Discours OIF RCA 8 04 2013

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Transcript Discours OIF RCA 8 04 2013

OIF : Conseil permanent de la francophonie
Lundi 8 avril 2013
Paris
Seul le prononcé fait foi
Monsieur le Secrétaire général,
Monsieur le Premier Ministre,
Mesdames, Messieurs les Chef d’Etat et de Gouvernement,
Excellences,
Mesdames, Messieurs
Chers Amis,
C’est avec une grande précaution que je prends la parole aujourd’hui pour vous
faire rapport de la mission que j’ai menée en tant qu’envoyé spécial de l’OIF en
république de Centrafrique.
Je tiens à remercier le Secrétaire général, son Excellence Monsieur Abdou
Diouf de la confiance qu’il m’a faite en me confiant cette tâche. Elle n’est pas
facile mais je suis convaincu que l’OIF a fait la différence à Bangui et à
N’Djamena pour faire respecter les principes qui nous sont chers.
Je remercie également M. Georges Naskeu Nguefang, Sous-directeur de la
mission de la Paix, de la Démocratie et des Droits de l’homme ainsi que M.
Christian Trimua, Expert OIF, en charge des questions juridiques et
constitutionnelles pour la RCA.
Je dois vous dire que j’ai été fortement
impressionné par leur haut professionnalisme, leur sens des responsabilités et
par la qualité de leur travail.
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Un rapport exhaustif vous a été remis.
Pour ce qui me concerne, je vais m’employer à vous donner des éléments
concrets, des faits, des réalités mais aussi mon ressenti.
Monsieur le Secrétaire général,
Mesdames, Messieurs,
Chers Amis,
Le 3 avril dernier, lors du Sommet extraordinaire de la Communauté des Etats
de l’Afrique centrale (CEEAC), les Chefs d’Etats et de Gouvernements et la
Communauté internationale ont pris une décision déterminante pour l’avenir de
la RCA.
A N’Djamena, nous avons forgé une dynamique positive qui a pour objectif de
régler durablement les problèmes qui minent depuis si longtemps toute
perspective d’avenir pour la population centrafricaine.
A N’Djamena un effort colossal a été fait pour concilier le principe sacro-saint
du retour à la légitimité constitutionnelle avec l’urgence et la réalité de Banguy.
Nous y avons proclamé notre conviction selon laquelle le dialogue, la paix, le
respect de l’Etat de droit, et le bien-être du peuple incarnent toujours une cause
plus belle et plus grande que les spécificités et les particularismes partisans
fussent-ils respectables en soi.
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Mesdames, Messieurs,
Chers Amis,
Nous le savons tous, depuis son indépendance en 1960, la République
centrafricaine connait des années d’instabilité émaillées de nombreux putschs et
de multiples rébellions qui sont autant d’entraves à son développement
institutionnel et socio-économique.
En décembre 2012, ce grand pays a à nouveau fait l’objet d’une crise politique.
Cette dernière a pu être contenue grâce à l’intervention de la Communauté
Economique des Etats d’Afrique Centrale (CEEAC) qui a su poser les bases
d’une transition politique, traduite dans les accords de Libreville du 11 avril
2013.
Malheureusement cette transition n’a pu être menée à son terme, le Président
Bozizé n’ayant ni joué la carte de l’apaisement, ni respecté les engagements
pris à Libreville (ex : la réinsertion des combattants dans l’armée, le paiement
des soldes et la volonté de se représenter aux élections présidentielles de 2016).
Le 24 mars dernier, le Président de la coalition de la Séléka, Michel Djotodia a
renversé le pouvoir en Centrafrique provoquant la fuite du Président Bozizé. En
agissant de la sorte le Président autoproclamé a fait courir le risque à la RCA de
se faire sanctionner politiquement et financièrement.
Il est évident que la communauté internationale ne peut pas couvrir et consacrer
un coup d’Etat et il faut rappeler avec force qu’il n’y a pas d’alternative au
dialogue dans le cadre des règles respectueuses de l’Etat de droit.
Les problèmes sécuritaires, le délabrement institutionnel, les traumatismes
causés aux populations par cette nouvelle crise ; les femmes, les jeunes et les
enfants plongés dans la détresse ; les risques d’explosion sociale, sont autant
d’éléments que nous avons vécu à Bangui la semaine dernière.
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Ils doivent nous interpeller pour mesurer l’urgence de la situation sur le terrain.
Il est crucial d’éviter une détérioration plus grande des désastres humanitaires
que cette population a déjà subis.
Nous avons été témoin, à Bangui, de la difficulté à assurer le risque sécuritaire
et à organiser la tranquillité publique pour les citoyens.
En outre, on peut réellement s’interroger sur le respect des valeurs
démocratique par le Président Bozizé durant son deuxième mandat.
Les élections présidentielles et législatives qui se sont déroulées lors du premier
semestre 2011 ont été considérée tant par l’OIF, l’UE et l’ensemble de la
communauté internationale comme peu transparente et entachées de
nombreuses irrégularités. Elles ont été dénoncées par la société civile et
l’opposition coalisée de la RCA.
Lors de ce second mandat, le Président Bozizé a multiplié les irrégularités : la
nomination de proche (Ex : son cousin à la présidence de l’Assemblée
nationale), la concentration du pouvoir, l’ethnicisassions de l’armée et des
institutions politiques, la neutralisation de l’armée, les relations tendues avec
les bailleurs internationaux et les dirigeants de la sous-région, le projet de
modifier la constitution, la composition monocolore de l’Assemblée nationale
(100 pro Bozizé sur 104/ 4 opposants).
Enfin n’oublions pas que tout au long de son mandat, le Président Bozizé s’est
employé à isoler géopolitiquement son pays.
Tout ceci, m’amène à reprendre l’appel politique du Premier Ministre, Nicolas
Tiangaye, homme en qui j’ai une totale confiance, qui me disait lors d’une de
nos multiples rencontres : « Que la Communauté ne sanctionne pas la RCA, Si
elle ne nous aide pas, ce sera l’effondrement total ».
Mes chers amis,
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La RCA ne peut pas trouver une solution seule. Elle a besoin de l’extérieur. Le
Premier Ministre, Nicolas Tiangyae, unanimement reconnu pour ses grandes
qualités intellectuelles, son calme et sa capacité d’écoute peut créer les
conditions de la stabilisation. Il ne pourra y arriver que s’il est soutenu dans ses
initiatives, sur le plan sécuritaire, politique et financier et s’il est entendu à
l’intérieur et à l’extérieur du pays.
Quant au Président autoproclamé, Michel Djotodia, ancien fonctionnaire et
diplomate, il m’a semblé être un homme raisonnable. Je suis certain qu’il serait
possible de le tenter par l’honorabilité. La Séléka fait actuellement bloc derrière
lui.
Les deux hommes se connaissent, se respectent et sont complémentaires. Vu la
situation d’urgence qui prévaut dans ce grand pays, il ne serait ni souhaitable, ni
sensé de s’inscrire dans la seule dénonciation.
La solution doit allier les principes et la praticabilité. Elle doit en tous cas
assumer les risques qu’elle comporte
Cette vision s’est confirmée au fil des rencontres que nous avons eues durant
notre séjour à Bangui.
Notre délégation a rencontré successivement et parfois à plusieurs reprises :
• M. Noël Léonard Essongo, Représentant spécial du médiateur, son
Excellence, Denis Sassou Nguesso ;
• La communauté internationale représentée par :
o L’Ambassadeur de France, S.E. M. Serge Mucetti,
o L’Ambassadeur de l’UE, S.E.M. Guy Samzun,
o La Représentante spéciale du SG des NU, Mme Margareth Vogt,
o L’Union Africaine
• Le Premier Ministre, S.E.M. Nicolas Tiangaye ;
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• La Majorité présidentielle et le Kwa Na Kwa (KNK) ;
• Le collectif de la société civile ;
• L’union syndicale des travailleurs de Centrafrique (USTC) ;
• Le Collectif des Artistes et des Communicateurs pour la Paix ;
• L’Opposition démocratique ;
• Le patronat ;
• Le Président autoproclamé, M. Michel Djotodia ;
• Le Général Gafane
Il ressort de nos entretiens que :
• Tous nos interlocuteurs sont d’accord pour reconnaître la violation des
accords de Libreville par le Président Bozizé d’abord, par la Séléka
ensuite ;
• Tous sont unanimes pour clôturer
le chapitre de la Présidence de
François Bozizé ;
• La plupart des interlocuteurs condamnent le coup d’Etat. Mais tous sont
conscients également que Michel Djotodia est le seul homme en mesure
de contrôler la Séléka ;
• Tous sont unanimes pour reconnaître la valeur du Premier Ministre,
Nicolas Tiangyae ;
• Tous sont convaincus que la première des priorités est d’ordre sécuritaire.
Il faut restaurer la sécurité non seulement à Bangui mais aussi sur toute
l’étendue du territoire. Les questions de la sécurité comme de l’impunité
sont fondamentales. La restauration de la sécurité implique le retour à la
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paix, le retour de tous les déplacés et les réfugiés, la libre circulation des
biens et des personnes, la restauration de l’autorité de l’Etat sur
l’ensemble du territoire, la nomination des cadres et des agents de
l’administration, la nomination des membres de l’Autorité nationale des
élections.
Actuellement, la Force multinationale d’Afrique centrale (FOMAC),
dirigée par Jean-Félix Akaga, forte de 760 hommes venant du Tchad, du
Gabon, du Cameroun, de la République du Congo et de l’Ouganda, est
peu présente sur le terrain et peu opérationnelle (par manque de
moyens). Elle n’est pas une alternative réelle à la Séléka.
Quant à la Force armée centrafricaine (FACA), elle est aujourd’hui quasi
inexistante. Ces forces ne sont pas en mesure d’empêcher les pillages, les
rackets, les exactions, les brutalités sur les personnes à Bangui comme à
l’intérieur du pays.
Face à ce déficit sécuritaire, la coalition de la Séléka est devenue un
acteur incontournable et redoutable. Incontournable pour asseoir le
pouvoir ; redoutable si le pouvoir devait quitter les mains de leur
Président. Une des premières priorités du Président de la Séléka, serait
de
la
recadrer.
La
reconstruction
d’une
armée
inclusive
et
l’encasernement de tous les militaires (de la FACA et de la Séléka), des
policiers, des gendarmes permettrait de les recenser pour faire le tri entre
les vrais militaires, ceux qu’on peut récupérer et intégrer et les autres.
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La Communauté internationale a actuellement deux interlocuteurs : un
dans la personne de Michel Djotodia qui a confirmé sa volonté de
quitter le pouvoir en 2016 « sous les applaudissements » et qui a promis
la tenue d’élections présidentielles et législatives libres et transparentes
endéans les 24 mois. Et un autre interlocuteur : le Premier Ministre.
Il ne serait pas judicieux de faire de M. Djotodia un adversaire de la
Communauté internationale.
• Plusieurs de nos interlocuteurs ont attiré notre attention sur le risque que
le conflit actuel ne dégénère en un conflit religieux. Nous devons rester
attentifs à cette menace et à éviter une somalisation de la crise. Une
réunion entre les responsables religieux (protestant, musulman et
catholique) à N’Djamena m’a rassuré sur ce point mais tout danger n’est
pas écarté. (+ risque de partition)
Mes chers Amis,
Les décisions adoptées à N’Djamena lors du Sommet de la Communauté
des Etats d’Afrique centrale en vue d’atteindre un cadre acceptable de la
transition sont importantes.
La communauté internationale est arrivée divisée à N’Djamena, entre les
partisans d’une position unilatérale, respectant les principes sans aucune
souplesse et ceux qui pensent qu’entre deux maux, il faut choisir celui qui
présente le moins de risques.
Comme j’ai coutume de le dire, en politique on a souvent le choix entre
deux mauvaises solutions. Il n’y a pas de schéma parfait et rien n’est gagné
d’avance.
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Le plan final de sortie de crise acceptée par tous les membres de CEEAC à
N’Djamena, en ce compris la Communauté internationale allie le respect de
l’Etat de droit et les réalités sécuritaires, politiques, économiques et sociales
de la RCA.
Il prévoit :
• La création d’un conseil supérieur de la transition (CST)
• Le Conseil supérieur de la transition (CST), organe législatif et
constituant, représentatif des forces vives du pays, devra élire 3
personnalités : un Président qui deviendra le président de la transition de
la RCA et deux vice-présidents. Le premier vice-président devient le
président du CST et le second le secondera ;
• Le Conseil supérieur de la transition (CST) assumera les prérogatives
législatives ordinairement dévolues à un organe législatif et préparera un
projet de constitution qui sera soumis au peuple par voie de référendum ;
• Une cour constitutionnelle provisoire sera créée;
• Un chronogramme précis sera établi en vue d’organiser les élections. La
mise en place de ce chronogramme fera l’objet d’une évaluation
trimestrielle qui permettra au comité de suivi/d’évaluation présidé par le
Président Sassou, de juger du suivi;
• La durée de la période transitoire s’étendra de 18 à 24 mois;
• Le premier ministre de la transition restera en fonction, ayant été choisi
lors des accords de Libreville.
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Avec ce nouveau scénario, le président de la transition (ou le chef de l’Etat),
tirera sa légitimité du CST et le gouvernement sera pleinement investi des
missions exécutives.
Cette nouvelle formule ne lèse ou ne blesse personne. Elle a le mérite de
concilier les principes de droit international,
l’urgence et la réalité de la
situation en RCA, et évite de créer un vide dramatique et d’une rare
dangerosité.
Un second sommet est prévu à N’Djaména le 15 avril prochain afin de juger de
l’état d’avancement de la mise en œuvre des décisions prises le 3 avril dernier.
Mes chers amis,
L’implication de la Francophonie dans l’accompagnement de la transition se
fera à la fois sur le plan politique et sur le plan technique et est souhaité par la
CEEAC et par les autorités de RCA..
Sur le plan politique, OIF sera un membre actif du comité de suivi.
Sur le plan technique, nous serons là pour apporter notre soutien et nos
connaissances dans le cadre de :
• L’adoption du code électoral, de la mise en place de l’Autorité nationale
des élections et de l’élaboration du chronogramme ;
• De l’établissement du fichier électoral ;
• De l’élaboration de textes, notamment de nature constitutionnelle ;
• La mise en place de la cour constitutionnelle de transition et du
renforcement des capacités de ses membres.
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Mes chers amis,
Ce futur gouvernement nous le savons, dépend largement pour réussir de l’aide
internationale.
Il serait judicieux que la Communauté internationale soutienne le Premier
Ministre et les institutions de la transition.
Mesdames, Messieurs,
Mon vœu le plus cher est de voir ce scénario se réaliser pour que le peuple
centrafricain puisse enfin voir une lueur d’espérance pour un pays en soif de
renaissance.
Mes chers amis, ce n’est pas l’impossible qui désespère mais le possible non
atteint.
Nous devons accompagner ce magnifique pays en nous fondant sur cette
merveilleuse maxime de Victor Hugo :
« Il ne suffit pas d’être la république, il faut être la liberté ; il ne suffit pas d’être
la démocratie, il faut être l’humanité. Un peuple doit être un homme, et un
homme doit être une âme ».
En conclusion,
Deux options se présentent à nous :
A titre personnel, il ne me semble pas que nous ayons aujourd’hui assez
d’éléments pour suspendre purement et simplement.
Nous ne pouvons pas encore matériellement constater la réalisation de la
décision de N’Djamena.
Et pour les mêmes raisons nous ne pouvons pas donner un chèque en
blanc aux acteurs puisque nous ne pouvons vérifier leur bonne foi.
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Dès lors,
Soit vous faites le choix de la suspension, conformément à la
déclaration de Bamako ;
Mais cela ne sera pas sans implication sur le soutien financier des
donateurs.
Soit vous proposez de mettre la décision en délibéré jusqu’au
prochain CPF, prévu en juin prochain, au cours duquel vous ferez le
point sur la situation.
Si le contrat n’est pas rempli, nous conviendrons de la suspension.
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