La civilisation romaine - Département d`histoire

Download Report

Transcript La civilisation romaine - Département d`histoire

L’héritage de la civilisation romaine:
l’idéologie et la communauté
Senatus PopulusQue Romanus
(Le Sénat et le Peuple romain)
Guy Lanoue, Université de Montréal, 2010-15
Rome, c.500 av. J.-C.
(une vingtaine d’années après la fondation de la République en 509 av. J.-C.)
Les sept collines, avant la fondation de Rome
on y voit également l’emplacement des futurs murs serviens (4e a.J.-C.)*
Six des sept collines soulignent l’emplacement
central du mont Palatin (d’où les mots palais et
place), lieu légendaire de la fondation de Rome.
Les sept sont donc un espace de l’imaginaire, car
le Palatin est aussi le lieu au se situe la grotte du
Lupercal, qui défendait les troupeaux appartenant
aux bergers latins contre les loups (lupus, dont
l’origine du mot). Le Palatin est donc symbole de
la protection, de la survie, de la naissance (et
donc le lupercalia se célébrait en fin d’hiver, en
février, car le Nouvel An romain était le 1er
mars), mais aussi du danger constant au sien de la
communauté (d’où le mot paladin, le plus haut
grade de chevalier). Le Palatin a deux sommets,
et donc incarne l’idée de la mère-terre qui allaite
ses « enfants » (une théorie dit que le mot
étrusque pour « sein », ruma, soit à l’origine du
nom de la ville). Pourtant, le gouvernement siège
au Capitole, la colline la plus basse et la plus
exposée (elle est au bord de la zone sacrée du
pomerium),. Elle est la plus occidentale, qui a
peut-être une signification pour les Romains qui
prétendaient être d’origine troyenne et donc
orientale, traçant une orientation est-ouest. Troie
incarne l’idée de la faiblesse de la civilisation
romaine.
http://davidderrick.files.wordpress.com/2008/10/seven-hills.png
*Nommés pour l’avant-dernier roi des Romains d’origine étrusque, Servius Tullius, qui régnât au 6 e siècle a.J.-C.
Rome à sa gloire, 200 AD
(population: 1,2-1,5 m.)
Rome impériale (reconstruction)
http://www.uncp.edu/home/rwb/rome_center2.jpg
Rome après la chute (476 A.D.), 500 AD
(notez la dépopulation, indiquée par les zones teintées, et les murs détruits)
La vie et la mort d’un empire: de la République à l’Empire
http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/4/4c/Roman_Empire_map.gif/220px-Roman_Empire_map.gif
Attendez; le GIF se déroule automatiquement
Le commerce international, 1er siècle AD
http://www.mindtools.net/GlobCourse/600.mckay184_map.jpg
L’empire à son point maximum d’expansion
avec 60-80m d’habitants, sur une pop. globale de 200m
L’Occident est-il né en Grèce ou à Rome?
Depuis la fin du 19e siècle, circule dans le discours populaire et
dans certains manuels d’histoire une vision qui prétend que la
démocratie comme trait «typique» de l’Occident soit inspirée par
la démocratie «populiste» et «grecque» (lire: «athénienne»). Cette
position est liée au néoclassicisme allemand et britannique du 18e
siècle, mais elle est surtout colorée par les exigences de la
gouvernance de l’époque, qui favorisait une image politicoidéologique et formaliste des sociétés où se propageait cette vision
de la démocratie comme réalisation qui plaçait les sociétés
occidentales au sommet d’une échelle évolutionniste (les seules
qui ont incarné cette réalisation). Ceci déguisait leurs pratiques
http://www.thalesacademy.org/wpcoloniales et transformait ainsi l’idéologie (contrôlée par les élites
content/uploads/2010/09/Athens-300x247.png
qui de fait dominent les instruments de la représentation, tels que
les belles lettres et les beaux arts) en arme politique puissante qui
Une vision académique (18e
reproduit le statuquo. Le formalisme facilite la mise en place d’une
siècle) d’un lycée athénien
rationalité dont le sous-texte se penche vers la comptabilisation du
temps (nous sommes à l’époque des premières chaines de montage
de la révolution industrielle). Cette rationalité dans les décades à
venir influencera certains idéologues (p.e, Durkheim, Comte, Spencer) à la recherche de nouvelles
justifications pour l’interventionnisme gouvernemental qui devient la technologie privilégiée du contrôle
social. Paradoxalement, l’idéologie du progrès et de l’évolution (témoignée par les réalisations scientifiques)
mettra en place les dynamiques de la gouvernance occidentale, qui à sa base manipule la culture afin de
politiser la dimension psychoémotive de la personne: si le progrès social symbolisé par la démocratie trace les
contours d’une société perfectionnée, l’individu pour sa part reste prisonnier d’un miasme d’émotions et de
pulsions, obligeant les gouvernements d’intervenir afin de transformer cet aspect rétrograde. La démocratie
«grecque» est donc un prétexte pour l’intervention gouvernementale dans la dimension du vécu individuel.
Présentation: cinq questions
C’est à Rome où se forgent certaines idées qui
deviendront incontournables pour la majorité,
sinon toutes, les sociétés de l’Occident –
http://4.bp.blogspot.com/_VRJgso9Cyew/
S8ydi5vahBI/AAAAAAAAGEg/IeuYCp
yfU0/s1600/moskva+leningrad+269.JPG
pourquoi et comment le monumentalisme?
comment un lieu se transforme-t-il en symbole
d’un pays?
comment l’individu se transforme-t-il en
citoyen?
comment l’idéologie étatique deviendrait-elle,
des siècles plus tard, la base de l’hégémonie?
http://media.weirdworm.com/img/l
ife/how-to-sell-the-eiffel-tower/eiffel-tower03.jpg
http://t1.gstatic.com/images?q=tbn
:OZaFhwv2BF6yuM:http://jkshaws.fil
es.wordpress.com/2010/11/american-citizenship-bg1.jpg
http://strangeconsumer.files.wordpr
ess.com/2010/02/cultural-hegemony-1.jpg
http://www.rnrm.org.uk/images_history/britannia-1sml.jpg
comment se fait-il que des sociétés patriarcales
et militarisées se soient elles représentées par
des images féminines?
Première partie: La quotidienneté
intérieure de la maison de Hadrian, Tivoli (reconstruction)
L’artisanat romain
Service de cuisine en argile noire («bucchero») copié des Étrusques
Mosaïque romaine
(Ostia Antica, avec détails de la diète romaine)
Les arts domestiques (mosaïque)
Toilettes (Ostia Antica)
Les arts (sculpture, Cicéron)
Dieu étrusque (Turms, dieu du
commerce équivalent à Mercure;
800 a.-JC. Les ailes suggèrent le
déplacement, trait assez significatif
dans une époque agraire.)
La louve (La lupa capitolina), sculpture étrusque adoptée par les Romains, 400 av. J.-C.
La louve romaine (aujourd’hui à la mairie, le campidoglio, d’une des sept collines, Mons Capitolinus, la principale, la tête,
le caput, donc le capital), censée être une statue étrusque; les jumeaux sont des ajouts renaissance; la louve est aussi un
euphémisme romain pour une prostituée; la légende (de Tite-Live (Titus Livius), Ab urbe condita libri,* « Les livres dès la
fondation de la ville ») veut que Romulus et Remus furent abandonnés et retrouvés par une louve, qui les allaite. Puis, ils sont
trouvés par Faustulus, un berger, et par sa femme, une prostituée nommée Acca Larentia, probablement d’origine étrusque,
car son nom semble être lié à Lar, un semi-dieu (comme un ange gardien) protecteur de la maison, et l’origine des noms
Laurent, laurier (laurus, utilisé pour les couronnes triomphales), et lauréat pour quelqu’un qui reçoit une distinction.
Notons les points bizarres ou
incohérents dans cette histoire:
enfants d’une princesse d’Alba
Longa obligée par son oncle
usurpateur de se renfermer dans
un couvent des Vestales,
gardiennes du feu sacré, elle est
une descendante de Énée, un
cousin de Priam dernier roi de
Troie enfui en Italie; comme
Vestale, censée être vierge, elle
prétend que c’est le dieu Mars
qui l’a inséminé pendant qu’elle
marchait en forêt.
* The History of Rome by Titus Livius. Translated from the Original with Notes and Illustrations by George Baker, A.M., First American,
from the Last London Edition, in Six Volumes, Peter A. Mesier, New York (Lat: Ab Urbe Condita), 1823; il y a plusieurs versions
disponibles sur l’internet.
À gauche, la légende racontée sur un
sarcophage aujourd’hui exposée au
Palazzo Mattei à Rome. Rhea Silvia
(assise par terre) est endormie par une
potion, tandis que Mars (debout, avec une
lance) s’approche. En haut, il y a de
scènes de la guerre de Troie. Je ne sais
expliquer la présence massive de
Cupidons; sont-ils les jumeaux représentés
en diverses phases de leur vie? Cette
sculpture en haut-relief existe en d’autres
versions: voir Roman Sarcophagi in the
Metropolitan Museum of Art, Anna
McCann, 1978, p.75.
Selon la légende, les jumeaux sont abandonnés sur les rives du Tibre. Alba Longa, cependant, est 20 km
au sud-ouest de Rome; aujourd’hui, ses ruines sont Castel Gandolfo, une résidence d’été des papes. La
partie du Tibre la plus proche, qui est au nord de la ville, à ce point coule vers l’ouest, vers la mer. Si les
enfants ont été laissés la, le panier où ils ont été abandonné a du remonter le courant une douzaine de
kilomètres pour être retrouvés au pied de la colline Palatin, comme prétend Tite-Live. Et, s’ils ont été
déposés sur le fleuve au pied de la colline, ceci signifie que les servants du roi (l’oncle de Rhea,
Amulius) aient marché un autre 10 kilomètres pour le faire, et ceci, quand le fleuve était inondé, dit
Tite-Live.
Enfin, ils sont retrouvés et adoptés par un berger (Faustulus, un sans-terre dans une société agricole;
donc, un marginalisé) et sa femme, la Lupa (Louve). (Lupa et troia [sans majuscule] signifient la même
chose en Latin et en Italien, une prostituée; en français, truie dérive de Troie ville mythique; selon le
Larousse, en référence au fait qu’elle est gonflée comme le cheval de Troie!).
Bref, il y a plusieurs anomalies dans le mythe fondateur. Selon Wiseman*, le fait que le mythe émerge pour la
première fois dans une période de lutte de classe (296 a. J.-C.) est une allusion métaphorique à la légitimité des
revendications des Plèbes (deux fondateurs, deux catégories sociales, deux villes séparées) et à la victoire des
Patriciens (Remus est tué par son frère ou par un fidèle de Romulus après qu’il raille à propos du mur inadéquat que
ce dernier a construit. Des lois avaient été adoptées (Lex Licinia Sextia, 376 B.C.; Tite-Live, vol. 2, bk. VI, chap.
xxxv) pour limiter l’accumulation de richesses et pour favoriser l’accès au pouvoir de la part des Plèbes, mais les
Patriciens ignoraient la légende. La mort de Remus serait donc un sacrifice héroïque pour assurer la survie de sa
ville Remuria. Les Romains avaient un nom pour un tel sacrifice, devotio, qui suggère qu’ils le pratiquaient pour
garantir la victoire, mais ils avaient également un précédent: en 295, Rome était menacée par une alliance de
Samnites, d’Étrusques, et de Gaulois; donc, le dos à la mer et encerclé par ses ennemis au sud, à l’est, et au nord.
Leur nombre supérieur (c’était la troisième guerre contre les Samnites) favorisait l’alliance. Face à la défaite
certaine à la bataille de Sentinum (près de Sassoferrato, les Marches), le Consul romain Publius Decius Mus (“un
tribun”, dit Tite-Live [vol. 2, bk. VII, chap. xxxiv] et, donc, un membre des Plèbes, un statut indiqué par son
cognomen, Mus, “souris” et son nom dérivé du Decia) s’est lancé seul contre l’ennemi. Sa mort a inspiré ses soldats
et gagné la victoire. Ce sacrifice aurait pu inspire les Plèbes, qui ont érigé leur version de la légende fondatrice sur
cette matrice, avec Remus légendaire qui choisit le devotio pour sauver sa ville. Quelques décennies plus tard, les
Patriciens solidement au pouvoir racontent leur version (gagnante), où Remus est tué pour son hubris, car il a ignoré
les signaux divins, les oiseux divinatoires. Certaines versions disent que Remus a vu le premier oiseau, mais que
Romulus en a vu plus. Qui gagne?
Roma assise sur des boucliers et tenant une
lance, avec la louve (en bas, à droite) qui
nourrit les jumeaux; notez les oiseaux qui
survolent la scène. Denarius d’argent, de 115
a.J.-C.
* Wiseman, T.P., Remus: A Roman Myth, Cambridge University Press, Cambridge, 1995
A) Le monumentalisme: Le Colisée aujourd’hui transformé en signe de la
dimension cosmopolite du régime néolibéral; être massif, c’est la stratégie la
plus répandue et la plus simple pour symboliser la dominance de l’État.
L’amphithéâtre flavien
(Le Colisée, 80 AD; 87,000 personnes pouvaient assister à des spectacles)
La technologie du toit
Dans l’économie politique du visuel, le toit définit un espace ouvert qui est symbole de la
communauté: plus tel espace est-il grand, selon la logique sémiotique de métaphorisation du
lieu, plus la communauté est solidaire. La motivation pour le développement de nouvelles
technologies est peut-être liée au besoin de mieux représenter l’unité de l’empire.
Un toit triangulé:
l’ancien St-Pierre, Rome
http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/3/3d/Affresco
_dell%27aspetto_antico_della_basilica_costantiniana_di_san_pietro_nel
_IV_secolo.jpg/649px-Affresco_dell%27aspetto_antico_della_basilica_
costantiniana_di_san_pietro_nel_IV_secolo.jpg
Un toit à linteau:
un modèle du temple d’Aphaia, Grèce
http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/8/8a/
Model_temple_of_Aphaia_Glyptothek_Munich.jpg/800pxModel_temple_of_Aphaia_Glyptothek_Munich.jpg
Les toits grecs
À noter que l’envergure des toits grecs,
même ceux triangulés, est plus petite
comparée aux toits romains, par un facteur
de deux ou trois. Puisque les deux
utilisaient essentiellement la même
technologie, la différence, logiquement, est
due à des visions esthétiques divergentes:
les Romains semblaient ressentir plus le
besoin de construire en grand, de
symboliser leur communauté diverse et
hautement polarisée (par les divisions de
classe qui menaçaient de la saboter) en
créant des espaces grands dont le
symbolisme soulignait l’union symbolique
de tous les protagonistes du social. Ils
avaient également besoin de construire de
grands toits, de grandes «têtes» qui
menaient l’œil vers le haut et donc vers
l’État force motrice derrière ces projets
monumentaux.
Source: http://en.wikipedia.org/wiki/List_of_ancient_roofs
Les toits romains
En effet, ce n’est pas la
construction monumentale
qui témoigne la
communauté; ce n’est pas
la grandeur, mais l’espace
uni défini par les parois et
le toit qui est le vrai
protagoniste symbolique
de ces constructions.
Source: http://en.wikipedia.org/wiki/List_of_ancient_roofs
Pour les Romains, l’espace du temple est sacré. Ancien site d’autels, les temples sont les lieux de
sacrifices pour apaiser les dieux et pour connaitre leur volonté (par l’haruspicine). Dans l’ancienne
tradition indo-européenne attestée à Rome comme en Inde, les rites sacrés se marquaient par une
procession qui passait de l’ouest à l’est, d’un petit enclos vers une espace plus grand. À Rome, au
périmètre oriental, était placé un columna mundi (‘colonne du monde’, une stèle qui évoque l’arbre
cosmique de la mythologie scandinave). Elle marque la frontière avec l’espace des dieux au-delà du
périmètre oriental, mais elle n’est pas une barrière: la colonne invite les personnes à
symboliquement pénétrer le domaine sacré. Donc, l’idée de la pénétration, de l’expansion et même
de la domination de l’Autre est métaphoriquement sacralisé (voilà pourquoi dans le premier temple
érigé à Rome le dieu Terminus était joint à Jupiter tout puissant et à Juventas la déesse des jeunes
guerriers). Non seulement la barrière n’est-elle pas un obstacle à l’expansion militaire, elle l’invite.
Plus grand est l’espace intérieur, plus nombreuse et plus forte est la communauté à la conquête de
l’Autre. Pour plus de détails, voir Roger Woodard, Indo-European Sacred Space: Vedic and Roman
Cult, Urbana, 2006.
http://davy.potdevin.free.fr/Site/pics/gods/juventas.gif
À gauche, Terminus; à
droite, Juventas
http://media.bestmoodle.net/alciato/A21a158_200.jpg
Il y a une évolution dans l’architecture et dans la sculpture avec le temps. Vers la fin du 3 e siècle,
l’Empereur Dioclétien, après l’instabilité qui a marqué le 3e siècle due aux invasions barbares, décide
que l’Empire est ingouvernable. Il impose la Tétrarchie, où le pouvoir est partagé parmi 4
coempereurs, pour répondre plus rapidement aux menaces venant des frontières. L’espace symbolique
de la communauté devient plus grand (grâce à la technologie du béton), et la décoration, incluse la
sculpture, est simplifié.
Notez l’absence de détails des visages des
Tétrarques, comparé à la sculpture de
l’époque augustinien (p.e., Cicéron, présenté
dans une diapo précédente) qui montre
clairement les détails de la personnalité du
sujet, sa vie intérieure. Ici, les quatre hommes
sont à peine distinguables. On voit les mêmes
tendances dans l’Aula Palatina de Trier (310,
Allemagne; complété par Constantin, seul
empereur après la Tétrarchie, mais qui n’a
pas oublié les leçons de ses prédécesseurs;
aujourd’hui, une église, ce qui explique ses
conditions extraordinaires de conservation):
sans colonnes ou décorations, et un espace
intérieur énorme. Enfin, le visage stylisé de
Constantin, exécuté dans un style quasiment
futuriste des années 1930s. Autrement dit,
face aux menaces, les Romains ont
complexifié leur système de gouvernance
mais simplifié son symbolisme pour
souligner l’unité, qui, à ce point dans leur
histoire, est plus idéale que réalité.
Temple de Antoninus Faustina, 150 AD
(épouse de l’Empereur Antoninus Pius)
Notez la façade exagérée
censée créer l’impression de la
massivité, une version romaine
du monumentalisme étatique.
Voir le PPT L’architecture et
la représentation de la
communauté. Pour des plans
d’édifices, voir aussi John
Ward-Perkins, Roman
Architecture, New York, 1979.
Basilique de Maxentius (Rome, 310 AD)
http://upload.wikimedia.org/wikipedia/
commons/thumb/6/66/Dehio_6_Basilica
_of_Maxentius_Floor_plan.jpg/400pxDehio_6_Basilica_of_Maxentius_Floor_plan.jpg
Plan de la basilique, avec
une nef de 4000 m2.
Le théâtre de Marcellus, Rome
(12 a. J.-C; l’édifice contemporain est érigé sur les formes de l’ancien théâtre)
Érigé par OctaveAuguste en honneur
de son beau-fils
décédé
prématurément (qu’il
espérait serait son
successeur;
Tiberius/Tibère fut
choisi, avec de
résultats désastreux
pour la dynastie et
pour Rome), 111 m
de diamètre, il
pouvait accueillir
11,000 spectateurs.
Mausolée d’Auguste, 28 av. J.-C.
(Octave, fondateur de l’Empire)
Le temple des Vestae (3e siècle av. J.-C.)
Les temples dédiés à
Vesta déesse du feu
sacré étaient orientés
vers le soleil de l’est,
donc vers le lieu
mythique censé être
l’origine de Rome. Le
culte des vestales
existait avant la
fondation de Rome (la
mère de Romulus et
Remus était une
prêtresse à Alba Longa,
au sud de la ville). Le
culte fut supprimé
quand les Romains se
sont convertis au 4e
siècle. Le feu était censé
représenter la continuité
et donc la survie de la
communauté.
Le Panthéon
Panthéon (projeté par l’Empereur Hadrian, 125 AD;
diamètre: 142 pieds; hauteur de la coupole: 142 pieds; hauteur des murs: 71 pieds)
Les thermae de Caracalla (215 AD)
ont une superficie de 13 ha., et des dimensions de 230m x 115m x 40m h.
http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/2/2e/Caracalla_innen.png
Thermae de Caracalla,
reconstruction de l’intérieur
http://media-cdn.tripadvisor.com/media/photo
-s/00/17/d9/29/baths-of-caracalla-terme.jpg
Maison Diana, Ostia Antica
(insula; réputée être un bordel; il est important à retenir
que la majorité des Romains avaient des habitations de 4
ou 5 mètres carrés; ceci suggère qu’il y existait un
système de classe très pointu)
http://www.mmdtkw.org/02-02-02insula1.jpg
Plan intérieur d’une insula
La cloaca («purificatrice») maxima
(construit 4e – 5e siècle av. J.-C., et toujours en service; surmontée par le temple dédié aux
Dioscuri, Castor et Pollux)
L’Arche de Constantin,
315 AD
(modèle pour l’arche de
Triomphe, Paris)
http://anidom.blog.lemonde.fr/files/
2009/09/arc-de-triomphe.1252784952.jpg
Le forum aujourd’hui
Le forum aujourd’hui
B) Lieu – Le campidoglio est la
version contemporaine du
Capitolium, une des «sept collines»
(elles ne sont plus sept, ni très
hautes), qui devient symbole de
Rome, car c’est le siège symbolique
du gouvernement. Le mot dérive de
caput, tête, qui est
métonymiquement signe du chef,
de la gouvernance, des lois,* du
haut, de l’aboutissement d’un
processus. Ensemble, ces traits
définissent le pouvoir souverain,
dont le caput mundi devient
symbole. C’est une des premières
instances de l’utilisation d’une
métaphore dans la gouvernance,
surtout qu’elle est organisée selon
un principe hiérarchique.
Le Capitolium reconstruit;
on y voit le Sénat
* Largement dans le contexte urbain, en contraste avec l’impérium, le pouvoir suprême; logiquement, les
citoyens de Rome sont protégés des excès de ce pouvoir par le pomérium (la qualité sacrée de la ville, incarnée
par ses murs) et par ses lois (sauf pour des circonstances extraordinaires, quand un dictateur est nommé).
Le lieu - suite
Le lieu comme symbole primordial de la communauté domine les
nationalismes occidentaux; en fait, on ne peut pas parler de nationalisme si le
sentiment d’appartenance est divorcé d’un lieu. Athènes était dominée par son
Acropole, une zone dont le nom signifie, littéralement, «hauteville». Cet espace
était renommé, car il hébergeait un temple (le Parthénon) où se trouvait une
statue gigantesque de la déesse Athéna symbole de la ville. Les Romains,
comme plusieurs civilisations, ont aussi utilisé l’idée de la hauteur, mais l’ont
remanié pour réorienter sa signification: l’emplacement du temple sur la colline
était symboliquement lié à l’image du corps social, transformant le symbolisme
de la colline et de son temple. À Rome, ceci est dédié à Jupiter Optimus
Maximus, qui était en réalité une triade composée de Jupiter, Mars et Quirinis,
une forme de co-vir, «males ensemble» qui est aussi lié au mot pour lance
(quris ou quiris), donc, être soldat serait la condition naturelle du Romain
affranchi (mais ceci peut aussi être une tentative romaine de « romaniser » un
dieu d’origine étrusque). Plus tard, cette triade a été substituée par deux autres
triades: Jupiter, Juventas, Terminus, et Jupiter, Junon et Minerve. Le «haut»
devient la «tête», symbole de la communauté, qui est donc «attachée» au corps,
transformant la société en «corps social» (ceci est une expression romaine).
Cette métaphore souligne tacitement l’idée de la hiérarchie politique, où le
sommet représente l’État autoritaire. L’emplacement vertical du temple donc
domine non seulement le paysage architectural, mais également le symbolisme
de l’urbs et de la gouvernance. L’importance de ce symbolisme est soulignée
par le fait que le déroulement quotidien du gouvernement ne se situe pas au
temple, mais au Forum; le temple est donc un symbole «pur», un tableau vierge
sur lequel est projeté une métonymie: temple=haut=gouvernement=ailleurs, car
le temple est rempli du butin des guerres de conquête. Ce lieu symbolique du
pouvoir suprême est donc détaché de l’ici et rattaché à l’image de l’Autre
lointain, à l’ailleurs, renforçant la division pomerium-ager (ville sacrée et
ailleurs, où domine le pouvoir brut, imperium), et de la division pouvoirautorité. Autrement dit, on y met le butin venu d’ailleurs pour renforcer la
dimension symbolique du lieu, créant ainsi une métonymie puissante liant le
haut (l’ordre), le Nous et l’ailleurs. Ce n’est pas un accident qu’un des premiers
à noter l’importance du corps métaphorique est un Italien, Giambattista Vico
(1744, La nouvelle science).
Une des légendes plus antiques
de Rome prétend qu’on a trouvé
une tête humaine en creusant les
fondations du temple de Jupiter.
Cette trouvaille est signe que le
temple et Rome vont devenir la
« tête du monde », le caput
mundi.
Jupiter
http://www.concurringo
pinions.com/archives/jupiter.gif
http://www.roman-empire.net/graphics/civ/city-model/rome-13.jpg
Le temple, selon une reconstruction
Le lieu - suite
En fait, le jeu ici-ailleurs/haut-bas transforme le
mécanisme sémiotique du temple d’une métaphore à
une métonymie, car le lien qui attache le lieu au
pouvoir devient moins distinct et plus indirect. Ceci
en effet augmente la distance entre le signifiant et son
signifié, ce qui établit l’importance des métonymies
du pouvoir vis-à-vis de ses métaphores. Cette
distanciation du rapport lieu-pouvoir crée un
mécanisme sémiotique plus abstrait et moins concret;
plus est abstrait le lien, plus est-il facile de le
remanier et surtout de le réinterpréter selon les
exigences politiques du moment. Le temple a été
symboliquement «purifié» en séparant ses fonctions
(en déplaçant la gouvernance ailleurs, au Forum, et
en plaçant «ici» le butin-symbole de l’Autre lointain),
pour devenir symbole tellement polysémique qu’il ne
peut plus se référer à un seul signifié. Vidé de ses
signifiés métaphoriques, le cœur du pouvoir peut
donc symboliser la société entière. Comme un jeu de
miroirs, l’effet de purification et de remétaphorisation
se multiplie pour s’étendre jusqu’à inclure la ville
entière et un système total de gouvernance. Voir
Catherine Edwards, Writing Rome: Textual
approaches to the city, Cambridge, 1996.
Un autre lieu sacré, le temple
de Saturne, dédié en 490 a. J.-C.
http://farm4.static.flickr.com/3097/3124836349_4f527ea400.jpg?v=0
Le lieu - suite
Mais qu’est-ce que les Romains déposent dans le temple du Père des
Cieux, garant de l’ordre social? Les armes des vaincus. Pourquoi ne pas y
sacrifier les prisonniers? (Ils le faisaient, mais pas dans le temple, et à
l’époque de la naissance de la république). Pourquoi ne pas y placer les
crânes des vaincus massacrés ailleurs? Parce que les armes de l’Autre
sont les symboles pas de sa force masculine, mais de sa capacité
d’attaquer, d’aller au-delà de ses frontières. Les Romains veulent donc
symboliser leur rapport à l’ailleurs, à l’Autre conquis et soumis, en lui
confisquant ses moyens de se déplacer; ils enlèvent à l’Autre sa capacité
d’établir « son » ailleurs. Les armes, selon l’origine du mot (latin
« arma -orum», du PIE ar-, joint ou joindre, qu’on voit dans l’anglais
« arm », bras, le latin « artus » et l’italien « arto », membre, et le français
« articulation »), sont des extensions du bras, une
http://www.bible« jointure supplémentaire » qui augmente son rayon d’action, qui le
history.com/ibh/images/fullsized/four_german_d
permet, autrement dit, de franchir les limites physiologiques du corps.
aggers_or_poniards.jpg
Donc, confisquer les armes de l’autre lui enlève ses jambes
métaphoriques, sa capacité de s’étendre, de se déplacer,
d’envahir ses voisins. En les déposant au temple symbole de
l’ordre social, on lie l’immobilité de l’autre à la bonne
gouvernance de Rome: les « jambes » basses de l’autre
deviennent la « tête » haute de Rome.
À gauche, des armes celtes; en haut, des armes gothes à l’époque de
l’Empire.
http://a3.ec-images.myspacecdn.com/images02/58/89448929eaaf4ca7b7a82e48d60b9afe/l.jpg
Il y a une autre possibilité pour l’origine de l’importance du haut et de la tête/caput, suggérée
dans le livre extraordinaire de Richard Onians (1951), The Origins of European Thought
about the Body, the Mind, the Soul, the World, Time, and Fate. New Interpretations of Greek,
Roman and Kindred Evidence. Onians fait le lien entre les fluides du corps et, en particulier,
le fluide séminal et la survie du Soi, qui se manifeste pour les Grecs et Romains avant tout
dans la procréation, c.-à-d., on survit dans son lignage, dans sa famille, dans ses enfants. Or,
concrètement, ce fluide se concentre dans les testicules, mais le corps possède d’autres tissus
semblables : la moelle épinière (liée au dos, qui donne la forme au corps), la moelle des
fémurs (qui forment les jambes, organes de locomotion, le déplacement étant fortement
symbolique dans un monde agricole qui, forcément, obligeait les personnes à rester attachées
aux champs qu’elles avaient semés), et surtout le cerveau (pour les Grecs, organe qui
ventilait le sang; la pensée se situait plutôt dans le coeur), où se trouve, évidemment, la plus
grande concentration de tel tissu. Donc, le cerveau et la tête sont logiquement liés à la
procréation et à la survie du groupe.
À gauche, un testicule tranché en deux; à
droite, une tranche d’un cerveau; en bas, la
moelle.
La symétrie et les portes
Pourquoi les édifices sont-ils symétriques en Occident, ou l’étaient jusqu’au 20e siècle?
Autrement dit, comment la symétrie est-elle devenue la base de l’harmonie visuelle et donc
du plaisir esthétique? Il y a bien sûr plusieurs réponses, mais il ne faut pas négliger
l’aménagement de la ville romaine qui devient notre héritage architectural. La majorité était
des colonies militaires, donc, planifiées. Ces villes avaient essentiellement deux rues
principales, une Nord-Sud (Cardo Maximus, essentiellement, «le point cardinal»*), rue
dominante, et l’autre Est-Ouest (Decumanus Maximus, essentiellement, «le grand pouvoir du
dixième manipule», qui était normalement situé au flanc de l’armée principale), l’orientation
secondaire. Ces noms ont évolué au cours des siècles.
http://media-2.web.britannica.com
/eb-media/95/22195-004-4AECE421.gif
Londres, 200 AD. On voit les deux
rues principales. Ce plan était typique
des villes romaines, sauf,
évidemment, Rome, qui a grandi de
façon non planifiée.
Florence aujourd’hui; on voit
toutefois les anciens murs
romains, le Cardo et le
Decumanus (flèche)
http://www.theflorentine.net/media/issues/firenze-centro.jpg
* Hypothèse: au moment de la fondation de Rome, au nord et au sud se
trouvaient ses plus grands ennemis (les Étrusques au nord; les Volsci au
sud) et ses plus grands alliés (les Sabins, au nord). L’axe nord-sud est
donc primordial, avec deux portes: la porta praetoria au nord et la porta
decumana au sud; le 10e manipule est la dernière, et le praetor est le
chef, donc les 2 portes correspondent à « avant » et « arrière ».
Par contraste, une ville médiévale non romaine (Sibiu, Transylvanie)
Les rues sont sinueuses, le plan non rectangulaire
Les portes attachées à ces rues étaient des
lieux névralgiques, car elles représentaient
des points de pénétration de l’espace sacré à
l’intérieure des murs (on construisait un mur
en traçant un sillage avec une charrue, donc
en creusant dans la terre sacrée, donc en
«pénétrant» la terre, qui, comme lieu de
l’agriculture, est féminine), et en soulevant
la charrue aux endroits qu’elle traversait les
rues principales projetées. Les Romains
étaient donc conscients du symbolisme
sexuel de l’identité féminine de la ville, de la
civilisation, de la terre mère qui «enracinait»
les murs et donc la ville. En limitant, en
principe, les portes aux axes principaux, ils
limitaient l’accès à la ville non seulement
pour des raisons de sécurité et de protection,
mais également soulignaient le symbolisme
de la pénétration. En limitant ces points de
faiblesse symbolique, ils ont souligné le
symbolisme de chaque acte individuel de
pénétrer les murs. En adoptant deux axes, et
en limitant le nombre de portes – bref, en
adhérent à un modèle rigide – la ville est
transformée en espace rituel. En
combinaison avec l’image du corps politique
masculin et de la civilisation féminine, la
sexualisation de l’espace urbain moyennant
cette symétrie militaire devient la base de
l’esthétique de la ville et de ces édifices.
Porte romaine (Porta
Nigra) à Trier
(Allemagne; début 4e
siècle); un autre
exemple d’une porte
trop grande qu’on
puisse la fermer. Elle
symbolise que le
pouvoir sémiotique de
la ville est plus
important du pouvoir
individuel.
http://galenfry.com/eh61/trier.jpg
Porte romaine à
Rimini (27 av. J.-C.);
comme plusieurs de
ces portes, elle était
tellement large qu’on
ne pouvait la fermer.
Son rôle défensif
n’est donc pas
primordial.
http://www.fotoeweb.it/Rimini/Foto
Rimini/Rimini%20Arco%20d%27Augusto.jpg
Quelques villes adhérentes au modèle romain: Turin (Castra Taurinorum, Italie); Trier (August
Treverorum, Allemagne); Speyer (Noviomagus, Allemagne); Paris (Lutetia, France); Londres
(Londinium, Grande-Bretagne); Pompéi (Italie); Lincoln (Lindum Colonia, Grande-Bretagne); Alba
Iulia (Apulum, Romanie); Tiberias (Israël); Florence (Florentia, Italie)
En ritualisant l’entrée et le sortir de leurs villes, les Romains ont créé des endroits sacrés (selon eux), où
le pouvoir sémiotique du lieu est rehaussé. Ne l’oublions pas, les villes sont féminines et donc «faibles»
pour souligner la nécessité d’une intervention « masculine » (étatique) constante. En augmentant le
pouvoir de la porte et donc de la ville, l’Agir passe de l’individu à la ville. Donc, l’individu, un sujet
actif, devient passif, et la ville devient le sujet actif dans le dialogue individu-communauté. Autrement
dit, le fait de marcher et donc de littéralement pénétrer la ville ne signifie pas que l’individu est «actif»;
c’est la ville qui le « reçoit », puisque la ville a plus de pouvoir sémiotique. Donc, c’est la ville qui agit
sur l’individu et non l’inverse, dans le sens de «l’accueillir», de «permettre» la pénétration. La symétrie
du plan d’aménagement était donc le moteur qui déclenchait ce processus de ritualisation, qui projetait le
pouvoir individuel sur une entité spatiale, la ville et ses murailles.
http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/7/78/Newport_Arch2.jpg
Quelques villes romaines avaient des portes
situées à la fin de leurs rues principales, sans
pourtant construire les murs qui normalement
les auraient lié une porte à l’autre. Ceci
démontre que les portes n’étaient pas
nécessairement des structures défensives,
mais des engins symboliques pour penser le
rapport de l’Homme « étatique » à la ville
féminine.
Newport Arch, Lincoln (Lindum Colonia),
Grande-Bretagne
Est-ce un hasard que l’Église, une fois établie à Rome officiellement après le décret de
Milan émis par l’Empereur Constantin (313 A.D.) que la permet de sortir de la
clandestinité, adopte formellement la croix comme symbole? La croix était connue
avant le christianisme, mais pas utilisée parce qu’elle était liée à la mort de Christ, et
donc avait un symbolisme négatif: mort = souffrance = anéantissement. Pas des traits
qu’on voulait lier à l’émergence de l’Église.
Le premier symbole chrétien est le poisson. C’est
seulement plus tard qu’on adopte la croix,
informellement vers le 2e siècle. Vers le début 4e
siècle, le symbole est tellement répandu qu’il est
« officiel ». À gauche, une stèle funéraire du 3e
siècle, du cimetière dans la région de la colline
Vaticanus. Il dérive d’un acronyme de 5 mots
grecs: Ἰησοῦς Χριστός, Θεοῦ Υἱός, Σωτήρ",
(Iēsous Christos, Theou Huios, Sōtēr; Jésus
Christ, Fils de Dieu, Saveur).
Est-ce qu’on choisit un symbole de torture et de mort pour célébrer la naissance de
l’Église parce que la croix était déjà symbole de la ville sacrée, de la civilisation? On ne
peut être certain, mais je crois que la croix ne célèbre pas la mort, mais Rome éternelle,
le cœur défini par le carrefour des deux rues principales de la ville.
La pureté et l’eau
Rome était surtout connue pour ses projets de génie civil, dont ses rues et ses aqueducs. La ville de
Rome était desservie, quand elle avait une population de plus d’un million, par 11 aqueducs. La
consommation d’eau moyennait 600 litres par jour par personne, dont 44% pour l’utilisation
publique et 37% pour des privés (le reste était pour les bains et les toilettes). Même les pauvres
avaient accès à 67 litres par jour, ce qui n’inclut pas le montant réservé pour les bains et les
toilettes publiques. Aujourd’hui, un italien contemporain consomme 390 litres par jour, un
américain 250, ce qui est toujours très élevé comme montant, mais seulement un peu plus de la
moitié de la quantité il y a 1800 ans (http://www.data360.org/dsg.aspx?Data_Set_Group_Id=757,
25-06-2011; Christer Bruun, The Water Supply of Ancient Rome: A Study of Roman Imperial
Administration, Helsinki, 1991). Pour les Romains, le bain public est un lieu de socialité, de sport,
d’érudition (les grands bains avaient des bibliothèques publiques): un fait social total, dirait
Durkheim.
Il y a plusieurs théories, mais n’oublions pas que la ville
est un lieu sacré (p.e., les cimetières sont interdits)
représenté par l’image du corps social, et donc la
propreté individuelle, encouragée par les bains publics,
est une préparation symbolique qui rend le corps
individuel plus sensible aux images dérivées de
l’idéologie. Faire un bain c’est purifier le corps de son
individualité pour faciliter la transformation en citoyen
on enlève les couches de saleté de la vie quotidienne
pour mieux se préparer afin d’accepter le message
symbolique du corps social.
http://www.studiolo.org/pix/info006/Aqueduct_PontDuGard_Nimes[1].jpg
Aqueduc romain à Nîmes
C) Idéologie – en fait, le passage de la métaphore à la métonymie du lien
lieu-symbole est à la base de l’idéologie comme système à penser la
communauté. C’est en distançant le signifiant de son signifié que les Romains
peuvent proposer la fiction qu’ils sont les héritiers de Troie mythique et
mythifié (Énée genre de Priam dernier roi de Troie est censé, selon certaines
versions de la légende fondatrice, être le père de Romulus et de Remus suite à
un rapport illégitime avec une prêtresse de Vesta déesse du feu sacré qui
symbolisait la continuité et la permanence de la civilisation romaine; le feu est
symbole du soleil et donc du ciel «haut», la «tête» du cosmos et lieu de Zeus
garant de l’ordre sociale). Les Romains projettent ainsi leur lieu d’origine
vers l’Orient, ailleurs, et, bizarrement, proposent que leur glorieuse
civilisation soit l’héritière d’une race doublement maudite: les Troyens sont
vaincus par les Grecs «efféminés», selon les critères «masculins» des
Romains conquérants des Grecs. Sur le plan symbolique, donc, le mythe
d’origine détache le passé du présent, car il établit le contraste entre les
origines humbles et les réalisations glorieuses actuelles. Ceci est souligné par
une ruse mythique autour de la naissance «double» des jumeaux fondateurs de
la ville: abandonnés par leur mère biologique, ils sont adoptés (donc, ils
« renaissent ») par un berger sans terre et par sa femme, une prostituée
surnommée La Louve: les thèmes qui tournent autour de la notion de la
distance dans le récit de la 1re naissance sont donc soulignés par le 2e. Cette
distanciation sociale et surtout temporelle leur permet de situer la ville dans
un temps spécial, atemporel: Rome devient «éternelle». Enfin, en choisissant
une déesse mineure, Italia, pour symboliser la survie de la communauté
patriarcale, les Romains patriarcaux creusent davantage l’écart entre passé et
présent et surtout entre le vécu existentiel et les représentations de la
communauté. Ces représentations font partie d’un système logique
suffisamment divorcé des faits historiques, dont les signifiés se transforment
en narration fictive de la naissance de la communauté, dans le sens de Homi
Bhabha (voir Nation and Narration, 1990). Il faut aussi noter, à différence de
Bhabha, que ce processus établit la métaphore de la naissance et de la
croissance de la communauté, et donc fige pour toujours l’importance de la
biologie dans le symbolisme politique.
http://1.bp.blogspot.com/_DiSRh2_ry2M/S8RZrqOHUrI
/AAAAAAAAAlM/bbzcYVLJSQo/s1600/Hitlermusso2_edit.jpg
Aujourd’hui, «idéologie» est un mot empoisonné,
car certaines narrations idéologiques ont été
utilisées pour des fins honteuses.
L’idéologie – synthèse
Comme dans le cas du symbolisme du lieu,
détacher ces représentations de leurs signifiés
permet aux Romains de les manipuler au
besoin et, plus important, de les idéaliser et
de les transformer en système rationnel, dont
la simplicité et la cohérence logique
deviennent le vrai signifiant de la
communauté. En fait, les images brutes de
Rome se transforment en idéologie du lieu à
fur et à mesure qu’elles sont rationalisées et
placées dans un «système». L’idéologie est
donc conceptualisée comme une
superstructure abstraite, formelle et
«parfaite» qui représente la communauté en
cachant les vrais rapports de force sur
lesquels elle s’érige. Autrement dit, le
signifiant du signifié «Rome» n’est ni un
lieu, ni un mot, ni un concept, ou ni même
une idée, mais plutôt un processus de
perfectionnement et d’abstraction.
L’idéologie existe uniquement dans la
dimension des mécanismes sémiotiques avec
lesquels s’érige la communauté autrement
incapable de se concrétiser.
L’idéologie aujourd’hui a perdu beaucoup de sa
spécificité et est parfois utilisée pour parler de
«croyances» primordiales en plusieurs domaines.
Elle n’est plus une vision transformée, idéalisée et
surtout logique de la communauté. L’idéologie est
plutôt vue comme la simple ritualisation des
croyances.
La puissance polysémique de la métonymie: voici deux signes
de personnes absentes, du voyage, du tourisme, du loisir, d’un
lieu défini par sa fonction, d’une activité. Le vrai signifiant est
l’ombre (en bas, à droite) du photographe.
D) Citoyenneté – le vrai pouvoir derrière l’empire est
l’impérium, le droit d’utiliser la force absolue, mais
uniquement au-delà des murs de la ville (un empire
n’est pas basé sur la mise en scène du pouvoir, mais sur
la projection géographique de la force sur laquelle il
s’érige). Les Romains distinguent le pouvoir limité à
Rome et la force absolue ailleurs. En principe, donc,
l’autonomie et la liberté de l’individu ne dépendent pas
de se qualités innées, mais du fait qu’il est transformé
en citoyen et donc membre d’une catégorie où la force a
des limites. Puisque les lignes de force sont mises en
évidence uniquement en dehors de la ville, la
citoyenneté est donc sémiotiquement associée aux
incarnations du pouvoir qui masquent la force. Rome et
l’identité politique qu’elle confère est sont de
métaphores de l’empire, mais aussi de métonymies des
rapports de force rendus invisibles. Divorcer la force et
ses signifiés (sémiotiquement, de l’Autre et de
l’ailleurs) et le pouvoir (le Nous, l’ici) signifie que le
citoyen-symbole est un médiateur entre la force
éloignée et le pouvoir local. Le statut de citoyen est
donc une catégorie dynamique capable de symboliser et
d’incarner la souveraineté, car il est un espace
symbolique où s’entrecroisent plusieurs métaphores,
surtout celles qui tournent autour des définitions de la
force, du pouvoir institutionnel et de l’autorité morale.
http://www.top50states.com/images/what-is-citizenship-in-america.jpg
De telles images peuvent mettre en
question le rapport valeurs-idées
Citoyenneté - suite
Le citoyen-médiateur crée la base pour
un partenariat difficile, où l’État ni
élimine ni écrase l’identité individuelle
(comme font les systèmes «asiatiques»,
selon Karl Wittfogel; voir Oriental
Despotism, 1956), car celle-ci est
symboliquement la base morale de son
pouvoir. Cette vision de l’État comme
représentant de la souveraineté du
peuple met en place les conditions qui
garantissent l’individualité et la
démocratie dans le contexte de l’État
fort, un équilibre tendu, mais stable qui
a structuré le rapport citoyen-État
jusqu’à il se fait déplacé par les théories
fascistes du 20e siècle.
«L’individualisme croissant» des pays asiatiques
est souvent cité pour parler de
l’occidentalisation de l’Asie, pour souligner
implicitement que l’individualisme est un trait
typique de «chez nous» et absent «chez eux».
http://www.independent.co.uk/multimedia/arc
hive/00414/000_sahk9909216_e33_414850t.jpg
E) Le féminin - voir le PPT Le Féminin pour une analyse plus approfondie; ici, je
discute pourquoi les Romains patriarcaux adoptent une imagerie politique dominée
par le féminin. Non seulement, mais ce symbolisme est projeté sur la tête, la caput,
qui renforce la signification de la hauteur et de la colline.
Image de la parente matrilinéaire.
L’unique combinaison qui crée une
représentation d’un univers social avec
trois composants
Ici, il s’agit d’un modèle tsimshian de
leur univers social: mariage matrilatéral
avec la cousine croisée (1), la filiation
matrilinéaire (2), et résidence patrilocale
(3). Modifier n’importe de ces trois
dimensions crée une représentation
dyadique (avec deux composants, pas
trois); la patrilinéarité ne peut que créer
des modèles dyadiques (Eux et Nous)
Dans un système matrilinéaire, où l’identité principale des enfants est héritée de la mère, il est
possible créer un modèle de l’univers social qui incorpore trois catégories. Le Nous est lié à deux
«Autres». Par contre, un système de catégorisation sociale patrilinéaire ne peut élaborer qu’un
univers social avec deux composants. Bref, l’option patrilinéaire est plus polarisante et moins
ouverte comparée à un système matrilinéaire. Un monde militarisé où les personnes sont
continuellement en lutte pour de ressources pourrait favoriser une vision patrilinéaire et
patriarcale.
http://images1.wikia.
nocookie.net/__cb20
Il y a trois triades qui se succèdent au panthéon et au temple le
120204100309/olym
http://www.probertencyclopaedia.com/j/Terminus.jpg
plus sacré de Rome:
pians/images/1/10/Ju
ventas.gif
a) Jupiter – Mars – Quirinis
b) Jupiter – Terminus – Juventas
c) Jupiter – Junon – Minerve
Qui sont ces acteurs?
A) Jupiter, le « lois-père » dieu céleste dont la position dans le
ciel lui permet de voir loin et d’agir de garant de l’ordre social.
Mars, un dieu agricole à l’origine devenu défenseur de la terre, et Quirinis, qui est nul d’autre que
Romulus, bébé abandonné dans l’eau: les trois représentent le triade ciel-eau-terre, donc un axe haut-bas.
B) Terminus: dieu de frontière qui refusa de céder sa place à Jupiter lors de la construction du temple en
son honneur; Juventas, liée à l’eau (elle sert les dieux d’Olympe; notez qu’elle est représentée avec une
cruche, donc liée à Quirinis/Romulus, qui sont liés au fleuve sacré de Rome) déesse de jeunesse qui aussi
refuse de céder sa place à Jupiter, obligeant donc les Romains à incorporer ces deux dieux secondaires
dans le temple: ciel, frontière et futur (représenté par la jeunesse).
C) Junon: protectrice de l’État, probablement d’origine étrusque, elle est sage et surtout agressive, la
version romaine de la Grecque Héra et surtout la version féminine de Mars, qui est en fait son fils;
Minerve est aussi étrusque et, comme Athènes, représente les arts de la civilisation et donc la civilisation
elle-même. Il y a donc une évolution sur quatre axes: 1) du masculin au féminin (trois mâles; deux mâles
et une femelle; deux femelles et un mâle); 2) du romain à l’étrusque, donc du sud vers le nord (où se
trouve l’Étrurie); 3) du pur (masculin) à l’impure (féminin); 4) du présent au passé étrusque. Notez que
la féminisation n’est pas pour souligner la fertilité, car Junon n’a que deux enfants, comme Juventas de la
2e triade, et Minevre n’a aucun, comme Terminus, qui n’est qu’un buste sans corps, et donc sans enfants.
Notez également que « l’étruscalisation » émerge au moment, vers le 1er siècle a.-J.C., quand Rome
élimine l’Étrurie comme rival, et que la féminisation du temple s’installe quand Rome est .au tout début
de son ascension en Italie, vers 509 a.-J.C. (quand le premier temple fut érigé).
Le pouvoir et le genre
Le pouvoir individuel est un trait
complexe, mais la capacité d’agir de
façon efficace dans le social («le
pouvoir» tout court) dépend en partie de
la confiance (ou de la peur) des autres,
qui est accordée à une personne selon le
nombre et l’importance des signes de la
communauté qu’il maitrise (le capital
culturel de Bourdieu). Le pouvoir d’agir
est donc lié à la capacité de s’approprier
ou d’incarner les signes de la
communauté. L’image du corps social est
donc importante, car elle est un point de
repère qui signale la capacité de
l’individu de s’identifier avec la
communauté – plus on peut s’identifier
avec le corps social (c.-à-d., métaphoriser
du Soi), plus on semble partager des
traits reconnus par tous les membres de
la communauté. Malheureusement pour
les femmes, la métaphore du corps social
signe de la communauté est mâle.
http://www.listeningtocities.net/ltcarchive/ltcimages/leviathan.jpg
La couverture de Leviathan (1651) de Thomas Hobbes
évoque un monstre biblique (du même nom) avec un
pouvoir absolu. Cette image est souvent considérée
comme synonyme du corps social grâce au sujet de
Hobbes (le contrat social et l’État) et par l’illustration:
le corps du monstre (ici, pourvu de la couronne de la
souveraineté) est composé de centaines d’individus. Le
pouvoir du monstre-symbole de la souveraineté de
l’État dérive du degré auquel l’individu réussit
d’adhérer à la culture de l’État.
Secessio plebis
R. Barloccini, 1849
Un jour, en 491 av. J.-C., les plèbes de Rome font la grève
(Livy vol. 1, Bk. II, chap. xxxii) et quittent la ville; ils
s’installent au Mons Sacer, où Remus avait fondé « sa » ville.
Les patriciens envoient Agrippa Menenius Lanatus, “un
homme éloquent, acceptable au peuple, parce qu’il avait été
membre de leur corps”. Tite-Live reproduit (invente) son
discours (25 av. J.-C.):
http://www.guernicamag.com/Secession-Plebians-575.JPG
“At a time when the members of the human body did not, as at present, all unite in one plan, but each
member had its own scheme, and its own language; the other parts were provoked at seeing that the
fruits of all their care, of all their toil and service, were applied to the use of the belly; and that the
belly meanwhile remained at its ease, and did nothing but enjoy the pleasure provided for it: on this
they conspired together, that the hand should not bring food to the mouth, nor the mouth receive it if
offered, nor the teeth chew it. While they wished, by these angry measures, to subdue the belly
through hunger, the members themselves, and the whole body, were, together with it, reduced to the
last stage of decay: from thence it appeared that the office of the belly itself was not confined to a
slothful indolence; that it not only received nourishment, but supplied it to the others, conveying to
every part of the body, that blood, on which depend our life and vigour, by distributing it equally
through the veins, after having brought it to perfection by digestion of the food. Sic senatus et
populus quasi unum corpus discordia pereunt concordia valent” (Donc, le Sénat et le
peuple, comme un seul corps, avec discorde périssent et avec l’harmonie prévalent).
http://www.rome101.com/Topics/Cancelleria/012_051108_0214WSa_850w.jpg
Le reliefs de la Cancelleria (appelés ainsi parce qu’ils ont été trouvé en dessous du Palais de la Cancelleria à Rome en 1930; ils
montrent l’intention de l’Empereur Nerva de déclarer la guerre contre la Sarmatie (probablement la République Moldave
actuelle); qu’on le sache, ils n’ont jamais été exposé en public, ce qui explique leur condition exceptionnelle.
De gauche, en avant-plan: Un licteur (policier, symbole de l’autorité gouvernementale); Mars (dieu de la guerre);
Minerve (protectrice de Rome, déesse de la sagesse et un tiers de la triade capitoline avec Jupiter et Junon);
l’Empereur Nerva (règnat 96-98) dans un pose impérial; la déesse Roma (avec un casque militaire, un bouclier
avec gorgone, et un sein découvert); le Genius Senatus (l’esprit du Sénat) avec un sceptre symbole du pouvoir
étatique; le Genius Populus (l’esprit du peuple); enfin, des soldats à droite et en arrière-plan.
Notez la corporalité: le Senat est en toge (donc, civilisé), tandis que le peuple a le torse nu (la
force corporelle). Quand Roma est représentée avec un sein découvert, elle est dans son guise de
Genius (Esprit), plutôt que déesse. Elle est représentée comme un pont entre le Sénat vêtu et le
peuple nu.
Diverses couronnes; à noter que
la majorité à des pointes autour
de la base. D’où dérivent ces
pointes? Pourquoi les Romains,
peuple patrilinéaire et patriarcal,
ont-ils choisi de représenter leur
civilisation en plaçant une
couronne sur la tête d’une déesse
secondaire (Italia), dont les
pouvoirs et qualités étaient peu
connus? Ces deux dimensions
sont tellement enracinées dans la
conscience populaire qu’elles
sont rarement mises en question.
http://www.goboxy.com/wp-content/uploads/2009/03/crowns.png
La couronne de Miss World
http://news.bbc.co.uk/olmedia/545000/images/_548560_crown_150.jpg
La couronne à remparts (couronne murale),
timbre du 19e siècle
La Turrita Mater, la mère des remparts. Italia est apparentée à Cybèle, une
déesse de la nature qui est aussi la mère des dieux. La couronne à remparts
était, pour les Romains, une vraie couronne accordée au premier soldat à
pénétrer les murs fortifiés d’une ville ennemie. Elle est également liée à
Italia turrita, un symbole d’Italie. Italia est également une référence aux
terres des tribus italiques du sud de la péninsule que les Romains ont
conquises. C’est donc un signe de faiblesse, de conquête.
http://upload.wikimedia.org/wikipedia/it/thumb/
2/26/Italiaturrita_unalira.jpg/180px-Italiaturrita_unalira.jpg
Le blason contemporain de la ville de
Rome, avec la couronne à remparts et
une croix qui pourrait être une
référence à une étoile.
http://www.google.ca/images?q=tbn:iI9VRe
D7xsz6_M::www.comuniweb.it/roma/roma
/stemmaRoma.jpg&t=1&h=196&w=150&usg=
__ntUN6ZoK2AXJ5NDWKwbIHPHrczU=
La couronne à rempart sur le
blason d’une municipalité.
L’utilisation de la couronne à
remparts n’est pas limité à
l’Italie: Blason contemporaine
de la ville médiévale de Sibiu,
Roumanie.
La couronne à remparts représente la civilisation, ce qui
veut dire, pour les Romains, la vie urbaine. Ce n’est pas
les villes qui doivent être défendues en tant que telle,
mais le régime politico-économique qui les soutient.
Dans un monde agraire, où la seule source de richesse et
de pouvoir était la capacité de produire un surplus
agricole, les urbains dans un sens sont comme de
parasites qui doivent être nourris en obligeant une classe
rurale (des fermiers, des esclaves, des paysans) à
produire plus, et de les obliger à transférer ce surplus à la
ville, soit directement, par la force, soit indirectement en
imposant de taxes qui les obligent à participer dans des
rapports mercantiles pour accumuler de l’argent. En fait,
la civilisation, les Romains le savaient, était un régime
d’exploitation où la force devait être transformée en un
rapport de pouvoir institutionnalisé selon un système de
statuts attachés à la «tradition», à la «patrie» ou à la
religion, qui transforme l’exploitation en complicité.
Dans un contexte patriarcal, tels rapports sont
symbolisés par le féminin «naturellement» faible. La
«vertu civique» est un geste actif et donc «masculin». La
vertu, en fait, dérive du mot latin pour homme, vir.
http://d.yimg.com/a/p/sp/getty/f6/fullj.b174f4559b2659698aa87420872
911a/b1742f4559b2659698aa87420872911a-getty-124650957.jpg2
Sebastien Vettel gagnant de la Formule 1
de Monza, 9-11-2011; il reçoit un trophée
orné avec la couronne à remparts.
Cybèle, associée avec la couronne à remparts, les montagnes et les lions, qui soulignent sa
qualité sauvage et naturelle; Phrygienne d’origine, la Grande Déesse et la Mère des Dieux
Notez les
fruits,
symboles de
l’agriculture;
la nature
domptée
Notez les lions;
ici, elle est
« romanisée » et
plus sauvage,
possiblement
pour porter
attention à ses
origines
anatoliennes,
donc
« orientales »,
comme les
Romains qui
prétendaient être
les descendants
de Troie.
http://www.theoi.com/image/S18.3Tykhe.jpg
Personnification
de la Gaule
Personnification
de Dacia
Italia
Notez que, en contraste à Italia, Gaule et Dacia ne portent pas de couronne parce qu’elles sont des
personnifications de pays conquis, et donc sont des projections de la civilisation mère. Elles n’ont pas le
droit de porter une couronne à remparts, car elles n’ont pas de pouvoir souverain.
Cybèle (ou Rome) sur un char tiré par des
lions, Baldassare Peruzzi, 1513, en Imbert,
Rome n’est plus dans Rome (2011); à
droite, Rome déchue, Francisco de
Holanda, n.d., en Imbert (2011)
La Statue de Liberté porte une couronne à rempart avec sept points; on a oublié le symbolisme d’origine,
où les points sont des remparts, et la couronne symbolise les murs de la ville et donc de la civilisation (et
que Rome a sept collines). Les Américains préfèrent penser que les sept points de Miss Liberty
représentent les sept continents lieux d’origine des immigrants qui ont peuplé leur pays. Pour les
Romains, la déesse Libertas ne portait pas cette couronne, car elle était associée aux esclaves libérés et
donc ne représentait pas la civilisation, mais une partie, une classe un peu méprisée. À droite, Libertas
sur une monnaie. Elle porte une couronne de laurier, ou parfois un chapeau de feutre, le pileus (un
genre de képi) qui proclamait la citoyenneté acquise
des esclaves libérés par leurs maitres. Pas surprenant,
son temple était situé dans l’Aventino, le quartier
périphérique et populaire de Rome au sud-ouest.
http://faculty.maxwell.syr.edu/gaddis/hst210/nov6/Brutus%20Libertas%20Coin.jpg
Les pointes des étoiles militaires sont des couronnes
à rempart vues du haut, donc, du ciel, c.-à-d., la
dimension associée avec la justice et avec l’équilibre
cosmique, selon les coordonnées établies par la
géographie mythique indo-européenne. Les remparts
verticaux transformant la couronne associée avec la
partie haute du corps en métaphore du haut
cosmologique, le ciel. L’étoile symbole de la
couronne situe l’action de regarder dans le domaine
du haut, et donc le ciel devient le signifié secondaire
de l’étoile, avec le résultat que la couronne
métaphore est également transformée en métonymie.
Bref, l’étoile dans un contexte militarisé n’a rien à
voir avec l’astronomie ou avec les traits des astres,
mais métonymise la couronne symbole de la défense
en idée abstraite de la justice. L’ajout de la couche
additionnel de signification rend le sens de ces deux
symboles associés plus complexe. C’est en effet une
forme de distanciation du lien signifié – signifiant.
Plus le sens d’un symbole s’éloigne de son signifié,
plus facilement est-il transformable en
représentation abstraite du monde. En fait, toute
idéologie comme système abstrait et surtout logique
émerge de ce genre de processus de
métonymisation.
La Statue de Liberté, vue d’en haut
http://news.nationalgeographic.com/news
/2009/06/photogalleries/statue-of-liberty-p
ictures/images/primary/090702-04-view-fro
m-above_big.jpg
http://www.americal.org/awards/ss.gif
Médaille américaine
Notez que les étoiles sont utilisées
uniquement pour les générales.
Les points de la couronne à remparts
deviennent, à la renaissance, les «Etoiles
d’Italie». Comme la couronne, celles-ci sont
des métonymies de la force de la nation et
donc deviennent des symboles de la puissance
militaire. Les étoiles sont réservées pour des
officiers de rang supérieur.
http://www.29thdivision.com/research/German_Rank.jpg
Germania; personnification
de la nation, 19e siècle;
avec une couronne ajoutée
par les Allemands, mais
elle semble une couronne
de laurier, normalement
associée à la paix plutôt
que la guerre. Les
militaires victorieux
portaient une telle
couronne lors de leur
procession triomphale à
Rome, pour symboliser
que, terminée la guerre, ils
rentraient à l’urbs comme
hommes de paix.
Le poète Ovide, avec la couronne
de laurier devenu symbole des arts
et de l’éducation
http://upload.wikimedia.org/wikipedia
/commons/thumb/0/0d/Latin_Poet_Ovid.
jpg/170px-Latin_Poet_Ovid.jpg
Chapeau de voyage;
inspiration du cappello
romano porté par le
clergé catholique.
http://www.biblehistory.com/ibh/images/fullsized/travelling_hat.gif
Pas toutes les représentations de Rome ou d’Italie sont ornées de la couronne à remparts.
Les papes surtout de la Renaissance ont préféré qu’elle soit coiffée de la tiare papale, mais
cette étrange couronne (inspirée en partie d’une représentation antique de l’univers)
incorpore néanmoins une référence à la couronne à remparts.
À gauche, la tiare papale; au centre, celle de Paul VI
(montrant clairement la couronne à remparts); à
droite, Pompilio Totti, Ritratto de Roma moderna,
1638 (casquée comme Minerve mais elle tient dans
sa main gauche la tiare papale). Voir B Gruet, La rue
à Rome, Paris, 2006. Notez la quantité d’armes et le
« temple » de Saint-Pierre en arrière-plan.
La couronne de laurier est censé, selon plusieurs, être une adaptation romaine de
la légende grecque de Daphné et Apollon (les deux sont ciblés par les flèches de
Cupidon; elle est destinée à rejeter l’amour, mais Apollon ne peut se retenir; elle
est transformée en laurier avant d’être violée). Le laurier serait donc signe de
pureté, probablement lié au besoin de se purifier après avoir versé du sang en
bataille pour conserver intact le caractère sacré de la ville, et c’est cet aspect que
les Romains ont adopté, selon moi: elle adornait la tête d’une personne qui avait
été accordée un triomphe (une procession pour honorer ses victoires militaires).
Je crois que ceci était un aspect de la sacralisation des murs de la ville (le
pomérium): le célébré cédait ses armes et ses soldats au Sénat
quand il entrait en ville. Donc, seulement la
ville et ses incarnations avaient le droit de
porter la couronne à remparts pour
représenter le pouvoir souverain du peuple.
Le conquérant devient un homme de paix
quand il « pénètre » la ville, car la ville =
paix et harmonie.
http://www.michaeldeas.com/Mike%20Deas
%20Website/site_images/columbia_pictures_logo_520.jpg
Columbia
http://www.uk.filo.pl/england_britannia.jpg
Britannia
http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb
/6/60/LaurelwreathDK.JPG/515px-LaurelwreathDK.JPG
Les lauriers «orientaux» et surtout nonmilitaires étaient censés purifier le
général victorieux pour qu’il puisse
pénétrer l’enceinte sacrée de Rome.
Avec la couronne de laurier il y a avait aussi la couronne de feuilles de chêne, la «couronne civique».
Elle était accordée pour le courage militaire individuel, pour avoir sauvé la vie d’un citoyen-soldat
sur le champ de bataille. Pline l’Ancien le mentionne dans son Naturalis Historia publié au 1er siècle.
Rome en fait possédait une gamme de couronnes pour honorer ses citoyens. En général, elles
assumaient une de deux formes, soit la couronne à remparts avec ses pointes verticales, soit la
couronne végétale avec ses feuilles pliée vers l’horizontal. Les feuilles de la deuxième ressemblaient
les pointes de la première, et donc il est possible que la couronne civique soit une version de la
couronne à remparts, avec les remparts symbolisés par les feuilles «couchées», c.-à-d., dans une
position horizontale, en contraste avec les remparts verticaux. Ces couronnes étaient composées de
feuilles de plantes sauvages, de fleurs, de chêne, de laurier, de myrtille, de grain, ou d’olive,
réunissant les notions du sauvage et du civilisée. Voir Pierre Bastien, Le buste monétaire des
empereurs romains, 1992.
Standard de la XVe légion;
notez la couronne civique
http://www.bible-history.com
/sketches/ancient/roman-standards.jpg
Standards romains,
avec couronne civique
http://www.vroma.org/images/
mcmanus_images/standardrelief2.jpg
Le chêne était sacré à Jupiter, le «pater» (père) de «ius» (les lois,
la justice), garant de l’État et version romaine de Dyaus (ou
Dyeus; Zeus, pour les Grecs), un dieu du ciel d’origine indoeuropéenne. Les représentations de Jupiter, comme celles de Zeus,
incluent des éclairs symbole du pouvoir du ciel, et donc du «haut»
et de la souveraineté étatique. On a souvent dit que les chênes
étaient symboliquement liés au pouvoir parce qu’ils sont très
grands et dominent le paysage. Il est possible que l’association
avec le ciel et les éclairs soit due à la présence de la forêt de chêne
Silva Ciminia qui séparait Rome d’Étrurie au nord-ouest, bloquant
l’expansion de Rome dans cette direction après la naissance de la
République. Le plateau où se situe la forêt est dominé par la terre
rouge pleine d’oxyde de fer, dont les propriétés ferromagnétiques
attirent le foudre. L’arbre et ses feuilles sont donc devenus sacrés
parce que l’arbre semblait attirer les éclairs de Jupiter plus de
n'importe quelle autre espèce, et ceci dans un contexte où les buts
impérialistes de Rome étaient irréalisables parce que la forêt dense
ne permettait pas aux Romains d’utiliser leur armée de façon
conventionnelle.
La Triple Entente de la 1re Guerre mondiale,
représentée par Marianne, Mère Russie,
Britannia. Chacune porte un symbole
stéréotype de la patrie qu’elle est censée
représenter: Marianne, un cœur (les Français
au centre de la civilisation); Rossiya Mat,
Mère Canada
orthodoxe (et, elle est sérieusement
(début 20e siècle; monument une croix
déhanchée); Britannia, une ancre pour
dans un cimetière de guerre)
symboliser ses forces navales puissantes.
http://upload.wikimedia.org/wikipedia
/commons/0/0c/Triple_Entente.jpg
Tyche symbole d’Antioche
4e siècle a.J.C.
http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/a/aa/Canadian_
National_Vimy_Memorial_-_.Mother_Canada.JPG/450px-Canadian
_National_Vimy_Memorial_-_.Mother_Canada.JPG
http://upload.wikimedia.org/wikipedia/comm
ons/thumb/b/bd/EutychidesAntio
cha.jpg/200px-EutychidesAntiocha.jpg
Autres: Athena (sans couronne),
Bavaria, Berolina (Berlin), Borussia
(Prussie), Europa (sans couronne; 20e
siècle), Franconia, Hammonia
(Hambourg), Helvetia (Suisse;
couronne de laurier; 17e siècle),
Hibernia (Irelande), Mère Arménie,
Polonia (sans couronne; 19e siècle),
Rossiya-Matushka (Mère Russie),
Saxonia (Saxonie), Suomi-neito
(Finlande), Zealandia (fille de
Britannia, Nouvelle-Zélande).
Marianne guidant le peuple (détail; Eugène Delacroix, 1830)
Elle porte un bonnet phrygien.
La Phrygie, Anatolie centrale,
est le lieu d’origine de Cybèle
(Rhéa), la Mère des Dieux ou
La grande Déesse),
l’inspiration pour la Turrita
Mater. Ce bonnet est parfois
confondu avec celui porté par
les esclaves affranchis (le
pileus; les deux se
ressemblent), et donc,
l’association avec l’idée de la
liberté probablement vient de
cette erreur. La Phrygie était
aussi une zone assez riche, car
c’est le lieu d’origine du Roi
Midas de légende.
À droite, le pileus d’un esclave affranchi
http://upload.wikimedia.org/wikipedia/
commons/thumb/d/d5/Odysseus_bjuder_
cyklopen_vin%2C_Nordisk_familjebok.png/180pxOdysseus_bjuder_cyklopen_vin%2C_Nordisk_familjebok.png
À gauche, le sceau officiel de l’État de Virginie, É-U.
avant le changement. Il présente Virtus qui écrase la
tyrannie (avec les mots fameusement déclamés par
l’assassin du Président Lincoln, John Wilkes Booth.
À droite, le même sceau émis en 2011 par
le Ministre de la justice (Attorney General)
inspiré du mouvement religieux
fondamentaliste. L’État de Virginie est
prétendument nommé pour la Reine
Elizabeth I, fameusement vierge jusqu’à la
fin de sa longue vie. Notez que la vertu
(virtus, de vir, homme) qui était un trait
purement masculin pour les Romains est
représentée par une femme en guise de
guerrier: la civilisation et l’État se
fusionnent.
Synthèse du symbolique de l’idéologie:
Nous avons une chaine de métonymies avec deux volets :
1: Guerre: Civilisation/féminin/faible => vertu masculine => protection/murs/remparts =>
couronne à remparts/remparts/pointes => pointes/étoiles => commandant
militaire/hiérarchie
2: Paix: Jupiter => dieux céleste (haut) garant de l’ordre terrestre (bas) grâce à sa vision
« presbyte » (proche/loin) => ordre sociale/éclair (« l’arme » de Jupiter) => éclaire/chêne
=> feuilles (haut) => couronne/tête(caput)/capitale
Donc, la première chaine « féminine/masculine » constitue un ensemble, thèse
(guerre/remparts) et antithèse (paix/laurier); cette dernière est mieux incarnée par les
poètes maitres des mots (tête[haut]), en contraste des soldats et leur métier
(bras/jambes[bas]). Bref, deux faces de la même monnaie.
Le chapeau « papal » représente la personne qui se protège du soleil; donc, symbole de la
personne qui n’est pas « protégée » par d’autres moyens (la ville, la force, la civilisation,
etc.). Autrement dit, c’est le symbole de la protection adoptée en dehors de la ville, donc
du voyageur, de l’errant. Le pape est chef de l’Église qui prétend être « universelle », donc
qui unie le proche et le loin, le soleil (haut) et la terre (bas): le pape et son chapeau
« drôle » incarne la fusion de tous ces symboles antérieurs et « païens »; il est aussi
possible que ce chapeau « cache » le pape du regard « païen » de Jupiter.