Ami hebdo du 22.6.2014 - Les malgré-nous

Download Report

Transcript Ami hebdo du 22.6.2014 - Les malgré-nous

Cérémonies patriotiques en Normandie
Emotion et recueillement
PHOTOS M. G.-L.
Enfin! Alors que jusqu'ici, la commémoration du Débarquement, le 6 juin 1944, réunissait les anciens ennemis d'hier (Alliés et Allemands) mais excluait injustement les anciens Incorporés de force alsaciens, une délégation avec quatre anciens déserteurs
de la Wehrmacht ou des Waffen SS a été intégrée à la cérémonie officielle.
À Ouistreham, les anciens incorporés de force sont dans la tribune des vétérans et le
drapeau de l'ADEIF, entre les autres drapeaux.
D
oit on dire «déserteurs» ou plutôt «évadés» puisque ces
quatre hommes, comme
bien d'autres en URSS ou ailleurs, se sont échappé d'une
armée qui les avait illégalement enrôlés ? Une certitude,
le courage extrême qu'il a
fallu à Armand Klein, 90 ans,
à René Gall, 88 ans comme
Daniel Fischer et Maurice
Stotz pour se débarrasser de
leurs uniformes allemands, le
courage aussi des Normands
qui ont aidé ces jeunes au
risque de leur vie… Une
page de l'histoire de France
enfin reconnue grâce à une
invitation à l'entête de François Hollande, président de
la République.
A la demande d'un journaliste des DNA, s'étonnant de
cette ouverture alors qu'en
2004, les incorporés de force
alsaciens étaient jugés «indésirables», le ministre délégué
aux Anciens combattants,
Kader Arif, rappela qu'en
1945 le général de Gaulle
avait attribué la mention
«Mort pour la France» aux incorporés de force alsaciens
et mosellans.
L'invitation était donc lo-
gique, c'est le refus précédent qui ne l'était pas. Grâce
à cette décision historique en
tout cas, Georges Bruder,
porte-drapeau de l'ADEIF put
faire flotter à Ouistreham,
près d'une des plages du Débarquement, ce symbole tricolore de l'Association des
déserteurs, évadés et incorporés de force du Bas-Rhin.
Entre les drapeaux d'autres
associations
patriotiques
françaises et tout au long de
la belle cérémonie du 6 juin.
Durant l'après-midi, la délégation alsacienne put admirer, au milieu d'autres
vétérans, les fanfares de neuf
pays (Belgique, Canada, Danemark, USA etc.), les
prouesses de la Patrouille de
France et voir les invités dont
Barak Obama et la reine
d'Angleterre rejoindre la tribune officielle. Une haie
d'honneur de jeunes Normands salua les vétérans :
«Merci pour tout ce que
vous avez fait pour nous !»
«On n'a jamais été aussi
honorés» reconnaissait avec
fierté Maurice Stotz. Relevant
aussi que lui et d'autres
avaient eu «beaucoup de
chance» durant leur évasion.
Deux autres cérémonies et
une rencontre conviviale
dans la mairie de Croisilles
ont également ponctué ce
déplacement préparé et préfinancé par l'ADEIF du BasRhin
et
l'OPMNAM
(Orphelins de pères Malgré
Nous d'Alsace Moselle). Accompagnés par l'AERIA (association pour des études sur
la résistance intérieure des
Alsaciens) et aidée par d'efficaces amis normands, Jean
et Nicole Bézard, fondateurs
de l'association SNIFAM (solidarité normande avec les
incorporés de force d'Alsace
Moselle) ainsi que Serge
Vuillemez, ancien officier de
gendarmerie. «C'est un essai
qu'il faut transformer maintenant» estimait Gérard Michel,
président
de
l'OPMNAM, à l'heure du retour en Alsace, au bout de
700 km par minibus. André
Hugel et Alphonse Troestler
font encore en juin des
conférences sur l'incorporation de force en Normandie.
Et en juillet, l'inauguration
d'une place à Agon-Coutainville, en hommage au Dr
Henri Guillard, un médecin
qui avait caché des incorporés de force évadés, réunira
encore l'Alsace et la Normandie. Deux régions qui, 70 ans
après le Débarquement, se
sont rapprochées parce
qu'elles savent qu'elles ont
souffert plus que d'autres et
différemment en 39-45.
Marie Goerg-Lieby
«La Marseillaise» dans un cimetière allemand
Le Normand Jean Bézard soutient Walter Oster devant
la tombe de son père au cimetière de La Cambe.
Le cimetière de La Cambe est une immense nécropole
avec plus de 21 000 tombes de militaires allemands, morts
lors du Débarquement ou plus tard, comme prisonniers
en déminant la Normandie. Mais sous l'appellation «Hier
ruhen deutsche Soldaten», reposent en fait aussi… des
Français incorporés de force. Comme Emile, le père de
Walter Oster, de Eschbourg, mort brutalement en juin
1944. La délégation alsaco-normande déposa deux pots
de terre cuite avec de la terre d'Alsace et des fleurs de Normandie et chanta la Marseillaise en faisant flotter le drapeau de l'ADEIF, sur cette tombe et une autre. Et Jean
Bézard renseigna longuement les touristes, Brésiliens et
Espagnols, intrigués par cette cérémonie inédite.
Tombe de l'Alsacien inconnu
Georges Bruder et le drapeau de l'ADEIF à Ouistreham.
Quatre parcours différents»
René Gall, titulaire de la Légion d'Honneur est président de
l'ADEIF du Bas Rhin. Originaire de Fegersheim, enrôlé de
force dans la Wehrmacht à 17 ans, expédié sur le front de
l'Est, il réussit à s'évader en Lorraine et rejoint les FFI. Armand Klein, de Jetterswiller, incorporé de force dans la
Wehrmacht à 19 ans, est blessé sur le front russe, empêche
au maximum la cicatrisation de la plaie avant de devoir repartir au front et de s'évader en obtenant la confiance d'un
fermier en Belgique. Le mulhousien Maurice Stotz, versé
d'office dans les Waffen SS, peut s'échapper de son unité
près de Rouen avec un camarade, est recueilli par une famille de résistants puis rejoint les FFI et l'armée française.
Daniel Fischer, né à Colmar, enrôlé de force dans les Waffen SS à 17 ans dans la division Das Reich, renseigne la Résistance et réussit à se rendre aux Américains. De fortes
personnalités donc et une énergie intacte puisque du 4 au
7 juin, malgré leur grand âge, ces quatre anciens participèrent aux visites dont celles sur les sites historiques de la
Pointe du Hoc et de la poche de Falaise où tant de soldats
sous tant d'uniformes perdirent leur vie à cause de la folie
de l'Allemagne nazie.
8 - l’ami hebdo
La tombe se trouve
dans le carré militaire du cimetière
de Breteuil-sur-Iton,
en Normandie. Entre deux tombes de
soldats français et
anglais, la stèle ne
porte curieusement
aucun nom. Juste
une cocarde tricolore du Souvenir
Français, un entretien assuré par la
commune,
une
fleur en faïence et
un petit souvenir de
Lourdes... Mais qui
était cet Alsacien inconnu, fusillé en
juin 1944 par les Allemands, et à l'inhumation duquel assistèrent trois jeunes
filles habillées de bleu, blanc et rouge ? Un incorporé de
force proche des résistants, surveillé puis exécuté lors
d'une action ? Un jeune homme qui s'était lié avec une
jeune Normande qui aurait porté son enfant ? Les deux ?
Sur sa tombe, deux gerbes de l'OPMNAM et d'une association patriotique (Combattants Prisonniers de Guerre/
Combattants Algérie Tunisie Maroc) rappellent que «le
souvenir des morts est dans le cœur des vivants». Une
assistance recueillie écouta Serge Vuillemez et Gérard Michel, ému aux pleurs en lisant son discours…
La délégation alsacienne presque au grand complet.
Dans la salle
du Conseil municipal
Croisilles, harmonieuse commune avec des prés verts et des
constructions en pierre claire, a reçu la délégation alsaconormande. Dans la salle du Conseil municipal où des villageois, dont madame le maire Annick Levoisin, étaient
captivés par les récits d'évasion des quatre incorporés de
force. Sous le portrait de François Hollande et près du buste
de Marianne, le destin des Alsaciens a ainsi été partagé. Le
journal Ouest France signala la présence des incorporés de
force ainsi que France 3 Normandie. A noter que la délégation alsacienne avait aussi eu des invitations pour la cérémonie internationale dans le cimetière américain de
Colleville-sur-Mer, impossible à rallier dans la même journée sans voiture officielle! Par ailleurs, dans la belle revue
«70 témoignages, 70 histoires extraordinaires» éditée par
des hebdomadaires régionaux normands, une page consacrée à un «Malgré lui», Lucien Meyer, né à Bischheim en
1924, incorporé de force à 19 ans, fait prisonnier en Normandie et intégré à l'armée française… Le temps de la reconnaissance semble enfin venu.
22 juin 2014