Anthropocène

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L’ÉVÉNEMENT ANTHROPOCÈNE

La Terre, l’Histoire et nous

de

Christophe BONNEUIL

et

Jean-Baptiste FRESSOZ

Editions du Seuil

320 pages, Octobre 2013

Fiche de lecture Luc PIERSON

www.tbs-education.fr

Présentation des auteurs

1/2

2 • • • •

Christophe BONNEUIL

est

historien des sciences

, chargé de recherche au CNRS, et membre du Centre Alexandre Koyré (CAK) . Après des études de biologie et d’histoire, puis une thèse d’histoire des sciences, il s’intéresse plus largement aux sciences de la vie, du 19 ème siècle à aujourd’hui, ainsi qu’aux transformations des

rapports entre science, nature et société

. Il

enseigne

à l’EHESS (Ecole des hautes études en sciences sociales) depuis 1998, dans le cadre du Master « Histoire des Sciences, Technologies, Sociétés », et

dirige la collection

« Anthropocène » aux éditions du Seuil. Il a publié entre autres : • «

Une autre histoire des Trente glorieuses

» (La Découverte, 2013), avec Céline Pessis et Sezin Topçu • un manuel « Sciences, Techniques et Société » (La Découverte, Repères, 2013), avec Pierre-Benoît Joly • « Gènes, pouvoirs et profits » (Quae, 2009), avec Frédéric Thomas

Présentation des auteurs

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3 • • • •

Jean-Baptiste FRESSOZ

est historien des sciences, des techniques et de l’environnement. Il a été

maître de conférence

à l’Imperial College de Londres (Center for the History of Science, Technology and Medicine) pendant plusieurs années. Il est maintenant lui aussi

chargé de recherche

au Centre Alexandre Koyré, aussi appelé Centre de recherche en Histoire des Sciences et Techniques. Il est l’auteur de : • «

L’Apocalypse joyeuse. Une histoire du risque technologique

(Le Seuil, l’univers historique, 2012) » • « Eugène Huzar, La fin du monde par la science » (Ère, 2008)

Synthèse-résumé du livre

4 • • • • En s'appuyant sur d'abondantes références, les auteurs décrivent dans un premier temps

le concept d’« Anthropocène »

, le qualifiant plus comme un

enjeu politique

qu’une catégorie de science. Ils expliquent l’origine et la définition de ce nouveau concept comme un basculement et un point de non-retour. Ils analysent ensuite les discours des

anthropocénologues

et de ceux qui veulent « parler pour la Terre et guider l'humanité », afin de

déconstruire le récit officiel

et de pointer les risques avérés de « géocratie ». Enfin dans la troisième partie, ils

retracent l'histoire des événements

, des idées, des comportements, des choix politiques et économiques qui ont conduit l'homme, depuis plus de deux siècles à modifier en profondeur les principaux paramètres géophysiques de la planète. Ceci à travers

cinq grilles de lecture

: Thermocène, Thanatocène, Phagocène, Phronocène, Polémocène En conclusion, le livre appelle à « de nouvelles humanités environnementales concourant à

renouveler nos visions du monde

et nos façons d'habiter ensemble la Terre ».

Sommaire-plan du livre

5 Avant-propos

1

ère

partie :

Ce dont l’Anthropocène est le nom

1. Bienvenue dans l’Anthropocène 2. Penser avec Gaïa - Vers des humanités environnementales

2

ème

partie :

Parler pour la terre, guider l’humanité – Déjouer le grand récit géocratique de l’Anthropocène

3. Clio, la Terre et les

anthropocénologues

4. Le savant et l’

anthropos

3

ème

partie :

Quelles histoires pour l’Anthropocène?

5. Thermocène - une histoire politique du CO 2 6. Thanatocène - Puissance et écocide 7. Phagocène - Consommer la planète 8. Phronocène - les grammaires de la réflexivité environnementale 9. Polémocène - Objecter à l’agir anthropocénique depuis 1750

Conclusion :

Survivre et vivre à l’Anthropocène

Comment est né le concept d’Anthropocène ?

6 • • • • C’est le géochimiste et prix Nobel

Paul Crutzen

qui, dans la revue

Nature

en 2002, avance la thèse que, vapeur),

depuis deux siècles

(révolution industrielle et machine à

la Terre est entrée dans un nouvel âge marqué par la capacité de l’homme à transformer l’ensemble du système Terre.

Encore tout récemment, le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) annonçait sa certitude désormais quasi absolue - à 95% - sur l’origine humaine des changements climatiques. Le terme « Anthropocène est un

néologisme

construit à partir du grec ancien

anthropos

= « être humain » et

kainos

= « récent, nouveau », qui désigne donc une

nouvelle époque géologique

, après celle de l’Holocène, dans l’échelle des temps géologiques de la Terre. Son début se situerait symboliquement en 1784, date du brevet de Watt perfectionnant la machine à vapeur, et se caractérise principalement par l'influence de l'homme sur le système terrestre qui

devient prédominante, responsable de changement climatiques, d’extinctions et de migrations globales d'espèces

, et de modifications à grande échelle de la végétation naturelle.

Que signifie ce concept ?

7 • • • •

« Ce qui nous arrive n’est pas une crise environnementale, c’est une révolution géologique d’origine humaine. »

Depuis la

révolution thermo-industrielle

, c’est notre modèle de développement devenu insoutenable qui a

fait basculer notre planète vers un état inédit

, jusqu’alors inconnu et hautement imprédictible. L’anthropocène

n’est pas une crise passagère

, qu’on peut oublier entre deux Sommets de la Terre au nom de la « sacro-sainte croissance », mais il s’agit plutôt d’une

révolution géophysique d’origine humaine

, aussi puissante que les forces telluriques ou solaires. C’est un

point de non-retour

. Il faut donc

apprendre à y vivre et y survivre

, c’est-à dire stabiliser le système Terre dans un état habitable, soutenable et résilient, dans la diversité des cultures, la sobriété des consommations, et la limitation des interventions.

L’histoire humaine a rendez-vous avec l’histoire de la Terre

: les humains pèsent sur le devenir géologique de la planète, tandis que les ressources limitées et les processus globaux de la Terre se télescopent dans nos vies quotidiennes et la scène politique.

8

Les 24 indicateurs-clés de l’Anthropocène : tout est en hausse!

Combattre les idées reçues et le « récit officiel »

9 • • • • • • Une idée reçue est l’émergence récente de notre prétendue prise de conscience environnementale, qui oppose un

passé aveugle

(pendant deux siècles) avec un

présent clairvoyant

(toute fin du 20 ème siècle). Or c’est

historiquement faux

! Déjà au tournant des 18 ème et 19 ème siècles,

technologique étaient sources de controverses

.

l'industrialisation et le risque

Qu'il s'agisse des révolutions médicales, industrielles, chimiques - premiers vaccins, chemins de fer, électricité, pesticides - ces techniques furent rapidement à l'origine

de conflits, de doutes et de stratégies politiques

à l'image de la technoscience d'aujourd'hui. Qui peut encore croire que si les individus, les sociétés, les Etats et les entreprises ne se comportent pas de façon écologiquement soutenable, c’est parce qu’il nous manque encore des connaissances scientifiques pour nous convaincre ? Ce récit officiel est donc une fable.

« La conclusion s'impose, assez dérangeante en vérité, que nos ancêtres ont détruit les environnements en toute connaissance de cause. »

Déjouer les risques de la « géocratie »

10 • • • • • On peut également dénoncer la façon dont ce concept est

pensé et mis en scène

par les

anthropocénologues

que sont ces experts qui prétendent guider des choix apolitiques et objectifs. En effet , leur

vision « déterrestrée » de l’histoire

du système Terre et de l’action de l’Homme est trompeuse. On ne peut plus compter non plus sur l’accumulation de données scientifiques pour engager les révolutions / évolutions nécessaires.

L’enjeu écologique

ne saurait se résoudre à un « management adaptatif appliquant à l’action publique les règles de l’écologie et de la géo-ingénierie » La solution ne réside

pas dans un nouveau « géopouvoir » ou géocratie de solutions techniques et marchandes pour gérer la Terre

, qui constituent des risques ou dangers que les penseurs de l’écologie politique avaient pointé dès les années 1970. Au contraire, il faut ouvrir des pistes de

réflexion et d’action pour vivre et agir politiquement dans l’Anthropocène

.

Cela veut dire : permettre un dialogue plus lucide, démocratique et fructueux entre les citoyens, les politiques, les industriels et les scientifiques.

Cinq histoires-lectures de l’Anthropocène

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11 Il existe plusieurs histoires de l'Anthropocène : il faut

repenser en termes politiques les mécanismes de production, d'échange et de consommation

d'énergie et de matière, inventés et imposés par des groupes et des institutions bien particuliers. • • • • «

Thermocène », histoire politique du CO 2 et de l’énergie

La vraie question à se poser est : quels sont les

grands processus historiques

(impérialisme, préparation à la guerre, globalisation économique, productivisme, périurbanisation…) qu’il faut prioritairement mettre en relation avec la courbe de

croissance exponentielle des émissions de CO 2

? Il ne faut pas confondre l’histoire du thermocène avec

l’histoire de l’énergie

: on ne passe pas du bois au charbon, puis du charbon au pétrole, puis du pétrole au nucléaire… ce n’est

pas une histoire de transitions

énergétiques, mais en fait d’

additions successives de nouvelles sources d’énergie primaire

. Ces additions n’ont pas obéi à une logique interne de progrès technique, ni à une logique de pénurie et de substitution, ni même à une logique économique, mais plutôt à des décisions politiques et industrielles au cours des deux derniers siècles Il ne faut pas non plus

confondre l’histoire des productions énergétiques avec l’histoire des services énergétiques

.

Cinq histoires-lectures de l’Anthropocène

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12 • •

« Thanatocène », la puissance de guerre et les écocides L’appareil militaire

, la guerre et la logique de puissance, avec leurs choix technologiques insoutenables qui s’imposent ensuite au monde civil, portent une

lourde responsabilité dans le dérèglement des environnements

l’ensemble du système Terre. locaux et de • • La Seconde Guerre mondiale a ainsi préparé le cadre technique et juridique de la société de consommation de masse, qui a

lancé la « Grande Accélération »

à partir de 1945.

« Phagocène », consommer la planète

L’Anthropocène est aussi l’histoire du

déploiement d’une économie-monde

capitaliste, d’un devenir-monde de la marchandise ; celle de la genèse d’un

nouveau système de besoins matériels et de subjectivité consuméristes

, aujourd’hui mondialisés. Cette entrée dans la société consumériste qui est au fondement de la « Grande Accélération » non seulement

dégrade les environnements

profondément les corps et la physiologie des consommateurs. , mais altère aussi

Cinq histoires-lectures de l’Anthropocène

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13 • • •

« Phronocène », les grammaires de la réflexivité environnementale

«

C’est en toute connaissance de cause que nos ancêtre ont déstabilisé les écosystèmes et la Terre.

» Par conséquent, le problème historique n’est pas l’émergence d’une conscience environnementale, mais bien plutôt l’inverse : comprendre « comment la nature schizophrénique de la modernité qui continua à penser l’homme comme produit par les choses environnantes, en même temps qu’elle le

laissait les altérer et les détruire

. » •

« Polémocène », objecter à l’agir anthropocénique depuis 1750

Les synthèses récentes montrent

l’existence d’un « environnementalisme

des pauvres » présent dès le 18 ème siècle dans les pays en voie d’industrialisation comme dans ceux du Sud et porteur d’un « programme social ».

Les résistances ne portent jamais contre « la » technique en général, mais contre « une » technique en particulier

et contre sa capacité à écraser les autres, sans regarder et étudier l’éventail des alternatives existantes à chaque moment.

Conclusion du livre

14 • • • • • L’Anthropocène est donc bien

le basculement

qui marque l’avènement de la toute puissance humaine

capable de modifier irrémédiablement

le climat et les écosystèmes, et à la fois notre impuissance collective à faire face et inventer des modes de vie soutenables. Nous devons

comprendre comment nous sommes entrés

dans l’Anthropocène malgré des alertes, des savoirs et des oppositions très consistantes ? L’explication réside dans

l’histoire des désinhibitions qui ont normalisé l’insoutenable

: l’hygiène contourna la médecine environnementale, la norme technique sapa les contestations, la prolifération des objets et le PNB naturalisèrent l’idée absurde de croissance infinie, les « solutions » techno scientifiques prétendirent à chaque époque mieux générer la nature à son rendement soutenu maximal, etc. L’Anthropocène nous contraint à

penser la situation contemporaine

d’un point de vue historique, comme le point d’aboutissement d’une histoire de destructions. Ce livre est donc

un outil démocratique

en ce sens qu’il montre, par l’histoire, comment des décisions industrielles et énergétiques furent prises en étouffant des luttes démocratiques existantes.

15

Informations et lectures conseillées

• • • Pour aller plus loin : • Parcours de Christophe Bonneuil : sur le site du CAK •

Interview

sur France Culture (le 31 oct 2013) : émission « La Grande Table » •

Cartographie de l’Anthropocène

: sur le site Globaïa Pour commander ce livre : site des Editions du Seuil

Dans la même collection « Anthropocène Seuil »

: • «

Toxique Planète

- le scandale invisible des maladies chroniques » d’André CICOLELLA (2013) • «

Les apprentis sorciers du Climat

de Clive HAMILTON (2013) - Raisons et déraisons de la géo-ingénierie »