2 - Jean Pierre VOUCHE

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Agression
Transgression
2 éme partie
Les bourreaux / Les transgresseurs
Les Victimes
Jean-Pierre VOUCHE
Psychologue clinicien, psycho criminologue
Avril 2011
1
Agression Transgression




Comment peut-on vivre le rapport à l'obéissance (la loi) et à la
transgression après avoir subi des agressions?
Ou pour ceux qui ne l'ont pas été, et qui sont auteurs d’agression
diverses : comment s'imaginent-ils le rapport à l'obéissance et à la
transgression pour leurs victimes d’aujourd'hui.
Comment ma liberté et ma capacité de faire des choix personnels
résistent - elles aux divers traumatismes ou violences subies?
Peut-on vivre dans un monde de soumission et de domination?
2
Tous soumis ?
Des foules qui se rassemblent pour prier avec dévotion un gourou manipulateur, des quidams qui se
transforment en tortionnaires, une petite victime qui s’éprend de son bourreau, etc.
Jusqu’où sommes-nous soumis?
Les situations extrêmes révèlent parfois ce qui, dans la vie ordinaire, pourrait passer inaperçu.
En 1991, Jaycee Dugard, une jeune Californienne de 11 ans, est enlevée devant sa maison par un couple de
ravisseurs sous les yeux de son beau-père. En août 2009, dix-huit ans plus tard, Jaycee est retrouvée à
quelques dizaines de kilomètres de là dans la petite ville d’Antioch. La jeune femme, qui a maintenant 29 ans,
vit dans des tentes de fortune à l’arrière d’un petit pavillon. Elle a eu deux petites filles de son ravisseur.
En dix-huit ans, Jaycee a eu mille occasions de s’enfuir mais ne l’a jamais fait. Comment se fait-il que la
jeune femme se soit soumise aussi longtemps? Comment se fait-il que la femme de Philip Garrido, le
ravisseur, ait participé à l’enlèvement et à la séquestration? La peur et la menace suffisent-elles pour
expliquer la soumission des victimes à leurs bourreaux. Le pouvoir n’est jamais si fort que quand il
réussit à rendre ses victimes consentantes.
Quand on aborde l’épineux mystère de la soumission consentie, la première référence est l’incontournable
Discours de la servitude volontaire d’Etienne de La Boétie (1530-1563). Le point de départ est le même que
celui de son contemporain Machiavel: dévoiler les sources du pouvoir. Mais plutôt que de se situer du point
de vue du prince, La Boétie se place du point de vue du peuple. Au départ, cette énigme: d’où vient que les
hommes acceptent d’obéir à un maître, qui est parfois un tyran? Pour La Boétie, il est clair que la
domination politique et l’esclavage ne sont en rien naturels. De plus, le peuple, par son nombre et par sa
force, possède la capacité de renverser tous les pouvoirs. Dès lors, comment comprendre la soumission à
l’autorité, à l’oppression?
La Boétie évoque plusieurs raisons: d’abord la coutume et les habitudes qui font croire aux hommes
que leur condition est «naturelle», que les choses sont ainsi et que l’on n’y peut rien. S’y ajoute toute
une série d’autres mécanismes d’assujettissement: l’admiration pour le chef, pour ses insignes de
pouvoir, mais aussi la résignation et la passivité. Il y aurait donc bien une part de responsabilité du peuple
dans une servitude volontaire. La Boétie souligne un autre point essentiel: le maître sait diviser pour régner.
Le tyran saura toujours user des divisions internes au peuple; de même, il saura accorder à certains des
privilèges et des parcelles de son pouvoir. En multipliant les niveaux hiérarchiques et les faveurs, il s’assure
des clients, des partisans et des courtisans. Voilà un autre point essentiel: se soumettre à la loi du prince
peut aussi procurer des avantages…
« Je veux vous dire ceci : vous avez souffert mais cela ne vous rend pas
meilleur que ceux qui vous ont fait souffrir. Ce sont des gens comme vous et
moi. Le mal est en chacun de nous. »
(« Murambi. Le livre des ossements », Boubacar Boris Diop)
Il serait confortable de croire que les bourreaux sont des monstres, des
psychopathes, des sadiques ou des êtres pervertis par de mauvais
traitements subis durant leur enfance. Ces hypothèses sont néanmoins
inopérantes à expliquer pourquoi de nombreuses personnes d’une
communauté affables et débonnaires en temps de paix, et pas uniquement
quelques individus isolés, se métamorphosent en tortionnaires cruels et
invétérés dans les contextes de conflit. Les victimes de la guerre en Bosnie
le savent, elles qui ont parfois eu à souffrir des tortures infligées par de
proches connaissances.
Si la personnalité ou l’histoire individuelle peut promouvoir des
vocations de bourreaux, ces seuls éléments sont cependant nettement
insuffisants à expliquer ce phénomène. Devenir bourreau, violeur
résulte, en effet, d’une association complexe d’éléments individuels,
sociaux, politiques et/ou culturels qui autorisent ou promeuvent la
violence et la cruauté.
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1. Les conflits communautaires, facteurs favorisant le phénomène de la
torture
Toute société régule, codifie, fixe, voire légifère, l’accès aux biens, à la procréation
(par le biais de la sexualité) et au pouvoir.
Par exemple, on peut acquérir des biens en les acquittant à l’aide de monnaie, de
troc ou de contre-dons mais on ne peut les voler ; on peut entretenir une relation
sexuelle avec un partenaire répondant à des critères spécifiques mais l’envisager dans
tout autre cadre est interdit (viol) ; on peut accéder au pouvoir par des procédures
établies mais on ne peut l’usurper. Des règles, des lois, des procédures fixées ou
implicites prescrivent et régissent également la circulation et la transmission des
biens, des partenaires sexuels (et donc, des enfants) et du pouvoir, nous obéissons
à ces lois.
Dans la majorité des conflits armés opposant clans, ethnies, nations, etc., les
belligérants cherchent à renverser l’ordre social et à s’assujettir ce qui le fonde :
les biens, la procréation/la sexualité et le pouvoir. Ils volent, pillent, violent et
s’approprient les biens de la communauté adverse. Ils violent, castrent et engrossent
leurs ennemis. Ils prennent le pouvoir et dominent par leurs transgressions leurs
adversaires en les réduisant à l’impuissance (siège prolongé des villes, famine des
populations, mauvais traitements et torture, profanation des symboles culturels, etc.). Peuton résister à ces mauvais traitements?
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Dans la torture, le viol : l’emprise des tortionnaires des
violeurs et l’aliénation (l’obéissance, la soumission) des
victimes atteignent leur acmé.
Néanmoins, les ingrédients qui la composent (douleurs et
souffrances aiguës) et le but qui la définissent (destruction
et profit de l’autre ) sont présents à des degrés divers dans
toutes les formes d’attaque violente ou guerrière,
d’agressions et de transgressions.
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La recrudescence de la violence de toute nature durant les périodes de
conflit et de post-conflit sont favorisées notamment par :
-l’effondrement généralisé de l’ordre public
-la valorisation de comportements offensifs et la glorification des héros
agressifs
-les idéologies guerrières incitant à la destruction symbolique de l’ennemi.
Dans une large mesure, les cruautés auxquelles se livrent les hommes ont
pour origine des idéologies prônant la suprématie de leur communauté sur
celle de l’ennemi ainsi que des craintes réelles ou supposées d’être menacé
par ce dernier.
-La puissance de contraindre autrui que confère l’usage d’une arme qu’elle
quelle soit
-l’impunité pour les auteurs de crimes
-la consommation d’alcool et de drogue. Les produits psychotropes sont des
facteurs désinhibants qui favorisent les passages à l’acte violent et
notamment les agressions sexuelles et les faits de cruauté.
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C’est aussi le cas dans La recrudescence de la violence de toute nature chez un
individu durant les périodes de conflit interne (en lui-même) et externe qui
sont favorisées notamment par :
- l’effondrement de l’ordre et de la morale interne (surmoi)
- la valorisation de comportements offensifs et la glorification de l’agressivité, de
décharges pulsionnelles
- les pensées psychopathiques incitant à la destruction symbolique de l’autre
- Dans une large mesure, les cruautés auxquelles se livrent l’homme ont pour
origine des idéologies prônant la suprématie de l’individu agresseur, violeur, ayant le
pouvoir sur l’autre, tout-puissant sur celle de l’autre-objet (victime) ainsi que des
craintes réelles ou supposées d’être menacé par ce dernier s’il dénonce les actes
commis (pensées paranoïdes).
- La puissance de contraindre autrui que confère l’usage d’une arme qu’elle quelle
soit l’impunité pour l’auteur de la transgression
- la consommation d’alcool et de drogue. Les produits psychotropes sont des
facteurs désinhibants qui favorisent les passages à l’acte violent et notamment les
agressions sexuelles et les faits de cruauté sur un individu.
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2. Obéissance et soumission
Toute société humaine repose sur des institutions fondées à des degrés divers
sur l'autorité et sur la soumission à une hiérarchie (famille, école, armée,
travail, etc.). L'homme a d’ailleurs une disposition naturelle à se soumettre à
l'autorité se déchargeant ainsi de sa propre responsabilité, cette tendance
l'emportant souvent sur l'éthique et la compassion.
Les travaux de Stanley Milgram (1974) et de ses successeurs illustrent
expérimentalement comment certains hommes peuvent devenir des
bourreaux même sans aucune menace coercitive extérieure.
Dans le cadre d’une prétendue expérience scientifique sur la mémoire et l'apprentissage, des
volontaires « naïfs » ont été chargés par une « autorité scientifique » de sanctionner les réponses
erronées d’un « élève » par des chocs électriques d’intensité croissante. A chaque punition, le
« moniteur » entendait les réactions de l’ « élève », réactions corrélées à l’intensité des chocs :
plaintes, cris de douleur, appels à l’aide et finalement, silence fatal. En réalité, le rôle de l’élève
était tenu par un acteur professionnel et les chocs électriques n’étaient pas réellement délivrés.
Dans cette expérience, les deux tiers des sujets se montrèrent « obéissants » allant même
jusqu’au point d’infliger la douleur extrême.
“Obedience to Autority : an experimental view”, Harper Collins, NY, 2004 (edition
originale : 1974)
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De nombreux individus ont donc obéi de façon aveugle à une autorité
scientifique sans que celle-ci n’ait eu recours à une menace coercitive et
cela alors même que leur action pouvait se révéler dommageable, voire
mortelle, pour une personne contre laquelle ils n'éprouvaient à priori
aucune antipathie.
Pour expliquer ces résultats, Milgram invoque l'obéissance et la
soumission à l'autorité reconnue comme légitime.
La situation expérimentale mise en scène par Milgram n'est pas sans
analogie avec la torture. En effet, le moniteur obéit à des ordres délivrés
par une autorité, sa victime est à sa merci et il est mandaté pour lui
infliger des sévices douloureux.
L'obéissance et la soumission à l'autorité semblent donc être des facteurs
contributifs du phénomène tortionnaire.
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Néanmoins, l'obéissance révélée par les expériences de Milgram est d’un type
bien particulier. Léonardo Ancoma et Rosetta Pareyson ont tenté de comprendre ce
phénomène et ont reproduit une expérience similaire en modifiant le mobile officiel de
l'expérimentation. Elle était présentée non plus comme une étude sur la mémoire
mais sur la réaction des individus à la douleur. L'expérience terminée, les sujets
étaient invités à remplir un questionnaire destiné à évaluer leur niveau de
responsabilité dans les sévices infligés aux « élèves ».
Ancoma et Pareyson (1972) ont classé les sujets obéissants en deux groupes,
quantitativement quasi-équivalents : l’un faisant preuve d’obéissance coopérative et le
deuxième d'obéissance destructrice.
L’obéissance coopérative. Les sujets appartenant à cette catégorie ont obéi aux injonctions de
l'expérimentateur en éprouvant de la compassion pour la victime et en manifestant une tension
intérieure intense. Ils ont reconnu leur responsabilité personnelle dans les souffrances
occasionnées aux élèves. Leur conscience individuelle a été transférée au profit d'une autorité perçue
comme légitime, juste et équitable. La confiance dont les sujets ont investi l'autorité semble avoir
anesthésié momentanément leur personnalité et leurs valeurs morales ; personnalité et
valeurs morales resurgissant spontanément lorsque l'autorité ne les soutient plus et les oblige ainsi à
mesurer leur degré de responsabilité.
L’obéissance destructrice. Les sujets appartenant à ce groupe n'admettent pas leur responsabilité dans
les sévices infligés. Ils motivent leurs actes, pervertissent intentionnellement la réalité et affirment
qu'ils n'ont fait qu'obéir aux pulsions, aux ordres. Ils ne laissent apparaître aucun sentiment
d'humanité à l’égard de l’élève et ne se montrent pas concernés par ses souffrances. Lorsqu'ils en
prennent conscience, ils dévalorisent et déshumanisent la victime. Cas des pervers, des violeurs.
Rappelons que la convention de Genève exige de chacun qu’il refuse d'exécuter des ordres qui la
violeraient.
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Bacry et Ternisien (1980) proposent quatre points
déterminant la propension de certains individus à
commettre des actes abominables :
-
l'obéissance à l'ordre,
le déni de la réalité,
la justification de l'acte
et le refus de la responsabilité.
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3. Bourreaux et représentations des victimes
Les résultats des expériences de Milgram, d’Ancoma et Pareyson confirment
les déclarations habituellement faites par les tortionnaires, les violeurs pour
assurer leur défense dans les procès dans lesquels ils sont impliqués.
Le bourreau, le violeur, le tueur justifient leurs actes et considèrent que celui
qu’il torture est coupable, menaçant, nuisible ou qu’il viole est indigne du
genre humain (par exemple agressions homophobes, viols de « femmes qui l’ont
bien cherché »). Les individus qui se livrent à des atrocités ou qui exhortent
autrui à en commettre ne conçoivent généralement pas leurs actes comme
relevant de l’agression. Le plus souvent, ils minimisent, voire éludent leur
responsabilité en tant qu’agresseur. En effet, ils argumentent leur brutalité en la
parant d'élaborations et de conceptions culturelles (distorsions cognitives) qui dévoient
l'idée de violence en tant qu'agression. Par exemple, les cruautés sont perçues comme un
moyen de rétablir l'ordre moral, de chasser les « mauvais » et de permettre à la
communauté (le clan, l’ethnie, le pays, etc.) de poursuivre son existence en paix. Dès lors,
la meilleure défense étant l’attaque, l’idée prévaut qu’il vaut « mieux vaut leur faire ce qu'ils
nous font ou nous feraient si nous les laissions faire ».
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La destruction de l’autre étant perçue comme le seul moyen de
défendre sa communauté, on devient bourreau pour protéger les siens.
On œuvre ainsi au nom de sa société, de l'armée, dans l'intérêt de la
nation, etc. et les actes commis, y compris les plus atroces,
paraissent parfaitement « acceptables » et justifiés.
 Les tortionnaires ne sont cependant pas les seuls responsables des
sévices qu’ils commettent. Les leaders politiques, religieux et
militaires ainsi que les médias qui relayent les discours incitant à la
haine jouent souvent un rôle fondamental. En effet, les cruautés
infligées à une communauté sont généralement précédées d’une
propagande agressive présentant ce groupe de personnes comme
une menace (pour la sécurité lorsqu’une attaque guerrière est
pressentie, économique, culturelles, religieuse, etc.).
 Ce fût par exemple le cas avant le génocide des juifs durant la seconde guerre
mondiale, avant l’épuration ethnique de tout ce qui n’est pas Serbe durant la
guerre en ex-Yougoslavie entre 1992 et 1995 et avant le génocide des Tutsis
par les Hutus au Rwanda en 1994 (la tristement célèbre radio « Mille
collines » restent dans les mémoires).
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4. La fabrication des tortionnaires
Pour F. Sironi, « on ne naît pas tortionnaire, on le devient ; soit par une violente expérience
de déculturation, soit par une initiation spécifique qui utilise des techniques traumatiques ».
C’est le cas par exemple, de la formation de certaines unités spéciales de corps militaires et
policiers dont les entraînements spécifiques sont particulièrement traumatogènes.
S'inspirant de la formation des tortionnaires grecs sous la dictature des colonels, Sironi
décrit les 4 éléments autour desquels s’articule
le processus d'initiation des tortionnaires:
1.La séparation totale avec le monde social ordinaire : isolement de la famille, interdiction de
sortir de l’école militaire, etc.
2.La rupture avec les univers de référence des novices : abolition de tous les repères, nouvelles
règles dont certaines à l'encontre de toute logique, etc. Obéissance totale au nouvel ordre.
3.La consécration d’une nouvelle identité au sein du nouveau groupe d'appartenance au cours d'une
cérémonie officielle clôturant le processus d'initiation.
4.La création d'êtres nouveaux différents de ce qu'ils étaient avant leur initiation et de tous les autres,
civils et militaires. Il leur était dit explicitement qu’ils étaient désormais à part et au-dessus des lois
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régissant
le monde commun. Donc la transgression est banalisée.
Cette transformation de l'identité comporte quatre étapes :
1.Les préliminaires : les instructeurs mettaient en valeur l'identité initiale des candidats en
mobilisant leur idéal de justice, de vérité et d'absolu et construisaient la conception qu'ils
étaient porteurs des attributs d'une « virilité idéale » (fierté, dureté et obéissance).
2.La déconstruction de l'identité initiale : les instructeurs devenaient soudain brutaux et
imprévisibles, brisant ainsi les repères habituels. Les recrues étaient soumises à des épreuves
dures et humiliantes visant à déconstruire l'identité initiale (par exemple, lécher les bottes
de leurs instructeurs) et devaient accomplir des actes absurdes (par exemple, brosser le
parquet avec une brosse à dent).
3.L'affiliation à un nouveau groupe d'appartenance uni par le secret, constituait
l'étape suivante. Les humiliations cessaient soudainement et la force, le courage et l'endurance
étaient à nouveau valorisés.
4.La consécration publique de l'affiliation concluait le processus de formation. Les
candidats avaient désormais acquis une nouvelle identité et étaient considérés supérieurs aux
non-initiés. L'initié et ses instructeurs étaient dorénavant liés par un secret.
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B . Un traumatisme complexe
L’agression sexuelle, avec torture
La torture est un traumatisme complexe. Judith Herman, professeur à la Harvard Medical
School, définit les traumatismes complexes comme le résultat d’une victimisation
chronique d'assujettissement (obéissance forcée) à une personne ou à un groupe de
personnes.
Dans ces situations, la victime est généralement captive sous le contrôle de l’auteur des
actes traumatogènes et incapable de lui échapper. Ma liberté et ma capacité de faire des
choix personnels ont du mal à résister à ces épreuves traumatiques répétées sous
contrainte.
La torture est caractérisée par une multitude de traumatismes physiques et psychiques.
La particularité des faits de traumatisme dans le cadre de la torture tient à
l’intentionnalité. Les tortionnaires infligent des cruautés dans le but de produire
intentionnellement un traumatisme.
Pour le viol il y a également intentionnalité d’imposer un acte agressif, et pour certains
psychopathes et pédophiles (immaturo-pervers/ prédateurs), les actes sont réalisés avec
une cruauté et une volonté d’élimination.
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La transgression ultime :
Les lois qui régissent l’humanité sont profanées et bafouées par les hommes eux-mêmes.
La transgression ultime. La mort, la douleur, les blessures, les sévices et la souffrance
sont provoqués, entretenus et exacerbés intentionnellement par des individus
malveillants.
Les valeurs essentielles de l’existence telles que la paix, l’altruisme, la solidarité, l’amitié,
l’éthique, le prix de la vie et la compréhensibilité du sens des choses, sont brusquement
reniées. Ma liberté et ma capacité de faire des choix personnels ont du mal à résister
face à ces destructurations mentales intentionnelles.
Le vécu traumatique suscite dès lors une interrogation sur l’Homme.
Par ailleurs, par l’anéantissement de l’identité de personnes singulières, la torture vise la
destruction de l’ensemble d’un groupe communautaire et de ses valeurs, du coup
obéissance et rapport aux lois sont brisés.
Dans le cas des viols l’identité, l’individu sont anéantis, le sujet est perdu, vidé de sa vie
antérieure. La liberté et la capacité de faire des choix personnels ont du mal à y trouver
une issue favorable, ou alors au prix d’une force mentale alimentée par la révolte, la
rébellion, la survie de son être. Nous faisons référence à Henri Laborit sur le comportement
qui répond à la punition, à la transgression: par la lutte qui détruit le sujet de l'agression.
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Les conséquences psychologiques
de la torture, du viol (enfants et adultes)
La souffrance des victimes de torture constitue un tout où se mêlent séquelles
physiques, douleurs, sentiments d’impuissance, honte, vécus d’étrangeté et
d’irréalité, impression de ne plus être soi, etc.
Sans compter que de nombreuses victimes, contraintes de quitter leur pays
d’origine, sont confrontées aux multiples difficultés et souffrances liées à
l’exil (perte du statut social, éclatement de la cellule familiale, installation
précaire dans un pays d’accueil, insertion dans une nouvelle culture, etc.).
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1. Les différents niveaux de conséquences de la torture, de l’individuel au social
Nous l'avons vu, la torture, cette agression massive a pour but de détruire les victimes et d’anéantir
leur groupe d’appartenance. Dès lors, il n’est donc pas étonnant qu’elle ait des effets au niveau
individuel, familial et communautaire.
Au niveau individuel, le but de la torture est de produire intentionnellement un traumatisme. Les
réactions qui dérivent de cette attaque contre la personnalité sont multiples et provoquent une
altération des capacités cognitives, émotionnelles et comportementales (syndrome post-traumatique et
symptômes associés) ainsi qu’un changement de personnalité.
Au niveau familial, la torture engendre fréquemment des dysfonctionnements. En effet, le retrait
affectif ou à contrario, les attitudes de dépendance vis-à-vis des proches, l’irritabilité et l’agressivité, la
perte de curiosité pour les activités professionnelles et de loisirs, la perte de motivation pour quoi que
ce soit et l’apathie entravent le bon déroulement de la vie de famille. Par ailleurs, de nombreuses
victimes sont amenées à s’exiler loin des leurs.
Au niveau social, la torture entraîne une baisse globale du fonctionnement psychosocial. Du fait même
que les sévices sont intentionnels et sont perpétrés dans le cadre d’une relation humaine, le viol - la
torture sapent les fondements même des rapports interpersonnels que sont la confiance et le respect.
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2. Les conséquences au niveau individuel
Les conséquences psychologiques des agressions comme le viol, la
torture peuvent être envisagées selon une dimension temporelle.
En effet, nous pouvons distinguer :
1. la réaction initiale aiguë immédiate et post-immédiate observée les
premiers temps (réaction de stress et queue de stress)
2. de la pathologie différée et séquellaire observée ultérieurement
(syndrome psychotraumatique chronique). Ces effets de la torture
perdurent parfois toute la vie
On parle de queue de stress lorsque les réactions de stress ne s’éteignent pas
immédiatement lorsque cesse le danger mais persistent plusieurs jours.
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Pour ce qui relève des conséquences immédiates et post-immédiates, évoquons :
* l’état confusionnel
* les phénomènes de dissociation : absence de réaction émotionnelle, état de sidération
(stupéfaction, incapacité de percevoir nettement, d’évaluer, de mémoriser, de raisonner et
d’agir), déréalisation (sentiment bizarre d’être étranger au monde familier, impression de
vivre un rêve éveillé ou un cauchemar), dépersonnalisation (impression de détachement,
d’agir comme un robot et d’une façon tout à fait machinale, d’assister en spectateur à sa
propre vie), incapacité à se rappeler d’aspects importants de son vécu, etc.
* une alternance entre un émoussement (état d’impuissance, dépression, retrait affectif,
etc.) et une hyperactivité émotionnelle (anxiété, colère, « rage aveugle », violences,
transgressions) qui peut voir apparaitre des reproductions des violences subies. Mais pas
systématiquement. Mais même dans ce cas la victime qui se trouve dans cette
reproduction n’est pas de l’ordre du choix personnel conscientisé mais plus inconscient.
C’est aussi une révolte pour éviter de vivre dans un monde de domination, de soumission.
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En ce qui concerne les conséquences à long terme, outre les signes cliniques du
syndrome post-traumatique (reviviscences, évitements, activation neurovégétative
persistante), les rescapés de viols, de la torture présentent fréquemment :
- de l’asthénie : asthénie physique (fatigue morbide qui persiste malgré le repos, lassitude générale,
épuisement au moindre effort physique), psychique (baisse des facultés mentales d’attention, d’acquisition
mnésique et de concentration intellectuelle) et/ou sexuelle (émoussement du désir et du plaisir sexuel,
impuissance, frigidité)
- des troubles dépressifs (tristesse, désespoir, tendances suicidaires, etc.)
- des troubles anxieux (crises d’angoisse, attaques de panique, anxiété diffuse)
- des troubles somatiques, psychosomatiques et fonctionnels (maux de tête, trouble menstruel,
dysfonctionnements sexuels, troubles gastriques, etc.). Ces symptômes relèvent autant des séquelles des
traumatismes corporels que de l’expression des souffrances psychiques. La limite entre les conséquences
physiques et psychologiques de la torture est incertaine dans la mesure où le corps est malmené précisément pour
atteindre l’esprit. Il est le lieu même du contrôle et des agressions.
- des troubles du comportement (crises de colère, propos ou actes violents et agressifs,
consommation abusive d’alcool ou de psychotropes, etc.)
- des altérations de la personnalité. Il s’agit d’un changement de la personnalité du fait même de l’impact
du trauma caractérisé par une altération de l’intérêt porté aux autres (attitude de dépendance et de
détresse dans les relations affectives qui est à prendre comme une soumission et une faiblesse,
perte d’intérêt pour la sexualité) et au monde extérieur (perte de curiosité pour les activités, réduction des
activités, perte de motivation, monde extérieur perçu comme artificiel ou déréel, avenir appréhendé comme
dénué de promesse) ainsi que par une attitude d’hypervigilance et d’alerte qui ne sont pas des
signes de liberté de choix personnel, mais de sauvegarde.
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Détaillons l’impact de la torture et du viol au niveau individuel.
Dans leur revue de la littérature, F. Somnier et coll. (1992) remarquent que les
signes symptomatiques les plus fréquemment rencontrés sont, par ordre de
fréquence décroissant, les troubles du sommeil et les cauchemars, les maux de
tête, l’anxiété, la dépression, le retrait social, les troubles de la mémoire et de la
concentration, la fatigue, l’agressivité et l’hypersensibilité.
Pour continuer à vivre il y a urgence pour la victime de repérer toute attitude
de domination pour éviter ce type de situation qui renverrait au traumatisme
des transgressions subies. Cette réaction d’hypersensibilité peut être
démesurée parfois et inadéquate à la réelle situation, mais vaut mieux s’hyper
protéger que de s’exposer, cette attitude défensive peut développer des
réactions agressives, voire offensives.
Ma capacité et ma liberté de faire des choix personnels sont alors dictées par
une résistance nécessaire pour éviter l’effondrement de soi et la crainte de la
reproduction des violences ou transgressions subies. Il y a donc une
hypervigilance, qui consomme énormément d’énergies psychiques et physiques
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I. Genefke et P.Vesti (1998) mettent en évidence les douze symptômes
principaux présentés par les patients reçus au Centre International de
Recherche et de Réhabilitation pour les Victimes de Torture de Copenhague
(IRCT) :
- La labilité émotionnelle (irritabilité, hypervigilance, colère)
- Les troubles du sommeil (cauchemars, difficulté d’endormissement)
- Les troubles de la concentration et de la mémoire (amnésie psychogène)
- L’évitement de pensées associées aux traumatismes
- L’évitement d’activités ou de situations pouvant réactiver des souvenirs liés à la torture
- Les difficultés à instaurer des relations interpersonnelles (sentiments de
détachement ou d’étrangeté, émoussement affectif)
- Le manque d’intérêt pour des activités significatives, qui augure mal de la
capacité de faire des choix personnels
- Le sentiment de futur « bouché », qui nous éloigne de la pensée que je peux
sortir de ce monde de soumission et de domination
- Agir ou avoir l’impression « comme si » la situation de torture, de viol se représentait
(flash-back après - l’exposition à des stimuli rappelant la torture)
- Le changement de personnalité
- La « culpabilité du survivant »
- L’anxiété
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F. Sironi (1999) note que les plaintes des personnes torturées relèvent d’un ordre binaire.
« Il y a d’une part les symptômes « bruyants », caractérisés par le mouvement, l’agitation, l’explosion :
l’irritabilité, l’agressivité, l’hallucination, les cauchemars, les réveils en sursaut, les cris dans la nuit, les
insomnies, les frayeurs, les troubles psychosomatiques, les tremblements, les changements de
personnalité, tout ceci aboutissant à une extériorisation, à un débordement des limites. Avec dans ce
cas une perte de sa capacité de faire des choix personnels raisonnés.
D’autre part, il y a toute une série de symptômes qui peuvent être caractérisés par la fermeture,
l’arrêt, le silence, la perte ou l’absence de mouvement : la tristesse, l’apragmatisme, la fatigue, le
besoin de s’isoler, la clinophilie (qui est la tendance à passer la quasi-totalité de la journée dans son lit),
en somnolant plus qu'en dormant. Les pleurs, la méfiance, les troubles de la concentration et de la
mémoire, l’impossibilité de penser, les changements de personnalité allant vers la fermeture.
Quand elle présente une souffrance traumatique consécutive à la torture, une même personne peut
être décrite des deux manières, en référence à deux catégories diamétralement opposées. On peut
dire qu’en elle, il y a une partie qui est encore directement sous influence (donc sous domination), et
une autre qui lutte bruyamment et activement contre cette influence (rébellion de survie, de sortir le
mal déposé en soi).
Jean-Pierre VOUCHE Psychologue clinicien, psycho criminologue
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Enfin sont également présents les signes spécifiques qui témoignent d’un accès
« sauvage » à des connaissances cachées sur l’humain : la recherche
systématique de l’intention de l’interlocuteur, les rêves prémonitoires, les
coïncidences troublantes dans la vie de tous les jours, la perception à distances
des événements, la découverte de dons nouveaux et l’appétence pour l’étrange
et l’inexpliqué. » Mais cette attitude est une aliénation aux violences subies,
pour se défendre en anticipation de la reproduction de domination dangereuse!
Mais alors quel monde?
F. Sironi distingue les signes relatifs à l’effraction, ceux relatifs à l’influence du
tortionnaire intériorisé et ceux relatifs à l’accès à des connaissances cachées.
Elle propose un regroupement des signes selon ces différentes catégories :
Effraction
- sursauts, cris, tremblements, peurs incontrôlées
- céphalées, atteinte de la sphère cutanée (démangeaisons, eczéma…), ulcère
doute, étrangeté, isolement, souffrance liée au sentiment d’être différent des autres
- troubles de la mémoire et de la concentration
- cauchemars
- autoaccusation et culpabilité d’avoir une identité propre
- peur qu’on puisse lire sa pensée, peur d’être transparent et influencé
Jean-Pierre VOUCHE Psychologue clinicien, psycho criminologue
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. Sironi distingue les signes relatifs à l’influence du tortionnaire
intériorisé
Influence du tortionnaire
- tristesse, apragmatisme, apathie, asthénie, clinophilie
- agressivité non contrôlée, sentiment de ne plus être maître de
soi
- changement de personnalité
- impossibilité de penser, là on voit bien l’impossibilité de faire
des choix personnels,
- sommeil troublé et cauchemars (la nuit), et reviviscences traumatiques
(le jour)
- hypertension artérielle, douleurs diffuses et changeantes, vertiges,
nausées, chutes, « avoir un chat dans la gorge »
Jean-Pierre VOUCHE Psychologue clinicien, psycho criminologue
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Sironi distingue les signes relatifs à relatifs à l’accès à des
connaissances cachées
Accès à des connaissances cachées
- recherche systématique de l’intention de l’interlocuteur
- rêves prémonitoires
- coïncidences troublantes dans la vie de tous les jours
- perception à distance des événements
- découverte de dons nouveaux
- appétence pour l’étrange et l’inexpliqué
Jean-Pierre VOUCHE Psychologue clinicien, psycho criminologue
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Comment peut-on vivre le rapport à l'obéissance (la loi) et à la
transgression après avoir été agressé soi-même?
Deux axes surtout:
1. Ne pas faire subir cela a un autre car on sait ce que c'est!
2.Ou bien le faire en se disant "Pourquoi pas, moi aussi j‘ai été agressé? »
* la confiance en l'adulte, la loi c'est comme une balise de la loi et
toutes les conséquences sont plus ou moins conscientes pour lui→ il y a
un état de flottement intérieur; avec un questionnement sur "Qu'est-ce
qui est permis, et pas permis? » obéissance à la loi,
* Mais on peut voir apparaitre des Conduites à risque→ dans la
recherche des limites. C’est de l’ordre réactionnel et non de sa
capacité à faire des choix personnels.
Jean-Pierre VOUCHE Psychologue clinicien, psycho criminologue
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Deux notions:
Des anciennes victimes d’abus sexuels enfant nous témoignent :
* Une recherche de sensations fortes: de vouloir exister très fort, une notion de
surexistence. C’est une résistance au traumatisme.
* Quand les limites ne sont plus posées, on peut les côtoyer, dans une quête de
sensations. On va chercher les limites dans l'excès, tromper la mort "il ne va
rien m'arriver, de toute façon, j'aurai toujours le contrôle, ou je suis déjà mort
psychiquement". Ce n’est pas le choix d’un monde sans domination, mais
d’un monde de confrontation aux risques, aux limites pour avoir la
certitude de bien être en vie!
L'engagement- défi : la prise d'initiative est une prise de risque délibérée et
nécessaire pour survivre. L'engagement génère de l'incertitude. C'est dans cette
incertitude que le sujet tente d'apposer la marque de son individualité, qu'il
s'autorise à affronter ce qu'il nomme ses « limites ».
Il flirte avec le danger non par goût mais par nécessité.
Le rapport au risque est toujours une épreuve de vérité.
Jean-Pierre VOUCHE Psychologue clinicien, psycho criminologue
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Il faut mesurer l'impact de ce traumatisme→ à partir de son expérience
une victime garçon nous confie, j’étais en décrochage scolaire, « j'avais
envie de me balader dans la nature, penser à des filles ou toute autre
chose, que d'être à l'école. Ce n'est pas dire: à partir de là je ne veux
plus obéir. ».
« j'ai des repères sur plein de zones, mais pas forcément sur celle-là.
Je suis devenu éducateur en quelque sorte pour transmettre ce qu'on
ne doit pas faire, enseigner la loi (obéissance).
J'y ai déjà largement pensé. Le côté noble du truc, c'est une réparation,
pour que les autres ne vivent pas ce que j'ai vécu ».
Là chez cet homme s’opère la liberté de faire des choix
conscientisés pour ne pas s’inscrire dans un monde de domination
de l’autre.
Aimer qui nous soumet !
En 1978, le psychiatre Frank Ochberg nommera «syndrome de Stockholm» la sympathie, voire
l’identification, d’un otage à son ravisseur, sans manipulation de la part de ce dernier.
* Récemment, l’Autrichienne Natascha Kampusch, abusée et séquestrée pendant huit ans, a
déclaré porter le deuil de son ravisseur, suicidé après qu’elle a fini par s’échapper.
Comment explique-t-on ce syndrome? Mal!
Pour la psychanalyse, il pourrait s’agir d’un mécanisme de défense. Il semble favorisé
chez les femmes, plutôt jeunes, à l’égard d’un ravisseur se présentant lui-même comme
victime de la société, et s’abstenant de violence physique autre que la rétention. Le
confinement créerait une intimité aboutissant à une forme de dépendance. La liberté et
la capacité de faire des choix personnels après des traumatismes sont alors marquées du
sceau de la dépendance à l’abuseur. Des phénomènes voisins sont parfois rapportés chez
les victimes d’abus sexuels ou pour d’anciens déportés. On voit une dépendance s’installer
alors que le sujet vit dans un monde de soumission et de domination!
* Le cas inverse est également observé: il arrive que des ravisseurs relâchent leurs
captifs sans nécessité, par sympathie pour eux, se privant ainsi de leur planche de salut. On
parle alors de syndrome de Lima, du nom d’une prise d’otages de 1996.
* Exemple de jeune fille agressée sexuellement à 12 ans→ elle développe des
conduites à risque sexuelles→ elle fait une fausse couche à 14 ans. Elle est à la
fois dans la transgression et pas.
Cette jeune fille a déjà été agressée, elle continue à se faire agresser, et à
s'exposer. Elle va s’inscrire dans un monde de soumission déterminé par
elle du fait de son exposition aux risques, plus dans une dynamique de
destruction que de survie, elle se condamne à rester ce que l’agresseur à
fait d’elle.
* Autre exemple des jeunes filles, qui étaient abusées par leur père. Très tôt la
petite on la retrouvait dans des voitures, à l'autoroute, n'importe où, ivre, droguée.
La petite sœur, allait le long de la route et pour un paquet de cigarettes faisait des
petits plaisirs. Comment comprendre cela: « j'ai été salie, j'ai plus d'estime de
moi, » mais en même temps je profite de cela pour avoir ce que je veux, elle utilisait
les hommes, mais ceux desquels elle pouvait profiter, les autres elle les rejetait. Elle
se met quand-même en position d'objet. Son choix est de vivre dans un
monde de domination de l’homme, c’est une aliénation et non un vrai
choix personnel constructif!
Jean-Pierre VOUCHE Psychologue clinicien, psycho criminologue
34

Autre exemple d'un adolescent agressé qui avait répété une
agression.
Cela peut être une sorte de vengeance aussi! Quand la notion de
vengeance rentre là dedans, c'est tout de suite plus violent, plus agressif
(mais ce n'est pas toujours le cas). Il s’inscrit dans un monde de
domination de l’autre pour se récupérer.

* Rappelons nous le film sur Francis Evrard récidiviste pédophile, luimême agressé sexuellement étant jeune, est dans une compulsion de
répétition, sans même essayer de comprendre peut-être. Une dimension
de « starter inconscient », avec une dimension de fascination malsaine,
qu'il tente de reproduire indéfiniment. Evrard c'est un manque de
repères, c'est un manque de conscience de soi, manque d'identité.
Il est esclave du trauma, et en rien en capacité de faire des choix
personnels constructifs qui lui permettrait de sortir des
transgressions, il est enfermé dans son monde de soumission de
l’autre et de jouissance de l’autre quitte à payer le prix de sa
liberté
en
restant
détenu
à
vie.
35
Autres idées:




Tous les gens qui ont été agressés, n'agressent pas forcément 33%.
Les bourreaux cherchent à faire perdre aux victimes leur identité. Euxmêmes passent par un processus de dépersonnalisation. c'est comme un
arrêt sur image qui est tellement fort qu'ils n'arrivent pas à en
décoller.
Bettelheim dans son livre parle aussi de bourreaux et victimes dans les camps
de concentration et de deux positions: obéir ou s'identifier au bourreau
pour ne pas souffrir (identification à l'agresseur). Il y a des programmes de
formation comme cela dans les armées pour faire obéir leurs hommes.
Pour les anciens accidentés de la route, qui veulent travailler dans la
prévention, où on peut devenir comme cela très rigide ou au contraire
très ouvert dans la transmission, avoir une grande ouverture d’esprit et
de tolérance. Ne pas être dans le jugement, comprendre…Le seul fait d'être
victime, son message sera « ne fait pas ça », il y en a qui ne s'engagent pas dans
cette voie.
36
4 VOIES possibles:




1. La transgression contre soi, la répétition traumatique compulsive (la
voie mortifère, continuer à se faire agresser, transgresser, s’exposer), continuer dans
la voie de l’agresseur;
2. La transgression agressive: en reproduisant l'acte en tant qu'agresseur
cette fois, voir ce que cela produit sur autrui, fascination maladive;
3. Une lutte exagérée militante contre cette agression, la défense de la
cause des victimes, qui est aussi compulsive;
4. Obéissance dans le rapport à la loi, Une résilience est aussi possible.
Ma vie ne doit pas s’arrêter à cet évènement, je rebondis.
La victime qui subit en ayant pleine conscience qu'elle subit, serait moins détruite que
celle qui subit en confusion.
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Dans la résilience, ce qui est frappant c'est « la capacité à
mettre en sens une expérience insensée, d'en faire un récit
cohérent » (Guedeney, 1999). Le fait de donner sens est une
manière d'avoir prise, la déprise totale étant justement dans le
non-sens (Esparbès-Pistre et Tap, 2000). Il s'agit d'être
autonome, de
se
constituer
ses
propres
valeurs.
La liberté et la capacité de faire des choix personnels résistent aux
traumatismes par cette récupération d’autonomie, et de donner du
sens à l’ensemble des évènements de sa vie, traumatisme compris!
La positivité de soi : l'humour et l'espérance sont salutaires. «
Quand le réel est terrifiant, la rêverie donne un espoir fou »
(Cyrulnik, 1999). La positivité de soi s'acquiert aussi par la
confiance en soi, en ses capacités à rebondir. C'est encore croire
au bonheur et trouver la vie belle, coûte que coûte. (Vanistendael
et Lecomte, 2000). On peut décider de vivre dans un autre monde
que celui de la soumission et de la domination connu, par cette
positivité de soi, de cette récupération de soi.
La liberté et la capacité de faire des choix personnels
résistent aux traumatismes par cette création : pour affronter
une difficulté insurmontable (trace du traumatisme), il est
nécessaire de jouer avec l'ensemble des processus évoqués.
Pour la dépasser et repartir, se relancer, rebondir sans trop
de traces invalidantes, il s'agit d'être créatif. Par la créativité
et l'imagination le sujet peut trouver du sens, en donner ou
prendre sens.
*Qu'est ce qui fait qu'on va choisir une des quatre voies ?
La résilience se développe grâce à l'interaction de traits personnels
tels que la résolution de problèmes, la capacité d'autonomie, de
responsabilisation, le sens du propos et de l'espoir avec des facteurs de protection
trouvés dans le soutien social (Bailey, 1991).
 c'est très personnel, singulier, tout dépend des défenses psychologiques
personnelles, de la capacité à dépasser le trauma
 cela dépend de l'éducation, de la présence affective de la famille (de la qualité de
l'entourage). Un enfant peut ne pas dévoiler, justement parce qu'il aime ses parents.

La qualité de l'entourage, une éducation→ qui produit la maturité de l'enfant
en lien avec l'amour qu'il a reçu, le lien d'amour suppose suffisamment de
confiance pour que la jeune victime ait confiance pour leur parler… ce qui suppose
aussi pouvoir leur dire non!
On note aussi le rôle de « l'appui social comme amortisseur dans les
situations de stress » (Fontaine, Antunes et Doré-Côté, 2001).
 Le degré de culpabilité face à l’événement traumatique

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