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Journal français d’ophtalmologie (2014) 37, e141—e143
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ScienceDirect
www.sciencedirect.com
LETTRE À L’ÉDITEUR
Perforation cornéenne bilatérale
spontanée chez un nourrisson
immunodéprimé au VIH : à propos
d’un cas夽
Spontaneous bilateral corneal perforation in an
immunocompromised infant with HIV: A case report
Introduction
D’après l’Organisation mondiale de la santé, les cicatrices
cornéennes représentaient 5 à 20 % de toutes les cécités
dans les pays en développement en 2004 [1]. Au Cameroun,
les atteintes cornéennes représentent 5,5 % des causes de
cécité chez l’enfant de 0 à 5 ans en 2010 par Bella et al.
[2]. Les causes de cécité cornéennes bilatérales sont : le
trachome, le déficit en vitamine A, l’ophtalmie néonatale
et les infections. Le virus de l’immunodéficience est également un facteur de risque de survenue des ulcérations
cornéennes et représente 237,8/100 000 personnes par an
aux États-Unis par Dosa en 2003 [3]. Des cas isolés de perforations cornéennes sur terrain immunodéprimé au VIH ont
été décrits dans la littérature par Raina et al. en 2004 [4] et
Papathanassiou et al. en 2010 [5]. Les atteintes cornéennes
bilatérales peuvent-elles être classifiées comme facteur de
gravité de l’immunodépression au VIH ? Nous rapportons un
cas de perforation cornéenne bilatérale chez un nourrisson
immunodéprimé au VIH.
Observation
Un nourrisson de 13 mois de sexe masculin a été emmené
en consultation pour tuméfactions et sécrétions purulentes
oculaires bilatérales associées à un œdème palpébral évoluant depuis un mois. Le diagnostic de conjonctivite a
été posé. Le traitement initial a consisté à une administration de Ciloxan® collyre : 1 goutte × 6 par jour dans
les 2 yeux pendant 7 jours. L’évolution a été marquée par
une éruption cutanée généralisée étiquetée rougeole et la
persistance de la symptomatologie oculaire avec administration de Cebemyxine® collyre : 1 goutte × 3 par jour dans
夽
Texte issu d’une communication orale lors du 119e congrès de la
Société française d’ophtalmologie, en mai 2013.
http://dx.doi.org/10.1016/j.jfo.2014.02.014
0181-5512/© 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
les 2 yeux (3 boîtes) sans amélioration. L’interrogatoire ne
retrouve pas d’instillation locale ni d’ingestion de médicaments traditionnels.
Dans ses antécédents, on retrouvait une mère jeune
(19 ans), 4e épouse d’un chauffeur de taxi camerounais à
Libreville, avec sérologie HIV négative au 2e trimestre de
cette grossesse sans notion de sérologie TORCH réalisée.
C’est le premier et unique enfant, dont le poids de naissance
était de 3500 g ; il a été allaité exclusivement jusqu’à 5 mois
et la diversification a débuté à cet âge avec des bouillies
enrichies au soja. Le développement psychomoteur est normal pour l’âge. Les vaccins sont à jour suivant le programme
élargi de vaccination (PEV) dont le vaccin antirougeole.
L’examen ophtalmologique retrouvait une absence de
poursuite lumineuse bilatérale avec une perforation cornéenne temporo-inférieure oculaire droite et hernie de
l’iris, avec un signe de Seidel positif. À l’œil gauche, on
objectivait un abcès cornéen central avec « leaking descemetocele » et un pannus sur 360◦ (Fig. 1).
L’examen général réalisé par le pédiatre retrouvait une
malnutrition protéinoénergétique légère avec un poids à
8,850 kg et une taille à 72 cm, un périmètre brachial à
13,5 cm, un périmètre crânien à 45 cm. Il ne présentait pas
de fièvre (température à 37,5 ◦ C) mais une asthénie et un
refus de s’alimenter sauf pour le lait maternel. Le muguet
buccal, l’érythème fessier et les anomalies oculaires étaient
les seuls signes positifs de l’examen physique.
Le diagnostic positif de perforation cornéenne bilatérale
et candidose buccale sur terrain immunodéprimé probable
au VIH a été posé. L’étiologie pouvait être une kératite
d’origine infectieuse, toxique (médicaments traditionnels),
une avitaminose A, auto-immune (VIH). La biologie a révélé
une anémie modérée microcytaire normochrome à 9,1 g/dL,
une sérologie HIV positive, une sérologie (Ig M) rougeole
négative. La bactériologie des sécrétions oculaires a isolé
le Staphylococcus aureus.
L’échographie oculaire a révélé par ailleurs un segment postérieur normal. La prise en charge initiale a
consisté à une hospitalisation avec antibiothérapie locale
(ciprofloxacine collyre et pommade) ; une antibiothérapie
intraveineuse à large spectre (cefuroxime et gentamicine
à doses septicémiques) ; des antimycosiques (miconazole
en gel buccal) ; administration de vitamine A à dose de
200 000 UI au premier et au second jour et au quatorzième
jour. Les mesures générales étaient des soins locaux (Fig. 2)
et un gavage par sonde nasogastrique de bouillies enrichies
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Figure 1. Perforation cornéenne temporo-inférieure de l’œil
droit et abcès cornéen central gauche avec leaking descemetocele.
Figure 2. Jour 2 d’évolution avec régression des œdèmes palpébraux. Descemetocèle de l’œil droit et opacification totale de la
cornée avec descemetocèle de l’œil gauche.
au soja. Sur le plan chirurgical, un recouvrement conjonctival a été proposé.
L’évolution a été marquée par des convulsions toniques
des membres supérieurs et une raideur de la nuque avec
suspicion de méningite. La ponction lombaire n’a pas trouvé
d’argument en faveur d’une méningite : liquide clair, hématies = 5/mm3 , leucocyte = 0, recherche d’antigènes solubles
et culture négatives. Le diagnostic retenu a été celui d’une
encéphalite à VIH. L’évolution au quinzième jour retrouvait des lésions ophtalmologiques en voie de cicatrisation
avec régression de l’œdème palpébral et sortie contre avis
médical.
Discussion
Les perforations cornéennes et les descemetocèles sont des
urgences ophtalmologiques nécessitant une prise en charge
immédiate au risque de séquelles visuelles. Cette observation nous pose un double problème de diagnostic étiologique
et de prise en charge. Les étiologies de cette perforation
cornéenne bilatérale peuvent être diverses : infectieuses,
l’avitaminose A, la malnutrition, l’utilisation des médicaments traditionnels et le statut d’immunodépression à
VIH. L’hyperhémie avec injection ciliaire et la présence
de sécrétions purulentes sont en faveur d’une kératite
infectieuse d’origine bactérienne. Dans 27—55 % des cas
lorsque l’étiologie de la perforation est infectieuse, elle
est d’origine bactérienne selon Honig et Rapuano [6]. Le
Lettre à l’éditeur
grattage cornéen aurait permis d’isoler le germe dans
notre cas. L’avitaminose A par déplétion des réserves chez
ce nourrisson, et favorisée par la mère jeune, déracinée
et l’alimentation peu variée peut être à l’origine d’une
xérophtalmie. Soixante-neuf pour cent des cécités cornéennes sont dues à une xérophtalmie clinique, tel que
décrit par Foster et Sommer [7]. L’administration de la vitamine A a permis de diminuer la mortalité infantile de 23 %
[8].
L’usage des médicaments traditionnels est prépondérant
en contexte socioculturel africain et représente des voies de
propagations des microorganismes et un important facteur
de risque de cécité cornéenne dans les pays en développement avec 44 % en Tanzanie [7]. Ceci est aggravé par
le refus des patients d’admettre au premier abord leur
usage.
Le diagnostic de certitude du VIH chez ce nourrisson a
été posé devant la sérologie VIH positive et le stade III de la
classification clinique de l’OMS 2010 du sida de l’enfant. Plusieurs cas de perforations cornéennes bilatérales spontanées
stériles ont été décrits dans la littérature [4,5]. Les signes
de gravité sont l’âge, la candidose buccale, l’altération de
l’état général. Le taux de CD4 n’a pu être réalisé mais représente aussi un facteur de gravité : Papathanassiou et al. ainsi
que Raina et al. avaient respectivement retrouvé dans leurs
études un taux de CD4 moyen de 251/mm3 et de 240/mm3 .
Un mécanisme auto-immun par activation de l’immunité à
médiation cellulaire retardée serait responsable de la perforation cornéenne.
L’attitude thérapeutique dans ce cas vise à éviter
l’ensemencement et conserver le globe oculaire à travers
des moyens médicaux que sont l’antibiothérapie, les antiinflammatoires, l’administration de vitamine A et le régime
nutritionnel. Sur le plan chirurgical, la tarsorraphie externe,
le recouvrement conjonctival permettent la cicatrisation
cornéenne dans les meilleurs délais. La greffe de cornée
reste une perspective d’avenir.
Le pronostic fonctionnel est décevant. Il s’agit d’une
cécité cornéenne bilatérale avec nécessité de réhabilitation
dans les services de malvoyance, d’autant plus que 60 % des
enfants aveugles meurent moins d’un an après la survenue
de la cécité [8].
Conclusion
Les perforations cornéennes sont de diagnostic tardif et
de prise en charge complexe dans notre milieu. Devant
l’atteinte cornéenne bilatérale en contexte d’épidémie de
VIH, l’étiologie VIH doit être fortement suspectée et pourrait probablement être considérée comme un critère dans
la classification clinique au stade III de l’OMS du sida de
l’enfant.
Déclaration d’intérêts
Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflit d’intérêt en
relation avec cet article.
Références
[1] Resnikoff S, Pascolini D, Etya’ale D, Kocur I, Parajasegaram R,
Pokharel GP, et al. Global Data on visual impairment in the year
2002. Bull World Health 2004;82:844—51.
Lettre à l’éditeur
[2] Bella AL, Eballe OA, Kouam MJ. Cécité et malvoyance bilatérales de l’enfant de 0 à 5 ans à l’hôpital gynéco-obstétrique de
Yaoundé. Cah Etude Rech Francophones 2010;20:35—9.
[3] Dosa L. HIV is a risk factor for corneal ulceration. Eurotimes
2003 [serial on the Internet] http://www.escrs.org/eurotimes/
july2003/corneal ulceration
[4] Raina UK, Sharma V, Jain S, Arora R, Mehta DK. Peripheral
corneal thinning and silent corneal perforation in an HIV seropositive case. Acta Ophthalmol Scand 2004;82:246—7.
[5] Papathanassiou M, Zampeli E, Metha J, Theodossiadis P.
Unusual case of silent corneal perforation in a human immunodeficiency virus-infected patient. Clin Exp Optom 2011;94:
589—91.
[6] Honig MA, Rapuano CJ. Management of corneal perforations. In:
Krachmer JH, Mannis MJ, Holland JE, editors. Cornea: surgery
of the cornea and conjunctiva. 2005. p. 1668—84.
[7] Foster A, Sommer A. Corneal ulceration, measles and childhood blindness in Tanzania. Br J Ophthalmol 1987;71:
331—43.
[8] Clare G, Parikshit G. La cécité infantile : panorama mondial. Rev
Sante Commun 2008;5:37—9.
e143
E. Epee a , N. Kamgaing b , C. Mvilongo c,∗ ,
A. Bella d , C. Ebana e , G. Koki f , C. Emche c
a
Service d’ophtalmologie, CHU de Yaoundé,
Yaoundé, Cameroun
b Service de pédiatrie, CHU de Yaoundé, Yaoundé,
Cameroun
c Faculté de médecine et des sciences
biomédicales de l’université de Yaoundé I, BP 337,
Yaoundé Centre, Cameroun
d Service d’ophtalmologie, hôpital
gynéco-obstétrique et pédiatrique de Yaoundé,
Yaoundé, Cameroun
e Service d’ophtalmologie, hôpital central de
Yaoundé, Yaoundé, Cameroun
f Service d’ophtalmologie, hôpital militaire de
Yaoundé, Yaoundé, Cameroun
∗ Auteur
correspondant. PO BOX 14036, Yaoundé,
Cameroun.
Adresse e-mail : [email protected]
(C. Mvilongo)
Disponible sur Internet le 11 octobre 2014