste entre les deux Reines, se retrouvent partout, même dans
les couleurs. Les costumes, les décors, tout ce qui se trouve dans les cours respectives des
deux Reines, sont soit rouges, soit blancs. Nous en avons dřailleurs déjà discuté plus haut.
Alice tente, au début, de ne pas sřimpliquer dans cette partie dřéchecs déjà entamée, dont
elle est pourtant la pièce maîtresse. Si Alice est, au départ, inactive, notre héroïne devient
132
ensuite agressive, combative, mais surtout, aventureuse. Elle rejoint la personnalité de la
fillette créée par Carroll. Cřest à travers les différentes épreuves que la jeune femme prend
de lřaplomb, assez pour refuser en bloc les demandes qui lřattendent dans le monde réel.
Notre dernier point se concentrera sur la trame narrative, fort différente du texte original.
La scénariste Linda Woolverton sřest confrontée, dřune part, au même problème que la
plupart des adaptateurs : faire du conte un film linéaire, chronologique. Dřautre part, nous
croyons quřelle a dû satisfaire une des exigences de Disney (tout comme Burton dřailleurs,
car il est évident que le film nřest pas totalement burtonien). Celle-ci parle dřailleurs des
ajustements de la trame narrative dans le livre du film :
Vous allez retrouver pas mal de personnages que vous comprenez et connaissez,
dont vous avez déjà lu les aventures, mais vous les verrez sous un tout autre jour. Il
mřa fallu créer un début, un milieu et une fin, imposer un peu mon interprétation,
amener lřintrigue à un paroxysme, y insérer des protagonistes et des antagonistes. En
faire un voyage cinématographique169.
Comme nous lřavons déjà expliqué dans nos analyses, le texte carrollien fonctionne
réellement à partir de la structure du rêve. Et quoi de plus compliqué que de faire une
adaptation linéaire et différente des précédentes en ne suivant que cette association dřimage
à image? La première difficulté de Disney, en 1951, fut de créer une narration linéaire en ne
comprenant pas vraiment le texte; peu étonnant que cela ait été un échec dès sa sortie en
salle. Švankmajer, par sa technique et sa singularité, a su mettre en valeur cette association,
nřayant pas été déstabilisé par lřabsence dřun début et dřune fin. Chaque scénariste, chaque
réalisateur se bute donc à cette particularité, Linda Woolverton incluse, en voulant se frotter
aux écrits de Dodgson. La structure narrative linéaire nřexiste presque en rien dans les
aventures dřAlice. Cřest pourquoi la scénariste de cette adaptation, voulant raconter une
histoire basée sur une structure classique, a dû modifier, modeler et ajouter des éléments
afin de pouvoir le faire.
169
Mark Salisbury, Alice au pays des merveilles, le livre du film, op. cit., p. 22.
133
Pour donner une chronologie, Woolverton a dû produire une trame narrative contenant une
quête narrative tout en déformant la notion de temps. Cette notion de temps est aussi
exploitée par Carroll lors de lřépisode dřUn thé extravagant. En effet, depuis une chicane
entre le Chapelier et le Temps, il est toujours six heures. Le Chapelier et ses invités boivent
donc, encore et toujours, du thé. La notion du temps est très différente dans la version
burtonienne, et ce sur différents plans. Cette modification transforme, par le fait même,
toute lřadaptation. Lřellipse de treize ans y est pour beaucoup. Si au départ, nous voyons la
jeune Alice consolée par son père, après son « cauchemar » (sa première visite au pays des
merveilles), nous sommes projetés dans le temps dès la seconde scène. La jeune femme en
devenir se dirige à sa fête de fiançailles (fiançailles dont elle nřest pas au courant) avec sa
mère. Faisant toujours le même rêve depuis treize ans, son retour dans le monde des
merveilles fait du rêve une réalité, là où Carroll lřavait laissé à lřétat de songe. La fixation
du temps du Underland est expliquée, encore une fois, par le Chapelier Fou. Cřest
lřabsence dřAlice qui a forcé Tarrant à tuer le Temps, en attendant le Frabjous Day, ce jour
même où la jeune femme devra tuer le Jabberwocky. Cette nouvelle temporalité est
supportée par la modification de la quête. En effet, il nřest plus question dřune petite fille
voulant accéder au jardin ou encore dřune petite fille qui veut devenir Reine, et qui, lors de
ces périples, rencontre divers personnages plus fous les uns que les autres. La jeune femme,
de retour au Wonderland, découvre un pays en guerre, le blanc contre le rouge, les
protagonistes fous, soumis à une reine tyrannique. Alice doit donc les libérer. Son arrivée
redonne vie au Temps qui sřactive alors à nouveau, reprenant sa course vers le jour
fatidique.
La chute dans le terrier est aussi porteuse de mutations, non plus du point de vue du temps,
mais du point de vue de la quête des autres personnages du Underland. Contrairement à
celle de Carroll, la chute burtonienne se fait beaucoup plus rapidement, plus violemment.
Tout comme dans celle de Švankmajer, les objets menacent lřhéroïne, le piano en
particulier. En chute libre, Alice atterrit au plafond, mais la loi de la gravité ayant aussi
court dans ce monde, elle retombe au sol avec fracas. Alors quřelle tente dřouvrir les portes,
134
nous assistons à une conversation entre McTwisp (le Lapin Blanc), Mallymkun (la Souris),
le Dodo et quelques autres.
Dodo : « Youřd think she would remember all this from the first time »
Mally : « Youřve brought the wrong Alice. »
McTwisp : « No, sheřs the right one, Iřm certain of it. »
Se croyant dans un rêve, la jeune femme explore ce qui se présente à elle, ne se souvenant
pas de sa première visite. Cřest ici quřapparaît un des éléments de la quête dřAlice :
prouver quřelle est réellement la bonne personne, et ce, par ses actions. Et si le doute plane
dans lřesprit de tous, il plane aussi dans le sien (elle ne cesse de dire que cřest son rêve,
alors quřil sřagit, en fait, dřune autre réalité). Alice, entraînée par les autres personnages, va
voir Absolem. Le personnage apparaît, comme attendu, dans un nuage de fumée, fumant le
narguilé. Comme dans le texte original, la jeune femme se fait demander qui elle est. Mais
tous savent qui elle est, du moins, qui ils croient quřelle nřest pas. Cette question sera donc
présente tout au long du film, jusquřà ce quřAlice endosse son rôle (tout comme Neo dans
The Matrix, par ailleurs) et retrouve qui elle est vraiment, quřelle retrouve sa « splendeur »,
her muchness.
Sa rencontre avec le fameux Cheshire Cat, se matérialisant devant elle dans une traînée de
vapeur, reste dans la même optique. Il lui demande qui elle est. Pour seule réponse, elle se
nomme. « THE Alice? » réplique-t-il. Le débat sur lřidentité de la jeune femme sera donc
maintenu tout au long du film, le « mouvement » étant interne pour notre héroïne, qui tente
de se trouver, et externe pour les protagonistes et antagonistes du Wonderland/Underland
qui tentent de retrouver leur liberté. Jusquřici, une des grandes différences entre Burton et
Carroll réside dans la participation de la jeune femme à ses propres décisions. Alors que
lřAlice carrollienne décidait où elle allait sans lřaide de personne, bien quřelle fût plus une
observatrice sur bien des plans quřune réelle actrice de ses aventures, celle de Burton passe
le tiers du film à se faire dire quoi faire, où aller, etc. Cřest après la capture de Tarrant
quřelle prendra sa première décision : aller sauver le Chapelier, peu importe que Bayard, le
Chien, veuille lřapporter à la Reine Blanche. Le Chien refuse de conduire Alice au château
135
de la Reine Rouge. Pour cause, le Chapelier ne se serait pas laissé capturer si Alice avait été
un imposteur. Mais la réponse de notre héroïne laisse transparaître ses premiers élans de
fougue, la rapprochant du personnage du départ : « Since Iřve been down this rabbit hole,
Iřve been told what I must do and who I must be. Iřve been shrunk, stretched, scratched and
stuffed into a teapot. Iřve been accused of being Alice and of not being Alice, but this is my
dream. Iřll decide where to go from here. I make the path! » À partir de ce moment, lřAlice
burtonienne ressemble de plus en plus à la carrollienne : la fillette prête à tout, vive,
spontanée. Nous la verrons chevaucher Bayard, sauter sur les têtes sinistres de la douve,
secourir une boule/hérisson, etc. Toujours persuadée quřelle fait un rêve, elle se lancera
dans lřaventure, avançant vers sa destinée. Mais surtout, elle retrouvera graduellement cette
« muchness » que le Chapelier lřaccuse dřavoir perdue.
Ce débat sur la bonne Alice continue de plus belle alors que Chessur amène notre héroïne
chez le Chapelier Fou et le Lièvre de Mars. Le décor est bien différent de ce qui est décrit
par Carroll. En effet, la maison du Lièvre est censée être mignonne, on la reconnaît même
de loin, ornée dřoreilles et de fourrure. À son arrivée, pourtant, elle trouve un vieux moulin
délabré, résistant dřon ne sait quelle manière, puisquřil semble avoir été incendié170.
Comme nous lřavons expliqué en parlant de lřesthétique, lřimage est grise, les arbres sont
dégarnis et les personnages… endormis. Mais alors quřils voient Alice sřapprocher dřeux,
le fébrile Lièvre la pointe, Tarrant marche sur la table pour aller la rejoindre et la Souris
(Mally) dit que le Lapin Blanc a rapporté la mauvaise Alice. Le Chapelier énonce alors ce
que nous savons depuis le début : cřest bien la bonne personne que McTwisp a fait revenir
au Wonderland. En effet, la scène du père dřAlice, Charles Kingsleigh, réconfortant sa
fillette, suivie de lřellipse de treize ans, nous indique que nous sommes bien en présence de
la jeune femme ayant déjà visité le Underland. De plus, Tarrant dit quř« il » le reconnaîtrait
nřimporte où. « Iřd know him anywhere! » Inutile de mentionner que le pronom nřest pas le
bon, Alice étant une jeune femme et non un jeune homme. Et ce nřest pas un hasard si le
Chapelier dit « Il », le poème du Jabberwocky parlant dřun garçon qui tue le monstre avec
la vorpaline épée (« Le jeune homme, ayant pris sa vorpaline épée […], Il terrasse le
170
Voir annexe 3, p. 198.
136
monstre, et, brandissant sa tête, Il sřen retourne galomphant »). Donc, même sřil paraît
étonnant que le Chapelier utilise le pronom « Il » en parlant dřAlice, le tout sřexplique par
le poème qui, lui, parle dřun jeune homme.
Lřépisode dřUn thé extravagant présente aussi dřautres différences, dont celle de la montre
gousset. Pas de beurre, pas plus que de citron (comme dans Disney), mais le Temps reprend
sa course malgré tout. Tarrant mentionne quřAlice étant revenue, il est temps de passer au
Frabjous Day. À ce même moment, les montres se remettent à fonctionner, celle du
Chapelier, mais aussi celle du Lièvre, qui la retire dřune théière. Quelques changements de
grandeur sont aussi dus au Chapelier Fou. Bien que notre héroïne carrollienne ait souvent
eu à changer de grandeur, et parfois rapidement, lřépisode du thé nřétait pourtant pas lřun
dřeux. Burton, fait arriver lřennemi de la rébellion, Ilosovic Stayne (le Valet de Cœur).
Faisant rapetisser Alice de force (il lui fait boire une bouteille), Tarrant la met dans une
théière, le tout afin quřAlice ne tombe pas aux mains de la cruelle Reine. Nous sommes
bien loin de lřécrit de Carroll! Cřest un peu plus tard que le Valet de Cœur leur dira quřils
perdront la tête sřils cachent Alice. Comme nous lřavons expliqué plus haut, la
décapitation, dans lřœuvre de Dodgson, ferait référence à la crainte de perdre la tête au sens
métaphorique du terme, cřest-à-dire de devenir fou. Sous cette menace, Tarrant, amusé,
mentionne quřils lřont déjà perdue. Exaspéré par cette réponse, Ilosovic part sur son cheval
noir dans la direction que Bayard a empruntée.
La promenade dřAlice sur le chapeau du Chapelier est un autre des éléments ajoutés, mais
qui sert de prétexte idéal afin de raconter ce qui est arrivé et de parler du Jabberwocky.
Véritable tournant, le souvenir de Tarrant permet dřexpliquer ce qui sřest produit avant et
pourquoi la Reine Rouge doit être détrônée. La Reine Blanche donne une fête, dont les
personnages et les couleurs rappellent grandement Charlie et le Chocolaterie (Tim Burton,
2005) avec ses verts saturés, ses personnages aux costumes violets, roses, blancs, etc171. La
171
Id.
137
fête bat son plein quand, soudainement, le Jabberwocky brûle tout. Les cavaliers blancs
tentent de défendre Mirana (qui perd sa couronne), la vorpaline épée tombe sous la main du
Valet de Cœur. Perdu dans ce passé lointain, Tarrant entend Bayard et les cavaliers rouges
arriver. Sortant de sa torpeur, et ne voulant pas quřAlice soit capturée, il la tire sur son
chapeau de lřautre côté de la rivière.
Le terrain de croquet de la Reine ressemble à celui de Dodgson. Pourtant, quelques
différences sont notables. En effet, la fillette y avait été invitée par la Reine de Cœur. Notre
héroïne, ici, est loin dřêtre invitée; elle est plutôt recherchée afin que le Frabjous Day nřait
pas lieu. Ne participant pas à la partie de croquet, elle assiste plutôt à une vision dřhorreur :
les flamants roses servent de maillets, les hérissons de balles, le Lapin Blanc de page.
Carroll avait fait de lřévénement quelque chose de plutôt cocasse, de drôle. Ici, Burton rend
le tout inconfortable, les silences étant révélateurs dřun réel malaise. Alice, libérant la
balle/hérisson de ses liens, McTwisp arrive. Il lui demande ce quřelle fait là puisquřelle
nřest pas la bonne Alice. Trop petite, elle demande du gâteau afin de grandir puisquřelle
veut libérer le Chapelier. Comme nous lřavons dit plus haut, la jeune femme subit
beaucoup plus de changements de grandeur que celle de Carroll. Si ici, la fillette était de la
bonne grandeur, le personnage burtonien, lui, est de taille miniature. Mangeant un bout
dřUpelkuchen (le gâteau), la jeune femme grandira tellement, quřelle sera géante, au moins
aussi grande que le Valet de Cœur. La Reine, ne la reconnaissant pas, prendra sous son aile
Alice/Um dřUmbridge, personnage improvisé par le Lapin et Alice.
Une modification du croquet de la Reine (la scène est prolongée à lřintérieur du château)
consiste en lřasservissement de ses sujets, surtout les Tweedles, marqués au fer rouge par le
cœur de la Reine. Dans cette scène, nous pouvons apercevoir que la Reine ne coupe pas
seulement les têtes, elle enlève aussi toute dignité à ses « sujets », chose que lřon ne voit
pas directement dans lřœuvre de Carroll. Appelant les Tweedles ses « Fat boys », elle
somme Tweedledee et Tweedledum voulant les montrer à Alice et lui faire voir à quel point
elle les trouve drôle. La Reine, malgré lřasservissement de ses sujets, sera trahie à plusieurs
138
reprises. La première trahison du Valet de Cœur survient au moment où il voit Alice pour la
première fois, grande, voire immense. Comme nous lřavons déjà mentionné, ce même
personnage carrollien est coupable du vol des tartes de la Reine. Et bien que nous puissions
penser quřil est différent dans cette version, le Valet de Coeur est coupable de tant de
choses que la liste est bien longue. Le troisième prisonnier apparaissant devant notre
héroïne et la Reine Rouge est le Chapelier lui-même. Ne voulant pas répondre aux
questions dřIracebeth, il prétend quřil ne sait pas où est Alice. Ce bout de la scène
ressemble étrangement à ce que Carroll décrit dans le procès du Valet : la déposition du
Chapelier ne révèle absolument rien. Non seulement ça, mais son métier est aussi mis de
lřavant.
Ôtez votre chapeau, ordonna le Roi au Chapelier.
ŕ Il nřest pas à moi, protesta lřinterpellé.
ŕ Volé! sřexclama le Roi […].
ŕ Je nřai aucun chapeau qui mřappartienne, ajouta le Chapelier
en guise dřexplication. Je les vends, je suis chapelier
de mon métier.
Chapelier, cřest en effet le métier du personnage carrollien, mais aussi du burtonien. Ayant
été au service de la Reine Blanche, Tarrant se sort de cette situation délicate en détournant
lřattention de la souveraine sur la large tête de la Reine Rouge; il voudrait bien lui faire des
chapeaux. Il nřen faut pas plus pour que la Reine change de sujet, heureuse dřune telle
proposition. Cřest lors de lřessai des chapeaux que Tarrant découvre la supercherie des
courtisans et courtisanes de la Reine : toutes leurs anormalités physiques sont, en fait,
fausses, par reprendre un de nos exemples : le faux nez dřune de ses servantes. Iracebeth est
trahie par tous ses sujets, Stayne inclus, racontant que cřest Um/Alice qui a voulu le séduire
et non le contraire. Comme nous avons déjà parlé de la situation dřAlice et du
Bandersnatch, nous sauterons un segment de lřaction pour nous concentrer sur lřarrivée de
notre héroïne chez la Reine Blanche, après quřelle ait volé la vorpaline épée et que le
Bandersnatch lřait sauvée de Stayne et de ses soldats.
139
La suite des événements est ajoutée par Burton, agissant comme lřendossement du monde
adulte, complétant ainsi le cheminement de la fillette à la femme accomplie (absent chez
lřAnglais). À Marmoreal, château de Mirana, cřest dřabord Bayard (le Chien) qui annonce à
la Reine Blanche le retour au Wonderland de la jeune femme. Heureuse de cette nouvelle,
la Reine donne repos à la brave bête qui a risqué sa vie et celle de sa famille afin que leur
vraie reine retrouve son trône. Bayard fera un dernier effort alors quřil croisera le chemin
dřAlice et du Bandersnatch, les ramenant à bon port. Au château, Mirana accueille notre
héroïne avec grâce, se faisant remettre la dernière pièce de lřarmure de son champion (qui
est supposé être Alice, rappelons-le) : la vorpaline épée. Alice reforme son identité
« perdue » à Marmoreal, elle qui devra affronter, une fois pour toutes, les épreuves qui lui
sont imposées, quřelle le veuille ou non. Retrouvant tout dřabord sa grandeur normale à
lřaide dřune mixture de la Reine Blanche, Alice change de vêtements et porte,
étonnamment, le pantalon. Serait-ce quřon veuille lui faire assumer une partie masculine se
trouvant en elle ou est-ce plutôt que lřindépendance sřacquiert par le pantalon? Car jamais
il nřest fait mention, dans le texte carrollien, de la couleur de la robe de la fillette; Alice ne
sřoppose pas non plus aux conventions sociales établies de la société victorienne.
Changement drastique, ici, puisque Burton amène la démarche de Carroll jusquřau bout,
faisant dřAlice une réelle suffragette (comme nous lřavons mentionné plus haut).
Nous nous pencherons, ici, plus amplement sur le cas dřAbsolem qui aidera notre héroïne.
Ce personnage semble connaître les réponses à toutes ses questions. Il est là, au début du
film, en tant que chenille, sur lřépaule dřHamish (le « fiancé » dřAlice). Puis dans le
Wonderland, mais aussi à la fin, sur lřépaule de la jeune femme sous forme de papillon.
Symbole de transformation et de maturation, cřest à travers la Chenille Bleue que la
question de la personnalité sera posée, tout comme dans le texte carrollien : Who are you ?
Mais cřest aussi à travers elle que la réponse sera obtenue. Comme dans lřœuvre de départ,
leur conversation commence toujours par la même chose :
BURTON:
ŕ Who are you?
-I thought weřd settled this. Iřm Alice, but not that one.
140
-How do you know ?
-You said so yourself.
-I said you were not hardly Alice, but youřre much more
her now. In fact, youřre almost Alice.
[…]
-You seem so real. Sometimes I forget that this is all a dream.
CARROLL:
ŕ Qui es-tu? […]
ŕ Je… Je… ne sais pas très bien. […]
ŕ Que veux-tu dire? […] Explique-toi!
ŕ Je crains de ne pas pouvoir mřexpliquer […]
parce que je ne suis pas moi, voyez-vous!
Pendant ce temps, le Chapelier, la famille de Bayard, le Lapin Blanc et les Tweedles
arrivent à Marmoreal. Tarrant tentera de convaincre Alice que le Wonderland est bien réel,
lui disant quřelle devrait être à moitié folle pour rêver dřun personnage aussi fou (comme
nous lřavons déjà mentionné, Depp a basé son jeu sur les intoxications au mercure des
chapeliers de lřépoque). Mais rien à faire, la jeune femme pense toujours quřelle est dans
un rêve, évitant alors toute responsabilité, refusant de devenir adulte.
Au matin du Frabjous Day, la Reine Blanche nřa toujours pas de champion et cřest
McTwisp qui demandera des volontaires pour la sinistre tâche, soit celle de tuer le
Jabberwocky. Tarrant, les Tweedles, Chessur, Mally se proposeront, mais lřOraculum (volé
par McTwisp à la Reine Rouge) est formel : si ce nřest pas Alice, le monstre ne meurt pas.
Acculée au pied du mur, comme lors de la demande en mariage dřHamish devant une foule
connaissant déjà le projet, Alice sřenfuit. Cřest auprès dřAbsolem, encore une fois, quřelle
trouvera du réconfort, Absolem qui forme son cocon afin de se transformer en papillon. Il
lui dit quřil ne peut lřaider si elle ne sait pas qui elle est. Cřest lorsquřil la traite de stupide
quřAlice réagit enfin. « Iřm not stupid ! My name is Alice. I live in London. […] My father
was Charles Kingsleigh. […] Iřm his daughter, Iřm Alice Kingsleigh. » « Alice! At last!
You were just as dim-witted the first time you were here. You called it Wonderland as I
recall. » Cřest alors quřAbsolem révèle à notre héroïne que tout ce quřelle croit être un rêve
est bel et bien réel; que ce sont des souvenirs et que le Jabberwocky peut réellement mettre
141
un terme à leur existence. Décidée, lřAlice burtonienne rejoint la carrollienne, se
remémorant ses aventures. Nous revoyons dřailleurs de courts flash-backs, dont le thé
extravagant, sa rencontre avec Chessur, etc. Comprenant que le Wonderland et les êtres
quřelle aime sont en danger, Alice apparaîtra en armure sur le Bandersnatch.
Cřest ici que nous rejoignons le poème du Jabberwocky, Burton ayant décidé de le montrer
à lřécran, de le mettre en scène. Deux luttes prennent place sur lřéchiquier : celle afin de
rendre le trône à la Reine Blanche et celle de notre héroïne qui endosse son destin de sauver
le Wonderland/Underland, mais aussi son destin de femme indépendante. Les deux armées
avancent, Alice chevauchant le Bandersnatch. McTwisp, sommant les champions respectifs
des deux reines, le Jabberwocky fait son entrée, terrorisant ses adversaires. Notre héroïne,
stupéfiée, croyant le tout impossible, avance sur lřéchiquier. Elle compte les six choses
quřelle aurait crues impossibles avant le petit déjeuner. « One, thereřs a potion that can
make you shrink. Two, […] a cake that can make you grow. Three, animals can talk. Four,
[…] cats can disappear. Five, thereřs a place called Wonderland. Six, I can slay the
Jabberwocky. » Coupant la langue du monstre, le combat sřengage férocement. Alors que
la jeune femme perd lřépée après un coup violent, le Chapelier intervient en piquant la
queue de la bête (qui ressemble à un dragon). Sur lřéchiquier, les Cartes Rouges et les
Cavaliers Blancs se fondent dans une masse impressionnante sous les ordres dřIracebeth.
Tarrant et le Valet de Cœur sřaffrontent. Et juste au moment où le Chapelier allait tuer le
Valet de Cœur, Alice triomphe du Jabberwocky. La Reine Rouge défaite, ses soldats ne
voulant plus la suivre, le Cheshire Cat transporte la couronne vers la Reine Blanche. Cette
dernière bannit la Reine Rouge ainsi que Stayne (le Valet), ce dernier tentant de commettre
la plus haute trahison : tuer la Reine Rouge.
Les derniers instants au Wonderland sont drôles et tristes à la fois, contrairement au retour
à la maison de la fillette créée par Carroll. En effet, elle sřéveillait brusquement, les cartes
tentant dřobéir aux ordres de la Reine de Cœur : lui couper la tête. Sřéveillant en sursaut,
Alice se précipitait vers sa sœur afin de lui raconter cet étrange rêve quřelle venait tout juste
142
de faire. Burton, lui, conçoit des au revoir un peu plus tendres. Après que le Chapelier ait
dansé le Futterwacken, la Reine Blanche récupère le sang du Jabberwocky quřAlice devra
boire si elle veut retourner dans son monde. Lui demandant de rester, Tarrant est confronté
au départ de la jeune femme qui doit répondre à bien des questions. Sortant finalement du
terrier du Lapin, Alice se dirige vers le pavillon où elle affrontera ses proches, refusant la
demande en mariage, réfutant les idées préconçues quřelle doive se marier avant dřêtre
vieille fille. Cřest auprès de Lord Ascot quřelle deviendra apprentie, concrétisant le rêve de
son père et le sien dřaller jusquřen Chine. Si Carroll avait laissé toutes les aventures de son
héroïne à lřétat de rêve, Burton, lui, en fait pourtant une réalité : même à la sortie du terrier,
la jeune femme arbore les griffures du Bandersnatch. Alors quřelle se tient à la proue du
bateau, un papillon bleu se pose sur son épaule. Symbole de la transformation, Alice est
devenue une femme à part entière, et elle porte la cravate, symbole masculin par
excellence. Tout comme Absolem, elle effectue une métamorphose de lřenfance au monde
adulte, mais aussi la mutation vers une vie indépendante, libérée de toute attache.
Les idées de conte rejetées par le cinéaste
Comme dans le cas de Švankmajer, il serait difficile de dire tout ce qui a été enlevé. Le type
dřadaptation dř« après » garde quelques éléments, mais en retranche souvent beaucoup.
Cřest pourquoi nous regrouperons les divers points de cette section dřanalyse par grands
thèmes et catégories puisquřils conjuguent plusieurs disparitions. Trop nombreuses pour les
énumérer, plusieurs resteront probablement sans mention. Tel lřadaptateur, nous ferons une
sélection, tout en tentant de mentionner les plus importantes dřentre elles.
Comme nous avons pu le noter dans les autres adaptations choisies, lřintellectualisme et le
nonsense (sauf dans le cas de Švankmajer) ont, ici aussi, disparu. Dans une moins forte
proportion que dans la version de Disney qui avait remplacé le tout par des chansons,
éliminant tout personnage ayant pu sřapprocher, de près ou de loin, dřune notion littéraire.
Dans une moins forte mesure, aussi, que dans le film de Švankmajer qui avait échangé le
143
tout pour une violence et un silence pesant, renforcés par sa technique du stop-motion. Le
tout créait lřanalogie de tous ces Tchèques muselés par le parti communiste (le tout gardant
tout de même beaucoup de nonsense). Bien que cet intellectualisme, ce livresque, ait été
somme toute effacé dans la version de Burton, il est remplacé par lřaction. Par exemple, la
Souris a été gardée. Mais elle ne raconte plus ses histoires comme dans le chapitre trois
Une course au Caucus et une longue histoire. Elle est dans lřaction pure et simple : elle
arrache lřœil du Bandersnatch et tente de sauver le Chapelier Fou de lřemprise de la Reine
Rouge. Elle nřémet plus ses longues phrases afin de sécher tous les personnages ayant
trempé dans les larmes de la fillette; elle est volontaire, une épée à la patte.
Le changement narratif et le changement de temporalité, au profit dřune linéarité, y sont
pour beaucoup dans cette absence de livresque, mais aussi de la structure onirique : le
nonsense. Rappelons-nous que le texte carrollien était rempli de nonsense et que le
cheminement narratif se faisait à lřaide de symboles, par exemple les larmes dřAlice qui se
transforment en mer, etc. Ces liens oniriques nřont plus lieu dans lřœuvre de Burton. Ces
disparitions, bien que cela soit dommage, sont remplacées par une histoire politique qui se
moule bien à lřœuvre originale qui créait une satire de la bourgeoisie victorienne172, le tout
supporté par une vision burtonienne. Ainsi, le Gros Coco nřest pas inclus dans le présent
film, lui qui expliquait pourtant les mots compliqués de la première strophe du
Jabberwocky. Mais est-ce réellement un hasard que le Coco ne soit pas présent dans le film
alors que le poème y est? Comme nous lřavons expliqué dans la précédente section, bien
que le poème du Jabberwocky soit présent dans lřadaptation, il lřest dans une moindre
mesure. Cřest-à-dire quřil a été restructuré afin de former un poème moins compliqué,
moins nonsensique, dans le but de former une histoire ayant un début, un milieu et une fin,
et surtout, avec des mots compréhensibles. En effet, le poème est caractérisé par des motsvalises, rendant le tout doublement complexe. Véritable casse-tête, Woolverton lřa modifié,
172
Dřailleurs, il y a fort à parier que Carroll, bien quřil ait ouvert une nouvelle voie à lřépoque, nřaurait pas
aimé cette version particulièrement féministe de Burton. Car bien quřil ait mis en scène un personnage
féminin-enfant et quřil effectuait une satire, Carroll était foncièrement conservateur. Il se permettait donc une
critique de lřère victorienne, mais à lřintérieur dřun cadre imaginaire, virtuel. De plus, le personnage principal
étant enfant, Carroll avait plus de liberté sans avoir à se soucier dřéventuels reproches.
144
le rendant plus léger. Mais cette modification justifie, aussi, toutes les modifications
narratives et chronologiques.
Une autre des disparitions est celle du Roi de Cœur. Elle cause beaucoup de changements
sur le plan de lřhistoire, mais surtout au personnage de la Reine Rouge/de Cœur. En effet,
ce personnage masculin particulier apportait à la souveraine une certaine tempérance lors
de ses élans de rage, la convainquant presque à chaque fois de tenir procès avant de donner
une sentence. La première rencontre entre Alice et la Reine de Cœur, dans Alice au pays
des merveilles, est assez représentative de lřinfluence du Roi sur sa femme. Alors quřelle
sřaffairait à peindre les roses blanches en rouge avec trois Cartes, la fillette voit les
membres de la cour entière arriver près dřelle. Devant la colère de la souveraine, la jeune
fille se fait interroger sur lřidentité des responsables. Mais la fillette ne les connaît pas :
« Comment voulez-vous que je le sache? […] Ce nřest pas mon affaire à moi. » La
souveraine, furieuse (pour un oui ou pour un non), crie alors : « Quřon lui coupe la tête! »
« Le Roi lui mit la main sur le bras en murmurant timidement : ŖRéfléchissez un peu, ma
chère amie : ce nřest quřune enfantŗ. » Nous pouvons donc voir que bien que son influence
soit petite, lřépoux vient modérer les ardeurs de sa reine. Dans la version de Burton,
Iracebeth a déjà coupé la tête de celui-ci. Encouragée par le Valet de Cœur, elle laisse libre
cours à toutes ses pulsions sanguinaires. Burton a fait du Wonderland un pays ravagé. Le
conte de Carroll donnait pourtant un aspect bien différent de celui-ci. Pays assez joyeux et
habité par les fous chez Carroll où les excentricités se multiplient et les menaces de la
Reine restent toujours à lřétat de parole.
Conjointement à la disparition du Roi, la fonction du Valet a bien changé. Lui qui subissait
un procès, pour avoir volé les tartes faites par la Reine, est devenu le bras droit et
lřamoureux de celle-ci. Ce nřest plus le Valet qui est coupable de ce vol, mais bien un des
serviteurs, un Valet-Grenouille. Ilosovic trahira pourtant lřaffection de sa Reine en faisant,
premièrement, des avances à Alice; puis, finalement, il tentera de tuer Iracebeth; il ne veut
pas passer sa vie avec elle, et seulement elle, coupé du monde entier. Il demande même à
145
être tué afin de lui éviter cette sentence. Il est donc beaucoup plus présent que dans lřœuvre
de Dodgson. Malgré tous ces changements, il est coupable.
Quelques personnages ont presque complètement disparu, cřest pourquoi ils trouvent leur
place ici et non dans les « rencontres », ou dans les éléments modifiés. Dans le film de
Burton, nous pouvons apercevoir quelques doubles de la réalité dřAlice, mais
décontextualisés de lřœuvre carrollienne. Concernant le personnage de la Reine de Cœur,
présent dans le conte de Carroll, il nous est possible de faire un lien direct avec la « future
belle-mère » de lřAlice burtonienne. Au tout début du film, alors que la génitrice dřHamish
ordonne à la jeune femme de faire une promenade avec elle, elles arrivent devant plusieurs
bancs de roses. Mais voilà, ils ne sont pas rouges, mais bien blancs, comme dans lřœuvre
originale. Lady Ascot sřemporte alors : « Imbéciles! Les jardiniers ont planté des roses
blanches alors que jřavais demandé des roses rouges. » Alice, dans toute sa candeur,
répondra quřil serait possible de les peindre en rouge. Elle passe pour une écervelée, mais
cřest pourtant dans lřun des épisodes dřAlice au pays des merveilles, lors du chapitre Le
terrain de croquet de la Reine, que les cartes peignent les roses en rouge. Il est facile de
remarquer que ce court moment dřintransigeance de Lady Ascot fait référence à la Reine
elle-même. Elle semble imposer la même intransigeance, ne tolérant pas les retards, elle
veut dire à Alice ce quřelle doit faire. Dans un souci de contraste, le physique de Lady
Ascot est très opposé à celui de la Reine burtonienne (celle de Carroll nřayant pas de réelle
description, seulement un croquis de Tenniel); elle est habillée en blanc et a les cheveux
blonds alors que la souveraine est habillée en noir et rouge avec les cheveux de cette même
couleur.
Un autre des personnages est Lowell, le mari de la sœur dřAlice : Margaret. Il ressemble,
étrangement, à Ilosovic Stayne, pas physiquement, mais dans lřattitude. Cřest par la
trahison envers Margaret que cette ressemblance se produit. En effet, notre héroïne
surprend Lowell alors quřil embrasse une autre femme. Il prétexte que cřest une amie de
longue date. Ce nřest pas sans rappeler les avances faites à Alice par Ilosovic auxquelles
146
elle répond négativement. Fâché, il dénoncera Alice à la Reine comme étant lřinstigatrice
de cette péripétie, une des courtisanes ayant surpris le Valet. De retour au pays des
merveilles, Alice avertit Lowell : elle le surveillera de prêt afin quřil rende sa sœur
heureuse.
Les derniers personnages, et non les moindres, sont le couple des Tweedles versus les
sœurs jumelles, qui révèlent à Alice quřelle assiste à sa propre fête de fiançailles sans le
savoir. Et si elles font penser, dès le départ, aux deux Tweedles, cřest bien parce quřelles se
querellent comme les personnages le font dans De l’autre côté du miroir. De connivence,
ces derniers se querellent, encore et toujours, pour la même raison : la crécelle. Non
seulement les Tweedles ressemblent-ils aux petits bonshommes créés par Carroll, mais
ceux du réalisateur trouvent aussi écho dans ces jumelles qui se lancent des répliques
rapidement, ayant une bonne complicité. Les Tweedles parlent à un bon rythme, tirant
Alice, dřun côté et de lřautre, afin de savoir lequel dřentre eux lřamènera voir Absolem,
puis, à nouveau devant lřarbre Snud et Queast (arbre aux branches qui ressemblent aux
mains de Nosferatu). Plus tard, ils se donneront des coups de pied, alors que la Reine
Rouge leur demandera de lřamuser. Le premier Tweedle étant perturbé par la vision dřAlice
le second essayera de le faire taire en lui assénant quelques coups. Même Alice dit aux
jumelles, lors de son retour du Wonderland, quřelles leur font penser à deux jumeaux
quřelle a rencontrés dans ses rêves. En bref, tous ces personnages ont un double dans le
monde réel, mais ressemblent aussi étrangement à ceux que Carroll avait créés. Ils sont ces
restes diurnes dont Freud parlait et dont nous avons brièvement discuté dans lřanalyse de
Švankmajer.
Certaines situations ont presque complètement disparu, elles aussi, dans lřœuvre
burtonienne. Lřépisode Un thé extravagant fait partie de cette catégorie puisquřil est relayé
au rang de simple souvenir. Mais Burton a quand même gardé certains éléments. Nous
avons déjà parlé du changement de la notion de temps : alors que le Chapelier aurait tout
simplement froissé le Temps dans la version carrollienne, Tarrant lřaurait tué jusquřà ce
147
quřAlice revienne au pays des merveilles. Le Loir, qui disparaît souvent des adaptations,
subit le même sort. Il est, ici, remplacé par la Souris. Et si, normalement, le Chapelier Fou
et le Lièvre de Mars scandaient quřil nřy a pas de place à leur table, ils se sont pourtant
empressés de rejoindre la jeune femme. Comme dans la version disneyenne, lřhistoire du
Loir (des sœurs ayant grandi dans un puits) a disparu afin de laisser place à la comptine
Twinkle Twinkle, que les personnages chantent afin de distraire Ilosovic Stayne (qui
cherche Alice cachée dans la théière de Tarrant).
Twinkle, twinkle, little bat!
How I wonder what you're at!
Up above the world you fly,
Like a tea tray in the sky!173
Cette chanson, transformée par Dodgson dans les aventures dřAlice, est dřailleurs une
parodie de la célèbre comptine Twinkle Twinkle little star.
Twinkle, twinkle, little star,
How I wonder what you are.
Up above the world so high,
Like a diamond in the sky174.
Disney avait lui aussi repris cette chanson avec la Souris qui tombait, parapluie ouvert,
dans une théière. Dans la version de Burton, non seulement le Chapelier, le Lièvre et la
Souris chantent-ils pour protéger Alice, mais ils le font aussi afin de se moquer de la Reine
Rouge, la traitant de scintillante chauve-souris se promenant dans le ciel, comme un plateau
à thé. Poussant la blague trop loin, le Valet de Cœur menace de leur faire couper la tête.
Quelques clins dřœil à lřœuvre originale, et à peine perceptibles, trouvent aussi leur place.
Par exemple le chapitre Le quadrille des Homards, presque inexploité par la majorité des
173
Cette rime nřest pas sans faire penser à la célèbre chanson des Beatles Lucy in the sky with diamonds.
Wikipédia, http://en.wikipedia.org/wiki/Twinkle_Twinkle_Little_Star [site consulté le 18 septembre
2013].
174
148
films175, trouve ici une place très ténue. Lors de la fête de fiançailles, Alice et Hamish (le
futur époux dřAlice) dansent, la jeune femme lui demande alors sřil nřen a jamais assez du
quadrille. Le jeune homme répond quřau contraire, il trouve cela vivifiant. De plus, il est
impossible de passer sous silence la rousseur des cheveux de lřacteur, pouvant très bien
référer au rouge des homards. Bien entendu, il faut déjà connaître lřœuvre de départ, Le
quadrille des Homards faisant, comme nous lřavons dit, rarement partie des diverses
adaptations.
Plusieurs autres éléments font leur apparition à travers différentes scènes, il suffit dřêtre
attentif. Il nřy a quřà penser au chapitre Le jardin des Fleurs Vivantes. La brève apparition
des Fleurs se trouve au tout début du film, alors quřAlice traverse la porte du Wonderland.
Les Fleurs seront déplaisantes, puisque comme tous les autres personnages, elles remettent
en cause lřidentité dřAlice. Pourtant, elles croient la fillette carrollienne « digne quřelles
leur adressent la parole ». Étrangement, les Fleurs rappellent plutôt celles de Disney qui
injuriaient la fillette. La prenant pour une des leurs, elles sřaperçoivent quřelle est différente
et quřen un tel cas, elle ne peut être autre chose quřune mauvaise herbe. Divers Insectes du
miroir apparaissent, eux aussi, succinctement, passant de la Mouche-à-chevaux-de-bois à
dřautres créatures elles, créées par Burton (elles ressemblent à des monstres du Loch Ness
miniatures ayant des ailes). Il y a même un cochon qui rappelle le bébé qui se transforme en
cochon, à la sortie de sa maison, dans le chapitre Poivre et Cochon. Ce chapitre trouve
aussi une résonance, ténue, dans le château de la Reine Rouge où le Valet-Poisson obéit
aux moindres caprices de la souveraine, lui qui délivrait, chez la Duchesse, lřinvitation de
la Reine pour la partie de croquet. Tous ces petits éléments se fondent parfaitement à la
vision particulière du réalisateur, un monde merveilleux rempli de choses étranges, un
Underland ayant subi tant de bouleversements quřil ne saurait être le même que celui
dřautrefois.
175
Non seulement cette péripétie a-t-elle été retranchée dans nos trois films, mais elle lřest aussi dans la
plupart des autres adaptations cinématographiques. Les seules adaptations qui incluent cette péripétie se
trouvent à être des téléfilms, ceux-ci ayant moins de contraintes).
149
Une des dernières réminiscences se trouve à être une autre référence au chapitre Poivre et
cochon. Cřest dans la cuisine de la Reine Blanche/Mirana que nous la retrouvons. Le
Lièvre de Mars sřaffaire à cuisiner une soupe alors quřAlice arrive avec la Reine. Il lancera
un plat à Alice alors quřelle entre dans la pièce, cette dernière mentionnant quřil manque un
peu de sel. Elle recevra dřailleurs une salière par la tête, lřévitant de justesse. Comme nous
lřavons vu dans lřanalyse de Švankmajer, lřAlice carrollienne reçoit de la vaisselle par la
tête, la pièce embuée de poivre par la cuisinière de la Duchesse qui berce son bébé. Ici, pas
de poivre qui embue la pièce, seulement la folie du Lièvre de Mars qui envahit la scène. La
référence à Poivre et cochon est donc minime, mais bien là.
Notre dernière « disparition » est celle de la Reine Blanche. Car bien que nous ayons
mentionné la Reine à plusieurs endroits (la protagoniste étant présente), il est évident que le
personnage décrit par Carroll nřexiste plus ou presque plus. En effet, elle a subi beaucoup
dřaltérations. La présence de cette protagoniste était si mince, contrairement à la Reine
Rouge, quřil aurait été facile dřéliminer son rôle, nřeût été cette structure du jeu dřéchecs
nécessitant un opposant. La création originale de Dodgson est surtout présente dans le
chapitre cinq de De l’autre côté du miroir : Laine et Eau. Elle est particulièrement
maladroite, se faisant mal avec un rien; elle peine même à attacher son châle sans se piquer
avec ses épingles. Alice lřaidera même à effectuer lřingrate tâche afin quřelle ne se blesse
pas à nouveau. Alors que Mirana a fait vœu de ne blesser aucune chose vivante, la Reine de
Carroll avait des dons beaucoup plus intéressants. En effet, elle pouvait voir le futur avant
quřil nřarrive, fonction reléguée à un seul et même objet : lřOraculum. Cette modification
est un peu malheureuse, car il aurait été tout à fait intéressant de voir, dans ce nouveau
contexte, ce qui aurait pu en être fait. Cřest aussi la Reine Blanche qui disait, et non le père
dřAlice, quřil lui est arrivé de croire jusquřà six choses impossibles avant le déjeuner. En
effet, la Reine mentionne quřelle sř« exerçai[t] à cela une demi-heure par jour. » Cřest
lřénumération de six choses quřAlice croit « impossibles » qui amènera la jeune femme à se
convaincre quřelle est capable de tuer le Jabberwocky. Après avoir découvert, bien
entendu, que tout était bien réel et que ce nřétait pas un simple rêve.
150
Nous avons donc vu que, malgré le fait que nous ayons choisi de procéder par grandes
thématiques, plusieurs retranchements ont eu lieu. Bien que nous ne les ayons pas tous
mentionnés (la liste de péripéties enlevées, en raison du type dřadaptation, aurait été trop
longue), Burton est somme toute arrivé à un magnifique équilibre entre le « passé » dřAlice
et son « présent ». Il a su aller chercher les éléments-clés du conte initial et y ajouter sa
touche personnelle, et ce malgré la main solide de la compagnie Disney chapeautant le
projet. La critique et les spectateurs trouveront toujours quelque chose à redire, dřautant
plus que le film nřest pas ce dont ils se souviennent du conte (faisant plus office de
« sequel »). Mais Burton a su comprendre à merveille les idées de Carroll afin dřen faire un
film autant burtonien que carrollien.
151
152
Conclusion
Nous avons pu voir, au cours de lřanalyse, que les textes adaptés fonctionnent comme un
réservoir dřidées et dřéléments, ceux-ci pouvant servir, ou non, à lřexpérience
cinématographique. La notion dřidées de Deleuze sřapplique à toutes les formes dřidées,
quřelles soient celles dřun écrivain, dřun scientifique, dřun cinéaste ou dřun philosophe.
Comme lřexplique Deleuze, les idées sont spécifiques selon le média qui les accueille. Ces
idées peuvent être modifiées, transformant, alors, lřœuvre de départ. Le cinéaste peut aussi
ajouter des idées qui lui sont personnelles afin de teinter lřadaptation. En tant que
lecteur/adaptateur, le cinéaste retranchera certaines idées qui lřintéressent moins, ayant
toujours pour effet de modifier le texte adapté. Les adaptations dřun même texte sont donc
différentes. Dřune part selon le cinéaste et son bagage cinématographique et obsessionnel,
de lřautre, selon le type dřadaptation choisi soit stricte, libre ou dř« après ». Toujours selon
Deleuze, si les cinéastes veulent adapter une oeuvre littéraire, cřest parce quřils ont des
idées qui entrent en résonance avec les idées de roman. Si les contes de Carroll sont si
souvent adaptés, cřest parce que lřauteur a créé un conte qui sřéloigne des traditions, alliant
merveilleux, nonsense, folie et poèmes de mots-valises. De plus, Dodgson ajoute des
parodies de comptines pour enfants ainsi quřune satire de la société victorienne.
Comme nous lřavons mentionné, lorsque la critique parle de lřadaptation, elle sřattaque
surtout à la question de la fidélité à lřœuvre de départ, ne considérant que très peu les
embûches de ce processus nécessitant pourtant beaucoup de retranchements et
dřajustements. Et si la critique examine lřadaptation, cřest souvent dans la seule direction
du roman au film et non du film au roman. Ne prenant souvent en compte que la fidélité à
lřœuvre originale, la critique laisse alors de côté ce que le cinéaste a pu ajouter et retrancher
à lřadaptation (narrativement, esthétiquement et techniquement) afin de la personnaliser.
Nous avons pu observer que ces ajouts et ces retraits sont venus modifier nos balises, et
donc nos attentes par rapport à ce que nous connaissons du texte source.
153
Non seulement la lecture faite par le réalisateur-adaptateur vient apporter des changements
en laissant des traces de ses thématiques, de son expérience et de sa mémoire, mais le
médium du cinéma, réceptacle de lřadaptation, ajoute des contraintes de temps
considérables. Ces contraintes forcent lřadaptateur à mettre de côté certains éléments, reliés
autant à lřaction quřà la psychologie. Et si nous avons choisi les films de Disney, de
Švankmajer et de Burton, tous singuliers, cřest afin de démontrer que lřadaptation participe
à un processus de création-adaptation et non seulement dřune mise en image dřun texte à
lřécran. Si tel était le cas, il nřexisterait pas de versions si distinctes les unes des autres Ŕ
elles se ressembleraient toutes.
Et pourquoi vouloir adapter, encore une fois, une œuvre qui a déjà fait lřobjet dřune
transécriture? Outre le génie de Carroll, cřest parce que toutes les lectures que nous faisons
dřun livre sont différentes selon notre bagage technique, esthétique, notre âge, notre culture,
etc. Tous ces éléments teintent notre compréhension de lřœuvre et cřest pourquoi autant de
cinéastes se sont attaqués à Alice au pays des merveilles et à De l’autre côté du miroir. Ces
lectures singulières effectuées par différents cinéastes, ponctuées par des rencontres dřidées
individuelles de cinéma et de roman, justifient ce désir de créer une nouvelle version de ce
classique littéraire. Le spectateur fera lui-même lřexpérience de cette lecture particulière au
visionnement dřune adaptation, les idées de cinéma résonnant avec ses propres obsessions.
Ces « rencontres » (Deleuze) pourront être vues comme des anecdotes pour certains ou
comme de « grandes rencontres » pour dřautres; tout cela puisquřil en revient au spectateur
dřanalyser et dřinterpréter ce quřil perçoit avec son expérience individuelle. Le spectateur
ayant été lecteur du texte source sera confronté à une lecture qui se démarque de la sienne
propre. Il devra faire preuve dřouverture dřesprit afin de percevoir lřadaptation comme une
appropriation dřun autre lecteur, dont les obsessions peuvent être plus ou moins
dissemblables. Afin de sortir du couple fidélité/trahison dont les présupposés ont un fort
relent de moralisme, nous avons tenté dřarticuler la conception de Gilles Deleuze sur les
« idées de cinéma et de roman » avec des adaptations réelles, afin dřexplorer différemment
lřadaptation.
154
Nous avons répondu à notre question initiale : comment diverses versions peuvent-elles
être chaque fois différentes malgré le même texte source? Nous avons analysé les divers
choix faits par les réalisateurs considérés, de lřesthétique à la technique, en passant par
lřajout, la conservation et le retrait dřidées. Nous avons même pu voir que lřappropriation
dřune même scène, de la part des trois cinéastes, donne des résultats spécifiques. Tout cela
parce que les réalisateurs/lecteurs ont des bagages différents. Comme nous lřavons
mentionné dans notre introduction, Esther Pelletier expliquait que lřartiste adapte « le
langage de son propre inconscient sous une forme matérielle et artistique176 » et investit
lřœuvre de départ. Cet inconscient de lřadaptateur fait partie de ce bagage personnel dont
nous avons parlé.
Et puisque ce bagage est différent pour chaque lecteur, la scène intitulée Un thé
extravagant, par exemple, revêt un aspect singulier lorsquřadaptée par Disney, par
Švankmajer et par Burton. Disney y ajouta des chansons et le non-anniversaire, créant aussi
une chorale de théières avec son animisme merveilleux. Le nonsense, presque absent de
lřadaptation de Disney, ressort lors de cette scène. Švankmajer, lui, fait émerger
lřinquiétante étrangeté en transformant ses personnages en poupées, marionnettes ou
crânes. Le Chapelier, marionnette de bois tiré par des ficelles, avale du thé qui tombe dans
une cavité. Le Lièvre apparaît en fauteuil roulant, coupé de tout pouvoir sexuel. Burton, lui,
bouleverse complètement lřordre préétabli par Carroll en projetant la diégèse treize ans plus
tard. Attendant le retour dřAlice, le thé a toujours lieu, mais dans un monde ravagé. Le thé
prend lřapparence dřune réunion de rebelles et non de simples fous.
Bien dřautres exemples auraient pu être donnés, mais la scène du Thé extravagant est une
des plus représentatives de cette singularité créée par les choix et par le bagage personnel
des réalisateurs. Pensons à Disney qui, bien quřil ait voulu faire une adaptation mélangeant
images en prise de vues réelles et animation, pour ses Alice Comedies, sřest rapidement
176
Esther Pelletier, « Création et adaptation », dans Andrée Mercier (dir.), L’Adaptation dans tous ses états,
CRELIQ, Université Laval, 1999, p.148.
155
résigné à la technique quřil connaissait le mieux : le dessin animé. En ce qui a trait à
Švankmajer, lřoppression du Parti communiste tchèque est pour beaucoup dans le silence
mis en scène. Burton présente une constante dualité : celle des personnages voulant faire
partie de la société qui les rejette et leur désir de rester qui ils sont; celle encore de la
dualité des décors. Reflétés dans leur adaptation respective, ces bagages singuliers
permettront à leur œuvre de survivre à leur cinéaste. Ils ont créé des mondes distincts et
partageables par leurs obsessions, leur personnalité et leur singularité intrinsèque.
Lřadaptation de Disney se situe à mi-chemin entre celle de Švankmajer (stricte) et celle de
Burton (dř« après »). Il sřagit dřune adaptation libre, qui ajoute et modifie des éléments,
sans pour autant transformer lřentièreté de lřœuvre originale et son sens global. Bien que
plusieurs points aient été changés, pour le meilleur ou pour le pire, Disney reste somme
toute fidèle à la narration et au merveilleux du conte. Citons, parmi les éléments analysés,
la technique du dessin animé de Disney qui fût, lorsque combinée avec lřimagination du
conte de Carroll, un franc succès. En effet, lřutilisation des couleurs vives, la rondeur des
personnages et leur humanisation rejoignent plusieurs éléments du texte original plein de
fantaisie et de merveilleux. Le dessin animé permet de mettre en scène les éléments les plus
fous, imaginés par Carroll, nous facilitant lřaccès au monde merveilleux des aventures
dřAlice avec aisance et candeur. Malgré cette « rencontre », lřajout des chansons est venu
donner un aspect plus juvénile, mais aussi suppléer au manque de rythme du récit. Disney
euphémise lřoriginalité du conte pour en faire une promenade agréable et un peu étrange,
sans toutefois inquiéter qui que ce soit. Pourtant, ces contes contenaient une cruauté latente,
la Reine de Cœur menaçant sans cesse de couper les têtes.
Notons aussi, parmi les changements, la perte du livresque, une bonne partie des jeux de
mots ayant été retranchée du conte, et lřuniformisation de la chronologie narrative. Les
personnages de la Souris et du Gros Coco ont disparu, eux qui apportaient une dimension
livresque et comique à lřœuvre. Disney enlève quantité dřéléments intéressants qui auraient
contribué à une transécriture réussie sřil avait atteint un juste milieu. Disney a fait plusieurs
156
choix sans réellement comprendre lřensemble du texte selon nous (il a lui-même avoué son
manque de compréhension des aventures dřAlice), cřest pourquoi le film fut un échec dès
sa sortie au cinéma. De plus, Disney déresponsabilise la fillette en lui montrant toujours la
bonne voie à suivre dřun point de vue moral, la seule et unique par ailleurs, ne lui
permettant pas dřexpérimenter. Tous ces choix, aussi petits soient-ils, influencent notre
« lecture » du film. Malgré tout, Disney a su apporter son humour « slapstick »
caractéristique de sa compagnie. Bien quřAlice fût un échec commercial monumental, cette
adaptation de Disney est probablement lřune des plus connues à travers le monde entier. Et
si lřon voit souvent le personnage dřAlice en robe bleue, cřest que Disney la représenta
ainsi. En effet, il nřy a aucune mention, de la part de Carroll, de la couleur de la robe
dřAlice; John Tenniel lřavait même colorée en jaune : seulement ses bas et une infime
partie de son tablier étaient bleus.
Lřadaptation de Švankmajer, elle, est seulement basée sur Alice au pays des merveilles. Le
cinéaste laisse de côté De l’autre côté du miroir, contrairement à Disney et Burton. Sa
transécriture est narrativement stricte, très fidèle à la diégèse et à lřambiance de lřœuvre
adaptée. Effectivement, la structure narrative onirique, lřossature du rêve, est ici respectée.
Seulement trois ou quatre scènes ont été ajoutées ou enlevées, dont Le garde-manger qui ne
figurait pas dans le texte carrollien, de même que Le quadrille de homards qui semble
disparaître systématiquement de toutes les versions. Et bien quřil sřagisse dřune
transécriture stricte, Švankmajer a su sřapproprier Alice au pays des merveilles, entre autres
par sa technique. Le cinéma de ce réalisateur est bien particulier, reconnaissable par ses
obsessions et les corps morts quřil anime, laissant très peu de place au vivant dans le cas
dřAlice. Lorsquřil anime ces corps, Švankmajer fait ressortir un élément latent du conte de
Carroll : lřinquiétante étrangeté ressentie tout au long du texte. Et sřil peut y arriver, cřest
quřil exploite, en plus des animaux empaillés et de la poupée Alice, le stop-motion. Son
Alice est constamment violentée physiquement par toutes les créatures empaillées. Ces
corps insolites, littéralement ré-animés Ŕ réanimer, cřest remettre en mouvement, mais
aussi redonner une âme (anima en grec ancien) à un corps sans vie Ŕ par les mains du
réalisateur et par la technique, intensifient lřinquiétante étrangeté et la violence, engendrant
157
un monde hors normes. Comme nous lřavons mentionné, les textes de Carroll furent
appréciés du mouvement surréaliste puisquřils exploitent lřinconscient, le subconscient,
ainsi que le thème du rêve. La structure du film est basée sur ces idées. Le spectateur doit se
retrouver dans ce labyrinthe psychologique, représenté par lřespace de la maison, nřayant ni
début ni fin.
Nous avons aussi pu observer la disparition de la plupart des dialogues, le tout créant un
glissement de la narration, la fillette devenant énonciatrice de toutes les répliques.
Švankmajer crée une analogie communiste, particulièrement dans la scène du procès. La
petite Alice nřa pas le droit de clamer son innocence : le Roi et la Reine la déclarent
coupable dřavance. Cette scène est chargée en symbolisme et nous avons décrit brièvement
les conflits politiques qui régnaient en Tchécoslovaquie, et ce jusquřen 1989, soit lřannée
de la sortie dřAlice. Par sa domination, le Parti communiste écrasait toute voix qui aurait été
dissidente idéologiquement. Le réalisateur de cette version inusitée dřAlice fut lřun des
artistes contraints à une créativité réduite, contournant lřinterdiction de filmer en exploitant
la symbolique des films pour « enfants ». Est-ce pour contourner la censure quřil fit une
adaptation stricte, pouvant ainsi prétexter au pouvoir coercitif de la censure politique que
les éléments subversifs nřétaient pas de lui? Se voulant un film pour enfants, il éveille
pourtant nos peurs les plus intimes et primaires, celles de notre enfance que nous avons
rejetées, vivant dans un monde dřadulte où la rationalisation domine. Version la plus stricte
sur le plan narratif, et la moins connue de toutes, elle est la plus éclatée avec sa technique et
son inquiétante étrangeté, amenant la lecture des aventures dřAlice sur un terrain qui était
jusquřici rarement exploité : celui du surréalisme et du fantastique.
Notre dernière analyse portait sur la version la plus récente dřAlice au pays des merveilles,
soit lřun des films les plus lucratifs de lřhistoire, réalisée par Tim Burton. À mi-chemin
entre le film industriel et le film personnel, à mi-chemin entre Disney et Švankmajer. Il
sřinspire pourtant de ces deux extrêmes, nřétant jamais complètement mainstream ni
totalement anticonformiste. Œuvre considérée comme moins fidèle en raison du nombre
158
impressionnant de modifications, elle reste pourtant assez près de lřambiance du texte
carrollien. La modification la plus importante fut celle de la trame chronologique.
Effectuant une ellipse de treize ans, il fait de notre protagoniste une jeune femme de dixneuf ans, changeant de fait son rôle en société : elle est en âge de se marier. Mais Alice fait
preuve dřindépendance et dřémancipation, dans une société victorienne stricte qui
considère la femme comme un bien et non comme un être humain. De plus, elle est
devenue assez vieille pour ne plus croire aux contes de fées. Aussi, le texte de départ
indiquait clairement que le séjour de la fillette était un rêve : la petite fille sřendort, la
chaleur la rendant toute « molle ». Puis, à la fin, la fillette se précipite vers sa sœur afin de
raconter ce quřelle considère, elle-même, comme un rêve. Burton transforme le rêve en
réalité, et ce en deux temps. Il transforme le rêve en souvenir alors quřAbsolem (la
Chenille) révèle à Alice quřelle a déjà visité le Wonderland. Puis, lors du retour de la
protagoniste dans la « réalité », elle arbore les cicatrices du Bandersnatch, ce qui nous
confirme que ce monde des merveilles existe bel et bien.
Un autre des ajouts se trouve être une des obsessions de Burton : lřesthétique
expressionniste. Sensible à lřémotion créée par lřimage, Burton utilise tout, du maquillage
aux décors sinueux, afin de créer un contraste entre la réalité et le Wonderland/Underland.
Lřatmosphère reflète beaucoup plus la crainte que la folie amusante de Dodgson. Burton
fait aussi une métaréférence. En faisant dire aux personnages du Wonderland quřAlice nřest
pas la « vraie », Burton semble sous-entendre que son film nřest pas lřadaptation fidèle du
roman de Carroll Ŕ son film est autre. Comme si Burton prévoyait le reproche quřon ne
manquerait pas de lui faire de ne pas être fidèle à la vraie Alice, celle de Carroll. Dřune
certaine manière, comme son héroïne, il devra prouver quřil est à la hauteur de lřoriginal en
atteignant le même niveau dřinventivité (chaque spectateur étant juge du résultat). Étant
plus un « sequel » quřune réelle transécriture, ce film ne peut plaire à tous. Certains y
verront même une trahison envers Carroll. Il est évident quřaprès le visionnement du film,
le spectateur qui connaît les diverses œuvres de Burton sentira lřemprise de Disney, le film
nřétant pas totalement burtonien. Selon nous, le cinéaste a réussi, malgré la contrainte de
Disney, à ajouter son idéal enfantin, tout comme Dodgson avait créé le sien. Par ailleurs, la
159
compagnie Disney a annoncé quřAlice in Wonderland 2 sortira sur les écrans en 2016. Tim
Burton nřen sera pas le réalisateur, Disney ayant confirmé que ce serait James Bobin (The
Muppets).
Les trois réalisateurs ont fait de chaque version une œuvre unique, toujours selon ce que
Deleuze appelait des idées de cinéma qui entrent en résonnance avec des idées de roman.
Idées potentielles transformées en réalité, Disney, Švankmajer et Burton ont adapté Alice
au pays des merveilles dans leur langage respectif, le cinéma. Comme nous avons pu le
voir, ces idées ne sont pas seulement dans la narration, elles sont aussi dans la technique, du
dessin animé au stop-motion, en passant par lřimage de synthèse, etc. En construisant
percepts et dřaffects, ces artistes créent un monde partageable qui subsistera à travers le
temps en tant quřœuvre dřart.
Lřœuvre de Carroll est intemporelle et le restera puisque chaque film, chaque chanson 177 et
chaque référence à ce texte relancent lřengouement envers cette œuvre particulière. Depuis
ce jour de 1862, elle a été adaptée au théâtre, puis, dès 1903178, au cinéma. Plusieurs artistes
se sont inspirés de lřœuvre de Carroll jusquřà maintenant et si tous ces artistes ont fait
dřAlice une adaptation, cřest bien parce que les écrits de Dodgson étaient novateurs.
Sřéloignant du conte traditionnel, Carroll a construit percepts et affects; cřest pourquoi les
aventures dřAlice au pays des merveilles et De l’autre côté du miroir lui survivent depuis
déjà plus de cent cinquante ans. La rencontre entre le texte carrollien et un autre cinéaste
pourra-t-elle survenir? Cet artiste pourra-t-il relever les défis que représente Alice au pays
des merveilles? Peut-être que la prochaine étape serait de voir un auteur de télésérie179 se
177
Alice est aussi devenue une référence de choix dans divers films tels que La Matrice, Le Labyrinthe de
Pan, mais aussi dans diverses chansons telles Alice et June dřIndochine, I Am the Walrus des Beatles, Alice de
Damien Saez, une série de chansons du groupe Ödland, dont The Caterpillar et The Queen of Hearts.
178
Version de Cecil M. Hepworth et Percy Stow.
179
Certains téléfilms ont déjà été produits, notamment en 1999 par Nick Willing (qui a aussi créé une
minisérie en 2009, Alice), en 1985 par Harry Harris. La plus personnelle est celle de 1966 par Jonathan
Miller. Malheureusement, cette dernière est très peu connue puisquřelle est trop peu conventionnelle, du
moins, par rapport à lřidée que lřon peut se faire de lřunivers de Carroll. Dernièrement, ABC a lancé une
télésérie, Once Upon a Time in Wonderland, mais elle nřest pas une adaptation stricte. Cette Alice est, tout
160
réapproprier cet univers singulier dans un travail de longue haleine où chaque élément du
roman pourrait être mobilisé.
comme celle de Burton, adulte. Reste à savoir si lřauditoire télévisuel sera aussi réceptif quřil lřa été dans les
dernières années avec diverses créations singulières ayant la cote.
161
162
Annexe 1
Chansons
Pays du Merveilleux
Alice in Wonderland
Pays du merveilleux
Joli pays des oiseaux bleus
Où les enfants peuvent aller
Rien quřen fermant les yeux
Alice in Wonderland
How do you get to Wonderland
Over the hill or under land
Or just behind a tree
Lřon voit des choses étranges
Des fleurs chanter comme des anges
Et des oiseaux tenir entre eux des propos
délicieux
Couleur des cieux
When clouds go rolling by
They roll away and leave the sky
Where is the land behind the eye
People cannot see
Où se trouve
Ce paradis des rêves?
Sur quels rivages voit-on
Naître ces mirages?
Where can you see
Where do the stars go
Where is the crescent moon
They must be somewhere in the sunny
afternoon
Pays du merveilleux
Joli pays des oiseaux bleus
Où les enfants voudraient couler
Des jours heureux.
Alice in Wonderland
Where is the path to Wonderland
Over the hill or here or there
I wonder where
164
In a World of my Own
Dans le Monde de Mes Rêves
Les petits chats,
Les gentils lapins aux mines inquiètes
Auraient comme nous de claires
maisonnettes
Dans le monde de mes rêves
Les jolies fleurs
Parsemant les champs aux belles saisons
Me diraient en chœur dřaimables
chansons
Pour moi seule dans le monde de mes
rêves
Il y aurait des insectes dřor
Et des oiseaux bleus descendus
Pour moi de lřazur des cieux
Dans lřunivers de mes rêves
Il y aurait des ruisseaux très purs
Qui me diraient bonjour en un murmure
Se pourrait-il que je puisse un jour
Connaître enfin ce monde merveilleux?
Cats and rabbits
Would reside in fancy little houses
And be dressed in shoes
And hats and trousers
In a world of my own
All the flowers
Would have very
Extra-special powers
They would sit
And talk to me for hours
When I'm lonely
In a world of my own
There'd be new birds
Lots of nice and friendly
How-de-do do birds
Everyone would have
A dozen blue birds
Within that world of my own
I could listen to a babbling brook
And hear a song that I could understand
I keep wishing it could be that way
Because my world would be a
wonderland
165
I'm Late
Je Suis en Retard
En r'tard, en r'tard
Jřai rendez-vous que'que part
Je nřai pas le temps de dire au revoir
Je suis en r'tard, en r'tard
Non, non, non, non, non
Quelquřun mřattend
Vraiment cřest important
Je nřai pas le temps de dire au revoir
Je suis en r'tard, en r'tard
I'm late!
I'm late!
For a very important date!
No time to say
« hello », goodbye!
I'm late!
I'm late!!
I'm late!!!
No, no, no, no
I'm overdue!
I'm really in a stew!
No time to say "goodbye", hello!
I'm late!
I'm late!!
I'm late!!!
(Repeat 2 verses)
La Matelote du Marin
Oh! Je suis matelot, je le dis bien haut!
Je ne suis content que sur lřocéan
Et je chante, chante, chante pipe aux
dents et face au vent
Les gais refrains des chansonnettes du
gaillard dřavant
Quand on est un homme et quřon aime la
vie
Tiddle-ee-um pom pom deedle dum dum
dee...
Et lřon rame!
Oh, oh! Et autres expressions nautiques!...
Terre! Terre, par tribord!...
166
The Sailor’s Hornpipe
Oh, a sailor's life is
The life for me
How I love to sail o'er
The bounding sea
And I never, never,
Ever do a thing about the weather
For the weather never
Ever does a thing for me!
Oh, a sailor's life is the life for me
Tiddle-ee-um pom pom
Deedle dum dum dee..
La Course Saugrenue
Caucus Race
Un, deux, trois, les gars, avant, arrière,
Dessous, dessus
Pour nous réchauffer
Faisons la course saugrenue
Forward, backward, inward, outward
Come and join the chase!
Nothing could be drier
Than a jolly caucus-race.
Un pas de côté, sautez, glissez,
Courez, dansez
Quand on a fini
Il nřy a plus quřà recommencer
Backward, forward, outward, inward
Bottom to the top
Never a beginning
There can never be a stop
Cřest très rigolo, en haut, en bas, en bas,
en haut
Commencez demain
On finira hier matin
To skipping, hopping, tripping
Fancy free and gay
I started it tomorrow but will finish
yesterday
Cřest toujours très gai
Et on en a jamais assez
Et si ça nous plaît
Nous allons pouvoir le dire...
Round and round and round we go
Until for evermore
Once we were behind
But now we find we are
Cřest toujours pareil, avant, arrière,
dessous, dessus
Pour nous réchauffer
Faisons la course saugrenue
Pas cadencé
Forward, backward, inward, outward
Come and join the chase!
Nothing could be drier than a jolly
caucus-race
Votre Santé est Bonne?
How d’Ye Do and Shake Hands
How dřye
Do and
Shake hands
Shake hands,
Shake hands
How dřye do
And shake
Hands state your
Name and
Business
That's manners!
Votre santé est bonne, est bonne, est
bonne?
Votre santé est bonne?
Et puis vous serre la main
Voilà la politesse!
167
Le Morse et le Charpentier
Le morse et le charpentier
Ou, la navrante histoire des petites
huîtres trop curieuses
Le chaud soleil dřun jour dřété
Scintillait doucement
Et sur la mer aux vagues bleues
Sřébattait Monsieur Vent
Cřétait curieux, car cřest inouï...
Ça sřpassait à minuit
Le Charpentier et Monsieur Morse
Erraient dans les parages
Ils devisaient allègrement
Tout en suivant la plage
« Monsieur le Morse », dit le Charpentier
« La plage est impraticable
Que diriez-vous dřun coup de balai
Pour enlever le sable? »
Et on trouvera un coin au bord de lřeau
Pour manger, euh, un morceau
Mais la maman depuis longtemps
Avait fait la remarque
Que pour une huître, il est prudent
De rester dans son parc
« À la surface
Le monde est fou
Restez chez vous ». Pas folle.
Oui, oui, bien-sûr, bien-sûr, mais euheuh, ha-ha
Cřest le moment, mes chères amies
De sřouvrir lřappétit
La mer est calme, le vent léger
On va bientôt goûter
Si vous saviez comme je vous aime
Vous êtes à croquer
Calon Calais
Le vin est frais
On va bientôt goûter
« Sable?! Et maintenant », il faut causer
« Dřaffaires plus urgentes
Dindons farcis, poulets rôtis
Rosbif sauce piquante
Et tous les fruits de lřocéan
Au creux des eaux dormantes
Calon Calais
Le vin est prêt
Au diable les coups dřbalai! »
(Le Morse :)
Euh, euh, à présent, voyons, voyons, euh,
laissez-moi réfléchir.
Ah, une jolie miche de pain frais voilà ce
qu’il nous faut tout de suite.
Oh, oh, chères huîtres comme vous êtes
jolies
Et même appétissantes
Faisons un tour
En bons amis
À marée descendante
(Le Morse :)
Ah ben, voilà une excellente idée.
Du vinaigre, du citron.
Alors, si vous êtes prêtes, chères petites
huîtres (ha-ha)
Nous pouvons commencer à manger!
168
(Le Charpentier :)
Et un peu de poivre, du citron et du
vinaigre?
(Les Huîtres :)
À manger?!
Ah oui, cřest le moment mes chères amies
De sřouvrir lřappétit
Avec une sauce un peu poivrée
Et du bon pain beurré
Si vous saviez comme je vous aime
Vous êtes à croquer
Calon Calais
Le vin est frais
Et lřon va vous gober
(Le Morse :)
Euh, euh, je verse un pleur (hic), oh,
excusez-moi.
Oh, je sympathise.
J’aime tant votre compagnie
Ah ah mes belles vous êtes exquises
(Le Charpentier :)
Petites Huîtres? Petites Huîtres?
Mais les petites huîtres ne répondent pas
Cela nřavait rien dřétonnant car
Elles avaient été gobées.
Toutes gobées.
Sauve qui peut!
Ainsi finit lřhistoire.
Cřest tout.
169
The Walrus and the Carpenter
The walrus and the carpenter
Were walking cross the land
The beach was wide from side to side
But much to full of sand
"Mr Walrus," said the carpenter,
"My brain begins to perk
We'll sweep this clear and in a year
If you don't mind the work. »
"The time has come," the walrus said,
"To talk of other things
Of shoes and ships and ceiling wax
Of cabagges and kings
And while the see is boiling hot
And wheather pigs have wings
Kaloo Kalay no work today
Were cabbages and kings »
Oysters, come and walk with us
The day is warm and bright
A pleasent walk
A pleasent talk
Would be a shear delight
(Yes and perhaps if we get hungery on
the way
We coul stop and ah, have a bite!!)
But mother oyster winked her eye
And shook her weary head
She new too well it was much to soon
To leave her oyster bed
« The see is nice
Take my advice
And stay right here" mom said
The time has come my little friends
To talk of other things
Of shoes and ships and ceiling wax
170
Of cabbagges and kings
And while the sea is boiling hot
And wheather pigs have wings
Kaloo Kalay come run away
With the cabbagges and kings
Now ah, let me see
Ah!! A loaf of bread is what we cheerly
need
(And how about some pepper, salt and
vinagar?)
Ah yes yes of course of course
Now oysters dear, if you are ready
We shall begin the feed
(FEED!!)
Oh yes ah, the time has come my little
friends
To talk of food and things
(Of pepper corns and mustard seeds
And other seasonings
We'll mix 'em all together
In a sauce that's made for kings
Kaloo Kalay we'll eat today
Like cabbagges and kings!!)
I, I wait for you I, oh excuse me
I deeply simplisize
For I've enjoyed you company
Oh much more than you realize
« Little oysters, little oysters?? »
But answer there came none
And this was scarcly all because
They'ed been eaten
Every-one
THE TIME HAS COME!!!!
Were cabbagges
And kings!!!!
The End
L’Histoire du Père François
quřun petit pois
Qui grelotte, qui grelotte dans ma tête »
« Vous êtes vieux, Père François, vous
perdez vos dents
Vous aurez avant peu cent dix ans
Malgré vos années vous marchez sur la
tête
À votre âge croyez-vous que cřest bien
malin?
À votre âge croyez-vous que cřest bien? »
Old Father William
"You are old, Father William," the young
man said
"And your hair has become very white
And yet you incessantly stand on your
head
« Oh, quand jřétais tout gamin », répondit
lřPère François
« Jřavais un peu peur dřabîmer ma
cervelle
Mais je nřai de cervelle pas plus gros
Do you think, at your age, it is right, is
right?
Do you think, at your age, it is right? »
"Well, in me youth," Father William
replied to his son
"I'd do it again and again"
171
On Va Griller le Monstre
Oh, ho-ho
On va griller le monstre
On va le faire rôtir
Du bois très sec, un peu de paille
Ça suffira pour quřil sřen aille
On va le faire bouillir
On va le faire rôtir
Brûlons-lui les orteils
Le nez et les oreilles
Et vous verrez
Quřil comprendra
Quřici les monstres on nřen veut pas
(Lapin Blanc :)
Oh, ma pauvre petite porte...
(Dodo :)
Une alumette.
(Lapin Blanc :)
Voilà.
(Dodo :)
Merci.
Dans un torrent de flammes
On va le faire rôtir
On va le faire rôtir
(Lapin Blanc :)
Eh! Non! Euh! Oh non! Pas ma jolie
petite maison!
172
Smoke the Blighter Out
Dodo :
Oh, we'll smoke the blighter out
We'll put the beast to rout
Some kindling, just a stick or two
Ah, this bit of rubbish ought to do
White Rabbit: Oh, dear.
Dodo :
We'll smoke the blighter out!
We'll smoke the monster out!
White Rabbit : No, no! Not my beautiful
bird house!
Dodo :
Oh, we'll roast the blighter's toes
We'll toast the bounder's nose
Just fetch that gate
We'll make it clear
That monsters aren't welcome here!
White Rabbit: Oh, dear. Oh me. Oh my.
Dodo : A match?
White Rabbit : Match.
Dodo : Thank you.
Without a single doubt
We'll smoke the monster out!
White Rabbit:
We'll smoke the monster out...!
Oh no! My poor house and furniture!
Un Matin de Mai Fleuri
Par milliers, des ailes dřor dansent et
volent
Le soleil est encore endormi
Et les fleurs entrouvent leurs corolles
Un matin de mai fleuri
Le narcisse ébouriffé se délasse
La violette a moins de modestie
Le beau lis et sa voisine sřembrassent
Un matin de mai fleuri
Sur la feuille on voit ramper le millepattes aventureux
Et la blonde pâquerette rêve dřun papillon
sérieux
Nos pensées sont quelquefois très
profondes
Il est bon dřentendre nos avis
Car nous sommes la beauté du monde
En ce matin de mai fleuri
En ce matin de mai
En ce matin de mai fleuri
Nos pensées sont quelquefois très
profondes
Il est bon dřentendre nos avis
Car nous sommes la beauté du monde
En ce beau jour de mai fleuri
All in the Golden Afternoon
Golden afternoon
Little bread-and-butterflies kiss the tulips
And the sun is like a toy balloon
There are get-up-in-the-morning glories
In the golden afternoon
There are dizzy daffodils on the hillside
Strings of violets are all in tune
Tiger lilies love the dandelions
In the golden afternoon
There are dog and caterpillars and a
copper centipede
Where the lazy daisies love the very
peaceful life
They lead...
You can learn a lot of things from the
flowers
For especially in the month of June
There's a wealth of happiness and
romance
All in the golden afternoon
All in the golden afternoon, the golden
afternoon
ALICE:
You can learn a lot of things from the
flowers
For especially in the month of June
There's a wealth of happiness and
romance
All in the golden afternoon
173
A-E-I-O-U (La Chanson de la Chenille)
A-e-i-o-u
A-e-i-o-u
A-e-i-o-u
O-u-e-i-o-a
U-e-i-a
A-e-i-o-u
The Caterpillar Song
A-e-i-o-u
A-e-i-o-u
A-e-i-o-u
O-u-e-i-o-a
U-e-i-a
A-e-i-o-u
C’est l’Heure où le Long Crocodile
Cřest lřheure où le long crocodile
Languissamment sřétire et bâille
Et fait glisser les eaux du Nil
Sur lřarmure de ses écailles
Lřeau du Nil ŕ lřeau du Nil
Il ouvre gaiement sa gueule mutine
Et sort une griffe ainsi quřun gros chat
Avale trois poissons qui passaient par là
Et va digérer sur lřonde opaline
Les Rhododendroves
Fleurpageons
Les rhododendroves
Gyrait et vomblait dans les vabes
On frimait vers les pétunias
et les momerates embradent.
174
How Doth the Little Crocodile
How doth the little crocodile
Improve his shining tail,
And pour the waters of the Nile
On every golden scale!
How cheerfully he seems to grin,
How neatly spreads his claws,
And welcomes little fishes in
With gently smiling jaws!
T’was Brillig
Twas Brillig
And the slithy toves
Did gyre and gimble in the wabe,
All mimsy were the borogoves
And the mome raths outgrabe.
(Repeat verse)
Chanson du Non-Anniversaire
Et nous souhaitons à tout le monde avec
nos vœux sincères
Un joyeux non-anniversaire
Un joyeux non-anniversaire
Un joyeux non-anniversaire, mon cher
Un joyeux non-anniversaire
À moi
À qui?
À moi
À vous
Un joyeux non-anniversaire
À vous
À moi
Mais oui
À moi
Buvons du thé encore du thé
En nous souhaitant mon cher.
Un joyeux non anniversaire
À moi?
À vous!
Un joyeux non-anniversaire
À moi
À vous
Soufflez très fort sur la bougie
Et le vœu sřaccomplit, hi-hi!
Un joyeux non-anniversaire mon cher!
The unbirthday song
A very merry unbirthday
To me
To who?
To me
Oh, you
A very merry unbirthday
To you
Who, me?
Yes, you
Oh, me
Let's all congratulate us with another cup
of tea
A very merry unbirthday to you
A very merry unbirthday
To me?
To you
A very merry unbirthday
For me?
For you
Now blow the candle out, my dear
And make your wish come true
A very merry unbirthday to you
175
Je Sais Ce Que Je Dois Faire
Voyons. Réfléchissons. Quand on est
perdu j’ai entendu dire que, que le mieux
à faire c’est de rester où on est et
d’attendre qu’on vienne vous chercher.
Mais personne ne pensera à venir me
chercher ici! Oh, je suis bien punie. Ma
sœur avait raison. Si je l’avais écoutée je
ne serais pas ici. Mais malheureusement
j’ai un vilain défaut. Bien sûr je sais ce
que je dois faire...
Mais, hélas, je fais tout le contraire
Cřest pourquoi jřai tant dřennuis sur cette
terre
Je me dis « surtout sois bien sérieuse
Ne fais pas de choses dangereuses »
Mais jřai un défaut
Hélas, je suis curieuse
Voilà, jřai parcouru ma route heureuse
Sans être jamais raisonnable
Jřai oublié que les erreurs se paient
Un jour ou lřautre
Je sais très bien ce que je dois faire
Mais je fais hélas tout le contraire
Cřest pourquoi jřai tant dřennuis sur terre
176
Very Good Advice
I give myself very good advice
But I very seldom follow it
That explains the trouble that I'm always
in
Be patient, is very good advice
But the waiting makes me curious
And I'd love the change
Should something strange begin
Well I went along my merry way
And I never stopped to reason
I should have know there'd be a price to
pay
Someday...someday
I give myself very good advice
But I very seldom follow it
Will I ever learn to do the things I
should?
Will I ever learn to do the things I
should?
Peignons les Roses en Rouge
Peignons ces roses en rouge
Du plus éclatant des rouges
Il faut les peindre
Coûte que coûte
Sans en perdre une goutte
Mais que la Reine ne sache pas
Ce quřon vous dit tout bas
Mais peignons les rosiers en rouge
Oui, peignons les roses en rouge
Pas bleu
Ni turquoise
Ni couleur framboise
Peignons les rosiers en rouge
Peignons ces rosiers en rouge
Peignons ces rosiers en rouge
Oh, peignons ces roses en rouge
Et pleurons tous en cachette
Ces tendres fleurs assassinées
Ce soir seront fanées
Oh! Ah Dieu!
Quelle douleur!
Peindre ces jeunes fleurs
Peignons ces roses en rouge
Du plus éclatant des rouges
Excusez-moi
Mais pourquoi donc
Repeignez-vous ces fleurs?
Hein? Oh! Eh bien, la vérité
C’est que mes amis ont planté des rosiers
blancs par erreur
Et...
La reine les aime rouges
Et sachez entre nous
Que si elle voit un rosier blanc
On ne tranchera pas le cou
Jésus!
Alors de nos doigts tremblants
Nous peignons les rosiers blancs
La reine les aime rouges
Du plus éclatant des rouges
177
Painting the Roses Red
And...
Painting the roses red
We're painting the roses red
We dare not stop or waste a drop
So let the paint be spread
[All:] The queen
She likes them red
If she saw white instead
She'd raise a fuss
And each of us would quickly lose his
head
Since this is the thought we dread
We're painting the roses red
We're painting the roses red
Painting the roses red
And many a tear we shed
[
Three:] Because we know
[Two : ] They'll cease to grow
[Ace:] In fact, they'll soon be dead
[All:] And yet we go ahead
Painting the roses red
Painting the roses red
We're painting the roses red
[Alice :] Oh, pardon me
But mister three
Why must you paint them red?
[Thee:] (spoken) Well, the fact is, miss
We planted the white roses by mistake
178
We're painting the roses red
[Alice:] (Spoken) Oh, dear, then let me
help you
Painting the roses red
[All with Alice:] We're painting the roses
red
[All:] Don't tell the queen what you have
seen
Or say that's what we said
But we're painting the roses red
[Alice : ] Yes, painting the roses red
[Two:] Not pink
[Three:] Not green
[Alice:] Not aquamarine
[All:] We're painting the roses red
Qui Ose Peindre Mes Roses en Rouge?
Qui ose peindre mes roses en rouge?
Qui ose peindre mes roses en rouge?
Qui a souillé dřun rouge épais mes plus
jolis rosiers
Il faut quřon punisse ces traîtres
On leur coupera la tête
Oh non, Votre Majesté, pitié, c’est tout de
sa faute
Pas moi, votre Grâce, c’est l’as, c’est l’as
Toi?
Non. Le deux.
Le deux dis-tu?
Pas moi, le trois
Ça suffit! Qu’on leur coupe la tête!
Déjà le bourreau sřapprête
On va leur couper la tête
Ces jardiniers lřont mérité
Justice doit être faite
Oh, on va leur couper la tête
Silence!
Who’s Been Painting My Roses Red ?
[Speech]
Queen : Hmm...
Who's been painting my roses red?
Who's been painting my roses red?
Who dares to taint with vulgar paint
the royal flower bed?
For painting my roses red
someone will lose his head.
[Spoken]
Three: Oh no, your majesty, please, it's all
his fault!
Two: Not me, Your Grace. The Ace! The
Ace!
Queen : You?
Ace : No, Two!
Queen : The Deuce, you say?
Two: Not me, the Tres!
Queen : That's enough! Off with their
heads!
Cards: They're going to lose their heads
for painting the roses red.
It serves them right,
they planted white,
and roses should be red. Oh!
They're going to lose their heads.
[Spoken]
Queen : Silence!
179
Le Morse et le Charpentier
(Version de Lewis Carroll)
« Le soleil brillait sur la mer,
Brillait de toute sa puissance,
Pour apporter aux flots amers
Un éclat beaucoup plus intense…
Le plus curieux dans tout ceci
Cřest quřon était en plein minuit.
« La lune, de mauvaise humeur,
Sřindignait fort contre son frère
Qui, vraiment, devrait être ailleurs
Lorsque le jour a fui la terre…
" Il est, disait-elle, grossier
De venir ainsi tout gâcher. "
« Les flots étaient mouillés, mouillés,
Et sèche, sèche était la plage.
Nul nuage ne se voyait
Car il nřy avait pas de nuages.
Nul oiseau ne volait en haut
Car il nřy avait pas dřoiseau.
« Or le Morse et le Charpentier
Sřen allaient tous deux côte à côte.
Ils pleuraient à faire pitié
De voir le sable de la côte,
En disant : " Si on lřenlevait,
Quel beau spectacle ce serait! "
« " Sept bonnes ayant sept balais
Balayant pendant une année
Suffiraient-elles au déblai? "
Dit le Morse, lřâme troublée.
Le Charpentier dit : " Certes non",
Et poussa un soupir profond.
« " Ô Huîtres, venez avec nous! "
Dit le Morse dřune voix claire.
" Marchons en parlant, - lřair est doux -,
Tout le long de la grève amère.
Nous nřen voulons que quatre, afin
De pouvoir leur donner la main. "
« La plus vieille le regarda,
180
Mais elle demeura muette;
La plus vieille de lřœil cligna
Et secoua sa lourde tête…
Comme pour dire : " Mon ami,
Je ne veux pas quitter mon lit. "
« Quatre autres Huîtres, sur-le-champ,
Sřapprêtèrent pour cette fête :
Veston bien brossé, faux-col blanc,
Chaussures cirées et bien nettes…
Et ceci est fort singulier,
Car elles nřavaient pas de pieds.
« Quatre autres Huîtres, aussitôt,
Les suivaient, et puis quatre autres;
Puis dřautres vinrent par troupeaux,
À la voix de ce bon apôtre…
Toutes, courant et sautillant,
Sortirent des flots scintillants.
« Donc, le Morse et le Charpentier
Marchèrent devant le cortège
Puis sřassirent sur un rocher
Bien fait pour leur servir de siège.
Et les Huîtres, groupées en rond,
Fixèrent les deux compagnons.
« Le Morse dit : " Cřest le moment
De parler de diverses choses;
Du froid… du chaud… du mal aux
dents…
De choux-fleurs… de rois… et de roses…
Et si les flots peuvent brûler…
Et si les porcs savent voler…"
« Les Huîtres dirent : " Attendez!
Pour parler nous sommes trop lasses;
Donnez-nous le temps de souffler,
Car nous sommes toutes très grasses!
Je veux bien", dit le Charpentier.
Et Huîtres de remercier.
« Le Morse dit : " Un peu de pain
Nous sera, je crois, nécessaire;
Poivre et bon vinaigre de vin
Feraient, eux aussi, notre affaire…
Ô Huîtres, quand vous y serez,
Nous commencerons à vous manger. "
« " Vous nřallez pas nous manger, nous! "
Dirent-elles, horrifiées.
" Jamais nous nřaurions cru que vous
Pourriez avoir pareille idée! "
Le Morse dit : " La belle nuit!
Voyez comme le soleil luit!
« Merci de nous avoir suivis,
Ô mes belles Huîtres si fines! "
Le Charpentier, lui, dit ceci :
" Coupe-moi donc une tartine!
Tu dois être sourd, par ma foi…
Je te lřai déjà dit deux fois! "
« Le Morse dit : " Ah! cřest honteux
De les avoir ainsi trompées,
Et de les manger à nous deux
Au terme de leur équipée! "
Le Charpentier, lui, dit ceci :
" Passe le beurre par ici! "
« Le Morse dit : " Je suis navré;
Croyez à mes condoléances. "
Sanglotant, il mit de côté
Les plus grosses de lřassistance;
Et devant ses yeux ruisselants
Il tenait un grand mouchoir blanc.
« " Ô Huîtres, dit le Charpentier,
Le jour à lřhorizon sřannonce;
Pouvons-nous vous raccompagner? "
Mais il nřy eut pas de réponses…
Bien sot qui sřen étonnerait,
Car plus une Huître ne restait.
181
Jabberwocky
Il était grilheure; les slictueux toves
Gyraient sur lřalloinde et vriblaient :
Tout flivoreux allaient les borogoves;
Les verchons fourgus bourniflaient.
« Prends garde au Jabberwock, mon fils!
À sa gueule qui mord, à ses griffes qui happent!
Gare lřoiseau Jubjube, et laisse
En paix le frumieux Bandersnatch! »
Le jeune homme, ayant pris sa vorpaline épée,
Cherchait longtemps lřennemi manxiquais…
Puis, arrivé près de lřArbre Tépé,
Pour réfléchir un instant sřarrêtait.
Or, comme il ruminait de suffêches pensées,
Le Jabberwock, lřœil flamboyant,
Ruginiflant par le bois touffeté,
Arrivait en barigoulant!
Une, deux! Une, deux! Dřoutre en outre,
Le glaive vorpalin virevolte, flac-vlan!
Il terrasse le monstre, et, brandissant sa tête,
Il sřen retourne galomphant.
« Tu as donc tué le Jabberwock!
Dans mes bras, mon fils rayonnois!
Ô jour frabieux! Callouh! Callock! »
Le vieux glouffait de joie.
Il était grilheure : les slictueux toves
Gyraient sur lřalloinde et vriblaient :
Tout flivoreux allaient les borogoves;
Les verchons fourgus bourniflaient.
182
Jabberwocky
Twas brillig, and the slithy toves
Did gyre and gimble in the wabe;
All mimsy were the borogoves,
And the mome raths outgrabe.
« Beware the Jabberwock, my son!
The jaws that bite, the claws that catch!
Beware the Jubjub bird, and shun
The frumious Bandersnatch! »
He took his vorpal sword in hand:
Long time the manxome foe he soughtŕ
So rested he by the Tumtum tree,
And stood awhile in thought.
And as in uffish thought he stood,
The Jabberwock, with eyes of flame,
Came whiffling through the tulgey wood,
And burbled as it came!
One, two! One, two! and through and through
The vorpal blade went snicker-snack!
He left it dead, and with its head
He went galumphing back.
« And hast thou slain the Jabberwock?
Come to my arms, my beamish boy!
O frabjous day! Callooh! Callay! »
He chortled in his joy.
183
Kathryn Beaumont partage plusieurs caractéristiques avec son personnage, Alice.
Lřhumanisation des personnages de la part de Disney est monnaie courante.
Ed Wynn, lors des enregistrements en studio, afin de donner de lřinspiration aux
animateurs.
184
Le Chapelier Fou.
J. Pat OřMalley qui interprète Tweedledee, Tweedledum, le Charpentier et le Morse.
Tweedledee et Tweedledum.
185
Verna Felton, voix de la Reine de Cœur.
La Reine de Cœur.
Le couloir sinueux et ses ombres portées aux murs.
186
Pour toutes les chansons en français, sauf Les Rhododendroves :
- http://www.chansons-disney.com/21.html [Site consulté le 1er Octobre 2013].
Les Rhododendroves :
- http://fr.wikipedia.org/wiki/Jabberwocky_%28po%C3%A8me%29 [Site consulté le 1er
octobre 2013].
En anglais :
Alice in Wonderland, In a World of My Own, I’m Late, Caucus Race, Golden Afternoon,
The Unbirthday Song, Painting the Roses Red et Very Good Advice :
- http://www.disneyclips.com/movies/movie07.html [Site consulté le 1er octobre 2013].
The Sailor’s Hornpipe, How D’ye Do and Shake Hands et The Walrus and the
Carpenter :
- http://www.lyrics007.com/Alice%20in%20Wonderland%20Lyrics.html [Site consulté le
1er octobre 2013].
Old Father William, Smoke the Blighter Out, Who’s been painting my Roses Red ?,
T’was Brillig :
- http://disney.wikia.com/wiki/The_DisneyWiki [Site consulté le 1er octobre 2013].
How Doth the Little Crocodile :
- http://en.wikipedia.org/wiki/How_Doth_the_Little_Crocodile [Site consulté le 1er octobre
2013].
Poème du Jabberwocky en français :
- Lewis Carroll, Alice au pays des merveilles et De l’autre côté du miroir, Préface de Jean
Gattégno, Paris, Gallimard (coll. Folio classique), 1961 (pour la traduction française),
p. 199 et 201.
Poème du Jabberwocky en anglais :
- http://fr.wikipedia.org/wiki/Jabberwocky_%28po%C3%A8me%29 [Site consulté le 1er
Oct 2013].
187
188
Annexe 2
Alice lorsquřelle rapetisse en poupée de plastique, synonyme dřinquiétante étrangeté.
Alice lors du procès, jugée coupable sans interrogatoire.
190
La Chenille Bleue créée à partir dřobjets divers, représentative de lřanimisme.
Les chaussettes qui se déplacent dřun trou à lřautre, ajoutant de lřinquiétante étrangeté.
191
Le Lapin Blanc empaillé qui regarde lřheure sur sa montre gousset.
La Souris qui sřapprête à faire un feu sur la tête de la fillette.
Alice, en poupée, tentant de se libérer dřun crâne animé ayant des pieds.
192
Annexe 3
Jabberwocky
Twas brillig, and the slithy toves
Did gyre and gimble in the wabe;
All mimsy were the borogoves,
And the mome raths outgrabe.
« Beware the Jabberwock, my son!
The jaws that bite, the claws that
catch!
Beware the Jubjub bird, and shun
The frumious Bandersnatch! »
He took his vorpal sword in hand:
Long time the manxome foe he
soughtŕ
So rested he by the Tumtum tree,
And stood awhile in thought.
And as in uffish thought he stood,
The Jabberwock, with eyes of flame,
Came whiffling through the tulgey
wood,
And burbled as it came!
One, two! One, two! and through and
through
The vorpal blade went snicker-snack!
He left it dead, and with its head
He went galumphing back.
« And hast thou slain the
Jabberwock?
Come to my arms, my beamish boy!
O frabjous day! Callooh! Callay! »
He chortled in his joy.
194
Version de Tim Burton
Twas brillig, and the slithy toves,
Did gyre and gimble in the wabe;
All mimsy were the borogoves,
And the mome raths outgrabe.
The Jabberwock, with eyes of flame,
The jaws that bite, the claws that
catch !
Beware the Jabberwock, my son !
[And] The frumious Bandersnatch.
He took his vorpal sword in hand :
The vorpal blade went snicker-snack!
He left it dead, and with its head
He went galumphing back.
Jabberwocky
Il était grilheure; les slictueux toves
Gyraient sur lřalloinde et vriblaient :
Tout flivoreux allaient les borogoves;
Les verchons fourgus bourniflaient.
« Prends garde au Jabberwock, mon
fils!
À sa gueule qui mord, à ses griffes
qui happent!
Gare lřoiseau Jubjube, et laisse
En paix le frumieux Bandersnatch! »
Le jeune homme, ayant pris sa
vorpaline épée,
Cherchait longtemps lřennemi
manxiquais…
Puis, arrivé près de lřArbre Tépé,
Pour réfléchir un instant sřarrêtait.
Or, comme il ruminait de suffêches
pensées,
Le Jabberwock, lřœil flamboyant,
Ruginiflant par le bois touffeté,
Arrivait en barigoulant!
Une, deux! Une, deux! Dřoutre en
outre,
Le glaive vorpalin virevolte, flacvlan!
Il terrasse le monstre, et, brandissant
sa tête,
Il sřen retourne galomphant.
« Tu as donc tué le Jabberwock!
Dans mes bras, mon fils rayonnois!
Ô jour frabieux! Callouh! Callock! »
Le vieux glouffait de joie.
Il était grilheure : les slictueux toves
Gyraient sur lřalloinde et vriblaient :
Tout flivoreux allaient les borogoves;
Les verchons fourgus bourniflaient.
Version de Tim Burton
Il était grilheure, les slictueux toves
Gyraient sur lřalloinde et vriblaient
Tout flivoreux allaient les borogoves;
Les verchons fourgus bourniflaient.
Le Jabberwock, lřœil flamboyant,
sa gueule qui mord, à ses griffes qui
happent!
Prends garde au Jabberwock, mon
fils!
Et laisse en paix le frumieux
Bandersnatch!
Le jeune homme, ayant pris sa
vorpaline épée,
Le glaive vorpalin virevolte, flacvlan!
Il terrasse le monstre, et, brandissant
sa tête,
Il sřen retourne galomphant.
195
Lřarbre SNUD-QUEAST, dont les branches ressemblent aux mains du comte
Orlock/Nosferatu.
Le comte Orlock/Nosferatu dans Nosferatu de Murnau, en 1922.
196
Les arbustes du Underland/Wonderland.
Les premiers moments dřAlice dans le Wonderland. Lřimage est bleutée, froide, malgré
certaines couleurs chaudes, tels le rose et lřorange.
197
Lřépaisse brume et lřatmosphère grise sont des éléments souvent présents.
La fête donnée par la Reine Blanche, juste avant lřattaque du Jabberwocky.
198
Lřarbre de Sleepy Hollow de Tim Burton, en 1999.
À lřarrière-plan, un arbre ressemblant fortement à celui de Sleepy Hollow, récurrence du
réalisateur.
199
Château de Disney.
Château de la Reine Rouge/de Cœur/Iracebeth.
Château de la Reine Blanche/Mirana.
200
Le Jabberwocky de Tim Burton.
Le Jabberwocky de John Tenniel.
201
Le Jubjub.
Le Bandersnatch.
202
Médiagraphie
I- Filmographie
1) Filmographie principale
- Alice in Wonderland, Clyde Geronimi, Wilfred Jackson, Hamilton Luske, 1951, 75 min.
- Alice, Jan Švankmajer, 1988, 86 min.
- Alice in Wonderland, Tim Burton, 2010, 108 min.
2) Documentaire
- L’Abécédaire de Gilles Deleuze, Pierre-André Boutang et Michel Pamart, 1988, 453 min.
- Les Chimères des Švankmajer, Bertrand Schmitt et Michel Leclerc, 2001, 58 min.
3) Diverses adaptations, mini-séries et autres films qui s’inspirent d’Alice au pays des
merveilles
-Alice in Wonderland, Cecil «M. Hepworth et Percy Stow, 1903, 8 min à 10 min.
-Alice in Wonderland, W. W. Young, 1915, 52 min.
-Alice’s Wonderland (Alice Comedies), Walt Disney, Ubbe Iwwerks et Rudolph Ising,
1923, 8 min.
-Alice in Wonderland, Bud Pollard, 1931, 51 min.
-Alice in Wonderland, Norman McLeod, 1933, 73 min.
-Thru the Mirror, Walt Disney et David Hand, 1936, 9 min.
-Alice in Wonderland, Lou Bunin, 1949, 76 min.
-Alice in Wonderland (TV Movie), Jonathan Miller, 1966, 72 min.
-Alice ou la Dernière Fugue, Claude Chabrol, 1977, 93 min.
-Alice in Wonderland (TV Movie), Harry Harris, 1985, 187 min.
-Alice in Wonderland, Toshiyuki Hiruma et Takashi, 1995, 45 min.
-The Matrix, Andy et Lana Wachowski, 1999, 136 min.
-Alice in Wonderland (TV Movie), Nick Willing, 1999, 131 min.
-El laberinto del fauno, Guillermo del Toro, 2006, 118 min.
-Alice (TV Mini-Series), Nick Willing, 2009, 240 min.
-Once Upon a Time in Wonderland (TV Show), Jane Espenson, Zack Estrin, et al., 2013,
première saison qui totalise huit épisodes au moment du dépôt de cette maîtrise. Le
neuvième épisode est prévu pour mars 2014.
II- Bibliographie
1) Ouvrages généraux
- ASSAYAS, Olivier et al., Le Goût de l’Amérique : 50 ans de cinéma américain dans les
Cahiers du Cinéma, Paris, Cahiers du Cinéma, 2001, 254 p.
- BAZIN, André, Le Cinéma de la cruauté, Paris, Flammarion, 1975, 224 p.
- BAZIN, André, Qu’est-ce que le cinéma?, Paris, Éditions du Cerf, 1975, 372 p.
- BAECQUE, Antoine de, Camera Historica : The Century in Cinema, New York,
Columbia University Press, 2012, 398 p.
203
- BOILLAT, Alain, La Fiction au cinéma, Paris, LřHarmattan, 2000, 256 p.
- BORDWELL, David, Making Meaning : Inference and Rhetoric in the Interpretation of
Cinema, Cambridge, Harvard University Press, 1989, 334 p.
- BORDWELL, David, On the History of Film Style, Cambridge, Harvard University Press,
1997, 322 p.
- CARDINAL, Serge, Deleuze au cinéma, une introduction à l’empirisme supérieur de
l’images-temps, Québec, Presses de lřUniversité Laval, 2010, 232 p.
- DELEUZE, Gilles, Deux Régimes de fous, Paris, Les Éditions de minuit, 2003, 383 p.
- DELEUZE, Gilles et Claire PARNET, Dialogues, Paris, Flammarion, 1996, 187 p.
- DELEUZE, Gilles, L’Image-mouvement, Paris, Les Éditions de minuit, 1983, 298 p.
- DELEUZE, Gilles, L’Image-temps, Paris, Les Éditions de minuit, 1985, 378 p.
- DELEUZE, Gilles, Pourpalers, 1972-1990, Paris, Les Éditions de minuit, 1990, 249 p.
- DELEUZE, Gilles et Félix GUATTARI, Qu’est-ce que la philosophie?, Paris, Les
éditions des minuits, 2005, 206 p.
- GILSON, Paul, Ciné-Magic, Paris, Éditions André Bonne, 1951, 180 p.
- HÊME DE LACOTTE, Suzanne, Deleuze : philosophie et cinéma, le passage de l’imagemouvement à l’image-temps, Paris, LřHarmattan, 2001, 123 p.
- METZ, Christian, Essais sur la signification au cinéma : tome 1, Paris, Klincksieck, 2003,
219 p.
- METZ, Christian, Le Signifiant imaginaire, Paris, Christian Bourgois, 2002, 371 p.
- ODIN, Roger, De la fiction, Bruxelles, De Boeck Université, 2000, 183 p.
- PAMART, Jean-Michel, Deleuze et le cinéma, l’armature philosophique des livres sur le
cinéma, Paris, Éditions Kimé, 2012, 255 p.
- STAM, Robert, « Novel and Film : The Theory and Practice of Adaptation » dans
Leonardo Quaresima et Laura Vichi (dir.), dans La Decima musa. The Tenth Muse. Il
cinema e le altre arti. Cinema and Other Arts, Udine, Forum, 2001, p. 441-457.
-TASKER, Yvonne, Fifty Contemporary Filmakers, Londres, Routledge, 2002, 447 p.
-ZABUNYAN, Dork, Les Cinémas de Gilles Deleuze, Paris, Bayard, 2001, 185 p.
-ZABUNYAN, Dork, Gilles Deleuze : voir, parler, penser au risque du cinéma, Paris,
Presses de la Sorbonne nouvelle, 2006, 327 p.
2) Corpus
- CARROLL, Lewis, Alice au pays des merveilles et De l’autre côté du miroir, préface de
Jean Gattégno, Paris, Gallimard (coll. Folio classique), 1961 (pour la traduction française),
374 p.
- CARROLL, Lewis, La Chasse au Snark suivi de À travers le Jabberwocky, Paris,
Gallimard, 2010, 132 p.
3) Sur Lewis Carroll et/ou Alice au pays des merveilles
- GASQUET, Lawrence, Sophie MARRET et Pascale RENAUD-GROSBRAS (dir.), Lewis
Carroll et les mythologies de l’enfance, Rennes, PUR (coll. « Interférences »), 2003, 220 p.
- GATTEGNO, Jean, Lewis Carroll une vie, Paris, Seuil, 1974, 311 p.
- GATTEGNO, Jean, L’Univers de Lewis Carroll, Paris, J. Corti, 1990, 394 p.
- FORESTIER, François, « Alice for Ever », Nouvel Observateur, no 2367 (18 mars 2010),
p. 52-54.
- INGLIN-ROUTISSEAU, Marie-Hélène, Lewis Carroll dans l’imaginaire français : la
nouvelle Alice, Paris, LřHarmattan, 2006, 359 p.
204
- LAPORTE, Henri, Alice au pays des merveilles : structures logiques et représentations
du désir, Paris, Mame, 1973, 103 p.
- LIVOLSI, Florence, « Alice de lřautre côté de lřécran », thèse de doctorat, Nanterre,
Université de Paris Ouest Nanterre La Défense, 2004, 219 f.
- LIVOLSI, Florence, « Les Adaptations cinématographiques dřAlice au pays des
merveilles et de De lřautre côté du miroir et ce quřAlice y trouva : espaces filmiques et
quête dřidentité », thèse de doctorat, Paris, Presses universitaires Septentrion, 1996, nombre
de feuillets inconnus.
- MARRET, Sophie, Lewis Carroll : de l’autre côté de la logique, Rennes, Presses
universitaires de Rennes, 1995, 255 p.
- MORRISON, D., « Lewis Carroll (Charles Lutwidge Dodgson) 1832-1898 », Elsevier,
vol. 1 (1999), p. 245-251.
- SINKER, Mark, « Alice Through the Lens », Sight & Sound, Londres, British Film
Institute, vol. 20, no 4, p. 35-38.
4) Le Fantastique
- GOIMARD, Jacques, Critique du fantastique et de l’insolite, Paris, Pocket, 2003, 765 p.
- LAHAIE, Christiane, « Du fantastique littéraire au fantastique filmique : une question de
point de vue? », CiNéMAS, vol. 5, no 3 (1995), p. 45-63.
- LENNE, Gérard, Le Cinéma « fantastique » et ses mythologies, Paris, Éditions du Cerf,
1970, 232 p.
- MEYERS, Richard, The World of Fantasy Films, South Brunswick, A.S. Barnes, 1980,
195 p.
5) L’Adaptation
- BABY, François, « Du littéraire au cinématographique : une problématique de
lřadaptation », dans François Baby et al., Cinéma et récit : textes, Québec, Presses de
lřUniversité Laval, 1980, p. 11-41.
- CLERC, Jeanne-Marie, Écrivains et cinéma, Paris, Université de Metz, 1985, 347 p.
- CLERC, Jeanne-Marie et Monique CARCAUD-MACAIRE, L’Adaptation
cinématographique et littéraire, Paris, Klincksieck, 2004, 214 p.
- CLERC, Jeanne-Marie, Littérature et cinéma, Paris, Nathan, 1993, 222 p.
- ELLESTRÖM, Lars (dir.), Media Borders, Multimodality and Intermediality,
Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2010, 270 p.
- GAUDREAULT, André, Du littéraire au filmique, Québec, Nota bene, 1999, 193 p.
- GAUDREAULT, André et Thierry GROENSTEEN (dir.), La Transécriture pour une
théorie de l’adaptation, Québec, Colloque de Cerisy, Éditions Nota Bene, 1998, 277 p.
- HÉBERT, Louis et Lucie GUILLEMETTE (dir.), Intertextualité, interdiscursivité et
intermédialité, Québec, Presses de lřUniversité Laval, 2009, 513 p.
- MERCIER, Andrée, « LřAdaptation imaginaire, Récits littéraires contemporains et
langage cinématographique », dans L’adaptation dans tous ses états, Québec, Éditions
Nota bene, 1999, p. 9-20.
- PELLETIER, Esther, « Création et adaptation », dans L’adaptation dans tous ses états,
Québec, Éditions Nota bene, 1999, p. 139-154.
- RAJEWSKY, Irina O., « Intermediality, Intertextuality and Remediation : A Literary
Perspective on Intermediality », Literature and Technologies, no 6 (2005), p. 43-64.
- SERCEAU, Michel, L’Adaptation cinématographique des textes littéraires, Liège, Céfal,
205
1999, 206 p.
- STAM, Robert, Literature Through Film : Realism, Magic and the Art of Adaptation,
Malden, Blackwell, 2005, 388 p.
- TCHEUYAP, Alexie, « La Littérature à lřécran. Approches et limites théoriques »,
Protée, vol. 29, no 3 (2001), p. 87-96.
- THOMPSON, Kristin, Storytelling in Film and Television, Cambridge, Harvard
University Press, 2003, 172 p.
6) L’Animation
- BENDAZZI, Giannalberto, Le Film d’animation : du dessin animé à l’image de synthèse,
Grenoble, La pensée sauvage, 1985, 190 p.
- COTTE, Olivier, Il était une fois le dessin animé : et le cinéma d’animation, Paris,
Dreamland, 2001, 344 p.
- GÉNIN, Bernard, Cinéma d’animation : dessin animé, marionnettes, images de synthèse,
Paris, Cahiers du Cinéma, 2003, 95 p.
- JEAN, Marcel, Le Langage des lignes et autres essais sur le cinéma d’animation,
Montréal, 400 Coups, 2006, 174 p.
- PENSO, Gilles, Stop-motion : l’animation image par image dans le cinéma fantastique,
Paris, Dreamland, 2002, 367 p.
- TOMASOVIC, Dick, « Le Cinéma dřanimation et ses thanatomorphoses (fragments sur le
monstre, la charogne, le montage et lřanimation) », CiNéMAS, vol. 13, nos 1-2
(automne 2002), p. 143-164.
- TOMASOVIC, Dick, Le Corps en abîme : sur la figurine et le cinéma d’animation,
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