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Lecture analytique de l’extrait du Voyage au bout de la nuit de Céline
Introduction
- Louis Ferdinand Céline est reconnu comme étant un très grand écrivain mais l'homme n'a pas toujours été à la
hauteur de son art. Après avoir, dans la première période de sa vie, écrit des romans dans lesquels il s'attaquait à
la guerre, au racisme, au conformisme, à la déshumanisation de la société moderne, il a, de manière
incompréhensible, pendant la 2ème guerre mondiale, écrit au contraire des écrits violents, antisémites, proches
finalement de l'idéologie nazie.
- Il n’en reste pas moins que Voyage au bout de la nuit, écrit dans la première période de sa vie, en 1932, est
reconnu comme étant un des romans les plus novateurs du 20ème siècle.
- Présentation de l’extrait : l’extrait se situe au tout début du roman. L’histoire commence pendant la 1ère guerre
mondiale et le héros narrateur, Ferdinand Bardamu, est envoyé au front.
- Lecture du texte
- Problématique : ce texte est, on le sent dès la première lecture, un texte puissant et assez provocateur. Nous
allons nous demander à quoi cela tient.
- Plan : Nous verrons d’abord que cette voix romanesque est inhabituelle et subversive. Nous étudierons ensuite
la critique sans concession que le narrateur fait de la guerre.
Développement
I) Une voix étonnante et subversive
- Le récit est un récit à la première personne, c’est à dire que le narrateur est le personnage principal de l’histoire.
Et ce héros est un personnage du peuple, ce dont témoigne sa condition de soldat, ou même le quartier de Paris
d’où il dit venir. La Place Clichy est, en particulier au début du siècle, un quartier très populaire de Paris. Rien
d’inhabituel jusque là dans le genre romanesque.
- Ce qui est plus singulier est que Céline utilise la langue de son héros : une langue populaire, parfois incorrecte.
De nombreuses expressions appartiennent à un langage familier ou trivial: « je n’ai jamais pu la sentir », « on
s’en trouvait comme habillés », « frousse », « puceau ». Plus frappant encore, la syntaxe est parfois
défectueuses : les fautes sont significatives d’un langage très populaires : « ses maisons où les gens n’y sont
jamais »
- D’une manière générale cette narration a les caractères de l’oralité : dans la première phrase (« Moi d’abord la
campagne, faut que je le dise tout de suite, je n’ai jamais pu la sentir »), la mise en relief du pronom « moi » et
l’élision du il impersonnel devant « faut » sont significatifs.
- Ferdinand Bardamu ne parle donc pas la langue des héros, il n’en a pas non plus le comportement. Il ne
revendique aucun courage, au contraire : « je n’osais plus remuer », « ma frousse devint panique », « serait-je
donc le seul lâche sur la terre ». Dans sa bouche, au contraire, l’héroïsme est dévalorisé ce dont témoignent des
oxymores très frappants : « des fous héroïques » (l. 17), « la sale âme héroïque des hommes »
- Il n’est absolument pas maître de son destin, ce dont témoigne une phrase de la fin du texte : « j’étais pris dans
cette fuite en masse »
- La parole du narrateur renverse les valeurs traditionnelles (c’est le sens du mot subversion) : au début du
XXème siècle, l’armée est une institution importante et très respectée. Céline, par la voix de Bardamu renverse
les valeurs de l’armée : la bravoure dans sa bouche est un défaut et le texte se teinte d’ironie : « il devait y en
avoir beaucoup des comme lui, dans notre armée, des braves ». Il se moque d’un symbole important, celui du
« soldat inconnu » auquel la nation rend périodiquement hommage. Il en fait l’objet d’un jeu de mot : « ces
soldats inconnus nous rataient sans cesse » (on appelle cette figure de style une syllepse : le sens littéral et le
sens métaphorique sont réunis)
- Son dénigrement de la campagne (« Moi d’abord la campagne, faut que je le dise tout de suite, j’ai jamais pu la
sentir ») peut lui aussi évoquer un refus des valeurs traditionnelles. En effet la vie rurale est associée
communément aux valeurs traditionnelles
Ph. Campet / Lycée Victor Hugo / Marseille /
Transition : Le texte est donc frappant par sa langue. C’est une langue qui renverse les codes de la littérature
académique et de la société traditionnelle. Nous allons voir qu’il fait une critique sévère de la guerre et de la
société des hommes.
II) Une critique sans concession de la guerre et de l’humanité
- La critique des militaires et des combattants est explicite et sans appel. Cela passe par les qualificatifs et les
métaphores utilisés pour désigner les soldats et les gradés : « un monstre », « des fous », « des chiens »,
« vicieux », « enragés » « cette imbécillité infernale »
- Pour renforcer le ton polémique de ce texte Céline emploie toutes formes d’hyperboles : « mille morts » (l 7),
« Perdu parmi deux millions de fous héroïques », « mille fois plus enragés que mille chiens », « croisade
apocalyptique ». Il utilise aussi des moyens syntaxiques et en particulier l’énumération « avec casques, sans
casques, sans chevaux, sur motos » et parfois la gradation : « pour y tout détruire, Allemagne, France et
Continents, tout ce qui respire »
- Le texte est parfois aussi satirique, c’est à dire à la fois critique et teinté d’humour. Nous avons déjà relevé le
jeu de mots sur soldat inconnu. On relève aussi des expressions populaires à valeur humoristique (« on s’en
trouvait comme habillés », « il n’imaginait pas son trépas », « nous étions jolis ». L’humour est présent aussi dans
une sorte de loufoquerie qu’on observe à plusieurs moments du texte : elle culmine dans l’accumulation des lignes
18 à 20 : « Avec casques, sans casques, sans chevaux, sur motos, hurlants, en autos, sifflants, tirailleurs,
comploteurs, volants, à genoux, creusant » ON peut parler de loufoquerie, d’abord parce que cette accumulation
n’en finit plus mais aussi parce qu’elle associe des qualificatifs parfois incongrus sur le plan du sens ou sur le plan
syntaxique (groupes prépositionnels, adjectifs, participes présents …)
- Par delà la critique de la guerre, de l’armée et de ses valeurs, Céline exprime une vision désenchantée du
monde. Il suggère que ce dérapage que constitue la guerre est ancré dans l’homme, est une fatalité de sa
nature : « Jamais je n’avais senti plus implacable la sentence des hommes et des choses ». « Ca venait des
profondeurs et c’était arrivé »
- Le personnage, devenu anti-héros est impuissant face à cette tendance de fond vers la destruction : « A
présent, j’étais pris dans cette fuite en masse, vers le meurtre en commun vers le feu… ». Céline suggère que la
confrontation à la méchanceté du monde n’est pas pensable, est toujours inédite. D’où sa comparaison avec
l’expérience (pourtant antithétique) de la volupté, elle aussi « désarmante ».
- Le personnage est totalement démuni, ne s’identifie plus du tout à aucune communauté. C’est aussi cela qui en
fait un antihéros. Il est «en dissonance», au lieu d’être « à l’unisson » ou au lieu d’être un porte étendard. On le
sent dans la manière dont Céline emploie le pronom de première personne, souvent mis en relief pour marquer
une différence, une étrangeté. « Moi d’abord la campagne », « serais-je donc le seul lâche ? », « Comment
aurais-je pu me douter, moi, de cette horreur »
Conclusion
Ce texte est donc extraordinairement puissant sur le plan littéraire, puisqu’il bouleverse les codes de l’écriture
traditionnelle mais aussi sur le plan des idées et des mœurs car il pourfend tout une vision conformiste et
conservatrice de l’homme et de la société.
Ph. Campet / Lycée Victor Hugo / Marseille /