Le réalisme moral naturaliste : enjeux en métaéthique et en éthique normative

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Transcript Le réalisme moral naturaliste : enjeux en métaéthique et en éthique normative

Le réalisme moral
naturaliste : enjeux en
métaéthique et en éthique
normative
• Métaéthique : réflexion sur la signification et l’origine des
jugements moraux : pourquoi les formulons nous ? quelle est la
nature du langage moral ? Le jugement moral a-t-il un fondement
rationnel ou émotionnel ? Etc…
• Ethique normative : réflexion sur les comportements moraux à
adopter, choix à effectuer en matière d’éthique universellement ou
dans un contexte particulier : quel est le meilleur système moral ?
Pourquoi un système moral serait-il préférable à un autre, etc…?
Introduction
•
Deux tendances antagonistes dans le programme de naturalisation de
l’éthique :
•
1) Position naturaliste éliminativiste : (majoritaire)
•
Réduction (méthodologique et ontologique) des propriétés morales à des propriétés
naturelles (psychologiques, biologiques, physiques…)
•
Substitution des explications factuelles aux explications morales, pas de vérités
morales.
2) Position naturaliste non éliminativiste : (minoritaire)
- Maintien du lexique et des explications morales : existence de vérités morales
-Existence de faits moraux identiques mais non réductibles aux faits naturels :
survenance du moral à partir du naturel.
. Le réalisme moral naturaliste = choix d’une naturalisme moral
non éliminativiste
. Implications normatives du projet :
- Résoudre les conflits moraux / explications naturalistes
-Justifier des croyances morales sur une base naturaliste
• Thèse défendue : réfutation du réalisme moral naturaliste
• Défense d’un projectivisme moral modéré: les propriétés morales
sont projetées dans les objets naturels. Projection rendue possible
par les émotions et dans une moindre mesure la raison.
• La cause proximale de la projection morale = la configuration
neurobiologique et psychologique de notre espèce, et la cause
ultime =l’évolution qui a permis la constitution de nos dispositions.
• Rejet de l’idée que nos intuitions morales fondamentales sont
vraies : pas de Vs morales absolues (contre le sens commun)
mais des vérités sur la morale.
• Autres modes de justification que le réalisme en morale
• I- Contextualisation métaéthique
• II- Eléments empiriques pour soutenir
le projectivisme moral
• III- Répercussions normatives de l’antiréalisme en morale
I- Contextualisation métaéthique
•
1) Qu’est-ce que le réalisme moral ?
•
A) vérités morales (Plan épistémique)
•
B) Faits moraux. (Plan ontologique)
•
A) Vérités morales (au sens de vérité-correspondance) : atteintes par
déduction ou par perception directe. (Réalisme moral théorique et antithéorique selon Ogien)
•
Par déduction : (Cf Nagel) s’il y a différentes théories morales en
compétition, on peut décider laquelle dit la vérité, on peut trancher. Ex :
conséquentialisme / déontologisme.
•
Par perception directe : (Cf McDowell) Savoir plutôt inductif / un contexte
•
Les cognitivistes sont en général des réalistes moraux
• B) Faits moraux :
• Actes, comportements : « il est mal de tuer » :
• Propriétés de certains êtres ou choses : « l’esclavage est injuste »
. » « honnêteté », etc…,
• Traits de caractère : « courage
• Croyances : (Ex : les croyances « morales » de certains animaux
selon l’éthologie cognitive).
Trois grandes formes de réalisme moral : 1) naturaliste 2) nonnaturaliste 3) surnaturaliste.
• A) Le réalisme moral non naturaliste et surnaturaliste.
• Conception surnaturaliste : les valeurs morales ont une source
surnaturelle : (Il y a des vérités morales, des faits moraux, mais ont
une origine transcendante, notamment divine).
• Non naturalisme :
• Platon (L’Idée de Bien)
• Moore, Ogien : les propriétés morales ont une certaine autonomie
ontologique / propriétés naturelles : le Bien ne peut pas être réduit
à des propriétés naturelles qui justifieraient les croyances morales.
(Dénonciation du sophisme naturaliste)
• B) réalisme moral naturaliste
• Les propriétés morales sont identiques aux propriétés naturelles.
(monisme ontologique). Les croyances morales sont rendues vraies
ou fausses par des faits naturels.
•
L’identification moral / naturel = analytique (Spencer, idée
abandonnée)
• L’identification moral / naturel = synthétique (Ecole de Cornell)
grâce au sciences empiriques : Boyd, Sturgeon, Railton…
• Les propriétés morales sont survenantes / aux propriétés
naturelles; (dépendance asymétrique du moral / naturel)
• Principe de la survenance morale : Si deux propriétés morales
diffèrent, cela entraîne une différence entre propriétés naturelles.
• Ex : la sainteté de Saint François
• Rejet de la dichotomie faits / valeurs (interdépendance factuel /
axiologique)
• Répercussions empirico-normatives :
• Possibilité globale d’une identification naturaliste du « bien » sur le
mode synthétique (Cf eau = H²O)
• Possibilité locale d’une résolution naturaliste des conflits moraux (Ex
: l’avortement / nombre de cellules de l’embryon)
• Possibilité d’une détermination naturaliste des caractères moraux
(Ex : la cruauté)
• Les deux dogmes du réalisme moral naturaliste :
• 1) Enracinement du réalisme moral dans le sens commun : le
langage semble bien fonctionner sur un mode descriptif : « X est
cruel » « Y est injuste… »
• 2) Les propriétés morales sont découvertes, pas crées par les
agents moraux : elles préexistent à la connaissance qu’on en
prend
• L’anti-réalisme moral contemporain :
• En général non cognitiviste : les jugements moraux n’ont pas une
portée descriptive, mais expressive.
• L’émotivisme : (Ayer) les jugements moraux expriment des
émotions (Cf Nietzsche : la morale = le « langage figuré des
affects » : par delà le bien et le mal, par 187)
• L’expressivisme : ( Stevenson, Gibbard) ) ils ont pour but de
susciter des émotions chez autrui
• Prescriptivisme : (Hare) ils sont des obligations, impératifs
déguisés
•
Rapports entre réalisme moral et universalisme moral : de
l’Universalisme moral descriptif à l’universalisme moral
prescriptif
•
L’universaliste moral affirme seulement qu’il y a des croyances
morales universelles.
•
Le réaliste ajoute quelque chose / l’universalisme moral, la notion
de vérité morale.
•
Le réalisme moral = un universalisme moral prescriptif
•
Les vérités morales ont une fonction descriptive et prescriptive
à la fois.
• b) Universalisme moral contre réalisme moral : la théorie de
l’erreur exploitée par Ruse (d’après Mackie)
• l’objectivité des faits moraux est une « ruse de nos gènes » qui
remplit une fonction adaptative. La morale = une illusion bâtie par
nos gènes
• Les croyances morales du sens commun sont fausses, mais utiles.
• Théorie cognitiviste : les jugements moraux ont une valeur de
vérité, mais sont tous faux. (Cf Churchland pour les croyances,
désirs)
Conclusion et prise de position : non-cognitivisme
modéré
•
Position à mi-chemin entre le non-cognitivisme et la
théorie de l’erreur
•
Limites de la théorie de l’erreur : les jugements
moraux ne sont pas des erreurs, des illusions :
objectivité minimale de l’éthique, à défaut de vérité.
•
Limites du non-cognitivisme radical : le jugement
moral n’est pas uniquement une affaire d’émotions. Pb
de la justification.
•
Thèse soutenue : projectivisme moral modéré : nous projetons des
qualités morales dans les objets grâce à nos facultés affectives et
cognitives
•
Cf Hume, Traité de la nature humaine III, 1,1 : « Prenons une action
reconnue comme vicieuse (…) examinons là sous tous les points de vue et
essayons de voir si nous réussissons à découvrir la donnée de fait ou
l’existence réelle que nous appelons vice. (…) Le vice se dérobera
complètement tant que vous prendrez en considération l’objet. Vous ne
pourrez jamais le découvrir tant que vous ne tournerez pas la réflexion vers
votre cœur : vous y trouverez qu’a surgi un sentiment de désapprobation
à l’égard de cette action. Voilà maintenant une donnée de fait, mais elle est
l’objet du sentiment, non de la raison. Elle se trouve en vous, non dans
l’objet. »
•
Mais la projection n’est pas arbitraire ou hasardeuse (# subjectivisme
radical) : elle joue notamment un rôle d’un point de vue évolutif (Survie et
reproduction de l’espèce)
II- Coroborration empirique du
projectivisme moral
•
A) Généalogie évolutionniste de la moralité
•
Caractère contingent, non finalisé du processus macro-évolutif :
(Cf Darwin et le fratricide)
•
La capacité de projection morale est un héritage de l’évolution de
notre espèce
.
•
Origine de la projection morale =adaptation à la vie sociale au
cours de la phylogenèse humaine.
•
Limites normatives de l’approche évolutionniste : si la moralité est
une adaptation biologique, elle est apparue dans un contexte
autre que le contexte actuel.
• Comment est possible la projection ?
• Grâce à un ensemble d’intuitions basées principalement sur des
émotions. Le jugement moral ne se réduit pas aux émotions, mais
les émotions influent très profondément sur le jugement moral
• Grâce au langage qui cristallise, réifie les propriétés morales
• Grâce à l’évolution culturelle qui spécifie les intuitions morales
fondamentales
•
a) Comment la projection s’opère
•
Les émotions = l’ instrument physiologique qui rend possible la projection.
•
Psychologie sociale et morale (Haidt, Greene) : le modèle « social
intuitionniste » (social intuitionism) de Haidt et les dilemmes moraux.
•
Hypothèse : dans la plupart des cas, les personnes ont tendance à
répondre immédiatement et cette réponse immédiate (intuitive) repose sur
des émotions : plus la réponse est rapide, plus l’émotion est intense.
•
La raison justifie a posteriori les intuitions immédiates
• Ex : l’histoire d’un inceste entre frère et sœur. (Haidt, repris par
Greene)
• « Julie et Mark sont frères et sœurs. Ils partent de l’Université pour
voyager tous les deux en France pendant les vacances d’été . Une
nuit ils sont seuls dans une cabine près de la plage. Ils décident qu’il
serait intéressant et amusant de faire l’amour ; au moins ce serait
une nouvelle expérience pour chacun d’entre eux. Julie prenait des
pilules contraceptives et Mark avait des préservatifs Ils ont tous les
deux aimé faire l’amour, mais ils ont décidé de ne pas le refaire. Ils
ont gardé cette nuit secrète, ce qui les as rapprochés l’un de
l’autre. »
• « Was it OK for them to make love ? » (Haidt)
• Psychologie développementale : les très jeunes enfants montrent
déjà des signes de moralité avant la maturation cognitive (Contre
Piaget-Kohlberg)
•
Ex : Turiel et Nucci et la distinction moral / conventionnel dès 3 ans
(Réprobation universelle du mal infligé gratuitement à autrui)
Soubassement émotionnel de la distinction.
• Travaux en neuroanatomie :
• En IRM : les zones cérébrales liés à l’expression des émotions
interviennent beaucoup dans le jugement moral
• Importance des lobes frontaux pour les émotion sociales.
• Rôle du système limbique pour certaines émotions « primaires »
comme la peur contrôlée par l’amygdale.
• Ex : le rôle fondamental de l’amygdale dans la gestion des
dilemmes moraux personnels. (Cf le dilemme du « trolley » :
pousser quelqu’un d’un pont pour éviter de tuer 5 personnes).
•
b) Comment la projection ne s’opère pas / plus : les pathologies morales
•
Les psychopathes :
•
Neutralité affective et déficience des marqueurs somatiques (sudation, pulsations
cardiaques, etc…) : (Cf Elliot)
•
Absence de distinction moral-conventionnel
•
Déficit du Mécanismes d’inhibition de la violence ; (Blair) liée à l’absence
d’empathie
•
Incapacité à s’engager dans des comportements de coopération : on va agir pour
obtenir une satisfaction à court terme, (en ne comprenant pas par ex le bénéfice
qu’on peut retirer de la coopération)
•
Point important : les psychopathes conservent des capacités de raisonnement
intactes : (tests d’intelligence, tests logiques). Déficits émotionnels plus que
rationnels.
Théorie synthétique du jugement moral (Haidt-Greene)
•
Théorie synthétique émotions / raison : pour les dilemmes impersonnels
plus complexes,conflits entre processus cognitifs « rationnels » et émotions
•
Ex : le bébé qui pleure
•
Donc, le jugement moral ne se réduit pas à l’émotion, même si l’émotion
le conditionne fortement
c) Le langage comme vecteur de la catégorisation morale
•
Cf l’hypothèse du « gossip » : un des modes de prestige social = le
jugement moral sur soi et / autrui
•
Les animaux n’ont pas de croyances morales mais parfois des croyances
prescriptives (cf les chimpanzés, contre De Waal)
•
Pas de concepts abstraits « fins » chez les non- humains comme
« devoir », « obligation », « juste », « injuste »...
•
Pas d’équivalent chez les non- humains des concepts moraux « épais » que
nous utilisons comme « courageux » « honnête » , etc…(d’après Williams)
•
Défense de l’instrumentalisme moral pour les croyances animales.
Conclusion : nativisme minimal et antiréalisme
• Défense d’un nativisme moral modéré et anti-réalisme : existence
de dispositions innées qui donnent des croyances morales
fondamentales , ( mal / autrui, inceste, coopération…)
• Mais différence entre 1) les mécanisme
innés liés à la moralité et
.
2) d’autres mécanismes innés comme la détection des visages ou
la discrimination des sexes
• 2) Mécanismes innés qui produisent des croyances vraies : on peut
détecter vraiment des visages, (réels) vraiment des genres (réels)
• 1) Mécanismes innés produisant des croyances dépourvues de
valeur de vérité : impossibilité d’une justification épistémique des
intuitions morales
III- Conséquences normatives de l’antiréalisme en morale
• 1) la désabsolutisation de la morale
• Les principes auxquels nous avons des tendances naturelles à nous
conformer ne sont pas intrinsèquement bons ou vrais: il y a peut
être une morale naturelle du sens commun, mais elle n’est ni vraie
ni fausse (même si elle est utile)
• Exemples :
• La sélection de parentèle : investissement parental, népotisme,
etc…Intuition peut être universelle, mais pas vraie.
• L’inceste : disjonction entre la réprobation quasi-universelle de
l’inceste et la justification épistémique de cette réprobation.
•
2) Rejet de l’amoralisme et du relativisme
•
Pas d’amoralisme : distinction entre nihilisme descriptif et nihilisme
prescriptif. Pertinence des choix axiologiques
•
Pas de relativisme non plus : tout système moral n’est pas défendable.
Nombre limité de systèmes moraux viables.
•
Autres modes de justification que l’universalisme moral prescriptif
•
3) Rejet normatif du fondationalisme
•
a) Rejet du fondationnalisme naturaliste
•
Contre Spencer : adapté # moralement supérieur.
•
Contre Casebeer : (Natural ethical facts) pour qui les faits moraux sont des
fonctions naturelles.
-Confusion entre fonction biologique et fonction morale
-Essentialisme moral douteux : des fonctions ont été définies à un moment donné,
mais peuvent être redéfinies si on tient compte de l’évolution culturelle qui induit une
forme de discontinuité / notre sens moral
•
Ex : reproduction et contraception
•
Pas de dichotomie faits -valeurs toutefois : les faits peuvent éclairer les
valeurs.
•
Informations / ce qu’il est possible de faire. (Champs d’application de la
morale)
•
Informations / difficultés des stratégies normatives
•
Justifications « souples », non épistémiques
•
Condamnations non dogmatiques.
b) Rejet modéré du fondationalisme rationaliste (Kant, Nagel)
•
L’épistémologie morale rationaliste demande trop à la raison.
(Revalorisation des émotions dans l’éducation morale par
exemple)
.
• Pas d’autonomie totale de la rationalité pratique / sphère naturelle.
• 4) Les alternatives au réalisme moral et au relativisme moral
• a) Cohérentisme ? (Pb : un système peut être très cohérent avec
des croyances fausses ou pas faciles à défendre.)
• b) Théorie du réalisme biologique minimal (d’après Flanagan) :
juger des systèmes moraux / leur possibilité ou leurs difficultés
d’application (vérités sur la morales, pas vérités morales)
Ex : l’utilitarisme illimité impossible à appliquer.
• C) Utilitarisme non-cognitiviste
• Utilitarisme local plus que global
• L’utilitarisme s’oppose au réalisme moral
naturaliste
• Justifications prudentielles,
conséquentialistes des conflits moraux, pas de
justifications épistémiques (vérités morales) ou
métaphysiques (Le Bien)
Conclusion
•
Remise en cause du réalisme moral naturaliste sur un plan ontologique et
épistémique
•
Les propriétés morales sont projetées et ne pré-existent pas au jugement
moral
•
Soubassement évolutionnaire, neurobiologique et psychologique de la
projection
•
Disjonction entre universalisme moral descriptif et l’U moral
prescriptif (réalisme) : pas de vérités morales absolues.
•
Possibilité cependant d’une éthique universelle prospective et non
rétrospective, orientée par l’évolution socioculturelle plus que par
l’évolution biologique.
Bibilographie minimale :
-Le réalisme moral (Ruwen Ogien)
-Essays on moral realism (Sayre Mc-Cord)
-The evolution of morality (Richard Joyce)
-Ethics : inventing right and wrong (John Mackie)
-Taking Darwin seriously (Michael Ruse)
-L’animal moral (Robert Wright)
-Sagesse des choix, justesse des sentiments (Allan
Gibbard)
-Le bon singe, les bases naturelles de la morale (Franz De
Waal)