LA LETTRE DE DINOSAURIA

Download Report

Transcript LA LETTRE DE DINOSAURIA

LA LETTRE DE DINOSAURIA

N°37

Tarascosaurus

dans la serre du Musée des dinosaures

L'actualité des dinosaures, etc.

A

propos de l'exposition "Soie, riz et dinosaures : carnets de mission en Thaïlande" ­ D'une mission aux îles Galapagos aux dernières infos paléobotaniques ­ Un dossier spécial pour célébrer les 100 ans de

Diplodocus

­ La lecture de "Darwin et les fossiles" ­

E

t les dernières nouvelles de l'association Dinosauria.

Du nouveau dans le musée

Soie, riz et dinosaures : carnets de mission en Thaïlande

La conception d'une exposition consacrée aux découvertes paléontologiques dans le Nord­Est de la Thaïlande murissait depuis plusieurs années. Et le moulage du squelette du sauropode

Phuwiangosaurus sirindhornae

attendait patiemment de sortir du laboratoire comme les nombreux objets usuels et traditionnels collectés au cours des différentes missions dans l'Isaan.

Cette toute première exposition temporaire est conçue comme un carnet de voyage et propose de pénétrer dans les coulisses d'une mission paléontologique. Elle est à la fois le compte­rendu des découvertes de fossiles de dinosaures, tortues, poissons, réalisées dans le Nord­Est depui presque 30 ans et la découverte d'une région presque totalement méconnue des touristes.

En choisissant d'inaugurer d'exposition temporaire avec un cycle la Thaïlande nous confirmons les liens qui unissent le Musée des Dinosaures d'Espéraza et le Musée Sirindhorn de Sahat Sakhan. Nous avons très souvent raconté, dans

La Lettre de Dinosauria

, toutes les mésaventures de la contruction de ce musée thaï (presque identiques à celles du Musée des Dinosaures) jusqu'à son inauguration il y a bientôt un an.

L'exposition se partage en deux parties : dès l'entrée avec les photos, les vitrines remplies de paniers à riz, les pièces de soie et autres objets de l'Isaan, nous plongeons dans l'univers paléontologiques depuis 30 ans.

qui entoure les paléontologues lorsqu'ils partent à la chasse aux fossiles dans cette région. La deuxième partie se concentre sur quelques une des découvertes Pour l'inauguration, ledirecteur du Department of Mineral Resources de Bangkok Mr Adisak Thongkaimook et Mr Sommai Techawan, directeur du département patrimoine géologique, avaient fait le déplacement. Varavudh Suteethorn et Eric Buffetaut à l'origine de la mission paléontologique franco­thaï étaient présents. Côté français, Geneviève Comte vice présidente de la communauté des communes de Quillan et Annie Bohic­Cortes conseillère générale avaient aussi fait le déplacement.

Scène d'une cuisine de l'Isaan La sieste du

Psittacosaure

2

Soie, riz et dinosaures : carnets de mission en Thaïlande

Du nouveau dans le musée

Phuwiangosaurus debout

Jean­Pierre Burgas vient de rajouter une corde à son arc: le montage d'un squelette. C'est la toute première fois dans le monde que le squelette de

Phuwiangosaurus

se retrouve debout. Ravis par la qualité du travail effectué et ses résultats, une équipe du musée Sirindhorn envisage un séjour à Espéraza pour venir voler tous les trucs et astuces de Jean­Pierre.

Scène d'une cuisine de l'Isaan

Le retour du géant vert

d' Installé dans l'ancienne salle d'exposition du musée depuis 17 ans, la reconstitution

Ampelosaurus atacis

espérazanais. Il retrouve désormais sa place dans l'exposition sur la Thaïlande. Sa présence au milieu des fossiles thaïs ne doit pas étonner puisqu'

Phuwiangosaurus

n'avait pu être déplacée dans les nouveaux locaux, au grand dam de nombreux

Ampelosaurus

est le lointain cousin français de avec qui il partage les mêmes origines. Ils sont tous deux de grands sauropodes, aux allures très proches. Il rappelle aussi le lien qui unit le Musée des Dinosaures d'Espéraza et celui de Sahat Sakhan.

La sieste du

Psittacosaure

2 3

Actualités

Des chauve­souris donnent raison à Darwin

Dans une hypothèse toujours controversée, Darwin a suggéré que les fleurs à long tube et les pollinisateurs à longue langue auraient évolué ensemble, s'influençant l'un sur l'autre. Si l'on comprend bien qu'une fleur profonde oblige le pollinisateur à posséder une langue plus longue, comprendre l'influence de la longueur de la langue sur la fleur est difficile. Des chercheurs ont fait des expériences avec la chauve­souris nectarivore

Amoura fistulata

, dont la langue est exceptionnellement longue, et la Campanulacées

Centropogon nigricans

fleurs ont un tube de longueur comparable (8 à 9 cm). Les fleurs dont la longueur est augmentée artificiellement sont visitées plus longuement, appliquent plus de pollen sur la chauve­souris et en récupérent plus sur leurs stigmates également. Ces résultats semblent corroborer l'hypothèse darwinienne.

, dont les

2

174 ans après faisait partie du voyage.

Darwin, des scientifiques se sont rendus aux Galapagos pour obserser la faune et la flore fragiles de cet archipel. Le paléontologue Jean Sébastien Steyer

En 1835, le jeune Darwin explore les Galapagos, magnifique archipel que les marins d'autrefois surnommaient "les îles enchantées". Une étape décisive pour le naturaliste qui murit alors sa théorie de la sélection naturelle, une des plus grandes révolutions scientifiques.

Afin de mieux comprendre la genèse de cette théorie et d'évaluer l'impact des activités humaines sur la faune et la flore des Galapagos, une équipe scientifique et pluridisciplinaire s'est rendue sur place, 174 ans après le célèbre évolutionniste.

Organisée par l'association SOS Crocodiles (Pierrlatte, Drôme), l'expédition a réuni Béatrice Langevin vétérinaire herpétologue, Samuel Martin, herpétologue et directeur de la ferme aux crocodiles de Pierrelatte, Frédéric Pautz, botaniste et directeur du jardin botanique du parc de la Tête d'Or de Lyon et Jean­Sébastien Steyer Paléontologue au CNRS affecté au Muséum National d'Histoire Naturelle.

Les contributions du paléontologue J.S. Steyer sont multiples : tenter de mieux comprendre la genèse de la théorie de l'évolution "en voyant ce que Darwin a vu", tenter des comparaisons éco­ethnologiques et des analogies entre les modes de vie, la thermorégulation et l'excrétion de sel chez les iguanes marins et les premiers tétrapodes.

Jean Sébastien Steyer au centre Accompagnée de professionnels de l'image, cette équipe a pu réaliser une série d'observations naturalistes (botaniques, zoologiques, géologiques), notamment sur les espèces endémiques et invasives de l'archipel, ce qui laisse présager de fructueuses collaborations à venir.

4

4 2

Dossier

1908­2008 : le Diplodocus du Muséum a eu 100 ans

De l'état du Wyomming au jardin des Plantes à Paris, les périgrinations du Diplodocus de Carnégie Le milliardaire et le dinosaure

Le dinosaure emblématique du Muséum national d’Histoire naturelle à Paris est arrivé en France en 1908. Ce moulage de Diplodocus long de 26 mètres est un cadeau à la République française du milliardaire américain Andrew Carnegie, le roi de l’acier et le fondateur du musée éponyme de Pittsburgh aux Etats­Unis.

Ce centenaire étant passé quelque peu inaperçu dans un pays où l’on adore pourtant commémorer toutes sortes de choses plus ou moins intéressantes, j’ai pris la résolution de raconter cette histoire qui n’est pas dépourvue d’intérêt.

La cause initiale de la présence incongrue de ce fossile américain au cœur du Jardin des Plantes est une petite brève parue dans le New York Post du 1er décembre 1898 annonçant la découverte, dans le Wyoming, d’un gigantesque fossile long de 40 mètres. Les gazettes américaines reprirent en cœur l’information dont le traitement, légèrement exagéré, culmina le 11 décembre avec une pleine page spectaculaire du New York Journal and Advertiser. On y voit un énorme sauropode dressé sur ses pattes postérieures, accoudé à un building new­yorkais pendant qu’un tramway passe entre ses pattes. En haut à gauche, la photo du découvreur, un dénommé Reed, posant près d’un fémur plus haut que lui. Et un titre tout en finesse : « L’animal le plus colossal ayant vécu sur Terre vient d’être découvert dans l’ouest ». Un lecteur réagit immédiatement à cette information sensationnelle : Andrew Carnegie (1835­1919), alors l’un des hommes les plus riches du monde. Le milliardaire américain avait commencé à consacrer une partie de son immense fortune à des œuvres philanthropiques, dont la construction à 1907, avant l'arrivée de Diplodocus Après, l'arrivée du Diplodocus

5 3

4

Dossier

Pittsburgh d’un institut rassemblant en particulier une bibliothèque, un musée d’art et un muséum d’histoire naturelle flambant neuf. Carnegie venait d’engager un scientifique pour diriger son musée, un pasteur et entomologiste nommé William J. Holland (1848­1932). Après avoir lu son New York Post, Carnegie l’annota dans la marge à l’attention de Holland : « Pouvez­vous acheter ceci pour Pittsburgh. Essayez. » Le plus gros animal de tous les temps, c’était évidemment une source de gloire pour le Carnegie Museum (qui ne possédait alors pas le moindre fossile de dinosaure) et son fondateur.

C’était aussi d’un seul coup rattraper son retard et prendre même une longueur d’avance dans la course aux dinosaures que commençaient à se livrer les grands musées de la côte est des Etats­Unis, quelques années après la fin de la grande « guerre des os » entre Othniel Charles Marsh et Edward Drinker Cope.

Mais les choses allaient rapidement se révéler plus compliquées que prévu. Comme Carnegie, Holland pensait n’avoir qu’à négocier l’achat d’un énorme squelette. Il se rendit très vite compte cependant que Lettre de Boule à Carnegie en 1903 Extrait du New York Journal and Advertiser du 11 décembre 1898 quelques os seulement avaient été extraits par Reed.

Il débaucha alors de l’American Museum of Natural History de New York le paléontologue Jacob Wortman et le préparateur Arthur Coggeshall et les envoya sur le terrain au fin fond du Wyoming dès le printemps de 1899, avec pour mission de rapporter le reste du squelette du monstre.

Paléontologue aguerri, contrairement à Holland qui découvrait cette discipline, Wortman, après quelques jours de fouilles sans résultat, fit avouer à Reed que toute l’histoire de l’animal colossal était basée sur la découverte d’un fémur, le tout légèrement amplifié par l’écho médiatique… Qui a dit que rien ne changeait dans le traitement journalistique des informations paléontologiques ?

L’équipe du Carnegie Museum quitta alors le site avec ses chevaux et ses chariots pour entamer des prospections dans la région. Début juillet, ils découvrirent deux sites prometteurs à Sheep Creek, dans le comté d’Albany, qu’ils commencèrent à fouiller, cette fois ci avec succès puisque une grande partie d’un squelette de Diplodocus commença d’apparaître sous leurs pics : un coup de bol inouï,

6

6 4 5

Dossier

même en ces temps fastes de l’exploration paléontologique de l’ouest américain. Dès l’automne, une grande partie d’un squelette avait quitté le Far West pour Pittsburgh. Durant l’hiver Holland se sépara de Wortman et embaucha à sa place une étoile montante de la paléontologie des vertébrés américaine, John Bell Hatcher, un ancien collaborateur de Marsh. Pendant l’été 1900 l’équipe de Hatcher (qui avait entre temps licencié Reed) découvrit un second squelette partiel de Diplodocus qui comprenait une bonne partie des éléments manquant dans le premier. A peine rentré à Pittsburgh à l’issue de sa campagne de fouilles, Hatcher se consacra à la préparation et à la description du matériel découvert, une importante monographie paraissant dès le mois d’octobre 1901. Hatcher y décrivait une nouvelle espèce de Diplodocus (le genre avait été créé par Marsh en 1877),

D. carnegiei

, en hommage au mécène.

Holland fit immédiatement parvenir la planche du mémoire de Hatcher représentant le squelette complet à Carnegie, qui la fit encadrer et l’exposa dans son château de Skibo, en Ecosse où il avait coutume de séjourner une partie de l’année. L’automne suivant (en 1902, donc), Carnegie reçut la visite du roi d’Angleterre, Edouard VII, qui remarqua la planche et exprima le souhait d’obtenir un spécimen pour le British Museum of Natural History de South Kensington, à Londres. Les désirs d’un roi étant des ordres, Carnegie télégraphia sans délai à Holland pour lui demander d’aller chercher un second squelette pour le roi d’Angleterre. Rendu prudent

Montage du squelette

par l’expérience, Holland exprima diplomatiquement ses craintes qu’une telle quête pût ne pas aboutir dans un délai raisonnable, et suggéra à son patron de faire réaliser plutôt des moulages du squelette du Wyoming qu’il pourrait offrir à qui il voudrait. Dès avril 1903, le Carnegie Museum embauchait des mouleurs italiens, puis des charpentiers et des ferronniers et au cours du mois de juin 1904 le moulage du Diplodocus était monté dans un atelier de Pittsburgh ­ une énorme tâche réalisée sous la direction de Holland avec Hatcher et Coggeshall aux manettes. Le montage fut réalisé à partir d’ossements de plusieurs animaux, complété par des sculptures pour les parties manquantes ou trop fragiles pour être moulées ; comme l’a noté le paléontologue américain JS McIntosh, le squelette fut monté avec des mains de Camarasaurus, un autre dinosaure sauropode découvert dans les mêmes couches géologiques. Le moulage était prêt à partir pour Londres lorsque la mort brutale de Hatcher, le 3 juillet 1904 à 43 ans, interrompit le processus. C’est en décembre seulement que les 36 caisses contenant le moulage traversèrent l’Atlantique, suivies au mois de mars 1905 par Holland et Coggeshall qui menèrent à bien le montage du squelette au Musée de Londres.

Entretemps la nouvelle de la réalisation d’un moulage de Diplodocus, sensée rester confidentielle, était parvenue au Muséum National d’Histoire Naturelle à Paris où le titulaire de la chaire de paléontologie, Marcellin Boule, écrivit à Hatcher pour s’enquérir de la possibilité d’en obtenir une copie. Hatcher, rompant

7

Dossier

Montage les consignes de secret de Holland, proposa à Boule l’échange du moulage contre une vaste collection de mammifères tertiaires, ce qu’apparemment Boule déclina. Hatcher dut se faire sérieusement remonter les bretelles par Holland à cette occasion, car comme le rappelait ce dernier : giving is giving, swapping is swapping (donner c’est donner, échanger c’est échanger). Et il n’était pas question pour Carnegie de monnayer les Diplodocus qu’il souhaitait offrir aux chefs d’états du monde entier, avec lesquels il se sentait de plus en plus sur un pied d’égalité. Boule écrivit alors directement à Carnegie en décembre 1903 pour obtenir un moulage du Diplodocus pour Paris.

Avec un certain culot, il expliquait que son institution ne pourrait certainement pas rendre la pareille aux Américains mais que, en gros, ça serait un honneur pour Carnegie d’avoir son Diplodocus à Paris… Une note manuscrite de Carnegie à Holland, au dos du courrier de Boule (conservé dans les archives du Carnegie Museum) ne ferme pas la porte mais suggère de voir ultérieurement : en gros installons un moulage à Londres, nous verrons ensuite.

Après la très médiatique installation du Diplodocus à Londres, relayée en mai 1905 par les journaux du monde entier, Carnegie fit monter un second spécimen dans les nouveaux locaux, construits à cette fin, du musée de Pittsburgh. Le gratin diplomatique participa à la cérémonie d’inauguration qui dura plusieurs jours en mai 1907. Le second jour, Carnegie téléphona à Holland (qui a raconté l’épisode dans un de ses livres), en lui demandant de prendre contact avec les représentants des deux frères ennemis européens, la France et l’Allemagne, pour proposer à leurs chefs d’états le don par le milliardaire d’un Diplodocus à leurs musées nationaux. Le jour même s’amusait Holland le représentant allemand, un général, télégraphiait la nouvelle à Berlin. Dès le lendemain, Guillaume II télégraphiait son accord en remerciant Carnegie.

L’accord de la France fut plus long à venir puisque Holland dut relancer par courrier le représentant français, l’ancien Président de la Chambre (et futur Président de la République) Paul Doumer, sur ce coup­là moins efficace que son confrère allemand.

Finalement Doumer transmit l’information à l’Elysée où le Président de la République Armand Fallières donna son accord pour l’acceptation de ce don monumental au Muséum National d’Histoire Naturelle. Carnegie prenait en charge tous les frais, y Le squelette monté de planche qui éveilla l'intéret

Diplodocus carnegiei

: la

8 6

6 8 7

Dossier

compris de menuiserie sur place, on enverrait à Paris des experts pour le montage du dinosaure.

Pour Boule, ce don inespéré après une longue attente nécessitait d’importantes modifications de l’exposition de paléontologie, et en particulier l’enlèvement de nombreuses vitrines. Il demanda d’ailleurs à Holland de modifier le montage réalisé pour Londres, en repliant la queue du Diplodocus afin de gagner quelques mètres. Et c’est ainsi qu’à la différence de son jumeau londonien et par la volonté de Marcellin, le Diplodocus de Paris a la queue repliée.

La galerie Inauguration le 15 juin 1908

Le Diplodocus à Paris

Au printemps de 1908, Holland et Coggeshall traversèrent de nouveau l’Atlantique pour gagner Berlin d’abord où le squelette fut inauguré le 11 mai puis Paris, où les deux acolytes arrivèrent le 15 mai et se mirent immédiatement au travail. Dans un très beau plan média, le Muséum invita de nombreux journalistes durant les travaux, et les journaux publièrent des photos de Holland, Boule et Coggeshall posant devant le Diplodocus en cours de montage. Le grand jour de l’inauguration ne fut pas non plus choisi au hasard. Dans un courrier du 21 mars 1908, Boule insistait auprès de Holland pour que l’événement ait lieu en juin : « à partir du 1er juillet, en effet, écrivait Boule, les parisiens prennent leurs vacances et émigrent à la campagne. Si l’inauguration du Diplodocus n’avait pas lieu dans le courant de juin, nous risquerions de n’avoir à cette cérémonie qu’un public restreint et d’être privés de beaucoup de personnages officiels. » Et Boule, s’il ne le précise pas, faisait partie de ces émigrants, comme l’évoquait des années plus tard un de ses illustres anciens élèves, Teilhard de Chardin : « Vous souvenez­vous de notre première entrevue vers la mi­juillet 1912 ? … Vous étiez exactement à la veille (sacrée) de votre départ pour les vacances. » Le 15 juin 1908 en début d’après­midi une grande effervescence règne place Valhubert, devant l’entrée principale de la récente galerie de paléontologie (elle a été inaugurée en 1898). Le Directeur du muséum, le biologiste Edmond Perrier flanqué du Ministre de l’Instruction Publique Gaston Doumergue (futur Président de la République), de l’Ambassadeur des Etats­Unis Henry White et de la troupe au complet des Professeurs du Muséum _ Perrier donc fait le pied de grue sous les drapeaux français et américains en compagnie d’un autre citoyen américain, le paléontologue William J. Holland, directeur du Carnegie Museum de Pittsburgh. Toute la presse est là qui scrute, interpelle, prend quelques notes : Georges Wulff du Gaulois, Charles Dauzat du Figaro, René Bures du Matin et ceux du Temps, de la Presse, de l’Humanité, de la Croix, du Petit Parisien… Sans doute commente­t­on les événements du jour, affaires indochinoises ou tunisiennes, procès de la bande d’Hazebrouck… A 14h30 arrivent des voitures officielles dont s’extraient Armand Fallières, le Président de la République, Georges Clemenceau, Président du Conseil ou encore Louis Lépine, le Préfet de Police de Paris et Paul Doumer. Quatre Présidents du conseil et trois Présidents de la République

9

8

Dossier

Boule assis à droite, Holland assis au centre (anciens, en fonction ou qui occuperont plus tard ces postes) : c’est tout le gratin de la Troisième République qui accueille le Diplodocus. Tout ce petit monde se dirige vers la galerie de paléontologie au premier étage du bâtiment où trône l’impressionnant squelette. Au nom de son patron Carnegie, Holland remet officiellement le Diplodocus à la France. « Les relations scientifiques font plus que les cuirassés et les canons pour la paix entre les peuples » dit­il. S’ensuivent les remerciements du Président qui remet la légion d’honneur à Holland et quelques commentaires supplémentaires sur l’animal par Marcellin Boule, le Professeur de Paléontologie du Muséum. « Il vivait simplement » dit Boule et le journaliste du Matin ne résiste pas au plaisir d’en rajouter une couche : « On le crut sur parole. Personne au monde n’a jamais accusé le diplodocus d’avoir mené une vie luxueuse et dévergondée. » Boule poursuit : « cet animal était un imbécile » et le journaliste du Matin n’en peut plus : « A ce moment le diplodocus oscilla de nouveau, comme s’il plaignait amèrement ce

Fallierus Elyseensis

d’être contraint à écouter de telles paroles… Bon gré, mal gré, M. Fallières dut faire le tour de la galerie. Le Professeur Boule abondait en savants propos. » Si les commentaires du paléontologue Boule semblent un peu dépassés aujourd’hui ceux des hommes politiques (enfin, tels qu’ils sont rapportés par les journalistes) sont sans grande inspiration (ceux qui ont eu l’occasion d’assister aux prestations de leurs lointains successeurs dans des circonstances similaires ne s’en étonneront pas) : si l’un paraphrase Mac Mahon (« Que d’os ! Que d’os !), Fallières commence par s’exclamer « quelle queue ! quelle queue ! » puis répond à Boule qui vient de lui asséner fièrement un

Bothriospondylus madagascariensis

: « Vos explications sont très intéressantes mais tous les animaux dont vous avez parlé ont des noms bien difficiles à retenir pour le public. » En parcourant la revue de presse du lendemain, force est de constater une certaine permanence dans le traitement journalistique de ce genre d’informations : 15 lignes sur les puissants du jour et une bonne blague feront l’affaire. Seule la Croix échappe à la pipolisation des comptes­rendus (ben oui, déjà…) : sobre manchette en une et un long (et assez ennuyeux) article du fameux Abbé Moreux sur les dinosaures.

On sent le troisième degré, la fine allusion poindre chez les journalistes de l’opposition. Le Président Fallières porte un généreux embonpoint (ancien député du Lot­et­Garonne, il a derrière lui plus de trente ans de banquets républicains) et la Presse titre : « Un record de M. Fallières. Le Président fait d’une traite le tour du diplodocus. » Le journaliste s’en donne à cœur joie : « Le Président est suivi de M. Clemenceau qui, en sa

10

8

Dossier

qualité de dompteur, s’intéresse grandement au monstre… Le Président remercia de fort bonne grâce M.

le professeur Holland du précieux cadeau et lui laissa entendre que la France, elle aussi, serait heureuse d’offrir un jour un fossile à l’Amérique. En attendant, faute de mieux … il attacha sur la poitrine du professeur Holland la croix d’officier de la Légion d’honneur. Après quoi le président de la République fit le tour du Diplodocus et, fatigué d’un tel effort, remonta aussitôt en voiture et reprit le chemin de l’Elysée ».

Peu de choses ont donc changé depuis 1908… et surtout pas le diplodocus ! Si à Londres ou à Berlin il a subi un remontage plus conforme à la vision moderne des sauropodes (avec en particulier une queue érigée bien au dessus du sol) à Paris il est resté dans l’état, son immense queue traînant sur le sol.

Notons aussi que la promesse de Fallières n’a toujours pas été honorée par la République : l’Amérique attend toujours son moulage d’un dinosaure français. Et depuis 1908, a­t­on donné d’autres squelettes de dinosaures à la France ? Eh bien oui, le service géologique de Thaïlande a donné au Musée des Dinosaures d’Espéraza le moulage d’un squelette de

Phuwiangosaurus

, un cousin asiatique du Diplodocus, qui est actuellement en cours de montage à Espéraza.

La suite des aventures du Diplodocus de Carnegie dans un prochain numéro de

La Lettre de Dinosauria

9

Le Diplodocus de Paris ­ 2008

11

10

Des livres...

Darwin et les fossiles : histoire d'une réconciliation

Dans la déferlante d’ouvrages parus pour célébrer le bicentenaire de Charles Darwin (1809­ 1882) et le cent­cinquantième anniversaire de la publication de l’Origine des espèces se niche une petite perle parue chez l’éditeur suisse Georg : « Darwin et les fossiles : histoire d’une réconciliation », par le paléontologue helvète Lionel Cavin. Mûri durant de studieuses vacances à Bex, riante commune du canton de Vaud, cet ouvrage original, reposant sur une lecture quasi­exhaustive de tout l’œuvre du grand savant anglais, est né d’une contradiction du Grand Charles. En 1837, Darwin écrivait que la découverte de mammifères fossiles en Amérique du Sud était « l’un des deux faits à l’origine de toutes mes vues » sur l’évolution des espèces (le premier de ces deux faits étant l’observation de la faune des Galapagos). Or, dans l’Origine des espèces, il reconnaît que les fossiles sont le talon d’Achille de sa théorie, « l’objection la plus sérieuse qu’on puisse lui opposer ».

What’s the problem, Charles ? Et bien en 1859, les maigres documents paléontologiques ne présentent pas « entre les espèces actuelles et les espèces passées, toutes les gradations infinies que réclame ma théorie ». La faute à qui, Charles ? « Je considère les archives géologiques … comme une histoire du globe incomplètement préservée, écrite dans un dialecte toujours changeant, et dont nous ne possédons que le dernier volume traitant de deux ou trois pays seulement. Quelques fragments de ce volume et quelques lignes éparses de chaque page sont seuls parvenus jusqu’à nous. » Bref les lacunes de l’enregistrement fossile, en 1859, obèrent toute tentative de lecture littérale des archives incomplètes de la terre… Lionel Cavin part de cette contradiction pour, à 150 ans de distance, rassurer Charles – la suite du livre c’est le récit de quelques transitions essentielles de l’histoire de la vie désormais bien documentées par la paléontologie. Ainsi de l’origine de la vie. Il est vrai qu’en 1859 on ne connaît pas de fossiles cambriens (ne parlons même pas de précambrien !). Les intuitions fort justes de Darwin seront vérifiées au cours du siècle suivant : découverte des fossiles cambriens de Burgess en Colombie britannique (début du XXème siècle), des organismes précambriens d’Ediacara en Australie (1946), plus récemment de formes éocambriennes à Chengjiang en Chine.

« Si ma théorie est vraie » assurait Tonton Charles, « il est certain qu’il a du s’écouler, avant le dépôt des couches siluriennes inférieures [i.e. ordoviciennes, système défini en 1879 seulement] des périodes aussi longues et probablement même beaucoup plus longues que celles écoulées entre l’époque silurienne et l’époque actuelle, périodes inconnues pendant lesquelles des êtres vivants ont fourmillé sur Terre ».

Ben oui, bien vu Charles… Lionel Cavin revisite ensuite quelques unes des transitions encore hypothétiques pour cause d’absence de fossiles au milieu du dix­neuvième siècle et qui se sont éclairées depuis grâce à la découverte de fossiles intermédiaires : l’origine des poissons plats, des tétrapodes, des tortues, des oiseaux ou des baleines. Darwin avait tout bon, ou presque : nombre de ses hypothèses ont été validées par les travaux des paléontologues, ces gens si utiles finalement pour connaître une histoire de la vie dont les lacunes sont moins nombreuses chaque année, au fur et à mesure de l’exploration paléontologique du globe.

De nombreuses digressions autour du sujet principal permettront aussi aux lecteurs non­helvètes de croiser les deux autres paléoichthyologues suisses, Louis Agassiz et Jean­François Pictet, ainsi que quelques savants genevois un peu plus obscurs, pourvoyeurs de glyptodons pour les collections du muséum de Genève dont Lionel a la charge. Quelques grands sites paléontologiques suisses sont aussi évoqués au détour des pages, de la montagne de Coirons près de Genève aux empreintes de pas fossiles d’Emosson. Mais l’auteur évoque aussi ses expériences de terrain dans des endroits aussi exotiques que la jungle thaïlandaise et les vignobles du Languedoc.

Un livre indispensable, donc, en 2009 et au­delà, pour comprendre tout ce que la paléontologie a apporté au moulin de Darwin. Cette science jeune alors, dont Charles se méfiait, apporte aujourd’hui , dans sa maturité, sa plus belle démonstration à la théorie de l’évolution.

12

Dernières nouvelles de Dinosauria

Déménagement de l'atelier

Depuis plusieurs années, l'atelier de découverte des fouilles paléontologiques (atelier

rhabdodon

quelques mètres dans l'ancien laboratoire.

) pour les plus jeunes, était installé dans l'ancien musée des dinosaures. Avec l'ouverture de l'exposition temporaire dans ces mêmes locaux, l'atelier a déménagé de

11 L'équipe.

Christiane Thomas travaillait au musée depuis 15 ans comme agent de nettoyage. A la fin du mois d'août, elle a choisi de quitter Espéraza pour tenter de nouvelles aventures du côté des Pyrénées Orientales. Et nous lui souhaitons bonne chance dans cette nouvelle vie.

Yvain Leclerc, responsable des fouilles cet été, a signé pour une année supplémentaire au musée. Il sera animateur et travaillera également au laboratoire à la préparation des fossiles.

Bellevue ­ campagne de fouilles 2009

Cet été, la campagne de fouilles sur le gisement de Bellevue a été originale à plus d'un titre : elle n'aura duré que 5 semaines (contre 8 habituellement) et les tortues ont été à l'honneur avec des dizaines de plaques mises au jour.

Du début...

Soutenance de thèse

Le 9 octobre dernier, Suravech Suteethorn a soutenu une thèse de doctorat à l'Université de Montpellier. Au terme des 3 heures de présentation, Pong a obtenu le grade de docteur, avec les félicitations du jury. Il rejoindra la Thaïlande au mois de novembre pour entamer une carrière d'enseignant chercheur de l'université de Maha Sarakam dans le Nord Est du pays.

... à la fin.

Sous les regards de la famille

13