Ami hebdo 27.7.14 - Les malgré-nous

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Transcript Ami hebdo 27.7.14 - Les malgré-nous

Livres en Alsace
Juin 1944 en Limousin
En cette année de commémorations, la magazine Juin 1944
en Limousin revient sur deux
tragédies : les pendaisons de
Tulle et le massacre d’Oradoursur-Glane. Nous avons déjà évoqué, dans notre édition du
6.7.2014, le drame de Tulle en
mettant en exergue le rôle fondamental du secrétaire général
de la préfecture, Maurice Roche.
Pourtant, celui-ci est totalement
absent des pages consacrées
aux «acteurs du drame» (p.3435) ; on y lit aussi que l’abbé
Espinasse a sauvé trois (sic pour
deux ?) vies, ce qui permet de
faire l’impasse sur l’intervention
de l’Alsacien Elimar Schneider
auprès du lieutenant du SD Walter Schmald. Notons aussi l’extrait d’un écrit d’Alexandre Varenne,
homme
politique
fondateur de La Montagne,
dans lequel il est question de
l’émasculation d’une demi-douzaine de soldats allemands par
les résistants FTPF (p. 97) ; cette
histoire de mutilation fait encore
débat, bien qu’elle ait été catégoriquement rejetée par les témoins et les historiens français
(p. 76).
Concernant les Alsaciens, justement, relevons quelques inexactitudes. Ce n’est pas un soldat
originaire de Moselle qui est
venu en permission à Oradoursur-Glane (p.55), mais bien un
Alsacien (voir H. Desourteaux
et R. Hébras, Oradour-surGlane. Notre village assassiné,
p.168.). A la p.86, il aurait été
souhaitable de préciser que les
réfugiés alsaciens et mosellans
avaient aussi été «invités», par
le gouvernement français, à rentrer chez eux, malgré l’annexion
de leurs provinces - le poids de
l’exil n’explique pas tout. Le procès de Bordeaux est brièvement
évoqué, sans qu’il soit fait mention des non-lieux dont les Alsaciens ont pu bénéficier avant
1953, ni de l’enquête des Renseignements Généraux de 1951.
On lit par contre que l’adjudant
allemand et l’engagé volontaire
alsacien ont été exécutés
(p. 87). D’où peut bien provenir
cette information erronée ?
Chose plus surprenante, les auteurs apportent du grain à moudre aux révisionnistes en écrivant que des maquis se
trouvaient à une quinzaine de
kilomètres d’Oradour – on jurait, au procès de Bordeaux,
qu’il n’y en avait pas à moins
de 20km – et que «des sympathisants radounauds participent même à une filière d’évasion de pilotes alliés» (p.55).
Ceci porterait à croire que le village paisible, hors de la guerre,
développait tout de même une
certaine activité de résistance à
l’occupant.
Enfin, notons encore une absence d’importance parmi les
«principaux acteurs du drame
d’Oradour» (p.58-59) : celui du
capitaine Otto Kahn, commandant de la 3e compagnie.
Au total, cette publication fourmille de renseignements passionnants, mais souffre de nombreuses approximations.
Nicolas Mengus
Juin 1944 en Limousin. Oradour, la folie meurtrière. Tulle,
99 martyrs, magazine édité par
La Montagne et Le Populaire
du Centre, 2014, 5,90 €
La Grande Guerre
en Alsace vue
par une petite fille
Dans la bande dessinée «Finnele», Anne Teuf (de son vrai
nom Anne Weinstoerffer, née
en 1964 à Mulhouse et ancienne élève de l’Ecole des
Arts Décoratifs de Strasbourg)
revisite l’histoire de sa grandmère Joséphine Koehrlen,
dite «Finnele», qui avait 8 ans
au début de la Première
Guerre Mondiale. Il s’agit essentiellement d’une fiction,
l’auteur ne sachant que peu
de choses sur le vécu de son
aïeule à cette époque, mais
l’histoire se base sur une vérité historique et décrit bien
les conditions de vie des populations civiles alsaciennes
en ces temps troublés.
L’originalité du récit vient du
personnage principal, qui
perçoit le traumatisme de la
guerre avec des yeux d’enfant. Finnele ressemble aux
petites filles d’aujourd’hui : insouciante et facétieuse, elle
aime jouer à la poupée, voit
des monstres dans son lit la
nuit, se désole de devoir porter les vieilles robes de ses
sœurs et somnole parfois en
classe… Un personnage attachant qui partage sa vie avec
son père, un charron au cœur
tendre, sa mère plutôt autoritaire, ses sœurs Marie et Eugénie et son frère Alphonse,
toujours prêt à faire des bêtises. La guerre va faire basculer leurs existences avec le
départ du frère aîné dans l’armée allemande et les obus
qui ravagent leur petit village
d’Oberaspach (Aspach-leHaut), tout près de la ligne
de front.
L’histoire de la famille Koehr-
len est particulièrement touchante, avec ses malheurs
mais aussi ses moments de
joie malgré la tourmente. Ce
roman graphique en noir et
blanc qui relate des évènements tragiques n’est pourtant pas dépourvu d’humour,
entre les chamailleries qui
opposent les frères et soeurs,
la coquetterie de Marie et les
maladresses d’Eugénie. Certains évènements, perçus à
travers le prisme de l’enfance,
sont d’autant plus émouvants : perte d’une poupée
sur le chemin de l’exil, moqueries quant à l’accent alsacien des nouveaux venus, ou
encore la réquisition par l’armée française de la «Lisel», la
jument tant aimée de la famille. Un bel alsatique d’un
genre particulier, particulièrement bienvenu en cette période commémorative de la
Grande Guerre.
AG
Finnele. Le Front d’Alsace,
Anne Teuf, Editions Delcourt,
avril 2014.
Pourquoi
Oradour-sur-Glane
Pour sortir des sentiers battus,
le livre de Michel Baury est
tout indiqué pour qui s’intéresse au «pourquoi» du massacre d’Oradour-sur-Glane. Si
l’on peut ne pas partager l’ensemble de ses conclusions,
l’auteur fait œuvre d’audace
en s’attaquant frontalement à
ce qu’il est convenu d’appeler
«le mystère Kämpfe». Rappelons très brièvement les faits :
le commandant Helmut
Kämpfe est un officier de la
2ème division blindée WaffenSS «Das Reich». Il est capturé
par la Résistance FTPF le 9
juin 1944. Les Allemands font
tout pour le retrouver et vont
jusqu’à négocier avec Georges
Guingouin. C’est cet enlèvement qui, selon l’auteur, aurait
provoqué des représailles allemandes sur Oradour-surGlane. Or, au moment du
massacre, le commandant
Diekmann ne pouvait-il pas
toujours espérer que la Résistance accepterait l’échange
proposé et libèrerait son ami
Kämpfe ? Dans ces conditions,
la destruction d’un bourg et
l’anéantissement de sa population ne revenait-elle pas à
signer l’arrêt de mort de ce
dernier ? De plus, Michel
Baury avance la thèse selon
laquelle les Allemands auraient confondu Oradour-surGlane et Oradour de Linards
où se trouvait un QG de
Georges Guingouin. Or, ces
deux localités sont séparées
par 60 km. En admettant cette
confusion, cela ne reviendraitil pas à admettre que les Waffen-SS n’avaient pas compris
les indications données par le
SD et la Milice, encore moins
celles du lieutenant Gerlach
qui leur avait pourtant indiqué
Oradour-sur-Glane sur une
carte ? Par extension, cela ne
signifierait-il pas qu'ils étaient
incapables de lire une carte
ou des panneaux routiers ?
En dehors de ces quelques
objections, il faut reconnaître
à Michel Baury le courage de
s’atteler à une tâche particulièrement difficile : reconstituer l’enlèvement de Kämpfe,
malgré la chape de silence –
difficilement compréhensible
pour ce qui devrait être un
haut fait de la Résistance FTPF
– qui recouvre cet événement.
Il est d’une grande honnêteté
dans sa démarche et il est très
appréciable de constater qu’il
n’hésite pas à s’engager sur
de nouvelles pistes de réflexion, avec une mention
spéciale pour la publication
de nombreux témoignages et
documents (p.127-276).
Nicolas Mengus
Michel Baury, Pourquoi Oradour-sur-Glane. Mystère et
falsification autour d’un crime
de guerre, Ouest-France,
Rennes, 2014, 282 pages,
17 €.
Les mystères d’Oradour. Du temps du deuil à la quête de la vérité
Dans l’ouvrage de Régis Le
Sommier, plusieurs thèses, généralement admises pour
vraies, sont mises à mal. Ainsi,
celle selon laquelle les WaffenSS seraient revenus à Oradour,
le lendemain et le surlendemain, pour enterrer les morts
afin de maquiller leur crime. Si
le fait est exact, il est effectivement surprenant qu’on puisse
envisager que les Allemands
aient été assez naïfs pour imaginer que la destruction d’un village et l’anéantissement de sa
population puisse être «maquillés» d’une manière ou d’une
autre (p. 27, 93, 154-155).
Si des liens entre la population
d’Oradour-sur-Glane et la Résistance ont déjà été évoqués par
ailleurs, Régis Le Sommier et
son préfacier, le député Loïc
Bouvard, un ancien résistant,
vont plus loin : selon eux, la
thèse du village paisible, hors
de tout contact avec la Résistance, n’est plus de mise (p.8,
133-146, 215-216, 233-234,
249). Il en est de même pour
une éventuelle confusion avec
un autre Oradour (sur-Vayre ou
de Linards), ne serait-ce que
pour la bonne raison que les Allemands savent lire une carte
(p.31). D’ailleurs, l’auteur met
parfaitement en évidence que
ce sont les recherches infruc-
8 - l’ami hebdo
tueuses, menées par les Waffen-SS pour retrouver leur officier Helmut Kämpfe, capturé le
9 juin par les FTPF, qui ont
conduit les Allemands à Oradour (ainsi que, entre autres,
l’enlèvement raté de lieutenant
Karl Gerlach, p. 81 et suivantes).
Les Waffen-SS, désespérés de
ne pouvoir le retrouver, ont
même été jusqu’à négocier sa
libération avec Georges Guingouin (p. 70 et suivantes, 87 et
suivantes). Si nous sommes
dans le cadre de négociations
avec échange de prisonniers,
comment alors envisager que le
colonel Sylvester Stadler puisse
autoriser Diekmann à assassiner
quelques
personnes
pour
l’exemple (p. 89) ou de se venger sur Oradour de la disparition de son ami Kämpfe (p.91,
233, 240) ? En effet, au moment
du drame, ne peut-il pas encore
espérer que les négociations
aboutissent ? Dès lors, assassiner des civils ne semble pas
être la meilleure option pour
amener les résistants à accepter
l’offre allemande.
Il est également exact qu’une
procédure a aussitôt été lancée,
non contre Kahn qui commandait la 3ème compagnie, mais
contre son supérieur, Diekmann, en tant que responsable
hiérarchique, et qu’une plainte
a été portée par les autorités
françaises auprès du Haut-Commandement de la Wehrmacht
(p.156 et suivantes). Ceci montre que les Allemands ont considéré, dès le départ, que le massacre d’Oradour était un crime
de guerre et que c’était à l’officier le plus haut gradé d’en répondre.
Cela étant, on ne saurait considérer l’horreur d’Oradour, de
Tulle et autres, comme des
actes routiniers, un «tour de
chauffe» avant le départ en Normandie, voire une distraction
pour les Waffen-SS (p.40, 92).
Même s’il y avait des fanatiques,
il est clair, au regard des témoignages d’anciens incorporés de
force, que la majorité des soldats ne considéraient pas la
lutte contre les «terroristes»
comme une partie de plaisir ;
exceptés les anciens du front de
l’Est, la mort ne deviendra routinière qu’à partir du front normand.
Régis Le Sommier indique avec
raison qu’on compte environ
130.000 incorporés de force en
Alsace et en Moselle, mais il n’y
avait pas d’engagés volontaires
parmi eux (p.53). De même,
très nombreux sont les Alsaciens qui ne portaient pas leur
groupe sanguin tatoué sous le
bras (p.111).
Si le commandant Helmut
Kämpfe était apprécié des Alsaciens (p.60), ce n’est pas parce
qu’il les considérait comme des
Allemands s’ils étaient «réglos»,
mais parce que c’était un
homme juste, pas une «peau de
vache»… à la condition, bien
sûr, d’être «réglo» ; Kämpfe
n’était sans doute pas naïf au
point de penser que les Alsaciens puissent faire de bons Allemands ! A son propos, a-t-il
vraiment
été
magnanime
lorsqu’il a épargné des représailles à Guéret (p. 66) ? N’est-ce
pas plutôt parce que ce n’était
pas à lui de s’en occuper, mais
plutôt à la Wehrmacht qui avait
été attaquée ?
Régis Le Sommier rappelle
aussi une évidence : le soldat se
doit d’obéir aux ordres donnés
par ses supérieurs. Aussi est-il
totalement
incongru
de
condamner les «Malgré-Nous»
pour n’avoir pas résisté, n’avoir
pas été des héros (p.110, 189).
De plus, Mathieu Borie, FTPF et
survivant du massacre, écrit
dans ses mémoires que, au moment où les hommes ont été
conduits dans les granges, ils
auraient pu fondre sur les Allemands et, pour beaucoup, sauver ainsi leurs vies (p.124). Personne n’a eu l’inconvenance de
leur reprocher de ne pas avoir
été des héros.
Dans un long chapitre, il rappelle aussi que le procès d’Oradour, en 1953, était jugé
d’avance – notamment grâce à
la «loi Oradour» votée en 1948 :
les accusés étaient coupables et
ne pouvaient qu’être lourdement condamné. Il évoque, à
titre d’exemples, les cas de
Louis Hoehlinger et celui, particulièrement dramatique, de
Paul Graff, l’ambiance du procès
et ses conséquences, l’amnistie
des «Malgré-Nous» et l’affichage
– illégal - de leurs noms dans
les ruines par le Parti communiste : «les Alsaciens porteront
désormais seuls la responsabilité du massacre» (p.163198, 237).
Il souligne aussi la solitude de
l’ancien maire d’Oradour, Raymond Frugier, dans ses efforts
qu’il a déployés pour que le Limousin et l’Alsace se rapprochent, se parlent et se comprennent. Cela n’a pas été simple :
«Les survivants au massacre
et leurs familles ont longtemps refusé de considérer
ces réfugiés [alsaciens] présents à Oradour comme des
martyrs au même titre que les
leurs. Pour les gardiens de la
mémoire d’Oradour, «Alsacien» rimait avec bourreau»
(p.24). Or, rien que par l’exemple de l’Alsacien Albert Daul ou
de l’Allemand Werner Christukat, Régis Le Sommier met à
mal l’image traditionnelle du
Waffen-SS avide de tuer (p.207,
223 et suivantes, 240-241). La
lecture de son livre, marqué du
sceau de l’honnêteté et de l’esprit critique, ne peut qu’être recommandée.
Nicolas Mengus
Régis Le Sommier, Les mystères
d’Oradour. Du temps du deuil à
la quête de la vérité, Michel
Lafon, Paris, 2014, 263 pages,
18,50 €
27 juillet 2014