Moise Assouline III Suprematie_ver10juin

Download Report

Transcript Moise Assouline III Suprematie_ver10juin

Débattre du rôle de la psychiatrie aujourd’hui dans l’accompagnement de l’autisme et des TED (III) Psychiatrie et psychanalyse : suprématie conjointe, disjointe, en disgrâce. III. Pour une mise à jour de la clinique des personnes autistes.1 Par Moïse Assouline, Médecin directeur du Centre Françoise Grémy (Hôpital de Jour Santos-­‐Dumont et Unité Mobile pour les Situations Complexes en Autisme et TED), Paris. Psychiatre, Hôpital de Jour d’ Antony. Coordinateur du pôle autisme de l’Elan Retrouvé Résumé : La psychiatrie et la psychanalyse ont longtemps dominé les discours sur la clinique de l’autisme. Elles ont ensuite accepté avec réticence les apports d’autres disciplines. Plus récemment, elles s’en approprient certaines innovations, au risque de travestir l’interdisciplinarité qui s’impose peu à peu. Il leur faut maintenant : -­‐ sélectionner avec précision leurs apports cliniques utiles et leurs actions dans les parcours de vie suivant l’âge et le type de troubles. -­‐ apprendre à fédérer les observations des autres disciplines du plateau technique, à leur demande. Il s’agit d’ innovations issues de spécialités médicales, de la psychologie, de la psychomotricité et de l’éducation. Cet apprentissage difficile exige du temps car il n’est pas spontanément acquis lors des études de psychiatrie, de psychologie ou de la formation « à une méthode ». Les équipes accompagnantes, qu’elles soient éducatives, sociales, thérapeutiques, ou mixtes en ont maintenant grand besoin pour accéder à la complexité de la clinique de l’ autisme. -­‐-­‐-­‐-­‐-­‐-­‐-­‐-­‐-­‐-­‐-­‐-­‐-­‐-­‐-­‐-­‐-­‐-­‐-­‐-­‐-­‐-­‐-­‐ « The evil that man do lives after them, the good is often interred with their bones »2. La prise en charge de l’autisme a changé, les connaissances ont changé, la psychiatrie elle même a changé. En voici quelques exemples pour le débat, issus de notre expérience avec les adolescents et adultes, non exhaustifs mais significatifs. 1 Ce texte complete les interventions “Autisme : un arriere –fond historique aux critiques contre psychiatrie et psychanalyse », publié dans Mediapart le 4 juin 2013 et « Suprématie conjointe, disjointe, en disgrâce. II. Séquelles du « tout thérapeutique » dans les institutions pour autistes». Colloque “La psychanalyse dans les institutions psychiatriques et sociales », 28 et 29 mars 2014, organisé par l’Université Paris VII Paris Diderot et l’Association l’Elan Retrouvé. 2 Oraison dite par Marc Antoine à l’ enterrement de Cesar (« Julius Ceasar », Acte III, Scène 2, William Shakespeare). 1 1. Apports de la génétique, de la psychologie piagétienne, du cognitivisme. La génétique a diffracté les entités syndromiques précédentes, celles de la CFTMEA 3 (autisme, psychoses précoces déficitaires, dysharmonies évolutives, dysharmonies psychotiques). La découverte d’ une litanie de formes syndromiques d’autisme ou de maladies génétiques avec des traits autistiques (délétions et anomalies chromosomiques, à transmission héréditaire ou résultant d’accidents génétiques isolés) a vidé non seulement le sac des « psychoses précoces déficitaires » (celles qui étaient déjà repérées par Misès pour leur origine organique probable) mais aussi (en nombre) celui des « dysharmonies évolutives » 4 et même (beaucoup moins) celui des « dysharmonies psychotiques » qui étaient réputées complétement psychogénétiques.5 Une autre approche génétique est la recherche de la vulnérabilité de certains gènes, en interaction réciproque avec des facteurs environnementaux au cours du développement D’autres causes neurologiques (traumatiques, infectieuses, épileptiques d’origine essentielle ou tumorale) opèrent le même type de découpage dans les entités anciennes. Celles-­‐ci sont transformées peu a peu, parfois complétement vidées de leur substance, mais parfois elles en gardent des parts utiles. La génétique remanie aussi la clinique psychiatrique traditionnelle, permettant nombre de précisions pour les traitements et les accompagnements. Elle fait émerger des troubles constitutionnels, dues à l’anomalie organique, qui vont secondairement, en rapport avec des conflits environnementaux, avoir une expression psychiatrique plus commune. Par exemple dans la délétion 1p 3.6 des troubles du sommeil vont exalter la férocité de réactions agressives dues à des liens fusionnels établis dans la famille.6 Par exemple, dans l’anomalie du chromosome 15 du Prader Willi, des tendances affabulatrices innées peuvent plus tard frayer un chemin à une activité délirante paranoïde, si l’étayage de la vérité sur des incidents de la vie par l’entourage familial ou institutionnel est défaillant. Par exemple, dans l’X fragile, la mauvaise image de soi favorise des expressions névrotiques et des dépressions. Des gestuelles incontrôlées (dues à la maladie génétique) vécues comme dégradantes sont camouflées par des scénarios théâtralisés de déchéance, voire par des conduites agressives ressenties comme moins honteuses, plus valorisantes. 3 CFTMEA : Classification Française des Troubles Mentaux des Enfants et des Adolescents 4 Nombre d’ « X fragile » méconnus sont classés ainsi dans les IME, alors que ce diagnostic génétique est des plus faciles à établir. De plus, plusieurs cas existent soit dans les fratries soit chez les cousins, ce qui ne saurait échapper aux équipes. 5 En 1998, notre programme de dépistage de maladies génétiques (conjoint avec le département de génétique de l’ Hôpital Necker) a établi un pourcentage de diagnostics de 17 %. Après 15 ans, en 2013, il est à 25%. De deux ans en deux ans, les techniques progressent pour le dépistage des maladies orphelines, et les diagnostics étiologiques suivent cette évolution. 6 Assouline
M. "Autisme et formes syndromiques, arbre diagnostique et traitements (À
propos d’un cas de «délétion 1p 3, 6)" Nervure 2008 VOL 21 n° 7 SUPPL 11-14
2 Par exemple, dans les syndromes autistiques liés à des maladies génétiques, on observe que les composantes hystériques de troubles du comportement liés à l’émergence contrariée de la sexualité sont fréquentes. Ce ne sont ici que quelques exemples de symptômes qui sont fréquemment rattachés à d’autres registres. Sans cette restructuration de l’approche clinique liée à la génétique, des psychanalystes auraient-­‐ils osé parler de névrose pour ces personnes auparavant globalement taxées de « psychotiques » ? (et encore sont-­‐ils encore rares les cliniciens qui le font 7). L’apport de la psychologie piagétienne moderne (le corpus du suisse André Bullinger)8 et la compréhension des déséquilibres sensori-­‐moteurs si variés et si caractéristiques de ces personnes est essentiel pour la rénovation de la clinique. Il montre comment les failles de la régulation tonico-­‐ émotionnelle, dans l’ enfance ou dans le présent de l’adolescent et de l’adulte, génèrent des troubles des conduites, permanents (dans le développement) ou conjoncturels. Ces failles existent quelques soient les niveaux intellectuels associés à l’autisme, chez les plus déficitaires comme chez les personnes avec un haut niveau ou dans les syndromes d’ Asperger. Auparavant prédominait à l’inverse cette idée qu’ une «souffrance psychique » était toujours le primum movens pour la plupart des blocages y compris s’ils étaient physiques. Cette représentation des troubles du développement, encore majoritaire il y a peu, est maintenant révisée par toutes les disciplines de manière convergente. Les psychanalystes Pierre Delion et Genevieve Haag, ainsi que M-­‐F Livoir – Petersen y contribuent en y ajoutant leurs propres expériences et visions. L’apport du cognitivisme moderne (notamment le corpus de Laurent Mottron9) permet de comprendre comment par exemple une personne subit l’emprise de séquences de pensées ou de séquences d’actions déjà connues et qui doivent être réalisées derechef avant d’amorcer des conduites nouvelles ou adaptées ; les difficultés à circuler simultanément dans plusieurs séquences de pensée, d’action, et d’émotions ; la concentration de ces personnes difficile à détourner ; les gênes intellectuelles et physiques ressenties lors des interactions avec les autres, etc. Dans certains cas, le cognitivisme nous permet aussi de comprendre que le langage peut être un leurre qui crée des relations pathologiques avec l’entourage, et que certains autistes « verbaux » ont des conduites plus adaptées s’ils sont assistées comme des non verbaux. Là encore, ce ne sont que quelques exemples de difficultés : elles sont mentionnées ici car elles sont souvent attribués à d’autres dimensions psychologiques, plus communes. 2. Plusieurs registres cliniques sont en cause dans une seule crise : Il existe nombre de troubles du comportement « simples », qui génèrent ce qu’on appelle maintenant des « comportements problèmes » ou « comportement défis ». Souvent, ce sont 7 Lapuyade S. "Génétique et psychanalyse des personnes avec autisme" Nervure 2008 VOL 21 n° 7 SUPPL 3-­‐5 8 Bullinger
A. Le développement sensori-moteur de l'enfant et ses avatars : Un
parcours de recherche après Piaget, Toulouse, Eres, 2013 (1ère édition 2004)
9 Mottron L. Autisme : une autre intelligence. Bruxelles, Madraga 2004 3 des réactions à des causes uniques mais enfouies : séquences de repérage cognitif tyranniques pour le sujet et mal respectées par l’entourage, troubles sensoriels méconnus, douleurs d’origines variées, autres troubles somatiques non détectés, effets secondaires de médicaments psychotropes, etc. Ils peuvent faire basculer une personne autiste dans le statut de « Situation Complexe »10 si on n’en détecte pas la cause suffisamment tôt ou si on ne connaît pas certains accompagnements comportementaux simplissimes (ou si on se refuse à en user) comme des repérages visuels (avec des pictogrammes) des repérages temporels (avec des « time timers », etc.). Mais des troubles du comportement plurifactoriels mettent en difficulté les services les plus experts, « psychodynamiques » ou « comportementalistes ». Aujourd’hui, quand nous discutons de séquences d’auto agression ou d’hétéro agression qui sont pour une grande part les causes de l’exclusion sociale aggravée de ces jeunes, il nous faut toujours distinguer les registres convoqués et cumulés dans cette violence. Prenons comme paradigme la situation de Paulette. Ce sont une demi-­‐douzaine de synthèses en un an, et autant ou plus de réunions avec les parents, qui permettent de discriminer chez elle les composants des crises, leur succession éventuelle, ou leur convergence, ou leur enchainement, ou leur fusion ; de mettre en regard les conduites éducatives et soignantes appropriées, ce qui atteint des niveaux de complexité bien plus grands que dans nos synthèses d’il y a dix ans. Par exemple : 1. Les perturbations des séquences d’action quotidiennes et le défaut d’anticipation par l’ entourage des contraintes autistiques cognitives (ce qui implique que les entourages familiaux et institutionnels aménagent l’environnement et s’ « adaptent » à ces contraintes) 2. Une intolérance à la frustration, renforcée par la compréhension qu’un nouveau rapport de force physique, avec la montée en puissance de son adolescence, lui est physiquement favorable (ce qui implique des précisions dans la pédagogie relationnelle familiale et institutionnelle avec des positionnements psychologiques raffermis) 3. Une dimension abandonnique avec des réactions caractérielles paradoxales (ce qui implique au contraire du positionnement précédent une certaine tolérance de conduites « asociales » et une attention à valoriser le sujet) 4. La naissance d’un élan et d’un attachement amoureux (ce qui implique l’aménagement institutionnel des interactions entre pairs) 5. Une excitation sexuelle incompréhensible pour elle avec des attouchements masturbatoires plus ou moins contenus (ce qui implique des aménagements de l’environnement architectural en famille et dans l’ institution, des groupes de parole appropriés, des entretiens).
6. Pendant la crise elle-­‐même, des conduites archaïques sont réactivées soudainement, avec des agrippements manuels ou oraux (pincements et morsures) dans son «espace de préhension » (ce qui implique des techniques d’apaisement en enveloppement par l’arrière 10 “Situation Complexe en Autisme et Troubles Envahissants du Développement » (SCATED) : cette formule retenue par le SROS 3 de 2005 désigne les multiples situations d’autisme qui dépassent les capacités de traitement et d’accueil de structures spécialisées en autisme. Elles nécessitent l’intervention d’un dispositif spécial (qui existe en Ile de France) de 3 Unités Mobiles Interdépartementales (UMI) créées en 2010, et de l’ Unité Sanitaire Interdépartementale d’ Accueil Temporaire d’ Urgence (USIDATU) créée en 2012 à la Salpêtrière. 4 pour créer des appuis-­‐dos et rétablir un équilibre sensori-­‐moteur perdu). 7. Pendant la crise se combinent à ces conduites archaïques des réactions trompeuses de niveau supérieur, « surmoïques ». Des pleurs de culpabilité ou même des demandes d’excuses s’expriment en même temps que les agressions (ce qui implique de prendre aussi une attitude consolante).11 La plupart de ces registres sont en cause lors de « crises» chez de nombreux adolescents et jeunes adultes. Certes ils sont configurés singulièrement chez chacun d’eux, car il y aura deux ou trois séquences de plus ou de moins suivant les personnes, que ce soit des garçons ou des filles. Le repérage des symptômes résulte moins de l’observation directe que du recueil des signes par les parents et par les intervenants institutionnels, dans le feu même de leur assistance ou de leur contention. Ce sont eux qui rapportent les faits, les contextes, leurs intuitions, leur empathie, leur subtilité d’appréciation comme leurs préjugés, dans un mélanges d’émotions vives et de détresse, avec tout le poids de leurs blessures psychologiques et parfois physiques. Cet ensemble est donc traité en différé. Ce sont les ajustements de l’accompagnement, la synchronie et la diachronie des gestes et des paroles des encadrants qui seront le facteur majeur de l’apaisement, auxquels il peut être utile d’ajouter un calmant finement dosé (et non des cocktails de médications abrutissants). Ainsi voit-­‐on comment la clinique du sujet bénéficie maintenant d’apports multiples, dont ceux des parents. Elle redistribue les causes et les effets : cognitifs, sensori-­‐moteurs, psychologiques, éducatifs, pédagogiques, infirmiers, sociaux, culturels, psychiatriques, etc. Tous contribuent à nos synthèses et nulle suprématie psychiatrique ou psychanalytique, conjointe ou disjointe, n’est pertinente. Si une consultation ou un entretien sont trop espacés ou trop rapides, si des commentaires sont trop théoriques, ils écraseront les registres utiles concernés en une bouillie pseudo-­‐clinique inutile. En revanche la capacité de fédérer les observations, de hiérarchiser les niveaux et les registres pour coordonner les actions thérapeutiques, éducatives et sociales est indispensable. La formation psychiatrique et celle d’ approches psychologiques, y compris la psychanalyse, pourraient aiguiser cette capacité que tout membre d’une équipe pluridisciplinaire doit vouloir acquérir, mais elles n’en ont pas le monopole. 3. Exemples de suprémacisme de la psychanalyse sur la clinique On ne peut nier que la « suprématie » psychanalytique sur la clinique ait produit nombre d’absurdités théoriques et pratiques.12 11 Assouline M. « Rencontre de la sexualité et de déficits sensorimoteurs et cognitifs (un
profil à risque)». Psychiatrie Française 2013 Vol XXXXXIII Autismes II.
n°3/12.
12 Dans des nouveaux centres comportementalistes, un suprémacisme similaire est en train de naître, avec son lot d’idioties, exalté par la campagne sur les « méthodes qui marchent ». Et renaît aussi de ce côté là une culpabilisation des parents : des professionnels et des parents administrateurs de centres, en rang d’oignons (comme naguère psychanalystes et infirmières psychiatriques devant les parents apeurés d’un enfant difficile), les sermonnent car ils n’appliquent pas à la maison « les bonnes 5 Souvent, c’est une divergence quant aux rapports entre la clinique et l’action accompagnante qui furent une source de conflits ouverts ou rentrés de la psychanalyse avec la psychiatrie, et au delà avec les équipes pluridisciplinaires. Pour certains psychanalystes, la matrice du soin est que le sujet souffrant se saisisse lui-­‐
même de l’élaboration issue du transfert entre le thérapeute (et par extension l’institution) et lui. C’est au sujet de transformer lui-­‐même sa vie insatisfaisante. On voit d’ou vient le concept ancien d’ « attente de l’émergence du désir » des autistes, qui fut une projection grossière de ce principe. Il est maintenant déclaré définitivement périmé tant il a été détesté, mais il en reste des séquelles plus subtiles. Par exemple, considérer avec hauteur que relève d’une idéologie « comportementaliste » et « anti thérapeutique » ce que les équipes ou les parents réclament : que soient accompagnés, dans l’ici et maintenant, dans le quotidien, les troubles du sommeil, de l’hygiène, des conduites sexuelles, les comportements violents, etc. 13 Prenons le cas de Charles : Il arriva dans un de nos Hôpitaux de Jour à 15 ans sans avoir acquis la propreté. Pour ce faire, l’équipe (ses éducateurs, psychologues, infirmiers, psychiatre, deux par deux et à tour de rôle) lui donna un bain chaque matin afin qu’il défèque dans l’eau. Il apprit peu à peu de cette forme d’action sur ses enveloppes sensorimotrices tactiles et proprioceptives dysfonctionnelles : il apprit de l’eau, de l’attention et de la parole dite sur ses sensations, du séchage et de l’accompagnement à la détente. Il apprit aussi de l’activité sociale consistant à transporter les selles (épuisette et seau) aux toilettes. Il apprit à repérer ce qui se passait en lui et à accéder à une certaine exigence de la vie familiale et collective. Il apprit encore de lui même à stimuler avec son doigt un reflexe local (de son anus à la moelle épinière) pour l’exonération volontaire, comme le font en rééducation fonctionnelle les paraplégiques privés de certaines connexions avec le cerveau. Plus tard, une exploration génétique avancée montra que son autisme résultait d’une « délétion interstitielle 19 qter » (une anomalie rarissime) qui sans doute était responsable d’un trouble de la conduction nerveuse. Mais avant cela, nous allâmes modestement rencontrer une équipe d’un Hôpital de Jour pour enfants petits qui avait beaucoup de psychomotriciens et d’activités d’eau, et donc a priori une expérience plus large et plus précoce que la nôtre pour ce type d’apprentissage. Notre surprise fut grande de ce que pas un seul parmi eux ne s’exprima sur le sujet et que, en fin de compte, le seul écho, consternant, à cette expérience fut celui du psychiatre psychanalyste de cette équipe qui nous concéda : « Vous avez réussi à faire accéder ce jeune à l’érotisme anal »… 14 Un autre exemple est celui d’Henri : Il nous fut adressé à l’adolescence par un centre féru de psychanalyse à cause de méthodes ». Et de ce fait elles échoueraient dans l’institution… Rien de nouveau pour justifier l’exclusion d’enfants et de jeunes. 13 Par exemple, comme je préconise dans les syntheses une clinique pour l’action plutôt qu’une clinique contemplative, qui ne servirait pas l’accompagnement, certains collègues psychanalystes la refusent considérant qu’elle est dénaturée par une intention « corrective » et de ce fait « comportementaliste ». 14 Il n’est pas étonnant donc qu’à la pause, des psychomotriciens de cette équipe nous ait demandé en riant s’il n’ y avait pas un ou deux postes pour eux dans notre centre… 6 l’apparition de troubles du comportement sévères (fugues nombreuses accompagnés d’un délire hypocondriaque). Le diagnostic d’alors était celui de « psychose hystérique due à un antagonisme entre les parents ». Dans notre hôpital de jour, nous observâmes que des troubles de l’équilibre apparaissaient et des explorations somatiques poussées obtinrent un autre diagnostic, neurologique cette fois, celui de « gangliosidose à GM2 » ou « maladie de Tay Sachs forme adulte ». Cette anomalie génétique très rare le rendit peu à peu grabataire et finit par l’emporter des années plus tard ainsi que deux de ses frères (trois garçons dans une fratrie de quatre). On voit là encore que l’expression psychiatrique d’une anomalie génétique qui troublait le corps et l’esprit d’ un adolescent ne devrait pas faire divaguer des équipes. Mais une fois résolu ce conflit des regards sur une situation complexe, c’est quand même la psychiatrie qui l’accompagna jusqu’à la fin en organisant la synergie des segments de compétences utiles venues de différents services. Dans ces exemples, les discours contraires aux approches plurielles sont choquants mais ils ne représentent pas tout l’apport de la psychanalyse à l’accompagnement de l’autisme. Ce sont ses déviations dogmatiques, celles qui affirment qu’ « il n’ y a de clinique que psychanalytique », et qui de ce fait s’égarent. Mais ce sont des exemples significatifs d’un suprémacisme dont on ne doit pas nier qu’il existe encore. Imagine-­‐t-­‐on ce qu’ont pu ressentir nombre de parents qui ont vécu en première ligne ces discours, qui en ont eu des échos, ou qui en ont été les victimes indirectes ? Ou ce que ressentent nombre de psychanalystes qui ont partagé avec les équipes multipolaires et les familles l’accompagnement de Charles ou d’ Henri ? Une solidarité de caste a empêché d’éminents représentants de la psychanalyse de délimiter des concepts et actions pertinents dans l’autisme de ces expressions vulgaires et violentes. Il s’est répandu qu’elles étaient la règle et toute leur discipline en a été entachée. Il leur revient d’aller au bout d’une clarification pour que les familles et la société retrouvent confiance en elle. La première et la plus importante est d’établir une séparation nette du discours qui se rapporte à la psychothérapie individuelle d’une personne autiste quand il y en a une – ici, le psychanalyste à sa liberté d’ interprétation, qui s’exerce entre entre lui, le sujet et ses tuteurs éventuels -­‐ et un discours qui doit se fédérer à une clinique multipolaire. Quand un psychanalyste applique à toutes les dimensions de la vie d’une personne ses propres prétentions conceptuelles, c’est avec une loupe déformante et des zones aveugles qu’il agresse et humilie le sujet, sa famille et ses collègues. 4. Exemple de l’importance de fédérer des apports cliniques variés . Voyons maintenant un exemple fréquent de situation clinique d’apparence hermétique qui nécessite de « fédérer » les apports de services de spécialités différentes : Le jeune Zac, 11 ans, a un autisme associé a une épilepsie, et il est progressivement extrait des activités de son SESSAD pour rester au domicile car il est entré dans une agitation extrême jour et nuit. Il ne dort plus depuis des semaines, entraînant ses deux parents dans une spirale d’épuisement, d’absentéisme au travail, de délaissement des autres enfants, jusqu’à ce qu’un « suicide altruiste » menace cette famille. Plusieurs services somatiques réputés pour leur excellence sont mobilisés (neurologie et génétique notamment) ainsi qu’en urgence les laboratoires de médecine exploratoire. Devant des résultats tous négatifs, tous les services 7 somatiques en arrivent à cette conclusion par défaut que c’est son autisme qui est la cause des troubles du comportement et que c’est la pédopsychiatrie qui doit trouver la solution. Il reviendra paradoxalement à celle-­‐ci de découvrir, après ces impasses, en croisant toutes les liaisons entre les services et avec la famille qu’une migraine cachée et une otite chronique refroidie sont la causes de douleurs surtout nocturnes, dont le traitement immédiat amènera au retour à la normale. 5. En conclusion : délimiter son champ de compétences et le fédérer avec les autres apports, au service de la complexité de l’ autisme. Dans les dernières années, la psychiatrie et la psychanalyse, parfois conjointes, parfois rivales, ont perdu leur « suprématie » sur le discours relatif à l’autisme. Des approches comportementalistes ont gagné une reconnaissance dans de nombreux services. Quand les prises en charge sont actives, la combinaison des approches tend à devenir la règle, surtout si des troubles du comportement apparaissent. Cependant nombre d’équipes travaillent aujourd’hui dans la tension, la perplexité, voire la crainte. Elles se sentent menacées par des déclarations ou des textes dont les sources sont variées (HAS, ministres, administrations) et qui leurs assénées comme des injonctions par des intermédiaires interessés (associations, professionnels rivaux, petits bureaucrates). Malgré les facteurs d’usure que sont les conflits inutiles et la méfiance entre partenaires, la psychiatrie et la psychanalyse, séparément ou ensemble, ne devraient pas renoncer à aider les autistes et TED. 1. Elles ont chacune leur corpus de connaissance et d’action pour l’autisme, qui devient plus précis et qui s’enrichit quand il est confronté aux apports des autres disciplines. Je n’en ai donné que des exemples bien modestes. L’extension de ce champ d’exploration clinique est devant nous, immense. 2. Leurs contributions respectives peuvent être séparées dans certains cas, ou conjointes dans d’autres, peu importe : leur pertinence doit être jugée à l’aune des « conduites à tenir » utiles, de l’intégration de ces composantes thérapeutiques au projet global et intégré pour la personne. 3. De plus, il est devenu indispensable de fédérer (non pas de s’approprier, de dominer ou de soumettre) les observations des autres disciplines du plateau technique. C’est nécessaire pour les synthèses à l’intérieur des unités (pour chaque centre spécialisé en autisme) mais aussi pour les observations interservices, sans quoi les équipes ne peuvent accéder à la complexité de la clinique tant les regards sollicités sont multiples. La psychiatrie qui est elle-­‐même au carrefour de plusieurs formations est sans doute bien préparée à jouer ce rôle, au moins à l’apprendre. En son absence (car il y a de moins en moins de psychiatres) ce sont d’autres catégories professionnelles qui doivent s’y atteler. La qualité et la continuité de l’action soignante, éducative, médico-­‐sociale et sociale, y compris scolaire, en dépendra. M.A. 29/03/2014 8 9