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Albin Michel
La souffrance
et la grâce
Rarement document sociétal – en l’occurrence le récit d’une
exécution capitale au Texas – aura été plus proche du témoignage
spirituel : c’est que les deux auteurs, Danièle et René Sirven, sont
animés d’une foi travaillée à l’aune de leurs lectures, notamment
celle des livres de leur amie Marie Balmary qui préface leur
témoignage, La Souffrance et la grâce.
P. 10
Numéro 41 – printemps 2014
Etty Hillesum
Joseph Boyden,
La voix d’Etty Hillesum,
cette jeune femme juive
qui avait opposé
une résistance spirituelle
d’une grande intensité
à l’horreur nazie, résonne
dans un magnifique
dialogue rêvé par Karima
Berger : l’auteur,
musulmane, donne vie
à la petite Marocaine
dont la photographie
était accrochée dans
la chambre d’Etty, pour
nous offrir une méditation
somptueuse, par-delà
les cultures, par-delà
la mort. Un hymne
aux Attentives du monde.
LIRE PAGE 16
Zeev Sternhell,
historien des fascismes
© Norman Wong
l’écrivain canadien du métissage
oseph Boyden est devenu l’un des écrivains canadiens les plus importants, dans
son propre pays comme sur la scène littéraire internationale. Même s’il vit depuis
vingt ans à La Nouvelle-Orléans, où il
enseigne la littérature, il n’a jamais oublié qu’il est né il
y a quarante-six ans dans la banlieue de Toronto, où il
a grandi avec ses dix frères et sœurs, et où il a fait ses
études chez les jésuites. Dès son premier livre, Là-haut
vers le nord, un recueil de nouvelles publié au début
des années 2000, il plaçait son œuvre sous le signe de
la rencontre, du métissage, de ses origines familiales
– son ascendance, à la fois amérindienne, écossaise
et irlandaise, est très emblématique de l’histoire de son
pays. Son premier roman, Le Chemin des âmes, relatant l’odyssée tragique de deux jeunes Indiens enrôlés
dans l’armée canadienne et pris dans la folie de la
J
P. 7
Décryptage
de l’islamophobie
Première Guerre mondiale, lui a valu plusieurs récompenses littéraires et a marqué des dizaines de milliers
de lecteurs à travers le monde. Avec Les Saisons de
la solitude, une fresque familiale qui se déroule dans
les espaces sauvages du nord de l’Ontario, il obtient le
prix Giller, le Goncourt canadien.
Joseph Boyden dit qu’il lui a fallu tout ce temps, et ces
premiers livres qui furent pour lui une maturation, pour
enfin pouvoir s’atteler au projet de roman qu’il s’était
senti depuis longtemps appelé à écrire. Ce grandœuvre, c’est Dans le grand cercle du monde qui
paraît en France ce printemps. Il marque pour lui un
retour aux origines : les siennes, comme celles de son
pays. Un livre puissant et déchirant, riche en scènes
d’action et en moments d’émotion, enraciné dans la
beauté naturelle d’un continent, et d’une incroyable
SUITE PAGE 2
modernité.
P. 11
Non, Dolto
n’était pas laxiste !
P. 14
2
L’Homme en Question n PrINTEMPS 2014
Sommaire
Éditorial
4
5
reprenant le prénom du poverello François
d’Assise, l’attention à tous les pauvres. Contre
l’avis de ses conseillers, il refusait de porter la
mozette rouge et les mules du pape, de troquer
son anneau d’évêque pour l’anneau d’or du
pêcheur, d’habiter dans les riches appartements
pontificaux… Au-delà même des symboles, audelà de ses intentions de réforme en profondeur
de l’appareil ecclésial, il y a dans la geste de
François depuis un an une dimension spirituelle :
celle d’un amour plus fort que la peur, et d’une
priorité absolue donnée aux plus faibles –
comme l’a montré son premier déplacement de
pape, à Lampedusa.
Cette geste quasi révolutionnaire, Christiane
Rancé nous la raconte avec autant de talent que
de finesse (voir page 8). Journaliste et familière
de l’Argentine, elle a eu accès à des proches et
à des sources inédites sur l’histoire singulière de
cet homme ; romancière et essayiste, elle a su
mettre en scène et analyser ses combats successifs ; chrétienne, elle nous offre une pénétrante approche de sa spiritualité. Une spiritualité
qui pourrait redonner une actualité universelle
aux paroles évangéliques. n
Jean Mouttapa
SUITE DE LA PAGE UNE
SAINTE-MARIE-AU-PAYS-DES-HURONS :
cette mission, fondée par les jésuites
français en 1639 et abandonnée dix ans
plus tard, est un lieu cher à Joseph
Boyden, situé près de Midland, en
Ontario. À une époque, la mission
abritait un cinquième de la population
totale de la Nouvelle-France, jusqu’au
moment où les Iroquois menèrent une
offensive décisive, massacrant des
centaines de Hurons, contraignant les
survivants à l’exil et torturant à mort deux
jésuites, Jean de Brébeuf et Gabriel
Lalemant, reconnus plus tard saints et
martyrs par l’Église. Dans le grand cercle du monde fait revivre cette époque
à travers les voix de trois person-
Manil Suri
Stéphanie Janicot
n Dans l’Iran de Khomeiny
n Calixthe Beyala
n Le texte sacré le plus
convoité du monde
n Y a-t-il un Messie
dans la Bible ?
n Défendre l’humain
après Auschwitz
n Aux premiers temps
de la violence chrétienne
n Zeev Sternhell
n Trois questions
à Christiane Rancé
n Regards croisés
sur l’espérance
n La presse en parle…
n Marie Balmary a lu…
n Les derviches tourneurs
n Un étrange Évangile
musulman
n Décryptage
de l’islamophobie
n Jacques Salomé
n Redécouvrir un classique
Bertrand Vergely
n Autisme : le désastre
de la surenchère
n Non, Dolto
n’était pas laxiste !
n Un livre, un éditeur
par Claire Delannoy
n Karima Berger
n
l est des événements religieux qui acquièrent d’emblée une dimension universelle,
au point de pouvoir concerner, et même
troubler, des consciences non religieuses.
Ainsi en fut-il du grand rassemblement
interreligieux d’Assise en 1986, ou de la visite de
Jean-Paul II au Mur occidental de Jérusalem. Ce
qui s’est passé à Rome il y a un an relève de ces
faits remarquables, où l’on sent que sont en jeu
non seulement l’histoire d’une communauté particulière (celle des catholiques, en l’occurrence)
mais aussi le mouvement de l’humanité tout
entière. Un pape se retire, un autre est élu, en
quoi ce fait regarderait-il les protestants, orthodoxes, juifs, musulmans, bouddhistes… et a
fortiori les non-croyants ? En quoi, surtout, pourrait-il les émouvoir ? Et pourtant, dès que
François est apparu au balcon de la basilique
Saint-Pierre le 13 mars 2013, beaucoup de nonchrétiens ont senti qu’il se passait là quelque
chose de neuf. De neuf pour l’Église, certainement, mais de neuf aussi pour le monde, qui a
un besoin essentiel de bonté véritable. Or, cet
homme incarnait cette bienveillance universelle
de façon évidente, souriant, souhaitant le bonsoir
à tous, demandant avec humilité que l’on prie
pour lui, et plaçant au cœur de sa mission, en
I
n
qu’il adopte comme sa propre fille ; et
enfin un jeune jésuite français venu
apporter la « vraie foi » aux
« Sauvages », et dont le destin bascule
quand il se retrouve captif des Hurons.
Leurs voix nous entraînent dans un
monde où se côtoient la guerre et l’espoir, la méfiance et la concorde, la destruction et la vie, la haine et l’amour, la
violence et la beauté.
nages: un chef de guerre huron toujours
hanté par la mort de sa femme et de ses
enfants tombés sous les coups des
Iroquois ; une jeune Iroquoise faite prisonnière au cours d’une expédition et
L’HUMANITÉ DE CES PERSONNAGES est
telle qu’elle nous fait ressentir et partager leurs émotions et leurs dilemmes,
comme si c’était un peu les nôtres. Il
sont complexes comme nous le
sommes tous, et leurs visions du
monde sont souvent contradictoires.
n Joseph Boyden sera présent au colloque du 31 mars à l’université de Caen, en partenariat avec la librairie Brouillon
de culture (02 31 50 12 76), puis le 4 avril à la librairie Millepages de Vincennes (01 43 28 84 30).
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Éditeurs des ouvrages cités dans ce numéro :
Stéphane Barsacq, François Bouvier, Pauline
Colonna d’Istria, Claire Delannoy, Francis Geffard,
Maëlle Guillaud, Anne-Sophie Jouanneau,
Anne Michel, Hélène Monsacré, Jean Mouttapa,
Vaïju Naravane, Mathilde Nobécourt, Marc de
Smedt, Emmanuelle Touati.
À preuve l’incompréhension radicale de
Christophe, le jeune jésuite, vis-à-vis de
la spiritualité des Indiens.
Comment réconcilier l’irréconciliable ?
Comment rendre compte du courage de ce jésuite, de la haute spiritualité des Hurons, et en même temps
du choc de la conquête, de la destruction des cultures amérindiennes ?
Tel était le but que s’était donné
Joseph Boyden en tant qu’écrivain, en
tant que Canadien et en tant qu’être
humain. Ce but, il l’a atteint, Dans le
grand cercle du monde en est la brillante démonstration. n
Dans le grand cercle du monde
Joseph Boyden
608 pages, 23,90 €
n Du même auteur :
Le Chemin des âmes
400 pages, 22,80 €
L’Homme en Question n PrINTEMPS 2014
ROMAN
3
Le samouraï philosophe
Inspiré par la figure emblématique de Musashi Miyamoto, samouraï de légende et auteur du célèbre Traité des Cinq Roues,
Le Samouraï dévoile un Japon féodal plein de beauté et de fureur. Professeur d’anglais résidant au Japon, David Kirk nous
embarque sur les pas d’un jeune guerrier idéaliste, aux prises avec un destin capricieux et avec les revirements de sa conscience.
13 ans, Bennosuke remporte
son premier duel contre un
samouraï accompli. Son père,
le grand Munisai Shinmen, qui ne
semblait guère se soucier de sa progéniture depuis la mort tragique de son
épouse, voit alors en Bennosuke un
héritier digne de porter son nom. Il lui
transmet son savoir et prépare son
esprit à l’impassibilité qui distingue les
grands samouraïs.
ÉLÈVE DOUÉ, BENNOSUKE s’attire les
foudres de l’héritier du clan Nataka, un
seigneur tout-puissant déterminé à le tuer.
Mais il devra aussi combattre ses propres démons: l’ombre du mystérieux
passé de sa famille, les secrets qui se
cachent derrière la disparition de sa mère,
et, surtout, les doutes qui le gagnent peu
à peu. La condition de samouraï est
certes prestigieuse, mais l’issue en est
souvent la mort par seppuku, un suicide
finement codifié auquel le moindre écart
est considéré comme dégradant. Au fil
ROMAN
© Ayako Sato
À
Le Samouraï
David Kirk
416 pages, 21,50 €
des aventures que lui réserve le destin,
Bennosuke s’interroge sur le bienfondé des traditions auxquelles il doit se
plier. Est-il juste de vénérer la mort au
point de la préférer au déshonneur ?
Ponctué de combats épiques et de
rebondissements haletants, le roman de
David Kirk nous entraîne dans un
voyage chevaleresque où la poésie et
le raffinement voisinent avec la vengeance et la violence la plus froide. Mais
les incertitudes de son héros font aussi
du Samouraï le récit d’un cheminement
spirituel passionnant. n
n
À lire également :
Traité des
Cinq Roues
Musashi Miyamoto
194 pages, 6,90 €
Métamorphose d’un Maître solitaire
Dans la tranquillité de sa boutique, le Maître bonsaï d’Antoine Buéno consacre son existence à cet art délicat,
fait de contrainte et d’équilibre, qui consiste à créer un paysage en pot. Mais pourquoi semble-t-il
si étranger au monde, et comme en dehors du cours naturel du temps ?
a réponse jaillira de la rencontre
d’une jeune femme opiniâtre.
S’accrochant à lui comme l’arbre au rocher, elle vient bousculer la
routine solitaire du Maître bonsaï. Ce
n’est pas vraiment un coup de foudre,
mais plutôt une reconnaissance
mutuelle. Perturbé, le Maître bonsaï
entreprend de transmette son art
exigeant à cette étrange compagne :
« Créer un bonsaï, c’est contraindre
un arbre à ne pas grandir et le maintenir en vie dans cet état. Parce que
L
dans cet état il est une œuvre d’art. »
Mais l’apprentie résiste, elle trouve que
la nature est belle comme elle est, et
que les hommes la martyrisent déjà
bien assez.
DE SON CÔTÉ, LE MAÎTRE BONSAÏ retrouve
des bribes de souvenirs au contact de
la jeune femme. Il comprend peu à peu
pourquoi il ne supporte les arbres qu’en
miniature, et pourquoi il ne fait que survivre depuis si longtemps. La jeune
femme glisse comme un bonsaï mal
entretenu, et le Maître bonsaï remonte
dans le temps. Une mécanique irréversible s’est enclenchée, qui s’achèvera
dans une épiphanie saisissante, où les
pièces de la symbolique savamment distillée tout au long du roman s’assemblent
dans un tableau puissant. Écrivain
d’une imagination inouïe, chroniqueur,
fondateur du prix du Style, chargé de
mission au Sénat, essayiste, Antoine
Buéno enseigne également l’utopie à
Sciences Po. Le Maître bonsaï est son
cinquième roman. n
Le Maître bonsaï
Antoine Buéno
180 pages, 15 €
4
L’Homme en Question n PrINTEMPS 2014
Bombay par temps
de fin du monde
THRILLER
Mondialement connu pour La Mort de Vishnou (2002), traduit dans 27 pays, et pour son bestseller Mother India publié chez Albin Michel en 2009, Manil Suri revient avec un roman
bouillonnant d’aventure, d’humour et d’érotisme à fleur de peau. Alors que Bombay est sous la
menace d’une attaque nucléaire, un trio amoureux aussi insolite qu’attachant s’engage dans une
dangereuse course-poursuite…
ela fait 18 jours que Sarita a
perdu toute trace de son mari,
Kunal, disparu quand les premiers attentats ont éclaté à Bombay.
Depuis, les choses n’ont fait qu’empirer, au point que la mégalopole
grouillante est devenue un Far West
dangereux – les affrontements entre
hindous et musulmans se multiplient
dans la ville, et les Pakistanais menacent d’utiliser la bombe nucléaire.
© David Ignaszewski – Koboy
C
ROMAN
OR KUNAL S’EST VOLATILISÉ sans donner de nouvelles, et Sarita part à sa
recherche, bientôt accompagnée de
Jaz, un musulman qu’elle sauve de la
lapidation et qui lui propose son
escorte. À moins que leur rencontre
n’ait rien de fortuit, et que Jaz ne
recherche lui aussi Kunal pour des rai-
sons qui détruiraient le fragile bonheur
que Sarita a patiemment construit
avec son étrange mari, si mystérieux et
si peu pressé de consommer leur
union ? Absolument inclassable,
Bollywood apocalypse navigue entre
les genres et les registres : on ne sait
jamais très bien si la guerre civile religieuse qui déchire Bombay est un cauchemar ou une farce, ou s’il faut rire ou
s’émerveiller du désir fou qui anime les
trois personnages, chacun en quête
d’un bonheur improbable. C’est tout le
talent de Manil Suri que de mêler intimement la tendresse et l’ironie.
Instillant la sensualité la plus poétique
dans un thriller politico-religieux, le
rythme et la profondeur dans une
comédie romantique, il signe un roman
d’une beauté époustouflante. n
Bollywood apocalypse
Manil Suri
480 pages, 23 €
n Du même auteur :
Mother India
512 pages, 22,30 €
Biographie d’une immortelle, suite
À la fin du premier volume de La Mémoire du monde, à l’automne dernier, on avait quitté
l’héroïne de Stéphanie Janicot, Sophia-Merit, l’immortelle née sous la xvIIIe dynastie égyptienne,
au moment où elle s’occupait à Alexandrie de l’éducation des jeunes Ptolémées dont Cléopâtre,
fillette dure et orgueilleuse. On la retrouve dans ce deuxième volume à Rome.
evenue la fille adoptive de
Cicéron, Sophia veille, après la
mort de Cléopâtre, sur le destin de Ptolémée Philadelphe, fils de la
reine égyptienne et de Marc-Antoine.
Elle n’en oublie pas pour autant ses
propres filles de Judée… dont une certaine Myriam qui accouchera de celui
qui deviendra Jésus. Plus tard, à son
retour de Bretagne, où se sont établis
certains membres de sa lignée, elle
apprendra que ce descendant singu-
D
lier, jeune prophète encore méconnu
dans l’Empire, a été crucifié. Puis
sous les règnes de Néron, Titus,
Hadrien, elle assiste aux terribles persécutions des premiers chrétiens et à
la destruction de Jérusalem. revenue
à Alexandrie, elle y devient copiste
dans la Grande Bibliothèque. Des
siècles plus tard, on la retrouvera à
Grenade, Cordoue et Bagdad où elle
se trouvera à l’origine des Mille et Une
Nuits. Elle participera enfin aux croi-
sades et voyagera jusqu’en Chine…
Cette héroïne, immortelle malgré elle,
cherche toujours et en vain à donner
sa seconde dose d’élixir d’immortalité
à un humain qui la mériterait et l’accompagnerait dans sa traversée des
siècles. Stéphanie Janicot, avec la
même imagination créative que dans
le premier volume, nous fait vivre
cette biographie paradoxale avec la ferveur d’une éternelle chercheuse en
quête de sagesse. n
La Mémoire
du monde II
Stéphanie Janicot
576 pages, 25 €
L’Homme en Question n PrINTEMPS 2014
La fière mélancolie
du Jacaranda
ROMAN
ROMAN
Apocalypse
joyeuse
à Douala
Sahar Delijani est née dans une prison iranienne. Elle a passé son enfance en Californie
où ses parents ont immigré, et elle vit aujourd’hui en Italie. Dans ce premier roman
éblouissant et pudiquement inspiré par l’histoire de sa famille, elle raconte les destins
silencieux de trois générations de résistants dans l’Iran postrévolutionnaire de Khomeiny.
eda naît dans la prison d’Evin
en 1983 : ses parents, Azar et
Ismael, ont été faits prisonniers par les Gardiens de la révolution, et sa mère accouche seule,
après un interrogatoire, sans même
pouvoir l’annoncer à son mari. L’une
des codétenues d’Azar était elle
aussi enceinte au moment de son
arrestation, qui s'est passée devant
son fils Omid, alors âgé de trois ans.
Heureusement pour celui-ci, il grandit, comme tant d’autres orphelins
de cette génération sacrifiée, dans
la maison tenue par Maman Zinat et
par Khaleh Leila : derrière les murs
protecteurs de leur foyer, ces deux
femmes au cœur immense recueillirent une ribambelle d’enfants privés
de leurs parents par la terrible
répression que mène alors le gouvernement iranien contre ses
« ennemis » de l’intérieur.
5
N
CE SONT EUX, LES ENFANTS DU JACARANDA : Neda, Omid, Sara, Forugh,
Sheida, Dante, que ses parents
nommèrent ainsi en hommage à
l’auteur de la Divine comédie ; certains de ces enfants se marieront
ensuite en Iran, veillant à leur tour
sur Maman Zinat et sur Khaleh Leila,
tandis que d’autres partiront en Italie
ou en Allemagne. Mais le souvenir
des combats menés par leurs
parents et par tous ceux qui sont
restés au pays les suivront où qu’ils
aillent. Sheida apprendra au bout
de vingt ans que son père a été
sauvagement assassiné lors des
purges menées dans la prison
d’Evin. Installée à Turin, Neda comprendra que l’homme qu’elle aime,
reza, est vraisemblablement le fils
de l’un des tortionnaires de sa mère.
À
Douala comme ailleurs, au
© Alison Rosa
xxIe siècle, les jeunes rêvent d’un
Les secrets lui ont volé son enfance,
mais n’est-il pas temps pour Neda
de se tourner vers l’avenir ?
BALAYANT TRENTE ANS d’une histoire
marquée par la tyrannie et l’injustice, Sahar Delijani nous offre le
point de vue subjectif et sensible
d’une petite famille, de sang ou parfois simplement de cœur et d’infortune, resserrée par la peur,
l’emprisonnement, les assassinats,
la guerre contre l’Irak. Dans une
langue poétique et empreinte d’une
nostalgie tout orientale qui rappelle
les plus belles pages du Prix Nobel
turc Orhan Pamuk, elle signe un
hommage plein d’humanité aux
enfants du jacaranda et à travers
eux, à tous les résistants iraniens
marqués au fer rouge par ces
tristes années, et qui n’en ont pas
moins continué de vivre, d’aimer et
de donner la vie. « Un jour je t’em-
mènerai voir le jacaranda », décide
finalement Neda en serrant la main
de reza. En cours de traduction
dans 21 pays, ce témoignage historique bouleversant marque l’entrée en littérature d’une grande
romancière. n
futur qui n’est pas forcément celui
qui les attend, et écoutent attentivement
toux ceux qui leur offrent une vision plus
alléchante de l’avenir, en particulier les
prophètes qui brandissent la Bible et les
discours anti-Blancs. La jeune Boréale
les connaît tous, elle les croise chaque
jour en allant travailler chez une
Française qui est venue chercher en
Afrique ce que les Camerounais rêvent
de trouver en Europe. Mais à vingt ans
Boréale a des problèmes plus concrets,
obéir à sa mère qui voudrait qu’elle porte
un enfant pour sa tante, rompre avec
son amoureux qui a suivi la fac mais vit
dans la rue. Style énergique à l’appui,
mêlant néologismes savoureux et
métaphores colorées, Calixthe Beyala
nous dépeint la rue de Douala
aujourd’hui, celle du village planétaire où
désir de consommer, course au profit,
corruption riment avec désenchantement et fatalisme. Mais aussi celle
d’une Afrique déboussolée et néanmoins croyante, qui adore autant chanter les psaumes que Bob Marley, et dont
l’incroyable vitalité épouse toutes les
espérances. n
Le Christ selon l’Afrique
Calixthe Beyala
272 pages, 19,50 €
Les Jacarandas
de Téhéran
Sahar Delijani
336 pages, 19,50 €
n
Calixthe Beyala sera présente
au salon du livre de Limoges
du 4 au 6 avril.
6
L’Homme en Question n PrINTEMPS 2014
ENQUÊTE
Qui a volé la plus
vieille bible du monde ?
Le codex d’Alep est la plus ancienne version connue
de la Bible hébraïque, texte fondateur de la culture
occidentale, dont une partie est manquante depuis
des décennies. Grand reporter spécialisé en religion
et en archéologie auprès du Times of Israel, Matti Friedman
lève le voile sur l’un des plus grands mystères de l’histoire
des recherches bibliques.
alousement gardé dans la
synagogue d’Alep depuis le
xIVe siècle, le codex que les juifs
ont surnommé leur « Couronne » est
considéré comme la copie la plus
parfaite de la Torah connue à ce jour.
En 1947, les Nations unies adoptent
un plan de partage de la Palestine en
deux États et des émeutes éclatent
dans les pays arabes : la synagogue
est vandalisée et incendiée, et le
manuscrit, partiellement brûlé et éparpillé, commence un voyage clandestin jusqu’à son exfiltration, en 1957,
par le gouvernement israélien aidé
des services secrets du Mossad.
J
COMMENT LE CODEX est-il passé des
mains des juifs d’Alep, qui ont
ensuite intenté un procès à l’État
israélien, à celles du président Ben
Zvi, dont Matti Friedman détaille les
manœuvres entreprises bien avant
son élection pour s’approprier le
manuscrit ? Et pourquoi près de 200
pages parmi les plus saintes manquent-elles sur un total de 500,
quand ont-elles disparu et qui les a
volées ? La destruction d’un livre
aussi précieux pourrait-elle être un
coup monté de l’intérieur ? Montrant
toute la valeur aussi bien symbolique
que scientifique de ce document
irremplaçable, Matti Friedman nous
embarque dans une fascinante
enquête policière, où il lui faut en permanence contourner les portes fermées, traquer les rares documents
officiels et les quelques témoins
encore vivants. Doté d’un vrai talent
d’écrivain, il dévoile l’histoire secrète
et souvent rocambolesque du texte
Défendre l’humain
après Auschwitz
RÉCIT
Le Codex d’Alep
L’étrange destin
d’un manuscrit sacré
Matti Friedman
352 pages, 22,90 €
sacré le plus convoité du monde,
« victime des instincts qu’il devait
tempérer, dévoré par les créatures
qu’il devait sauver ». n
HISTOIRE
Depuis les années noires de la clandestinité et de l’horreur
d’Auschwitz, ce récit largement illustré relate les itinéraires
entrecroisés d’un père et d’un fils résistants, tous deux
médecins, animés par la défense de la même cause :
celle du progrès humain et du triomphe de la vie
omment continuer à vivre
après la Shoah ? C’est la leçon
de résilience que nous livre
Jean-raphaël Hirsch dans ce récit
aussi poignant que truculent, mêlant
souvenirs d’enfance et témoignages
historiques. Agent de liaison dès l’âge
de neuf ans, en 1942, J.-r. Hirsch a
échappé à la déportation, contrairement à ses parents : sa mère a été
assassinée à Auschwitz et son père
est revenu marqué à vie par cet enfer.
C
MÉDECIN RADIOLOGUE, originaire de
roumanie, Sigismond Hirsch fut un
grand résistant, particulièrement actif
dans les réseaux des organisations
juives du Sud-Ouest de la France, à
Moissac notamment, au sein desquelles il a pu sauver quatre cents
jeunes Juifs. Dénoncé et déporté à
Auschwitz, il fut contraint de travailler
avec Josef Mengele, dont l’évocation est ici saisissante. À son retour
de déportation, il prit une part considérable dans l’instauration d’un sys-
tème social de soins médicaux qui
offrit au plus grand nombre une
médecine conventionnée de qualité.
Ce récit de vie, qui évoque avec
talent les traumatismes conjoints du
survivant et de l’enfant caché, est
aussi une leçon d’espoir : survivre et
construire après Auschwitz. n
Y a-t-il un Messie dans la Bible ?
e Messie, tout le monde
connaît. Pour les chrétiens,
Jésus est le Messie annoncé par
les Écritures et qui accomplit ces dernières ; et si les juifs, eux, l’attendent
encore, au motif que l’état déplorable
du monde est bien le signe que le
royaume de Dieu n’est pas encore
advenu, pour autant ils s’accordent
avec l’Église pour dire que la foi
messianique est un élément essentiel de la doctrine biblique. Mais estce vraiment le cas ? Mireille
Hadas-Lebel, grande historienne du
L
Réveille-toi papa,
c’est fini !
Jean-raphaël Hirsch
Préface de Boris Cyrulnik
672 pages, environ 24 €
judaïsme à laquelle on doit notamment
des ouvrages de référence sur Flavius
Josèphe et Philon d’Alexandrie, fait le
point sur cette question délicate.
Son Histoire du Messie se lit comme
un roman, aussi s’en voudrait-on
d’en trop dévoiler l’intrigue.
Disons simplement qu’elle montre
comment l’idée messianique s’est
développée lentement, au gré de
l’expérience historique, tout au long
des livres bibliques et apocryphes, de
la Torah aux Prophètes, puis des
Livres des Maccabées aux Écrits
intertestamentaires pour déboucher
sur l’Évangile. Encore l’histoire ne
s’arrête-t-elle pas là : tout comme les
Évangiles canoniques ne sont
qu’une étape dans l’élaboration de
la christologie de l’Église naissante,
la doctrine juive du Messie, qui
s’élabore en parallèle et en regard
bien plutôt qu’en amont, connaît une
longue maturation depuis le Midrash
et le Talmud jusqu’à Maïmonide et
bien au-delà. C’est cette formidable
aventure qui nous est là restituée
avec maîtrise. n
L’Homme en Question n PrINTEMPS 2014
Aux premiers
temps de la violence
chrétienne
HISTOIRE
Le superbe roman de Youssef Ziedan, La Malediction
d’Azazel, publié en janvier, mettait en scène la violence
verbale, politique et physique des chrétiens devenus maîtres
d’Alexandrie dans la première moitié du ve siècle. Hasard
du calendrier éditorial, un livre collectif d’historiens aborde
la même question, mais sous l’angle savant.
C
Le grand historien
des fascismes
ENTRETIENS
Peu connu du grand public, mais internationalement reconnu
pour ses travaux sur l’histoire du nationalisme français
et du fascisme, Zeev Sternhell rencontre Nicolas Weill
dans un long dialogue au cours duquel il retrace
son parcours. Son caractère tranchant et ses réflexions
percutantes n’ont jamais cessé d’interroger les racines
philosophiques et historiques des forces antidémocratiques.
é en 1935, Zeev Sternhell
appartient à cette génération
d’historiens du xxe siècle qui a
éprouvé dans sa chair les horreurs de
la Seconde Guerre mondiale. Ainsi rappelle-t-il volontiers que sa ville natale,
Przemyšl, dans la Galicie polonaise, fut
aux premières loges de l’« opération
Barbarossa » de juin 1941. Enfant rescapé de la Shoah – sa mère et sa
sœur furent, elles, assassinées –, il se
souvient de la liquidation du ghetto,
d’où il réussit à s’enfuir avec l’un de ses
oncles. Il passe la fin de la guerre sous
une fausse identité, celle d’un petit
Polonais catholique. En novembre 1946, grâce à la Croix-rouge, il
rejoint une autre partie de sa famille à
Avignon où il fera ses études secondaires avant de décider, à seize ans,
de partir vivre en Israël. Militant de la
gauche et de la paix, il a participé
comme officier de Tsahal à la plupart
des guerres de l’État juif.
N
tiens se sont petit à petit emparés des
lieux de pouvoir sociologiques puis
politiques et religieux, et en ont fait un
usage empreint de violence. Cette brutalité s’est exercée simultanément à
l’encontre de trois cibles (que d’ailleurs
le roman de Youssef Ziedan décrit très
bien) : les juifs, les polythéistes et les
chrétiens minoritaires, hérétiques ou
schismatiques.
RÉUNISSANT LES MEILLEURS SPÉCIALISTES, et porté par une historienne
réputée, ce livre apporte une contribution importante à la question de la
persécution dans l’Antiquité tardive ;
il ouvre aussi une vraie réflexion sur la
question de la tolérance religieuse au
cœur de bien des conflits et débats
contemporains. n
Une histoire du Messie
Mireille Hadas-Lebel
304 pages, 19,50 €
Chrétiens persécuteurs
Destructions, exclusions
et violences religieuses
au IVe siècle
Sous la direction
de Marie-Françoise Baslez
Environ 400 pages, environ 24 €
n À lire aussi :
La Malédiction d’Azazel
Youssef Ziedan
448 pages, 24 €
Histoire et Lumières
Changer le monde
par la raison
Zeev Sternhell
Entretiens avec Nicolas Weill
Environ 300 pages, environ 21,50 €
DR
et angle de vue implique
impartialité scientifique, étude
minutieuse des sources, et
réévaluation des événements dans le
cadre de leur contexte – un contexte
où la liberté de conscience moderne
et la non-violence étaient des notions
inconnues. Il n’est pas question ici de
porter des jugements de valeur, d’accabler telle religion ou au contraire
d’excuser tels comportements, ce
qui n’est pas le rôle des historiens. Il
s’agit plutôt d’interroger les textes
(dans quelle mesure les écrits apologétiques des Pères comme Tertullien
relèvent-ils déjà de la violence ?), d’en
mesurer la portée (les menaces ontelles réellement été mises à exécution ?), de mettre à contribution
l’archéologie, toujours avec une prudence méthodologique. Il est certain
qu’à partir du règne de Constantin et
de son « édit de tolérance », les chré-
7
HOMME D’ARCHIVES ET DE LECTURES,
Zeev Sternhell se veut résolument un
historien des idées. La thèse forte, et
controversée, de sa réflexion historique – les origines intellectuelles du
fascisme, qui fut certes un phénomène européen, doivent pourtant
être situées dans l’Hexagone – lui a
valu de nombreuses polémiques
dans le milieu des historiens français.
Croire à la force motrice des idées
(bonnes ou mauvaises), n’est-ce pas
redonner tout son sens à ce que l’on
appelle non seulement l’engagement, mais également la responsabilité des intellectuels ? Que ce soit
par ses prises de position sur le
conflit israélo-arabe, sur l’État juif,
sur le néo-conservatisme américain
ou sur le marxisme, Zeev Sternhell ne
se soucie jamais des modes, et
conserve une attention aiguisée à
l’actualité la plus brûlante. Il était
temps de revenir sur sa vie et son
œuvre si singulières. n
n
Zeev Sternhell et Nicolas Weil
seront présents au Musée d'Art et
d'Histoire du judaïsme le 10 avril à
19h30 (www.mahj.org).
L’Homme en Question n PrINTEMPS 2014
SPIRITUALITÉ
Panikkar
l’universel
isparu presque centenaire en
2010, raimon Panikkar (dont le
prénom catalan et le patronyme
indien reflétaient bien ses deux
sources généalogiques et spirituelles)
fut certainement l’un des plus grands
théologiens chrétiens de la deuxième
moitié du xxe siècle. Catholique, il
l’était (et même prêtre), mais en rappelant toujours le catholicus id est
secundum totum de saint Augustin :
sa foi se voulait ordonnée « selon le
tout », c’est-à-dire voie d’accès au tout
de l’homme et du monde. Il ne
cherche donc pas, dans cet essai, à
définir ce « Quelqu’un » ou ce
« Quelque chose » doté de tel ou tel
attribut, qui pourrait correspondre au
mot Dieu.
D
MAIS IL NOUS EN PARLE AVANT TOUT
comme d’une expérience qui n’est le
monopole d’aucun système religieux,
d’aucune Église, d’aucune culture.
Faire l’expérience de Dieu, c’est accéder à une dimension de la réalité qui
transcende ce que captent et l’intelligence et les sens. Cette approche du
réel ultime n’est pas une question de
croyance, mais une dilatation de la vie
qui devient plus pleine et plus libre. n
L’Expérience de Dieu
raimon Panikkar
224 pages, 6,90 €
n Du même auteur :
Entre Dieu et le cosmos
288 pages, 8,50 €
Trois questions à
nnn
Christiane Rancé
Christiane Rancé signe François, un pape parmi les
hommes, une biographie attendue du pape à l’occasion
du premier anniversaire de son pontificat.
Pourquoi avez-vous écrit cette biographie
du pape François ?
J’étais à Buenos Aires le 13 mars 2013 lorsque Jorge
Mario Bergoglio a été élu. Je passe au moins un mois
par an en Argentine depuis vingt ans. J’y ai effectué
de nombreux reportages. J’ai connu Jorge Mario
Bergolio au travers de l’immense travail qu’il a fait
dans cette capitale lors du krach financier qui a plongé
le pays dans le chaos en 2001. J’ai pu découvrir son
engagement, jusqu’aux bidonvilles, et l’incroyable
vague de vocations que son exemple a suscitée.
Par ailleurs, je suis aussi très attachée à la ville
d’Assise en Italie, et à la figure de saint François.
Enfin, le portrait du pape me semblait parachever
la série de figures spirituelles auxquelles je me suis
déjà consacrée. Après Jésus, j’ai fait le portrait
d’une figure héroïque avec Simone Weil, d’une figure
artistique avec Léon Tolstoï. Le pape François
est à mes yeux la figure de sainteté qui manquait
à la trilogie telle que l’a imaginée Bergson.
Qu’est-ce que votre livre apporte de plus
à ce qu’on connaît déjà ?
Un portrait de l’homme. Je suis partie d’un constat :
à chacune de ses décisions ou de ses déclarations,
depuis qu’il a été élu, les hypothèses les plus
contradictoires ont été posées. Il était ultraprogressiste, puis d’un seul coup, conservateur.
Ingénu, puis rusé. Bavard ou taiseux. Or, il suffit
de comprendre qui est Jorge Mario Bergoglio, quelle
est sa vision profonde du monde tout d’abord, puis
celle de l’Église ensuite, pour effacer toute ambiguïté.
Il ne sert à rien d’examiner à la loupe chacune
des actions ou des déclarations du pape, si cet élément
essentiel, l’homme, est absent des outils d’analyse.
Ce que mon livre apporte, c’est la réponse
aux questions récurrentes que les médias, le public ou
les fidèles se posent, parce que le pape François y a
déjà répondu par toute son existence en Argentine.
Enfin, j’ai voulu montrer aussi comment
le père Bergoglio y a répondu : en incarnant l’Évangile.
Qu’en est-il des zones d’ombre que son élection
comme souverain pontife a révélées, ainsi
ses positions pendant la dictature ? Y répondez-vous
ou nous donnez-vous à lire une hagiographie ?
Comme le disait Talleyrand : « Plus forte que
la calomnie, la vérité. » Il fallait tout dire, sans rien
omettre. Cela dit, il y avait une autre question qui
se posait sur cette affaire de prétendue complicité avec
la junte militaire : pourquoi vouloir salir Jorge Mario
Bergoglio ? Qui était à l’origine de cette campagne ?
Dans quel intérêt ? C’est ce que je révèle. L’enquête
que j’ai menée dans l’histoire de sa vie, et dans
l’histoire de l’Argentine, m’a également permis de
saisir un élément essentiel du magistère de François :
sa capacité à réformer la curie d’une part, et ainsi
renouer une histoire d’amour et de foi entre l’Église
et les fidèles ; son habilité à faire de nouveau entendre
la voix de l’Église dans le concert des Nations d’autre
part, et l’intérêt que nous aurons à lui tendre l’oreille.
Pourquoi ? Parce que l’Argentine, qui est un pays très
riche, a affronté une décennie avant elles ce que
l’Europe et la curie affrontent aujourd’hui : l’extrême
violence d’une crise financière, l’extrême pauvreté,
la question d’une identité et des valeurs qui la fondent,
enfin, pour la curie, la corruption, le délitement
des valeurs, et la défiance des fidèles pour ses
dirigeants. À toutes ces crises, l’Évangile à la main,
le pape François a déjà trouvé des solutions. n
François, un pape
parmi les hommes
Christiane rancé
288 pages, 19 €
© François Lollichon
8
L’Homme en Question n PrINTEMPS 2014
Cinq raisons
d’espérer
ESSAIS
inq femmes, cinq regards, celui de
l’écrivain, du philosophe, du médecin, de la théologienne et de l’économiste. Cinq regards pour mieux
comprendre, au-delà de la douleur, le sens
de l’épreuve et scruter, au-delà des horizons incertains, l’espérance qui advient.
Ces cinq éloges disent ainsi la traversée
de l’épreuve – celle de la rupture, du tragique, des larmes, de la solitude et du
manque.
C
FAIRE UN ÉLOGE DE L’ÉPREUVE alors que rien
ne semble davantage manquer de sens ?
Faire un éloge de ce qui terrasse ? De ce
qui effraie et paralyse ? Oui, il fallait bien
ces éloges, réunis, pour retrouver du sens ;
il fallait bien la forme de l’éloge, a priori
paradoxale, pour combattre la peur
qu’engendre toute épreuve. Il fallait bien
ces éloges pour apercevoir la force que
l’épreuve donne lorsqu’elle est traversée,
et la faiblesse qu’elle induit lorsqu’elle est
redoutée. Il fallait bien briser le miroir de
notre goût moderne pour la sécurité et le
bonheur individuels et en révéler l’artifice :
« La tentation du repli et du confinement
dans le cocon du même n’a de cesse de
se répéter », écrit Sylvie Germain, alors
qu’il faudrait oser « partir au large de soi ».
LES TEXTES QUI COMPOSENT CET OUVRAGE
sont une magnifique lutte contre la peur de
la peur. Dans une fuite effrénée pour éviter
les épreuves, nous oublions à la fois
qu’elles sont au cœur même de l’existence
et qu’au cœur même de cette existence,
se trouve ce « désir radical de vivre », dit la
philosophe Nathalie Sarthou-Lajus, cette
force qui nous permet de ne pas être
anéantis par l’épreuve, mais de la traverser.
Ni la blessure, ni la douleur, ni les larmes
ne sont la fin ultime, elles sont au
contraire le lieu d’un renversement
insoupçonnable : de la peur à l’espérance, du repli au mouvement. « Les
larmes portent l’impossible jusque dans
la joie », dit Anne Lécu, en notant qu’au
cœur de l’épisode de la Passion, il y a les
larmes de Jésus. De même la solitude,
lorsqu’elle n’est pas une simple désolation, est le lieu « d’un dépassement de
La presse en parle
9
nnn
n Dans son dernier livre, Cinq méditations sur la mort
autrement dit sur la vie, François Cheng montre tout son
caractère, tant ses ouvrages lui ressemblent : mélange
d’humilité non feinte et d’érudition généreuse.
Mohammed Aissaoui, Le Figaro
n Un livre d’une incroyable profondeur, sans pour autant que
l’auteur ait la prétention de faire le tour d’un sujet qui épuise
assez vite les ambitions de la connaissance humaine.
Bruno Frappat, La Croix
Cinq éloges de l’épreuve
Sylvie Germain, Elena Lasida,
Anne Lécu, Véronique Margron,
Nathalie Sarthou-Lajus
162 pages, 15 €
l’incomplétude foncière de l’humain »,
souligne Véronique Margron.
CES CINQ FEMMES, réunies par robert
Scholtus, pour prononcer dans la cathédrale de Metz les conférences de
Carême*, ont osé puiser une force dans
les paradoxes que soulèvent les
Évangiles, elles font place au manque,
non pour le sacraliser, mais pour le regarder en face. C’est alors qu’il permet
d’accueillir le radicalement nouveau,
relève l’économiste Elena Lasida, qui le
relie à une réflexion sur la crise, qu’elle
soit collective ou individuelle : c’est « un
vide qui emmène ailleurs, au-delà de ses
apparences », « un miracle de la vie qui
traverse la mort, un miracle que nous
vivons chaque fois que nos absences
deviennent le lieu d’une nouvelle présence ». Il fallait bien ces cinq éloges
pour accueillir cette présence qui se
révèle dans l’inespéré. n
* Cathédrale de Metz,
le dimanche à 15 heures
• 9 mars : Nathalie Sarthou-Lajus,
Éloge du tragique
• 16 mars : Véronique Margron,
Éloge de la solitude
• 23 mars : Sylvie Germain,
Éloge de la rupture
• 30 mars : Anne Lécu,
Éloge des larmes
• 6 avril : Elena Lasida,
Éloge du manque
n L’humble poète se change en interlocuteur de Dieu.
Il va jusqu’à se demander avec audace si nous n’avons pas
été créés à cette fin… Ses Cinq méditations sur la mort
chantent le triomphe de la vie.
Jean d’Ormesson, Le Figaro
n À 84 ans, François Cheng convie chacun à cette conversion
du regard. Auteur d’une œuvre poétique majeure, penseur
nourri de la Chine comme de l’Europe, il puise les éléments
de cette série de méditations dans son expérience personnelle
comme dans ses lectures.
roger-Pol Droit, Le Monde
n Poète, pétri de tradition taoïste, formé à la philosophie
occidentale, François Cheng offre cinq merveilleuses
méditations, chuchotées à l’oreille de ceux qui souhaitent
ne pas se contenter d’une morne existence.
François Busnel, L’Express
n Son dernier essai Cinq méditations sur la mort autrement
dit sur la vie, texte tout en légèreté d’écriture et profondeur
de pensée, nous propose d’inverser notre regard sur la mort…
Soyons donc prodigues de notre existence : au bout du compte,
c’est la vie qui l’emporte, toujours.
Christilla Pellé Douël, Psychologies
n François Cheng nous parle au-delà de ses mots.
Sa voix rauque, rythmée, nous transmet un souffle ancien,
immortel et absolument personnel, qui s’inspire de l’aventure
de la passion et de l’amour.
Silvia Baron Supervielle, L’Humanité
n Un livre à la fois très singulier et très beau… Philosophie
et poésie, spiritualité et religion, Chine et Europe s’y rencontrent
et s’y fondent en un tout unique. Avec ces cinq méditations,
François Cheng livre par touches successives sa vision
de l’existence, faite à la fois
de tradition et de hardiesse,
où seul « le grand vent,
indique le poème final, fixe enfin
ton chemin ».
roger-Pol Droit, Le Point
Cinq méditations
sur la mort autrement
dit sur la vie
François Cheng
180 pages, 15 €
10
L’Homme en Question n PrINTEMPS 2014
ORTHODOXIE
Marie Balmary a lu n n n
Sainteté
et folie
sous le soleil
de Grèce
près nous avoir fait découvrir de
l’intérieur la vie spirituelle orthodoxe au Mont-Athos dans La
Presqu’île interdite, Alain Durel nous
invite à poursuivre son épopée en
terres hellènes avec L’Archipel des
saints. Épopée à vrai dire autant maritime que terrestre, puisqu’il parcourt
pour nous Corfou, Mytilène, Samos,
Patmos, Tinos, Égine, Santorin, Eubée,
Andros: éparpillées ou en chapelet, ces
îles aux noms enchanteurs qui parsèment les mers Ionienne et Égée furent
et sont encore le lieu d’une expérience religieuse et mystique intense.
A
La Souffrance et la grâce
Récit d’une exécution
de Danièle et René Sirven
C’est d’abord le récit d’une
femme et d’un homme qui
se trouveront « par hasard »
visiter et accompagner pendant dix
ans un condamné à mort au Texas,
jusqu’à son exécution. Hasard : des
amis soutiennent deux condamnés
à mort américains. Danièle et René
adhèrent à l’association à laquelle
ces amis appartiennent, pensant
qu’ils pourront juste écrire aux
condamnés de temps en temps.
Puis un de leurs enfants déménage
pour quelques années aux ÉtatsUnis, à une heure et demie de la
prison de Rickey Lynn Lewis.
Ils décident alors d’aller le visiter…
J’ai été sensible dès
le début à leur attitude : ni
reportage, ni militance, ni expertise,
ni charité. Des convictions fortes
sur les systèmes déshumanisants,
aucun jugement sur les personnes.
Que cherchaient-ils ? À être
présents à autrui là où la justice
outrepasse les lois de l’homme.
Le lecteur de ce récit est convoqué
de la même façon à lire avec
son intelligence sensible, son
expérience du bon et du mauvais,
son désir de trouver plus de vie.
Un jour, ils apprennent que, tout
LE DESTIN DU CHRISTIANISME EN GRÈCE
mêle la grâce de l’intemporel et le tragique de l’histoire ainsi que le montre
à merveille cette galerie de portraits tous
uniques, irréductibles à un « modèle de
sainteté ». De fait, si ces « saints »
modernes et contemporains sont
exemplaires, ils sont tous hors-normes,
inimitables – surtout le dernier, un « folen-christ » irrévérencieux qui n’a pas son
pareil pour réveiller les consciences.
L’Archipel des saints est une superbe
introduction à la Grèce et à son esprit,
d’hier et d’aujourd’hui. n
à son tour s’approprie – rend propre
à lui – ce qui lui est ainsi transmis.
L’usage que tous trois font, dans
une telle circonstance, de nos
recherches m’impressionne et me
touche infiniment. Ils confirment
nos avancées en inventant les leurs.
Ils s’appuient sur nos travaux en
trouvant des chemins nouveaux…
Ce livre nous conduit du lieu le plus
étroit – la cage de verre où un
condamné à mort est placé lors
des visites – vers l’infini. Il nous fait
passer de la suppression totale
de liberté, même celle de vivre,
à une souveraineté que nul ne peut
ravir à celui qui y accède. Passer
du meurtre perpétré par haine
légale – acte d’un système sans
auteur – à ce que la relation
humaine peut accomplir de plus
fort : la naissance d’en haut.
À travers tout.
Extraits de la préface
de Marie Balmary.
La Souffrance
et la grâce
Récit d’une exécution
Danièle et rené Sirven
176 pages, 15 €
John Foley/Agence Opale
L’Archipel des saints
Alain Durel
234 pages, 16 €
n Du même auteur :
La Presqu’île interdite
256 pages, 7,70 €
recours épuisé, Rickey Lynn Lewis
doit être exécuté au printemps.
En février 2013, Danièle voit sur
l’ordinateur le nom de Rickey
dans la liste des exécutions avec
la date : 9 avril. C’est alors que je
suis appelée pour les accompagner
en pensée et en courrier, jusqu’à
la mise à mort…
J’ai le sentiment d’une cordée
vers le sommet le plus mystérieux
de nos vies. Pour cette ascension,
les deux visiteurs et le condamné
ont besoin de retourner au camp
de base, trouver de la nourriture
pour le cœur, des outils pour la
pensée. Dans ce camp, des livres,
des auteurs proches : Maurice
Bellet, Annick de Souzenelle, moi…
Des paroles d’autres aussi : un
Nelson Mandela, un Jean de la
Croix… sont avec nous. Ce que
nous cherchons tous : cerner la
violence, en sortir, trouver des
sources de sens partout où elles
peuvent être enfouies : écritures
bibliques hébraïques, évangéliques,
relues à la lettre, mises en relation
avec les expériences de vie. Dans
ce que nous avons pu trouver les
uns et les autres, Danièle et René
puisent, et ils donnent à Rickey qui
L’Homme en Question n PrINTEMPS 2014
SOUFISME
À voir sur France 2
n Le 6 avril à 11 h 30 sur France 2
sera diffusé le film « Corps exécuté »
de Marie Viloin, dans le cadre de
l’émission « Le Jour du Seigneur ».
Ce documentaire (dernier de la série
« Corps et âmes » diffusé à
l’occasion de Carême), qui retrace le
parcours de Danièle et René Sirven
avec Rickey Lynn Lewis (cf. page
prédédente), sera ensuite accessible
sur www.lejourduseigneur.com et
disponible fin avril en DVD.
oici un petit livre qui aurait pu
s’intituler « Manuel de ré-information ». Point par point, en
s’attachant avant tout aux faits, il
déconstruit en effet la désinformation
qui court partout en Occident concernant l’islam et les musulmans.
L’auteur n’est ni militant antiraciste, ni
homme politique… ni musulman.
John r. Bowen est anthropologue à
la Washington University of Saint
Louis, auteur de plusieurs livres sur l’islam, dont L’Islam à la française
(Steinkis, 2011). Spécialiste reconnu
de la réception et de l’acclimatation
de l’islam en Europe et aux États-Unis,
il a notamment enseigné à l’IEP de
Paris et à la London School of
Economics.
V
L
C’EST ENTRE AUTRES À COMBLER CETTE
LACUNE que vise le livre d’Alberto
Fabio Ambrosio, La Confrérie de la
danse sacrée. Plutôt que de prendre
isolément l’enseignement de rûmî,
le célèbre auteur du Mesnevi, il montre comment il a donné naissance à
une confrérie, la Mevleviyye – les
célèbres « derviches tourneurs » avec
leurs rituels, leurs traditions et leur
inscription dans l’histoire de l’islam,
ottoman et turc en particulier. De la
danse au zikr en passant par la symbolique des habits et à l’architecture
Décryptage
de l’islamophobie
ESSAI
La ronde envoûtante
des derviches tourneurs
e soufisme fascine l’Occident et
ce, depuis des siècles. Il est
cette face bienveillante, spirituelle et universaliste d’un islam par
ailleurs toujours considéré avec
méfiance ; plus encore, pour nombre
d’Européens déçus de la dogmatique
chrétienne et des pesanteurs ecclésiales, il a représenté et continue de
représenter une voie d’accès mystique
au divin qui ne s’embarrasserait ni d’irrationnel (la base islamique constituant
un monothéisme « pur ») ni de compromissions temporelles. Il y a certainement du vrai dans cette figure, mais
elle est largement façonnée par l’imaginaire occidental qui s’est construit à
partir des textes des grands auteurs
soufis plutôt qu’au contact de la réalité des confréries, c’est-à-dire des
musulmans qui vivent le soufisme au
quotidien depuis des générations.
11
La Confrérie
de la danse sacrée
Les derviches tourneurs
Alberto Fabio Ambrosio
240 pages, 7,70 €
des tekke (les « couvents » de la
confrérie), sans oublier ni l’enseignement du fondateur ni les tribulations
du mouvement à l’époque d’Atatürk
et de la lutte contre le pouvoir sociopolitique des confréries, l’auteur, éminent spécialiste, nous livre une
synthèse admirable et accessible. n
SON COURT ESSAI, étayé par de nombreux exemples tirés de l’actualité la
plus récente, accessible à tous, s’attache à démonter nombre de lieux
communs de la rhétorique antimusulmane dont se nourrissent les discours de certains politiques et
intellectuels. Parmi leurs leitmotive,
L’Islam, un ennemi idéal
John r. Bowen
144 pages, 12 €
trois sont lancinants : le constat des
échecs de la diversité culturelle ; la
présentation de l’immigration musulmane comme une menace pour
l’Occident et ses valeurs ; la dénonciation d’une prétendue substitution
insidieuse et progressive de la charia aux législations nationales. En
déconstruisant ces charges approximatives, Bowen espère contribuer au
recul de l’ignorance sur laquelle prospèrent cette rhétorique et le rejet des
musulmans qu’elle alimente. n
Un étrange
Évangile musulman
ISLAM
n sait la place éminente que
tient le personnage de Jésus
dans le Coran. Mais le
contenu même de la tradition
musulmane concernant le « fils de
Marie » avait été peu étudié. Un
musulman nommé Jésus, de l’historien d’origine palestinienne Tarif
Khalidi, vient avec brio combler
cette lacune, puisqu’il constitue la
plus importante collection jamais
réalisée de paroles attribuées à
Jésus et de récits de ses faits et
gestes, issus de la littérature classique de l’islam. L’auteur a réalisé là
un travail unique : ces quelque trois
cents citations, dûment référen-
O
cées et commentées, constituent un
véritable « évangile musulman »
qui éclaire d’un jour nouveau le
Jésus de l’islam, son enseignement et sa spiritualité. Ce n’est pas
un hasard si ce titre, aujourd’hui
réédité en poche, avait il y a plus de
dix ans été choisi comme volume
inaugural de la collection « L’Islam
des Lumières ».
TOUS
CEUX QU’INTÉRESSE LE DIA-
seront passionnés par cette brillante analyse
d’un phénomène unique dans l’histoire des religions : la figure centrale d’une tradition, assimilée et
Un musulman
nommé Jésus
Tarif Khalidi
272 pages, 7,70 €
LOGUE DES CULTURES
réinterprétée par une autre, en est
devenue un objet de foi fondamental, d’une étonnante fécondité
spirituelle. n
12
NATURE
L’Homme en Question n PrINTEMPS 2014
Quelles menaces
CONTES
sur les mammifères marins ? Redécouvrir l’enfant
qui est en nous
Tout le monde en a entendu parler : les mammifères marins
sont en danger. Mais savons-nous vraiment quelles sont
les menaces qui pèsent sur la survie de ces animaux,
souvent imposants, qui ont élu domicile au fond des eaux
ou y trouvent leurs ressources exclusives ?
t d’abord, que connaissons-nous
de leur diversité ? Baleines,
cachalots, dauphins, marsouins,
mais aussi lamantins, phoques, loutres
de mer, tous ont adopté des modes de
vie comparables, aujourd’hui fragilisés
par la chasse, la surpêche, la pollution,
comme par certains déséquilibres environnementaux dont l’homme n’est
pas toujours le seul coupable. Des idées
fausses circulent également : les
fameux bébés phoques chers aux
médias appartiennent-ils à une espèce
menacée de disparition? Certainement
pas. Tandis que les dauphins fluviaux
se raréfient et disparaissent progressivement dans l’indifférence générale…
On ne présente plus Jacques Salomé, auteur d’une œuvre
prolifique entamée il y a plus de trente ans avec
Je t’appelle tendresse, et qui a aidé des millions de lecteurs
à se réconcilier avec eux-mêmes et leur entourage à travers
la communication – on pense notamment à Heureux
qui communique (1993) ou encore à Papa, maman,
écoutez-moi vraiment ! (1989).
E
JEAN-PIERRE SYLVESTRE, spécialiste
des mammifères marins, reconnu
internationalement et aventurier de
la science naturaliste, nous fait partager dans cet ouvrage ses passions
vécues sur le terrain, tout en élargissant notre vision et nos savoirs sur
ces familles animales à la réalité souvent méconnue au-delà d’images
Agenda
ndissociables de son travail psychologique, Jacques Salomé a
écrit plusieurs recueils de contes
qui furent de grands succès dont :
Contes à guérir et à grandir, Contes
à aimer et à s’aimer… Comme le dit
Henri Gougaud, « Les contes ne
parlent pas du monde de l’enfance,
mais de l’enfance du monde ».
I
stéréotypées. Dans un style alerte,
vivace, évitant un langage trop
savant, il nous entraîne à sa suite
dans les océans et les grands fleuves
du monde entier, et nous invite à une
immersion passionnante dans un
univers si totalement attachant. n
LES
CONTES REMPLISSENT UNE FONC-
TION SYMBOLIQUE IMPORTANTE,
essentielle pour nous permettre de nous
réconcilier non seulement avec notre
passé mais aussi avec notre vie
actuelle. Un conte peut permettre de
se découvrir, peut-être aussi de s’accepter. Un conte peut révéler un nondit, un secret indicible qui taraude
l’aimé ou l’aimée. Un conte peut
nous entraîner dans quelques-uns
Si le chant des baleines
s’éteignait
Menaces sur les
mammifères marins
Jean-Pierre Sylvestre
336 pages, environ 22 €
nnn
n Le spectacle Quatre petits
bouts de pain, adapté du livre de
Magda Hollander-Lafon, et créé
par Actant-scène (mise en scène
Laure-Marie Lafont) sera donné
en avant-première en présence de
l’auteur les vendredi 21 mars 2014 à
20 heures et dimanche 23 mars à
15 heures à l’Espace Quartier
Latin, 37 rue de Tournefort, Paris
5e. renseignements et
réservations : 06 70 635 635,
[email protected].
n
Lytta Basset présentera son
dernier livre Oser la bienveillance
le 25 mars à la libraire Kléber de
Strasbourg (03 88 32 03 88), le
31 mars à la librairie La Boîte à
livres de Tours (02 47 05 05 67)
le 2 avril à la librairie La Procure
de Paris (01 45 48 20 25) et
le 8 avril à la librairie UOPC
de Bruxelle (0032(2) 648 96 89)
n
Cyrille Javary présentera
son dernier livre La Souplesse
du dragon. Les fondamentaux
de la culture chinoise le 3 avril
à la librairie Mollat de Bordeaux
(05 56 56 40 40)
n Olivier Raurich présentera
son livre La Voie du
bouddhisme au fil des jours le
29 avril au Centre universitaire
méditerranéen de Nice
(04 97 13 46 10)
des méandres de nos origines, donner l’occasion à une blessure ouverte
de notre enfance de se cicatriser et
donc de ne plus polluer une relation
conjugale ou familiale conflictuelle…
Dans ce livre, Jacques Salomé propose aux enfants, et aux ex-enfants
que nous sommes tous, des contes
qui nous relient à l’immensité d’un
savoir universel dont chacun d’entre
nous est partie prenante, même si
nous ne le savons pas toujours. Ces
contes ont le pouvoir de nous éclairer
sur quelques-uns des mystères de la
condition humaine et nous donnent
ainsi accès à une compréhension
plus nuancée et plus authentique de
notre histoire personnelle pour nous
aider à grandir de l’intérieur et donc à
mieux vivre. n
Contes des petits
riens et de tous
les possibles
Jacques Salomé
368 pages, 22,50 €
L’Homme en Question n PrINTEMPS 2014
13
Redécouvrir un classique d’Albin Michel
Les Indiens des Plaines de Paul H. Carlson
Du 8 avril au 20 juillet, le musée du Quai
Branly accueille l’une des plus importantes
expositions jamais consacrées en France
à la culture des Indiens des Plaines.
L’occasion de (re)découvrir, par-delà
les clichés et images d’Épinal, l’une des
cultures les plus dynamiques de l’Amérique
indienne, qui n’a eu de cesse d’évoluer
et de s’adapter aux circonstances.
C’est notamment possible grâce au livre
de Paul H. Carlson, un historien américain
qui a longtemps enseigné dans une
université du Texas et qui a consacré
de nombreuses années à étudier
ces cultures et à aller à la rencontre
des différentes tribus, à travers tout l’Ouest
américain. On comprend, en lisant son livre
à la fois vivant et érudit, pourquoi
ces peuples –Sioux, Cheyennes, Crows,
Comanches, Pieds-Noirs… – ont autant
impressionné ceux qui les ont rencontrés,
trappeurs, voyageurs, écrivains, artistes
ou militaires. Ils incarnaient à la perfection
ce sentiment de liberté, cette communion
avec la Nature et les éléments, le monde
animal et végétal, qui était au cœur de leur
ART DE VIVRE
320 pages,
22,30 €
Métaphysique
des odonadoptères
PHILOSOPHIE
La Grèce nous habite
erceau de notre civilisation, le
cœur de la Grèce antique continue de battre dans notre
monde moderne. Ses héritages sont
visibles dans notre architecture, dans
notre langue, mais ils se retrouvent bien
plus profondément dans les idéaux qui
nous animent, explique Bertrand
Vergely. Dans des domaines aussi
essentiels que notre manière d’appréhender la Nature, le sens de la vie
juste ou la part de tragique que porte
toute existence humaine, nous
sommes à la recherche d’un équilibre
entre nos aspirations à l’absolu et
l’écoute d’un réel qui nous dépasse.
Or les Grecs appelaient philosophie la
recherche d’un tel équilibre. Montrant
que des éléments de notre modernité
aussi hétéroclites que le Planétarium
de la Villette, les égouts de Paris, le personnage de Coluche ou même le
Crazy Horse trouvent des correspondances troublantes dans l’Antiquité,
Bertrand Vergely parcourt en une
trentaine de chapitres rythmés l’ensemble des grandes interrogations
existentielles, des plus classiques – la
nature, l’âme et le corps, le beau, le
bien ou le bonheur – aux plus
contemporaines – l’amour, le scandale,
la démesure ou le relativisme. Auteur
d’une vingtaine d’ouvrages, dont La
spiritualité et de leurs cérémonies.
C’est un monde fascinant à la découverte
duquel nous entraîne l’auteur : il y est tout
autant question d’organisation sociale,
politique, économique, militaire
ou religieuse que de culture matérielle.
De la préhistoire à nos jours, où les tribus
des Plaines redonnent vie à leurs traditions
sur les réserves, l’historien américain
retrace les grands moments d’une aventure
humaine, où le choc des cultures,
notamment au moment de la Conquête
de l’Ouest, tient une large part.
B
e philosophe Alain Cugno nourrit depuis toujours une passion
insolite pour les libellules, qu’il
observe, à chaque saison, des
heures durant. Sous ses yeux, elles se
donnent sans réserve à une vie explosive, brillante, aérienne. Elles viennent,
s’en vont ailleurs. Elles sont le détachement même. Elles ne tiennent à
rien, sinon à s’en aller. Leur liberté
nous fascine.
Loin des bruits du monde, l’auteur
nous invite à suivre le vol fragile des
libellules et, chemin faisant, à philosopher – sur Dieu, la beauté, le
temps… Et aussi sur nous-mêmes.
Ainsi qu’il l’écrit notamment :
L
Foi ou la nostalgie de l’admirable et
Retour à l’émerveillement, tous deux
publiés chez Albin Michel, Bertrand
Vergely signe ici un manuel de philosophie ludique et réjouissant, qui
montre que malgré notre individualisme
apparent, nous sommes toujours en
quête de cet inépuisable mystère que
les Grecs nommaient sagesse. n
Deviens qui tu es
Quand les sages grecs
nous aident à vivre
Bertrand Vergely
352 pages, 19 €
n Du même auteur :
Retour à l’émerveillement
336 pages, 18,80 €
La Foi ou la nostalgie
de l'admirable
160 pages, 6,90 €
Les animaux sont des êtres
énigmatiques parce qu’ils
sont entièrement présents, là
où ils sont. Fondamentalement affirmatifs, ils avancent leurs formes et
leurs couleurs comme des évidences
irréfutables. Ils n’ont pas été fabriqués
de main d’homme – ils sont là, ils
sont ce qu’ils sont et pourtant compliqués, organisés. Aussi compliqués
et organisés que des phrases, et l’impression est renforcée par la régularité
qui, généralement, préside à leurs
formes et à leurs couleurs ; comme
s’ils étaient les exemplaires de l’édi-
tion ne varietur d’un même livre que
nul ne pourrait lire ailleurs qu’en ses
signes : telle tache à tel endroit présente sur tous les individus de telle
espèce. Comme s’ils cherchaient
à dire quelque chose qui n’a
pas même besoin d’être
traduit.
Lumineux et sensible, illustré des propres dessins de l’auteur, ce livre est
une méditation sur le bonheur. Sa
profondeur nous habite longtemps
après l’avoir refermé. n
La Libellule
et le philosophe
Alain Cugno
192 pages, 6,90 €
L’Homme en Question n PrINTEMPS 2014
14
Non, Dolto
Autisme : le désastre n’était pas laxiste !
de la surenchère
QUESTIONS DE SOCIÉTÉ
PSYCHOLOGIE
Avec le DSM Iv (le dernier Manuel diagnostique et statistique
des troubles mentaux, publié par la Société américaine
de psychiatrie) l’autisme est passé de 1 cas pour 10 000 dans
les années cinquante, à 1 cas pour 100 ! Non, il ne s’agit pas
d’une épidémie mais d’un diagnostic scandaleusement extensif.
C
GRAVE :
LA
QUERELLE
DES
APPROCHES. Faut-il consulter un psychanalyste, un cognitiviste, un comportementaliste ? Chaque courant
défend sa chapelle, au mépris de la
souffrance des familles. Car de nombreux spécialistes, toutes tendances
confondues, les renvoient à leur responsabilité, avec toute la culpabilité
qui l’accompagne : « Si vous privilégiez telle démarche, ne comptez plus
sur nous pour suivre votre enfant ! »
déclarent-ils en substance. Les
parents deviennent littéralement
« fous » d’angoisse, victimes d’une
double peine : avoir un enfant qui
souffre, et être désignés coupables si
son état se dégrade !
EN CROISANT ANALYSE ET TÉMOIGNAGES
de parents effondrés recueillis par
Bernadette Costa-Prades, Catherine
Vanier dénonce une véritable maltraitance, tant des enfants que des
parents. Avec ce livre salutaire elle
lance un véritable cri d’alarme. n
À ne pas manquer
Autisme : comment rendre
les parents fous !
Catherine Vanier
En collaboration avec
Bernadette Costa-Prades
192 pages, 15 €
signifier la loi et la frustration avec autorité mais sans autoritarisme. Elle qui
n’a jamais prôné l’enfant-roi serait la
première à s’élever contre le pouvoir
donné aux enfants aujourd’hui.
réentendre la voix de Françoise
Dolto donne au lecteur l’occasion de
repenser son rôle, de reprendre sa
place, et de le faire en confiance. n
Dolto, L’art d’être
parents
L’éducation,
la parole, les limites
Élisabeth Brami et
Patrick Delaroche
224 pages, 17 €
nnn
n Après
Cinq méditations sur la beauté déjà à leur catalogue, les éditions
Audiolib feront paraître au mois d’avril Cinq méditations sur la mort autrement
dit sur la vie de François Cheng lu par l’auteur.
nÀ
eprenant ici ses textes les plus
concrets tirés de ses interventions dans les médias,
Élisabeth Brami, psychologue-clinicienne, et Patrick Delaroche, pédopsychiatre et psychanalyste, ont
voulu dans ce livre salutaire situer
Françoise Dolto dans la lignée des
grands penseurs de l’éducation. Ils
montrent combien elle insista sur le
retour au bon sens, au respect
mutuel, à la confiance et à l’apprentissage précoce des limites, en abordant les problèmes du quotidien.
Contrairement aux idées reçues, il n’y
a chez elle ni laxisme, ni laisser-aller,
ni culpabilisation des parents, mais
des règles de vie fondatrices qui
s’opposent au dressage à l’ancienne.
Elle restitue constamment les places
respectives (et respectueuses) des
générations et de chacun : l’enfant ne
doit pas être au centre de la famille,
mais à la périphérie du couple. Elle
défend le cadre, la frustration bien
dosée, l’apprentissage des limites.
Pour elle, humaniser le petit d’homme
– une personne à part entière en devenir qui a besoin d’être éduquée – c’est
le nourrir au « lait du langage » :
écouter son désir, sa souffrance, lui
R
atherine Vanier, psychanalyste,
docteur en psychologie,
constate chaque semaine dans
son cabinet l’immense désarroi dans
lequel ce diagnostic extensif plonge les
parents, en englobant aussi bien les
enfants atteints de la forme la plus
grave d’autisme que ceux qui ont simplement des problèmes relationnels :
dès lors, les parents inquiets ne retiennent que l’hypothèse la plus dramatique et se mettent à poser un regard
différent sur leur enfant.
AUSSI
Françoise Dolto défendait la Cause des enfants et celle
des adolescents, mais la cause des parents lui importait
particulièrement. En « médecin d’éducation »,
c’est aux adultes qu’elle s’adressa souvent, désireuse
de leur transmettre l’art d’« éduquer avec des mots ».
paraître prochainement au format de poche parmi les livres d’Albin Michel
qui avaient été recensés dans ce journal :
• La Vallée des masques, de Tarun Tejpal (Le Livre de Poche – avril)
• Sur les pas de Geronimo, de Corine Sombrun (Pocket – avril)
• Quatre petits bouts de pain, de Magda Hollander-Lafon (Le Livre de Poche – mai)
• Métagénéalogie, d’Alexandro Jodorowsky (Pocket – mai)
• La Splendeur de la vie, de Michael Kumpfmuller (J’ai lu – mai)
• Les Enfants des Justes, de Christian Signol (Pocket – mai)
• Les Pissenlits, de Yasunari Kawabata (Le Livre de Poche – juin)
L’Homme en Question n PrINTEMPS 2014
15
SANTÉ
Un livre, un éditeur
La nouvelle
maladie
des années
2010
Vous avez dit « genre » ?
rigitte Grésy n’aime pas la langue de bois des discours simplificateurs, pas plus celle de la
domination masculine que celle de l’indifférenciation des sexes. Membre du Haut Conseil à l’égalité
et secrétaire générale du Conseil supérieur de l’égalité professionnelle, elle a été chargée de
nombreux rapports, que ce soit sur la place des femmes dans les médias, l’égalité professionnelle, les
filles et les garçons à l’école, les hommes au travail… C’est dire si le regard qu’elle porte sur les rapports
hommes femmes est ancré à la fois dans le réel et la réflexion hors des stéréotypes qu’il impose.
B
par Claire Delannoy
À CEUX QUI SONT DÉSARÇONNÉS PAR CE QU’ON NOMME LA THÉORIE DES GENRES – terme qui signifie simplement qu’on naît fille ou garçon mais que l’environnement, la famille, l’éducation imposent aux enfants un
comportement qui n’a rien à voir avec la biologie –, à tous ceux qui pensent bien penser en invoquant les
valeurs masculines et féminines que tout être humain se doit de développer harmonieusement, Brigitte
Grésy oppose avec douceur et détermination ses connaissances de terrain et ses convictions. Tout ce
qui nous a formatés à considérer les filles plus douées pour les lettres, l’intuition et l’expression des sentiments et les garçons pour les maths, la maîtrise de soi et l’intelligence rationnelle, à opposer l’empathie
des unes à la rigueur des autres, est certes le produit d’un conditionnement millénaire où les femmes étaient
en position de dominées, mais on ne peut s’affranchir de représentations aussi fortes en juste les dénonçant. Il faut avant tout les identifier, prendre conscience de tous les paradoxes qui nous habitent, de toutes
les injonctions qui nous terrassent. Apprendre à lutter contre la culpabilité, l’autoflagellation, à revendiquer
professionnellement des compétences qui n’ont rien
à voir avec le féminin ou le masculin, n’empêche pas
les femmes d’aimer les jeux de séduction. Apprendre
à exprimer ses émotions plutôt qu’à les refouler, à
accepter que les femmes soient des partenaires ou
des supérieures au travail, à s’occuper des enfants ne
fait pas perdre aux hommes leur intégrité.
Politique des petits pas et analyse critique imparable,
c’est la tâche délicate, en ces temps de confusion et
de panique identitaire, que s’est donnée Brigitte
Grésy. Elle l’avait déjà amorcée dans son Petit traité
du sexisme ordinaire, en nous amenant à concevoir
ce temps nouveau des relations d’égalité et non de
complémentarité, qu’il faut autant savoir négocier
avec soi-même qu’avec autrui. n
A
© Marc Melki
La Vie en rose
Pour en découdre
avec les stéréotypes
Brigitte Grésy
256 pages, environ 16 €
n Du même auteur :
Petit traité du sexisme
ordinaire
256 pages, 15,20 €
u début des années 1980, le
mot « bipolaire » était rare. On
parlait plutôt de maniacodépression, un terme qui avait une histoire riche en psychiatrie. C’est dans
les années 1990, au moment où sont
arrivés à expiration les brevets sur les
antidépresseurs qui se vendaient le
mieux, que la bipolarité s’est propagée,
pour devenir la priorité des stratégies
marketing de l’industrie pharmaceutique. Le diagnostic de la bipolarité
s’est alors considérablement élargi, et
celui de la maniaco-dépression s’est
trouvé d’autant plus embrouillé.
Aujourd’hui, parce qu’on ne s’intéresse
pas assez aux symptômes spécifiques –
pourquoi, par exemple, un puissant
besoin de communication ou une tendance à dépenser beaucoup d’argent
apparaissent-ils en phase maniaque? –,
les « bipolaires » sont ainsi très souvent
soumis, exclusivement, à un lourd régime
de médicaments.
Dans ce livre incisif, le psychanalyste
anglais Darian Leader sonne l’alarme.
Si l’on renonce à faire l’effort d’un
diagnostic rigoureux, en pensant
contrôler une maladie, on continuera
à passer à côté d’une souffrance
extrême. Il est temps de comprendre
le monde des bipolaires. n
Bipolaire, vraiment ?
Darian Leader
192 pages, 15 €
16
L’Homme en Question n PrINTEMPS 2014
DIALOGUE
Une vie bouleversante
arima Berger aime traverser les frontières :
aux appartenances rigides, elle préfère les
circulations fécondes comme l’avait montré
son précédent essai, Éclats d’islam. Dans ce nouveau livre, l’écrivain orchestre une autre traversée :
celle d’un dialogue rêvé entre Etty Hillesum et une
jeune Marocaine à laquelle elle donne vie dans
ces pages. Une dialogue par-delà les âges, la mort
et les cultures.
© Frédéric Poletti
Certaines voix traversent tout :
les frontières, les âges, la mort ; leur
message transcende les appartenances
et ne se laisse ranger dans aucune
catégorie. Au contraire, elles
n’en finissent pas de déranger,
de tout bouleverser. C’est le cas
d’Etty Hillesum et de son combat
spirituel dans l’enfer nazi, connu grâce
au Journal qu’elle tenait avant sa mort
à Auschwitz en 1943, et paru
des décennies plus tard sous le titre
Une vie bouleversée. L’écrivain
Karima Berger redonne aujourd’hui voix
à ce témoignage dans un dialogue
aussi inattendu qu’intense.
K
LORSQU’ELLE ÉTAIT ENCORE À AMSTERDAM, la jeune
femme juive avait accroché au mur la photographie
d’une petite Marocaine, au « regard grave et sombre » qui fixait le matin gris tandis qu’elle écrivait à
son bureau. « Un regard animal et serein à la fois »,
écrivait-elle le 12 décembre 1941. Elle était une
photographie découpée dans un magazine, elle
devient dans ces pages une voix qui déplace, l’amie
orientale, la bouleversante : « Etty Hillesum, je te
parle par-dessus les âges, par-dessus la mort. Tu es
assise au bord de ton être, attentive à la lumière et
aux sons qui montent de la rue, attentive aux mouvements intérieurs, à ma présence étrangère ; dans
tes rêveries, tes yeux sont grands ouverts, sur moi,
ta petite Marocaine. » La jeune Marocaine témoigne :
« Immobile dans mon cadre de photographie, je
voyage avec toi, mon être en formation apprend,
écoute les conversations, je te vois vivre, je suis sidérée. » Car Etty est sidérante : attentive, elle cherche
à s’expliquer avec le monde, en elle-même, au lieu
de fuir la barbarie qui menace de l’engloutir.
Certaines voix ne s’éteignent pas. Celle d’Etty
Hillesum résonne dans cet ouvrage jusque dans le
Paris des années 2010, lorsqu’une autre femme
marocaine ouvre un de ses livres dans une librairie et se trouve à jamais bouleversée : ce que lit la
jeune musulmane lui est adressé, elle s’en sent responsable à jamais, elle aussi dira le monde et ses
périls, et incarnera ce vœu d’Etty Hillesum :
« J’aimerais tant survivre pour transmettre à cette
nouvelle époque toute l’humanité que j’ai préservée en moi […] c’est le seul moyen de préparer les
Les Attentives
Un dialogue avec
Etty Hillesum
Karima Berger
210 pages, 15 €
temps nouveaux : les préparer déjà en nous. » Ce
travail intérieur, qui est le bouleversement même,
voilà sans doute à quoi ces pages convient. n
n
Karima Berger interviendra autour du thème
« Un islam au féminin singulier »
le samedi 5 avril à 14 heures au Collège
des Bernardins 20 rue de Poissy, Paris 5e.
Renseignements : www.collegedesbernardins.fr
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Rédaction : Jean Mouttapa, Julien Darmon, Chloé Salvan et les éditeurs – Coordination : Gil Rousseaux – Maquette : Caractère B.