Le silence qui devient Parole

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Transcript Le silence qui devient Parole

« LE SILENCE QUI DEVIENT PAROLE »
ne prétend pas faire de discours.
Il lève timidement le doigt pour dire : j’existe.
(T. Tonello, ddm)
LE SILENCE QUI DEVIENT PAROLE
Nous parcourons de nouveau notre histoire ensemble
pour porter à la lumière et à la mémoire
les faits et les prodiges qui ont eu lieu
et la longue épreuve qui les a précédés.
Nuit de grâce
Dans la cathédrale d’Alba, un séminariste de seize ans
reste quatre heures en adoration.
Il sent le devoir de faire quelque chose pour l’humanité,
pour le nouveau siècle qui va naître.
Nuit de grâce pour le jeune Alberione.
Le Maître lui inspire une mission nouvelle.
Il reconnaît sa pauvreté mais il a la certitude
de recevoir de l’Eucharistie la force et la lumière
Il n’a plus de doutes et c’est avec élan et ferveur
qu’il dit : “Je suis prêt, me voici, Seigneur!”.
Et sous la direction du Chanoine Chiesa,
il entreprend courageusement la difficile montée.
Il imagine déjà une foule immense
d’âmes choisies, dédiées à l’apostolat,
pour opposer à la mauvaise presse, si répandue,
ce même moyen, mais dans un but édifiant.
Une histoire dans l’histoire
La Société Saint Paul naît le 20 août 1914
dans une grande pauvreté, comme à Bethléem.
Saint Paul est choisi comme modèle et protecteur.
Alberione dit : “C’est lui le fondateur!”
Don Giaccardo est le préféré parmi les premiers
et il est choisi avec le nom de Timothée.
C’est à lui que le Père confie ses craintes,
ses secrets, ses joies et ses souffrances…
Un jour, il lui révèle l’intuition qu’il a
de placer à la base de son institution
des personnes qui intercèdent devant l’Eucharistie,
au service de l’Église, du Sacerdoce et de la Liturgie.
À partir de 1908, il prie et demande de prier
pour que le Seigneur lui indique sa volonté.
Il est sûr que le plan de Dieu doit se réaliser,
mais les contrariétés le font patienter.
Toutefois, avant la fin de 1923,
il choisit parmi les Filles de Saint Paul deux jeunes
qu’il met à part des autres; comme Barnabé et Saul.
Ce sont Ursule et Méthilde qu’il a réservées pour lui
On ne peut encore rien imaginer
mais l’heure de Dieu presse, c’est le temps de commencer.
Curieuses, elles demandent alors :
“Que ferons-nous? S’il nous choisit, où nous envoie-t-il?”
Mais comme pour un mystère
le Théologien répond: “Silence, silence, silence”.
“Votre vocation est belle et grande
et votre mission sera féconde dans le silence”.
Ainsi commence “l’histoire dans l’histoire”
écrite dans le cœur et dans la mémoire
des deux premières qui s’en remettent à la réalité nouvelle
avec beaucoup d’humilité.
Mais le petit groupe compte bientôt huit membres.
Il se nourrit de foi, d’obéissance et de prière.
Et le 10 février, comme une surprise,
le voilà réuni dans l’église.
C’est la mémoire de Sainte Scholastique, sœur de Benoît.
Le Seigneur a dit “voici le jour!”
Au nom du Seigneur, les huit partent ainsi,
dociles, obéissantes au père Fondateur.
Le 25 mars, solennité de l’Annonciation,
c’est la prise d’habit.
Elles reçoivent le nom de DISCIPLES DU DIVIN MAÎTRE
comme programme du chemin à parcourir,
avec la mission d’imiter, de suivre Marie
et d’obtenir des grâces au monde devant l’Eucharistie;
d’être la “racine” qui donne grâce et nourriture
à tous les frères, à chaque instant et toujours.
Ce jour-là, le père Fondateur
présente les huit nouvelles sœurs aux Pauliniens :
“À partir de maintenant, il y aura jour et nuit
des sœurs qui adorent le Maître”.
Puis, tourné vers les jeunes, il demande et espère
que leur vie soit silence, humilité et prière
parce que leur mission cachée mais vitale
est grande, immense et fondamentale.
À la tête de la petite famille,
Alberione établit Sœur Scholastique,
c’est-à-dire Ursule, la fille humble et docile
qui se sent indigne d’une telle décision.
Mais elle accepte avec une disponibilité totale
parce qu’elle veut faire la volonté de Dieu
et elle entreprend le chemin nouveau dans la foi,
“première parmi bien d’autres”, à la suite du Maître.
À peine âgée de vingt ans, en pensant à ce jour là;
une pensée lui vient dans la prière
et poussée par la joie et par une force intérieure,
elle dit :“Seigneur, toi seul me suffis!”
Ce moment, certainement pas improvisé,
au contraire, médité en son cœur depuis longtemps,
est comme un clair point de départ
qui oriente son existence d’une manière nouvelle.
Ursule Marie
Ursule Marie voit la lumière le 12 juillet 1897,
attendue avec joie par Antoine et par sa mère Lucie.
Une sœur, puis une autre la suit
ainsi qu’un frère qui meurt ensuite.
Mais la première grande épreuve de son existence,
c’est la mort de sa maman. Une souffrance
indiscutable et certainement invraisemblable,
comme les autres qui devaient la suivre.
La première rencontre de Jésus dans l’Eucharistie
lui donne la force de parcourir la voie
qu’elle sent déjà clairement en son cœur
d’aimer le monde au nom du Seigneur.
Chez elle, elle est active, docile, obéissante,
elle est joyeuse, drôle, entreprenante.
Elle est fière d’appartenir aux Filles de Marie,
de vivre leur programme et leur devoir.
Un caractère de feu émerge en elle
et la distingue clairement de ses compagnes.
On l’appelle la “Jeune toute pétillante”
mais sa bonté est connue de tous.
Inlassable dans la paroisse et au travail,
elle entraîne ses amies avec cordialité,
et en louant Dieu d’une voix éclatante,
elle égaie le lourd travail dans les champs.
Dans ce milieu sain et idéal,
un appel particulier s’épanouit chez Ursule.
Cet appel la fera s’envoler vers Dieu
pour Le servir, et personne autre que Lui seul.
Désormais, dans sa famille, on comprend
que quelque chose mûrit dans le cœur de cette fille.
On la contrarie, mais elle lutte, puis c’est avec conviction
qu’elle annonce bien résolument sa vocation.
La rencontre
Le théologien Alberione se rend souvent
dans sa paroisse pour la prédication.
Son intérêt pour lui n’est pas très précis,
mais le Seigneur a décidé la rencontre.
Et un jour en apparence assez normal,
par une intuition spéciale,
Alberione l’invite à suivre l’appel divin
et à entrer dans la Famille paulinienne.
Ursule répond qu’elle y entrerait très volontiers
parce que ça correspond à ses pensées.
Malheureusement, toutes les difficultés qui la retiennent
viennent de sa famille.
Alberione reprend : “Fais vite, très vite!”
Cette parole hâte l’heureuse décision.
Il y a encore des luttes et des souffrances à affronter
mais, finalement, elle arrive en juillet.
“Seigneur, toi seul me suffis!” répète Ursule avec conviction.
Elle a lutté mais ne s’est jamais compté vaincue.
“Seigneur, maintenant, je serai pour toujours avec toi,
et je passerai les heures entre la prière et le travail”.
La première parmi les premières
Don Alberione pense. Pour le nouvel Institut,
je dois choisir des jeunes aptes à la mission :
des âmes pures qui aiment l’Eucharistie
et qui aient la Vierge Marie comme modèle.
Il trouve docilité et correspondance
dans la “première parmi les premières”
qui, en toute éventualité, accueille sa parole,
même sans comprendre, répond et suit avec sollicitude.
Elle avait placé le centre de sa vie dans l’Eucharistie
et elle tire une force inouïe de l’adoration.
Elle va au rendez-vous avec Dieu sans hésiter;
on peut dire que le tabernacle est son refuge.
Dans les moments d’obscurité et de mort,
alors que, pour certains, le sort semble déjà marqué,
S. M. Scholastique veille avec un cœur de mère
et encourage activement ses filles.
C’est pour cela qu’on ajoute à son nom
le titre de MÈRE;
parce qu’elle est aimable et très discrète
envers tous et sans distinction.
Mais un jour, dans la Congrégation,
un malaise répandu suscite de la confusion.
M. Scholastique est éloignée
et exilée à Alexandrie d’Égypte.
La Mère accepte, humble et sereine,
mais avec une grande souffrance dans l’âme.
Cependant, la situation continue de s’aggraver
et après deux ans, on la fait revenir.
Elle reprend avec amour sa tâche d’animatrice,
disponible, obéissante et de bon cœur.
L’Écriture dit : “d’Égypte, j’ai rappelé mon Fils”.
Il arrive pour elle ce qui est arrivé au Christ.
Mais le calice le plus amer n’est pas encore bu…
À tous, la mort semble un fait désormais accompli.
La foi est cependant une certitude et on ne craint pas
parce que, avec la mort, la semence devient vie.
Alors, M. Scholastique se présente
à la Sacrée Congrégation avec foi et courage.
Elle veut tout tirer au clair; elle veut supplier
et plaider la cause des Sœurs Disciples.
Mais cette audace est négative,
son attitude, jamais comprise.
Elle est privée de son office, éloignée,
envoyée rapidement dans une autre communauté.
C’est humiliant et douloureux pour elle
mais elle accepte l’humiliation en silence.
Elle assume les mansions les plus humbles
en priant et sans demander le pourquoi.
Elle vit le mystère pascal avec le Christ
en lui rendant témoignage dans le monde le plus réel;
dans si grand désarroi,
elle est soutenue par le Maître, sa seule nourriture.
1946. La mort est désormais définitive.
Son annonce parvient le 24 août.
En effet, un Décret de Rome précise
que la Congrégation n’existe plus.
Rien de plus doux, rien de plus sûr que l’obéissance
même s’il en coûte d’obéir.
Mais le Décret n’empêche pas l’espérance
qui se profile déjà à l’horizon…
En effet, un an plus tard, le Jeudi saint,
l’approbation attendue arrive.
Mais l’on doit souffrir et travailler encore
pour recevoir l’approbation définitive.
Don Giaccardo offre sa vie dans ce but
et Dieu l’accueille comme victime agréable.
Un an plus tard, le 12 janvier, les Sœurs Disciples
obtiennent le “Décret de louange”
Chacun dit : respect, reconnaissance et amour
envers Mère Scholastique qui a été la première nourrice.
Mais elle affirme en toute humilité
qu’elle collaborera volontiers, en silence et en priant.
Mère Marie Scholastique
Femme forte, femme exceptionnelle,
mais, où puise-t-elle cet esprit vital?
Quiconque la voit passer, recueillie et souriante,
comprend qu’un secret est évident.
Du colloque avec Jésus, son divin Maître,
elle reçoit la force et la lumière d’aller de l’avant.
En Lui, tous les frères sont présents,
ceux qui sont proches et ceux qui sont loin et… absents.
Elle comprend bien le zèle sacerdotal :
elle est délicate, maternelle.
Avec ferveur, elle prévient attentivement chaque nécessité
en vertu de l’amour devenu charité.
Elle raconte qu’un jour elle sauve
la vocation d’un frère paulinien
qui, dans un moment de crise et de difficulté,
veut quitter la communauté.
Sans rien dire, il décide de son départ,
mais, sur la porte, voilà une présence…
M. Scholastique apparaît souriante,
très, très belle, comme il raconte.
“Frère, avant de partir, va saluer Jésus!”
Confus, repenti, il ne part plus.
Se considérant sauvé par Dieu, grâce à elle,
il n’a jamais oublié ce moment.
Sympathique et enjouée en toute occasion,
en plein mois d’août, durant une récréation,
elle trouve un groupe de sœurs déjà professes
en train de nettoyer les légumes. Elles sont un peu déprimées.
♫
Elle dit : ces silences, ces tristesses, qu’est-ce que ça veut dire?
- La chaleur et la fatigue nous accablent.
- Courage, mes sœurs, chantons ensemble
le chant de Noël : “Tu descends des étoiles”.
Elle élève fortement la voix vers le ciel
en disant : “Dans une grotte au froid et au gel”.
Ainsi rafraîchit-elle l’air chaud et triste
et le travail se change en fête.
“Sanctifions-nous!”, répète-t-elle souvent.
Une phrase qui donne du courage à tous.
La Mère est animée par cette seule pensée
qui est, certes, le plus vrai des idéaux.
À travers ses yeux et son sourire,
l’innocence resplendit sur son visage.
Sur le chemin d’ascèse spirituelle,
ce souhait reste habituel pour elle.
Malgré les épreuves et la souffrance,
sa ferveur ne diminue pas
parce qu’elle est animée par l’amour
de Celui qui l’a appelée un jour.
Elle est sensible au beau et à l’harmonie;
elle aime l’art et la sainte liturgie.
Elle goûte ave joie et vit avec son cœur
le dimanche et les fêtes du Seigneur.
Elle aime beaucoup la belle musique;
elle accompagne le chant à l’harmonium.
Elle l’enseigne aussi à la communauté
en alimentant l’amour et la piété.
Elle récite quotidiennement le rosaire
et travaille avec entrain à monter des chapelets.
Même en Argentine, au cours des voyages,
on la voit souvent tenant en main le fil, les pinces et les grains.
Et si quelqu’un lui demande un chapelet,
elle le lui donne avec une bonne parole.
Et, comme une semence de bonheur,
elle dit : “Récite le rosaire, Marie t’aidera!”
La foi la guide dans une ascèse constante,
le visage serein, le regard pénétrant,
le pas toujours svelte et décidé
même lorsque des rides nombreuses
apparaissent sur son beau visage.
Quiconque l’a rencontrée et connue
dit que la Mère a vraiment vécu comme cela :
humble, douce et sociable,
vraiment héroïque et admirable.
Le dernier silence
Son intériorité va augmentant
alors que son physique décline lentement.
Son transfert à la maison de Sanfrè
est nécessaire et va de soi.
Elle éprouve intimement une souffrance nouvelle
mais elle adhère totalement à l’obéissance et elle part.
Les sœurs l’accueillent avec joie.
Elle est enveloppée de paix dans le nouveau milieu.
Elle continue son apostolat principal,
l’adoration qu’elle a tant aimée.
Souvent, par la joie qu’elle éprouve,
elle dépose le voile bleu et retourne à la chapelle.
1984, nous sommes en mars lorsqu’un malaise la frappe
- l’ultime sacrifice de sa vie –
et l’enveloppe dans un silence total et profond
qu’elle vit pendant des années, encore dans le monde.
On dit que son silence est un mystère,
mais pour nous, ce n’en est pas un.
Au contraire, dans sa vie, c’est comme un bijou,
le dernier anneau d’une chaîne d’or.
Un autre fait singulier, mystérieux peut-être,
mais d’un sens très précieux pour nous,
c’est l’empreinte de l’hostie qu’elle porte sur son cœur,
monogramme du Christ imprimé par l’amour.
Cela reste certainement un mystère.
Mais nous pouvons affirmer
que son amour pour l’Eucharistie
a marqué son corps sans jamais s’effacer.
1987. C’est dans ce silence de Présence pleine
qu’elle vit le moment suprême
des premières Vêpres de l’Annonciation
alors qu’elle ouvre les yeux sur la Vision éternelle.
Son visage détendu acquiert une nouvelle fraîcheur
qui annonce d’avance la gloire et la beauté
de celle qui est déjà avec Celui qu’elle a aimé…
“Toi seul me suffis, Seigneur… Je n’ai cherché que Toi seul”.
Au soir de sa longue journée terrestre,
au déclin du soleil, dans la paix sereine,
elle a tout donné dans un crescendo d’amour.
Ainsi, retourne-t-elle chez son Seigneur.
“Première parmi bien d’autres”, Mère Scholastique Rivata
a tracé pour nous la voie sûre.
Nous lui demandons que, du ciel, elle nous aide
à vivre dans une grande ferveur.
Texte : G. Zanotto, ddm
Création : Carla, ddm
Canada 10 février 2011