PENSER LE SOIN TRANSCULTUREL
Download
Report
Transcript PENSER LE SOIN TRANSCULTUREL
PENSER
LE SOIN
TRANSCULTUREL
Marie-Annick GRIMA
Docteure en psychologie
Thérapeute familiale
Responsable de la consultation de psychothérapie transculturelle du
C.M.P.P. Henri Wallon, Sainte-Clotilde de la Réunion
ANFH, Septembre 2011
L’ETRANGER EST EN NOUS ET LORSQUE NOUS
FUYONS OU COMBATTONS L’ETRANGER, NOUS
LUTTONS CONTRE NOTRE PROPRE
INCONSCIENT CET « IMPROPRE » DE NOTRE
« PROPRE » IMPOSSIBLE
JULIA KRISTEVA
« CHAQUE FAMILLE D’ICI EST A ELLE SEULE UN
RESUME DU MONDE »
Alain LORRAINE
Poète réunionnais
FONDEMENTS THEORIQUES
POUR UNE PRATIQUE CLINIQUE
TRANSCULTURELLE
DE QUOI PARLONS-NOUS?
D’un concept anthropologique, la culture que
nous envisageons comme:
Une métaphore de la connaissance, des
croyances, des arts, des coutumes, des lois
et de toutes les autres habitudes que l’être
humain est à même de maîtriser en tant que
membre d’un groupe donné.
Un système de pensée sur le monde qui
l’organise et qui permet aux membres d’un
groupe donné de le rendre prévisible en leur
offrant la possibilité d’inscrire des
événements dans une chaîne signifiante.
Un système qui définit des modèles
d’inconduite (Linton, 1936) et qui fait que
même dans sa folie, le malade mental se doit
de rester conforme aux valeurs de son
groupe.
DE QUOI PARLONS-NOUS?
D’un concept anthropologique appliqué à la
clinique qui assure une fonction psychique de
délimitation et de clôture:
L’intériorisation du cadre culturel externe propre
à son groupe amène à la culture vécue
(Nathan, 1986)
Cette culture vécue est la traduction « des
modalités d’inscription d’un sujet dans l’univers
culturel et de la manière dont l’individu le
perçoit, le sent et l’habite » ( Moro, 1998, p.14)
Cette culture vécue permet de faire
l’expérience d’appartenir à un groupe clos,
de faire la différence entre soi et les autres et
de penser qu’il existe d’autres individus clos
comme soi.
Etre clos et appartenir à un groupe fermé
permet d’entrer dans un système d’échange
généralisé.
DE QUOI PARLONS-NOUS?
De la culture comme enveloppe de sens
servant à la fois de barrière protectrice mais
aussi de lieu de communication
Ces enveloppes de sens s’actualisent à
travers des croyances sur le monde.
Ces croyances se déclinent selon les
systèmes de pensée auxquels elles se
rattachent.
Ces systèmes de pensée sont des systèmes
logiques qui se déclinent entre tradition et
modernité.
Si la modernité se veut cartésienne, la tradition
organise le monde entre visible et invisible.
L’invisible est partout et se mêle de la vie des
hommes au quotidien. « Nous ne sommes pas seuls
au monde » et parfois, la vie s’emmêle. Le
désordre, alors, s’installe.
Le désordre nomme la maladie.
COMMENT COMPRENDRE LE
DESORDRE ?
L’interprétation traditionnelle du désordre est multiple
et s’organise en grandes catégories étiologiques
(Murdock,1980). Ces étiologies sont universelles et
renvoient à chaque fois à un déséquilibre des relations
entre les mondes visible et invisible.
Le désordre peut être d’origine naturelle ou
surnaturelle. Le registre surnaturel regroupe trois
grandes catégories se déclinant sur le registre
animiste, magico-religieux et mystique.
Etiologie animiste : elle nous renvoie au
monde des esprits, des « bébêtes, des
madjini, des malaïka, des mwanaïssa » qui
cherchent à prendre ou qui ont pris
possession des corps des humains en vue
d’obtenir d’eux une offrande, un sacrifice, un
autel, un culte. Ils aiment le battement des
tambours, les parfums, les prières mais aussi
les couleurs et le sang.
Ils sont partout et de partout.
Etiologie magico-religieuse: le désordre
est là le fruit d’une personne envieuse et
jalouse ayant recours à une action secrète et
magique.
L’attaque sorcière – le sort / sahiri- peut être
médiatisée par un esprit, un objet (sorcery)
ou alors peut être le fruit d’un mauvais regard
-dzitso - ou de mauvaises paroles - la bouche
cabri ( witchcraft )
Etiologie mystique : le désordre est perçu,
là, comme la conséquence d’un acte ou
d’une expérience de la victime. Cette
étiologie nous renvoie au destin – tatou /
nyora – aux comportements de
transgression de tabou, aux ruptures
d’hommages rituels aux ancêtres, aux
divinités, au don qui flotte mais aussi aux
sensations néfastes – les rêves, les visions
qui sont non seulement des présages mais la
cause même de la maladie.
RETOUR A LA CROYANCE
La croyance matérialise les enveloppes d’un
individu et lui permet de mettre en sens les
événements de la vie et les faits psychiques
qui en découlent.
Comme toute enveloppe, la croyance assure
une fonction de délimitation « car c’est de
là qu’un sujet discriminera « les nôtres « des
« autres »(Nathan, 1993, p.98).
Les croyances sont à la jonction des
mondes visibles et invisibles.
Elles les mettent en ordre, les séparent et
commandent des actions: un rite, un
sacrifice,, une offrande, une protection qui
prennent sens dans l’espace du rituel.
Autrement dit, une croyance impose des
actes, des choses à faire pour maintenir ou
restaurer un état d’équilibre entre les
univers.
ALORS COMMENT SOIGNER?
Au regard de ces étiologies multiples, la
question du soin se pose?
Chaque système de causalité décline sa
propre thérapeutique oscillant entre espace
sacré et espace profane.
Chaque thérapeutique a son propre
personnel soignant : guérisseur, médecin,
prêtre, fundi, psychologue, mwalimù.
Le soin peut être un soin rituel, un acte à faire, un
agir:
un rituel d’exorcisme,
un rituel d’adorcisme,
des cérémonies de remerciement,
des cérémonies d’hommage aux défunts, aux
divinités,
un objet fabriqué ( une garantie, un hirizi)
Le soin peut être un soin profane, une parole qui
circule, un traitement médicamenteux
LE SOIN TRANSCULTUREL
?
En un lieu profane, une consultation de
psychothérapie, le soin rituel peut être pensé
dans une démarche complémentaire qui
coordonne les théories (Devereux, 1970)
LE SOIN TRANSCULTUREL
Au carrefour de l’ethnopsychiatrie et de
l’ethnopsychanalyse, ce soin nomme le
désordre au regard des étiologies propres au
groupe d’appartenance du malade.
Il énonce la croyance à la manière d’un
levier thérapeutique et permet qu’un
« faire » se déroule en d’autres endroits du
soin : la chapelle, le bord de mer, la ziara.
Enoncer la croyance de ceux que nous
rencontrons, c’est réunir les conditions d’un
traitement étiologique (Zempléni, 1985).
Mais paradoxalement, c’est actualiser le soin
étiologique au sein d’une situation
classique de psychothérapie.
Il devient alors possible que le récit prenne
les détours du fantasme, du rêve, du
souvenir et que la relation s’étaye sur le
transfert (Nathan; Moro, 1989).
UN SOIN A « LA CROISEE DES
CHEMINS »
A l’articulation du « faire » et de la parole, le soin
transculturel est un soin universel.
Il n’est pas donné d’emblée et oblige à la
décentration.
Il se conjugue à plusieurs et prend appui sur un
groupe de thérapeutes.
Il est le lieu où les rationalités s’emmêlent et laisse
la parole aux langues des mères, du cœur et des
émotions.
POINT FINAL . . .
Une clinique de l’altérité qui admet un seul
et unique préjugé: celui de la différence
comme symbole de la diversité et de la
créativité du monde et impose une seule
attitude, celle de la reconnaître, de la
nommer pour la partager et s’enrichir de la
rencontre avec cet Autre différent de nous.
«les femmes sont nues, les corps teintés de noir et
de rouge, portant leurs enfants au sein, tenus par
une espèce de tissu ».
Pero Vez de Carminha
. . . C’est ainsi que l’auteur qui participait à la flotte de Pedro Alvares Cabral
décrivit ses premières impressions sur le peuple cannibale Tupinambà en
arrivant au Brésil dans une lettre adressée au roi du Portugal ….
NOTA BENE
Un soin efficace dans la prise en charge des
familles qui un jour, ont fait l’expérience de
quitter leur pays ….
… qui de ce fait se retrouve en situation de
rupture, de perte et de vulnérabilité
psychique.
Cette vulnérabilité psychique vient attester de
l’impact traumatique de la migration.
Ce vécu traumatique amène à un clivage
des mondes d’ici et là-bas, clivage qui se
donne à voir à travers un symptôme: le
mutisme extrafamilial des enfants de
migrants.
HISTOIRE DE FAMILLE
L’histoire racontée, c’est l’histoire d’une
famille qui un jour, prend la décision de
quitter son pays.
Elle le quitte « parce qu’avec toute cette
misère, on était dans la souffrance »
Mais on le quitte aussi parce que depuis
quelques temps, dans cette famille, les
enfants meurent. D’ailleurs, ce qui se dit,
c’est que « les enfants ne deviennent
jamais vieux ».
Ces morts successives d’enfants, c’est une
famille qu’on attaque, c’est une lignée qui est
touchée dans sa descendance.
Les morts ont une origine : la mère nous
expliquera en effet que la lignée paternelle a
été attaquée. Le sort est nommé.
Avant même sa naissance, cet enfant prend
place dans cette histoire et rencontre la mort
dans les rêves de sa mère.
Ce contact avec la mort – qui opère selon un
principe de contagion – parce qu’il touche un
enfant in utero, sans enveloppe protectrice,
est considéré comme néfaste. Il fragilise celui
qui y est exposé.
La vie et la mort se mélangent dans l’espace
du rêve et le recours au rituel s’impose pour
rétablir les limites entre les mondes.
Les fundis sont appelés et les prières, alors
se récitent.
Il se dit depuis qu’Ibrahim apprend à l’école
....
BIBLIOGRAPHIE
Devereux, G., (1970).Essai d’ethnopsychiatrie générale.
Paris:Gallimard
Grima, M.A., Selod,S.(2005). Les djinns en fête in L’autre,
Cliniques, cultures et sociétés,
vol.6,p.p. 125-130.
Grima, M.A., (2006). « Re-panser » la vulnérabilité psychique observée
chez certains enfants de migrants ». Thèse de
doctorat en psychologie. Université de la Réunion.
Moro, M.R., (1998). Psychothérapie transculturelle des enfants
de migrants. Paris: Dunod
Murdock, G.P., (1980). Theories of Illness: A world Survey.
Pittsburg.
Nathan, T., (1986). La folie des autres. Paris: Dunod