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Date : 15/01/2014
Auteur : Elise Clédat
Entre 2007 et 2012, le revenu médian en Haïti a été divisé par deux
Deux enquêtes menées en 2007 et 2012 révèlent les impacts socio-économiques du séisme sur la vie
des Haïtiens.
Quatre ans après le séisme meurtrier qui a ravagé Haïti le 12 janvier 2010, le premier
rapport comparant l'évolution des revenus des Haïtiens avant et après la catastrophe dresse un bilan
sévère. Fait le plus marquant: le revenu médian, qui partage la population en deux parties égales
(différent du revenu moyen), a baissé de 57%.
Cette étude a été menée par le DIAL, un laboratoire de recherche qui réunit notamment l'Institut
haïtien de statistique et d’informatique (IHSI), l'Institut de recherche pour le développement (IRD) et
l'Université Paris-Dauphine.
"Les jeunes, premières victimes"
Cette baisse du revenu médian révèle un accroissement exponentiel des inégalités au sein de la
population. "Haïti était connu pour être l'un des pays les plus inégalitaires du monde, et cette situation
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Haïti : quel bilan quatre ans après le séisme ?
LE CERCLE. par Javier Herrera, François Roubaud et Claire Zanuso - Quatre années
se sont passées depuis le tremblement de terre le plus violent qu'ait connu Haïti. La
communauté internationale s'était mobilisée à l'époque, s'engageant à verser
plusieurs milliards pour aider les Haïtiens à reconstruire leur pays. Le bilan n'est pas
aussi bon et optimiste que le voudraient certains discours officiels.
Écrit par
Claire Zanuso
Doctorante au laboratoire DIAL-IRD
Ccoordinatrice du programme EISHA
Javier Herrera
Directeur de recherche à l’IRD,
Responsable du programme EISHA (Evaluation d’impact du séisme en Haïti) de l’Agence
nationale de la recherche
Le 12 janvier 2010, Haïti était touché par le plus terrible tremblement de terre de son histoire
tourmentée (des dizaines de milliers de morts, des centaines de milliers de blessés, plus
d’un million et demi de personnes déplacées dans des camps). La communauté
internationale s’est mobilisée dès mars 2010 lors de la conférence des donateurs,
engageant 5,3 milliards de dollars pour la reconstruction « durable » d’Haïti. Quatre ans se
sont écoulés et le discours officiel des organisations internationales est à l'optimisme,
malgré la succession de catastrophes qui ont depuis frappé le pays (inondations, ouragans,
épidémies, etc.). L'aide d'urgence aurait atteint ses objectifs, les camps de déplacés
seraient en voie de résorption, tandis que les programmes de reconstruction auraient pris le
relais.
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Faut-il adhérer à cette vision positive de la situation économique et sociale et les promesses
de lendemains qui chantent, même si tous conviennent qu'il faudra du temps ? Haïti, jusque
là "pays maudit", est-il en train de lever la malédiction pour enclencher enfin un processus
de développement durable ? L'analyse des enquêtes de grande envergure menées par
l'Institut Haïtien de Statistique et d'Informatique avec l'appui de l'unité mixte de recherche
DIAL (IRD et Université Paris-Dauphine) montre sans ambiguïté que le bilan est loin d’être
aussi positif.
Une jeunesse sacrifiée
Sur le marché du travail, qui constitue la principale courroie de transmission entre la
dynamique macroéconomique (croissance, aide extérieure) et les conditions de vie des
ménages, le constat est critique. Non seulement la situation s'est profondément dégradée
par rapport à 2007, date de la dernière enquête disponible, mais surtout ce sont les jeunes
qui ont payé le plus lourd tribut. A titre illustratif, 20 % des enfants de 10 à 14 ans exercent
un emploi contre à peine 1 % en 2007.
La rémunération des jeunes a baissé de près de 60 % en cinq ans, celle de leurs ainés
s’améliorant sur la même période d'environ 20 %. Tous les indicateurs sont à l'avenant. Les
jeunes ont été contraints de se mettre au travail dans des conditions de précarité extrême.
De plus, tous les jeunes ne sont pas logés à la même enseigne. Ils sont d'autant plus
sanctionnés qu'ils sont d'origine modeste, entrainant une explosion des inégalités, pourtant
déjà parmi les plus élevées au monde.
L’urgence du logement
Neuf ménages sur dix ayant séjourné dans un camp n’ont toujours pas trouvé un logement
adéquat. Seulement 2 % des ménages dont le logement a été fortement endommagé ont
reçu une aide au déblaiement et 7 % une aide à la reconstruction. L’aide institutionnelle a
largement ignoré la population en dehors de l’agglomération de Port-au-Prince, alors qu’un
peu plus de six ménages sinistrés sur dix se trouvaient hors de la capitale. Plus encore, près
de la moitié des personnes sinistrées ont trouvé refuge auprès d’autres ménages (parents,
amis, voisins) pour la plupart hors de la capitale, signe de la vitalité de la solidarité malgré
les fortes disparités sociales.
Le nombre de sinistrés qui ont perdu leur logement est donc supérieur à celui des personnes
dans les camps et la plupart sont restées invisibles aux politiques d’aide. Amnesty
International a dénoncé l’expulsion forcée des ménages des camps (situés pour les trois
quarts sur des terrains privés). Le gouvernement a obtenu de l’Organisation internationale
pour les migrations de ne plus comptabiliser parmi les résidents des camps 54 000
personnes des camps de Canaan, Jérusalem et Onaville, arguant que « la zone est devenue
un quartier où les gens ont l'intention de rester ». Dans la capitale, près d’une personne sur
dix réside encore dans un camp.
De ce fait, le logement doit être l’une des priorités des actions de reconstruction, afin
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De ce fait, le logement doit être l’une des priorités des actions de reconstruction, afin
d’inverser la tendance réelle à la « bidonvilisation » des camps des déplacés, qui engendre
des carences sévères et rend la population encore plus vulnérable à l’épidémie de choléra
qui sévit actuellement.
Par ailleurs, si les risques d'explosion sociale ne semblent pas d'actualité, le sort inique
réservé à la jeunesse haïtienne doit être corrigé de manière urgente. Il s'agit bien sûr d'une
question de justice sociale, mais au-delà c'est l'avenir même du pays qui est en jeu. En effet,
le sacrifice de la génération montante risque d'entretenir un cercle vicieux intergénérationnel
gageant la croissance économique de long terme. Un tel engrenage installerait durablement
Haïti dans une trappe à pauvreté à laquelle il deviendrait difficile d'échapper.
LES AUTEURS
Javier Herrera, Directeur de recherche à l’IRD, responsable du programme EISHA
(Evaluation d’impact du séisme en Haïti) de l’Agence nationale de la recherche
François Roubaud, Directeur de recherche à l'IRD
Claire Zanuso, Doctorante au laboratoire DIAL-IRD, coordinatrice du programme EISHA
NOTE : Les résultats inédits ont été présentés lors de la conférence-débat « Quatre ans
après le séisme en Haïti : quel impact pour la population et quelles conséquences sur les
politiques publiques ? », organisée par l'IRD, le ministère des Affaires étrangères et le
ministère de l'Economie et des Finances à Bercy le 14 janvier 2014 (Cf.
http://www.desastres-naturels.fr/fr).
a explosé de façon quasiment inédite entre 2007 et 2012", a déclaré François Roubaud, directeur de
recherche au DIAL, lors de la présentation de l'étude.
Seule embellie apparente: une baisse du chômage (de 17% à 14%), et donc une hausse du taux
d'activité (de 47% à 56%). Mais ses chiffres dissimulent en fait une réalité plus sombre: les Haïtiens
sont désormais forcés de commencer à travailler de plus en plus tôt, dans des conditions très
précaires.
"La situation est alarmante, notamment sur le plan du marché de l'emploi, et les jeunes en sont
les premières victimes" explique Claire Zanuso, coordinatrice du projet pour DIAL. "Contraints de
chercher un travail pour aider leur famille, ils doivent accepter des emplois sous-rémunérés et sousqualifiés."
L'échec de l'aide internationale à enrayer la "dynamique de précarité"
Face à un bilan aussi pessimiste, une question est sur toutes les lèvres: quel a été le rôle de l'aide
internationale? D'après le rapport, elle a échoué à accompagner les populations les plus vulnérables.
Les politiques de reconstruction se sont concentrées dans les zones urbaines de Port-au-Prince en
délaissant les campagnes, alors que celles-ci ont accueilli de nombreux déplacés.
Ainsi, 40% des ménages ayant subi les dommages les plus lourds n'ont reçu aucune aide. D'après
François Roubaud, "la population la plus fragile s'enfonce dans une dynamique de précarité." Alors
qu'1,5 million de personnes ont été déplacées après le séisme, 150.000 personnes vivent encore
dans des camps de fortune
Crédit photo: flickr/European Commission DG Echo .
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Journal Sciences au Sud (IRD) - novembre/décembre 2013
http://www.ird.fr/la-mediatheque/journal-sciences-au-sud/les-numeros-de-sciences-au-sud/n-72novembre-decembre-2013
© C. Zanuso
H a ï t i
La « réplique »
sociale du séisme
Deux enquêtes, fruit d’un partenariat scientifique international, permettent
d’éclairer les impacts du séisme sur les conditions de vie des Haïtiens.
prévisible. « Contre toute attente, les
campagnes et les villes de province,
pourtant éloignées de l’épicentre du
séisme situé sur la capitale, n’ont pas
du tout été épargnées », révèle l’économiste Claire Zanuso, coordonatrice
des enquêtes sur le terrain. La majeure
partie des victimes et des dégâts se
compte même dans ces zones déshéritées où vivent les plus pauvres, et
donc les plus vulnérables, de la société
haïtienne. Car, selon les scientifiques,
l’intensité du séisme n’explique pas à
elle seule les destructions. La fragilité
du bâti – souvent précaire chez les défavorisés – entre pour beaucoup en ligne
de compte. Les zones rurales, pour
leur malheur, ont aussi connu un afflux
de déplacés, augmentant la pression
sur des ressources déjà faibles, tout en
restant éloignées des circuits de l’aide.
Les enquêtes pointent en effet des
défaillances des programmes en la
matière. L’action des organisations humanitaires s’est majoritairement concentrée
sur l’agglomération de Port-au-Prince,
délaissant les autres villes et les régions
rurales, pourtant très affectées. Plus généralement, les chercheurs soulignent l’écart
entre les sommes affichées en faveur
de l’assistance et de la reconstruction en
Quand des parasites
animaux infectent
les hommes
En 2004, des chercheurs
ont formellement identifié
en Inde un premier cas
humain de trypanosomose
dite « atypique », due
à des parasites animaux.
Aujourd’hui, ils révèlent
que cette forme de maladie
jusque-là méconnue est
potentiellement émergente.
E
© IRD / S .Herder
n décembre 2004, le premier
cas humain de trypanosomose
dite « atypique » est confirmé :
un fermier indien se révèle contaminé
par les parasites de son bétail, du nom
de Trypanosoma evansi. « Hormis la
maladie du sommeil en Afrique et la
maladie de Chagas en Amérique latine,
ces maladies parasitaires affectent en
temps normal exclusivement les animaux », précise Philippe Truc. Suite à
la découverte de ce nouveau type d’affection, le chercheur et ses partenaires1
ont passé en revue la littérature scientifique sur le sujet depuis le début du
siècle dernier2. Ils ont ainsi relevé 19 cas
suspects enregistrés dans le monde,
essentiellement en Afrique et en Asie.
« Le premier patient remonte ainsi à
1917 au Ghana, infecté par Trypanosoma vivax. Une personne a été contaminée par Trypanosoma lewisi en Malaisie
en 1933 et deux en Inde en 1974 »,
énumère le scientifique. Grâce aux techniques d’analyse moléculaire des échantillons sanguins, une dizaine de cas ont
été confirmés depuis 2004, dont le dernier en 2010 : le 19e patient, un nourrisson en Inde qui, grâce aux soins apportés,
a survécu à la fièvre et à l’anorexie.
Faut-il y voir l’émergence d’une nouvelle forme de ces maladies ? Cette
analyse bibliographique, publiée dans
Plos Neglected Tropical Diseases, révèle
que la tendance s’accélère depuis dix
ans : « Sur la vingtaine de cas enregistrés depuis un siècle, neuf ont été
rapportés depuis 2003, relate Philippe
Truc. En particulier, Les parasites
T. evansi et T. lewisi ont été le plus
fréquemment observés ces dernières
années chez l’Homme. » L’urbanisation,
qui augmente le contact entre animaux
infectés et humains, la coévolution entre
hôte et parasite, la malnutrition et
les déficiences immunitaires seraient en
cause. Dans le cas du fermier indien de
2004, une étude sérologique a montré
que l’infection était due à une mutation génétique lui ôtant son immunité
innée contre les trypanosomes animaux.
Déterminer la fréquence de cette
mutation dans la population au contact
des animaux infectés permettra une
meilleure évaluation des risques
d’émergence de cette nouvelle forme
de maladie.
Toujours est-il, comme le montrent les
présents travaux, que la prévalence
des trypanosomoses atypiques dans le
monde est sous-estimée. Ils soulignent
la nécessité de nouveaux tests diagnostiques et d’investigations de terrain
pour détecter et traiter les cas aujourd’hui non identifiés.
●
1. Le réseau international NAHIAT, fondé par
l’IRD et le Cirad coordonné par l’UMR Intertryp, inclut 48 organismes ainsi que l’OMS,
la FAO et l’Organisation mondiale de la santé
animale.
2. Plos Neglected Tropical Diseases, 2013.
Contacts
[email protected]
[email protected]
UMR Intertryp (IRD / Cirad)
Ferme
d’élevage
en Thaïlande.
Haïti – se comptant à coup de milliards
– et la faiblesse effective de l’aide reçue
par les ménages haïtiens eux-mêmes.
Pourtant, et sans surprise cette fois, les
populations en ont vraiment besoin
tant leur situation s’est dégradée. Certains chiffres, comme celui de la baisse
des revenus des ménages – de 57 %
entre 2007 et 2012 –, sont éloquents.
D’autres, en apparence plus ambigües,
confirment toutefois la fragilisation à
l’œuvre dans la société : la baisse du
chômage, l’augmentation impressionnante du taux d’activité4 et le retour à
l’agriculture cachent en fait une dégradation des conditions économiques,
obligeant tout le monde, y compris
les jeunes en âge scolaire, à travailler
dans des conditions extrêmement précaires pour survivre. « Ce sont les plus
pauvres qui ont payé le plus lourd
tribut à la catastrophe, et l’explosion
des inégalités depuis les rend encore
plus vulnérables », conclut la jeune
chercheuse. Grâce à un atelier de restitution, organisé en octobre 2013 à
Port-au-Prince Prince et en janvier 2014
à Paris, ces résultats pourront éclairer
les politiques publiques.
●
Le
déblaiement
15 mois
après le
séisme, 2011.
1. Institut haïtien de statistique et d'informatique et la Banque Mondiale.
2. Évaluation d’impact du séisme en Haïti.
3. Une « enquête sur les conditions de vie des
ménages après le séisme » (ECVMAS) et une
« enquête panel ».
4. Nombre de personnes en âge de travailler
– à partir de 10 ans en Haïti – exerçant effectivement une activité.
5
Contacts
Javier Herrera
[email protected]
franç[email protected]
UMR Dial (IRD et Université ParisDauphine)
Les Vietnamiens
manquent
de vitamine D
et de calcium
Au Vietnam, une grande part des femmes et des enfants
souffrent d’insuffisance en vitamine D et en calcium,
voire de carences, comme le révèle une étude francovietnamienne.
A
u Vietnam, près de 60 % des
femmes et des enfants présentent une carence ou une
insuffisance en vitamine D et presque
tous souffrent d’insuffisance légère
ou modérée en calcium. « On retrouve
ces taux, d’une ampleur insoupçonnée
jusque-là, en particulier chez les
enfants, aussi bien en zone urbaine
que rurale, à tout âge et indépendamment du statut socio-économique »,
témoigne Jacques Berger, nutritionniste à l’IRD. Il a coordonné cette étude1
menée avec l’Institut National de Nutrition de Hanoï et une fondation genevoise2 à la demande du ministère de la
Santé vietnamien auprès de 600 femmes
et plus de 500 enfants de moins de
cinq ans.
Deux principales causes expliquent la
prévalence3 élevée de ces carences.
« D’une part, affirme le chercheur,
femmes et enfants ont une alimentation trop peu diversifiée, avec peu
d’aliments riches en vitamine D et calcium. » Les enquêtes sur leurs habitudes alimentaires, menées en parallèle
des analyses sanguines, révèlent que
seul 1 % de leurs besoins journaliers en
vitamine D recommandés par l’OMS et
moins de la moitié de ceux en calcium
sont couverts. « D’autre part, poursuitil, 80 à 90 % de la vitamine D est synthétisée par la peau sous l’action du
soleil. Or, comme dans de nombreux
pays d’Asie, les Vietnamiennes prennent des mesures radicales pour éviter
toute exposition solaire. »
À long terme, ces carences débouchent
sur des problèmes de santé publique.
Chez les enfants, elles peuvent entraî-
ner un retard de croissance et un rachi- Rue
tisme. À l’âge adulte, elles augmentent de Hanoï.
les risques de divers troubles chroniques,
de fractures osseuses et d’ostéoporose4. Ces nouveaux résultats pourraient expliquer la forte prévalence
(30 à 45 %) de cette dernière maladie,
montrée récemment parmi les Vietnamiennes de plus de 50 ans. L’ensemble
de ces travaux soutiennent l’urgence
de mettre en place des stratégies nutritionnelles de prévention.
●
1. Plos One, 2013.
2. Global Alliance for Improved Nutrition
(GAIN), Genève, Suisse.
3. Nombre de personnes concernées par une
affection dans une population définie à un
moment donné.
4. Maladie du squelette caractérisée par une
diminution de la masse et une fragilité excessive des os.
Contacts
[email protected]
[email protected]
UMR Nutripass (IRD / Universités
Montpellier 1 et 2)
Sciences au Sud - Le journal de l’IRD - n° 72 - novembre/décembre 2013
Partenaires
les revenus et l’emploi, réalisées depuis
le séisme. « À l’échelle nationale, nous
avons renouvelé en 2012 une enquête
précédemment conduite en 2007 avec
notre partenaire haïtien, explique l’économiste François Roubaud. Ce faisant,
nous avons deux instantanés de la
situation macro-économique, à cinq
ans d’intervalle, avant et après le
séisme, avec toutes les possibilités
pour observer les évolutions. » Menée
auprès de 5 000 ménages dans tout le
pays – soit environ 20 000 individus –,
elle éclaire sur la situation globale de
la société. Par ailleurs, les scientifiques
ont réalisé une étude biographique, en
retrouvant 600 ménages enquêtés en
2007 dans l’agglomération de Port-auPrince, afin de connaître leurs trajectoires individuelles. « Cette démarche
permet de comprendre les dynamiques
de chacun, de savoir quelle a été la
mobilité professionnelle, géographique
et résidentielle des individus et des
ménages, si les foyers ont connu des
recompositions, durant cette période »,
indique l’économiste Javier Herrera,
responsable du projet EISHA.
Au terme de plusieurs mois de recherches, ces études dépeignent un état
des lieux tout à la fois surprenant et
© IRD / P. Gubry
Q
uatre ans après le séisme, la
mobilisation scientifique en
Haïti commence à porter ses
fruits. Ainsi, de vastes travaux en
sciences sociales, entrepris par l’UMR
Dial et des partenaires haïtiens et internationaux1, permettent de brosser un
précieux tableau de la société haïtienne
après la catastrophe. Rendus possibles
par la collaboration ancienne entre les
chercheurs français et leurs collègues
de l’Institut haïtien de statistique et
d’informatique, ils s’inscrivent dans le
cadre d’un appel à projet lancé par
l’Agence nationale de la recherche
française au lendemain de la tragédie,
pour contribuer à la reconstruction. Le
but affiché de ce projet, appelé EISHA2,
est de fournir des informations propres
à optimiser l’utilisation des ressources
disponibles pour le rétablissement
durable du cadre de vie, des infrastructures, des systèmes économiques et
sociaux et des solidarités sociales.
Concrètement, les scientifiques ont mené
deux enquêtes socio-économiques3 visant
à estimer l’impact du séisme sur les
conditions de vie des populations et à
évaluer l’efficacité de l’aide. Ce sont les
premières du genre, portant notamment sur les dommages, la pauvreté,
http://www.newspress.fr/communique_274859_1016_RSS-FR-TS-67.aspx
Haïti : La « réplique » sociale du séisme
IRD - Institut de Recherche pour
Développement - 15/01/2014 09:50:00
le
Après la phase d'aide d'urgence aux victimes du
séisme qui a touché Haïti le 12 janvier 2010,
vient l'heure du bilan et de l'analyse des
impacts sur la société haïtienne.
Des chercheurs de l'IRD et leurs partenaires
haïtiens et internationaux ont dressé un état des
lieux de la situation trois ans après la
catastrophe.
Grâce à deux enquêtes menées auprès des ménages haïtiens, l'une en 2007 et l'autre en 2012,
les scientifiques ont pu comparer leurs conditions de vie pré et post-séisme. Le constat est
accablant : leurs revenus ont baissé de plus de 50 %, le nombre de jeunes en âge d'étudier qui
travaillent a augmenté, les inégalités sociales ont explosé... La vulnérabilité de certains
ménages s'est aggravée à la suite du séisme, laissant une population encore plus fragile face à
de nouveaux désastres (inondations, épidémies, etc.).
Un avant et un après-séisme
Dans le cadre d'un programme soutenu par l'ANR et la Banque mondiale, les chercheurs de
l'Institut Haïtien de Statistique et de l'IRD ont comparé les résultats d'une enquête sur les
conditions de vie des ménages après le séisme, réalisée auprès de 20 000 personnes dans tout
le pays en 2012, à ceux d'une précédente enquête statistique menée en 2007. Ces enquêtes
offrent deux instantanés de la situation des ménages à cinq ans d'intervalle, qui permettent de
décrire l'évolution globale de la société, et plus particulièrement du marché du travail, avant
et après le séisme.
En parallèle, les scientifiques ont pu mener une étude biographique, en réinterrogeant près de
600 ménages enquêtés en 2007 dans l'agglomération de Port-au-Prince. Cette démarche leur a
permis de connaître leurs trajectoires individuelles et de comprendre les dynamiques de
chacun : quelle a été leur mobilité professionnelle, géographique et résidentielle ? Leur foyer
a-t-il connu des recompositions durant cette période, etc. ?
Bien que la dynamique observée ne puisse être attribuée uniquement au séisme - d'autres
catastrophes sont survenues depuis (inondations, épidémies, etc.) - ces travaux offrent un
aperçu des grandes tendances à l'oeuvre en Haïti aujourd'hui.
Baisse des revenus et mise au travail contrainte
Les chercheurs dépeignent un bilan à la fois prévisible, mais aussi par certains côtés inattendu,
de la situation économique en Haïti. Sans surprise, les conditions se sont grandement
dégradées. Certains chiffres, comme celui de la baisse des revenus des ménages de 57 % entre
2007 et 2012, sont éloquents. De manière moins évidente en apparence, d'autres indicateurs
révèlent également cette dégradation : ainsi, la baisse du chômage de 17 à 14 %,
l'augmentation exceptionnelle du taux d'activité de près de 10 % et le retour à l'agriculture
comme moyen de subsistance (de 38 % des actifs en 2007 à 47 % en 2012) cachent une
fragilisation de la société. En effet, la réduction du chômage traduit le fait que les Haïtiens
sont contraints d'accepter des emplois qui ne correspondent pas à leur niveau d'éducation ou à
leurs aspirations. De même, la montée du taux d'activité, observée en particulier chez les
jeunes, reflète l'augmentation du nombre de jeunes qui, dès l'âge de 10 ans, renoncent à
l'école ou à des études supérieures pour travailler et contribuer aux revenus de la famille.
L'aide internationale mal ciblée
L'aide internationale s'est majoritairement concentrée sur l'agglomération de Port-au-Prince et
sur les populations des camps. Or, les campagnes et les villes de province, bien qu'éloignées de
l'épicentre du séisme situé sous la capitale, ont concentré la majeure partie des victimes et
des dégâts. De plus, la plupart des réfugiés ont été accueillis au sein d'autres ménages, grâce
au formidable élan de solidarité des Haïtiens qui ont pris le relai des actions d'urgence de
manière particulièrement active après le séisme, sans percevoir d'aide des circuits
internationaux. Au final, les plus fragiles (les ruraux, les femmes, les jeunes, les Haïtiens
d'origine modeste) payent le plus lourd tribut à la catastrophe et les inégalités explosent.
Un tel diagnostic apparaît comme un préalable nécessaire en vue d'améliorer les politiques
publiques de gestion des désastres naturels - y compris préventives - et l'aide internationale,
dont l'efficacité est aujourd'hui questionnée.