Une cause de méningite récurrente chez un enfant

Download Report

Transcript Une cause de méningite récurrente chez un enfant

J Radiol 2008;89:60-3
© Éditions Françaises de Radiologie, Paris, 2008
Édité par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés
fait clinique
orl
Une cause de méningite récurrente
chez un enfant : la dysplasie cochléaire
C Hafsa (1), S Kriaa (1), S Jerbi Ommezine (2), N Ben Achour (1), R Salem (1), M Golli (1), J Koubaa (3),
A Gassab (3) et A Gannouni (1)
es malformations congénitales du labyrinthe osseux sont rares (1). Elles
sont à l’origine des surdités dans
20 % des cas chez l’enfant (2). Un des
modes de révélation de cette pathologie
est la méningite récurrente. À propos
d’un cas de dysplasie cochléaire associée à
un Gusher qui s’est manifesté par des méningites récidivantes, nous revoyons la
place de la tomodensitométrie en haute
résolution dans le diagnostic de ces malformations.
L
Observation
Un enfant âgé de 3 ans a été hospitalisé
pour une méningite bactérienne. L’interrogatoire trouvait une surdité bilatérale
avec trois hospitalisations pour méningite. Les potentiels auditifs provoqués
(P.E.A) ont conclu à une surdité de perception profonde bilatérale endocochléaire. Un examen tomodensitométrique en
haute résolution des rochers a été pratiqué à la recherche d’une étiologie de cette
surdité.
L’examen tomodensitométrique (TDM)
montrait une malformation bilatérale et
symétrique associant une cochlée incomplète (11/2 de spire) selon la classification
de Jackler, avec une déhiscence du fond
du conduit auditif interne (CAI) témoignant d’une oreille Geyser (fig. 1). Ceci
est associé à une malformation labyrinthique postérieure bilatérale qui comprend
une dilatation du vestibule et des canaux
semi-circulaires (fig. 2). On notait également une ostéosclérose cochléaire plus
marquée à gauche en rapport avec des lésions de labyrinthite ossifiante qui témoigne des antécédents de méningite (fig. 3).
L’aqueduc vestibulaire était normal. Le
diagnostic retenu est celui d’une malfor-
(1) Service d’Imagerie Médicale, CHU Fattouma Bourguiba, Monastir, Tunisie. (2) Service d’Imagerie Médicale, CHU Taher Sfar, Mehdia, Tunisie. (3) Service
d’ORL, CHU Fattouma Bourguiba, Monastir, Tunisie.
Correspondance : C Hafsa
E-mail : [email protected]
mation bilatérale du labyrinthe osseux
qui est la dysplasie cochléaire de type cochlée incomplète selon la classification de
Jackler associée à un Gusher et à une labyrinthite ossifiante. L’évolution de la
méningite était favorable sous antibiothérapie intraveineuse par amoxicilline
(200 mg/kg/j) et l’enfant a été opéré de
l’oreille gauche un mois après son hospitalisation. L’exploration chirurgicale a trouvé une fuite du liquide cérébro-rachidien
(LCR) localisée au niveau de la fenêtre
ovale avec une fistule platinaire. L’étanchéité a été obtenue par comblement de la
fistule par du tissu musculaire. L’enfant
est actuellement âgé de 5 ans et n’a plus présenté de méningite bactérienne.
Discussion
Décrite pour la première fois par Carlo
Mondini en 1791, cette forme de dysplasie
est la plus fréquente et la moins sévère des
malformations cochléaires radiologiquement décelables (3). La description initiale
consistait en une dysplasie de la cochlée
réalisant un tour et demi de spire, comportant ainsi un tour basal normal et un apex
kystique, associée à un vestibule élargi et à
des canaux semi-circulaires normaux.
L’aqueduc du vestibule était dilaté (3).
La plupart des auteurs qualifient la dysplasie cochléaire, une anomalie du labyrinthe osseux et membraneux détectable
en imagerie (TDM et/ou IRM), associant
à des degrés divers : une cochlée avec réduction du nombre de tours de spire, une
dilatation du vestibule avec ou sans anomalie des canaux semi-circulaires et une
dilatation ou non de l’aqueduc du vestibule (3). Certains auteurs, en revanche,
sont restés restrictifs, réservant ce terme
de dysplasie de Mondini à la seule malformation décrite par Mondini en 1791.
Cette discordance est responsable d’une
confusion et d’une contradiction entre les
différentes observations rapportées dans la
littérature (4). En 1987, Jackler et al
avaient rapporté deux formes de cochlée
incomplète à savoir la forme sévère et la
forme modérée mais sans préciser leur
particularité (5). Récemment et avec le
développement de la chirurgie d’implantation cochléaire, ces formes de cochlée
incomplète ont été décrites sous des termes divers selon les auteurs (2) :
– la dysplasie de type pseudo-Mondini
(cochlée vésicule unique non segmentaire)
et de type Mondini (11/2 de spire) par
Phelps ;
– « Incomplete partition type I (IP-I) »
(cochlée vésicule unique non segmentaire)
et « incomplete partition type II (IP-II) »
(11/2 de spire) par Sennaroglu.
Dans notre observation la cochlée était
réduite à un tour basal avec un apex kystique dépourvu de lame spirale. Cette
malformation est classée en cochlée incomplète selon Jackler, en dysplasie de
type Mondini selon Phelps et en « IP-II »
selon Sennaroglu.
Sur le plan physiopathologique, la cochlée incomplète peut être considérée
comme une anomalie par arrêt du développement vers la 7e semaine de la vie fœtale, réaction non spécifique à un grand
nombre de stimuli soit endogènes soit
exogènes (rubéole, thalidomide) (6). La
vascularisation plus fragile au niveau de
l’apex cochléaire par rapport à celle de la
spire basale expliquerait, pour certains
auteurs, que cette partie de la cochlée soit
électivement atteinte durant le développement embryonnaire (6, 7). Des communications entre les espaces sous arachnoïdiens et
le liquide périlymphatique sont possibles
à partir notamment d’une perméabilité
anormale du fond du méat acoustique interne, permettant au liquide céphalorachidien de pénétrer dans l’oreille interne
réalisant l’oreille geyser. Les méningites
peuvent survenir en cas de fistule platinaire associée (8). Les modiolus anormalement larges sont des malformations à
risque de fistule périlymphatique et de
méningites à répétition. L’originalité de
notre observation est qu’elle a regroupé
toutes ces anomalies à risque de méningite.
La cochlée incomplète peut être uni ou
bilatérale, spontanée ou héréditaire de
transmission autosomique dominante ou
C Hafsa et al.
Une cause de méningite récurrente chez un enfant : la
dysplasie cochléaire
61
a b
Fig. 1 :
a
b
c
d
e
f
TDM : cochlée incomplète communiquant avec le fond du CAI.
c d
Coupe axiale de l’oreille droite : un tour basal (flèche).
e f
Coupe axiale de l’oreille gauche : un tour basal (flèche).
Coupe axiale de l’oreille droite : vésicule cochléo-vestibulaire (large et fine flèches).
Coupe axiale de l’oreille gauche : vésicule cochléo-vestibulaire (large et fine flèches).
Coupe coronale de l’oreille gauche : communication entre le CAI et la vésicule chocléo-vestibulaire (flèche).
Coupe coronale de l’oreille droite : communication entre le CAI (tête de flèche) et la vésicule cochléo-vestibulaire (large et fine flèches).
récessive. Elle peut s’associer à diverses
malformations : le syndrome de Wildervanck, le syndrome de Klippel-Feil, le
syndrome de Pendred, le syndrome de DiGeorges, et le syndrome de Duane (1, 2, 9).
La symptomatologie clinique consiste en
une surdité de perception (8), plus rareJ Radiol 2008;89
ment, une otorrhée spontanée et/ou par
des méningites récurrentes. Le germe isolé par la ponction lombaire est identique à
celui retrouvé dans l’otorrhée et l’examen
cytochimique confirme sa nature cérébrospinale (6). Les P.E.A font partie intégrante de l’examen d’une surdité de l’en-
fant ; ils concluent à une surdité de
perception endocochléaire qui peut être
uni ou bilatérale.
L’examen tomodensitométrique en haute
résolution permet de poser le diagnostic
(8). Les coupes axiales et frontales permettent d’apprécier la taille de la cochlée
62
Une cause de méningite récurrente chez un enfant : la
dysplasie cochléaire
C Hafsa et al.
a b
Fig. 2 :
a
b
TDM coronale : dilatation du vestibule (large flèche) et des canaux semi-circulaires supérieur et latéral (petite flèche).
Oreille droite
Oreille gauche
Fig. 3 :
TDM axiale (a) et coronale (b) : Labyrinthite ossifiante prédominante à gauche (flèche).
a b
et le nombre de spires en particulier par
des reconstructions obliques dans l’axe du
tour basal. Ce plan de coupe est le plus
sensible pour évaluer l’aspect du premier
tour de la cochlée (3, 9). En TDM, l’aspect
est celui d’une cochlée incomplète avec un
tour basal normal et un apex kystique, associée à un vestibule dilaté (10). Une fistule trans-labyrinthique doit être recherchée et qui serait la cause des méningites
récurrentes. Le comblement de l’oreille
moyenne, la déhiscence du fond du CAI
ou la dilatation de l’aqueduc de la cochlée
et l’élargissement de la portion labyrinthique du canal facial font suspecter une
fistule trans-labyrinthique (1).
La réalisation d’une IRM n’est pas systématique dans les anomalies du labyrinthe osseux. Son intérêt réside dans le bilan pour
implantation afin d’identifier le nerf cochléaire qui peut être absent dans certains
cas de dysplasie cochléaire. L’IRM permet
de faire le diagnostic des fistules trans-labyrinthiques surtout sur les séquences 3D
FSE T2 ou 3D FIESTA en montrant le
passage du LCR dans le CAI et l’oreille
moyenne à travers la fenêtre ovale (6).
Le traitement chirurgical est indispensable afin d’éviter la survenue de labyrinthite ossifiante et des complications infectieuses graves telles que les méningites
qui peuvent mettre en jeu le pronostic vital. Il consiste en un comblement transtympanique de la fistule par du muscle
(6).
En conclusion, à la lumière de cette observation, la dysplasie cochléaire avec une
fistule trans-labyrinthique est à rechercher devant des méningites récurrentes
chez l’enfant en particulier si elles s’associent à une otorrhée spontanée du LCR.
Le diagnostic de la dysplasie cochléaire
est du ressort de la TDM en haute résolution qui constitue la technique de choix
dans l’exploration du labyrinthe osseux.
L’IRM est indispensable pour la recherche
d’une fistule trans-labyrinthique et pour
le bilan pré-implantation.
Remerciements
Les auteurs remercient le Dr ElmalehBerges Monique (Imagerie Pédiatrique,
Hôpital Robert Debré) pour son aide
précieuse dans l’élaboration du diagnostic.
Références
1.
2.
Louaib D, François M, Coderc E et al. Méningite à pneumocoque révélatrice d’une
dysplasie du labyrinthe osseux chez un
nourrisson. Arch Pédiatr 1996;3:254-7.
Sennaroglu L, Saatci I. A new classification for cochleovestibular malformations.
Laryngoscope 2002;112:2230-41.
J Radiol 2008;89
C Hafsa et al.
3.
4.
5.
Veillon F. Malformations de l’os temporal. Imagerie de l’oreille. Flammarion,
édit., Paris, 1991:203-42.
William WM. What is a Mondini and
what difference does a name make?
AJNR Am J Neuroradiol 1999;20:14424.
Gussen R. The endolymphatic sac in the
Mondini disorder. Arch Otorhinolaryngol 1985;242:71-6.
J Radiol 2008;89
Une cause de méningite récurrente chez un enfant : la
dysplasie cochléaire
6.
7.
8.
Herther C, Schindler RA. Mondini’s dysplasia with recurrent meningitis. Laryngoscope 1985;95:655-8.
Kriaa S, Elmaleh M, François M. Syndrome de Duane et malformation labyrinthique. La lettre d’Oto-rhino-laryngologie
et de chirurgie cervico-faciale 2000;9:256.
Elmaleh-bergès M, Van Den Abbeele T.
Le sourd est un enfant : qu’est-ce que ça
63
change Anatomie, pathologie, prise en
charge. J Radiol 2006;87:1795-812.
9. Jackler Rk, Luxford WM, House WF.
Congenital malformations of the inner
ear: a classification based on embryogenesis. Laryngoscope 1987;97:2-14.
10. Syal R, Tyagi I, Goyal A. Cerebrospinal
fluid otorhinorrhea due to cochlear dysplasias. Int J Pediatr Otorhinolaryngol
2005;69:983-8.